Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut (avec laquelle je fais actuellement un voyage biblique en Terre Sainte, du 25 mars au 4 avril) sur les textes que nous propose la liturgie du jour.
Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en
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donnant des explications historiques ;
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donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "écouter", "se laisser instruire", "diable", "obéir", "gloire" ; je consacre une page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
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décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.
Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus importants ou enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)
Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.
PREMIERE LECTURE - Isaïe 50, 4-7
Dieu mon SEIGNEUR m'a donné le langage d'un hommequi se laisse instruire,
pour que je sache à mon tour
réconforter celui qui n'en peut plus.
La Parole me réveille chaque matin,
chaque matin elle me réveille
pour que j'écoute comme celui qui se laisse instruire.
5 Le SEIGNEUR Dieu m'a ouvert l'oreille
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
6 J'ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe.
Je n'ai pas protégé mon visage des outrages et des crachats.
7 Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours :
c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
c'est pourquoi j'ai rendu mon visage dur comme pierre :
je sais que je ne serai pas confondu.
Je commence par le message du prophète Isaïe à ses contemporains : une chose est sûre, Isaïe ne pensait évidemment pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av.J.C., pendant l'Exil à Babylone. Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu'il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu'il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l'humanité. Car le peuple d'Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.
Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c'est l'écoute de la Parole de Dieu, « l'oreille ouverte » comme dit Isaïe ; « Ecouter » la Parole, « se laisser instruire » par elle, cela veut dire vivre dans la confiance. « Dieu, mon SEIGNEUR m'a donné le langage d'un homme qui se laisse instruire »... « La Parole me réveille chaque matin »... « J'écoute comme celui qui se laisse instruire »... « Le SEIGNEUR Dieu m'a ouvert l'oreille ».
« Ecouter », c'est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; on a pris l'habitude d'opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l'égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu'on sait d'expérience que sa volonté n'est que bonne... ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu... et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu'il nous a abandonnés ou pire qu'il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.
Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Ecoute, Israël » ou bien « Aujourd'hui écouterez-vous la Parole de Dieu...? » Et, dans leur bouche, la recommandation « Ecoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu'il arrive » ; et Saint Paul dira pourquoi : parce que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l'aiment (c'est-à-dire qui lui font confiance). » (Rm 8, 28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.
C'est bien l'histoire d'une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c'est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu'il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n'en peut plus ». En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Dieu, mon SEIGNEUR m'a donné le langage d'un homme qui se laisse instruire »... Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR Dieu m'a ouvert l'oreille », ce qui veut dire que l'écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C'est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu.
Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé... » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c'est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d'être maltraités.
Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c'est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l'appel à leur tour... d'autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter : « La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille... Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages... » Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J'ai rendu mon visage dur comme pierre »[1] : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit quelquefois « avoir le visage défait », et bien ici le Serviteur affirme « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m'écrasera, je tiendrai bon quoi qu'il arrive » ; ce n'est pas de l'orgueil ou de la prétention, c'est la confiance pure : parce qu'il sait bien d'où lui vient sa force : « Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages. »
Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Ecoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.
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Note
[1] - Luc a repris exactement cette expression en parlant de Jésus : il dit « Jésus durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem » (Luc 9, 51 ; mais nos traductions disent « Jésus prit résolument la route de Jérusalem »)
PSAUME 21 (22), 2, 8-9, 17-20, 22b-24
2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?8 Tous ceux qui me voient me bafouent,
ils ricanent et hochent la tête :
9 « Il comptait sur le SEIGNEUR : qu'il le délivre !
Qu'il le sauve, puisqu'il est son ami ! »
17 Oui, des chiens me cernent,
une bande de vauriens m'entoure ;
ils me percent les mains et les pieds,
18 je peux compter tous mes os.
19 Ils partagent entre eux mes habits
et tirent au sort mon vêtement.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne sois pas loin :
ô ma force, viens vite à mon aide !
22 Mais tu m'as répondu !
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
24 Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR.
Ensuite, à première vue, on croirait vraiment que le psaume 21/22 a été écrit pour Jésus-Christ : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os ». Il s'agit bien du supplice d'un crucifié ; et cela sous les yeux cruels et peut-être même voyeurs des bourreaux et de la foule : « Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m'entoure »... « Ces gens me voient, ils me regardent. Ils partagent entre eux mes habits, et tirent au sort mon vêtement ».
Mais, en réalité, ce psaume n'a pas été écrit pour Jésus-Christ : il a été composé au retour de l'Exil à Babylone : ce retour est comparé à la résurrection d'un condamné à mort ; car l'Exil était bien la condamnation à mort de ce peuple ; encore un peu, et il aurait été rayé de la carte !
Et donc, dans ce psaume 21/22, Israël est comparé à un condamné qui a bien failli mourir sur la croix (n'oublions pas que la croix était un supplice très courant, c'est pour cela qu'on prend l'exemple d'une crucifixion) : le condamné a subi les outrages, l'humiliation, les clous, l'abandon aux mains des bourreaux... et puis, miraculeusement, il en a réchappé, il n'est pas mort. Traduisez : Israël est rentré d'Exil. Et, désormais, il se laisse aller à sa joie et il la dit à tous, il la crie encore plus fort qu'il n'a crié sa détresse. Le récit de la crucifixion n'est donc pas au centre du psaume, il est là pour mettre en valeur l'action de grâce de celui (Israël) qui vient d'échapper à l'horreur .
Du sein de sa détresse, Israël n'a jamais cessé d'appeler au secours et il n'a pas douté un seul instant que Dieu l'écoutait. Son grand cri que nous connaissons bien : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » est bien un cri de détresse devant le silence de Dieu, mais ce n'est ni un cri de désespoir, ni encore moins un cri de doute. Bien au contraire ! C'est la prière de quelqu'un qui souffre, qui ose crier sa souffrance. Au passage, nous voilà éclairés sur notre propre prière quand nous sommes dans la souffrance quelle qu'elle soit : nous avons le droit de crier, la Bible nous y invite.
Ce psaume est donc en fait le chant du retour de l'Exil : Israël rend grâce. Il se souvient de la douleur passée, de l'angoisse, du silence apparent de Dieu ; il se sentait abandonné aux mains de ses ennemis ... Mais il continuait à prier, la prière à elle toute seule prouve bien qu'on n'a pas complètement perdu espoir, sinon on ne prierait même plus ! Israël continuait à se rappeler l'Alliance, et tous les bienfaits de Dieu.
Au fond, ce psaume est l'équivalent de nos ex-voto : au milieu d'un grand danger, on a prié et on a fait un voeu ; du genre « si j'en réchappe, j'offrirai un ex-voto à tel ou tel saint » ; (le mot « ex-voto » veut dire justement « à la suite d'un voeu ») ; une fois délivré, on tient sa promesse. Dans certaines églises du Midi de la France, par exemple, les murs sont couverts de tableaux qui représentent les circonstances du danger auquel on a échappé ; ce peut être un incendie, un accident, un naufrage... on voit aussi parfois une jeune femme en train de mourir en couches avec déjà toute une ribambelle d'enfants autour de son lit ; la représentation de ce qui a failli arriver est toujours dramatique ; et on voit les parents et les proches éplorés qui assistent impuissants ; ce sont eux qui ont promis de faire exécuter ce tableau si celui qui était en danger en réchappait. En général, le tableau est divisé en trois parties ; le danger encouru... les proches en prière, et, en haut de la toile, dans un coin du ciel, le saint ou la sainte qui nous a secourus, ou bien la Vierge. Et c'est l'ex-voto tout entier lui-même qui est l'action de grâce dont on a le coeur plein quand enfin tout se termine bien.
Notre psaume 21/22 ressemble exactement à cela : il décrit bien l'horreur de l'Exil, la détresse du peuple d'Israël et de Jérusalem assiégée par Nabuchodonosor, le sentiment d'impuissance devant l'épreuve ; et ici l'épreuve, c'est la haine des hommes ; il dit la prière de supplication : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » qu'on peut traduire « Pourquoi, en vue de quoi, m'as-tu abandonné à la haine de mes ennemis ? » Et Dieu sait si le peuple d'Israël a affronté de nombreuses fois la haine des hommes. Mais ce psaume dit encore plus, tout comme nos ex-voto, l'action de grâce de celui qui reconnaît devoir à Dieu seul son salut. « Tu m'as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères... Je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR ! » Et les derniers versets du psaume ne sont qu'un cri de reconnaissance ; malheureusement, nous ne les chanterons pas pendant la messe de ce dimanche des Rameaux ... (peut-être parce que nous sommes censés les connaître par coeur ?) : « Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ; ils loueront le SEIGNEUR, ceux qui le cherchent. A vous toujours, la vie et la joie ! La terre se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR, chaque famille de nations se prosternera devant lui... Moi, je vis pour lui, ma descendance le servira. On annoncera le Seigneur aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son oeuvre ! »
DEUXIEME LECTURE - Philippiens 2, 6-11
6 Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu,n'a pas jugé bon de revendiquer
son droit d'être traité à l'égal de Dieu.
7 Mais au contraire, il se dépouilla lui-même
en prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
8 Reconnu comme un homme à son comportement,
il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant
jusqu'à mourir et à mourir sur une croix.
9 C'est pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout.
Il lui a conféré le Nom
qui surpasse tous les noms
10 afin qu'au nom de Jésus,
aux cieux, sur terre et dans l'abîme,
tout être vivant tombe à genoux.
11 Et que toute langue proclame :
« Jésus-Christ est le Seigneur »
pour la gloire de Dieu le Père.
Deux remarques pour commencer : d'abord une fois de plus, on est frappés de l'insistance du Nouveau Testament sur le thème du Serviteur : « il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur ». Il est clair que les premiers Chrétiens affrontés au scandale de la croix ont beaucoup médité les chants du Serviteur du livre d'Isaïe. Seuls ces textes fournissaient des pistes de méditation pour rendre compte du mystère de la personne du Christ.
Deuxième remarque : « Lui qui était dans la condition de Dieu, n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu. » On est tentés de lire « bien qu'il soit de condition divine... » ; en réalité, c'est le contraire. Il faut lire : « Parce qu'il était dans la condition de Dieu, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu. »
Plus grave, il me semble que l'un des pièges de ce texte est la tentation que nous avons de le lire en termes de récompense ; comme si le schéma était : Jésus s'est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Si j'ose parler de tentation, c'est que toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, ce que j'appelle des termes arithmétiques est contraire à la « grâce » de Dieu... La grâce, comme son nom l'indique, est gratuite ! Et, curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; nous sommes toujours tentés de parler de mérites ; mais si Dieu attendait que nous ayons des mérites, c'est là que nous pourrions être inquiets... La merveille de l'amour de Dieu c'est qu'il n'attend pas nos mérites pour nous combler ; c'est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont découvert grâce à la Révélation.
Donc, je crois que, pour être fidèle à ce texte, il faut le lire en termes de gratuité. On s'expose à des contresens si on oublie que tout est don gratuit de Dieu, « tout est grâce » comme disait Bernanos.
Pour Paul, c'est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Une conviction qui est sous-jacente à toutes ses lettres, tellement évidente qu'il ne la reprécise pas. Essayons de résumer la pensée de Paul : le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c'est de nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait. Ce projet est absolument gratuit, ce qui évidemment n'a rien d'étonnant, puisque c'est un projet d'amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l'accueillir avec émerveillement, tout simplement ; pas question de le mériter, c'est « cadeau » si j'ose dire. Avec Dieu, tout est cadeau. Mais nous nous excluons nous-mêmes de ce don gratuit si nous adoptons une attitude de revendication ; si nous nous conduisons à l'image de la femme du jardin d'Eden : elle prend le fruit défendu, elle s'en empare, comme un enfant « chipe » sur un étalage... Jésus-Christ, au contraire, n'a été que accueil (ce que Saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu'il n'a été que accueil du don de Dieu et non revendication, il a été comblé.
« Lui qui était de condition divine n'a pas jugé bon de revendiquer » : c'est justement parce qu'il est de condition divine, qu'il ne revendique rien. Il sait, lui, ce qu'est que l'amour gratuit... il sait bien que ce n'est pas bon de revendiquer, il ne juge pas bon de « revendiquer » le droit d'être traité à l'égal de Dieu... Et pourtant c'est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau. Et c'est effectivement cela qui lui a été donné en définitive.
C'est bien la même question dans l'épisode des Tentations (que nous avons lu pour le premier dimanche de Carême) : le diviseur (c'est le sens du mot diable/diabolos en grec) ne lui propose que des choses qui font partie du plan de Dieu ! Mais lui refuse de s'en emparer. Il compte sur son Père pour les lui donner. Le Tentateur lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, tu peux tout te permettre, ton Père ne peut rien te refuser : transforme les pierres en pains quand tu as faim... jette-toi en bas de la montagne, il te protègera... adore-moi, je te ferai régner sur le monde entier... » Mais Jésus attend tout de Dieu seul.
Il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : c'est bien le Nom de Dieu justement ! Dire de Jésus qu'il est Seigneur, c'est dire qu'il est Dieu : dans l'Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d'ailleurs : « afin qu'au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »... C'est une allusion à une phrase du prophète Isaïe: « Devant moi tout genou fléchira et toute langue prêtera serment, dit Dieu » (Is 45, 23).
Jésus a vécu sa vie d'homme dans l'humilité et la confiance, même quand le pire est arrivé, c'est-à-dire la haine des hommes et la mort. J'ai dit « confiance » ; Paul, lui, parle « d'obéissance ». « Obéir », « ob-audire » en latin, c'est littéralement « mettre son oreille (audire) « devant » (ob) la parole : c'est l'attitude du dialogue parfait, sans ombre ; c'est la totale confiance ; si on met son oreille devant la parole, c'est parce qu'on sait que cette parole n'est qu'amour, on peut l'écouter sans crainte.
L'hymne se termine par « toute langue proclame Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père » : la gloire, c'est la manifestation, la révélation de l'amour infini, de l'amour personnifié ; autrement dit, en voyant le Christ porter l'amour à son paroxysme, et accepter de mourir pour nous révéler jusqu'où va l'amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »... puisque Dieu, c'est l'amour.
Evangile : Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ selon Saint Marc : Mc 15, 1-39
15, 1 : Dès le matin, les chefs des prêtres convoquèrent les anciens et les scribes, et tout le grand conseil. Puis ils enchaînèrent Jésus et l'emmenèrent pour le livrer à Pilate.2 Celui-ci l'interrogea :
« Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus répond : « C'est toi qui le dis. »
3 Les chefs des prêtres multiplièrent contre lui les accusations.
4 Pilate lui demandait à nouveau : «Tu ne réponds rien?
Vois toutes les accusations qu'ils portent contre toi. »
5 Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate s'en étonnait.
6 A chaque fête de Pâque, il relâchait un prisonnier, celui que la foule demandait.
7 Or, il y avait en prison un dénommé Barabbas,
arrêté avec des émeutiers pour avoir tué un homme lors de l'émeute.
La foule monta donc, et se mit à demander à Pilate la grâce qu'il accordait d'habitude.
9 Pilate leur répondit : "Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs?»
10 (Il se rendait bien compte
que c'était par jalousie que les chefs des prêtres l'avaient livré.)
11 Ces derniers excitèrent la foule à demander plutôt la grâce de Barabbas.
12 Et comme Pilate reprenait :
« Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs? »
13 ils crièrent de nouveau : «Crucifie-le!»
14 Pilate leur disait :
«Qu'a-t-il donc fait de mal?» Mais ils crièrent encore plus fort :
"Crucifie-le!»
15 Pilate, voulant contenter la foule, relâcha Barabbas.
Et après avoir fait flageller Jésus, il le livra pour qu'il soit crucifié. |
16 Les soldats l'emmenèrent à I'intérieur du Prétoire,
c'est-à-dire dans le palais du gouverneur.
Ils appellent toute la garde,
17 ils lui mettent un manteau rouge, et lui posent sur la tête une couronne d'épines qu'ils ont tressée.
18 Puis ils se mirent à lui faire des révérences :
« Salut, roi des Juifs. »
19 Ils lui frappaient la tête avec un roseau, crachaient sur lui,
et s'agenouillaient pour lui rendre hommage.
20 Quand ils se furent bien moqués de lui,
ils lui ôtêrent le manteau rouge, et lui remirent ses vêtements.
Puis ils l'emmenèrent pour le crucifier,
21 et ils réquisitionnent, pour porter la croix,
un passant, Simon de Cyrène, le père d'Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs.
22 Et ils amènent Jésus à l'endroit appelé Golgotha, c'est-à-dire Lieu du Crâne ou Calvaire.
23 Ils lui offraient du vin aromatisé de myrrhe ; mais il n'en prit pas.
24 Alors ils le crucifient, puis se partagent ses vêtements, en tirant au sort pour savoir la part de chacun.
25 Il était neuf heures lorsqu'on le crucifia.
26 L'inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots :
«Le roi des Juifs».
27 Avec lui on crucifie deux bandits, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche.
29 Les passants l'injuriaient en hochant la tête :
« Hé! toi qui détruis le Temple et le rebâtis en trois jours,
30 sauve-toi toi-même, descends de la croix! »
31 De même, les chefs des prêtres se moquaient de lui avec les scribes, en disant entre eux :
« Il en a sauvé d'autres, et il ne peut pas se sauver lui-même!
32 Que le Messie, le roi d'Israël, descende maintenant de la croix ;
alors nous verrons et nous croirons. »
Même ceux qui étaient crucifiés avec lui l'insultaient.
33 Quand arriva l'heure de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusque vers trois heures.
34 Et à trois heures, Jésus cria d'une voix forte :
«Eloï, Eloï, lama sabactani ?» ce qui veut dire :
«Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?»
35 Quelques-uns de ceux qui étaient là disaient en l'entendant :
« Voilà qu'il appelle le prophète Elie! »
36 L'un d'eux courut tremper une éponge dans une boisson vinaigrée, il la mit au bout d'un roseau, et il lui donnait à boire, en disant :
«Attendez! Nous verrons bien si Elie vient le descendre de là! »
37 Mais Jésus, poussant un grand cri, expira.
38 Le rideau du Temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu'en bas.
39 Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s'écria :
«Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu!»
Tout d'abord, on notera deux particularités de la Passion chez Marc : la solitude de Jésus et son silence.
La solitude de Jésus : dans la Passion selon Saint Marc, Jésus est particulièrement seul ; après le reniement de Pierre, plus aucune présence amicale à ses côtés ; les femmes sont citées, mais
seulement après sa mort.
Quant à son silence, il est impressionnant : quelques mots au procès, ensuite, note Marc, « Jésus ne répondit plus rien ». Et Pilate lui-même s'en étonne : « Pilate l'interrogeait de nouveau : Tu
ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu'ils portent contre toi. Mais Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate était étonné. » (Mc 15, 4-5). Puis, sur la croix une seule parole :
« Eloï, Eloï, lama sabactani ? » Interprétés par un soldat romain, ces mots sonnent comme un cri de désespoir ; mais un Juif ne s'y serait pas trompé : ce sont les premiers d'un chant de victoire
; puisque, nous l'avons vu en étudiant le psaume 21/22, celui-ci n'est aucunement un cri de désespoir, ni même de doute !
Devant cette solitude et ce silence de Jésus, on se demande forcément « quel est son secret ? ». Cet homme passe en peu de temps de la popularité à la déchéance, de l'entrée royale dans la ville
à l'exclusion et l'exécution hors de la ville, de la reconnaissance comme envoyé de Dieu (« Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ») à la condamnation pour blasphème et à l'exécution au
nom de la Loi ce qui signifiait aux yeux de tous qu'il était maudit de Dieu. Reconnu comme le Messie, c'est-à-dire le roi d'Israël, le libérateur, le sauveur par ses
disciples et toute une foule
enthousiaste, il est liquidé rapidement après un procès monté de toutes pièces.
Il s'est laissé faire dans le triomphe, il se laisse faire plus encore dans la persécution. Ce faisant, il garde encore le secret qu'il a gardé toute sa vie ; c'est seulement après sa Résurrection que ses disciples pourront enfin comprendre.
Il semble bien que cette sobriété du récit de Marc vise à faire ressortir deux aspects du mystère de Jésus : Messie-Roi et Messie-Prêtre
Messie-Roi : que ce soit sous forme de
question, de dérision, d'affirmation, la royauté du Christ est bien au centre du récit. La première question que Pilate pose à cet homme qu'on lui amène, ligoté, c'est « Es-tu le roi des Juifs ?
» Il n'obtient qu'une réponse sybilline « C'est toi qui le dis » (15, 2). Dans la suite, Pilate donne deux fois ce titre à Jésus « Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? » (v. 9) et «
Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs ? » (v. 12). Et, curieusement, personne ne dira le contraire ! Suit la parodie des soldats, le manteau, la couronne et les
acclamations « Salut, roi des Juifs ! » (15, 18). Et puis, cet écriteau en haut de la croix, mal intentionné peut-être, mais qui annonce quand même à tous les passants « celui-ci est le roi des
Juifs » (15, 26). Les grands prêtres et
les scribes se moquent : « Il en a sauvé d'autres, et il n'est pas capable de se sauver lui-même ! Le Messie, le roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix. » (15,
32).
Deuxième aspect du mystère de Jésus
mis en lumière par le récit de Marc, il est le Messie-Prêtre : Marc attribue aux chefs des prêtres et à eux seuls, le premier rôle dans la condamnation et la
mort de Jésus ; ils tiennent visiblement une grande place dans la tragédie qui est en train de se nouer. Ce sont eux qui amènent Jésus chez Pilate et qui veillent au bon déroulement des
opérations : « Dès le matin, les chefs des prêtres tinrent conseil avec les Anciens, les scribes et le
Sanhédrin tout entier. Ils lièrent Jésus, l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate. » Pilate l'interrogea... et, continue Marc, les chefs des prêtres portaient contre lui beaucoup d'accusations. » (15, 1-3).
Un peu plus tard, ce sont eux qui excitent la foule pour qu'elle réclame la libération de Barabbas : « Les chefs des prêtres soulevèrent la foule pour qu'il leur libérât plutôt
Barabbas. » (Mc 15, 11). Pilate lui-même n'est pas dupe, puisque Marc précise : « Pilate voyait bien que les chefs des prêtres l'avaient livré par jalousie. » (Mc 15, 10). Une jalousie
justifiée, si l'on veut bien admettre que, de bonne foi, ils se sont inquiétés du succès de Jésus, qui, à leurs yeux, entraînait le peuple vers de fausses espérances.
Je note au passage que Marc est le seul avec Jean à parler de pourpre pour le vêtement remis à Jésus pour se moquer de lui. Or la pourpre était la couleur des vêtements des rois et des grands
prêtres. Suprême dérision : ceux qui
portaient cette pourpre passeront à côté de la vérité. C'est d'un païen que vient la première profession de foi : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! »