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24 février 2010 3 24 /02 /février /2010 23:42
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

PREMIERE LECTURE - Genèse 15, 5-12. 17-18

Le Seigneur parlait à Abraham dans une vision.
5 Puis il le fit sortir et lui dit :
« Regarde le ciel,
et compte les étoiles si tu le peux... »
Et il déclara :
« Vois quelle descendance tu auras ! »
6 Abraham eut foi dans le Seigneur,
et le Seigneur estima qu'il était juste.
7 Puis il dit :
« Je suis le Seigneur,
qui t'ai fait sortir d'Ur en Chaldée
pour te mettre en possession de ce pays. »
8 Abraham répondit :
« Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir
que j'en ai la possession ? »
9 Le Seigneur lui dit :
« Prends-moi une génisse de trois ans,
une chèvre de trois ans,
un bélier de trois ans,
une tourterelle et une jeune colombe. »
10 Abraham prit tous ces animaux,
les partagea en deux,
et plaça chaque moitié en face de l'autre ;
mais il ne partagea pas les oiseaux.
11 Comme les rapaces descendaient sur les morceaux,
Abraham les écarta.
12 Au coucher du soleil,
un sommeil mystérieux s'empara d'Abraham,
une sombre et profonde frayeur le saisit.

17 Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses.
Alors un brasier fumant et une torche enflammée
passèrent entre les quartiers d'animaux.
18 Ce jour-là, le Seigneur conclut une Alliance avec Abraham
en ces termes :
« A ta descendance
je donne le pays que voici. »

A l'époque d'Abraham, lorsque deux chefs de tribus faisaient alliance, ils accomplissaient tout un cérémonial semblable à celui auquel nous assistons ici : des animaux adultes, en pleine force de l'âge, étaient sacrifiés ; les animaux « partagés en deux », écartelés, étaient le signe de ce qui attendait celui des contractants qui ne respecterait pas ses engagements. Cela revenait à dire : « Qu'il me soit fait ce qui a été fait à ces animaux si je ne suis pas fidèle à l'alliance que nous contractons aujourd'hui ». Ordinairement, les contractants passaient tous les deux entre les morceaux, pieds nus dans le sang : ils partageaient d'une certaine manière le sang, donc la vie ; ils devenaient en quelque sorte « consanguins ». Pourquoi cette précision que les animaux devaient être âgés de trois ans ? Tout simplement parce que les mamans allaitaient généralement leurs enfants jusqu'à trois ans ; ce chiffre était donc devenu symbolique d'une certaine maturité : l'animal de trois ans était censé être adulte.

Ici Abraham accomplit donc les rites habituels des alliances ; mais pour une alliance avec Dieu, cette fois. Tout est semblable aux habitudes et pourtant tout est différent, précisément parce que, pour la première fois de l'histoire humaine, l'un des contractants est Dieu lui-même.

Commençons par ce qui est semblable : « Abraham prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l'autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les morceaux, Abraham les écarta. » La mention des rapaces est intéressante : Abraham les écarte parce qu'il les considère comme des oiseaux de mauvais augure ; cela nous prouve que le texte est très ancien : Abraham découvre le vrai Dieu, mais la superstition n'est pas loin.

Ce qui est inhabituel maintenant : « Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux s'empara d'Abraham, une sombre et profonde frayeur le saisit. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d'animaux. » A propos d'Abraham, le texte parle de « sommeil mystérieux » : ce n'est pas le mot du vocabulaire courant ; c'était déjà celui employé pour désigner le sommeil d'Adam pendant que Dieu créait la femme ; manière de nous dire que l'homme ne peut pas assister à l'oeuvre de Dieu : quand l'homme se réveille (Adam ou Abraham), c'est une aube nouvelle, une création nouvelle qui commence. Manière aussi de nous dire que l'homme et Dieu ne sont pas à égalité dans l'oeuvre de création, dans l'oeuvre d'Alliance ; c'est Dieu qui a toute l'initiative, il suffira à l'homme de faire confiance : « Abraham eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu'il était juste »...

« Un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d'animaux » : la présence de Dieu est symbolisée par le feu comme souvent dans la Bible ; depuis le Buisson ardent, la fumée du Sinaï, la colonne de feu qui accompagnait le peuple de Dieu pendant l'Exode dans le désert jusqu'aux langues de feu de la Pentecôte.

Venons-en aux termes de l'Alliance ; Dieu promet deux choses à Abraham : une descendance et un pays. Les deux mots « descendance » et « pays » sont utilisés en inclusion dans ce récit ; au début, Dieu avait dit : « Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux... Vois quelle descendance tu auras !... Je suis le Seigneur qui t'ai fait sortir d'Ur en Chaldée pour te mettre en possession de ce pays » et à la fin « A ta descendance je donne le pays que voici. » Soyons francs, cette promesse adressée à un vieillard sans enfant est pour le moins surprenante ; ce n'est pas la première fois que Dieu fait cette promesse et pour l'instant, Abraham n'en a pas vu l'ombre d'une réalisation. Depuis des années déjà, il marche et marche encore en s'appuyant sur la seule promesse de ce Dieu jusqu'ici inconnu pour lui. Rappelons-nous le tout premier récit de sa vocation : « Va pour toi, loin de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation... » (Gn 12, 1). Et dès ce jour-là, le texte biblique notait l'extraordinaire foi de l'ancêtre qui était parti tout simplement sans poser de questions : « Abraham partit comme le Seigneur le lui avait dit. »

Ici, le texte constate : « Abraham eut foi dans le Seigneur, et le Seigneur estima qu'il était juste. » C'est la première apparition du mot « Foi » dans la Bible : c'est l'irruption de la Foi dans l'histoire des hommes. Le mot « croire » en hébreu vient d'une racine qui signifie « tenir fermement » (notre mot « Amen » vient de la même racine). Croire c'est « TENIR », faire confiance jusqu'au bout, même dans le doute, le découragement, ou l'angoisse. Telle est l'attitude d'Abraham ; et c'est pour cela que Dieu le considère comme un juste. Car, le Juste, dans la Bible, c'est l'homme dont la volonté, la conduite sont accordées à la volonté, au projet de Dieu. Plus tard, Saint Paul s'appuiera sur cette phrase du livre de la Genèse pour affirmer que le salut n'est pas une affaire de mérites. « Si tu crois... tu seras sauvé » (Rm 10, 9). Si je comprends bien, Dieu donne : il ne demande qu'une seule chose à l'homme.... y croire.
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Compléments
v.7 : « Je suis le Seigneur qui t'ai fait sortir d'Our en Chaldée » ; c'est le même mot que pour la sortie d'Egypte avec Moïse, six cents ans plus tard : l'oeuvre de Dieu est présentée dès le début comme une oeuvre de libération.

PSAUME 26 (27), 1, 7-8, 9a-d, 13-14

1 Le Seigneur est ma lumière et mon salut,
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie,
devant qui tremblerais-je ?

7 Ecoute, Seigneur, je t'appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
8 Mon coeur m'a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

9 C'est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N'écarte pas ton serviteur avec colère,
tu restes mon secours.

13 J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
14 « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
Espère le Seigneur. »

En peu de mots, tout est dit ; la tranquille certitude : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? » mais aussi l'ardente supplication : « Ecoute, Seigneur, je t'appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! » Et ces états d'âme sont si contrastés qu'on pourrait presque se demander si c'est bien la même personne qui parle d'un bout à l'autre. Mais oui, bien sûr, c'est la même foi qui s'exprime dans l'exultation ou dans la supplication selon les circonstances.

Circonstances gaies, circonstances tristes, le peuple d'Israël a tout connu ! Et au milieu de toutes ces aventures, il a gardé confiance, ou mieux « il a approfondi » sa foi. Enfin, entre la première et la dernière strophes, il faut noter le passage du présent au futur : première strophe, « Le Seigneur EST ma lumière et mon salut », voilà le langage de la foi, cette confiance indéracinable ; dernière strophe, « Je VERRAI la bonté du Seigneur... » et la fin « ESPERE »... l'espérance, c'est la foi conjuguée au futur.

Nous avons déjà rencontré ce psaume à plusieurs reprises au cours des trois années liturgiques ; aujourd'hui, arrêtons-nous sur deux expressions, « C'est ta face, Seigneur, que je cherche » et « Je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. » Tout d'abord, « C'est ta face, Seigneur, que je cherche » ; voir la face de Dieu, c'est le désir, la soif de tous les croyants : l'homme créé à l'image de Dieu est comme aimanté par son Créateur. Moïse a supplié : « Fais-moi donc voir ta gloire ! » et le Seigneur lui a répondu : « Tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne saurait me voir et vivre... Voici un lieu près de moi. Tu te tiendras sur le rocher. Alors, quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et, de ma main, je t'abriterai tant que je passerai. Puis, j'écarterai ma main et tu me verras de dos ; mais ma face, on ne peut la voir. » (Ex 33, 18... 23). Ce qui est magnifique dans ce texte, c'est qu'il préserve à la fois la grandeur de Dieu, son inaccessibilité, et en même temps sa proximité et sa délicatesse.

Dieu est tellement immense pour nous que nous ne pouvons pas le voir de nos yeux ; le rayonnement de sa Présence ineffable, inaccessible, ce que les textes appellent sa gloire, est trop éblouissant pour nous ; nos yeux ne supportent pas de fixer le soleil, comment pourrions-nous regarder Dieu ? Mais en même temps, et c'est la merveille de la foi biblique, cette grandeur de Dieu n'écrase pas l'homme, bien au contraire, elle le protège, elle est sa sécurité. L'immense respect qui envahit le croyant mis en présence de Dieu n'est donc pas de la peur, mais ce mélange de totale confiance et d'infini respect que la Bible appelle « crainte de Dieu ».

Ceci peut nous permettre de comprendre le premier verset : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? » ; cela veut dire deux choses, au moins : premièrement, le peuple croyant n'a plus peur de rien ni de personne, y compris de la mort. Deuxièmement, aucun autre dieu ne lui inspirera jamais plus ce sentiment religieux de crainte. Le verset suivant ne fait que redire la même chose : « Le Seigneur est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? »

Cette confiance s'exprime encore dans la dernière strophe de notre psaume : « J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. » A la suite de Moïse, le peuple libéré par lui compte sur les bienfaits de Dieu. Mais quelle est cette « terre des vivants » ? Certainement, d'abord, la terre donnée par Dieu à son peuple et dont la possession est devenue tout un symbole pour Israël ; symbole des dons de Dieu, elle est aussi le rappel des exigences de l'Alliance : la terre sainte a été donnée au peuple élu pour qu'il y vive « saintement ».

C'est l'un des thèmes majeurs du livre du Deutéronome par exemple : « Vous veillerez à agir comme vous l'a ordonné le Seigneur votre Dieu sans vous écarter ni à droite ni à gauche. Vous marcherez toujours sur le chemin que le Seigneur votre Dieu vous a prescrit, afin que vous restiez en vie, que vous soyez heureux et que vous prolongiez vos jours dans le pays dont vous allez prendre possession. » (Dt 5, 32-33). Les « vivants » au sens biblique, ce sont les croyants.

Ne voyons donc pas dans cette expression « terre des vivants » une allusion consciente à une quelconque vie éternelle : quand le psaume a été composé, il ne venait à l'idée de personne que l'homme puisse espérer un horizon autre que terrestre ; personne n'imaginait que nous soyons appelés à ressusciter ; on sait que cette foi ne s'est développée en Israël qu'à partir du deuxième siècle av.J.C. Mais, désormais, pour nous, Chrétiens, brille la lumière de la Résurrection du Christ ; à sa suite et avec lui, nous pouvons dire : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants », et pour nous, désormais, cela veut dire la terre des ressuscités.

DEUXIEME LECTURE - Philippiens 3, 17 - 4, 1

3, 17 Frères,
prenez-moi tous pour modèle,
et regardez bien ceux qui vivent
selon l'exemple que nous vous donnons.
18 Car je vous l'ai souvent dit,
et maintenant je le redis en pleurant :
beaucoup de gens vivent en ennemis de la croix du Christ.
19 Ils vont tous à leur perte.
Leur dieu, c'est leur ventre,
et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ;
ils ne tendent que vers les choses de la terre.
20 Mais nous, nous sommes citoyens des cieux ;
c'est à ce titre que nous attendons comme sauveur
le Seigneur Jésus-Christ,
21 lui qui transformera nos pauvres corps
à l'image de son corps glorieux,
avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer.
4, 1 Ainsi, mes frères bien-aimés que je désire tant revoir,
vous, ma joie et ma récompense,
tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.


L'heure est grave, sûrement, puisque, Paul l'avoue lui-même, c'est en pleurant qu'il dit aux Philippiens : « Tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés. » On croit entendre « tenez bon comme moi-même je tiens bon ». Puisqu'il dit : « Frères, prenez-moi tous pour modèle » : une telle phrase nous surprend un peu ! D'autant plus qu'au moment où il écrit, Paul est loin et il est en prison. Mais justement, le problème des Philippiens, c'est qu'en l'absence de Paul, certains autres se présentent comme modèles et Paul veut à tout prix empêcher ses chers Philippiens de tomber dans le panneau. Au début de sa lettre, il leur a dit : « Voici ma prière : que votre amour abonde encore, et de plus en plus, en clairvoyance et pleine intelligence, pour discerner ce qui convient le mieux. » (1, 9 - 10). Quel est le problème ? Pour le comprendre, il faut se rappeler le contexte ; il apparaît un peu plus haut dans cette lettre ; des « mauvais ouvriers », comme dit Paul, se sont introduits dans la communauté et sèment le trouble : ils prétendent que la circoncision est nécessaire pour tous les Chrétiens. Paul a tout de suite saisi la gravité de l'enjeu théologique : si la circoncision est nécessaire, c'est que le Baptême ne suffit pas. Mais alors que devient la phrase de Jésus : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » ?

La question est fondamentale, et on sait par les Actes des Apôtres et les autres lettres de Paul qu'elle a pendant un temps divisé les Chrétiens ; de deux choses l'une : ou bien l'événement de la « croix du Christ » a eu lieu... ou bien non ! Et quand Paul dit « croix du Christ », il veut dire tout ensemble sa Passion, sa Mort, et sa Résurrection... Si cet événement a eu lieu... la face du monde est changée : Christ a fait la paix par le sang de sa croix... On trouve de nombreuses affirmations de ce genre sous la plume de Paul ; pour lui, la croix du Christ est vraiment l'événement central de l'histoire de l'humanité. Et alors on ne peut plus penser comme avant, raisonner comme avant, vivre comme avant. Ceux qui affirment que le rite de la circoncision reste indispensable font comme si l'événement de la « croix du Christ » n'avait pas eu lieu. C'est pour cela que Paul les appelle les « ennemis de la croix du Christ ».

Apparemment, les Philippiens sont hésitants puisque Paul les met très sévèrement en garde : dans un passage précédent, il a dit « Prenez garde aux chiens ! Prenez garde aux mauvais ouvriers ! Prenez garde aux faux circoncis ! » (3, 2) Et il a ajouté : « Car les circoncis, (sous-entendu les vrais) c'est nous, qui rendons notre culte par l'Esprit de Dieu, qui plaçons notre gloire en Jésus-Christ, qui ne nous confions pas en nous-mêmes. » Là, il manie un peu le paradoxe : pour lui, les « vrais circoncis », ce sont ceux qui ne sont pas circoncis dans leur chair, mais qui sont baptisés en Jésus-Christ : ils misent toute leur existence et leur salut sur Jésus-Christ ; ils attendent leur salut de la croix du Christ et non de leurs pratiques.

A l'inverse, et c'est là le paradoxe, il traite de « faux circoncis » ceux qui, justement, ont reçu la circoncision dans leur chair, selon la loi de Moïse. Car ils attachent à ce rite plus d'importance qu'au Baptême. Quand Paul dit « leur dieu c'est leur ventre », c'est à la circoncision qu'il fait allusion. Comment peut-on mettre en balance le rite extérieur de la circoncision et le Baptême qui transforme l'être tout entier des Chrétiens en les plongeant dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ ?

Nous sommes là au niveau du contenu de la foi ; mais Paul voit encore un autre danger, au niveau de l'attitude même du croyant ; là encore, de deux choses l'une : ou bien nous gagnons notre salut par nous-mêmes et par nos pratiques, ou bien nous le recevons gratuitement de Dieu. L'expression « leur dieu c'est leur ventre » va jusque-là : ces gens-là misent sur leurs pratiques juives mais ils se trompent. « Ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne tendent que vers les choses de la terre. » Adopter cette attitude-là, c'est faire fausse route : « Ils vont tous à leur perte », dit Paul.

Et il continue, indiquant ainsi le bon choix à ses chers Philippiens : « Mais nous, nous sommes citoyens des cieux ; c'est à ce titre que nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux, avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer. » Dire que nous attendons Jésus-Christ comme sauveur, c'est dire que nous mettons toute notre confiance en lui et pas en nous-mêmes et en nos mérites. Reprenons ce qu'il disait plus haut : « Car les circoncis (sous-entendu les vrais), c'est nous, qui rendons notre culte par l'Esprit de Dieu, qui plaçons notre gloire en Jésus-Christ, qui ne nous confions pas en nous-mêmes. »

Et c'est là qu'il peut se poser en modèle : s'il y en avait un qui avait des mérites à faire valoir, selon la loi juive, c'était lui ; quelques versets plus haut, il écrivait : « Pourtant, j'ai des raisons d'avoir confiance en moi-même. Si un autre croit pouvoir se confier en lui-même, je le peux davantage, moi, circoncis le huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils d'Hébreux ; pour la loi, Pharisien ; pour le zèle, persécuteur de l'Eglise ; pour la justice qu'on trouve dans la loi, devenu irréprochable. Or toutes ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai considérées comme une perte à cause du Christ. » (Phi 3, 4-7). En résumé, prendre modèle sur Paul, c'est faire de Jésus-Christ et non de nos pratiques le centre de notre vie ; c'est cela qu'il appelle être « citoyens des cieux ».

 

EVANGILE - Luc 9, 28-36

28 Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques,
et il alla sur la montagne pour prier.
29 Pendant qu'il priait,
son visage apparut tout autre,
ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante.
30 Et deux hommes s'entretenaient avec lui :
c'étaient Moïse et Elie,
31 apparus dans la gloire.
Ils parlaient de son départ
qui allait se réaliser à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ;
mais, se réveillant, ils virent la gloire de Jésus,
et les deux hommes à ses côtés.
33 Ces derniers s'en allaient,
quand Pierre dit à Jésus :
« Maître, il est heureux que nous soyons ici ;
dressons trois tentes :
une pour toi,
une pour Moïse,
et une pour Elie. »
Il ne savait pas ce qu'il disait.
34 Pierre n'avait pas fini de parler,
qu'une nuée survint et les couvrit de son ombre ;
ils furent saisis de frayeur
lorsqu'ils y pénétrèrent.
35 Et, de la nuée, une voix se fit entendre :
« Celui-ci est mon Fils,
celui que j'ai choisi,
écoutez-le. »
36 Quand la voix eut retenti,
on ne vit plus que Jésus seul.
Les disciples gardèrent le silence
et, de ce qu'ils avaient vu,
ils ne dirent rien à personne à ce moment-là.

Quelques jours avant ce récit de la Transfiguration, au cours d'un temps de prière avec ses disciples, Jésus leur a posé la question cruciale : « Qui suis-je au dire des foules ? » Pierre a su répondre : « Tu es le Christ (c'est-à-dire le Messie) de Dieu ». Et lui aussitôt a mis les choses au point : le Messie, oui, mais peut-être pas comme on l'attendait. « Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite. » Déjà il annonçait que la gloire du fils de l'homme était inséparable de la croix.

Environ huit jours plus tard, nous dit Luc, Jésus conduit ses disciples sur la montagne, il veut de nouveau aller prier avec eux. Luc est le seul des évangélistes à mentionner cette prière du Christ, lors de la Transfiguration ; les trois disciples découvrent que pour Jésus, la prière est une rencontre transfigurante. Quelque temps auparavant, en expliquant la parabole de la semence au groupe des disciples, Jésus leur avait dit : « à vous il est donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu ». C'est particulièrement vrai, ici, pour les trois témoins : Pierre, Jean et Jacques ; notons au passage que ces trois mêmes disciples Pierre, Jean et Jacques ont été témoins de la résurrection de la fille de Jaïre ; au moment de la Passion, ce seront encore les trois mêmes qui seront témoins de la dernière grande prière à Gethsémani.

Je reviens à la Transfiguration : c'est ce moment de prière sur la montagne que Dieu choisit pour révéler à ces trois privilégiés le mystère du Fils de l'homme. Car, ici, ce ne sont plus des hommes, la foule ou les disciples, qui donnent leur opinion, c'est Dieu lui-même qui apporte la réponse et nous donne à contempler le mystère du Christ : « Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le ».

Evidemment, cette montagne nous fait penser au Sinaï ; et d'ailleurs Luc a choisi ses mots pour évoquer le contexte de la révélation de Dieu au Sinaï : la montagne, la nuée, la gloire, la voix qui retentit, les tentes... Nous sommes moins étonnés, du coup, de la présence de Moïse et Elie aux côtés de Jésus. Quand on sait que Moïse a passé quarante jours sur le Sinaï en présence de Dieu et qu'il en est redescendu le visage tellement rayonnant que tous furent étonnés : « Quand Moïse descendit de la montagne, il ne savait pas que la peau de son visage était devenue rayonnante en parlant avec le Seigneur. Aaron et tous les fils d'Israël virent Moïse : la peau de son visage rayonnait. » (Ex 34, 29-30).

Quant à Elie, lui aussi « marcha quarante jours et quarante nuits jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb »... La parole du Seigneur lui fut adressée : « Sors et tiens-toi sur la montagne, devant le Seigneur ; voici, le Seigneur va passer. » Il y eut alors un vent puissant, un tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n'était ni dans le vent puissant, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu... « Il y eut alors le bruissement d'une brise légère. Alors en l'entendant, Elie se voila le visage avec son manteau, et la voix du Seigneur s'adressa à lui. » (1 R 19, 8... 14).

Ainsi, les deux personnages de l'Ancien Testament qui ont eu le privilège de la révélation de la gloire de Dieu sur la montagne sont également présents lors de la manifestation de la gloire du Christ. Luc est le seul évangéliste à nous préciser le contenu de leur entretien avec Jésus : « Ils parlaient de son départ qui allait se réaliser à Jérusalem. » (en réalité, Luc emploie le mot « Exode »). Décidément, impossible de séparer la gloire du Christ de sa croix. Ce n'est pas pour rien que Luc emploie le mot « Exode » en parlant de la Pâque du Christ. Comme la Pâque de Moïse avait inauguré l'Exode du peuple, de l'esclavage en Egypte vers la terre de liberté, la Pâque du Christ ouvre le chemin de la libération pour toute l'humanité.
Dans la nuée lumineuse de la Transfiguration, la voix du Père supplie « Ecoutez-le ». Ces deux mots, « Shema Israël », pour des oreilles juives, c'était tout un programme. « Ecoute Israël », c'est la profession de foi quotidienne : le rappel du Dieu Unique à qui Israël doit sa libération ; libération d'Egypte, d'abord, c'est vrai ; mais celle-ci n'est que le prélude de la longue entreprise de libération amorcée par Dieu avec Abraham, poursuivie avec Moïse, pleinement accomplie en Jésus, pour tous ceux qui l'écouteront, justement. Le « Shema Israël » n'est pas un ordre donné par un maître exigeant ou dominateur... mais une supplication ... « Ecoutez-le », c'est-à-dire faites-lui confiance.

Pierre, émerveillé du visage transfiguré de Jésus, parle de s'installer : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ; dressons trois tentes... » Mais Luc dit bien que « Pierre ne savait pas ce qu'il disait. » Il n'est pas question de s'installer à l'écart du monde et de ses problèmes : le temps presse ; Pierre, Jacques et Jean, ces trois privilégiés, doivent se hâter de rejoindre les autres. Car le projet de Dieu ne se limite pas à quelques privilégiés : au dernier jour, c'est l'humanité tout entière qui sera transfigurée ; comme dit Saint Paul dans la lettre aux Philippiens (notre deuxième lecture) « nous sommes citoyens des cieux. »
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« Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le » : « Fils », « Choisi », « Ecoutez-le » : ces trois mots exprimaient au temps du Christ la diversité des portraits sous lesquels on imaginait le Messie : « Tu es mon Fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » était l'une des phrases du sacre des rois ; « Choisi », c'est l'un des noms du serviteur de Dieu dont parle Isaïe dans les « Chants du serviteur » : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon Elu » ; « Ecoutez-le », Dieu seul peut se permettre de dire une chose pareille et, d'autre part, c'est une allusion à la promesse que Dieu a faite à Moïse de susciter à sa suite un prophète : « C'est un prophète comme toi que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche. » (Dt 18, 18). Certains en déduisaient que le Messie attendu serait un prophète.

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