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20 décembre 2022 2 20 /12 /décembre /2022 00:55
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

PREMIÈRE  LECTURE -  Isaïe 9,1-6

9, 1 Le peuple qui marchait dans les ténèbres
     a vu se lever une grande lumière ;
     et sur les habitants du pays de l'ombre,
     une lumière a resplendi.
2   Tu as prodigué la joie,
     tu as fait grandir l'allégresse :
     ils se réjouissent devant toi,
     comme on se réjouit de la moisson,
     comme on exulte au partage du butin.
3   Car le joug qui pesait sur lui,
     La barre qui meurtrissait son épaule,
     le bâton du tyran,
     tu les as brisés
     comme au jour de Madiane.
4   Et les bottes qui frappaient le sol,
     et les manteaux couverts de sang,
     les voilà tous brûlés :
     le feu les a dévorés.
5   Oui, un enfant nous est né,
     un fils nous a été donné !
     Sur son épaule est le signe du pouvoir ;
     son nom est proclamé :
     « Conseiller-merveilleux, Dieu-fort,
     Père-à-jamais, Prince-de la Paix. »
6   Et le pouvoir s’étendra,
     et la paix sera sans fin
     pour le trône de David et pour son règne
     qu’il établira, qu’il affermira
     sur le droit et la justice
     dès maintenant et pour toujours.
     Il fera cela,
     l’amour jaloux du SEIGNEUR de l’univers.
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DANS UN CONTEXTE HISTORIQUE MALHEUREUX…

Pour comprendre le message de ce texte, il faut lire le verset précédent dans le livre d’Isaïe : « Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain et la Galilée des nations. » Cela ne nous permet pas de dater ces paroles du prophète : le texte a-t-il été écrit à l’époque même des événements dont il parle ? Ou beaucoup plus tard ? En revanche, on sait très bien deux choses : 1) à quelle situation politique il fait référence (même si, peut-être, il a été écrit longtemps après)... 2) le sens même de cette parole prophétique, c’est-à-dire « qui vient de Dieu » : comme toute parole prophétique, elle s’applique à raviver l’espérance du peuple.

À l’époque dont il est question, le royaume d’Israël est divisé en deux : vous vous souvenez que David puis Salomon ont été rois de tout le peuple d’Israël ; mais, dès la mort de Salomon, en 933 av. J.-C., l’unité a été rompue, (on parle du schisme d’Israël) ;  et il y a eu deux royaumes bien distincts et même parfois en guerre l’un contre l’autre : au Nord, il s’appelle Israël, c’est lui qui porte le nom du peuple élu ; sa capitale est Samarie ; au Sud, il s’appelle Juda, et sa capitale est Jérusalem. C’est lui qui est véritablement le royaume légitime : car c’est la descendance de David sur le trône de Jérusalem qui est porteuse des promesses de Dieu.

Isaïe prêche dans le royaume du Sud, mais, curieusement, tous les lieux qui sont cités ici appartiennent au royaume du Nord : Zabulon, Nephtali, la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, la Galilée, Madiane, ce sont six noms de lieux qui sont au Nord ; Zabulon et Nephtali : ce sont deux des douze tribus d’Israël ; et leur territoire correspond à la Galilée, à l’Ouest du lac de Tibériade ; on est bien au Nord du pays. La route de la mer, comme son nom l’indique, c’est la plaine côtière à l’Ouest de la Galilée ; enfin, ce qu’Isaïe appelle le pays au-delà du Jourdain, c’est la Transjordanie.

Ces précisions géographiques permettent d’émettre des hypothèses sur les événements historiques auxquels Isaïe fait allusion ; car ces trois régions, la Galilée, la Transjordanie et la plaine côtière, ont eu un sort particulier pendant une toute petite tranche d’histoire, entre 732 et 721 av.J.C. On sait qu’à cette époque-là la puissance montante dans la région est l’empire assyrien dont la capitale est Ninive. Or ces trois régions-là ont été les premières annexées par le roi d’Assyrie, Tiglath-Pilézer III, en 732. Puis, en 721, c’est la totalité du royaume de Samarie qui a été annexée (y compris la ville même de Samarie), avant que l’empereur de Babylone ne prenne à son tour le contrôle de la région. 

…UNE ANNONCE DE SALUT

C’est donc très certainement à cette tranche d’histoire qu’Isaïe fait référence. Certains pensent même que l’expression  « Le peuple qui marchait dans les ténèbres » est une allusion aux colonnes des déportés : humiliés, parfois les yeux crevés par le vainqueur, ils étaient physiquement et moralement dans les ténèbres ! C’est à ces trois régions précisément qu’Isaïe promet un renversement radical de situation : « Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations ».

Il reste qu’Isaïe prêche à Jérusalem ; et on peut évidemment se demander en quoi ce genre de promesses au sujet du royaume du Nord peut intéresser le royaume du Sud. On peut répondre que le royaume du Sud n’est pas indifférent à ce qui se passe au Nord, au moins pour deux raisons : d’abord, étant donné leur proximité géographique, les menaces qui pèsent sur l’un, pèseront tôt ou tard sur l’autre : quand l’empire assyrien prend possession du Nord, le Sud a tout à craindre. D’autre part, le royaume du Sud interprète le schisme comme un déchirure dans une robe qui aurait dû rester sans couture : il espère toujours une réunification, sous sa houlette, bien sûr.

…GRÂCE À L’AVÈNEMENT D’UN NOUVEAU ROI

Or, justement, ces promesses de relèvement du royaume du Nord résonnent à ce niveau : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre une lumière a resplendi », voilà deux phrases qui faisaient partie du rituel du sacre de chaque nouveau roi. Traditionnellement, l’avènement d’un nouveau roi est comparé à un lever de soleil, car on compte bien qu’il rétablira la grandeur de la dynastie.

C’est donc d’un sacre royal qu’il est question. Et ce nouveau roi assurera à la fois la sécurité du royaume du Sud et la réunification des deux royaumes. Et effectivement, un peu plus bas, Isaïe l’exprime en toutes lettres : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! »... et l’un de ses noms de sacre est  « Prince de la paix » ; le sens de la prophétie est clair : ce qui est sûr, aux yeux d’Isaïe, c’est que Dieu ne laissera pas indéfiniment son peuple en esclavage. Pourquoi cette assurance qui défie toutes les évidences de la réalité ? Simplement parce que Dieu ne peut pas se renier lui-même, comme dira plus tard saint Paul : Dieu veut libérer son peuple contre toutes les servitudes de toute sorte. Cela, c’est la certitude de la foi.

Cette certitude s’appuie sur la mémoire de l’œuvre du Seigneur en faveur de son peuple ; Moïse, déjà, répétait au peuple d’Israël « garde-toi d’oublier » (sous-entendu les interventions de Dieu pour te libérer), car si nous perdons cette mémoire-là, c’est nous qui sommes perdus ; rappelez-vous encore le même Isaïe disant au roi Achaz : « Si vous ne croyez pas, vous ne pourrez pas tenir » (Is 7,9) ; à chaque époque d’épreuve, de ténèbres, la certitude du prophète que Dieu ne manquera pas à ses promesses lui dicte une prophétie de victoire.

 Une victoire qui sera « Comme au jour de Madiane » : une fameuse victoire de Gédéon sur les Madianites était restée célèbre : en pleine nuit, une poignée d’hommes, armés seulement de lumières, de trompettes et surtout de leur foi en Dieu avait mis en déroute le camp des Madianites (Jg 7).

Le message d’Isaïe, c’est : « Ne crains pas. Dieu n’abandonnera jamais la dynastie de David ». On pourrait traduire pour aujourd’hui :  ne crains pas, petit troupeau : c’est la nuit qu’il faut croire à la lumière. Quelles que soient les ténèbres qui recouvrent le monde et la vie des hommes, et aussi la vie de nos communautés, réveillons notre espérance : Dieu n’abandonne pas son projet d’amour sur l’humanité.
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Complément

Il faut savoir qu’au moment où Isaïe formule ces promesses, Achaz, le jeune roi de Jérusalem vient de sacrifier son fils, l’héritier du trône, à une idole, parce qu’il avait peur de la guerre. Ce faisant, il enlevait toute chance à la dynastie royale. Mais c’est sans compter sur la fidélité de Dieu que rien ne peut décourager. La promesse d’un nouvel héritier vient restaurer la descendance de David.
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PSAUME  95 (96)

1   Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
     chantez au SEIGNEUR, terre entière,
2   chantez au SEIGNEUR et bénissez son nom !

     De jour en jour proclamez son salut,
3   racontez à tous les peuples sa gloire,
     à toutes les nations, ses merveilles !

4   Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué,
     redoutable au-dessus de tous les dieux :
5   néant tous les dieux des nations !

     Lui, le SEIGNEUR, a fait les cieux :
6   devant lui, splendeur et majesté,
     dans son sanctuaire, puissance et beauté.

7   Rendez au SEIGNEUR, familles des peuples,
     rendez au SEIGNEUR la gloire et la puissance,
8   rendez au SEIGNEUR la gloire de son nom.

     Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis,
9   adorez le SEIGNEUR, éblouissant de sainteté :
     tremblez devant lui, terre entière.

10 Allez dire aux nations : « Le SEIGNEUR est roi ! »
     le monde, inébranlable, tient bon.
     Il gouverne les peuples avec droiture.

11 Joie au ciel ! Exulte la terre !
     Les masses de la mer mugissent,
12 la campagne tout entière est en fête.

     Les arbres des forêts dansent de joie
13 devant la face du SEIGNEUR, car il vient,
     car il vient pour juger la terre.

     Il jugera le monde avec justice,
     et les peuples selon sa vérité !
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DANS L’ATTENTE DU JOUR OÙ L’HUMANITÉ RECONNAÎTRA SON SEIGNEUR

C’est trop dommage de ne lire que quelques versets de ce merveilleux psaume 95/96 (la lecture liturgique ne nous en offre que sept) ; nous l’avons donc transcrit  en entier. Une espèce de frémissement, d’exaltation court sous tous ces versets. Pourquoi est-on tout vibrants ? Alors que, pourtant, on chante ce psaume dans le temple de Jérusalem dans une période qui n’a rien d’exaltant ! Mais c’est la foi qui fait vibrer ce peuple, ou plutôt c’est l’espérance... qui est la joie de la foi... l’espérance qui permet d’affirmer avec certitude ce qu’on ne possède pas encore.

Car on est en pleine anticipation : le psaume nous transporte déjà à la fin du monde, en ce jour béni où tous les peuples sans exception reconnaîtront Dieu comme le seul Dieu. Le jour, où enfin l’humanité tout entière aura mis sa confiance en lui seul. Imaginons un peu cette scène que nous décrit le psaume : nous sommes à  Jérusalem... et plus précisément dans le Temple ; tous les peuples, toutes les nations, toutes les races se pressent aux abords du Temple, l’esplanade grouille de monde, les marches du parvis du Temple sont noires de monde, la ville de Jérusalem n’y suffit pas... aussi loin que porte le regard, les foules affluent... il en vient de partout, il en vient du bout du monde. Et toute cette foule immense chante à pleine gorge, c’est une symphonie ; que chantent-ils ? « Dieu règne ! » C’est une clameur immense, superbe, gigantesque... Une clameur qui ressemble à l’ovation qu’on faisait à chaque nouveau roi le jour de son sacre, mais cette fois, ce n’est pas le peuple d’Israël qui acclame un roi de la terre, c’est l’humanité tout entière qui acclame le roi du monde : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, redoutable » (toutes ces expressions sont empruntées au vocabulaire de cour »).

En fait, c’est beaucoup plus encore que l’humanité : la terre elle-même en tremble. Et voilà que les mers aussi entrent dans la symphonie : on dirait qu’elles mugissent. Et les campagnes entrent dans la fête, les arbres dansent. A-t-on déjà vu des arbres danser ? Et bien oui, ce jour-là ils dansent ! Bien sûr, si on y réfléchit, c’est normal ! Les mers sont moins bêtes que les hommes ! Elles, elles savent qui les a faites, qui est leur créateur ! Elles mugissent pour Lui, elles l’acclament à leur manière. Les arbres des forêts, eux aussi, sont moins bêtes que les hommes : ils  savent reconnaître leur créateur : parmi des tas d’idoles, de faux dieux, pas d’erreur possible, les arbres ne s’y laissent pas prendre.

PROCLAMER LA BONNE NOUVELLE SUR TOUS LES TOITS

Les hommes, eux, se sont laissé berner longtemps... Il suffit de se rappeler le combat des prophètes contre l’idolâtrie au long des siècles ! On entend ici cette même pointe contre l’idolâtrie « néant les dieux des nations ». Il est incroyable que les hommes aient mis si longtemps à reconnaître leur Créateur, leur Père... qu’il ait fallu leur redire cent fois cette évidence que le Seigneur est « redoutable au-dessus de tous les dieux » ; que « c’est LUI, le SEIGNEUR, (sous-entendu « et personne d’autre ») qui a fait les cieux ».

Mais cette fois c’est arrivé ! Et on vient à Jérusalem pour acclamer Dieu parce qu’enfin on a entendu la bonne nouvelle ; et si on a pu l’entendre c’est parce qu’elle était clamée à nos oreilles depuis des siècles ! Oui, « de jour en jour, Israël avait proclamé son salut »... de jour en jour Israël avait raconté l’œuvre de Dieu, ses merveilles, traduisez son œuvre incessante de libération... de jour en jour Israël avait témoigné que Dieu l’avait libéré de l’Égypte d’abord, puis de toutes les sortes d’esclavage : et le plus terrible des esclavages, c’est de se tromper de Dieu, c’est de mettre sa confiance dans de fausses valeurs, des faux dieux qui ne peuvent que décevoir, des idoles...

Israël a cette chance immense, cet honneur inouï, ce bonheur de savoir et d’être chargé de dire que le SEIGNEUR notre Dieu, l’Éternel  est le seul Dieu, est le Dieu UN ; comme le dit la profession de foi juive, le « shema Israël » : « Écoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN ». C’est le mystère de la vocation d’Israël dont on n’a pas fini de s’émerveiller ; comme le dit le livre du Deutéronome : « À toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre que lui. » Mais le peuple choisi n’a jamais oublié que s’il lui a été donné de voir, c’est pour qu’il le fasse savoir.

Et alors, enfin, la bonne nouvelle a été entendue jusqu’aux extrémités de la terre... et tous se pressent pour entrer dans la Maison de leur Père. Nous sommes là en pleine anticipation ! En attendant que ce rêve se réalise, le peuple d’Israël fait retentir ce psaume pour renouveler sa foi et son espérance, pour puiser la force de faire entendre la bonne nouvelle dont il est chargé.
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DEUXIÈME LECTURE - Lettre de Paul à Tite  2, 11-14  (3, 4-7 pour la messe de l'Aurore de Noël)

     Bien-aimé,
2, 11 la grâce de Dieu s'est manifestée
     pour le salut de tous les hommes.
12 C'est elle qui nous apprend à renoncer à l’impiété
     et aux convoitises de ce monde,
     et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable,
     avec justice et piété,
13 attendant que se réalise la bienheureuse espérance :
     la manifestation de la gloire
     de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ.
14 Car il s'est donné pour nous
     afin de nous racheter de toutes nos fautes,
     et de nous purifier
     pour faire de nous son peuple,
     un peuple ardent à faire le bien.
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     Bien-aimé,
3, 4 lorsque Dieu, notre Sauveur,
     a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes ;
5   il nous a sauvés,
     non pas à cause de la justice de nos propres actes,
     mais par sa miséricorde.
     Par le bain du baptême, il nous a fait renaître
     et nous a renouvelés dans l'Esprit Saint.
6   Cet Esprit, Dieu l'a répandu sur nous en abondance,
     par Jésus-Christ notre Sauveur,
7   afin que, rendus justes par sa grâce,
     nous devenions en espérance
     héritiers de la vie éternelle.
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PLONGÉS DANS LA GRÂCE DE DIEU PAR LE BAPTÊME

Les Crétois avaient très mauvaise réputation au temps de Paul ; c’est un poète local, Épiménide de Cnossos, au sixième siècle av. J.-C. qui les traitait de « Crétois, perpétuels menteurs, bêtes méchantes, panses malfaisantes ». Et Paul, en le citant, le confirme en disant : « Ce témoignage est vrai » ! C’est pourtant de ces Crétois pleins de défauts que Paul a essayé de faire des chrétiens. Apparemment, il a eu fort à faire. Puis il a laissé à Tite, resté sur place, la mission d’organiser la communauté chrétienne toute neuve.1

Cette lettre à Tite contient donc les conseils du fondateur de la communauté à celui qui en est désormais le responsable. Vous savez que, pour des raisons de style, de vocabulaire et même de vraisemblance chronologique, beaucoup de ceux qui connaissent bien les épîtres pauliniennes pensent que cette lettre à Tite (comme les deux lettres à Timothée, d’ailleurs) aurait été écrite seulement à la fin du premier siècle, c’est-à-dire trente ans environ après la mort de Paul, mais dans la fidélité à sa pensée et pour appuyer son œuvre.

Dans l’incapacité de trancher, nous continuerons à parler de Paul comme s’il était l’auteur, puisque c’est le contenu de la lettre qui nous intéresse. Quelle que soit l’époque à laquelle cette lettre a été rédigée, il faut croire que les difficultés des Crétois persistaient ! À propos de contenu, cette lettre à Tite est particulièrement courte, trois pages seulement et nous lisons ici la fin du chapitre 2 (le début du chapitre 3 est en outre proposé à Noël pour la Messe de l’Aurore et l’ensemble de ces deux textes pour la Fête du Baptême du Seigneur, année C). Tout ce qui précède et ce qui suit cet ensemble consiste en recommandations extrêmement concrètes à l’intention des membres de la communauté, vieux et jeunes, hommes et femmes, maîtres et esclaves. Les responsables ne sont pas oubliés et si Paul insiste sur l’irréprochabilité qu’on doit exiger d’eux, il faut croire que cela n’allait pas de soi ! « Il faut que l’épiscope soit irréprochable en sa qualité d’intendant de Dieu : ni arrogant, ni buveur, ni batailleur, ni avide de gains honteux. Il doit être hospitalier, ami du bien, pondéré, juste, saint, maître de soi, fermement attaché à la Parole... » Une telle avalanche de conseils donne une idée des progrès qui restaient à faire : en général un bon pédagogue ne se hasarde pas à donner des conseils superflus...

LES BAPTISÉS COLLABORENT À L’ŒUVRE DE DIEU

Ce qui est très intéressant pour nous, c’est l’articulation entre tous ces conseils d’ordre moral et le passage qui nous intéresse aujourd’hui et qui est au contraire un exposé théologique sur le mystère de la foi ; mais justement, pour Paul, l’un découle de l’autre ; c’est notre Baptême qui fait de nous des hommes nouveaux. Paul vient de donner toute sa série de conseils et il les justifie par la seule raison que « la grâce de Dieu s’est manifestée », comme il dit. D’ailleurs, pour qui a la curiosité d’aller vérifier dans sa Bible, on s’aperçoit que la lecture du Missel omet un mot très important. Dans la Bible, notre texte commence en réalité par le mot « CAR ». Ce qui donne : (Comportez-vous bien) « Car la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. »

Cela veut dire que la morale chrétienne s’enracine dans l’événement qui est la charnière de l’histoire du monde : la naissance du Christ. Quand Paul dit « la grâce de Dieu s’est manifestée », il faut traduire « Dieu s’est fait homme ». Et désormais, c’est notre manière d’être hommes qui est transformée : « Par le bain du Baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. » (3,5). Désormais la face du monde est changée, et donc aussi notre comportement. Encore faut-il nous prêter à cette transformation. Et le monde attend de nous ce témoignage. Il ne s’agit pas de mérites à acquérir (« il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. »), mais de témoignage à porter. Le mystère de l’Incarnation va jusque-là. Dieu veut le salut de toute l’humanité, pas seulement le nôtre ! « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. » Mais il attend notre collaboration pour cela.

 C’est donc la transformation de l’humanité tout entière qui est au programme, si l’on peut dire ; car le projet de Dieu, prévu de toute éternité, c’est de nous réunir tous autour de Jésus-Christ. Tellement serrés autour de lui que nous ne ferons qu’un avec lui. Réunir, c’est-à-dire surmonter nos divisions, nos rivalités, nos haines, pour faire de nous un seul homme ! Il y a encore du chemin à faire, c’est vrai ; tellement de chemin que les incroyants disent que « c’est une utopie » ; mais les croyants affirment « puisque c’est une promesse de Dieu, c’est une certitude ! » Paul dit bien : « attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. » le mot « attendant » veut bien dire « c’est certain, tôt ou tard, cela viendra. »

Au passage, nous reconnaissons là une phrase que le prêtre prononce à chaque Eucharistie, après le Notre Père : « Nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus-Christ notre Sauveur ». Ce n’est pas une manière de nous voiler la face sur les lenteurs de cette transformation du monde, c’est un acte de foi : nous osons affirmer que l’amour du Christ aura le dernier mot.

Cette certitude, cette attente sont le moteur de toute liturgie : au cours de la célébration, les chrétiens ne sont pas des gens tournés vers le passé mais déjà un seul homme debout tourné vers l’avenir. Quand viendra la fin du monde, le journaliste de service écrira : « Et ils se levèrent comme un seul homme. Et cet homme avait pour nom Jésus-Christ ».
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Note

Quand a été fondée la communauté chrétienne en Crète ? Il y a deux hypothèses : soit au cours du transfert de Paul à Rome (Ac 27), soit au cours d’un ultime voyage.

Concernant le premier transfert à Rome, d’après les Actes des Apôtres, le bateau qui transportait Paul prisonnier en attente d’un jugement à Rome a fait escale dans un endroit appelé « Beaux Ports » au sud de l’île.

Mais Luc ne parle pas de la naissance d’une communauté à cette occasion, et Tite ne faisait pas partie du voyage. On sait qu’après de nombreuses péripéties, ce voyage s’est terminé comme prévu à Rome où Paul a été emprisonné pendant deux ans dans des conditions très libérales : on pourrait parler plutôt de « résidence surveillée ».

Concernant la deuxième hypothèse, on suppose que cette première captivité romaine s’est soldée par une remise en liberté. Paul aurait alors entrepris un quatrième voyage missionnaire, et c’est au cours de ce dernier voyage qu’il aurait évangélisé la Crète.
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ÉVANGILE : Luc 2,1-14

1   En ces jours-là,
     parut un édit de l'empereur Auguste,
     ordonnant de recenser toute la terre.
2   - Ce premier recensement eut lieu
     lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie.-
3   Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d'origine.
4   Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth,
     vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem.
     Il était en effet de la maison et de la lignée de David.
5   Il venait se faire recenser avec Marie,
     qui lui avait été accordée en mariage
     et qui était enceinte.
6   Or, pendant qu'ils étaient là,
     le temps où elle devait enfanter fut accompli.
7   Et elle mit au monde son fils premier-né ;
     elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire,
     car il n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
8   Dans la même région, il y avait des bergers
     qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs
     pour garder leurs troupeaux.
9   L'ange du Seigneur se présenta devant eux,
     et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière.
     Ils furent saisis d'une grande crainte.
10 Alors l'ange leur dit :
     « Ne craignez pas,
     car voici que je vous annonce une bonne nouvelle,
     qui sera une grande joie pour tout le peuple :
11 Aujourd'hui, dans la ville de David,
     vous est né un Sauveur,
     qui est le Christ, le Seigneur.
12 Et voici le signe qui vous est donné :
     vous trouverez un nouveau-né
     emmailloté et couché dans une mangeoire. »
13 Et soudain, il y eut avec l'ange une troupe céleste innombrable,
     qui louait Dieu en disant :
14 « Gloire à Dieu au plus haut des cieux,
     et paix sur la terre aux hommes, qu'Il aime. »
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DIEU A TELLEMENT AIMÉ LE MONDE QU’IL A DONNÉ SON FILS UNIQUE 

Lorsque le prophète Isaïe annonçait des temps meilleurs au roi Achaz, grâce à la naissance d’un futur roi, il lui disait « Il fera cela, l’amour jaloux du SEIGNEUR de l’univers. » (Is 9,6). Cette phrase résonne en filigrane de tout l’évangile de Luc sur la naissance de Jésus.

Car la nuit de Bethléem résonne d’une merveilleuse annonce : « Paix aux hommes que Dieu aime. » Encore faut-il ne pas l’entendre de travers : le texte ne signifie pas qu’il y a ceux que Dieu aime et les autres ! Il faut évidemment traduire : « Paix aux hommes parce que Dieu les aime. » Tout le projet de Dieu est dit là, une fois de plus. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3,16). Alors, bien sûr, nous n’avons rien à craindre : « Ne craignez pas », disent les anges aux bergers : que peut-on craindre d’un tout petit ? Et si Dieu, tout simplement, avait imaginé de naître sous les traits d’un nourrisson pour que nous quittions à tout jamais nos craintes spontanées à son égard ?

Comme Isaïe, l’Ange annonce la naissance d’un roi : « Aujourd'hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » Autrement dit, celui que tout le peuple attendait depuis des siècles, est enfin né. Car tout le monde avait en tête la prophétie de Nathan au roi David (2 S 7, voir au quatrième dimanche de l’Avent de l’Année A) : « Le SEIGNEUR t’annonce qu’il te fera lui-même une maison. Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai dans ta descendance un successeur, qui naîtra de toi, et je rendrai stable sa royauté. » (2 S 7,11-12).

D’où l’importance des précisions données par Luc sur les origines du père de l’enfant : « Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. » On savait aussi, à cause de la prophétie de Michée, que le Messie naîtrait à Bethléem : « Et toi, Bethléem Éphrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël… Il se dressera et il sera leur berger par la puissance du SEIGNEUR, par la majesté du nom du SEIGNEUR, son Dieu… et lui-même, il sera la paix ! » (Mi 5, 1... 4).

L’HÉRITIER DE TOUTES CHOSES NAÎT PARMI LES PAUVRES

C’est donc bien une « bonne nouvelle, une grande joie » qu’annoncent les Anges aux bergers, et l’on comprend que les armées célestes chantent la gloire de Dieu. Mais le plus surprenant, ici, est le contraste entre la grandeur du destin promis au Messie et la petitesse de cet enfant né dans les circonstances les plus modestes. Pour l’instant, « la force du bras de Dieu »* qui libère son peuple, dont parle le psaume 88/89, repose dans deux petites mains d’enfant dans une famille pauvre, parmi tant d’autres ! Et c’est bien cela le plus étrange, peut-être : il n’y a rien de remarquable dans la pauvreté tout-à-fait ordinaire de la crèche ; mais justement, le signe de Dieu est là : c’est dans la banalité quotidienne, voire la pauvreté, que nous le rencontrons. C’est justement cela le mystère de l’Incarnation.

Celui que la lettre aux Hébreux appelle « l’héritier de toutes choses » (He 1,2) naît parmi les pauvres ; celui que saint Jean appelle « la lumière du monde » est né dans la pénombre d’une étable ; et celui qui est la Parole de Dieu créant le monde a dû être mis au monde comme toute créature et devra, comme tout un chacun, apprendre à parler. Pas étonnant que « les siens ne l’aient pas reconnu » ! Pas étonnant non plus que ce soient les pauvres et les petits qui aient le plus volontiers accueilli son message. Le « Miséricordieux », celui qui est attiré par toute pauvreté a tant pitié de la nôtre qu’en nous invitant à nous pencher sur ce berceau, il nous indique le meilleur moyen de lui ressembler. Ainsi nous est donné le pouvoir de « devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12).
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Note

*Ps 88/89,11

Compléments

- « Premier-né » : en langage biblique, cela ne signifie pas qu’il y a eu d’autres enfants après, cela signifie qu’il n’y en a pas eu avant. C’est un terme juridique : le premier-né devait être consacré à Dieu.

- « Bethléem » signifie littéralement « maison du pain » ; le pain de vie est donné au monde.

- Les titres donnés à Jésus : l’empereur se faisait révérer comme Dieu et Sauveur ; en réalité, le seul qui puisse porter ces titres en vérité est le nouveau-né de Bethléem.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 24 12 2022, nuit de Noël A

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