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14 février 2012 2 14 /02 /février /2012 10:20

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus importants ou enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 43, 18... 25

18 Parole du SEIGNEUR : « Ne vous souvenez-plus d'autrefois,
ne songez plus au passé.
19 Voici que je fais un monde nouveau :
il germe déjà, ne le voyez-vous pas ?
Oui, je vais faire passer une route dans le désert,
des fleuves dans les lieux arides.
21 Ce peuple que j'ai formé pour moi
redira ma louange.
22 Toi, Jacob, tu ne m'avais pas appelé,
tu ne t'étais pas fatigué pour moi, Israël !
24c Par tes péchés tu m'as traité comme un esclave,
par tes fautes tu m'as fatigué.
25 Mais moi, oui, moi, je pardonne tes révoltes,
à cause de moi-même,
et je ne veux plus me souvenir de tes péchés. »

« Ne vous souvenez plus d'autrefois, ne songez plus au passé. » Tout ce passage, comme le contexte dont il est extrait, est tourné vers l'avenir. Depuis plusieurs chapitres, plus précisément depuis le chapitre 40, au fait, le livre d'Isaïe a franchi un tournant : pendant seize chapitres, (40 à 55) il n'est plus question que de consolation ; cela commence par les mots « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ». Ce qui prouve que le peuple est malheureux. Dans les trente-neuf premiers chapitres, le contexte était tout différent, Israël avait plutôt besoin d'être rappelé à l'ordre.

Quel est donc ce nouveau contexte historique, pendant lequel un prophète s'applique à consoler le peuple et à lui promettre un renouveau, en lui disant « Ne vous souvenez plus d'autrefois, ne songez plus au passé » ? Il s'agit de l'Exil à Babylone, bien sûr.

Il faut prendre la mesure de ce qu'a été l'Exil pour ce peuple qui avait tout perdu : on pouvait réellement se demander : où donc est Dieu ? Le peuple était décimé, loin de sa Terre, loin de la Ville Sainte (Jérusalem), loin du Temple : et il pouvait être tenté de se demander si Dieu ne l'avait pas abandonné ? Et, à vrai dire, on pensait qu'on ne l'aurait pas volé : le peuple d'Israël considérait son Exil comme un châtiment de ses fautes. Un autre passage de ces mêmes chapitres le dit clairement : (c'est Dieu qui parle) « Ah ! Si tu avais été attentif à mes ordres, ta paix serait comme un fleuve, et ta justice comme les flots de la mer ; ta descendance serait comme le sable, ses rejetons comme les gravillons : jamais son nom ne serait, de devant moi, ni retranché, ni extirpé. » (Is 48, 18-19).

Il est vrai que consoler quelqu'un n'empêche pas de lui ouvrir les yeux sur ses erreurs ; dans le texte d'aujourd'hui, celles d'Israël ne sont pas masquées : le prophète insiste sur les mots « péchés, fautes, révoltes ». le chapitre précédent expliquait très bien de quoi il s'agissait : (c'est le peuple, ici, qui parle, et fait son examen de conscience) « Envers lui, nous avons commis des fautes, lui dont on n'a pas voulu suivre les chemins et dont on n'a pas écouté la Loi. » (Is 42, 24).

Et le pire de tous ces manquements, celui contre lequel les prophètes de tous les temps n'ont pas fini de se battre, c'est l'idolâtrie : et c'est bien de cela qu'il est question ici : « Toi, Jacob, tu ne m'avais pas appelé, tu ne t'étais pas fatigué pour moi, Israël ! Par tes péchés tu m'as traité comme un esclave, par tes fautes tu m'as fatigué. »

Si le prophète rappelle à ce peuple ses manquements, ce n'est pas pour l'écraser de remords, c'est pour lui annoncer le pardon de Dieu : « Mais moi, oui, moi, je pardonne tes révoltes, à cause de moi-même, et je ne veux plus me souvenir de tes péchés. » La formule « à cause de moi-même » est notre plus belle garantie : ce n'est pas à cause de nous ou de qui que ce soit d'autre, c'est à cause de lui seul, tout gratuitement, que Dieu pardonne ! Le premier Isaïe, deux cents ans plus tôt, l'avait déjà proclamé très haut : « Si vos péchés sont comme l'écarlate, ils deviendront blancs comme la neige. S'ils sont rouges comme le vermillon, ils deviendront comme de la laine. » (Is 1, 18). Et, plus tard, le livre de Ben Sirac a cette phrase magnifique : « A l'heure où l'on te demandera des comptes, tu trouveras le pardon » (Si 18, 20)...

Si donc Dieu pardonne, c'est d'abord par fidélité à lui-même, car il ne peut pas se renier lui-même, comme dit Saint Paul (2 Tm 2, 13). C'est aussi par fidélité à son Alliance : pécheur ou pas, le peuple d'Israël reste son peuple élu ; nous l'avons lu ici : « Ce peuple que j'ai formé pour moi redira ma louange. » Un peu plus haut, le prophète a eu cette formule splendide : « Toi, Israël, mon serviteur, Jacob, toi que j'ai choisi, descendance d'Abraham, mon ami, toi que j'ai tenu depuis les extrémités de la terre, toi que, depuis ses limites j'ai appelé, toi à qui j'ai dit : Tu es mon serviteur, je t'ai choisi et non pas rejeté, ne crains pas, car je suis avec toi, n'aie pas ce regard anxieux, car je suis ton Dieu. » (Is 41, 8-10).

Mais le projet de Dieu déborde le peuple élu, on le sait bien, et le Deuxième Isaïe le redit souvent : par exemple « Tournez-vous vers moi et soyez sauvés, vous, tous les confins de la terre, car c'est moi qui suis Dieu, il n'y en a pas d'autre. » (45, 22). Et le salut accordé au peuple choisi sera pour les autres nations la plus belle preuve de la présence de Dieu ; ainsi Israël devient témoin de l'oeuvre de Dieu : « Tous les êtres de chair sauront que celui qui te sauve, c'est moi, le SEIGNEUR, que celui qui te rachète, c'est l'Indomptable de Jacob ! » (49, 26). « Mes témoins à moi, c'est vous - oracle du SEIGNEUR - mon serviteur, c'est vous que j'ai choisis afin que vous puissiez comprendre, avoir foi en moi et discerner que je suis bien tel : avant moi ne fut formé aucun dieu et après moi il n'en existera pas. C'est moi, c'est moi qui suis le SEIGNEUR, en dehors de moi, pas de Sauveur. C'est moi qui ai annoncé et donné le salut, moi qui l'ai laissé entendre, et non pas chez vous, un dieu étranger. Ainsi vous êtes mes témoins - oracle du SEIGNEUR - et moi je suis Dieu. » (43, 10-13).

La preuve que Dieu a pardonné, c'est qu'il prépare déjà le retour d'Exil : « Oui, je vais faire passer une route dans le désert, des fleuves dans les lieux arides. » Et ce sera tellement merveilleux, tellement inespéré que le prophète y voit comme une nouvelle création : « Voici que je fais un monde nouveau : il germe déjà, ne le voyez-vous pas ? »

Isaïe ne parlait que pour ses contemporains, c'est une affaire entendue. Mais, plus tard, on relira cette prophétie pour y puiser l'espérance du salut final. Et de siècle en siècle en Israël, l'impatience grandit, mais la certitude aussi. Car Dieu est fidèle, qui pourrait en douter ? Le jour venu, on en est sûrs, « il essuiera les larmes de tous les visages... » (Is 25, 8). Et un auteur plus tardif, que l'on appelle le troisième Isaïe répétera ces mêmes promesses d'avenir : « Voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle ; ainsi le passé ne sera plus rappelé, il ne remontera plus jusqu'au secret du coeur. » (Is 65, 17). Seul Dieu peut accomplir ce prodige d'effacer nos larmes, celles de la douleur, et celles pires encore de la culpabilité

 

PSAUME 40 (41), 2-4. 5-6. 11-13

2 Heureux qui pense au pauvre et au faible :
le SEIGNEUR le sauve au jour du malheur.
3 Il le protège et le garde en vie ;
4 il le soutient sur son lit de souffrance.

5 J'avais dit : « Pitié pour moi, SEIGNEUR,
guéris-moi, car j'ai péché contre toi ! »
6 Mes ennemis me condamnent déjà :
« Quand sera-t-il mort ? Son nom, effacé ? »

11 Mais toi, SEIGNEUR, prends pitié de moi ;
12 et je saurai que tu m'aimes.
13 Dans mon innocence tu m'as soutenu
et rétabli pour toujours devant ta face.

Voilà encore un ex-voto (nous avons déjà rencontré des psaumes qui sont de véritables ex-voto) : comme il en avait fait le voeu, un malade guéri vient rendre grâce au Temple de Jérusalem pour la santé retrouvée ; et tout lui revient en mémoire, la maladie elle-même pour commencer et tout le cortège qui l'accompagnait : les souffrances de toutes sortes, bien sûr, les amis, les vrais et les autres, ceux qui parlent dans votre dos, et surtout ce qui ne l'a jamais abandonné, même aux pires moments, la foi et la prière.

Reprenons ces différents points, et ensuite, nous essaierons d'identifier qui est ce malade. Je m'appuierai sur l'ensemble du psaume (et pas seulement sur les seuls versets d'aujourd'hui) car nous ne rencontrons ce psaume qu'une seule fois le dimanche.

Voici donc quelqu'un qui vient de réchapper d'une horrible maladie : comme il aurait aimé être entouré ! Je pense que c'est le sens du premier verset ; car le mot à mot en hébreu serait « Heureux celui qui entre dans le mystère du pauvre ». Celui qui est perspicace (comme dit André Chouraqui) devant les douleurs physiques et morales du malade.

Sur les souffrances physiques endurées, il est on ne peut plus discret : il évoque seulement le « lit de souffrance » et le « jour du malheur ». En revanche, il ne cache pas la souffrance morale : celle de la culpabilité d'abord ; rien de tel que la maladie pour se demander « qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu ? » et creuser son examen de conscience : « J'avais dit : Pitié pour moi, SEIGNEUR, guéris-moi, car j'ai péché contre toi ! »

Mais l'épreuve la plus terrible lui est venue de son entourage : elle occupe la moitié du psaume ; par exemple : « Mes ennemis me condamnent déjà (sous-entendu : ils disent) : Quand sera-t-il mort ? Son nom, effacé ? » Sûr, si c'était des amis, ils ne prédiraient pas si facilement une issue fatale ! Voici les autres versets dans le même sens : « Si quelqu'un vient me voir, ses propos sont vides ; il emplit son coeur de pensées méchantes, il sort, et dans la rue il parle. Unis contre moi, mes ennemis murmurent, à mon sujet, ils présagent le pire (voilà ce qu'ils se disent entre eux) : c'est un mal pernicieux qui le ronge ; le voilà couché, il ne pourra plus se lever... Mais toi, SEIGNEUR, prends pitié de moi ; relève-moi, je leur rendrai ce qu'ils méritent. Oui, je saurai que tu m'aimes si mes ennemis ne chantent pas victoire. »

Le psaume 30/31 que nous chantons chaque Vendredi-Saint exprime cette même humiliation : « Je suis injurié par tous mes adversaires, plus encore, par mes voisins ; je fais peur à mes intimes : s'ils me voient dehors, ils fuient. On m'oublie, tel un mort effacé des mémoires, je ne suis plus qu'un débris. Et j'entends les ragots de la foule : « il épouvante les alentours ! » Ils se sont mis d'accord contre moi, ils conspirent pour m'ôter la vie. » (30/31, 12-14).

Le pire dans tout cela, c'est l'amitié déçue, trahie ; on sait bien que toute passe difficile dans la vie est une occasion de compter ses vrais amis ; et on a parfois des surprises, des bonnes et des mauvaises. Ici, visiblement, un très cher ami, un proche a cruellement déçu notre malade : « Même l'ami, qui avait ma confiance et partageait mon pain, m'a frappé du talon. » Au passage, vous vous souvenez que Jésus a cité cette phrase du psaume 40/41 à propos de Judas le soir du Jeudi Saint : « Celui qui mangeait le pain avec moi, contre moi a levé le talon. » (Jn 13, 18).

Cette expérience doit être assez commune car on la retouve évoquée dans plusieurs psaumes, par exemple le psaume 54/55 : « Ce n'est pas un ennemi qui m'insulte, car je le supporterais. Ce n'est pas un adversaire qui triomphe de moi, je me déroberais à lui. Mais c'est toi, un homme de mon rang, mon familier, mon intime. Nous échangions de douces confidences, et nous marchions de concert dans la maison de Dieu. » (Ps 54/55, 13-14).

Dernière composante de ce psaume, la plus importante puisque le malade est guéri, c'est l'action de grâce : « Dans mon innocence tu m'as soutenu et rétabli pour toujours devant ta face. Béni soit le SEIGNEUR, Dieu d'Israël, depuis toujours et pour toujours ! Amen ! Amen ! »

Il nous reste à nous demander qui peut bien être ce malade ? Mais la réponse, nous la connaissons déjà : comme dans tous les psaumes, c'est le peuple d'Israël tout entier qui parle ; ce qu'il appelle sa maladie, son « jour de malheur », c'est l'Exil à Babylone. Ces cinquante années resteront à jamais marquées dans la mémoire d'Israël comme un « lit de souffrance » : alors tout le psaume s'explique.

En Exil à Babylone, le peuple craignait d'être à tout jamais rayé de la carte, ce qui ne pouvait que plaire à ses ennemis de toujours : « Mes ennemis me condamnent déjà : (ils se disent entre eux) Quand sera-t-il mort ? son nom, effacé ? » Et, visiblement, ils s'en réjouissent : « C'est un mal pernicieux qui le ronge ; le voilà couché, il ne pourra plus se lever. » Les ennemis sont évidemment faciles à identifier, ce sont les peuples voisins, les gens de Damas ou de Moab ou d'Ammon avec lesquels on a été bien souvent en guerre.

Mais qui est l'ami qui a trahi ? « Même l'ami qui avait ma confiance et partageait mon pain, m'a frappé du talon. » Il s'agit du peuple, voisin et frère, Edom, descendant d'Esaü : au moment de la chute de Jérusalem, en 587, sous les coups de Nabuchodonosor, les Edomites ne sont pas venus au secours du peuple d'Israël ; au contraire, ils se sont joints aux pillards. Depuis ce jour, Edom est devenu l'ennemi-type, le faux-frère, le traître.

Quant aux allusions au péché, elles s'expliquent d'autant mieux, si ce psaume au lieu d'être la prière d'un individu, est celle du peuple tout entier : car l'Exil à Babylone est considéré comme la juste conséquence de tous les manquements du peuple à l'Alliance. On aurait même pu en venir à ne plus oser se tourner vers Dieu après lui avoir tant désobéi. Heureusement, dans sa foi, le peuple élu sait que le Dieu de miséricorde ne lui refusera pas le pardon, mieux même se penchera d'autant plus volontiers sur lui à cause précisément de sa misère. « J'avais dit : Pitié pour moi, SEIGNEUR, guéris-moi, car j'ai péché contre toi ! »

DEUXIEME LECTURE - Deuxième Lettre de Paul aux Corinthiens 1, 18 - 22

Frères,
18 J'en prends à témoin le Dieu fidèle :
Le langage que nous parlons
n'est pas à la fois « oui » et « non ».
19 Le Fils de Dieu, le Christ Jésus,
que nous avons annoncé parmi vous,
Sylvain, Timothée et moi,
n'a pas été à la fois « oui » et « non » ;
il n'a jamais été que « oui ».
20 Et toutes les promesses de Dieu
ont trouvé leur « oui » dans sa personne.
Aussi est-ce par le Christ
que nous disons « Amen »,
notre « oui » pour la gloire de Dieu.
21 Celui qui nous rend solides pour le Christ,
dans nos relations avec vous,
celui qui nous a consacrés,
c'est Dieu ;
22 il a mis sa marque sur nous,
et il nous a fait une première avance sur ses dons :
l'Esprit qui habite nos coeurs.

Dans certains de ses passages, la deuxième lettre aux Corinthiens est visiblement la lettre d'un homme blessé. A preuve, cette phrase du chapitre 2 : « Pour moi, j'ai décidé ceci : je ne retournerai pas chez vous dans la tristesse. » On ne connaît pas très exactement les motifs de la tristesse de Paul ; mais, au fil des pages, on peut en deviner au moins quatre : premièrement, on lui reproche d'être inconstant sous prétexte qu'il a dû à plusieurs reprises modifier ses projets de voyage ; deuxièmement, son autorité d'apôtre est contestée ; troisièmement, un membre de la communauté de Corinthe l'a humilié publiquement ; quatrièmement (mais peut-être est-ce la même chose), on est allé jusqu'à lui reprocher ses extases en le prétendant carrément fou.

Dans de nombreux passages de cette lettre, il cherche donc à se justifier et en particulier dans le texte d'aujourd'hui. Ici, il répond aux deux premiers motifs de conflits, évoqués plus haut : quelque chose comme : « Tu changes d'avis tout le temps, on ne peut jamais compter sur toi ; tu avais promis de venir, et on t'attend toujours. C'est bien la preuve que tu n'es pas un vrai apôtre envoyé par Dieu, tu n'as pas la vocation. Si on ne peut pas croire en tes promesses, on ne peut pas non plus croire en tes paroles. »

Reprenons ces deux thèmes : tout d'abord le reproche d'inconstance : à travers les lignes qui précèdent notre lecture d'aujourd'hui, on devine que Paul qui était à Ephèse avait prévu de faire un voyage à Corinthe ; de là il serait parti pour la Macédoine puis revenu à Corinthe. Mais, finalement, il a dû modifier ses projets et s'est rendu directement en Macédoine sans passer par Corinthe. Il demande aux Corinthiens de ne pas lui faire de procès d'intention. S'il a différé une visite pourtant promise, ce n'est pas par légèreté, ou par susceptibilité personnelle, c'est dans le souci de ne pas aggraver les dissensions en tombant au mauvais moment.

Dans les versets qui précèdent, il affirme qu'il a, comme on dit, sa conscience pour lui : « Notre sujet de fierté, c'est ce témoignage de notre conscience : nous nous sommes conduits dans le monde, et plus particulièrement envers vous, avec la simplicité et la pureté de Dieu, non avec une sagesse humaine, mais par la grâce de Dieu. » (2 Co 1, 12).

Et voici les phrases qui encadrent (et explicitent) les lignes d'aujourd'hui : « Aurais-je fait preuve de légèreté ? Mes projets ne sont-ils que des projets humains en sorte qu'il y ait en moi à la fois le « oui » et le « non » ?... Je prends Dieu à témoin sur ma vie : c'est pour vous ménager que je ne suis pas revenu à Corinthe. » On comprend mieux du coup les répétitions d'aujourd'hui sur le « oui et le « non » : « J'en prends à témoin le Dieu fidèle : le langage que nous parlons n'est pas à la fois « oui » et « non ».

Ce thème du « oui » et du « non » se trouve dans d'autres textes du Nouveau Testament, ce qui prouve que les querelles ne se rencontraient pas seulement à Corinthe : commençons par la phrase de Jésus lui-même, rapportée par l'évangile de Matthieu : « Quand vous parlez dites Oui ou Non : tout le reste vient du Malin. » (Mt 5, 37). Et Saint Jacques insistait : « Mes frères, ne jurez pas, ni par le ciel, ni par la terre, ni d'aucune autre manière. Que votre oui soit oui et votre non, non. » (Jc 5, 12).

Bien plus grave était le deuxième reproche adressé à Paul, la contestation de sa vocation d'apôtre : et c'est donc là-dessus, logiquement, qu'il s'étend le plus longuement. Il a commencé sa lettre en revendiquant le titre d'apôtre : « Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu ». Dans la lettre aux Galates, il y insiste encore davantage, il précise : « Paul, apôtre, non de la part des hommes, ni par un homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père qui l'a ressuscité d'entre les morts » (Ga 1, 1).

Non seulement, il lui fallait justifier de son titre d'apôtre, lui qui n'avait pas fait partie des premiers disciples de Jésus, mais il lui fallait également se démarquer des faux prédicateurs qui, semble-t-il ne manquaient pas. Là aussi, il se défend avec force : « Nous avons dit non aux procédés secrets et honteux, nous nous conduisons sans fourberie, et nous ne falsifions pas la Parole de Dieu, bien au contraire, c'est en manifestant la vérité que nous cherchons à gagner la confiance de tous les hommes en présence de Dieu. » (2 Co 4, 2).

« Nous ne sommes pas en effet comme tant d'autres qui trafiquent la Parole de Dieu ; c'est avec sincérité, c'est de la part de Dieu, à la face de Dieu, dans le Christ, que nous parlons. » (2 Co 2, 17). On sent bien ici une pointe polémique contre des prétendus missionnaires. Dans le texte d'aujourd'hui, on devine également sa fierté sincère d'avoir été choisi et soutenu par Dieu : « Celui qui nous rend solides pour le Christ, dans nos relations avec vous, celui qui nous a consacrés, c'est Dieu ; il a mis sa marque sur nous, et il nous a fait une première avance sur ses dons : l'Esprit qui habite nos coeurs. »

Au passage, vous avez remarqué la façon dont Paul parle de l'Esprit Saint. Il y a là une nouveauté radicale par rapport à l'Ancien Testament puisque la formule de Paul est éminemment trinitaire ; il cite nommément Dieu, le Christ et l'Esprit dans la même phrase, ce qui aurait été impensable avant Jésus-Christ : « Celui qui nous rend solides pour le Christ, dans nos relations avec vous, celui qui nous a consacrés, c'est Dieu ; il a mis sa marque sur nous, et il nous a fait une première avance sur ses dons : l'Esprit qui habite nos coeurs. » Paul terminera cette deuxième lettre aux Corinthiens de façon encore plus percutante et Trinitaire : « La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu, et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous. » (2 Co 13, 13).

EVANGILE - Marc 2, 1 - 12

1 Jésus était de retour à Capharnaüm,
et la nouvelle se répandit qu'il était à la maison.
2 Tant de monde s'y rassembla
qu'il n'y avait plus de place, même devant la porte.
Jésus leur annonçait la Parole.
3 Arrivent des gens
qui lui amènent un paralysé,
porté par quatre hommes.
4 Comme ils ne peuvent l'approcher à cause de la foule,
ils découvrent le toit au-dessus de Jésus,
font une ouverture,
et descendent le brancard sur lequel était couché le paralysé.
5 Voyant leur foi,
Jésus dit au paralysé :
« Mon fils, tes péchés sont pardonnés. »
6 Or, il y avait dans l'assistance quelques scribes
qui raisonnaient en eux-mêmes :
7 « Pourquoi cet homme parle-t-il ainsi ?
Il blasphème.
Qui donc peut pardonner les péchés,
sinon Dieu seul ? »
8 Saisissant aussitôt dans son esprit
les raisonnements qu'ils faisaient,
Jésus leur dit :
« Pourquoi tenir de tels raisonnements ?
9 Qu'est-ce qui est le plus facile ?
De dire au paralysé : Tes péchés sont pardonnés,
ou bien de dire :
Lève-toi, prends ton brancard et marche ?
10 Eh bien ! Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme
a le pouvoir de pardonner les péchés sur la terre,
11 Je te l'ordonne,
(dit-il au paralysé),
lève-toi,
prends ton brancard et rentre chez toi. »
12 L'homme se leva, prit aussitôt son brancard,
et sortit devant tout le monde.
Tous étaient stupéfaits
et rendaient gloire à Dieu, en disant :
« Nous n'avons jamais rien vu de pareil. »
Les lectures de ce dimanche sont étonnamment liées : dans la deuxième lettre aux Corinthiens, Paul affirmait à propos du Christ « toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur « oui » en sa personne » (2 Co 1, 20). Ces promesses dont parle Paul, ce sont celles de l'Ancien Testament, en particulier celles d'Isaïe qui résumaient bien l'attente d'Israël (et que nous avons lues en première lecture) : « Ne vous souvenez plus d'autrefois, ne songez plus au passé. Voici que je fais un monde nouveau : il germe déjà, ne le voyez-vous pas ? » (Is 43). Un monde nouveau bâti sur le pardon inconditionnel de Dieu : « Moi, oui, moi je pardonne tes révoltes, à cause de moi-même (traduisez « à cause de personne d'autre, c'est mon être même que de pardonner gratuitement »), et je ne veux plus me souvenir de tes péchés. » (Is 43).

Ce monde nouveau promis par Isaïe est arrivé puisque Jésus guérit les malades et pardonne les péchés ; et Jésus s'inscrit bien dans cette ligne : « Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de pardonner les péchés sur la terre, je te l'ordonne, dit Jésus au paralysé, lève-toi, prends ton brancard et rentre chez toi. » (Mc 2, 10-11).

Et ceux qui ont la chance d'assister à cette naissance du monde nouveau (dans le récit de Marc) ne savent que dire : « Nous n'avons jamais rien vu de pareil. » (Mc 2, 12).

Mais que s'est-il passé pour que ce monde nouveau advienne ? Il a fallu d'abord que Dieu, dans sa souveraine liberté, envoie son Fils ; il a fallu ensuite qu'il trouve des coeurs prêts à l'accueillir ; c'est le cas de Pierre qui a entendu son appel, déjà, et lui ouvre sa maison de Capharnaüm ; il a fallu ensuite la foi, qui va jusqu'à l'audace, du paralysé et de ses porteurs : dans la détresse qui est la leur a pu s'ouvrir la brèche de la foi. Une foi qui n'est pas faite de raisonnements et de discours, mais d'une attente passionnée du salut que Jésus peut leur apporter. Marc peut aller jusqu'à dire que « Jésus a vu leur foi. »

Car l'appel au secours est la meilleure attitude devant Dieu. Matthieu rapporte cette phrase de Jésus : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. » (Mt 11, 25). Les scribes, eux, qui ne sont pas en difficulté, en restent à leurs raisonnements ; on ne peut pas leur donner tort trop vite, car ils ont toutes les bonnes raisons de penser ce qu'ils pensent : « Pourquoi cet homme parle-t-il ainsi ? Il blasphème. Qui donc peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul ? » Mais voilà, trop de raisonnement peut nuire à la foi : ils risquent de rester enfermés dans leurs certitudes. Jésus a déjà été confronté aux scribes, peu de temps auparavant, à Capharnaüm également, mais cette fois dans la synagogue, puisque Marc notait : « Il enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes. » (1, 22).

Dans la maison de Pierre, pour l'instant, l'épisode se termine bien : « Tous rendaient gloire à Dieu. » (Tous, donc y compris les scribes, peut-être ?). Mais Jésus vient de mettre en place lui-même les éléments de son procès : la prétention à pardonner les péchés (c'est se prendre pour Dieu), et la revendication du titre de Fils de l'homme, qui évoquait le Messie. C'est sur ce même motif, il ne faut pas l'oublier, qu'il sera inculpé de blasphème et condamné à mort quelques années plus tard : « Le Grand Prêtre l'interrogeait : il lui dit « Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? » Jésus dit : « Je le suis, et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite du Tout-Puissant et venant avec les nuées du ciel. » Le Grand Prêtre déchira ses habits et dit : « Qu'avons-nous encore besoin de témoins ! Vous avez entendu le blasphème. » (14, 61-64).

Pourtant, à Capharnaüm, et c'est probablement l'une des choses que Marc veut faire remarquer à ses lecteurs, les scribes auraient pu trouver une occasion d'ouvrir leurs yeux et leurs coeurs ; car Dieu, lui, n'a pas désavoué les prétentions de Jésus : la guérison corporelle du paralytique vient prouver le pouvoir qu'il tient de son Père ; c'est bien le pouvoir universel promis au Fils de l'homme dans le texte du prophète Daniel (Dn 7, 14).

Il nous restera à découvrir que cette mission du Fils de l'homme est partagée par les apôtres d'abord, par tous ses frères baptisés ensuite : comme le dit Paul dans la deuxième lecture « Celui qui nous a consacrés, c'est Dieu ; il a mis sa marque sur nous, et il nous a fait une première avance sur ses dons : l'Esprit qui habite nos coeurs. » (2 Co 1, 21-22). Désormais, devenus des « demeures » de l'Esprit, nous sommes envoyés pour annoncer au monde les paroles d'Isaïe, puis de Jésus-Christ qui disent le pardon de Dieu.

  L'intelligence des écritures

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