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7 juillet 2014 1 07 /07 /juillet /2014 20:31
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Isaïe 55, 10 – 11

 

Ainsi parle le Seigneur
10 La pluie et la neige qui descendent des cieux
n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre,
sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer,
pour donner la semence au semeur
et le pain à celui qui mange ;
11 ainsi ma parole, qui sort de ma bouche,
ne me reviendra pas sans résultat,
sans avoir fait ce que je veux,
sans avoir accompli sa mission.


Comme le font souvent les prophètes, Isaïe emploie une image pour se faire comprendre. L’image ici est celle de la pluie et de la neige. A Babylone où il est en exil avec son peuple (au 6ème siècle av.J.C), on a l’expérience des bienfaits de la pluie : un pays gorgé de soleil, comme est Israël ou comme est Babylone, ne demande qu’à refleurir dès la première pluie : « La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, pour donner la semence au semeur et le pain à celui qui mange… »

Le prophète applique cette image d’efficacité à la Parole de Dieu : « Ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission. »
Pourquoi insiste-t-il sur l’efficacité de la Parole de Dieu ? Pour deux raisons :

Première raison, il est en train d’annoncer la fin de l’Exil à Babylone, le retour à Jérusalem des déportés. Voilà cinquante ans que les habitants de Jérusalem sont déportés à Babylone ; eh bien, c’est fini, leur promet Isaïe de la part de Dieu, vous allez très bientôt être libérés, vous allez sortir d’ici.

Evidemment, pour oser croire à une telle promesse, à une libération attendue depuis si longtemps, il faut avoir confiance dans la parole de Dieu. C’est pour cela qu’Isaïe est si ferme : « ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission. »

On ne s’étonne pas que de tels propos sur l’efficacité de la Parole de Dieu aient été prononcés toujours dans des moments difficiles de l’histoire du peuple d’Israël. C’est à ces moments-là qu’il faut se raccrocher à sa foi. Par exemple, dès le début du deuxième Isaïe, on trouve cette phrase : « Tous les êtres de chair sont de l’herbe et toute leur constance est comme la fleur des champs : l’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours. » (Is 40, 6… 8). Ou encore, le premier chapitre de la Genèse, ce long poème de la Création qui a été rédigé lui aussi pendant l’Exil à Babylone, répète à plusieurs reprises : « Dieu dit et cela fut ». On lit la même insistance chez le prophète Jérémie, qui prêche lui aussi en période d’inquiétude ; il dit de la part de Dieu : « Je veille à l’accomplissement de ma parole. » (Jr 1, 12). Au passage, vous savez que c’est le même mot en hébreu (« Davar ») qui signifie à la fois « parole » et « événement ».

La deuxième raison de l’insistance d’Isaïe sur l’efficacité de la Parole de Dieu, c’est sa volonté de lutter contre l’idolâtrie : car la tentation de perdre confiance en Dieu renaissait inévitablement pendant l’Exil ; voilà le raisonnement qu’on entendait parfois : puisque nous (les gens de Jérusalem), nous sommes vaincus, anéantis, nous ferions peut-être mieux de nous tourner vers les dieux des vainqueurs, les Babyloniens en l’occurrence. Eux au moins ils ont des dieux efficaces !

C’est bien chez le deuxième Isaïe, le prophète du temps de l’Exil, qu’on trouve les paroles les plus cinglantes contre les idoles des autres nations : sur le thème : Notre Dieu n’est pas comme les idoles qui sont désespérément muettes et qui ne peuvent rien pour nous. Je vous en cite une phrase : « Qu’un homme crie vers lui (le faux dieu), il ne répond pas, de sa détresse, il ne le sauve pas. » (Is 46, 7). Et si vous avez la curiosité de lire le chapitre 44 d’Isaïe, vous y trouverez tout un développement assez sarcastique sur les pauvres gens qui utilisent le même bois pour faire du feu et pour se fabriquer des statues ; et les malheureux attendent une aide de ces statues inertes qu’ils ont fabriquées eux-mêmes ! En écho, vous connaissez cette phrase du psaume 113 (115 dans la Bible) : « Notre Dieu, il est au ciel ; tout ce qu’il veut, il le fait. Leurs idoles : or et argent, ouvrage de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas, des narines et ne sentent pas. Leurs mains ne peuvent toucher, leurs pieds ne peuvent marcher, pas un son ne sort de leur gosier ! »

Je reviens au texte d’aujourd’hui : « Ma parole ne me reviendra pas sans avoir accompli sa mission. » Je m’arrête sur ce mot de mission : Isaïe avait compris une chose, c’est que la grande particularité de la parole de Dieu est d’être une parole de pardon et de réconciliation. Je vous lis les versets qui précèdent tout juste notre texte d’aujourd’hui : « Recherchez le Seigneur parce qu’il se laisse trouver, appelez-le puisqu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme malfaisant, ses pensées. Qu’il retourne vers le Seigneur qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu qui pardonne abondamment. CAR vos pensées ne sont pas mes pensées… » (Is 55, 6-9). La mission dont il est question dans le passage d’aujourd’hui (« ma parole ne me reviendra pas sans avoir accompli sa mission ») est donc une mission d’annonce du pardon gratuit de Dieu, et donc de réconciliation de l’humanité avec lui : Traduisez : Dieu finira bien par réconcilier l’humanité avec lui. Plus tard, Saint Paul ne dira pas autre chose : « Dieu notre sauveur, veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1 Tm 2, 4).

Même s’il faut pour cela envoyer le Verbe dans le monde : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le. » Les disciples, à leur tour, sont envoyés en ambassade de réconciliation : « Tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. » (2 Co 5, 18). Le Verbe fait chair n’est pas retourné vers le Père « sans résultat… sans avoir accompli sa mission » de réconciliation.
Comme le dit la lettre aux Hébreux : « Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu’il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes. Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être et il porte l’univers par la puissance de sa parole. » (He 1, 1-3).


PSAUME – 64 ( 65 ), 10, 11, 12-13, 12b. 14

 

10 Tu visites la terre et tu l’abreuves,
tu la combles de richesses :
les ruisseaux de Dieu regorgent d’eau :
tu prépares les moissons.

Ainsi tu prépares la terre
11 tu arroses les sillons
tu aplanis le sol, tu le détrempes sous les pluies,
tu bénis les semailles.

12 Tu couronnes une année de bienfaits ;
sur ton passage ruisselle l’abondance.
13 Au désert les pâturages ruissellent,
les collines débordent d’allégresse.

Sur ton passage ruisselle l’abondance :
14 Les herbages se parent de troupeaux
et les plaines se couvrent de blé.
Tout exulte et chante !


Ces versets sonnent comme une heureuse et tranquille contemplation de la nature. En réalité, nous sommes exactement dans l’ambiance de la première lecture de ce dimanche : c’était Isaïe qui comparait l’efficacité de la Parole de Dieu à la merveille de la pluie arrosant une terre assoiffée. Et la Parole dont il était question, c’était l’annonce du retour des exilés. (Je veux parler ici de l’Exil à Babylone au 6ème siècle av.J.C.). Pour nous en rendre compte, il faut remettre ces versets dans leur contexte. Je vous lis donc ce psaume en entier, les versets retenus par la liturgie n’étant que les derniers du psaume 64 (65).

2 Il est beau de te louer,
Dieu, dans Sion,
de tenir ses promesses envers toi,
3 qui écoutes la prière.

Jusqu’à toi vient toute chair
4 avec son poids de péché ;
nos fautes ont dominé sur nous ;
toi, tu les pardonnes.

5 Heureux ton invité, ton élu :
il habite ta demeure !
Les biens de ta maison nous rassasient,
les dons sacrés de ton temple !

6 Ta justice nous répond par des prodiges,
Dieu notre sauveur,
espoir des horizons de la terre
et des rives lointaines.

7 Sa force enracine les montagnes,
il s’entoure de puissance ;
8 il apaise le vacarme des mers,
le vacarme de leurs flots
et la rumeur des peuples.

9 Les habitants des bouts du monde sont pris d’effroi
à la vue de tes signes ;
aux portes du Levant et du Couchant,
tu fais jaillir des cris de joie.

10 Tu visites la terre et tu l’abreuves,
tu la combles de richesses :
les ruisseaux de Dieu regorgent d’eau :
tu prépares les moissons.

Ainsi tu prépares la terre
11 tu arroses les sillons
tu aplanis le sol, tu le détrempes sous les pluies,
tu bénis les semailles.

12 Tu couronnes une année de bienfaits ;
sur ton passage ruisselle l’abondance.
13 Au désert les pâturages ruissellent,
les collines débordent d’allégresse.

Sur ton passage ruisselle l’abondance :
14 Les herbages se parent de troupeaux
et les plaines se couvrent de blé.
Tout exulte et chante !

Ce sont donc les premiers versets (qui n’ont pas été retenus pour la liturgie de ce dimanche) qui expliquent la suite. C’est comme toujours le peuple d’Israël qui prie au temple de Jérusalem : ce peuple heureux d’être admis dans l’intimité de Dieu. « Heureux ton invité, ton élu… » : Le peuple d’Israël rend grâce pour le privilège que Dieu lui a accordé ; c’est ce que l’on appelle « l’élection d’Israël » : ce choix parfaitement gratuit que Dieu a fait de ce petit peuple pour en faire son messager auprès des autres nations ; l’auteur du psaume propose ici une comparaison : au milieu du peuple d’Israël, il y avait une tribu privilégiée, celle des lévites ; elle avait une place à part, celle d’être consacrée au service exclusif de Dieu. Eh bien, la position du peuple élu au milieu des autres nations est comparable à celle des lévites au sein d’Israël. « Heureux ton invité, ton élu : il habite ta demeure ! Les biens de ta maison nous rassasient, les dons sacrés de ton temple ! »

Mais cette élection d’Israël ne fait pas oublier que le projet de salut de Dieu concerne l’humanité tout entière ; et l’on sait déjà que toutes les nations seront un jour admises au salut : « Jusqu’à toi qui entends les prières, toute chair viendra ». Au passage, vous avez reconnu les paroles de l’ancien chant d’entrée de la messe de funérailles (le « Requiem »): « ad te omnis caro veniet » (vers toi toute chair au sens de tout être humain viendra).

Cette ouverture à la dimension universelle du projet de Dieu suggère que ce psaume pourrait être tardif : si c’est le cas, on comprend mieux tous ses aspects si différents à première vue. Israël est rentré d’exil et il vient rendre grâce au temple de Jérusalem : « Il est beau de te louer, Dieu, dans Sion »… Là-bas, on avait fait un vœu : si on en réchappe, on saura dire merci : « Il est beau de te louer, Dieu, dans Sion, de tenir ses promesses envers toi, qui écoutes la prière. »

Ce retour de l’Exil à Babylone est lu comme un pardon : Dieu efface notre passé de pécheurs : « nos fautes ont dominé sur nous ; toi, tu les pardonnes. » Une vie nouvelle va commencer ; c’est une véritable re-création. C’est ce qui explique la fin du psaume : l’apparence bucolique des derniers versets (ceux qui ont été retenus par la liturgie « Tu visites la terre et tu l’abreuves, tu la combles de richesses ») ne doit donc pas faire oublier le vrai thème de ce psaume qui est une action de grâce du peuple pécheur mais pardonné. L’évocation des beautés de la nature n’est là que pour suggérer cette vie nouvelle : « Tu couronnes une année de bienfaits ; sur ton passage ruisselle l’abondance. Au désert les pâturages ruissellent, les collines débordent d’allégresse. »

Mieux même, la profusion des dons de Dieu dans la nature se prête admirablement bien à l’évocation des dons combien plus hauts et merveilleux, et plus encore de ses inlassables pardons : « Ta justice nous répond par des prodiges, Dieu notre sauveur. » On a donc compris, déjà, que le jugement de Dieu est un jugement qui sauve. Pendant l’Exil à Babylone on a également appris à souhaiter la conversion des autres nations ; quand ils verront que Dieu a sauvé son peuple, ils auront la preuve que le Dieu d’Israël est le seul sauveur et ils se tourneront vers lui et alors ils possèderont la vraie joie, celle de connaître enfin Dieu : « Les habitants des bouts du monde sont pris d’effroi 1 à la vue de tes signes ; aux portes du Levant et du Couchant, tu fais jaillir des cris de joie. » C’est ce qui nous vaut un verset magnifique : « Dieu notre sauveur » est « l’espoir des horizons de la terre et des rives lointaines. »
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Note
1 – « Effroi » ici ne veut pas dire épouvante : c’est un mot du vocabulaire de cour qui signifie que, désormais, Dieu est reconnu comme le grand roi sur toute la terre.


DEUXIÈME LECTURE – Romains 8, 18 – 23

 

Frères,
18 j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure
entre les souffrances du temps présent
et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous.
19 En effet, la création aspire de toutes ses forces
à voir cette révélation des fils de Dieu.
20 Car la création a été livrée au pouvoir du néant,
non parce qu’elle l’a voulu,
mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir.
Pourtant, elle a gardé l’espérance
21 d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage,
de la dégradation inévitable,
pour connaître la liberté,
la gloire des enfants de Dieu.
22 Nous le savons bien,
la création tout entière crie sa souffrance,
elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore.
23 Et elle n’est pas seule.
Nous aussi nous crions en nous-mêmes notre souffrance ;
nous avons commencé par recevoir le Saint Esprit,
mais nous attendons notre adoption
et la délivrance de notre corps.


« La création aspire de toutes ses forces à voir la révélation des fils de Dieu ». Cela veut dire que la création n’est pas un événement du passé : elle est un projet en marche.

Je vous propose une comparaison : Imaginons la naissance d’une œuvre d’art, une immense sculpture de bronze, par exemple. J’ai en tête une grande croix de bronze offerte à une église de mon diocèse par un sculpteur tchèque ; aujourd’hui, elle est admirable, mais que de difficultés, petites et grandes, pour en arriver là !

Depuis le premier jour, l’artiste sait où il va et il sait qu’il lui faudra beaucoup de patience et de temps ; il faudra passer par bien des étapes, des débuts de réalisation, des échecs, peut-être… Dans bien des cas, il devra s’entourer de collaborateurs. Ceux-ci devront endurer les fatigues et les peines, les risques sans très bien savoir où ce travail parfois ingrat les mènera. Car seul l’artiste imagine déjà l’œuvre achevée ; et la beauté entrevue, comment la décrire, la faire partager à ses collaborateurs ? Ceux-ci devront faire preuve de beaucoup de confiance pour s’engager sur ce chantier.

On pourrait comparer le projet de Dieu à cette naissance d’une œuvre d’art : d’ailleurs Paul parle bien d’enfantement. Dieu seul, pour l’instant, peut décrire l’œuvre achevée ; qui est en train d’achever l’œuvre ? Nous, chacun, pour notre petite part, mais surtout l’Esprit qui souffle sur le monde pour le tourner vers Dieu. « Nous avons commencé par recevoir le Saint Esprit, mais nous attendons notre adoption et la délivrance de notre corps. » : entendons-nous bien, nous n’attendons pas d’être délivrés de notre corps, c’est notre corps, c’est-à-dire notre être tout entier, actuellement encore enchaîné, c’est-à-dire encore lié au péché, qui sera enfin libéré, libre de vivre en fils de Dieu.

La traduction liturgique dit « Nous avons commencé par recevoir le Saint Esprit, mais nous attendons notre adoption » et c’est déjà magnifique, mais il est bon de lire aussi d’autres traductions, tant la réalité qui nous est promise est de fait intraduisible ; ainsi la Traduction Œcuménique a-t-elle préservé le mot « prémices » : « Nous qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption… » Au sens biblique, les prémices, c’est la première gerbe de la récolte ou l’agneau premier-né du troupeau au printemps. Ils étaient à la fois début et promesse de la récolte tout entière. Belle image pour dire que nous possédons déjà les arrhes du salut définitif ; « car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). Et c’est parce que nous possédons déjà les prémices, parce que nous sommes déjà animés par l’Esprit, que nous gémissons dans l’attente de notre transformation définitive.

La quatrième Prière Eucharistique a cette phrase superbe : « Il (Ton Fils) a envoyé d’auprès de toi, comme premier don fait aux croyants, l’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification. » « Toute sanctification », c’est-à-dire toute transformation. Pour l’instant, la création est encore « livrée au pouvoir du néant » : la formidable puissance qui anime la création tout entière est trop souvent dirigée contre elle-même, elle est le théâtre de toutes sortes de violences. Mais dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle que nous attendons, vers lesquels nous tendons, plutôt, cette puissance sera devenue passion de l’unité : « Nous attendons des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habitera. » (2 P 3, 13). Alors la création sera « libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté ».

Il semble bien que Paul parle de l’ensemble de la création et du cosmos, pas seulement de nous. En cela, il ne fait que reprendre un thème familier aux hommes de la Bible, pour lesquels par exemple, la dysharmonie engendrée par le mauvais choix d’Adam entraîne le jardin tout entier, c’est-à-dire toute la création dans le chaos : « Le sol sera maudit à cause de toi. » (Gn 3, 17). A l’inverse, quand la justice habitera sur la terre, non seulement les hommes, mais aussi les animaux connaîtront la paix. Car l’homme fait partie du cosmos et ne se conçoit pas sans lui ; c’est, je crois, l’un des sens de la magnifique « parabole » des animaux du prophète Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits même gîte. Le lion, comme le boeuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du Seigneur, comme la mer que comblent les eaux. » (Is 11, 6-9). Comme le dit Paul ailleurs, dans la lettre aux Ephésiens : c’est « l’univers entier, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre » qui sera un jour réuni sous un seul chef (tête), Jésus-Christ. (Ep 1, 9-10).

Je reprends ma comparaison de l’œuvre d’art : pour nous qui sommes engagés dans le projet de Dieu, nous avons un immense privilège par rapport aux collaborateurs habituels d’un artiste : nous entrevoyons déjà l’œuvre achevée : « Le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père. » (Jn 1, 14). En attendant, ce grand travail d’enfantement de l’humanité nouvelle se poursuit encore dans les douleurs et les gémissements. Raison de plus pour que les croyants trouvent l’audace d’annoncer dès à présent la gloire promise à toute la création.
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Complément

« La gloire que Dieu va bientôt révéler en nous » : la résurrection des fils d’Adam s’accompagnera d’un renouvellement de toutes choses : « La création aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu… Elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage… pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu. » « Nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, avec une gloire toujours plus grande par le Seigneur qui est Esprit. » (2 Co 3, 18).


ÉVANGILE – Matthieu 13, 1-23

 

1 Ce jour là, Jésus était sorti de la maison,
et il était assis au bord du lac.
2 Une foule immense se rassembla auprès de lui,
si bien qu’il monta dans une barque où il s’assit ;
toute la foule se tenait sur le rivage.
3 Il leur dit beaucoup de choses en paraboles :
« Voici que le semeur est sorti pour semer.
4 Comme il semait,
des grains sont tombés au bord du chemin,
et les oiseaux sont venus tout manger.
5 D’autres sont tombés sur le sol pierreux,
où ils n’avaient pas beaucoup de terre ;
ils ont levé aussitôt
parce que la terre était peu profonde.
6 Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé
et, faute de racines, ils ont séché.
7 D’autres grains sont tombés dans les ronces ;
les ronces ont poussé et les ont étouffés.
8 D’autres sont tombés sur la bonne terre
et ils ont donné du fruit
à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un.
9 Celui qui a des oreilles,
qu’il entende. »
10 Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent :
« Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? »
11 Il leur répondit :
« A vous il est donné de connaître
les mystères du Royaume des cieux,
mais à eux, ce n’est pas donné.
12 Celui qui a recevra encore
et il sera dans l’abondance ;
mais celui qui n’a rien
se fera enlever même ce qu’il a.
13 Si je leur parle en paraboles,
c’est parce qu’ils regardent sans regarder,
qu’ils écoutent sans écouter et sans comprendre.
14 Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe :
Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas.
Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
15 Le cœur de ce peuple s’est alourdi :
ils sont devenus durs d’oreille,
ils se sont bouché les yeux,
pour que leurs yeux ne voient pas,
que leurs oreilles n’entendent pas,
que leur cœur ne comprenne pas,
et qu’ils ne se convertissent pas.
Sinon, je les aurais guéris !
16 Mais vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient,
et vos oreilles parce qu’elles entendent !
17 Amen, je vous le dis :
beaucoup de prophètes et de justes
ont désiré voir ce que vous voyez,
et ne l’ont pas vu,
entendre ce que vous entendez,
et ne l’ont pas entendu.
18 Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur.
19 Quand l’homme entend la parole du Royaume sans la comprendre le Mauvais survient
et s’empare de ce qui est semé dans son cœur :
cet homme, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin.
20 Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux,
c’est l’homme qui entend la Parole
et la reçoit aussitôt avec joie,
21 mais il n’a pas de racines en lui,
il est l’homme d’un moment :
quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole,
il tombe aussitôt.
22 Celui qui a reçu la semence dans les ronces,
c’est l’homme qui entend la Parole ;
mais les soucis du monde et les séductions de la richesse
étouffent la Parole, et il ne donne pas de fruit.
23 Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre,
c’est l’homme qui entend la Parole et la comprend ;
il porte du fruit
à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. »


La « parabole » est un genre littéraire de la tradition juive qui ressemble à ce que nous appelons une « fable » : son but est pédagogique ; il s’agit d’amener l’auditeur à changer de point de vue.1

Pourquoi donc Jésus parle-t-il en paraboles ? Les disciples ne manquent pas de lui poser la question. La réponse de Jésus tient en trois points : premièrement une distinction entre les disciples et les autres interlocuteurs de Jésus, deuxièmement un constat (les autres écoutent sans comprendre) et enfin, troisièmement, ce qui ressemble à un dicton « Celui qui a recevra encore… mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. »2

Je reprends ces trois points : premièrement la distinction entre les disciples et certains autres interlocuteurs de Jésus : « A vous, il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, mais à eux, ce n’est pas donné. » Pour éclairer cette distinction, il faut remettre l’enseignement de Jésus dans son contexte : dans l’évangile de Matthieu, comme dans celui de Marc, cet enseignement en paraboles suit immédiatement le récit des polémiques avec les Pharisiens et avec ceux qui, comme eux, refuseront de reconnaître en Jésus le Messie de Dieu.

Deuxièmement, Jésus fait un constat : « Ils (ses opposants) regardent sans regarder, ils écoutent sans écouter et sans comprendre. » Et il leur applique une phrase que le prophète Isaïe, des siècles plus tôt, disait de ses propres contemporains : « Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, pour que (de sorte que) leurs yeux ne voient pas, que leurs oreilles n’entendent pas, que leur cœur ne comprenne pas, et qu’ils ne se convertissent pas. Sinon, je les aurais guéris ! » (Isaïe 6, 9 – 10) 3. Ici, le mot « pour » ne veut pas dire un but mais seulement une conséquence (de sorte que) ; « ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, et du coup, leurs yeux ne voient pas, et leurs oreilles n’entendent pas ». De nombreuses fois, Jésus a pu faire ce constat : plus les auditeurs s’enferment dans leurs propres certitudes, plus ils deviennent imperméables à la Parole de Dieu. Et c’est pour cela qu’il leur parle en paraboles : c’est une pédagogie pour essayer de toucher ces cœurs endurcis.

Troisièmement, cette phrase qui ressemble à un dicton : « Celui qui a recevra encore et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. » C’est dire l’importance des dispositions du cœur pour comprendre les enseignements de Jésus. Voilà une formulation particulièrement abrupte du thème des deux voies, classique dans l’Ancien Testament. Je vous rappelle ce thème des deux voies : on peut comparer l’existence humaine à un chemin qui débouche sur une grande route perpendiculaire : quelle direction prendre ? A gauche ? Ou à droite ? Si nous prenons la bonne direction (la bonne « voie »), chaque pas que nous faisons dans ce sens nous rapproche du but : « Donne au sage, et il deviendra plus sage, Instruis le juste, et il augmentera son acquis. » (Pr 9, 9). Si, par malheur, nous choisissons la mauvaise direction, chaque pas fait dans ce sens nous éloigne du but.

Le choix est clair : ou bien écouter, entendre, ouvrir ses oreilles pour laisser la Parole nous instruire et nous transformer peu à peu ; ou refuser d’entendre au risque de devenir de plus en plus durs d’oreille : « Le cœur de ce peuple s’est épaissi, ils sont devenus durs d’oreille. » Alors que le seul désir de Dieu était de les guérir : « Et moi, je les aurais guéris. »

La parabole du semeur, ainsi que l’explication que Jésus en donne, apparaît alors plus clairement comme une illustration des obstacles que rencontre la prédication évangélique. Jésus est la parole de Dieu venue habiter parmi les hommes (Jn 1, 14) ; il ne dit que la Parole du Père : « Cette parole que vous entendez, elle n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé. » (Jn 14, 24). Mais sa parole trouve difficilement le terrain favorable dans lequel elle va pouvoir germer ; il y a d’abord les difficultés inhérentes à tout chemin de conversion (les exigences du Royaume sont sans cesse étouffées par les soucis du monde (cf Mt 6, 25-34) ; mais il y a aussi, plus profondément les difficultés pour les contemporains de Jésus de lui faire confiance au point de le reconnaître comme le Messie : les disciples eux-mêmes ont achoppé sur cet enseignement ; Saint Jean nous a rapporté leurs réactions au discours sur le pain de vie : « Après l’avoir entendu, beaucoup de ses disciples commencèrent à dire : cette parole est rude ! Qui peut l’écouter ?… Dès lors, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui. Alors Jésus dit aux Douze : Et vous, ne voulez-vous pas partir ? Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle. » (Jn 6, 60… 68).

Je reviens à la parabole du semeur ; Jésus annonce qu’il y aura une récolte, (de cent, soixante ou trente pour un), et c’est certain, mais à quel prix ! Le règne de Dieu, il faut bien l’admettre, ne s’établira qu’au travers de nombreux échecs ; car entrer dans l’intelligence du Royaume ne peut être que l’effet d’un don de Dieu : « A vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux… Heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent !… Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est l’homme qui entend la Parole et la comprend. » Cela suppose un cœur disponible, capable de recevoir de Dieu la lumière qui vient de Lui seul : cette disponibilité elle aussi doit être reçue comme un cadeau. Les Pharisiens et la foule n’y étaient pas encore prêts.
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Notes

1- Une parabole n’est pas une allégorie : chaque détail du conte ne prétend pas avoir une signification précise, c’est de l’ensemble de la comparaison que l’auditeur doit dégager une leçon bien concrète.
2- Jésus répètera cette formule dans la parabole des talents (Mt 25, 29).

3- Paul faisait le même constat à Rome face à certains de ses interlocuteurs juifs qui refusaient sa prédication : il cite, lui aussi, la phrase d’Isaïe (Ac 28, 26-27). Jean, dans son évangile, fait la même analyse (Jn 12, 40).

Compléments

- A propos du verset 15 : « Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, pour que (de sorte que) leurs yeux ne voient pas, que leurs oreilles n’entendent pas, que leur cœur ne comprenne pas, et qu’ils ne se convertissent pas. Sinon, je les aurais guéris ! » (Isaïe 6, 9 – 10). J’ai choisi de comprendre « pour » dans le sens de « de sorte que ». Mais n’y a-t-il pas des cas où l’on choisit sciemment de ne pas voir et de ne pas entendre pour ne pas courir le risque de se convertir ?

- Jésus pensait-il à Ezéchiel lorsqu’il disait : « Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c’est l’homme qui entend la Parole ; mais les soucis du monde et les séductions de la richesse étouffent la Parole, et il ne donne pas de fruit. » (verset 22) ? Voici comment le SEIGNEUR prévenait son prophète des difficultés qui l’attendaient dans l’annonce de la Parole : « Ecoute, fils d’homme ! les gens de ton peuple, ceux qui bavardent sur toi le long des murs et aux portes des maisons – parlant les uns avec les autres, chacun avec son frère – ils disent : Venez écouter quelle parole vient de la part du SEIGNEUR. Ils viendront à toi comme au rassemblement du peuple ; ils s’assiéront devant toi, eux, mon peuple ; ils écouteront tes paroles mais ne les mettront pas en pratique car leur bouche est pleine des passions qu’ils veulent assouvir : leur cœur suit leur profit. Au fond, tu es pour eux comme un chant passionné, d’une belle sonorité avec un bon accompagnement. Ils écouteront tes paroles mais personne ne les met en pratique. » (Ez 33, 30-32).

- On est frappé par les échecs répétés du semeur. S’agit-il de Jésus qui est « sorti » au sens de « s’est incarné » ? Oui, certainement : une fois encore, ses contemporains sont affrontés au mystère de l’échec partiel du Messie : et c’est ce qui fera la différence entre ceux qui accepteront d’entrer dans le mystère et ceux qui rejetteront le mystère du dessein de Dieu et donc Jésus lui-même.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 15e dimanche du temps ordinaire (13 juillet 2014)

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