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26 juin 2010 6 26 /06 /juin /2010 22:48

 marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - 1 Rois 19, 16b. 19 -21

Le Seigneur avait dit au prophète Elie :
16 « Tu consacreras Elisée, fils de Shafate,
comme prophète pour te succéder. »

19
Elie s'en alla.
Il trouva Elisée, fils de Shafate, en train de labourer.
Il avait à labourer douze arpents,
et il en était au douzième.
Elie passa près de lui et jeta vers lui son manteau.
20 Alors Elisée quitta ses boeufs, courut derrière Elie,
et lui dit :
« Laisse-moi embrasser mon père et ma mère,
puis je te suivrai. »
Elie répondit :
« Va-t'en, retourne là-bas !
Je n'ai rien fait. »
21 Alors Elisée s'en retourna ;
mais il prit la paire de boeufs pour les immoler,
les fit cuire avec le bois de l'attelage,
et les donna à manger aux gens.
Puis il se leva, partit à la suite d'Elie
et se mit à son service.


Elie et Elisée sont deux très grands prophètes de l'Ancien Testament : leur prédication nous est rapportée par les deux livres des Rois ; quelques mots d'abord sur ces livres des Rois pour nous replonger dans le contexte : ils font partie de ce qu'on appelle les « livres historiques » et cette classification risque de nous tromper un peu ; en apparence, effectivement, ce sont des livres d'histoire : sur cinq siècles, du 10ème au 6ème siècles avant J.C., ils décrivent deux histoires parallèles, deux dynasties, celle du Nord et celle du Sud, puisque, dès la mort de Salomon, en 933, le territoire a été divisé en deux royaumes distincts ; le royaume du Nord garde le nom d'Israël, le royaume du Sud s'appellera Juda.

Mais, en réalité, les livres des Rois ne sont pas des manuels d'histoire comme on en écrirait aujourd'hui, avec un souci de rigueur et d'objectivité : visiblement, les auteurs ont sélectionné leurs matériaux avec des intentions bien précises pour que nous retenions la leçon, ce que nous appelons la « morale de l'histoire ». Leur but est toujours d'ordre théologique ; la grande leçon sous-jacente à tout cet ensemble est simple : seule, la fidélité à l'Alliance proposée par Dieu peut assurer le bonheur du peuple élu. Et, si ces livres y insistent tant, c'est que ce rappel n'est pas superflu ; il faut s'habituer à lire la Bible entre les lignes ! Précisément, sur toute la période de la royauté dans les deux royaumes d'Israël et de Juda, les auteurs n'ont que trop d'occasions de rapporter les infidélités du peuple mal guidé par ses rois, l'idolâtrie permanente, (ce que les prophètes appelleront l'adultère du peuple), mais aussi les malheurs incessants : guerres, rivalités, injustices criantes. Et ceci explique cela : respecter les commandements de Dieu, c'est semer la paix et la justice. A l'inverse, oublier Dieu, c'est oublier sa Loi, rechercher le pouvoir et l'argent, mentir, voler, tuer... Et inexorablement, semer l'injustice et la haine, donc la violence... Et, malheureusement, pendant toute cette période, l'exemple vient de haut.

Les deux prophètes Elie et Elisée, qui se succèdent au neuvième siècle, se font donc les champions de la fidélité au Dieu unique et ils consacrent leur vie et toutes leurs énergies (et Dieu sait qu'ils n'en manquent pas !) à ramener le peuple au seul vrai Dieu. Ce dimanche, nous lisons le récit de la vocation d'Elisée : « Le Seigneur avait dit au prophète Elie : Tu consacreras Elisée, fils de Shafate, comme prophète pour te succéder ». L'intention du texte est claire : il s'agit d'affirmer que c'est Dieu lui-même qui a choisi Elisée, et Elie ne fait que lui transmettre l'appel de Dieu. Il s'agit de bien montrer que, par choix de Dieu, Elisée est le digne successeur d'Elie, son fils spirituel.

Elisée était en train de labourer : première remarque, c'est au sein de sa vie quotidienne que l'appel retentit. Jusqu'ici, il était agriculteur ; quand on fait la liste des personnages bibliques, on constate qu'ils sont recrutés dans des milieux et des métiers très divers. Et que l'appel de Dieu retentit quand on ne s'y attend pas, au milieu des occupations quotidiennes. Moïse, David et Amos gardaient leurs moutons, Gédéon battait le blé, Samuel dormait en pleine nuit, Saül rentrait des champs derrière ses boeufs ; même chose pour les appelés du Nouveau Testament : Matthieu était à sa table de douane, et les premiers disciples étaient à la pêche. Le texte continue : « Il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième » : toujours, dans la Bible, ce chiffre douze est signe de plénitude, d'accomplissement parfait ; Elisée en est au douzième arpent : il a donc fini sa tâche ; son ancienne mission, son ancienne vie est terminée ; une nouvelle vie commence. « Elie passa près de lui et lui jeta son manteau » : il faut croire que ce geste était très parlant puisqu'Elisée a tout de suite compris ce qu'Elie voulait dire ; en jetant son manteau sur les épaules d'Elisée, Elie l'invitait à participer à sa mission. Alors Elisée quitte ses boeufs et court derrière Elie pour lui dire : « laisse-moi seulement le temps de faire mes adieux chez moi et je te suivrai ». Il a donc très bien compris l'appel mais il prend le temps d'accomplir ce qu'il considère comme son devoir : embrasser son père et sa mère, manger une dernière fois avec eux.

Elie répond : « Va-t'en, retourne là-bas ! Je n'ai rien fait ». Cette phrase d'Elie nous surprend peut-être et certains y voient un geste d'humeur. En fait Elie n'a pas repris son manteau. On sait bien que les dons de Dieu sont sans repentance. Elie rappelle seulement à Elisée qu'il est libre ; en même temps il veut lui faire comprendre que cette vocation, s'il l'accepte, implique un choix radical, une rupture : il lui faut se tourner résolument vers l'avenir, tout quitter.

Là encore, le texte est étonnant de sobriété : quelques mots seulement, des gestes qui parlent, et visiblement les deux interlocuteurs se sont parfaitement compris ! C'est en toute liberté qu'Elisée retourne faire ses adieux ; et son geste est très significatif : il tue les deux boeufs de son attelage, brûle l'attelage lui-même pour faire cuire les boeufs et fait un repas d'adieu pour toute la maison. Geste définitif : désormais, plus rien ne le retient, il ne possède plus rien, il est totalement libre pour se mettre au service d'Elie pour la mission que Dieu voudra. C'est bien une rupture définitive, radicale avec son ancienne vie. La mission à laquelle il est appelé exige cette radicalité ; mais sans violence pour sa famille et ses proches ; il prend le temps de leur dire adieu.

Plus tard, quand Elie sera enlevé au ciel, Elisée ramassera son manteau. Il sera alors « habillé » en quelque sorte de la mission d'Elie : Saint Paul a repris exactement cette symbolique du vêtement pour parler du Baptême et nous faire comprendre que nous participons à notre tour à la mission du Christ : « Vous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ ».

 

PSAUME 15 (16)

1 Garde-moi, mon Dieu, j'ai fait de toi mon refuge.
2 J'ai dit au Seigneur : « Tu es mon Dieu !
5 Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

7 Je bénis le Seigneur qui me conseille :
même la nuit, mon coeur m'avertit.
8 Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite, je suis inébranlable.

9 Mon coeur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
10 tu ne peux m'abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

2 Je n'ai pas d'autre bonheur que toi.
11 Tu m'apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
A ta droite, éternité de délices


Exactement comme dimanche dernier, voici encore un psaume qui met en scène un lévite ; la preuve en est cette expression « Seigneur, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort » qui est une allusion au statut très particulier des lévites : au moment du partage de la Palestine entre les tribus des descendants de Jacob, (partage fait par tirage au sort), les membres de la tribu de Lévi n'avaient pas reçu leur part de territoire : leur part c'était la Maison de Dieu, le service de Dieu... Leur vie tout entière était consacrée au culte et ils n'avaient donc aucune source de revenus ; leur subsistance était assurée par les dîmes (on pourrait dire le « denier du culte » de l'époque) et par une partie des récoltes et des viandes offertes en sacrifice.

Et d'ailleurs, un autre verset de ce psaume que nous ne lisons pas ce dimanche fait également allusion au statut un peu spécial des lévites : « La part qui me revient fait mes délices ; j'ai même le plus bel héritage » ; c'est l'origine du fameux « negro spiritual » : « Tu es, Seigneur, le lot de mon coeur, Tu es mon héritage, En Toi, Seigneur, j'ai mis mon bonheur, Toi, mon seul partage » qui n'est autre que ce psaume 15.

Autres allusions aux lévites, les phrases « Même la nuit mon coeur m'avertit », ou encore « Je garde le Seigneur devant moi sans relâche » car ils gardaient le Temple de Jérusalem jour et nuit, à tour de rôle.

On voit bien comment ce statut spécial, privilégié, des lévites pouvait être lu comme une image du statut particulier, privilégié du peuple élu, choisi par Dieu pour son service au milieu des nations. Mais si on le redit avec tant d'insistance, c'est parce que ce n'est pas si simple ! Etre conscient du privilège de l'élection d'Israël est une chose : en vivre au jour le jour toutes les exigences en est une autre. Le peuple choisi par Dieu a dû faire des choix et résister à de multiples tentations pour rester fidèle à l'Alliance. Si Elie et Elisée se sont tant battus, c'est bien parce que la fidélité au Dieu d'Israël n'allait pas de soi. Rappelez-vous la guerre implacable d'Elie contre le culte des Baals.

Peut-être, pour comprendre la gravité du problème, faut-il nous remettre dans la mentalité de l'époque : pour nous, aujourd'hui, c'est une évidence que Dieu est Unique ; mais que ce soit au temps de Moïse, ou même au temps d'Elie et Elisée, il n'est pas encore question d'un Dieu Unique : le peuple d'Israël a un seul Dieu, mais il pense que les autres peuples ont les leurs qui les protègent tout aussi bien et même mieux parfois, en apparence tout au moins. D'où la tentation d'essayer de plaire à toutes les divinités possibles.

D'autre part, sur le plan politique, on pratique des alliances avec les rois voisins ; ces alliances prennent la forme de mariages, bien souvent, avec des princesses étrangères ; dans leur corbeille de noces, elles apportent leurs statues, leurs pratiques et dans leur suite, il peut y avoir des prêtres et des prophètes des Baals ; c'est l'histoire d'Achab, roi d'Israël, épousant Jézabel, fille du roi de Sidon.

Dans une première étape de la révélation, les prophètes ne partent pas en guerre contre les dieux des pays voisins, mais ils mènent une lutte acharnée pour qu'Israël reste fidèle à son Dieu à lui. Plus tard, on découvrira que le Dieu d'Israël est aussi celui des autres peuples : c'est le sens du livre de Jonas, par exemple ; mais au début, c'était inconcevable.

On s'imaginait au début que chaque peuple a son ou ses dieux qui le protègent. Israël, lui, a un Dieu, un seul, c'est déjà un pas formidable de la Révélation : il suffit de se rappeler tous les dieux de l'Egypte, par exemple. Ce Dieu d'Israël est très exigeant : il promet à son peuple liberté et bonheur, mais en contrepartie, il donne une loi qui interdit tout autre culte, toute image de divinité, toute statue. Ce psaume 15 traduit ce combat parfois terrible de la fidélité à la vraie foi qui a été le lot d'Israël depuis le début. Il résonne comme une résolution : « J'ai dit au Seigneur : Tu es mon Dieu ! Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort... Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite, je suis inébranlable. » Sous-entendu : nous n'irons pas chercher du secours ailleurs. Nos prières n'iront qu'à lui : « Garde-moi, mon Dieu, j'ai fait de toi mon refuge. »

En contrepartie, on se rappelle les promesses de Dieu, ses bénédictions ; car on sait bien que les exigences de Dieu sont celles de l'amour. Si Dieu a donné cette loi contraignante, c'est parce qu'elle est le chemin du bonheur et de la vraie liberté. Cela, on ne l'a jamais oublié : « Je bénis le Seigneur qui me conseille... Je n'ai pas d'autre bonheur que toi. Tu m'apprends le chemin de la vie ». Cette dernière phrase va très loin : « Tu m'apprends le chemin de la vie », cela veut dire que le peuple élu est assuré de survivre à toutes les vicissitudes de son histoire, parce que Dieu le lui a promis, tout simplement. C'est le sens des derniers versets : « Tu ne peux m'abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption... Devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! »

C'est le peuple qui parle comme toujours dans les psaumes. Il n'est pas question, ici, de résurrection individuelle : quand ce psaume a été composé, elle était absolument inconcevable. On sait que la foi en la résurrection est née très tardivement en Israël, seulement vers 165 av.J.C. Le premier sens de ces versets concerne donc l'ensemble du peuple que Dieu ne laissera jamais s'éteindre. Bien sûr, aujourd'hui, après des siècles encore de Révélation et surtout depuis la résurrection de Jésus-Christ, nous pouvons redire ces derniers versets dans le sens d'une affirmation pleine d'allégresse et d'espérance pour chacun de nous : « Tu ne peux m'abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption... Devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! »

DEUXIEME LECTURE - Galates 5, 1. 13 - 18

Frères,
1 si le Christ nous a libérés,
c'est pour que nous soyons vraiment libres.

Alors tenez bon,
et ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage.

13 Vous avez été appelés à la liberté.
Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte
pour satisfaire votre égoïsme
;
au contraire,
mettez-vous, par amour, au service les uns des autres.
14 Car toute la Loi atteint sa perfection
dans un seul commandement,
et le voici :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
15 Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres,
prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres.
16 Je vous le dis :
vivez sous la conduite de l'Esprit de Dieu ;
alors vous n'obéirez pas aux tendances égoïstes de la chair.
17 Car les tendances de la chair s'opposent à l'esprit,
et les tendances de l'esprit s'opposent à la chair.
En effet, il y a là un affrontement
qui vous empêche de faire ce que vous voudriez.
18 Mais en vous laissant conduire par l'Esprit,
vous n'êtes plus sujets de la Loi.



Saint Paul est Juif, et donc habité par l'idéal de liberté qui est celui de toute la Bible ; la grande expérience de l'Exode, méditée depuis des siècles par le peuple juif, est celle de la libération d'Egypte. Dieu a libéré son peuple de l'esclavage en Egypte pour lui faire découvrir la grandeur de la liberté et du service librement consenti. Et toute la période de l'Exode dans le désert est interprétée comme un temps d'apprentissage nécessaire pour passer de l'esclavage en Egypte, sous la botte des Pharaons, à la libre décision de servir le Dieu de l'Alliance. Et puis, après des siècles de méditation, on a compris que la meilleure manière de servir Dieu, c'est de servir les hommes, et donc que l'homme accompli dans sa plénitude serait celui qui se met librement au service de ses frères. C'est le sens des textes qu'on appelle les chants du Serviteur chez Isaïe.

Mais, dans cette lettre aux Chrétiens de Galatie, Paul écrit à une communauté du monde grec dans lequel l'esclavage existe encore : c'est-à-dire que le serviteur est réellement un objet pour son maître, il est sa propriété, il lui appartient comme aujourd'hui notre poste de radio, notre voiture, notre maison ou n'importe quelle machine nous appartient ; si la radio vous ennuie, vous n'avez qu'à couper ou changer de poste ! Au temps de Paul, si mon esclave ne me convient plus, j'en dispose comme je veux, je le vends à quelqu'un d'autre... Saint Paul s'appuie donc sur cette expérience de l'esclavage qui est très parlante pour son temps et tout le texte que nous venons de lire est bâti sur l'opposition entre : être libre ou être esclave. Pour lui, le Christ est l'exemple même de l'homme libre et le chrétien, à la suite du Christ, est un homme libre, ou plus exactement un homme libéré par le Christ, « affranchi » par le Christ.

Saint Paul sait bien que ce n'est pas si simple puisqu'il parle de notre liberté tantôt comme d'une réalité, tantôt comme d'un idéal, une vocation, un appel : « le Christ nous a libérés... (donc c'est fait, c'est acquis)... POUR que nous soyons vraiment libres... » (ce n'est donc pas complètement réalisé)... ou bien encore « vous avez été appelés à la liberté... » Et il ajoute « ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage ».

Si nous avions un papier et un crayon, nous pourrions, comme souvent chez Paul, écrire son texte en deux colonnes : d'un côté, la colonne de la liberté, de l'autre côté, la colonne de l'esclavage ; du côté « esclavage », on écrirait « satisfaire votre égoïsme »... Du côté « liberté », il y a « mettez-vous par amour au service les uns des autres »...

On est un peu surpris quand même que l'égoïsme soit du côté de l'esclavage et que le service des autres soit du côté de la liberté ...! Parfois, nous sommes tentés de penser l'inverse ; quand quelqu'un nous demande un service, il nous arrive de nous dire qu'il nous prend pour son esclave... et, à l'inverse, nous avons bien l'impression d'être enfin libres quand nous pouvons ne penser qu'à nous ! Mais si j'en crois Paul, la vraie liberté n'est pas ce qu'on croit ! Car le service, pour Paul, héritier de l'Ancien Testament, est un choix d'homme libre, un choix résolu comme le choix du Serviteur d'Isaïe, comme celui du Christ. Une fois de plus, on trouve chez Paul des résonances avec Jean : « ma vie, on ne me la prend pas, c'est moi qui la donne » ; on entend ici aussi en écho l'insistance de Jésus dans les évangiles synoptiques, par exemple chez Marc : « Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir... (Mc 10, 45).


Paul n'hésite pas à utiliser des images fortes pour fustiger l'égoïsme : « Si vous vous mordez les uns les autres et vous dévorez les uns les autres , vous allez vous détruire vous-mêmes ». Pourquoi ? Parce que nous sommes faits pour aimer et que nous ne nous construisons nous-mêmes que dans l'amour. Paul nous représente nos vies concrètes comme un lieu d'affrontement permanent entre deux manières de vivre ; il nous dit : « Tenez bon, ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage ». Ce « Tenez bon ! » est valable pour toute notre vie : il n'y a pas parmi nous ceux qui, une fois pour toutes, sont passés du côté de la liberté et ceux qui se conduisent encore comme des esclaves ; chacun de nous doit sans cesse refaire ce passage ; un passage qui n'est jamais acquis une fois pour toutes ; avant que l'esprit de service soit devenu pour nous comme une seconde nature, il faut bien de longues années d'apprentissage ! Comprenons bien les expressions de Paul : la vie égoïste, c'est ce que Paul appelle « vivre selon la chair » (selon notre pente naturelle, si vous préférez) et la vie de service, c'est ce qu'il appelle « vivre selon l'esprit » (sous-entendu l'Esprit de Dieu, l'Esprit d'amour).


Reste la dernière phrase : « en vous laissant conduire par l'Esprit, vous n'êtes plus sujets de la Loi » ; le mot « sujet » ici veut dire « esclave » : les Juifs de Galatie sont tentés de faire des observances de la Loi une véritable sujétion, un esclavage ; alors qu'en fait la Loi est au service de l'amour ; et Paul le dit bien « La Loi atteint sa perfection dans un seul commandement qui est : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». « En vous laissant conduire par l'Esprit, vous n'êtes plus sujets de la Loi » : cela veut dire que désormais l'Esprit d'amour habite nos coeurs ; la Loi a fini sa tâche : elle a rempli son rôle de pédagogue de l'amour. Là où règne l'amour, il n'est plus besoin de Loi : quand l'élève a parfaitement assimilé la leçon, il n'a plus besoin du professeur.


***

Complément : Les quatre évangélistes, tout au long de la Passion, s'ingénient à nous montrer que le Christ condamné, maltraité, enchaîné est pleinement libre alors que ses bourreaux sont le jouet de leur aveuglement, donc finalement esclaves, d'une certaine manière.

EVANGILE Luc 9, 51-62

51 Comme le temps approchait
où Jésus allait être enlevé de ce monde,
il prit avec courage la route de Jérusalem.
52 Il envoya des messagers devant lui ;
ceux-ci se mirent en route
et entrèrent dans un village de Samaritains
pour préparer sa venue.
53 Mais on refusa de le recevoir,
parce qu'il se dirigeait vers Jérusalem.
54 Devant ce refus,
les disciples Jacques et Jean intervinrent :
« Seigneur, veux-tu que nous ordonnions
que le feu tombe du ciel pour les détruire ? »
55 Mais Jésus se retourna et les interpella vivement.
56 Et ils partirent pour un autre village.
57 En cours de route, un homme dit à Jésus :
« Je te suivrai partout où tu iras. »
58 Jésus lui déclara :
« Les renards ont des terriers,
les oiseaux du ciel ont des nids ;
mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête. »
59 Il dit à un autre :
« Suis-moi. »
L'homme répondit :
« Permets-moi d'aller d'abord enterrer mon père." »
60 Mais Jésus répliqua :
« Laisse les morts enterrer leurs morts.
Toi, va annoncer le règne de Dieu. »
61 Un autre encore lui dit :
« Je te suivrai, Seigneur ;
mais laisse-moi d'abord faire mes adieux
aux gens de ma maison. »
62 Jésus lui répondit :
« Celui qui met la main à la charrue
et regarde en arrière
n'est pas fait pour le Royaume de Dieu. »


« Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il prit avec courage la route de Jérusalem » ; notre traduction dit « il prit avec courage », en fait, littéralement, il faudrait traduire : « il durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem » ; cette expression « il durcit sa face » est un rappel du troisième chant du Serviteur (Is 50, 7) : face à la persécution, le Serviteur dont parle Isaïe dit « Je ne me suis pas dérobé... j'ai rendu mon visage dur comme pierre, je sais que je ne serai pas confondu ». « Dur comme pierre » veut dire la détermination parce qu'il sait que Dieu ne l'abandonnera pas. « Dieu ne peut m'abandonner à la mort, dit le psaume 15 (psaume de ce dimanche), ni laisser son ami voir la corruption ». A un moment ou à un autre, Jésus a eu à prendre la décision de ne pas se dérober, comme dit Isaïe. On peut lire ce récit de Luc comme la présentation du véritable serviteur de Dieu.

Son attitude en Samarie, par exemple, est révélatrice : un village refuse de les accueillir pour la simple raison qu'ils ont annoncé leur intention de se rendre à Jérusalem ; (on connaît l'hostilité qui règne depuis des siècles entre les Samaritains et les habitants de Jérusalem). Et les disciples, alors, ont le réflexe de vouloir infliger un châtiment sévère à ce village : ils se souviennent du prophète Elie appelant le feu du ciel sur d'autres hérétiques, les prophètes de Baal. Ils ont devant eux plus grand qu'Elie ; et donc le feu du ciel leur paraît tout indiqué. Mais justement, parce qu'il est plus grand qu'Elie, parce qu'il est l'amour même, Jésus ne peut envisager des solutions de violence et de pouvoir. Voilà ce qu'est le serviteur de Dieu.

Suivent les trois rencontres qui nous valent trois phrases particulièrement exigeantes de Jésus : exigeantes pour lui d'abord ; ces trois phrases dévoilent le combat qu'il mène lui-même. Première rencontre : « Un homme lui dit : je te suivrai partout où tu iras. Il lui répond : Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer la tête ». Là on est devant une énorme contradiction : le Fils de l'homme, c'est dans le livre de Daniel un personnage glorieux qui vient sur les nuées du ciel et à qui Dieu donne la royauté universelle ; Jésus s'attribue ce titre qui dit déjà sa victoire ; et en même temps il mène cette vie itinérante, pauvre, voire rejetée comme dans ce village de Samarie ; aujourd'hui on le traiterait de « Sans domicile fixe » ! On retrouve ici un écho des Tentations au désert : l'Ecriture annonce déjà sa victoire mais sa vie terrestre se déroule sous le signe de la pauvreté et de l'humilité.

Deuxième rencontre : celle qui nous vaut l'une des phrases les plus surprenantes ! Il dit à quelqu'un « Suis-moi » et l'homme répond « Permets-moi d'abord d'aller enterrer mon père ». Et Jésus reprend : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le Royaume de Dieu ». Pour lui, habituellement respectueux de la loi juive, cette phrase est scandaleuse ; le respect des parents et en particulier l'ensevelissement est très important dans la loi juive. Peut-être Jésus trahit-il ici les choix terribles qu'il a dû faire pour son propre compte ; annoncer le royaume de vie a exigé de lui une détermination sans faille. Or, sur les trois hommes dont on nous parle, celui-ci est le seul qui ne se propose pas lui-même : c'est Jésus qui l'appelle. S'il l'appelle, c'est par amour et il l'appelle à aimer ; tout amour exige des renoncements terribles ; Jésus le sait d'expérience. En même temps, sa phrase est libératrice, en quelque sorte, elle nous déculpabilise : lorsque deux devoirs nous paraissent contradictoires, le critère de choix devra être l'accomplissement de la mission. Lorsque celle-ci l'exige, il ne faut pas se sentir coupables de devoir manquer à d'autres obligations.

Enfin, troisième rencontre : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d'abord faire mes adieux aux gens de ma maison. » Cette dernière phrase nous fait penser à l'histoire d'Elisée : lui aussi voulait bien suivre le prophète Elie, mais auparavant, il voulait faire ses adieux à sa famille. Elie l'avait laissé faire, mais il lui avait fait comprendre qu'ensuite il lui faudrait savoir rompre les amarres, s'engager sans retour. Le cas ici est un peu semblable : un auditeur bien intentionné, voudrait bien suivre Jésus, mais il demande un délai. Et Jésus lui dit cette phrase un peu terrible « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas fait pour le Royaume de Dieu »... On trouve dans la littérature antique des maximes de ce genre : par exemple, l'auteur romain Pline dit que pour tracer correctement un sillon, il ne faut pas se détourner. Jésus radicalise ce proverbe ; là encore il nous fait une confidence, il avoue les renoncements sans retour que sa mission a exigés à tout instant : n'oublions pas que ceci se passe au moment où il vient de prendre résolument la route de Jérusalem, c'est-à-dire de la Passion et de la Croix : du confort de la maison familiale de Nazareth à la montée à Jérusalem, Jésus a vécu dans sa chair de multiples arrachements.

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