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24 juillet 2010 6 24 /07 /juillet /2010 16:08

 marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - Genèse 18, 20-32

Les trois visiteurs d'Abraham allaient partir pour Sodome.
20 Le Seigneur dit :
« Comme elle est grande,
la clameur qui monte de Sodome et de Gomorrhe !
Et leur faute, comme elle est lourde !
21 Je veux descendre pour voir
si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu'à moi.
Si c'est faux, je le reconnaîtrai. »
22 Les deux hommes se dirigèrent vers Sodome,
tandis qu'Abraham demeurait devant le Seigneur.
23 Il s'avança et dit :
« Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le pécheur ?
24 Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville.
Vas-tu vraiment les faire périr ?
Est-ce que tu ne pardonneras pas
à cause des cinquante justes qui sont dans la ville ?
25 Quelle horreur, si tu faisais une chose pareille !
Faire mourir le juste avec le pécheur,
traiter le juste de la même manière que le pécheur,
quelle horreur !
Celui qui juge toute la terre
va-t-il rendre une sentence contraire à la justice ? »
26 Le Seigneur répondit :
« Si je trouve cinquante justes dans Sodome,
à cause d'eux je pardonnerai à toute la ville. »
27 Abraham reprit :
« Oserai-je parler encore à mon Seigneur,
moi qui suis poussière et cendre ?
28 Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq :
pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? »
Il répondit :
« Non, je ne la détruirai pas,
si j'en trouve quarante-cinq. »
29 Abraham insista :
« Peut-être en trouvera-t-on seulement quarante ? »
Le Seigneur répondit :
« Pour quarante,
je ne le ferai pas. »
30 Abraham dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère,
si j'ose parler encore :
peut-être y en aura-t-il seulement trente ? »
Il répondit :
« Si j'en trouve trente,
je ne le ferai pas. »
31 Abraham dit alors :
« Oserai-je parler encore à mon Seigneur ?
Peut-être en trouvera-t-on seulement vingt ? »
Il répondit : « Pour vingt, je ne détruirai pas. »
32 Il dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère :
je ne parlerai plus qu'une fois.
Peut-être en trouvera-t-on seulement dix ? »
Et le Seigneur répondit : « Pour dix, je ne détruirai pas la ville de Sodome. »


Ce texte marque un grand pas en avant dans l'idée que les hommes se font de leur relation à Dieu : c'est la première fois que l'on ose imaginer qu'un homme puisse intervenir dans les projets de Dieu. Malheureusement, la lecture liturgique ne nous fait pas entendre les versets précédents, là où l'on voit Dieu, parlant tout seul, se dire à lui-même : « Maintenant que j'ai fait alliance avec Abraham, il est mon ami, je ne vais pas lui cacher mes projets. » Manière de nous dire que Dieu prend très au sérieux cette alliance ! Voici ce passage : « Les hommes se levèrent de là et portèrent leur regard sur Sodome ; Abraham marchait avec eux pour prendre congé. Le Seigneur dit : Vais-je cacher à Abraham ce que je fais ? Abraham doit devenir une nation grande et puissante en qui seront bénies toutes les nations de la terre, car j'ai voulu le connaître... » Et c'est là que commence ce que l'on pourrait appeler « le plus beau marchandage de l'histoire ». Abraham armé de tout son courage intercédant auprès de ses visiteurs pour tenter de sauver Sodome et Gomorrhe d'un châtiment pourtant bien mérité : « Seigneur, si tu trouvais seulement cinquante justes dans cette ville, tu ne la détruirais pas quand même ? Sinon, que dirait-on de toi ? Ce n'est pas moi qui vais t'apprendre la justice ! Et si tu n'en trouvais que quarante-cinq, que quarante, que trente, que vingt, que dix ?... »

Quelle audace ! Et pourtant, apparemment, Dieu accepte que l'homme se pose en interlocuteur : pas un instant, le Seigneur ne semble s'impatienter ; au contraire, il répond à chaque fois ce qu'Abraham attendait de lui. Peut-être même apprécie-t-il qu'Abraham ait une si haute idée de sa justice ; au passage, d'ailleurs, on peut noter que ce texte a été rédigé à une époque où l'on a le sens de la responsabilité individuelle : puisque Abraham serait scandalisé que des justes soient punis en même temps que les pécheurs et à cause d'eux ; nous sommes loin de l'époque où une famille entière était supprimée à cause de la faute d'un seul. Or, la grande découverte de la responsabilité individuelle date du prophète Ezéchiel et de l'Exil à Babylone, donc au sixième siècle. On peut en déduire une hypothèse concernant la composition du chapitre que nous lisons ici : comme pour la lecture de dimanche dernier, nous sommes certainement en présence d'un texte rédigé assez tardivement, à partir de récits beaucoup plus anciens peut-être, mais dont la mise en forme orale ou écrite n'était pas définitive.

Dieu aime plus encore probablement que l'homme se pose en intercesseur pour ses frères ; nous l'avons déjà vu un autre dimanche à propos de Moïse (Ex 32) : après l'apostasie du peuple au pied du Sinaï, se fabriquant un « veau d'or » pour l'adorer, aussitôt après avoir juré de ne plus jamais suivre des idoles, Moïse était intervenu pour supplier Dieu de pardonner ; et, bien sûr, Dieu qui n'attendait que cela, si l'on ose dire, s'était empressé de pardonner. Moïse intervenait pour le peuple dont il était responsable ; Abraham, lui, intercède pour des païens, ce qui est logique, après tout, puisqu'il est désormais porteur d'une bénédiction au profit de « toutes les familles de la terre ». Belle leçon sur la prière, là encore ; et il est intéressant qu'elle nous soit proposée le jour où l'évangile de Luc nous rapporte l'enseignement de Jésus sur la prière, à commencer par le Notre Père, la prière « plurielle » par excellence : puisque nous ne disons pas « Mon Père », mais « Notre Père ».. Nous sommes invités, visiblement, à élargir notre prière à la dimension de l'humanité tout entière.

« Peut-être en trouvera-t-on seulement dix ? » (Ce fut la dernière tentative d'Abraham.) « Et le Seigneur répondit : Pour dix, je ne détruirai pas la ville de Sodome. » Ce texte est un grand pas en avant, disais-je, une étape importante dans la découverte de Dieu, mais ce n'est qu'une étape, car il se situe encore dans une logique de comptabilité : sur le thème combien faudra-t-il de justes pour gagner le pardon des pécheurs ? Il restera à franchir le dernier pas théologique : découvrir qu'avec Dieu, il n'est jamais question d'un quelconque paiement ! Sa justice n'a rien à voir avec une balance dont les deux plateaux doivent être rigoureusement équilibrés ! C'est très exactement ce que Saint Paul essaiera de nous faire comprendre dans le passage de la lettre aux Colossiens que nous lisons ce dimanche.

PSAUME 137 ( 138 )

1 De tout mon coeur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
2 vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
3 Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

4 Tous les rois de la terre te rendent grâce
quand ils entendent les paroles de ta bouche.
5 Ils chantent les chemins du Seigneur :
« Qu'elle est grande, la gloire du Seigneur ! »

6
Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble ;
de loin, il reconnaît l'orgueilleux.
7 Si je marche au milieu des angoisses, tu me fais vivre,
ta main s'abat sur mes ennemis en colère.

Ta droite me rend vainqueur.
8 Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n'arrête pas l'oeuvre de tes mains.


Je me suis permis de lire ce psaume en entier parce qu'il est très court : mais il est très dense aussi. Il est tout entier un chant d'action de grâce pour l'Alliance que Dieu propose à l'humanité : l'Alliance qu'il a conclue avec son peuple Israël, d'abord, mais aussi l'Alliance dans laquelle toutes les nations entreront un jour. Et c'est précisément la vocation d'Israël que de les y faire entrer.

J'ai parlé d'action de grâce : l'expression revient trois fois : « De tout mon coeur, Seigneur, je te rends grâce », « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité », « Tous les rois de la terre te rendent grâce ». Nous avons vu souvent que les auteurs bibliques aiment ce genre de répétitions, j'aurais envie de dire ce genre litanique. Mais il y a une progression : tout d'abord, c'est Israël qui parle en son nom propre : « De tout mon coeur, Seigneur, je te rends grâce », puis il précise le motif : « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité », enfin c'est l'humanité tout entière qui rentre dans l'Alliance et qui rend grâce : « Tous les rois de la terre te rendent grâce ».

Puisqu'il est question de l'Alliance, il est normal d'entendre ici des allusions à l'expérience du Sinaï ; j'entends tout d'abord les échos de la grande découverte du buisson ardent. Je vous rappelle d'abord ce que dit le livre de l'Exode : « Les fils d'Israël gémirent du fond de la servitude et crièrent. Leur appel monta vers Dieu du fond de la servitude. Dieu entendit leur plainte... » (Ex 2, 23-24). Et, du milieu du buisson en feu, Dieu dit à Moïse : « Oui, vraiment, j'ai vu la souffrance de mon peuple en Egypte et je l'ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer... ». En écho le psaume dit : « Le jour où tu répondis à mon appel »... « tu as entendu les paroles de ma bouche ».

Autre rappel de la révélation de Dieu au Sinaï, l'expression « Ton amour et ta vérité » : ce sont les mots mêmes de la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse (Ex 34, 6). Ensuite, la phrase « Ta droite me rend vainqueur » est, pour une oreille juive, une allusion à la sortie d'Egypte. La « droite », c'est la main droite, bien sûr, et, depuis le cantique de Moïse après le passage miraculeux de la Mer rouge (Ex 15), on a pris l'habitude de parler de la victoire que Dieu a remportée à main forte et à bras étendu : « Ta droite, Seigneur, est magnifique en sa force »... « Tu étends ta main droite »
Quant à l'expression « Seigneur, éternel est ton amour », elle est elle aussi une manière d'évoquer toute l'oeuvre de Dieu et en particulier la sortie d'Egypte. Vous connaissez le psaume 135/136 dont le refrain est précisément « Seigneur, éternel est ton amour ».

A relire le fameux cantique de Moïse dont je parlais il y a un instant, je m'aperçois que, lui aussi, parlait de la « grandeur » de Dieu : « La grandeur de ta gloire a brisé tes adversaires »... « Qui est comme toi parmi les dieux, Seigneur ? Qui est comme toi, magnifique en sainteté ?... Le Seigneur régnera pour les siècles des siècles. »

On peut noter encore un rapprochement entre ce psaume et le cantique de Moïse, c'est le lien entre toute l'épopée de la sortie d'Egypte, l'Alliance conclue au Sinaï et le Temple de Jérusalem. Moïse chantait : « Ma force et mon chant, c'est le Seigneur : il est pour moi le salut. Il est mon Dieu, je le célèbre : j'exalte le Dieu de mon père... Tu conduis par ton amour ce peuple que tu as racheté ; tu les guides par ta force vers ta sainte demeure. » Le psaume reprend en écho : « Je te chante en présence des anges, vers ton temple sacré, je me prosterne. » Le Temple, précisément, c'est le lieu où l'on fait mémoire de toute l'oeuvre de Dieu en faveur de son peuple. Bien sûr, et heureusement pour ceux qui n'ont pas la chance d'habiter Jérusalem, on peut faire mémoire de l'oeuvre de Dieu partout. On sait bien que la présence de Dieu ne se limite pas à un temple de pierre, mais ce temple, ou ce qu'il en reste, est un rappel permanent de cette présence. Et aujourd'hui encore, où qu'il soit dans le monde, tout Juif prie tourné vers Jérusalem, vers la montagne du temple saint : parce que c'est le lieu choisi par Dieu au temps du roi David pour donner à son peuple un signe de sa présence.

Enfin, je note que la grandeur de Dieu n'écrase pas l'homme ; en tout cas pas celui qui sait reconnaître sa petitesse : « Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble ; de loin, il reconnaît l'orgueilleux. » Voilà encore un grand thème biblique : sa grandeur se manifeste précisément dans sa bonté pour la petitesse de l'homme. « Toi, Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence » dit le livre de la Sagesse (Sg 12, 18). Et le psaume 113/112 : « De la poussière il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre » (Ps 113/112, 7). Evidemment on pense aussitôt au Magnificat : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. ».

***
Compléments
Il est très difficile de rejoindre l'intention originelle de l'auteur de ce psaume, car de traduction en traduction (de l'hébreu au grec et de l'hébreu au grec, des phrases entières ont changé de sens.
Tous ces rapprochements que j'ai notés, cette influence du cantique de Moïse et de l'expérience du Sinaï depuis le buisson ardent jusqu'à la sortie d'Egypte et l'Alliance sur le psaume de ce dimanche, se trouvent dans de nombreux autres psaumes et textes divers de la Bible. C'est dire à quel point cette expérience fut et reste le socle de la foi d'Israël.

DEUXIEME LECTURE - Colossiens 2, 12 - 14

Frères,
12 par le baptême,
vous avez été mis au tombeau avec le Christ,
avec lui vous avez été ressuscités,
parce que vous avez cru en la force de Dieu
qui a ressuscité le Christ d'entre les morts.
13 Vous étiez des morts,
parce que vous aviez péché
et que vous n'aviez pas reçu la circoncision.
Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ :
il nous a pardonné tous nos péchés.
14 Il a supprimé le billet de la dette qui nous accablait
depuis que les commandements pesaient sur nous :
il l'a annulé en le clouant à la croix du Christ.


Je reprends le dernier verset : « Dieu a supprimé le billet de la dette qui nous accablait » (Col 2, 14). Paul fait allusion ici à une pratique courante en cas de prêt d'argent : il était d'usage que le débiteur remette à son créancier un « billet de reconnaissance de dette ». Jésus lui-même a employé cette expression dans la parabole du gérant trompeur. Le jour où son patron le menace de licenciement, il se préoccupe de se faire des amis ; et dans ce but il convoque les débiteurs de son maître ; à chacun d'eux, il dit « voici ton billet de reconnaissance de dette, change la somme. Tu devais cent sacs de blé ? Ecris quatre-vingts. » (Lc 15, 7).

Comme il en a l'habitude, Paul utilise ce vocabulaire de la vie courante au service d'une réflexion théologique. Son raisonnement est le suivant : par l'ampleur de nos péchés, nous pouvons nous considérer comme débiteurs de Dieu. Et d'ailleurs, dans le Judaïsme, on appelait souvent les péchés des « dettes » ; et une prière juive du temps du Christ disait : « Par ta grande miséricorde, efface tous les documents qui nous accusent. »

Or tout homme qui lève les yeux vers la croix du Christ découvre jusqu'où va la miséricorde de Dieu pour ses enfants : avec lui, il n'est pas question de comptabilité : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font » est la prière du Fils, mais lui-même a dit « Qui m'a vu a vu le Père ». Le corps du Christ cloué sur la croix manifeste que Dieu est tel qu'il oublie tous nos torts, toutes nos fautes contre lui. Son pardon est ainsi affiché sous nos yeux : « Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé » disait Zacharie (Za 12, 10 ; Jn 19, 37). Tout se passe donc comme si le document de notre dette était cloué à la croix du Christ.

On ne peut pas s'empêcher d'être un peu surpris : tout ce passage est rédigé au passé : « Par le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ, avec lui vous avez été ressuscités... Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné tous nos péchés. Il a supprimé le billet de la dette qui nous accablait... il l'a annulé en le clouant à la croix du Christ. » Paul manifeste ainsi que le salut du monde est déjà effectif : ce « déjà-là » du salut est l'une des grandes insistances de cette lettre aux Colossiens. La communauté chrétienne est déjà sauvée par son baptême ; elle participe déjà au monde céleste. Là encore, on peut noter une évolution par rapport à des lettres précédentes de Paul, par exemple la lettre aux Romains : « Nous avons été sauvés, mais c'est en espérance. » (Rm 8, 24). « Si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection. » (Rm 6, 5).

Alors que la lettre aux Romains mettait la résurrection au futur, celles aux Colossiens et aux Ephésiens mettent au passé et l'ensevelissement avec le Christ et la réalité de la résurrection. Par exemple : « Alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ - c'est par grâce que vous êtes sauvés - ; avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux en Jésus Christ. » (Ep 2, 5-6).

« Vous avez été mis au tombeau avec le Christ, avec lui vous avez été ressuscités... Vous étiez des morts... Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ. » Il est bien évident que Paul parle de la mort spirituelle : il considère vraiment le Baptême comme une seconde naissance. Cette insistance de Paul* sur le caractère acquis du salut, cette naissance à une vie tout autre est peut-être motivée par le contexte historique ; on devine derrière nombre des propos de cette lettre un climat conflictuel : visiblement, la communauté de Colosses subit des influences néfastes contre lesquelles Paul veut la mettre en garde ; en voici quelques traces : « Que personne ne vous abuse par de beaux discours » (Col 2, 4)... « Que personne ne vous prenne au piège de la philosophie, cette creuse duperie. » (Col 2, 8)... « Que nul ne vous condamne pour des questions de nourriture, de boissons, de fêtes, de sabbats. » (Col 2, 16).
On retrouve là en filigrane un problème déjà souvent rencontré : comment entrons-nous dans le salut ? Faut-il continuer à observer rigoureusement toute la religion juive ? (Alors que Jésus lui-même semble avoir pris une relative distance.)

Comment entrons-nous dans le salut ? Paul répond « par la foi » : il revient souvent sur ce thème dans plusieurs de ses lettres ; et nous retrouvons cette même affirmation ici. « Par le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ, avec lui vous avez été ressuscités, parce que vous avez cru (littéralement « par la foi ») en la force de Dieu qui a ressuscité le Christ d'entre les morts. » La lettre aux Ephésiens le répète de manière encore plus claire : « C'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n'y êtes pour rien, c'est le don de Dieu. Cela ne vient pas des oeuvres, afin que nul n'en tire orgueil. » (Ep 2, 8-9).

La vie avec le Christ dans la gloire du Père n'est donc pas seulement une perspective d'avenir, une espérance, mais une expérience actuelle des croyants ; une expérience de vie nouvelle, de vie divine, devrais-je dire. Désormais, si nous le voulons, le Christ lui-même vit en nous ; nous sommes rendus capables de vivre dans la vie quotidienne la vie divine du Christ ressuscité ! Cela veut dire que plus aucune de nos conduites passées n'est une fatalité. L'amour, la paix, la justice, le partage sont désormais possibles. Ou alors, si nous ne le croyons pas possible, ne disons plus que le Christ nous a sauvés !

***
* Jusqu'ici, nous avons toujours parlé de la lettre aux Colossiens comme si Paul en était l'auteur ; en fait, de nombreux exégètes l'attribuent plutôt à un disciple très proche de Paul par l'inspiration, mais d'une génération plus jeune, probablement.

EVANGILE - Luc 11, 1-13

1 Un jour, quelque part, Jésus était en prière.
Quand il eut terminé,
un de ses disciples lui demanda :
« Seigneur, apprends-nous à prier,
comme Jean-Baptiste l'a appris à ses disciples. »
2 Il leur répondit :
« Quand vous priez, dites :
Père,
que ton nom soit sanctifié,
que ton règne vienne.
3 Donne-nous le pain
dont nous avons besoin pour chaque jour.
4 Pardonne-nous nos péchés,
car nous-mêmes nous pardonnons
à tous ceux qui ont des torts envers nous.
Et ne nous soumets pas à la tentation. »
5 Jésus leur dit encore :
« Supposons que l'un de vous ait un ami
et aille le trouver en pleine nuit pour lui demander :
Prête-moi trois pains :
6 un de mes amis arrive de voyage,
et je n'ai rien à lui offrir.
7 Et si, de l'intérieur, l'autre lui répond :
Ne viens pas me tourmenter !
Maintenant, la porte est fermée ;
mes enfants et moi, nous sommes couchés.
Je ne puis pas me lever pour te donner du pain,
8 moi je vous l'affirme :
même s'il ne se lève pas pour les donner par amitié,
il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami,
et il lui donnera tout ce qu'il lui faut.
9 Eh bien, moi, je vous dis :
demandez, vous obtiendrez ;
cherchez, vous trouverez ;
frappez, la porte vous sera ouverte.
10 Celui qui demande reçoit ;
celui qui cherche trouve ;
et pour celui qui frappe, la porte s'ouvre.
11 Quel père parmi vous donnerait un serpent à son fils
qui lui demande un poisson ?
12 Ou un scorpion,
quand il demande un oeuf ?
13 Si donc vous, qui êtes mauvais,
vous savez donner de bonnes choses à vos enfants,
combien plus le Père céleste donnera-t-il l'Esprit Saint
à ceux qui le lui demandent ? »

Au risque de nous surprendre, Jésus n'a pas inventé les mots du Notre Père : ils viennent tout droit de la liturgie juive*, et plus profondément, des Ecritures. A commencer par le vocabulaire qui est très biblique : « Père, Nom, Saint, Règne, pain, péchés, tentations... »

Commençons par les deux premières demandes : très pédagogiquement, elles nous tournent d'abord vers Dieu et nous apprennent à dire « Ton nom », « Ton Règne ». Elles éduquent notre désir et nous engagent dans la croissance de son Règne. Car il s'agit bien d'une école de prière, ou, si l'on préfère, d'une méthode d'apprentissage de la prière : n'oublions pas la demande du disciple : « Seigneur, apprends-nous à prier ».

Toutes proportions gardées, on peut comparer cette leçon à certaines méthodes d'apprentissage des langues étrangères : elles nous invitent à un petit effort quotidien, une petite répétition chaque jour et, peu à peu, nous sommes imprégnés, nous finissons par savoir parler la langue ; eh bien, si nous suivons la méthode de Jésus, grâce au Notre Père, nous finirons par savoir parler la langue de Dieu. Dont le premier mot, apparemment est « Père ».

L'invocation « Notre Père » nous situe d'emblée dans une relation filiale envers lui. C'était une expression déjà traditionnelle dans l'Ancien Testament ; par exemple chez Isaïe : « C'est toi, Seigneur, qui es notre Père, notre Rédempteur depuis toujours. » (Is 63, 16).

Les deux premières demandes portent sur le Nom et le Règne. « Que ton Nom soit sanctifié » : dans la Bible, le Nom représente la Personne ; dire que Dieu est Saint, c'est dire qu'Il est « L'Au-delà de tout » ; nous ne pouvons donc rien ajouter au mystère de sa Personne ; cette demande « Que ton Nom soit sanctifié » signifie « Fais-toi reconnaître comme Dieu ».

« Que ton Règne vienne » : répétée quotidiennement, cette demande fera peu à peu de nous des ouvriers du Royaume ; car la volonté de Dieu, on le sait bien, son « dessein bienveillant » comme dit Paul c'est que l'humanité, rassemblée dans son amour, soit reine de la création : « Remplissez la terre et dominez-la » (Gn 1, 27). Et les croyants attendent avec impatience le jour où Dieu sera enfin véritablement reconnu comme roi sur toute la terre : « Le Seigneur se montrera le roi de toute la terre » annonçait le prophète Zacharie (Za 14, 9). Notre prière, notre petite méthode d'apprentissage de la langue de Dieu va donc faire de nous des gens qui désirent avant tout que le nom de Dieu, que Dieu lui-même soit reconnu, adoré, aimé, que tout le monde le reconnaisse comme Père ; nous allons devenir des passionnés d'évangélisation, des passionnés du Règne de Dieu.
Les trois autres demandes concernent notre vie quotidienne : « Donne-nous », « Pardonne-nous », « Ne nous soumets pas » ; nous savons bien qu'il ne cesse d'accomplir tout cela, mais nous nous mettons en position d'accueillir ces dons.

« Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour » : la manne tombée chaque matin dans le désert éduquait le peuple à la confiance au jour le jour ; cette demande nous invite à ne pas nous inquiéter du lendemain et à recevoir chaque jour notre nourriture comme un don de Dieu. Le pluriel « notre pain » nous enseigne également à partager le souci du Père de nourrir tous ses enfants.
« Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes nous pardonnons à tous ceux qui ont des torts envers nous » : le pardon de Dieu n'est pas conditionné par notre comportement, le pardon fraternel n'achète pas le pardon de Dieu ; mais il est pour nous le seul chemin pour entrer dans le pardon de Dieu déjà acquis d'avance : celui dont le coeur est fermé ne peut accueillir les dons de Dieu.
« Ne nous soumets pas à la tentation » : cette traduction est contestée car elle peut laisser croire que la tentation viendrait de Dieu, ce qui est impossible ; comme dit Saint Jacques : « Que nul, quand il est tenté, ne dise : Ma tentation vient de Dieu. Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l'entraîne et le séduit. » (Jc 1, 13) ; le verbe employé dans la prière juive peut se traduire soit par « ne nous fais pas entrer dans la tentation » soit par « fais que nous n'entrions pas dans la tentation ». On peut donc comprendre : « ne permets pas que nous succombions à la tentation ». Et nous savons bien que la plus grave des tentations, c'est de douter de l'amour de Dieu.

Que de demandes ! Toute notre vie, toute la vie du monde est concernée : apparemment, parler la langue de Dieu, c'est savoir demander : la prière de demande est donc plus que permise, elle est recommandée ; si l'on y réfléchit, il y a là un bon apprentissage de l'humilité et de la confiance. Notre petit apprentissage continue ; il faut dire que ce ne sont pas n'importe quelles demandes : pain, pardon, résistance aux tentations ; nous apprendrons à désirer que chacun ait du pain : le pain matériel et aussi tous les autres pains dont l'humanité a besoin ; et puis bientôt, notre seul rêve sera de pardonner et d'être pardonnés ; et enfin, dans les tentations, (il y en aura inévitablement), nous apprendrons à garder le cap : nous lui demandons de rester le maître de la barque. A noter aussi que nous allons sortir de notre petit individualisme : toutes ces demandes sont exprimées au pluriel, chacun de nous les formule au nom de l'humanité tout entière.

Sans oublier que la leçon de Jésus comportait un deuxième chapitre : la parabole de l'ami importun nous invite à ne jamais cesser de prier ; quand nous prions, nous nous tournons vers Dieu, nous nous rapprochons de lui, et notre coeur s'ouvre à son Esprit. Avec la certitude que « le Père céleste donne toujours l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent. » Nos problèmes ne sont pas résolus pour autant par un coup de baguette magique, mais désormais nous ne les vivons plus seuls, nous les vivons avec lui.

***

*Voici quelques extraits des deux principales prières juives contemporaines de Jésus, le « Qaddish » (Q) et les « Shemoné Esré », ou « Dix-Huit Bénédictions » (SE). Cela nous permettra de découvrir, s'il en est besoin, combien nos prières, juives et chrétiennes se ressemblent : « Que les prières et supplications de tout Israël soient accueillies par leur Père qui est aux cieux. »... (Q). « Que soit béni et célébré, glorifié et exalté, élevé et honoré, magnifié et loué le Nom du Saint béni soit-il ! Lui qui est au-dessus de toute bénédiction et de tout cantique, de toute louange et de toute consolation qui sont proférées dans le monde, Amen ! » (Q). « Que soit magnifié et sanctifié son grand Nom dans le monde qu'il a créé selon sa volonté ; et qu'il établisse son Règne de votre vivant et de vos jours et du vivant de toute la maison d'Israël, bientôt et dans un temps proche, Amen ! (Q). « Nous sanctifierons ton Nom dans le monde, comme on Le sanctifie dans les hauteurs célestes... (SE). « Pardonne-nous, notre Père, car nous avons péché ; fais-nous grâce, notre Roi, car nous avons failli, car tu es celui qui fait grâce et qui pardonne. Béni es-tu, Seigneur, qui fais grâce et multiplies le pardon. » (SE). « Vois notre misère et mène notre combat. Et délivre-nous sans tarder à cause de ton Nom, car Tu es le Libérateur puissant. » (SE). « Guéris-nous, Seigneur, et nous serons guéris ; sauve-nous et nous serons sauvés, car Tu es l'objet de notre louange. Accorde une guérison totale à toutes nos blessures, car Toi, Dieu, Roi, Tu es un médecin fidèle et miséricordieux. » (SE).

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