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12 août 2020 3 12 /08 /août /2020 14:45

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 14 août 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

 

LECTURE DE L'APOCALYPSE DE SAINT JEAN    11,19a ; 12,1-6a.10ab

 

11,19   Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit,
      et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire.
12,  Un grand signe apparut dans le ciel :
       une Femme,
       ayant le soleil pour manteau,
       la lune sous les pieds,
       et sur la tête une couronne de douze étoiles.
2     Elle est enceinte, elle crie,
       dans les douleurs et la torture d’un enfantement.
3     Un autre signe apparut dans le ciel :
       un grand dragon, rouge feu,
       avec sept têtes et dix cornes,
       et, sur chacune des sept têtes, un diadème.
4     Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel,
       les précipita sur la terre.
       Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter,
       afin de dévorer l’enfant dès sa naissance.
5     Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle,
       celui qui sera le berger de toutes les nations,
       les conduisant avec un sceptre de fer.
       L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône,
6     et la Femme s’enfuit au désert,
       où Dieu lui a préparé une place.
10   Alors j’entendis dans le ciel une voix forte,
       qui proclamait :
       « Maintenant voici le salut,
       la puissance et le règne de notre Dieu,
       voici le pouvoir de son Christ ! »
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LA FEMME, L’ENFANT ET LE DRAGON

On sait que toute l’Apocalypse de saint Jean est un message de victoire adressé à la jeune Église chrétienne en pleine persécution. Pour exprimer ce message de victoire, saint Jean emploie de nombreuses images : nous avons vu successivement l’Arche d’Alliance, et trois personnages : la femme, le dragon, puis le nouveau-né. Je reprends successivement ces images, l’une après l’autre.

L’Arche d’Alliance, pour commencer, est un rappel de cette fameuse arche, le coffret de bois doré qui accompagnait le peuple pendant l’Exode au Sinaï et rappelait sans cesse au peuple d’Israël l’Alliance que Dieu avait conclue avec lui. À l’époque où Jean écrivait, il y avait des siècles que cette arche était perdue : elle a disparu, on ne sait comment, au moment de l'Exil à Babylone et l'on racontait que Jérémie l'avait mise à l'abri en la cachant quelque part au mont Nebo (2 M 2,8) ; on croyait généralement qu'elle réapparaîtrait au moment de la venue du Messie ; or Jean la voit réapparaître : « Le sanctuaire de Dieu qui est dans le ciel s'ouvrit, et l'Arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire. » (11,19). Pour lui, c’est le signe que la fin des temps est arrivée : l’Alliance éternelle de Dieu avec l’humanité est enfin définitivement accomplie.

Puis apparaît, toujours dans le ciel, « une femme ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d'un enfantement. » On se demande aussitôt qui représente cette femme : là encore c'est l'Ancien Testament qui nous donne la clé ; car souvent, les relations entre Dieu et Israël, son peuple choisi, sont décrites en termes de noces. Le prophète  Osée, par exemple, parlait des fiançailles de Dieu avec son peuple. Et Isaïe développait ce thème des noces pour aller jusqu’à présenter la venue du Messie comme un enfantement ; car c’est d’Israël que doit naître le Messie. Dans cette ligne, la femme décrite dans l'Apocalypse désigne donc le peuple élu qui engendre le Messie ; enfantement ô combien douloureux pour les disciples du Christ affrontés à la persécution ; mais Jean vient leur dire justement : vous êtes en train d'enfanter l'humanité nouvelle.

 

LES FORCES DE LA MORT NE L’EMPORTERONT PAS

Le second personnage est le dragon posté « devant la femme afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. » C’est dire le combat des forces du mal contre le projet de Dieu. Pour les Chrétiens persécutés auxquels s’adresse l’Apocalypse, le mot « dragon » n’est pas trop fort. Et la description impressionnante dit la violence à laquelle ils sont affrontés : le dragon est « énorme... rouge-feu, avec sept têtes et dix cornes, et sur chaque tête un diadème » : la tête et les cornes disent l’intelligence et la force, le diadème désigne le pouvoir impérial, c’est dire sa réelle capacité de nuire. Et d’ailleurs, il parvient à balayer « le tiers des étoiles du ciel, et à les précipiter sur la terre. » Mais ce n’est que le tiers des étoiles, justement, ce n’est donc qu’un semblant de victoire et la suite du texte va nous dire que ce pouvoir du mal n’est que provisoire.

Voici l’enfant maintenant : « La femme mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations,       les conduisant avec un sceptre de fer. » Pour les lecteurs de Jean, il désigne évidemment le Messie ; car Jean fait allusion ici à une phrase du psaume 2 qui concernait le Messie : « Le SEI­GNEUR m’a dit : Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. Demande-moi, et je te donne les nations en héritage, en propriété les extrémités de la terre. Tu les écraseras avec un sceptre de fer. » (Ps 2,7-9). Le terme de berger était également classique pour parler du Messie.

L’image suivante est celle de l’enlèvement de l’enfant « auprès de Dieu et de son trône » : elle symbolise la Résurrection du Christ ; là encore, c’était très clair pour les premiers Chrétiens habitués à parler de lui comme le « Premier-Né » désormais assis à la droite de Dieu ; mais son peuple, lui, demeure dans le monde. Un monde difficile, mais où ils sont assurés de la protection de Dieu, c’est le sens du désert qui est encore un rappel de l’Exode au cours duquel Dieu n’a cessé de prendre soin de son peuple. Que les croyants se rassurent donc, si le dragon a échoué dans le ciel, il ne peut réussir sur la terre.

 Aux premiers Chrétiens enfantant l’humanité nouvelle dans la douleur de la persécution, l’Apocalypse vient donc annoncer la victoire : « Maintenant (c’est-à-dire depuis la Résurrection du Messie), voici le salut, la puissance et la royauté de notre Dieu, et le pouvoir de son Christ ! »

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PSAUME  44 (45),11-16

 

11        Écoute, ma fille, regarde et tends l'oreille ;          
            oublie ton peuple et la maison de ton père :
12        le roi sera séduit par ta beauté.          

            Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
13        Alors, les plus riches du peuple,   
            chargés de présents, quêteront ton sourire.

14        Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,      
            vêtue d'étoffes d'or ;
15        on la conduit, toute parée, vers le roi.

            Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
16        on les conduit parmi les chants de fête :  
            elles entrent au palais du roi.
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UN MARIAGE ROYAL, SYMBOLE DE L’ALLIANCE

Nous assistons à la cérémonie de mariage du roi de Jérusalem avec une jeune princesse étrangère : « Fille de roi, elle est là, dans sa gloire, vêtue d'étoffes d'or ; on la conduit, toute parée, vers le roi. » Le roi d’Israël s’unit à une princesse étrangère pour sceller l’alliance entre deux peuples. Et, bien sûr, en Israël comme ailleurs, c’était un cas de figure classique. Tout au long de l’histoire des hommes, on a pu voir des alliances entre États scellées par des mariages.

Mais, la religion d’Israël étant l’Alliance exclusive avec le Dieu unique, toute jeune fille étrangère devenant reine de Jérusalem devait accepter une contrainte particulière, celle d’épouser également la religion du roi. Concrètement, dans ce psaume, la princesse qui vient de Tyr, nous dit-on, et est introduite à la cour du roi d’Israël, devra renoncer à ses pratiques idolâtriques pour être digne de son nouveau peuple et de son roi : « Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ; oublie ton peuple et la maison de ton père. » On sait bien, par exemple, que ce fut un problème crucial à l’époque du roi Salomon qui avait épousé des étrangères, donc des païennes ; puis plus tard, au temps du roi Achab et de la reine Jézabel : on se souvient du grand combat engagé par le prophète Élie contre les nombreux prêtres et prophètes de Baal que la reine Jézabel avait amenés avec elle à la cour de Samarie.

Bien sûr, pour qui sait lire entre les lignes, ces conseils donnés à la princesse de Tyr s’adressent en réalité à Israël ; l’époux royal décrit dans ce psaume n’est autre que Dieu lui-même et cette « fille de roi, conduite toute parée vers son époux », c’est le peuple d’Israël admis dans l’intimité de son Dieu.

Une fois de plus, on est impressionné de l’audace des auteurs de l’Ancien Testament pour décrire la relation entre Dieu et son peuple, et, à travers lui, toute l’humanité. C’est le prophète Osée qui, le premier, a comparé le peuple d’Israël à une épouse : « Je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur... Elle répondra comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle monta du pays d’Égypte. Et il adviendra en ces jours-là - oracle du SEI­GNEUR - que tu m’appelleras mon mari. » (Os 2,16... 18). À sa suite Jérémie, Ézéchiel, le deuxième et le troisième Isaïe ont développé ce thème des noces entre Dieu et son peuple ; et on retrouve chez eux tout le vocabulaire des fiançailles et des noces : les noms tendres, la robe nuptiale, la couronne de mariée, la fidélité ; par exemple « Ainsi parle le SEI­GNEUR : je te rappelle ton attachement du temps de ta jeunesse, ton amour de jeune mariée ; tu me suivais au désert. » (Jr 2,2). « De l’enthousiasme du fiancé pour sa promise, ton Dieu sera enthousiasmé pour toi. » (Is 62,5).

Quant au Cantique des Cantiques, long dialogue amoureux, composé de sept poèmes, nulle part il n’identifie les deux amoureux qui s’y expriment ; mais les Juifs l’ont toujours lu comme le dialogue entre Dieu et son peuple ; la preuve, c’est qu’ils le lisent tout spécialement pendant la célébration de la Pâque, la grande fête de l’Alliance de Dieu avec Israël. Pour être précis, ils le lisent au cours du sabbat qui a lieu pendant la semaine de la célébration de leur Pâque qui dure une semaine.

 

MON AMOUR LOIN DE TOI JAMAIS NE S’ÉCARTERA, DIT DIEU

Malheureusement, cette épouse, trop humaine, fut souvent infidèle, traduisez idolâtre, et ces mêmes prophètes traiteront d’adultères les infidélités du peuple, c’est-à-dire ses retombées dans l’idolâtrie. Le vocabulaire alors parle de jalousie, adultère, et aussi de retrouvailles et de pardon, car Dieu est toujours fidèle. Isaïe, par exemple, parle des errements d’Israël en termes de déception amoureuse. C’est le fameux chant de la vigne : « Je chanterai pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne. Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais... La vigne du SEI­GNEUR, c’est la maison d’Israël, le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda. Il en attendait le droit, et voici l’iniquité... » (Is 5, 1... 7). Et le prophète Osée, visant les cultes idolâtriques, traite Israël de prostituée.

Mais sans cesse, Dieu promet la réconciliation : « Ne crains pas car tu n’éprouveras plus de honte... Quand les montagnes feraient un écart et que les collines seraient branlantes, mon amour loin de toi jamais ne s’écartera et mon alliance de paix jamais ne s’ébranlera, dit celui qui te manifeste sa tendresse, le SEI­GNEUR. » (Is 54,4... 10).

On peut se demander pourquoi l’idolâtrie tient tant de place dans les discours des prophètes ? Parce qu’il ne s’agit pas de noces humaines, justement, et que l’enjeu est très grave : comme toujours, Israël sait bien que son élection n’est pas exclusive ; ce n’est que par sa fidélité à Dieu que le peuple élu pourra remplir sa vocation de témoin pour toutes les nations. Car, en définitive, la Bible ose penser que c’est l’humanité tout entière que Dieu a demandée en mariage. Mais comment l’humanité le saura-t-elle si personne ne le lui dit ?

Lorsque l’Église chrétienne célèbre l’Assomption de Marie, et son introduction dans la gloire de Dieu, elle entrevoit déjà par avance l’entrée de l’humanité tout entière, à sa suite dans l’intimité de son Dieu.

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS 15,20-27a

 

       Frères,
20   le Christ est ressuscité d’entre les morts,
       lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis.
21   Car, la mort étant venue par un homme,
       c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts.
22   En effet, de même que tous les hommes
       meurent en Adam,
       de même c’est dans le Christ
       que tous recevront la vie,
23   mais chacun à son rang :
       en premier, le Christ,
       et ensuite, lors du retour du Christ,
       ceux qui lui appartiennent.
24   Alors, tout sera achevé,
       quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père,
       après avoir anéanti, parmi les êtres célestes,
       toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance.
25   Car c’est lui qui doit régner
       jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis.
26   Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort,
27   car il a tout mis sous ses pieds.   
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HEUREUX CEUX QUI ONT CRU SANS AVOIR VU

Le jour où nous célébrons l’Assomption de la Vierge, la liturgie nous propose une méditation de Paul sur la résurrection du Christ opposée à la mort d’Adam. Nous avons donc là une piste de réflexion : qu’ont-ils de commun, le Christ et Marie ? Et que n’a pas Adam ?

Justement, l’évangile de la Visitation (que nous lisons également pour cette fête de l’Assomption) nous fait contempler en Marie la croyante : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur », lui dit Élisabeth. Elle a cru, c’est-à-dire elle a accepté d’entrer dans le projet de Dieu sur elle, sans tout comprendre. Et pourtant, plus d’une fois, « un glaive a transpercé son âme », comme le lui avait prédit Syméon (Lc 2,35). Ce qui résume le mieux son attitude, c’est peut-être sa phrase : « Je suis la servante du Seigneur ». Elle accepte tout simplement de mettre sa vie au service de l’œuvre de Dieu.

Depuis toujours, dans la Bible, on avait compris que c’est la seule chose qui nous soit demandée, être prêt à dire « me voici ». Abraham, Moïse, Samuel sollicités par Dieu avaient su répondre ainsi. Et grâce à eux, l’œuvre de Dieu a pu chaque fois franchir une étape.

Le Christ, à son tour, refait cet itinéraire du croyant et le Nouveau Testament ne cesse de nous le donner en exemple. Et s’il nous enseigne à dire, dans le Notre Père « Que ta volonté soit faite », c’est bien parce que c’est son principal souci. Et quand l’auteur de la lettre aux Hébreux résume toute la vie de Jésus, il écrit : « En entrant dans le monde (c’est-à-dire dès son entrée dans le monde), le Christ dit : voici je suis venu pour faire ta volonté. » (He 10, 5... 10). Si, de tout temps et quoi qu’il arrive, Jésus se soumet à la volonté de son père, c’est parce qu’il fait confiance. De lui aussi, on pourrait dire « heureux celui qui a cru... ». Sa résurrection vient prouver que le chemin qu’il a choisi, celui de la foi, était bien le chemin de la vie, même si la mort corporelle en a fait partie.

 

LE COMPORTEMENT D’ADAM ET LE COMPORTEMENT DU CHRIST

Paul oppose ce comportement du Christ à celui d’Adam : Adam est celui à qui tout est proposé, l’arbre de vie, comme aussi la maîtrise sur la Création ; mais il se méfie, il ne croit pas à la bienveillance de Dieu. Il refuse de se soumettre au moindre commandement. Le propos de Paul n’est pas de nous dire ce qui se serait passé si un certain Adam n’avait pas péché ; son propos c’est de nous rappeler qu’il n’y a qu’un seul chemin qui mène à la vie, c’est-à-dire à l’entrée dans la joie de Dieu. À partir du jour où Adam se met à douter de Dieu, il tourne le dos à l’arbre de vie : et c’est bien au présent qu’il faut parler ; car, pour Paul, Adam n’est pas un homme du passé, il est un type d’homme ; comme disent les rabbins, « Chacun est Adam pour soi ».

On comprend mieux du coup la phrase de Paul : « C’est en Adam que meurent tous les hommes » ; c’est en nous comportant comme Adam que nous nous éloignons de Dieu et nous coupons de la vie véritable qu’il veut nous donner en abondance. À l’inverse, choisir comme le Christ le chemin de la confiance, quoi qu’il arrive, c’est faire un pas sur le chemin de la vraie vie ; comme dit Jésus dans l’évangile de Jean : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »(Jn 17, 3). Or connaître, en langage biblique, c’est croire, aimer, faire confiance. Comme le dit Paul, « c’est dans le Christ que tous revivront », c’est-à-dire en nous greffant sur lui, en adoptant le même comportement que lui.

Peut-être le mystère de l’Assomption de Marie peut-il nous aider à entrevoir un peu le projet de Dieu quand l’homme ne l’entrave pas. Marie est pleinement humaine, mais elle n’a jamais agi à la manière d’Adam ; elle connaît le destin que tout homme aurait dû connaître s’il n’y avait pas eu la chute ; or elle a connu, comme tout homme, toute femme, le vieillissement ; et un jour, elle a quitté la vie terrestre, elle a quitté ce monde, tel que nous le connaissons ; elle s’est endormie pour entrer dans un autre mode de vie auprès de Dieu. On parle de la « dormition » de la Vierge.

On peut donc affirmer deux choses : Premièrement, notre corps n’a jamais été programmé pour durer tel quel éternellement sur cette terre, et nous pouvons en avoir une idée en regardant Marie ; elle, la toute pure, pleine de grâce, s’est endormie. Deuxièmement, Adam a contrecarré le projet de Dieu et la transformation corporelle que nous aurions dû connaître, la « dormition » est devenue mort, avec son cortège de souffrance et de laideur. La mort, telle que nous la connaissons, si douloureusement, est entrée dans le monde par le fait de l’humanité elle-même.

Mais là où nous avons introduit les forces de mort, Dieu peut redonner la vie ; Jésus a été tué par la haine des hommes, mais Dieu l’a ressuscité ; lui, le premier ressuscité, il nous fait entrer dans la vraie vie, celle où règne l’amour.        
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC  1,39-56

 

1,39     En ces jours-là,
       Marie se mit en route et se rendit avec empressement
       vers la région montagneuse, dans une ville de Judée.
40   Elle entra dans la maison de Zacharie
       et salua Élisabeth.
41   Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie,
       l’enfant tressaillit en elle.
       Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint,
42   et s’écria d’une voix forte :
       « Tu es bénie entre toutes les femmes,
       et le fruit de tes entrailles est béni.
43   D’où m’est-il donné
       que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
44   Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles,
       l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.
45   Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles
       qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
46   Marie dit alors :
       « Mon âme exalte le Seigneur,
47   exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
48   Il s’est penché sur son humble servante ;
       désormais tous les âges me diront bienheureuse.
49   Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
       Saint est son nom !
50   Sa miséricorde s’étend d’âge en âge
       sur ceux qui le craignent.
51   Déployant la force de son bras,
       il disperse les superbes.
52   Il renverse les puissants de leurs trônes,
       il élève les humbles.
53   Il comble de biens les affamés,
       renvoie les riches les mains vides.
54   Il relève Israël son serviteur,
       il se souvient de son amour,
55   de la promesse faite à nos pères,
       en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »
56   Marie resta avec Élisabeth environ trois mois,
       puis elle s’en retourna chez elle.
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HEUREUSE CELLE QUI A CRU

« Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » Cette phrase d’Élisabeth nous renvoie à un épisode de l’Ancien Testament : l’arrivée de l’arche d’Alliance à Jérusalem (2 S 6,2-11) ; lorsque David se fut installé comme roi à Jérusalem, lorsqu’il eut un palais digne du roi d’Israël, il envisagea de faire monter l’Arche d’Alliance dans cette nouvelle capitale. Mais il était partagé entre la ferveur et la crainte ; il y eut donc une première étape dans la ferveur et la joie : « David réunit toute l’élite d’Israël, trente mille hommes. David se mit en route et partit, lui et tout le peuple qui était avec lui... pour faire monter l’arche de Dieu sur laquelle a été prononcé un nom, le Nom du SEIGNEUR le tout-puissant, siégeant sur les chérubins. On chargea l’arche de Dieu sur un chariot neuf... David et toute la maison d’Israël s’ébattaient devant le SEIGNEUR au son de tous les instruments, des cithares, des harpes, des tambourins, des sistres et des cymbales... ». Mais là se produisit un incident qui rappela à David qu’on ne met pas impunément la main sur Dieu : un homme qui avait mis la main sur l’arche sans y être habilité mourut aussitôt.

Alors, chez David la crainte l’emporta et il dit « comment l’Arche du SEIGNEUR pourrait-elle venir chez moi ? » Du coup le voyage s’arrêta là : David crut plus prudent de renoncer à son projet et remisa l’Arche dans la maison d’un certain Oved-Édom où elle resta trois mois, apportant le bonheur à cette maison. Voilà David rassuré. « On vint dire au roi David : le SEIGNEUR a béni la maison de Oved-Édom et tout ce qui lui appartient à cause de l’arche de Dieu. David partit alors et fit monter l’arche de Dieu de la maison d’Oved-Édom à la Cité de David dans la joie... David tournoyait de toutes ses forces devant le SEIGNEUR... David et toute la maison d’Israël faisaient monter l’arche du SEIGNEUR parmi les ovations et au son du cor. »

On peut penser que Luc a été heureux d’accumuler dans le récit de la Visitation les détails qui rappellent ce récit de la montée de l’arche à Jérusalem : les deux  voyages, celui de l’Arche, celui de Marie se déroulent dans la même région, les collines de Judée ; l’Arche entre dans la maison d’Oved-Édom et elle y apporte le bonheur (2 S 6,12), Marie entre dans la maison de Zacharie et Élisabeth et y apporte le bonheur ; l’Arche reste 3 mois dans cette maison d’Oved-Édom, Marie restera 3 mois chez Élisabeth ; enfin David dansait  devant l’Arche (le texte nous dit qu’il « sautait et tournoyait ») (2 S 6,16), et Luc note que Jean-Baptiste « bondit de joie » devant Marie qui porte l’enfant.

LE MIRACLE DE L’INCARNATION

Tout ceci n’est pas fortuit, évidemment. Luc nous donne de contempler en Marie la nouvelle Arche d’Alliance. Or l’Arche d’Alliance était le signe de la Présence de Dieu. Marie porte donc en elle mystérieusement cette Présence de Dieu ; désormais Dieu habite notre humanité : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » Tout ceci grâce à la foi de Marie : Élisabeth lui dit « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »

En guise de réponse aux paroles d’Élisabeth, Marie entonne le Magnificat ; une chose assez surprenante à propos du Magnificat : dans nos Bibles à cette page de saint Luc, on trouve dans la marge des quantités de références à d’autres textes bibliques ; et l’on peut reconnaître des bribes de plusieurs psaumes dans presque toutes les phrases du Magnificat. Ce qui veut dire que Marie n’a pas inventé les mots de sa prière. Pour exprimer son émerveillement devant l’action de Dieu, elle a tout simplement repris des phrases prononcées par ses ancêtres dans la foi.

Il y a là, déjà, une double leçon : d’humilité d’abord. Spontanément, pourtant mise devant une situation d’exception, Marie reprend tout simplement les expressions de la prière de son peuple. De sens communautaire ensuite : on dirait aujourd’hui de sens de l’Église. Car aucune des citations bibliques reprises dans le Magnificat n’a un caractère individualiste ; elles concernent toujours le peuple tout entier. C’est l’une des grandes caractéristiques de la prière juive et maintenant de la prière chrétienne : le croyant n’oublie jamais qu’il fait partie d’un peuple et que toute vocation, loin de le mettre à l’écart, le met au service de ce peuple.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 08 15 Assomption de la Vierge Marie A

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2 août 2020 7 02 /08 /août /2020 21:35

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

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Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 8 août 2020).

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LECTURE DU PREMIER LIVRE DES ROIS  19, 9a.11-13a

 

       En ces jours-là, lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb,
       la montagne de Dieu,
9     il entra dans une caverne et y passa la nuit.
11   Le SEIGNEUR lui dit :
       « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le SEIGNEUR,     
       car il va passer. »
       À l’approche du SEIGNEUR,  
       il y eut un ouragan, si fort et si violent  
       qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers,         
       mais le SEIGNEUR n’était pas dans l’ouragan ;          
       et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre,     
       mais le SEIGNEUR n’était pas dans le tremblement de terre ;
12   et après ce tremblement de terre, un feu,          
       mais le SEIGNEUR n’était pas dans ce feu,    
       et, après ce feu, le murmure d’une brise légère.
13   Aussitôt qu’il l’entendit,
       Élie se couvrit le visage avec son manteau,       
       il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.
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          Ce récit est celui de la grande découverte d’Élie, le jour où il a compris qu’il s’était lourdement trompé sur Dieu. Je m’explique : Tout avait commencé par l’idolâtrie de la reine Jézabel : nous sommes à Samarie (capitale du royaume du Nord) au 9e siècle av. J.-C. Le roi Achab (qui a régné à Samarie de 875 à 853) avait épousé une princesse païenne, Jézabel, fille du roi de Sidon. Celle-ci, comme tout son peuple, pratiquait le culte des Baals : en entrant à la cour de Samarie, elle aurait dû abandonner sa religion, car le roi d’Israël se devait de proscrire de son royaume toute idolâtrie ; car l’Alliance avec le Dieu UN, était exclusive de toute autre ; c’était le sens du tout premier commandement donné par Dieu au Sinaï :  « Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi. » (Ex 20,2).

          Mais, bien au contraire, Jézabel avait introduit à la cour de Samarie de nombreux prêtres de Baal : quatre cents prêtres de ce culte idolâtre paradaient au palais et prétendaient désormais que Baal est le vrai Dieu de la fertilité, de la pluie, de la foudre et du vent. Quant au roi Achab, trop faible, il laissait faire ! C’était la honte pour le prophète et les fidèles du Seigneur.

         Alors Élie s’était dressé pour défendre l’honneur de son Dieu, face à la paganisation croissante. Dressé avec tant de vigueur que le livre de Ben Sirac a pu dire de lui : « Alors se leva le prophète Élie, brûlant comme une torche. » (Si 48,1-11). Il s’était fait le champion de l’Alliance : d’emblée, il s’était situé comme le représentant du Dieu d’Israël combien plus puissant que Baal. Inexorablement, les relations entre le prophète et la reine étaient devenues un concours de puissance entre le Dieu d’Israël et le Baal de Jézabel : « Mon Dieu à moi est le plus fort » était leur refrain commun.

         Élie s’était placé sur le terrain même de l’idole des Cananéens : d’après lui, seul, le Dieu d’Israël pouvait annoncer la sécheresse et la famine. Qui donc a le pouvoir de donner ou de retenir la pluie ? On va voir ce qu’on va voir. On connaît la suite : une longue période de sécheresse annoncée par Élie jusqu’au jour où Dieu lui demanda de prévenir le roi qu’il allait envoyer la pluie. Or Élie fit du zèle, pourrait-on dire, ce jour-là : au lieu de se contenter de faire ce que Dieu lui avait demandé, c’est-à-dire de porter au roi la bonne nouvelle, il décida d’en profiter pour faire un grand coup d’éclat en l’honneur de son Dieu. Pour que l’on sache bien que le Dieu d’Israël seul maîtrise les éléments, il organisa une sorte de joute entre les prophètes de Baal d’un côté et lui tout seul de l’autre.

         C’est le fameux épisode du sacrifice du mont Carmel : on construisit deux autels, un pour Baal, l’autre pour le Dieu d’Israël. Sur chacun des deux autels, on prépara un taureau pour le sacrifice. Et l’on convint que le dieu qui répondrait aux prières par le feu du ciel serait bien évidemment le vrai Dieu.

         Alors les prêtres de Baal se mirent en prière les premiers. Mais ils eurent beau implorer toute une journée leur dieu d’envoyer son feu sur leur bûcher, il ne se passa rien. Élie ne leur épargna pas les moqueries et les conseils de crier plus fort, mais rien n’y fit.

         Le soir venu, Élie se mit à prier à son tour et Dieu, aussitôt, s’embrasa le bûcher et le sacrifice préparé par son prophète. Celui-ci avait donc gagné la première manche devant le peuple d’Israël tout entier, médusé ; et sur sa lancée, Élie avait massacré tous les prêtres de Baal ; cela, Dieu ne le lui avait pas demandé !

         La reine Jézabel n’était pas présente à l’événement, mais lorsque le roi lui raconta l’histoire, elle entra dans une grande fureur et jura de tuer Élie. Il s’enfuit donc, descendit dans le royaume du Sud, puis dans le désert du Sinaï. Dans sa fuite, il en arrivait à désirer la mort : « Je n’en peux plus ! Maintenant, SEIGNEUR, prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères. » (1 R 19,4).

         Cette phrase « je ne vaux pas mieux que mes pères » était le début de sa conversion : il était en train de prendre conscience qu’il s’était trompé de Dieu et qu’il n’avait pas hésité à utiliser le violence pour des motifs religieux…que, lui aussi, comme ses pères avait exigé que Dieu opère des prodiges. Il lui restait à découvrir que la puissance de Dieu est faite de douceur, celle qui « ne crie pas, n’élève pas le ton, ne fait pas entendre dans la rue sa clameur, ne brise pas le roseau ployé, n’éteint pas la mèche qui s’étiole... » comme dit le prophète Isaïe (Is 42,2-3). Au bout d’une marche de quarante jours et quarante nuits, au mont Horeb (autre nom du mont Sinaï), Dieu l’attendait 1 : il aura fallu tout ce long chemin à Élie pour s’apercevoir qu’il n’avait pas choisi le bon terrain et que peut-être lui-même se trompait de Dieu : comme ses adversaires, il imaginait un Dieu de puissance.

         Mais Dieu ne l’a pas abandonné pour autant, au contraire, il l’a accompagné dans sa longue marche et, peu à peu l’a converti jusqu’à se révéler à lui dans la vision émouvante du mont Horeb (1 R 19,12) ; dernière préparation à la rencontre, la question du Seigneur à Élie réfugié dans une caverne : « Pourquoi es-tu ici, Élie ? » Élie répondit : « Je suis passionné pour le SEIGNEUR, le Dieu des puissances ; les fils d’Israël ont abandonné ton alliance, ils ont démoli tes autels et tué tes prophètes par l’épée ; je suis resté moi seul et l’on cherche à m’enlever la vie. »

         Puis vient cette étonnante manifestation de Dieu : il n’est ni dans l’ouragan, ni dans le feu ni dans le tremblement de terre, mais dans le murmure d’une brise légère. Et encore, notre traduction est-elle trop forte si j’ose dire. En hébreu, c’est, littéralement « le son d’un silence en poussière » : un silence, c’est l’absence de son, précisément ! Et que dire d’une poussière de silence ? C’est dire que nous sommes en présence d’un Dieu de douceur, bien loin du vacarme auquel Élie s’attendait peut-être. Mais non, Dieu n’est ni dans l’ouragan, ni dans le feu ni dans le tremblement de terre, mais dans le son du silence.

         On est bien loin de la démonstration de puissance qui avait accompagné une autre manifestation de Dieu, quelques siècles plus tôt, sur cette même montagne (Ex 19) 2. Au temps de Moïse, le peuple n’était pas encore prêt à mettre sa confiance en un Dieu qui n’aurait pas déployé les forces des éléments déchaînés. À l’époque d’Élie, l’heure est venue pour une nouvelle étape de la Révélation.

         C’est l’honneur et la gloire du peuple élu d’avoir livré au monde cette révélation dont ils ont été les premiers bénéficiaires, avec Élie. C’est dire aussi à quelle douceur nous devons tendre si nous voulons être à l’image de notre Père du ciel !

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Notes

1 – D’après notre traduction liturgique « Élie entra dans une caverne et y passa la nuit ». Mais le texte hébreu précise : « Il arriva là, à la caverne et y passa la nuit ». Il s’agit d’une certaine caverne déjà connue, celle où Moïse, bien avant lui, avait eu la révélation du « SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté. » (Ex 34,6).

2 – « Il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d’un cor très puissant… Le mont Sinaï n’était que fumée, parce que le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d’une fournaise et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s’amplifia : Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre. » (Ex 19,16… 19).

Complément

On ne peut pas ignorer qu’Élie n’est pas devenu un doux pour autant ! Il suffit de relire le premier chapitre du deuxième livre des Rois. Même un très grand prophète ne se convertit pas en un jour !

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PSAUME  84 ( 85 ), 9-10, 11-12, 13-14

 

9     J’écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ?        
       Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
10   Son salut est proche de ceux qui le craignent,  
       et la gloire habitera notre terre.

11   Amour et vérité se rencontrent, 
       justice et paix s’embrassent ;
12   la vérité germera de la terre       
       et du ciel se penchera la justice.

13   Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits, 
       et notre terre donnera son fruit.
14   La justice marchera devant lui,  
       et ses pas traceront le chemin.
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              Le psaume 84 (85) a été écrit après le retour d’Exil du peuple d’Israël : ce retour tant attendu, tant espéré. Ce devait être un merveilleux recommencement : c’était le retour au pays, d’abord, mais aussi le début d’une nouvelle vie... Dieu effaçait le passé, on repartait à neuf... La réalité est moins rose. D’abord, on a beau prendre de « bonnes résolutions », rêver de repartir à zéro (nous en savons tous quelque chose !), on se retrouve toujours à peu près pareils... et c’est très décevant. Les manquements à la Loi, les infidélités à l’Alliance ont recommencé, inévitablement.

              Ensuite, il faut dire que l’Exil à Babylone a duré, à peu de chose près, cinquante ans (de 587 à 538 av. J.-C.) ; ce sont des hommes et des femmes valides, d’âge mûr pour la plupart, qui ont été déportés et qui ont survécu à la marche forcée à travers le désert qui sépare Israël de Babylone... Cela veut dire que cinquante ans après, au moment du retour, beaucoup d’entre eux sont morts ; ceux qui rentrent au pays sont, soit des jeunes partis en 587, mais dont la mémoire du pays est lointaine, évidemment, ou bien des jeunes nés pendant l’Exil. C’est donc une nouvelle génération, pour une bonne part, qui prend le chemin du retour. Cela ne veut pas dire qu’ils ne seraient ni très fervents, ni très croyants, ni très catéchisés... Leurs parents ont eu à cœur de leur transmettre la foi des ancêtres ; ils sont impatients de rentrer au pays tant aimé de leurs parents, ils sont impatients de reconstruire le Temple et de recommencer une nouvelle vie. Mais au pays, justement, ils sont, pour la plupart des inconnus, et, évidemment, ils ne reçoivent pas l’accueil dont ils avaient rêvé ; par exemple, on sait que la reconstruction du Temple s’est heurtée sur place à de farouches oppositions.

              Dans le début de notre psaume d’aujourd’hui, on ressent bien ce mélange de sentiments ; voici des versets qui ne font pas partie de la liturgie de ce dimanche, mais qui expliquent bien le contexte : le retour d’Exil est une chose acquise : « Tu as aimé, Seigneur, cette terre, tu as fait revenir les déportés de Jacob ; tu as ôté le péché de ton peuple, tu as couvert toute sa faute ; tu as mis fin à toutes tes colères, tu es revenu de ta grande fureur. » (v.2-4). Mais, pour autant, puisque les choses vont mal encore, on se demande si Dieu ne serait pas encore en colère : « Seras-tu toujours irrité contre nous, maintiendras-tu ta colère d’âge en âge ? » (v.6). Alors on supplie : « Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, que nous soit donné ton salut. » (v.8).

              Et on demande la grâce de la conversion définitive : « Fais-nous revenir, Dieu notre salut » (v.5) ; toute la première partie du psaume joue sur le verbe « revenir » : « revenir » au sens de rentrer au pays après l’exil, c’est chose faite ; « revenir » au sens de « revenir à Dieu », « se convertir »; c’est plus difficile encore ! Et on sait bien que la force, l’élan de la conversion est une grâce, un don de Dieu. Une conversion qui exige un engagement du croyant : « J’écoute... que dira le Seigneur Dieu ? » « Écouter », en langage biblique, c’est précisément l’attitude résolue du croyant, tourné vers son Dieu, prêt à obéir aux commandements, parce qu’il y reconnaît le seul chemin de bonheur tracé pour lui par son Dieu. « Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles »  ; mais le compositeur de ce psaume est réaliste ! Il ajoute « Qu’ils (les fidèles) ne reviennent jamais à leur folie ! » (9c).

         La fin de ce psaume est un chant de confiance superbe, en quelque sorte « le chant de la confiance revenue », la certitude que le projet de Dieu, le projet de paix pour tous les peuples avance irrésistiblement vers son accomplissement. « La gloire (c’est-à-dire le rayonnement de la Présence de Dieu) habitera notre terre (10)... La justice marchera devant lui et ses pas traceront le chemin. (14)... Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent (11). Le psalmiste, ici, est-il bien réaliste ? Il parle comme si l’harmonie régnait déjà sur la terre ; pourtant, il n’est pas dupe, il n’est pas dans le rêve ! Il anticipe seulement ! Il entrevoit le Jour qui vient, celui où, après tant de combats et de douleurs inutiles, et de haines imbéciles, enfin, les hommes seront frères !

         Pour les chrétiens, ce Jour est là, il s’est levé lorsque Jésus-Christ s’est relevé d’entre les morts, et, à leur tour, les chrétiens ont chanté ce psaume, et pour eux, désormais, à la lumière du Christ, il a trouvé tout son  sens. Le psaume disait : « Son salut est proche de ceux qui l’aiment » (10) et justement le nom de Jésus veut dire « Dieu-salut » ou « Dieu sauve » ; le psaume disait : « La vérité germera de la terre » ; Jésus lui-même a dit « Je suis la Vérité » et le mot « germe », ne l’oublions pas, était l’un des noms du Messie dans l’Ancien Testament ; le psaume disait « La gloire habitera notre terre », et saint Jean, dans son Évangile dit « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire qu’il tient du Père » (Jn 1,14) ; le psaume disait : « J’écoute, que dira le Seigneur Dieu ? » ; Jean appelle Jésus la Parole, le Verbe de Dieu ; le psaume disait : « Ce que Dieu dit, c’est la paix pour son peuple » ; lors de ses rencontres avec ses disciples, après sa Résurrection, la première phrase de Jésus pour eux sera « La paix soit avec vous » ; décidément, toute la Bible nous le dit, la paix, cette conquête apparemment impossible pour l’humanité, est pourtant notre avenir, à condition de ne pas oublier qu’elle est don de Dieu.

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Complément

Lorsque nous accomplissons à la Messe le geste de paix, nous proclamons qu’elle est l’œuvre de Jésus-Christ et nous nous engageons à y collaborer.

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LECTURE  DE LA LETTRE DE SAINT PAUL, APÔTRE AUX ROMAINS  9, 1-5

 

     Frères,
1   dans le Christ,       
     c’est la vérité, je ne mens pas,      
     et ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint :
2   J’ai dans le cœur une grande tristesse,     
     une douleur incessante.
3   Pour les Juifs, mes frères de race,
     je souhaiterais même être maudit, séparé du Christ :
4   ils sont en effet les fils d’Israël,   
     ayant pour eux l’adoption, la gloire, les alliances,           
     la Loi, le culte, les promesses de Dieu ;
5   ils ont les patriarches,       
     et c’est de leur race que le Christ est né, 
     lui qui est au-dessus de tout,        
     Dieu béni éternellement. Amen.
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         Les huit premiers chapitres de la lettre aux Romains ont décrit, pas à pas, la démarche de la grâce, le déroulement du dessein d’amour de Dieu, depuis Adam et Abraham, jusqu’au Christ ressuscité des morts qui donne l’Esprit. Devant tout cela, Paul a dit son émerveillement, mais une grave question le préoccupe douloureusement : qu’en est-il désormais de la destinée du peuple juif ?

         Nous savons ce qui est lui arrivé à lui, Saül, ce juif fidèle à l’extrême, lorsque, sur la route de Damas, il a vu s’écrouler toutes ses certitudes... Il a compris, ce jour-là, que croire au Christ n’est pas un reniement de sa foi juive, bien au contraire, puisque Jésus accomplit en sa personne, par sa vie, sa mort et sa résurrection, le projet de Dieu annoncé dans les Écritures. Désormais ce sera l’essentiel de sa prédication : « Je vous rappelle, écrit-il aux chrétiens de Corinthe, l’Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés et par lequel vous serez sauvés... Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’ai reçu moi-même : Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures (selon les promesses de Dieu contenues dans les Écritures). Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures. Il est apparu à Céphas et aux douze... En tout  dernier lieu il m’est aussi apparu, à moi, l’avorton. Ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu » (1 Co, 15,1... 9).

         Et lorsqu’il aura à répondre au tribunal de son activité d’apôtre, après son arrestation par les autorités juives à Jérusalem, Paul déclarera : « Fort de la protection de Dieu, je continue à rendre témoignage devant petits et grands : les prophètes et Moïse ont prédit ce qui devait arriver, et je ne dis rien de plus . » (Ac 26,22).

         Mais ses frères juifs, dans leur grande majorité, non seulement ne l’ont pas suivi, mais, pour beaucoup d’entre eux sont devenus ses pires persécuteurs. À la date à laquelle Paul rédige sa lettre aux Romains, on n’en est pas encore à la séparation officielle entre juifs et chrétiens, quand ceux-ci seront chassés des synagogues et qualifiés d’apostats dans la prière juive ; mais Paul souffre profondément de l’hostilité qu’il rencontre dans toutes les communautés juives où il tente d’annoncer la Bonne Nouvelle. Alors, il se pose la question : que devient la partie du peuple élu qui ne reconnaît pas Jésus comme le Messie ? Est-elle exclue de l’Alliance ? Si c’était le cas, cela voudrait dire que l’Alliance pouvait être rompue… Dieu aurait-il repris sa liberté ? Dieu n’était donc pas tenu par ses promesses ?

         Mais si Dieu n’est pas tenu par ses promesses, les chrétiens non plus ne peuvent pas compter sur la fidélité de Dieu ?           

          La réponse à cette question, Paul va la chercher logiquement dans l’Écriture et dans l’histoire d’Israël ; il énumère tous les privilèges du peuple choisi par Dieu, et qui sont les piliers de la foi d’Israël : « Ils ont pour eux l’adoption, la gloire, les alliances, la Loi, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né. »

         Pour Paul, juif imprégné des Écritures, cette liste à elle seule évoque toute l’histoire du peuple choisi : on peut essayer d’imaginer à quels passages de l’Écriture Paul faisait référence.

         Je reprends un à un chacun de ces éléments. En ce qui concerne l’adoption, Dieu lui-même avait recommandé à Moïse : « Tu diras au Pharaon : ainsi parle le SEIGNEUR : Mon fils premier-né, c’est Israël. » (Ex 4,22). Et Osée, méditant la longue aventure de l’Exode, disait en écho : « Quand Israël était jeune, je l’ai aimé et d’Égypte, j’ai appelé mon fils. » (Os 11,1). Paul pensait peut-être également au Deutéronome : « Vous êtes des fils pour le SEIGNEUR votre Dieu » (Dt 14,1).

         La gloire de Dieu, c’est le rayonnement de sa Présence : or Israël a bénéficié de plusieurs manifestations de Dieu. Ce fut le cas dans la grande manifestation (dans l’orage et le feu ; Ex 19) au mont Sinaï que j’ai rappelée à propos de la première lecture. Ce fut le cas également lorsque la Présence de Dieu se manifesta au-dessus de la Tente de la Rencontre qui venait d’être dressée pour abriter l’Arche d’Alliance : « La nuée couvrit la tente de la rencontre et la gloire du SEIGNEUR remplit la demeure. » (Ex 40,34). Dieu gratifia encore Salomon d’une manifestation semblable au moment de la dédicace du Temple qui venait d’être construit (1 R 8,10-11). Et, dans le psaume de ce dimanche, nous avons chanté : « Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. » (Ps 85/84,10).

         Autre privilège dont Israël pouvait être fier, cette Alliance reconduite d’âge en âge : tout avait commencé avec Abraham, puis Isaac, puis Jacob. Et au Sinaï, Dieu avait promis à son peuple : « Vous serez ma part personnelle parmi tous les peuples. » (Ex 19,5). Et c’est bien envers le peuple et non pas seulement envers Moïse qu’il s’était engagé.

         La loi donnée à ce moment-là par Dieu était comprise comme une preuve de sa sollicitude pour son peuple, de sa volonté de le faire grandir dans la paix et la liberté. Au pied du Sinaï, le peuple avait promis « Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique. » (Ex 19, 8). Et si l’on pratiquait si volontiers le culte, c’est parce que toute célébration était vécue comme une rencontre entre Dieu et son peuple pour le renouvellement de cette Alliance. En attendant le jour béni où toutes les promesses de bonheur faites par Dieu seraient enfin accomplies avec la venue du Messie.

         Et voilà que le Messie était venu… et que son peuple, dans sa grande majorité, l’avait méconnu, pire, éliminé. On comprend à quel point la question pouvait être douloureuse pour Paul, lui qui avait eu aussi sa période de refus. Mais c’est dans sa foi, et dans l’Écriture qu’il a trouvé la réponse. La longue énumération que nous venons de faire avec lui dicte la solution.

         Non, il est impossible que Dieu oublie son peuple, lui-même l’a promis : « La femme oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l’enfant de sa chair ? Même si celles-là oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas. » (Is 49,15) ; « Quand les montagnes feraient un écart et que les collines seraient branlantes, mon amitié loin de toi jamais ne s’écartera et mon alliance de paix jamais ne sera branlante, dit celui qui te manifeste sa tendresse, le SEIGNEUR. » (Is 54,10).

         Oui, c’est sûr, d’une manière mystérieuse pour nous, mais de manière certaine, Israël reste aujourd’hui encore, le peuple élu : l’argument décisif, Paul l’a écrit à Timothée, « Dieu reste fidèle car il ne peut se rejeter lui-même. » (2 Tm 2,13).
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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 14, 22-33

 

       Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert,
22   Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque      
       et à le précéder sur l’autre rive,  
       pendant qu’il renverrait les foules.
23   Quand il les eut renvoyées,
       il se rendit dans la montagne, à l’écart, pour prier.       
       Le soir venu, il était là, seul.
24   La barque était déjà à une bonne distance de la terre,  
       elle était battue par les vagues,  
       car le vent était contraire.
25   Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux          
       en marchant sur la mer.
26   En le voyant marcher sur la mer,           
       les disciples furent bouleversés. 
       Ils disaient : « C’est un fantôme »,       
       et la peur leur fit pousser des cris.
27   Mais aussitôt Jésus leur parla :   
       « Confiance ! c’est moi ; n’ayez pas peur ! »
28   Pierre prit alors la parole :          
       « Seigneur, si c’est bien toi,       
       ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau. »
29   Jésus lui dit : « Viens ! »
       Pierre descendit de la barque,    
       et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus.
30   Mais, voyant qu’il y avait du vent, il eut peur ;
       et, comme il commençait à enfoncer, il cria :    
       « Seigneur, sauve-moi! »
31   Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit,
       et lui dit :            
       « Homme de peu de foi,            
       pourquoi as-tu douté ? »
32   Et quand ils furent montés dans la barque,       
       le vent tomba.
33   Alors ceux qui étaient dans la barque    
       se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent :     
       « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
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Ceci se passe tout de suite après la multiplication des pains. Les disciples ont eu tout juste le temps de ramasser les douze corbeilles de ce qui restait, après que toute la foule a été rassasiée. Et Jésus, nous dit Matthieu, les oblige aussitôt à quitter les lieux. On peut se demander pourquoi ; il y a peut-être deux raisons à cela : première raison, l’urgence de la mission. On se souvient d’une phrase rapportée par Marc : c’était après une longue journée à Capharnaüm et de nombreuses guérisons. Pierre et ses compagnons auraient bien retenu Jésus, mais il leur avait répondu : « Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, pour que j’y proclame aussi l’Évangile : car c’est pour cela que je suis sorti. » (Mc 1,39). En d’autres termes, il n’y a pas de temps à perdre.

Il y a plus grave, peut-être. Matthieu, dans l’épisode des tentations (Mt 4,1-11), nous dit bien que Jésus a dû résister à la tentation du succès. Quand le Tentateur lui avait suggéré de changer des pierres en pain pour assouvir sa propre faim, Jésus avait refusé. Ici, il venait de multiplier les pains, pour servir son peuple. Mais la deuxième tentation se profilait peut-être à l’horizon : « Jette-toi du haut du Temple » pour faire un grand coup d’éclat, avait suggéré le Tentateur (Mt 4). Et, là encore, Jésus avait su résister. Mais ici, au bord du lac, après l’impressionnant miracle des pains pour une foule nombreuse, peut-être Jésus a-t-il craint pour lui-même ou pour ses disciples le risque de céder au spectaculaire

Si c’est le cas, on comprend d’autant mieux le désir de Jésus de se ressourcer dans la prière. « Quand il eut renvoyé les foules, nous dit Matthieu, il se rendit dans la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. » Je crois que Jésus était en dialogue permanent avec son Père, mais, peut-être parfois ressentait-il le besoin de silence pour être plus disponible à l’Esprit qui lui soufflait la direction à prendre. 

Regardons ce qui se passe dans la barque, maintenant : « Elle était battue par les vagues,            paraît-il, car le vent était contraire ». Pierre et ses compagnons étaient des habitués du lac de Tibériade, il ne semble pas qu’ils aient été pris de panique devant le gros temps. Les choses ont changé quand ils ont vu quelqu’un s’approcher de la barque en marchant sur les vagues. Cette fois, ils ont eu peur, le prenant pour un fantôme, et ils se sont mis à crier. Alors a retenti cette voix bien connue, inimitable, comme toute voix amie, et elle disait « Confiance ! c’est moi ; n’ayez pas peur ! » Des mots déjà entendus, des mots d’apaisement. Toute peur cessante, Pierre s’est lancé : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau. » Le même, qui avait peur, l’instant d’avant, est prêt à tout, parce qu’il a entendu la voix.

On connaît la suite : Jésus, répondant à l’élan de son disciple, a simplement dit « Viens » ; et Pierre, aussi incroyable que cela puisse paraître, Pierre a su marcher sur l’eau ! Pourquoi a-t-il regardé ailleurs ? Il a vu le vent et a pris peur. Alors, il a commencé à couler. Matthieu ne peut pas mieux décrire la condition de tout disciple : faite d’élans sincères et de fragilités. « L’esprit est ardent mais la chair est faible » disait Jésus (Mt 26,41). Pourtant, si Jésus a dit « Viens ! », c’est parce que cela était possible, avec son aide, bien sûr. Mais il ne fallait pas regarder ailleurs et s’inquiéter de la puissance du vent. Les disciples avaient déjà vécu l’épisode de la tempête apaisée, pourtant (Mt 8,23-27). Belle leçon, là encore : nous ne sommes jamais à l’abri d’une nouvelle reculade. Celui qui se croit le mieux assuré peut encore perdre pied, comme Pierre, ici.

Comme Pierre encore, quelques années plus tard, lors de la Passion : c’est lui qui aura le plus bel élan : « Même s’il faut que je meure avec toi, non, je ne te renierai pas. » (Mt 26,35). Et c’est le même, qui, cette nuit-là, précisément, reniera son Maître, par trois fois.

Revenons sur le lac : Pierre, donc, prend peur et s’enfonce. Son seul tort est d’avoir regardé ailleurs, le vent trop fort. S’il n’avait pas détaché les yeux de Jésus, il aurait pu se maintenir. Retenons la leçon, ne regardons pas ailleurs. Mais il a eu alors le seul bon réflexe, dans ces cas-là, il a appelé Jésus au secours : « Seigneur, sauve-moi ! » Nos fragilités ont ceci de bon qu’elles nous inspirent la prière à laquelle le Seigneur ne résiste jamais, l’appel au secours.

« Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit » : voilà Pierre en sûreté. Mais Jésus continue : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Pourquoi attendre de sentir la main de Jésus sur lui pour faire confiance ? Jésus n’était-il pas déjà avec eux ? N’avait-il pas dit lui-même « Viens » ? Pourquoi douter qu’il nous donnera les moyens d’y arriver ?

Alors Jésus et Pierre sont montés à bord et le vent est tombé. La paix revenue, tous se prosternent : dans la voix de Jésus, dans ses gestes, ils viennent de reconnaître celui qui apporte la paix au monde. « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »

Il y aura encore dans la vie des disciples, dans la nôtre, d’autres élans, d’autres reniements, mais il suffira alors de dire humblement « Seigneur, sauve-moi ! » pour que nous rencontrions sa main tendue.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 08 09 19e dimanche du temps ordinaire A

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27 juillet 2020 1 27 /07 /juillet /2020 15:32

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame
(disponible seulement à compter du 1er août 2020
).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

 

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE 55,1-3

 

     Ainsi parle le SEIGNEUR :
1   Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau !  
     Même si vous n’avez pas d’argent,
     venez acheter et consommer,       
     venez acheter du vin et du lait
     sans argent, sans rien payer.
2   Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas,        
     vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ?          
     Écoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses,
     vous vous régalerez de viandes savoureuses !
3   Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez et vous vivrez.  
     Je m’engagerai envers vous par une alliance éternelle :   
     ce sont les bienfaits garantis à David.
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      Voici la fin du deuxième livre d’Isaïe, tout entier tourné vers la fin de l’Exil et le retour vers le pays de la promesse : d’où le titre général de ce « livre de la consolation d’Israël » ; le chapitre 54 réitérait l’annonce du retour tant attendu ; le chapitre 55, le nôtre, précise bien dans quel esprit on doit rentrer. Rien de neuf donc dans tout cela, mais la répétition des thèmes majeurs de l’Alliance qu’on n’aurait jamais dû oublier, et qu’il est urgent d’assimiler si l’on ne veut pas revivre les mêmes cruelles expériences : trois thèmes majeurs : je les prends dans l’ordre de notre texte :

        Premier thème, la gratuité des dons de Dieu « venez acheter sans rien payer ».

        Deuxième thème, la lutte contre l’idolâtrie et l’invitation à se tourner vers Dieu seul.

       Troisième thème, la fidélité de Dieu à son Alliance « Je m’engagerai envers vous par une alliance éternelle : ce sont les bienfaits garantis à David ».          

        Le plus difficile à entendre, peut-être, pour nos oreilles humaines, c’est le premier thème, la gratuité des dons de Dieu, or c’est précisément l’insistance majeure de ce chapitre 55. Nous nous obstinons toujours à parler de mérites et de dignité à regagner pour paraître devant Dieu, alors que le propre de la miséricorde est d’aimer se pencher sur les petits et les pécheurs. Dans les versets suivants, Isaïe force encore le trait, il insiste : « Car vos pensées ne sont pas mes pensées, dit Dieu... »

       Combien de fois les philosophes ont-ils reproché aux religions d’inventer un Dieu à notre image! C’est Voltaire qui disait : « Dieu a fait l’homme à son image et l’homme le lui a bien rendu ». Et il avait raison en ce qui concerne les autres religions : c’est-à-dire que, spontanément (sans la révélation biblique), nous imaginons un Dieu qui nous ressemble curieusement, qui éprouve les mêmes  sentiments que nous : nous parlons de son amour, de sa justice, de sa colère, de son pardon sur le modèle de ce que nous vivons ; un amour limité et exclusif... une justice en forme de balance... une colère faite de frustration et de ressentiment... un pardon mesuré et conditionnel ...

       Et même pour nous, les héritiers de la Bible, qui avons des siècles de Révélation derrière nous, si j’ose dire, ce n’est pas encore acquis. Et les paroles du deuxième livre d’Isaïe ne sont pas de trop pour nous le redire. Les images qu’il emploie sont celles de l’opulence :  « Mangez de bonnes choses, régalez-vous de viandes savoureuses ! » N’oublions pas qu’elles sont adressées à des exilés réduits aux travaux forcés à Babylone, pour qui des images de banquets ressemblent à des rêves irréalisables. Et cette profusion de bonnes choses est totalement gratuite, ce qui est plus invraisemblable encore, à vues humaines : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. » Voilà les images que le prophète a choisies pour faire comprendre à ses contemporains la générosité du Dieu d’Israël. Si j’osais, je dirais « Au supermarché de Dieu, tout est toujours gratuit » !

        Généralement, quand on tient ce genre de propos, il se trouve toujours quelqu’un pour dire « si nous n’avons pas besoin de gagner des mérites, alors nous allons nous conduire n’importe comment ... » Je ne le crois pas du tout ; le jour où nous serons vraiment convaincus, et donc éblouis de l’amour de Dieu, alors notre cœur changera et nous commencerons à lui ressembler : le feu prendra et nous entrerons petit à petit dans le registre de la gratuité.

        Notre Église a une tâche redoutable, il me semble : elle est une institution humaine, elle vit  dans une société bâtie sur le commerce plus que sur le service ; et c’est au cœur même de cette société qu’elle doit  faire germer le royaume de la gratuité. Il nous est interdit au nom de l’évangile et même au nom des prophètes de l’Ancien Testament de nous comporter comme une entreprise... Chaque fois que nous quittons le registre de la gratuité dans nos paroles ou dans nos actes, nous sommes  loin  des chemins  de Dieu, pour reprendre le vocabulaire d’Isaïe. Notre mission de baptisés, c’est de témoigner au milieu des hommes non pas d’un AILLEURS, mais d’un AUTREMENT.

        Le deuxième thème, à peine esquissé, mais bien présent, c’est la lutte contre l’idolâtrie : « Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? » C’est-à-dire : ne cherchez pas ailleurs de faux bonheurs. On sait que la tentation d’idolâtrie n’était pas morte encore chez les exilés : pour la bonne raison que les dieux de leurs vainqueurs semblaient plus efficaces ! Cette deuxième partie du livre d’Isaïe, qui renferme les prédications du temps de l’Exil lutte vigoureusement contre cette tentation sans cesse renaissante. Dieu seul détient les clés de notre bonheur et de notre liberté et, avec lui, tout est donné. Il suffit de lui faire confiance : « Prêtez l’oreille, venez à moi, écoutez et vous vivrez. »

        Nous qui prêtons l’oreille si volontiers à tant de publicités commerciales, (c’est-à-dire intéressées, dictées par le souci du profit), comment se fait-il que cette publicité-là, celle d’Isaïe, au nom de Dieu, frappée au coin de la gratuité ne nous « accroche » pas plus, si j’ose dire. Justement peut-être parce qu’il s’agit de gratuité et que cela nous est étranger. Le chemin de la gratuité est bien au-dessus de nos chemins de calcul et de donnant-donnant. Pourquoi ne pas admettre une fois pour toutes que nous sommes sans argent (je veux dire sans titres à faire valoir) devant Dieu et qu’il n’attend de nous qu’un cœur offert, une « oreille ouverte », comme dit la Bible. « Écoutez, c’est-à-dire faites-moi confiance, attachez-vous à moi et vous vivrez », dit Isaïe.

        Enfin, le troisième thème de ce texte, et bien dans la ligne des deux autres, c’est la fidélité de Dieu à son Alliance « Je m’engagerai envers vous par une alliance éternelle : ce sont les bienfaits garantis à David ». C’est encore l’une des grandes lignes de force des prédications du deuxième Isaïe : exilés, on craignait d’être abandonnés de Dieu à tout jamais. On avait tant de fois manqué aux commandements dans le passé, Dieu ne s’était-il pas lassé de son peuple ? Non, bien sûr. Puisque son amour est totalement gratuit et sans conditions, le début de ce texte nous l’a rappelé, il ne remet jamais en cause son Alliance. Au contraire, il la renouvelle à chaque instant : l’allusion à David confirme l’enracinement lointain et la durée indéfectible de cette Alliance.

        C’est un rappel des promesses faites jadis à David par le prophète Natan (2 S 7). Depuis ces lointains débuts de la royauté en Israël, on sait que sa dynastie fera naître un jour celui qu’on appelle le Messie et qui apportera définitivement la liberté et la paix à son peuple. Pendant l’Exil à Babylone, ces lointaines promesses pourraient paraître caduques, raison de plus pour que le prophète les rappelle.
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PSAUME  144  (145)

 

8     Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
       lent à la colère et plein d'amour ;
9     la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
       sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

15   Les yeux sur toi, tous ils espèrent :                   
       tu leur donnes la nourriture au temps voulu ;
16   Tu ouvres ta main ;                    
       tu rassasies avec bonté tout ce qui vit.

17   Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies,
       fidèle en tout ce qu'il fait.
18   Il est proche de ceux qui l'invoquent,
       de tous ceux qui l'invoquent en vérité.
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           La première lecture de ce dimanche disait la gratuité et la profusion des dons de Dieu ; ce psaume ne dit pas autre chose ! Et d’ailleurs, il s’agit d’un psaume alphabétique, c’est tout dire. Il comporte autant de versets que le nombre des lettres de l’alphabet, chaque verset commençant par l’une des lettres, dans l’ordre ; et nous savons que cet effort de composition (ce que l’on appelle un acrostiche en littérature) a un sens très particulier, toujours le même : dire à Dieu la reconnaissance des croyants pour le don de l’Alliance.

         On ne s’étonne donc pas de trouver dans ce psaume l’évocation de tous les aspects de l’Alliance : cette découverte extraordinaire, dont le peuple d’Israël a eu le privilège, d’un Dieu à la fois tout puissant et proche des hommes. C’est certainement l’une des grandes richesses de la foi juive : savoir toujours tenir ensemble ces deux aspects du mystère de Dieu. Le livre de la Sagesse dont nous lisions un extrait pour le seizième dimanche le disait clairement : « Toi, (Seigneur), qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement, car tu n'as qu'à vouloir pour exercer ta puissance... Ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers tous. » (Sg 12). Mais bien avant le livre de la Sagesse (qui est très tardif), bien d’autres textes bibliques de l’Ancien Testament avaient su dire avec force la grandeur et la bonté de Dieu.

         Le verset 8 de notre psaume, celui qui débute notre lecture aujourd’hui, est l’écho de la révélation de Dieu par lui-même à Moïse au Sinaï (Ex 34, 6). Nous avons lu ce passage du livre de l’Exode pour la Fête de la Sainte-Trinité, il y a quelques semaines. Je ne le reprends donc pas. En revanche, je vous propose d’en relire un autre, l’autre grande parole magnifique de Dieu à Moïse, qui est le récit du buisson ardent.

         Je vous rappelle le contexte : ce jour-là, Moïse, l’ancien protégé du Pharaon, n’était plus qu’un pauvre homme rejeté par tous. C’est à lui que le Dieu de l’univers a choisi de se révéler. Voici ce que raconte la Bible, au chapitre 3 du livre de l'Exode : 

         « Moïse faisait paître le troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb. L’Ange du SEIGNEUR lui apparut dans une flamme de feu, du milieu du buisson. » (Ex 3,1-2) ; L’expression « L’Ange du SEIGNEUR » est une manière pudique de parler de Dieu : pour dire la présence de Dieu lui-même dans le buisson, on prend une circonlocution ; on n’oserait pas dire que Moïse ait pu voir Dieu. C’est déjà une manière de dire combien Dieu est plus grand que l’homme, inaccessible à l’homme.

          « Moïse regarda : le buisson était en feu et le buisson n’était pas dévoré. » Devant cette flamme qui jaillit d’un buisson sans le consumer, Moïse est invité à comprendre que Dieu, comparé à un feu, est au milieu de son peuple (le buisson). Et cette Présence de Dieu au milieu de son peuple ne le détruit pas, ne le consume pas. Du coup, la vocation du peuple est dite en même temps : il est le lieu choisi par Dieu pour manifester sa Présence ; et, désormais, le peuple choisi témoignera au milieu du monde que Dieu est au milieu des hommes et que ceux-ci n’ont rien à craindre. Notre psaume de ce dimanche est tout à fait dans cet état d’esprit.

         « Moïse dit : Je vais faire un détour pour voir cette grande vision : pourquoi le buisson ne brûle-t-il pas ? Le SEIGNEUR vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : Moïse ! Moïse ! » Moïse a fait un détour : Dieu a pris l’initiative mais il faut un geste de l’homme. Manière de dire que Dieu sollicite la collaboration des hommes. « Moïse dit : Me voici ! »  Le « Me voici » de Moïse (comme celui d’Abraham, comme celui de tant d’autres depuis) est la réponse qui permettra à Dieu de réaliser sa grande œuvre de libération de l’humanité.

         « Le SEIGNEUR  dit : N’approche pas d’ici ! Retire tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte. » « Retire tes sandales », c’est le symbole du dépouillement indispensable pour affronter la présence du Dieu tout-puissant.

         Et Dieu poursuit : « Je suis le Dieu de ton Père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. » Dieu rappelle ici sa fidélité à son peuple depuis des siècles et à travers toute l’épaisseur d’une histoire. Face à lui, Moïse esquisse malgré lui un geste de recul : « Moïse se voila la face car il craignait de regarder Dieu. » Encore une manière pour l’auteur de nous rappeler que Dieu est le Tout-Autre, celui qu’on ne peut approcher qu’avec crainte et respect.

         C’est alors que Dieu prononce la phrase qui galvanisera les énergies de Moïse et de toute sa génération, une phrase que le peuple juif n’oubliera jamais : « Oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple en Égypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. » « J’ai vu la misère de mon peuple en Égypte. » Ainsi Dieu se révèle-t-il compatissant, miséricordieux, c’est-à-dire littéralement « cœur ouvert à nos misères », cœur qui prend parti pour ceux qui sont dans la misère.  Moïse, dont le premier réflexe a été de se voiler le visage, comprend alors qu’il n’y a pas à avoir peur. « Mon peuple », c’est le rappel de l’Alliance avec ce peuple depuis Abraham. Comme il a vu la détresse d’Abraham, le vieil homme sans enfant, Dieu a vu la misère de son peuple.

         Ce récit magnifique est capital pour la foi d’Israël et donc pour la nôtre, il ne faut pas l’oublier ; il nous apporte la double Révélation que Dieu est en même temps le Tout-Autre, ET le Tout Proche. Il est le Tout-Autre, celui qu’on ne peut approcher qu’avec crainte et respect ET en même temps, il est le Tout Proche, celui qui voit la misère de son peuple et lui suscite un libérateur.

Dans les quelques versets choisis dans le psaume 144/145 pour ce dimanche, l’accent est mis sur cette tendresse de Dieu. Cette conviction irrigue pour toujours la foi de nos frères juifs et la nôtre à leur suite, comme elle remplissait le cœur de Jésus de Nazareth.
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS  8,35.37-39

 

       Frères,
35   qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ?
       la détresse ? l’angoisse ? la persécution ?          
       la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ?
37   Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs
       grâce à celui qui nous a aimés.
38   J’en ai la certitude :        
       ni la mort ni la vie,         
       ni les anges ni les Principautés célestes,
       ni le présent ni l’avenir,
39   ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes,
       ni aucune autre créature,
       rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu           
       qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur.

         Ces lignes sont la conclusion de tout ce passage splendide que nous lisons depuis plusieurs semaines au chapitre 8 de la lettre aux Romains et dans lequel Paul s’émerveille de l’amour de Dieu ; au chapitre 5, il avait dit « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » (5,5). Ici, il laisse libre cours à l’exultation qui remplit le cœur des croyants quand ils réalisent l’œuvre de Dieu pour eux : « Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous » a-t-il dit un peu plus haut (8,32). Plus personne ne peut briser l’Alliance ainsi nouée entre Dieu et nous. Comme le dit la première prière eucharistique de la réconciliation, « ses bras étendus dessinent entre ciel et terre le signe indélébile de l’Alliance ». Désormais, toute tentative de séparation est vouée à l’échec.

         Paul reprend ici une fois de plus un des thèmes majeurs de ce qu’il appelle l’Écriture (pour nous, l’Ancien Testament) : tout l’enjeu de la vie des fils d’Adam est de rester attachés à Dieu, suspendus à son souffle (vous reconnaissez là l’image de la Genèse, Dieu insufflant dans les narines de l’homme son souffle de vie), et de ne pas se laisser séparer de lui par le Tentateur, le diviseur. Jésus au désert a connu cette offensive du Tentateur qui lui suggérait de rechercher le pouvoir, la facilité, les honneurs. Pierre, lui-même, a joué ce rôle auprès de lui quand il le poussait à fuir la persécution inévitable. Mais rien, ni la faim, ni les mirages de la réussite ne pouvaient séparer le Fils de son Père. À leur tour, Paul et les autres apôtres puisent dans l’Esprit de Jésus-Christ la force de rester greffés sur lui.

         Et il nous livre ici une superbe profession de foi : « J’en ai la certitude… rien ne pourra nous séparer ». Ce n’est pas de l’orgueil, c’est la certitude de la foi : Paul ne considère pas une minute que le mérite de  cette fidélité lui reviendrait : quand il affirme « En tout cela (c’est-à-dire toutes les épreuves), nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés », le mot important, c’est « grâce » à lui. Il ne cite pas Isaïe ici mais sa déclaration ressemble à celle du prophète lorsqu’il brossait le portrait du serviteur de Dieu : « Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages… je sais que je ne serai pas confondu. » (Is 50,7).

         D’ailleurs, Paul lui-même est la preuve vivante que « Rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu qui est manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur : la détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger… » tout cela il l’a traversé… Il le détaille dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « Des Juifs, j’ai reçu cinq fois les trente-neuf coups, trois fois j’ai été flagellé, une fois lapidé, trois fois, j’ai fait naufrage, j’ai passé un jour et une nuit sur l’abîme. Voyages à pied, souvent, dangers des fleuves, dangers des brigands, dangers de mes frères de race, dangers des païens, dangers dans la ville, dangers dans les déserts, dangers sur la mer, dangers des faux frères ! Fatigues et peine, veilles souvent ; faim et soif, jeûne souvent ; froid et dénuement… » (2 Co 11,24-27).

         Non seulement les épreuves, d’où qu’elles viennent, ne peuvent nous séparer du Christ, mais elles deviennent des moyens au service de l’œuvre de Dieu. Dans sa lettre aux Philippiens, par exemple, Paul qui était alors en prison (peut-être à Éphèse) disait se réjouir de ce que sa captivité était devenue un prétexte à évangélisation. « La plupart des frères, encouragés dans le Seigneur par ma captivité, redoublent d’audace pour annoncer sans peur la Parole. » (Phi 1,14). Il savait pourtant que ce beau zèle n’était pas toujours parfaitement pur, certains étant peut-être trop contents de prendre sa place ; mais il se réjouissait quand même des progrès de la mission : « Je veux que vous le sachiez, frères, ce qui m’est arrivé a plutôt contribué au progrès de l’évangile… De toute manière… Christ est annoncé. Et je m’en réjouis. » (Phi 1,14.18). Il a eu ainsi à maintes reprises l’occasion de vérifier ce qu’il dit dans notre chapitre 8 de la lettre aux Romains : « Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (Rm 8,28). Or Paul fait bien partie de ceux qui aiment Dieu, comme il dit, c’est-à-dire de ceux qui lui sont attachés et lui font confiance.

         Et c’est pour lui l’occasion d’une expérience spirituelle très forte : un jour où il priait Dieu de lui épargner les épreuves, le Seigneur lui a répondu : « Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». Et Paul peut affirmer en toute vérité : « C’est lorsque je suis faible (c’est-à-dire je me reconnais faible) que je suis fort… parce que la puissance du Christ repose sur moi. » (2 Co 12,10.9). Pourquoi ? parce qu’il ne cherche pas sa force en lui-même mais dans celle que lui donne le Christ. Aux Galates, il fera cette confidence : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20).

         Cette union intime entre le Christ et ses disciples, Jésus en a longuement parlé au soir de la Cène : « De même que le sarment, s’il ne demeure pas sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez pas en moi. Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte du fruit en abondance, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » Ce verbe « demeurer » revient souvent sous la plume de Jean, que ce soit dans l’évangile ou dans ses lettres : « Demeurez en moi, comme je demeure en vous, dit Jésus. » (Jn 15,4). En écho, Jean écrit aux premiers chrétiens : « Mes petits enfants, demeurez en lui, afin que, lorsqu’il paraîtra, nous ayons pleine assurance. » (1 Jn 2,28).
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 14,13-21

 

     En ce temps-là,
     Quand Jésus apprit la mort de Jean le Baptiste
13 il se retira et partit en barque 
     pour un endroit désert, à l’écart.       
     Les foules l’apprirent
     et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied.
14 En débarquant, il vit une grande foule de gens ;          
     il fut saisi de compassion envers eux et guérit leurs malades.
15 Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent :
     « L’endroit est désert et l’heure est déjà avancée.   
     Renvoie donc la foule :         
     qu’ils aillent dans les villages s’acheter de la nourriture ! »
16 Mais Jésus leur dit :        
     « Ils n’ont pas besoin de s’en aller.   
     Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
17 Alors ils lui disent :        
     « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons. »
18 Jésus dit :            
     « Apportez-les moi. »
19 Puis, ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe,       
     il prit les cinq pains et les deux poissons,     
     et, levant les yeux au ciel,     
     il prononça la bénédiction :   
     il rompit les pains,     
     il les donna aux disciples,     
     et les disciples les donnèrent à la foule.
20 Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés.
     On ramassa les morceaux qui restaient :       
     Cela faisait douze paniers pleins.
21 Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille,     
     sans compter les femmes et les enfants.
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         Cet épisode de la multiplication des pains suit tout juste l’annonce de l’exécution de Jean-Baptiste sur l’ordre d’Hérode ; Matthieu raconte la mort de Jean-Baptiste et il conclut : « Les disciples de Jean vinrent prendre le cadavre et l’ensevelirent ; puis ils allèrent informer Jésus. » (Mt 14,12). La première réaction de Jésus, qui semble de prudence, a été la retraite : « À cette nouvelle, Jésus partit en barque pour un endroit désert, à l’écart. » (Mt 14,13). Mais il est bien vite rejoint par les sollicitations de la foule, et là il ne résiste pas, car « il est saisi de compassion » (littéralement « saisi aux entrailles »), nous dit Matthieu.

         Et le voilà qui commet ce qui nous paraît à la fois une imprudence et une folie. Imprudence politique, d’abord, car la sagesse serait de se faire oublier, sa popularité le perdra. Folie, ensuite, de croire que cinq pains et deux poissons suffiront à nourrir une telle foule. Les disciples, réalistes, font remarquer que cela est bien peu, mais Jésus qui compte aussi bien qu’eux, dit imperturbablement « donnez-leur vous-mêmes à manger ».

         Quand Jésus dit « donnez-leur vous-mêmes à manger », ce n’est certainement pas pour les mettre dans l’embarras : c’est qu’ils en sont capables, mais ils ne le savent pas... ou ils ne le croient pas.

         Quand saint Matthieu nous rapporte cet épisode, visiblement il se souvient du prophète Élisée : celui-ci était prophète dans le royaume du Nord, huit cents auparavant, mais tout le monde connaissait son histoire. Un jour, en pleine période de famine, un fidèle avait apporté en offrande le début de sa récolte, ce que l’on appelait « l’offrande des prémices ». Cette offrande représentait vingt pains d’orge. Normalement, l’offrande des prémices devait revenir à Élisée, mais celui-ci, vu les circonstances, avait aussitôt décidé d’en faire profiter tout le monde. Or, vingt pains d’orge, c’était beaucoup pour un seul prophète, mais c’était dérisoire pour les affamés qui entouraient Élisée (le texte dit qu’il y avait cent personnes). Et pourtant, Élisée avait aussitôt dit à son serviteur : « Distribue-les aux gens et qu’ils mangent. » Mais le serviteur, lui, avait vite vu que le compte n’y était pas : « Comment pourrais-je en distribuer à cent personnes ? » Alors Élisée avait  répondu : « Distribue-les aux gens et qu’ils mangent ! Ainsi parle le SEIGNEUR : On mangera et il y aura des restes. » Et, effectivement, le serviteur avait fait la distribution et le texte notait : « Ils mangèrent et il y eut des restes selon la parole du SEIGNEUR. » (2 R 4,42-44).

         Ici aussi, Matthieu note la disproportion entre le nombre de convives et la petite quantité de nourriture, la distribution et le ramassage des restes. Après le constat de ce que l’on pourrait appeler leur indigence (« Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons. »), Matthieu prend soin de noter : « Tous mangèrent à leur faim et, des morceaux qui restaient, on ramassa douze paniers pleins. » Et pourtant, « Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille ».  

         Mais qu’ont-ils donc en commun, Jésus et Élisée ? Quel est leur secret ? Il semble bien que leur secret soit simple : premièrement, tous les deux croient le partage possible, quel que soit le nombre de convives, car tous les deux s’en remettent à Dieu : Élisée en citant la parole du Seigneur « On mangera et il y aura des restes », Jésus en faisant le geste de la bénédiction sur le pain ; car Matthieu note bien qu’il a « béni » les pains : « levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction » ; ce n’est pas un rite magique sur le pain ; c’est reconnaître le pain comme don de Dieu et lui demander de savoir l’utiliser pour le service des affamés.

         La mention des restes dans les deux récits et la précision que « tous mangèrent à leur faim » chez Matthieu souligne la profusion des dons de Dieu. On pense aussi à la manne qui tombait chaque matin pendant les quarante ans de l’Exode : « Vous vous rassasierez de pain et vous connaîtrez que c’est moi le SEIGNEUR, votre Dieu. » (Ex 16,12).

         Et deuxième point commun entre Jésus et Élisée, mais c’est un préalable, tous deux sont soucieux de la faim des gens ; en ce qui concerne Élisée, le livre des Rois note bien qu’on était en période de famine, et c’est lui qui a eu l’idée de partager ce qui lui était normalement destiné ; quant à Jésus, Matthieu a commencé son récit en disant : « Jésus partit en barque pour un endroit désert à l’écart. » Cela veut dire pour le moins qu’il désirait un peu de tranquillité : mais il a accepté de se laisser rejoindre, de laisser les gens se rapprocher, de se faire leur prochain... cela la conduit à commettre cette imprudence et cette folie dont nous parlions en commençant.

         C’est à cette imprudence et à cette folie que les disciples de tous les temps sont à leur tour invités : il leur suffit d’avoir assez de foi pour se souvenir que le partage fait des miracles. Et aussi de se réjouir de leur indigence ; elle est le lieu privilégié de l’action de Dieu.

         Pourquoi ? Parce que quand nous reconnaissons notre impuissance, alors nous appelons Dieu à notre secours, ce qui est bien toujours la première chose à faire ! La première lecture, extraite du livre d’Isaïe, proclamait l’abondance et la gratuité des dons de Dieu. La multiplication des pains par Jésus en est une magnifique illustration.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 08 02 18e dimanche du temps ordinaire A

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20 juillet 2020 1 20 /07 /juillet /2020 22:58

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 25 juillet 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU PREMIER LIVRE DES  ROIS  3, 5. 7-12

 

       En ces jours-là,
5     à Gabaon, pendant la nuit,         
       le SEIGNEUR apparut en songe à Salomon.   
       Il lui dit :
       « Demande ce que je dois te donner. »
6     Salomon répondit : (...)
7     « SEIGNEUR, mon Dieu, c'est toi qui m'as fait roi,    
       moi, ton serviteur, à la place de David, mon père :       
       or, je suis un tout jeune homme,
       ne sachant comment se comporter,
8     et me voilà au milieu du peuple que tu as élu ;  
       c'est un peuple nombreux,         
       si nombreux qu'on ne peut ni l'évaluer ni le compter.
9     Donne à ton serviteur un cœur attentif
       pour qu'il sache gouverner ton peuple   
       et discerner le bien et le mal ;    
       sans cela comment gouverner ton peuple qui est si important ? »
10   Cette demande de Salomon plut au Seigneur,  
       qui lui dit :
11   « Puisque c'est cela que tu as demandé,
       et non pas de longs jours,          
       ni la richesse,      
       ni la mort de tes ennemis,          
       mais puisque tu as demandé le discernement,   
       l'art d'être attentif et de gouverner,
12   je fais ce que tu as demandé :    
       je te donne un cœur intelligent et sage, 
       tel que personne n'en a eu avant toi       
       et que personne n'en aura après toi. »
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         Salomon fut le successeur de David sur le trône de Jérusalem à une époque où toutes les tribus d’Israël étaient réunies sous une même couronne. On situe le règne du premier roi, Saül, dans les années 1030 à 1010 av. J.-C. environ, celui de David de 1010 à 973 et celui de Salomon de 973 à 933.

         Le texte du livre des Rois que nous lisons aujourd’hui nous rapporte la première grande cérémonie de son règne. Le roi, fraîchement couronné, s'est rendu en pèlerinage au sanctuaire de Gabaon, à quelques kilomètres de Jérusalem, pour y offrir un sacrifice (mille animaux précise le texte) ; et là, il prononce la fameuse prière qui est restée dans la mémoire d'Israël comme un modèle. Mais, pour comprendre les enjeux de ce texte, il faut en relire le contexte : car à ne lire que ces seules lignes, on risquerait d'orner Salomon de toutes les qualités ! La réalité est moins flatteuse : son accession au trône avait été émaillée de péripéties peu vertueuses, intrigues politiques et assassinats compris. Trois frères aînés au moins briguaient la place, car David avait plusieurs autres fils (nés de mères différentes) plus âgés que Salomon ; ses chances de parvenir au trône étaient donc des plus minimes. Les luttes fratricides des aînés se chargèrent de déblayer le terrain (1er livre des Rois) et sa mère, Bethsabée, fit le reste : au moment où Adonias, le survivant des trois aînés, savourait déjà sa victoire, elle s'arrangea pour le griller de vitesse. Salomon fut sacré en grande précipitation à la source de Gihôn.

         Et le peuple, prêt à tout, acclama ce nouveau roi, comme il aurait acclamé l'autre. Salomon était parvenu à ses fins, il était sur le trône. Il ne restait plus qu'à liquider les opposants, ce qu'il fit sans tarder. Ce n'était donc pas apparemment un grand saint qui se présentait devant Dieu ! Et si sa sagesse est proverbiale, on voit qu'elle ne lui est pas venue tout de suite ! Elle fut pour lui un don de Dieu. (Celui qui écrit ce texte compte bien que nous retenions cette vérité élémentaire).

         Salomon savait que, maintenant, il fallait régner, ce qui était bien difficile, et c'est là qu'il fit preuve d'un commencement de sagesse et de lucidité. Car ce jeune roi, et c'est là tout son mérite, avait compris au moins une chose, première leçon de ce texte, c'est que la sagesse est le bien le plus précieux du monde (Matthieu parlera de trésor et de perle ; cf l'évangile de ce dimanche Mt 13, 44-46) et que Dieu seul détient les clés de la vraie sagesse. Ainsi la prière de Salomon au sanctuaire de Gabaon est-elle un modèle d'humilité et de confiance : « Je suis un tout jeune homme, incapable de se diriger. Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu'il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ; comment sans cela gouverner ton peuple qui est si important? »

         La deuxième leçon de ce passage concerne les rois d’abord mais aussi tous les détenteurs d’un pouvoir, quel qu’il soit : ce qui est remarquable dans la prière de Salomon, c’est que sa demande vise exclusivement le service du peuple. Il ne demande rien pour lui-même personnellement, il demande seulement les capacités nécessaires pour exercer la mission que Dieu lui a confiée. Le jeune roi prouve ici qu’il a parfaitement intégré l’idéal monarchique prescrit par Dieu à David (par l’intermédiaire du prophète Natan) : en Israël, dès le tout début de la royauté, les prophètes les uns après les autres rappellent à tous les rois qu’ils ne doivent avoir qu’un souci en tête, à savoir le bonheur et la sécurité du peuple qui leur est confié.

         La réponse de Dieu insiste sur ce désintéressement tout à fait remarquable de la prière de Salomon : « Puisque tu ne m'as demandé ni de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis (y a-t-il là une pointe d'ironie ? Dieu n'ignorait pas que Salomon s'en était fort bien occupé lui-même), mais puisque tu as demandé le discernement, l'art d'être attentif et de gouverner, je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage, tel que personne n'en a eu avant toi et que personne n'en aura après toi. » Voilà qui dépasse toutes les espérances du jeune roi. Et Dieu ne s'arrête pas là : la liturgie, malheureusement, ne nous fait pas entendre la suite qui est pourtant une bien belle leçon sur la générosité de Dieu : « Et même ce que tu n'as pas demandé, je te le donne : et la richesse et la gloire, de telle sorte que durant toute ta vie il n'y aura personne comme toi parmi les rois. »

         Belle révélation pour nous : ce n'était pas un grand saint qui se présentait devant Dieu, mais parce qu'il a prié humblement, il a été comblé ; cela fait penser à un certain publicain de la parabole (Lc 18,9-14) ; enfin et surtout, nous découvrons une fois de plus, grâce à Salomon, que Dieu continue à donner et pardonner quel que soit notre passé, si peu vertueux soit-il. Ainsi vérifions-nous le sens du mot « pardon » : c’est le don qui passe par-dessus toutes les offenses.

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Compléments

 1 - Lire la méditation puis la superbe prière que le livre de la Sagesse prête au roi Salomon : Sg 8,17-21 puis 9, 1-12. On sait que, malheureusement, vers la fin de sa vie, Salomon s’est écarté gravement de ce beau chemin de sagesse ; ses nombreuses femmes l’ont poussé à l’idolâtrie et il s’est laissé envahir par la mégalomanie du pouvoir. Il suffit de relire le résumé que Ben Sirac écrit de sa vie : Si 47,12-22.

2 - « Et même ce que tu n'as pas demandé, je te le donne : et la richesse et la gloire, de telle sorte que durant toute ta vie il n'y aura personne comme toi parmi les rois. » : à rapprocher de Mt 6,33 : « Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu et tout cela (le reste) vous sera donné par surcroît. »

3 - Pour une introduction au livre de la Sagesse et aux livres Deutérocanoniques, voir au seizième dimanche du temps ordinaire – A, le commentaire de la première lecture.

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PSAUME  118  (119)

 

 57   Mon partage, Seigneur, je l'ai dit,          
       c'est d'observer tes paroles.
72   Mon bonheur, c'est la loi de ta bouche, 
       plus qu'un monceau d'or ou d'argent.

76   Que j'aie pour consolation ton amour    
       selon tes promesses à ton serviteur !
77   Que vienne à moi ta tendresse et je vivrai :       
       ta loi fait mon plaisir.

127 Aussi j'aime tes volontés,           
       plus que l'or le plus précieux.
128 Je me règle sur chacun de tes préceptes,           
       je hais tout chemin de mensonge.

129 Quelle merveille, tes exigences, 
       aussi mon âme les garde !
130 Déchiffrer ta parole illumine      
       et les simples comprennent.
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                Dans la première lecture, nous avions vu que Salomon, tout au moins au début de son règne, avait tout compris : la vraie sagesse est le trésor le plus précieux, et elle ne peut venir que de Dieu. Dans ce psaume, c’est la même méditation qui continue : « Mon bonheur, c’est la loi de ta bouche, plus qu’un monceau d’or ou d’argent. »

                Et le bonheur, d’après ce psaume, c’est donc tout simple ; la bonne route, pour un croyant, c’est tout simplement de suivre la Loi de Dieu. Le croyant connaît la douceur de vivre dans la fidélité aux commandements de Dieu, voilà ce que veut nous dire ce psaume : « Quelle merveille, tes exigences, aussi mon âme les garde ! »

             Les quelques versets retenus aujourd’hui ne sont qu’une toute petite partie du psaume 118 (119 dans la Bible), l’équivalent d’une seule strophe. En réalité, il comporte 176 versets, c’est-à-dire 22 strophes de 8 versets. 22...8... ces chiffres ne sont pas dus au hasard.

                Pourquoi 22 strophes ? Parce qu’il y a 22 lettres dans l’alphabet hébreu : chaque verset de chaque strophe commence par une même lettre et les strophes se suivent dans l’ordre de l’alphabet : en littérature, on parle « d’acrostiche », mais ici, il ne s’agit pas d’une prouesse littéraire, d’une performance ! Il s’agit d’une véritable profession de foi : ce psaume est un poème en l’honneur de la Loi, une méditation sur ce don de Dieu qu’est la Loi, les commandements, si vous préférez. D’ailleurs, plus que de psaume, on ferait mieux de parler de litanie ! Une litanie en l’honneur de la Loi ! Voilà qui nous est passablement étranger.

               Car une des caractéristiques de la Bible, un peu étonnante pour nous, c’est le réel amour de la Loi qui habite le croyant biblique. Les commandements ne sont pas subis comme une domination que Dieu exercerait sur nous, mais des conseils, les seuls conseils valables pour mener une vie heureuse. « Aussi j’aime tes volontés, plus que l’or le plus précieux. Je me règle sur chacun de tes préceptes, je hais tout chemin de mensonge. » Quand l’homme biblique dit cette phrase, il la pense de tout son cœur.

               Et, non seulement la Loi n’est pas subie comme une domination, mais elle est accueillie comme un cadeau que Dieu fait à son peuple, le mettant en garde contre toutes les fausses routes ; elle est l’expression de la sollicitude du Père pour ses enfants ; tout comme nous, parfois, nous mettons en garde un enfant, un ami contre ce qui nous paraît être dangereux pour lui. On dit que Dieu « donne » sa Loi et elle est bien considérée comme un « cadeau ». Car Dieu ne s’est pas contenté de libérer son peuple de la servitude en Égypte ; laissé à lui-même, Israël risquait de retomber dans d’autres esclavages pires encore, peut-être. En donnant sa loi, Dieu donnait en quelque sorte le mode d’emploi de la liberté. La Loi est donc l’expression de l’amour de Dieu pour son peuple.

             Il faut dire une fois de plus qu’on n’a pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Amour et que finalement la Loi n’a pas d’autre but que de nous mener sur le chemin de l’amour. Toute la Bible est l’histoire de l’apprentissage du peuple élu à l’école de l’amour et de la vie fraternelle. Le livre du Deutéronome disait : « Écoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN ; tu aimeras1 le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force ». (Dt 6,4). Et le livre du Lévitique enchaînait : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18). Voici le commentaire que les rabbins faisaient de ce verset : « Tu aimeras ton prochain, de sorte que ce que tu détestes pour toi-même, tu ne le lui feras pas à lui. » C’est ce que l’on appelait « la Règle d’or ». Et le célèbre rabbin Hillel qui a précédé Jésus de quelques dizaines d’années (il a vécu de -70 à + 10) commentait : « Ce que tu détestes pour toi-même, ne le fais pas à ton prochain : c’est là toute la Torah, le reste est explication. Va et étudie. » Il aimait dire également : « Ne juge pas ton prochain jusqu’à ce que tu sois à sa place ». Jésus était exactement dans la même ligne lorsqu’il disait que les deux commandements de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain étaient le résumé de la loi juive. Quant à la « Règle d’or », il la reprenait à son compte en disant : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes. » (Mt 7,12).

              Pour revenir au psaume 118 (119), il ressemble bien à une sorte de litanie : après les trois premiers versets qui sont des affirmations sur le bonheur des hommes fidèles à la loi, les 173 autres versets s’adressent directement à Dieu dans un style tantôt contemplatif, tantôt suppliant du genre : « Ouvre mes yeux, que je contemple les merveilles de ta loi. » Et la litanie continue, répétant sans arrêt les mêmes formules ou presque : par exemple, en hébreu, dans toutes les strophes, reviennent huit mots2 toujours les mêmes en hébreu pour décrire la loi. Seuls les amoureux osent ainsi se répéter sans risquer de se lasser.

                        Huit mots toujours les mêmes et aussi huit versets dans chacune des 22 strophes : le chiffre 8, lui non plus, n’est pas dû au hasard ; dans la Bible, c’est le chiffre de la nouvelle création : la première Création a été faite par Dieu en 7 jours, donc le huitième jour sera celui de la Création renouvelée, des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle », selon une autre expression biblique. Celle-ci pourra surgir enfin quand toute l’humanité vivra selon la loi de Dieu, c’est-à-dire dans l’amour puisque c’est la même chose !

 

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Note

1 - « Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force » : tu aimeras, ici, veut dire « tu t’attacheras » au SEIGNEUR ton Dieu, à l’exclusion de tout autre. Le livre du Deutéronome lutte encore contre l’idolâtrie).

2 - On trouvera dans le commentaire de ce même psaume pour le sixième dimanche ordinaire – A, une étude de vocabulaire.

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LECTURE  DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   8,28-30

    

       Frères,
28   Nous le savons,  
       quand les hommes aiment Dieu,            
       lui-même fait tout contribuer à leur bien,          
       puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour.
29   Ceux que, d’avance, il connaissait,       
       il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l'image de son Fils,
       pour que ce Fils soit le premier-né d'une multitude de frères.
30   Ceux qu'il avait destinés d’avance,       
       il les a aussi appelés ;      
       ceux qu'il a appelés,       
       il en a fait des justes ;     
       et ceux qu'il a rendus justes,      
       il leur a donné sa gloire.
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             Depuis plusieurs semaines, nous lisons le chapitre 8 de la lettre aux Romains : saint Paul contemple toute l’histoire de l’humanité, il la décrit comme une longue marche vers un avenir magnifique. Un jour, nous serons semblables à Jésus-Christ, nous serons à son image et nous ne ferons plus qu’un en Lui. Voilà le projet de Dieu : « les hommes sont appelés selon le dessein de son amour » (v. 28).

             Le meilleur commentaire du passage d’aujourd’hui se trouve chez Paul lui-même dans sa deuxième lettre aux Thessaloniciens : « Dieu vous a choisis dès le commencement pour être sauvés par l’Esprit qui sanctifie et par la foi en la vérité : c’est à cela qu’il vous a appelés par notre Évangile, à posséder la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ. » (2 Th 2,13-14). Tout est là, dans ces quelques lignes, de ce que nous avons lu ces derniers dimanches dans la lettre aux Romains : ce projet de Dieu qui débouche sur notre union à Jésus-Christ (ce qu’il appelle « posséder la gloire de Jésus-Christ »), l’œuvre de l’Esprit sur laquelle Paul insiste beaucoup, et enfin notre propre participation sollicitée, mais libre, évidemment, à ce dessein de Dieu. Ailleurs, dans la première lettre aux Thessaloniciens, Paul dit plus simplement encore : « Dieu vous appelle à son Royaume et à sa gloire. » (1 Th 2,12).

             Nous sommes donc en chemin vers cette transformation de tout notre être, ce façonnage, pourrait-on dire, qui nous modèlera à l’image de Jésus-Christ. Plus haut, dans la lettre aux Romains, Paul comparait ce processus de transformation à une naissance : « La création tout entière passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore », disait-il (8,22). Ici l’image est plutôt celle de l’entrée dans une grande famille : « Dieu nous a a destinés à être l'image de son Fils,        pour faire de ce Fils l'aîné d'une multitude de frères. » (v. 29). Quelques lignes auparavant, sur le même registre, il avait employé à notre sujet l’expression : « enfants de Dieu ». Et il avait continué : « Enfants, et donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ » (8,17).

             Pour entrer dans cette famille, la porte est ouverte à tous, mais nous restons libres. Dans le passage de la lettre aux Thessaloniciens que je lisais tout-à-l’heure, Paul emploie le mot « foi » : à l’appel de Dieu, sa proposition  de participer au grand projet, au « dessein de son amour », nous répondons par la foi, la confiance : « Dieu vous a choisis dès le commencement pour être sauvés par l’Esprit qui sanctifie et par la foi en la vérité ». Nous disons volontiers « L’homme propose, Dieu dispose », mais il me semble que Paul nous dit juste l’inverse : « Dieu propose, l’homme dispose ».

             Car Dieu ne nous impose pas son projet, il nous le propose ; c'est pourquoi, depuis les origines de la Révélation, on entend Dieu appeler l'homme et lui proposer son Alliance ; un peu comme si Dieu inlassablement répétait : « Aime-moi, fais-moi confiance, puisque je t'aime. » Paul nous dit en quelque sorte, « Dieu ne vous force pas la main, mais si vous décidez de lui faire confiance, de le laisser mener votre vie, soyez bien certains qu’il fera progresser son dessein en vous et par vous. »

             Dans le passage d’aujourd’hui de la lettre aux Romains, notre liberté d’adhérer ou non au projet de Dieu est dite également, mais autrement : « Quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (v. 28). Le mot choisi ici par Paul « aiment » dit la réponse libre de l’homme à la proposition, l’appel de Dieu. Ce n’est pas un sentiment, c’est un élan, c’est l’adhésion de la « foi ». Il est l’équivalent du mot « foi » dans la lettre aux Thessaloniciens.

             Il reste que les formules de Paul peuvent prêter à confusion : ici, il dit : « quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour. » Mais alors on voit bien tout de suite l'objection qui pourrait jaillir : alors, pour ceux qui n'aiment pas Dieu, son plan d'amour n'existe-t-il pas ?

             Bien sûr que si : croire que la bonté de Dieu est restreinte à quelques-uns serait une mauvaise lecture des paroles de Paul et de toute la Bible, la fameuse lecture du soupçon qui nous guette toujours. Le vrai croyant sait bien que le « dessein » de Dieu ne vise que notre bonheur ; il veut rassembler tous les hommes, et même l'univers entier, nous le savons bien. Mais nous restons libres de ne pas aimer Dieu.

             Autre difficulté, Paul continue : « Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l'image de son Fils » ; et, à plusieurs reprises, il emploie cette expression « ceux que » : « Ceux qu'il avait destinés d’avance… ceux qu'il a appelés… ceux qu'il a rendus justes … ». N'imaginons pas qu'il y aurait les privilégiés, les chanceux et les autres. Dieu ne fait pas des choix comme les hommes peuvent en faire. Pour reprendre le vocabulaire de Paul, nous sommes tous « connus » de Dieu, « appelés, justifiés, introduits dans sa gloire », à condition de l’accepter, bien sûr.

              L'expression « Ceux que, d’avance, il connaissait » n'est donc pas restrictive ; elle désigne sans limitation tous ceux qui acceptent d'entrer dans le projet de Dieu. Par ces formulations successives  « Ceux qu'il avait destinés d’avance... ceux qu'il a appelés... ceux qu'il a rendus justes... », Paul décrit tout simplement l'itinéraire de tous ceux qui veulent bien entrer dans ce merveilleux plan de salut. En premier lieu, Dieu a envoyé son Fils ; c'est lui qui est « le commencement, premier-né d'entre les morts, afin de tenir en tout, lui, le premier rang. » (Col 1,18). Ainsi ceux qui répondent à l'amour de Dieu ressemblent à ce Fils qui a réalisé la volonté de salut du Père. « Ceux qu'il avait destinés d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu'il a rendus justes, il leur a donné sa gloire. » Manière de dire que cette rencontre les a mis en harmonie parfaite avec Dieu (justifiés), rendus participants de sa nature divine (sanctifiés), et d'ores et déjà accueillis dans sa gloire (glorifiés).

             Pas étonnant que Paul écrive dans le verset qui suit immédiatement cette contemplation : « Que dire de plus ? »

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Complément

Les prophètes ont annoncé à plusieurs reprises que le projet de Dieu est pour tous les hommes ; Isaïe par exemple : « Le SEIGNEUR, le tout-puissant, va donner sur cette montagne un festin pour tous les peuples... on dira ce jour-là : c'est lui notre Dieu... Exultons, jubilons, puisqu'il nous sauve. » (Is 25,6... 9). Et ailleurs : « Ma maison sera appelée Maison de prière pour tous les peuples. » (Is 56,7 ; voir le commentaire de ce texte au vingtième dimanche ordinaire – année A).

C’est bien ce que dit le texte de la lettre aux Éphésiens : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement ; réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et sur la terre. » (Ep 1,9-10). C'est exactement cela que Paul contemple ici.
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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT  MATTHIEU  13,44-52

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à la foule ces paraboles :
44   « Le Royaume des cieux est comparable          
       à un trésor caché dans un champ ;         
       l'homme qui l'a découvert le cache de nouveau.           
       Dans sa joie, il va vendre tout ce qu'il possède,            
       et il achète ce champ.
45   Ou encore :         
       Le Royaume des cieux est comparable 
       à un négociant qui recherche des perles fines.
46   Ayant trouvé une perle de grande valeur,         
       il va vendre tout ce qu'il possède,         
       et il achète la perle.
47   Le Royaume des cieux est encore comparable  
       à un filet qu'on jette dans la mer,          
       et qui ramène toutes sortes de poissons.
48   Quand il est plein, on le tire sur le rivage,         
       on s'assied,         
       on ramasse dans des paniers ce qui est bon,      
       et on rejette ce qui ne vaut rien.
49   Ainsi en sera-t-il à la fin du monde :     
       les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes
50   et les jetteront dans la fournaise :          
       là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
51   Avez-vous compris tout cela ?    Ils lui répondent « Oui ». 
52   Jésus ajouta :      
       « C'est pourquoi tout scribe       
       devenu disciple du Royaume des cieux
       est comparable à un maître de maison   
       qui tire de son trésor du neuf et de l'ancien. »
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LA COURSE AU TRÉSOR

Voici quatre petites paraboles que Jésus développe pour parler du royaume des cieux ; mais en dehors de ce point commun, on se demande quel est le lien entre elles ? Les deux premières semblent assez facilement compréhensibles : qu’il s’agisse du trésor caché dans le champ ou de la perle rare, le bénéficiaire est prêt à sacrifier tout le reste et la joie qu’il en éprouve compense largement la perte du reste.

La troisième parabole raconte un retour de pêche : il y a du tri à faire dans le filet ; « on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien. » Et Jésus ajoute : « Ainsi en sera-t-il à la fin du monde, les anges sortiront pour séparer les méchants des justes ». À noter que Jésus a déjà développé cette même image du tri dans la parabole du bon grain et de l'ivraie ; et nous avions noté que bons et méchants ne sont pas deux catégories distinctes d’hommes mais des comportements.

Ce rappel du jugement comparé à un tri sans appel dit la gravité des enjeux. Nous retrouvons là, en définitive, un thème très fort de l’enseignement de Jésus : « Nul ne peut servir deux maîtres » ; ou encore l’image de la porte étroite ou celle de la maison bâtie sur le roc. Et ces choix que nous avons à faire sont d’une extrême gravité. La sévérité de l’image du jugement est là pour nous le rappeler. Cela nous fait penser à la toute première prédication de la vie publique de Jésus : « Convertissez-vous : le Règne des cieux s’est approché. » (Mt 4, 17). Et au jeune homme riche de biens matériels et spirituels qui vient lui demander : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? », Jésus répond : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi ! » (Mt 19, 16... 21). On connaît la suite : le jeune homme n’a pas compris le trésor que représentait cet appel de Jésus, il n’a pas, du coup, trouvé la force du renoncement et il s’en est retourné à sa vie ordinaire, tout triste.

On voit tout de suite, bien sûr, les exigences que Jésus pose ici pour notre vie de baptisés : à l’entendre, il n’y a pas de demi-mesure. Cela veut dire que tout, désormais, dans nos vies, se juge à la lumière du Royaume de Dieu. « Réintroduire dans nos pensées, nos jugements, nos comportements, une référence au Royaume de Dieu qui vient, disait Mgr Coffy, est aujourd’hui une tâche essentielle de l’Église. »

 

LES RENONCEMENTS NÉCESSAIRES

Ce sont ces trois premières paraboles qui permettent de comprendre la quatrième, car c’est là que Jésus voulait en venir : elle est précédée d’un court dialogue entre Jésus et ses disciples : « Avez-vous compris tout cela ? », leur demande-t-il et eux répondent Oui. Alors Jésus reprend : « C'est ainsi que tout scribe devenu disciple du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l'ancien. »

Les scribes étaient familiers des Écritures, c'est-à-dire de l'Ancien Testament, pétri de la foi et de l’espérance de leur peuple. Mais Jésus savait quel effort ils auraient à faire pour accueillir la nouveauté qu’il apportait par rapport à leurs idées préconçues et pour se mettre au diapason de Dieu ; il les met en garde d’une certaine manière : pour accueillir le Royaume, vous aurez vous aussi des renoncements à opérer. Vous allez devenir propriétaires d'un trésor fait de neuf et d'ancien. Il vous faudra savoir garder tous les acquis de l’Ancien Testament, tout son trésor de découverte du mystère de Dieu et, en même temps, vous préparer à accueillir la nouveauté révélée par Jésus-Christ.

Sur le rapport entre Ancien et Nouveau Testament, et notre trésor fait à la fois d’Ancien et de Nouveau, il faut relire cette phrase de Jésus : «  N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger mais accomplir. » Nous savons combien les mystères révélés par Jésus s'enracinent dans la révélation de la première Alliance ; nous savons aussi que celle-ci trouve tout son son sens et son accomplissement en Jésus-Christ. Connaître l'Une et l'Autre, inséparablement, voilà le grand, l'unique trésor.

En y réfléchissant, on s’aperçoit que la vie de Paul est une illustration de ces quatre paraboles ; il suffit de relire les confidences qu’il fait aux Philippiens : après avoir énuméré ses titres de fierté en tant que Juif et Pharisien, il ajoute : « Toutes ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai considérées comme une perte à cause du Christ. Mais oui, je considère que tout est perte en regard de ce bien suprême qu’est la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur. » (Ph 3, 7-8).

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Note

Tout ce passage est propre à Matthieu

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15 juillet 2020 3 15 /07 /juillet /2020 18:52

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 18 juillet 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE LA SAGESSE   12,13.16-19

 

13   Il n’y a pas d’autre dieu que toi,
       qui prenne soin de toute chose :
       tu montres ainsi que tes jugements ne sont pas injustes.
16   Ta force est à l’origine de ta justice,
       et ta domination sur toute chose
       te permet d’épargner toute chose.
17   Tu montres ta force
       si l’on ne croit pas à la plénitude de ta puissance,
       et ceux qui la bravent sciemment, tu les réprimes.
18   Mais toi qui disposes de la force,
       tu juges avec indulgence,
       tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement,
       car tu n’as qu’à vouloir pour exercer ta puissance.
19   Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple
       que le juste doit être humain ;
       à tes fils tu as donné une belle espérance :
       après la faute tu accordes la conversion.

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            Le « Livre de la Sagesse » a été écrit en grec par un juif d’Alexandrie, donc sur le sol grec, dans les toutes dernières décades avant la venue du Christ ; pourtant, comme tous les auteurs bibliques, l’auteur de ce livre veut transmettre à ses lecteurs la foi juive reçue de la tradition des pères ; mais la difficulté réside dans le fait que ses lecteurs sont insérés dans la culture grecque, ou plutôt ils en sont imprégnés. Or dans le monde grec, ce qu’on admire le plus, c’est l’intelligence, et en particulier la philosophie ; le mot même « philosophie » veut dire « l’amour de la sagesse » : ce sont tous les efforts de l’intelligence humaine pour atteindre les secrets de la connaissance. Or pour les juifs il ne fait pas de doute que Dieu seul les connaît : l’auteur du livre biblique de la sagesse, je devrais dire le prédicateur, va donc dire haut et fort à ses contemporains que la vraie sagesse, les secrets de la connaissance, Dieu seul les possède. Il a compris déjà ce que Jésus dira quelques dizaines d’années plus tard, à savoir que les secrets de Dieu ne sont pas à la portée des sages et des savants mais des humbles. Je fais allusion ici à cette phrase de Jésus que nous avons entendue récemment dans l’évangile de Matthieu (c’était au quatorzième dimanche) : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits. » (Mt 11,25).

         Dans le passage que nous lisons aujourd’hui, il médite sur deux thèmes majeurs de la foi juive : la puissance de Dieu et la bonté de Dieu ; je commence par cette dernière, car l’auteur y insiste particulièrement. Je reprends ses termes ; d’après lui, Dieu « prend soin de toute chose », il « épargne toute chose », il « juge avec indulgence », il « nous gouverne avec beaucoup de ménagement », et enfin « après la faute il accorde la conversion ». Dans toutes ces affirmations, nous reconnaissons bien les acquis de la foi juive au terme de l’histoire biblique.

         En même temps, le Dieu d’Israël est tout-puissant, cela ne fait aucun doute : « Il n'y a pas d’autre dieu que toi, Seigneur »... « Il domine sur toute chose »... « Il dispose de la force »... « Il n’a qu'à vouloir pour exercer sa puissance ».

         Mais ce qui est particulièrement intéressant dans le texte d’aujourd’hui, c’est que l’auteur fait un lien entre la bonté de Dieu et sa puissance : pour lui, c’est une évidence : si Dieu est aussi indulgent avec les hommes, c’est parce qu’il est tout-puissant : « Ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose ».

         Ici il compare la puissance de Dieu et la volonté de puissance des hommes ; parce qu’ils ne possèdent pas la force en eux-mêmes, les hommes éprouvent le besoin d’en faire étalage : le verset 17 peut aussi se traduire : « Il fait montre de sa force, celui dont le pouvoir est mis en doute » (ce qui est un fait d’expérience). Dans la vie courante, il nous arrive de rencontrer ce qu’on appelle des « petits chefs » : ils prennent des airs importants, précisément parce que leur pouvoir est limité. Dieu au contraire qui dispose de la puissance infinie ne montre que douceur et patience : Il montre sa force, l'homme dont la puissance est discutée... Toi, (Seigneur), qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement, car tu n'as qu'à vouloir pour exercer ta puissance. »

         Cette découverte d’un Dieu à la fois tout-puissant et bon est un acquis magnifique de la religion juive et il a fallu des siècles de pédagogie de Dieu pour en arriver là ; ce regard sur Dieu ne nous est absolument pas spontané : il semble même que le mystère d’un Dieu d’amour soit irrémédiablement inaccessible à notre intelligence. « Vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins - oracle du SEIGNEUR. C’est que les cieux sont hauts par rapport à la terre ; ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins, et mes pensées par rapport à vos pensées. » (Is 55,8).

         Mais grâce à la Révélation patiente de Dieu par l’intermédiaire de ses prophètes, indiscutablement, au long des siècles, le regard des croyants sur Dieu s’est peu à peu transformé : on a appris que Dieu est tendresse et douceur et pardon. Ici, par exemple, nous avons entendu : « Après la faute, tu accordes la conversion. » On a appris également que sa puissance n’est pas tapageuse, qu’elle est celle, invincible, mais discrète du véritable amour. C’est bien la même découverte qu’avait faite le grand prophète Élie à l’Horeb : le Dieu tout-puissant n’est pas dans l’ouragan ni dans le feu, ni dans le tremblement de terre, mais dans le murmure de la brise légère.

         Et ce n’est pas fini : notre texte de ce dimanche va encore plus loin ; car toute découverte du mystère de Dieu entraîne des exigences nouvelles pour l’homme si celui-ci prend au sérieux sa ressemblance avec Dieu. Du coup, et c’est le deuxième aspect de la foi d’Israël, le regard sur l’homme change, et avec le regard, l’idéal humain change : si Dieu n’est qu’amour et tendresse et s’il nous a créés à son image, la conséquence ne se fait pas attendre : il nous faut abandonner peu à peu toute idée de violence et de puissance. On en a l’écho dans notre texte d’aujourd’hui : « Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain. »

         Jésus, à son tour, s’inscrivait bien dans la même ligne quand il disait à ses disciples : « Les chefs des nations les dominent en maîtres et les grands les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. » (Mt 20,25-26). Pourquoi ? Parce que notre vocation est de ressembler chaque jour davantage à Celui qui « épargne toute chose. »

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Compléments

Pseudépigraphie

Les usages littéraires des temps bibliques n’étaient pas les nôtres : on n’hésitait pas à attribuer au grand roi Salomon, réputé pour son amour de la sagesse un livre écrit quelque 900 ans après sa mort par un auteur anonyme. Dans la Bible grecque, le livre dont nos lisons un extrait ce dimanche est intitulé « Livre de la Sagesse de Salomon » mais il ne doit rien au grand roi, sinon la reconnaissance que l’on doit à celui qui introduisit à la cour de Jérusalem ce souci de la recherche philosophique qu’il tenait probablement des Égyptiens. (L’une de ses épouses était une princesse égyptienne).

Les livres « deutérocanoniques »

Parce qu’il a été écrit tardivement, et en grec, à Alexandrie (en Égypte), le livre de la Sagesse fait partie des livres qu’on appelle « deutérocanoniques ».

Lorsqu’à la fin du premier siècle de notre ère, les Juifs ont souhaité fixer définitivement la liste des livres destinés à figurer dans la Bible, ils ont basé leur choix sur trois critères : le contenu du livre (sa conformité à la foi d’Israël), la langue de composition du livre (l’hébreu exclusivement) et le lieu de composition (la terre d’Israël exclusivement).

Le livre de la Sagesse (ainsi que quelques autres) ne répond pas aux deux derniers critères, puisqu’écrit en grec (et non en hébreu) à Alexandrie, en Égypte (et non sur la terre d’Israël). Il ne fait donc pas partie de la liste officielle hébraïque. En revanche, la communauté juive de langue grecque (qui comprenait toutes les communautés juives du bassin méditerranéen hors Israël) l’a inscrit dans sa liste en plus des livres reconnus dans la liste hébraïque. Ce sont les livres de cette seconde liste que l’on appelle « deutérocanoniques » (en grec « deutero » = deux ; « canon » = règle).

Liste des livres deutérocanoniques :

Esther (partie grecque) ; Judith ; Tobit ; 1 et 2 Maccabées ; Sagesse ; Siracide ; Baruch ; lettre de Jérémie.

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PSAUME 85 (86), 5-6, 9-10, 15-16a

 

5        Toi qui es bon et qui pardonnes,         
          plein d'amour pour tous ceux qui t'appellent,
6        écoute ma prière, Seigneur,     
          entends ma voix qui te supplie.

9        Toutes les nations que tu as faites       
          viendront se prosterner devant toi,
10      car tu es grand et tu fais des merveilles,         
          toi Dieu, le seul.

15      Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié,  
          lent à la colère, plein d'amour et de vérité,
16      regarde vers moi,         
          prends pitié de moi.
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                  La première lecture de ce dimanche est extraite du livre de la Sagesse : l’auteur s’émerveille à la fois de la grandeur et de la tendresse de Dieu ; et il dit que l’une explique l’autre : si Dieu est indulgent avec l’homme, c’est précisément parce qu’il est tout-puissant. « Toi, Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence... Ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose. »

                  On retrouve bien ce double accent dans le psaume d’aujourd’hui : la première et la troisième strophes que nous avons entendues développent le thème de l’indulgence, la deuxième strophe dit la grandeur de Dieu. Je les reprends partiellement : première strophe sur l’indulgence de Dieu : « Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d'amour pour ceux qui t'appellent », troisième strophe sur le même ton : « Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de vérité » ; deuxième strophe sur la grandeur de Dieu : « Tu es grand et tu fais des merveilles, toi Dieu, le seul. »

                  Je les reprends maintenant une à une. Je commence par la troisième qui évoque d’emblée pour nous une phrase célèbre : « Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de vérité, regarde vers moi, prends pitié de moi. » La première phrase de cette strophe est l’une des grandes révélations de Dieu à Moïse au Sinaï. Je vous la rappelle : « Le SEIGNEUR passa devant Moïse et proclama : Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté. » (Ex 34,6). Or cette révélation de la miséricorde de Dieu intervenait au meilleur moment qui soit : c’était immédiatement après l’épisode du veau d’or ! Moïse est entré dans une grande colère et a jeté par terre les tables de la Loi que Dieu venait de lui donner. C’est donc le signe de l’Alliance qui était détruit par Moïse lui-même, après que l’Alliance elle-même ait été profanée par le peuple qui s’était fabriqué une idole, le veau en or.

                  Dieu, lui, ne renie pas l’Alliance pour autant, il dit à Moïse : taille deux nouvelles plaques de pierre qui seront les tables de la Loi. J’écrirai sur ces nouvelles tables les mêmes paroles que sur les premières tables. Voilà bien une preuve de sa miséricorde. Et c’est à ce moment précis qu’il dit à Moïse cette phrase : « Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté. »

                  Et comment Moïse a-t-il réagi ? Il a pris Dieu au mot, si j’ose dire : « Aussitôt, Moïse s'agenouilla à terre et se prosterna.  Et il dit : « Si vraiment j'ai trouvé grâce à tes yeux, ô Seigneur, que le SEIGNEUR marche au milieu de nous ; c'est un peuple à la nuque raide que celui-ci, mais tu pardonneras notre faute et notre péché, et tu feras de nous un peuple qui t’appartienne. »

                  L’auteur de notre psaume réagit exactement comme Moïse : il rappelle la miséricorde de Dieu et il le prend au mot, c’est-à-dire qu’il le supplie : « Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de vérité, regarde vers moi, prends pitié de moi. » Au fond, dans toutes nos prières, nous faisons la même chose, nous prenons Dieu au mot. Nous nous souvenons de son projet de bonheur, de son dessein bienveillant pour l’humanité et nous le supplions de hâter son accomplissement. (voir la deuxième lecture de ce dimanche : Rm 8,26-27). Nous retrouvons exactement le même mouvement dans la première strophe que nous lisons aujourd’hui : le rappel de la miséricorde de Dieu précède et encourage la prière : « Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d'amour pour ceux qui t'appellent, écoute ma prière, Seigneur, entends ma voix qui te supplie. »

                  Vous allez voir que le parallèle entre notre psaume et le livre de l’Exode continue : jusqu’ici nous avons lu dans le livre de l’Exode la révélation de Dieu et la réponse de Moïse. Dieu dit qu’il est miséricordieux et bienveillant et Moïse répond : « tu nous pardonneras » ; je lis maintenant la phrase suivante de Dieu : « je vais conclure une alliance. Devant tout ton peuple, je vais réaliser des merveilles, telles qu’il n’en fut créé nulle part sur la terre, ni dans aucune nation. » En écho la deuxième strophe de notre psaume chante : « Tu es grand et tu fais des merveilles, toi Dieu, le seul ». On peut penser que l’auteur du psaume connaissait bien le livre de l’Exode puisqu’il reprend exactement le même vocabulaire.

                  Mais l’autre verset de cette même strophe nous offre une nouveauté par rapport au livre de l’Exode : parce qu’il est probablement plus tardif, le psaume aborde un autre aspect de la foi juive : au cours de l’exil à Babylone, on a mieux pris conscience de l’universalisme du projet de Dieu et on a compris que toutes les nations sont appelées à le connaître. Or comment se convertiront-elles ? En découvrant l’œuvre de Dieu en faveur de son peuple. C’est une découverte tardive mais magnifique de la foi juive. Le peuple juif ne prétend pas convertir les autres peuples, mais il réalise que l’œuvre de Dieu en sa faveur devient le moyen de la conversion des autres peuples : s’ils ouvrent les yeux, ils sont amenés à reconnaître le Dieu d’Israël comme le sauveur et ils se tournent vers lui, condition nécessaire et suffisante pour être sauvés à leur tour.

                  Je vous lis cette strophe et je terminerai par elle  : « Toutes  les nations  que  tu  as  faites viendront se prosterner devant toi, car tu es grand et tu fais des merveilles, toi Dieu, le seul. »

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   8, 26-27

     

       Frères,
26   l'Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse,
       car nous ne savons pas prier comme il faut.
       L'Esprit lui-même intercède pour nous
       par des gémissements inexprimables.
27   Et Dieu, qui scrute les cœurs,
       connaît les intentions de l'Esprit :
       puisque c’est selon Dieu
       que l'Esprit intercède pour les fidèles
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         Vous avez entendu l’insistance de saint Paul sur le rôle de l’Esprit Saint ! Dans ce seul chapitre 8 de la lettre aux Romains, il le nomme 18 fois ! À l’entendre, notre vie de baptisés se déroule tout entière sous l’influence de l’Esprit Saint : si nous nous laissons faire, évidemment. Nous restons libres, nous ne le savons que trop bien. Mais Paul, rappelez-vous, a des formules très fortes. Par exemple, il a affirmé que « l’Esprit habite en nous » (8,9.11), (c’était il y a 15 jours pour le 14e dimanche). La semaine dernière, pour le 15e dimanche, il nous a parlé de ce grand projet de Dieu qui couvre toute l’histoire de l’humanité et qui ressemble à une naissance. Il nous disait : les douleurs de la mise au monde d’un nouveau-né ne sont pas rien, mais elles sont le prélude d’un grand bonheur. Je vous rappelle ce passage de la lettre de Paul : « J'estime qu'il n'y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous... Nous le savons bien, la création tout entière crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d'un enfantement qui dure encore. »

         Aujourd’hui, il nous parle de la prière : il nous dit que l’Esprit guide notre prière pour nous faire entrer dans ce fameux projet de Dieu. Le texte d’aujourd’hui est très court mais il met bien en valeur un rapprochement intéressant : d’une part, et c’est le dernier verset, « c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles », dit Paul. Et, d’autre part, il « vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. » Si je comprends bien, « prier comme il faut », c’est entrer dans la volonté de Dieu, « vouloir ce que Dieu veut » ; c’est regarder le monde au sens large, mais aussi notre entourage proche avec le regard de Dieu ; c’est nous réjouir quand nous voyons des signes même petits de l’avancement du Royaume de Dieu, des progrès de fraternité, de partage, de solidarité, de respect. C’est refuser de baisser les bras devant les lenteurs des progrès de l’humanité, puisque l’Esprit souffle sans arrêt, même si cela n’apparaît pas toujours en pleine lumière. C’est donc continuer, quoi qu’il arrive, à désirer de toutes nos forces la croissance du projet de Dieu.

         On pense aussitôt au Notre Père : « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » Ces trois vœux que nous formons sont notre manière d’entrer dans les vues de Dieu. Nous comprenons du coup pourquoi nous ne savons pas prier comme il faut : comment saurions-nous nous hisser par nous-mêmes au niveau du projet de Dieu ? Il nous faut bien l’assistance de l’Esprit Saint pour éclairer notre prière. Au fond, c’est ce que Jésus lui-même avait promis à ses disciples le dernier soir : « Moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous. » (Jn 14,15). Si je comprends bien, la prière commence peut-être tout simplement par appeler l’Esprit à notre secours. Car il connaît, lui, les secrets du projet de Dieu ; Paul le dit plus longuement dans la première lettre aux Corinthiens : « L’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. Qui donc, parmi les hommes, connaît ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, ce qui est en Dieu, personne ne le connaît, sinon l’Esprit de Dieu. Pour nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les dons de la grâce de Dieu. » (1 Co 2,10-12).

           Le meilleur modèle pour notre prière, en définitive, est certainement Jésus lui-même, puisqu’il était en permanence conduit par l’Esprit-Saint. Or tout au long de sa vie terrestre on peut voir à quel point sa prière et toutes ses paroles et ses gestes ont été sous le signe de l’accomplissement de la mission confiée par son Père : les évangiles sont parsemés d’épisodes où il se montre à l’écoute de la volonté du Père. J’en retiens quelques-uns ; cela commence dès son adolescence, d’après l’évangile de Luc : à sa maman qui s’inquiète de lui, l’enfant répond : « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » (Lc 2,49). Quelques années plus tard, avant de commencer ce que l’on appelle sa vie publique, il affronte le Tentateur au désert ; et ce qui fait la différence entre les deux protagonistes, justement, c’est la volonté ferme de Jésus de se maintenir dans l’obéissance à la Parole de son Père : à chaque sollicitation du diable, il répond par une parole de l’Écriture.

         Quelques années plus tard, à la veille de sa mort, au cours de la longue prière qu’il développe devant ses disciples, et que Jean nous rapporte, on est frappé de cet ajustement du Christ à la volonté de son Père : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ! Au contraire, c’est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres. » (Jn 14,10) ; « J’aime mon Père et j’agis conformément à ce que le Père m’a prescrit. » (Jn 14,31). Et l’on connaît la prière qu’il prononcera quelques heures plus tard, au jardin de Gethsémani : « Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». On comprend pourquoi l’auteur de la lettre aux Hébreux résume la vie de Jésus en une phrase : « En entrant dans le monde, Jésus dit : Voici je suis venu pour faire ta volonté. » (He 10,9)

          Une autre caractéristique de la prière de Jésus qui doit être le modèle de la nôtre, c’est l’action de grâce. Or sa joie éclate chaque fois qu’il voit des signes de l’accomplissement du projet de Dieu : par exemple, chaque fois qu’il constate la foi de ses interlocuteurs ; ou encore au retour des soixante-douze disciples qu’il avait envoyés en mission, Jésus laisse déborder sa joie ; Luc écrit : « À l’instant même, il exulta sous l’action de l’Esprit Saint et dit : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. » (Lc 10,21) Voilà qui devrait chasser nos craintes : tout-petits, nous le sommes ; mais ne nous attristons plus de notre faiblesse : elle est en nous la porte ouverte à l’Esprit-Saint.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   13, 24-43

 

24   Jésus proposa cette parabole à la foule :
       « Le Royaume des cieux est comparable
       à un homme qui a semé du bon grain dans son champ.
25   Or, pendant que les gens dormaient,
       son ennemi survint ;
       il sema de l'ivraie au milieu du blé
       et s'en alla.
26   Quand la tige poussa et produisit l'épi,
       alors l'ivraie apparut aussi.
27   Les serviteurs du maître vinrent lui dire :
       Seigneur, n'est-ce pas du bon grain
       que tu as semé dans ton champ ?
       d'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ?
28   Il leur dit :
       C'est un ennemi qui a fait cela.
       Les serviteurs lui disent :
       Veux-tu donc que nous allions l'enlever ?
29   Il répond :
       Non, en enlevant l'ivraie,
       vous risquez d’arracher le blé en même temps.
30   Laissez-les pousser ensemble jusqu'à la moisson ;
       et, au temps de la moisson,
       je dirai aux moissonneurs :
       Enlevez d'abord l'ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ;
       quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier. »     

31   Il leur proposa une autre parabole :
       « Le Royaume des cieux est comparable
       à une graine de moutarde
       qu'un homme a prise et qu’il a semée dans son champ.
32   C'est la plus petite de toutes les semences,
       mais, quand elle a poussé,
       elle dépasse les autres plantes potagères
       et devient un arbre,
       si bien que les oiseaux du ciel viennent
       et font leurs nids dans ses branches. »
33   Il leur dit une autre parabole :
       « Le Royaume des cieux est comparable
       au levain qu'une femme a pris et qu’elle a enfoui
       dans trois mesures de farine,
       jusqu'à ce que toute la pâte ait levé. »
34   Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles
       et il ne leur disait rien sans parabole,
35   accomplissant ainsi la parole du prophète :
       J’ouvrirai la bouche pour des paraboles,
       je publierai ce qui fut caché depuis la fondation du monde.
36   Alors, laissant les foules, il vint à la maison.
       Ses disciples s'approchèrent et lui dirent :
       « Explique-nous clairement la parabole de l'ivraie dans le champ. »
37   Il leur répondit :  « Celui qui sème le bon grain, c'est le Fils de l'homme ;
38   le champ, c'est le monde ;
       le bon grain, ce sont les fils du Royaume ;
       l'ivraie, ce sont les fils du Mauvais.
39   L'ennemi qui l'a semée, c'est le diable ;
       la moisson, c'est la fin du monde ;
       les moissonneurs, ce sont les anges.
40   De même que l'on enlève l'ivraie
       pour la jeter au feu,
       ainsi en sera-t-il à la fin du monde.
41   Le Fils de l'homme enverra ses anges
       et ils enlèveront de son Royaume
       tous les causes de chute
       et ceux qui font le mal,
42   ils les jetteront dans la fournaise :
       là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
43   Alors les justes resplendiront comme le soleil
       dans le Royaume de leur Père.
       Celui qui a des oreilles, qu'il entende ! »
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         Extraite de son contexte, on pourrait penser que la parabole de l’ivraie est un début de réponse au problème de l’origine du mal : ce n’est pas Dieu qui le crée tout comme ce n’est pas le maître de maison qui a semé l’ivraie : le récit de la création dans la Genèse y insistait déjà : alors que les autres religions considéraient que les divinités avaient créé le mal autant que le bien, l’auteur inspiré affirmait que tout ce que Dieu a fait était très bon ! (Gn 1,31). Jésus s’inscrit dans cette ligne, puisqu’il affirme que le maître de maison n’a semé que du bon grain.

         Mais, si on replace la parabole de l’ivraie dans le contexte du chapitre 13 de saint Matthieu, il semble qu’elle parle d’autre chose. Car elle suit immédiatement la parabole du semeur et l’explication que Jésus en donne. La parabole du semeur que nous lisions dimanche dernier nous obligeait à admettre que les semailles ne sont pas forcément récompensées : pour le dire autrement, l’annonce de la Bonne Nouvelle ne rencontre pas toujours les oreilles attentives et les cœurs ouverts dont nous rêvons. La parabole de l’ivraie prend exactement la suite en posant la question : si l’on peut identifier les causes de nos échecs dans la mission d’évangélisation, ne peut-on pas prendre des mesures tout de suite ?

         Nous nous retrouvons dans ce champ que son propriétaire a ensemencé. Le récit précédent insistait sur la qualité du terrain, plus ou moins favorable à une bonne récolte ; la présente parabole fait intervenir un ennemi qui sème nuitamment au milieu du blé une mauvaise herbe qui risque de l’étouffer.

         Le traducteur l’appelle « ivraie », en grec c’est « zizanion » ; c’est de là, nous le savons, qu’est venue l’expression « semer la zizanie, la discorde ». Alors qu’il était bien difficile de changer la nature du terrain (dans la parabole du semeur), il paraît davantage possible d’intervenir pour supprimer le parasite. Mais l’histoire nous dit que le propriétaire s’y oppose : c’est au maître de la moisson, et à lui seul, qu’il revient de faire le tri quand il le jugera bon. Traduisez : c’est à Dieu et à personne d’autre qu’il revient de déraciner le mal « Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? » dit Paul dans la lettre aux Romains (Rm 14,4).

         Cela veut dire que Jésus nous invite à accepter comme notre condition de créatures ce mélange permanent de bien et de mal. Il vise peut-être ici la tentation d’élitisme qui prend certaines communautés ; certains pharisiens, par exemple, méprisaient parfois ceux qu’ils appelaient le petit peuple du pays, ceux qui avaient bien du mal à respecter toute la loi et les commandements ; d’autre part les zélotes partaient parfois en guerre contre ceux qu’ils considéraient comme trop tièdes ; on sait maintenant que ce fut l’origine de la révolte juive de 70 ap. J.-C. Or Matthieu est le seul des évangélistes à rapporter cette parabole, on peut en déduire que la communauté pour laquelle il écrivait avait particulièrement besoin d’entendre cette leçon-là.

         Un jour viendra pourtant où le maître de la moisson dira que l’heure a sonné de faire le tri. Jésus reprend là, dans l’explication qu’il donne à ses disciples, le style et l’imagerie traditionnelle du thème du jugement dans toute la Bible : il est toujours présenté comme une division en deux camps, les bons d’un côté, les mauvais de l’autre, mais personne ne s’y trompe : personne n’oserait se vanter d’être entièrement bon, personne non plus ne peut être accusé d’être entièrement mauvais ! La frontière qui sépare les bons des méchants passe en réalité en chacun de nous ! Nous sommes tous des êtres partagés. Quand Malachie oppose les humbles aux arrogants (Ml 3,191), quand les psaumes parlent des justes et des méchants (Ps 1), quand Jésus oppose bon grain et ivraie, nous sommes tous concernés : tous à la fois humbles et arrogants, justes et méchants, bon grain et ivraie ; nous retrouverons exactement la même opposition dans la parabole du jugement dernier également chez saint Matthieu (Mt 25,31-46).

         Mais alors comment comprendre concrètement, et comment concilier la brutalité promise aux méchants et la récompense promise aux bons, si nous sommes chacun les deux à la fois ? C’est Malachie qui nous donne la réponse : le soleil de justice fera germer tout ce qui est bon, le mal disparaîtra en un clin d’œil. Le psaume 1 dit la même chose avec une autre image : le bon grain sera moissonné, le mal sera tout simplement emporté par le vent. Jésus traduit : le maître de la moisson qui ne peut supporter de voir déraciner le moindre épi de blé avec l’ivraie (Mt 13,29) ne condamnera pas en nous le bien avec le mal.

         À l’histoire de l’ivraie, Jésus ajoute deux autres paraboles très courtes : la graine de moutarde et le levain ; elles apparaissent comme un contrepoint aux deux grandes paraboles précédentes qui décrivaient tous les obstacles à la croissance du Royaume ; elles disent au contraire sa puissance intérieure qui le fera aboutir infailliblement à son parfait déploiement : la graine de moutarde et le levain sont tous deux enfouis et disparaissent, la graine pour devenir elle-même le grand arbre, le levain, lui, au profit de la pâte qui lève grâce à lui.

         Par là, Jésus nous invite à la confiance, à la patience et à l’humilité : remarquez la fragilité des commencements, la petitesse de la graine ou du levain comparée à la taille du résultat. Patience : la moisson viendra. Ce message de patience qui consonne si bien avec la première lecture nous suggère une nouvelle lecture de la parabole de l’ivraie : si Dieu se montre aussi patient, c’est peut-être parce qu’il ne faut pas risquer de perdre de bonnes gerbes en arrachant les mauvaises herbes (tout jardinier connaît ce risque). Mais c’est surtout parce qu’il ne désespère jamais de transformer l’ivraie de nos cœurs elle-même en bon grain !

 

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Note 

1 - Le prophète Malachie emploie l'image d'un soleil purificateur qui brûle tout ce qui est mauvais et fait germer tout ce qui est bon : « Voici que vient le jour, brûlant comme un four. Tous les arrogants et les méchants ne seront que paille. Le jour qui vient les embrasera, dit le SEIGNEUR, le Tout-Puissant. - Il ne leur laissera ni racines ni rameaux. Pour vous qui craignez mon nom, le soleil de justice se lèvera portant la guérison dans ses rayons. » (Ml 3,19-20). L'image de Malachie est très parlante : devant Dieu, soleil de justice, chaque personne humaine est là, avec ses grandeurs et ses misères, ses péchés et ses grâces : en la libérant de toutes les entraves du mal, Dieu permettra à tout ce qui est bon en elle de s'épanouir.

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Compléments

1 – « Il ne leur disait rien sans employer de paraboles, accomplissant ainsi la parole du prophète : C'est en paraboles que je parlerai, je proclamerai les choses cachées depuis les origines. » (versets 34-35). Il semble que Matthieu fasse référence ici au psaume 78 (77),2 : « J’ouvrirai la bouche pour une parabole, je publierai ce qui fut caché dès l’origine. »

2 - La « fournaise ardente » (verset 42) : l’expression est tirée du livre de Daniel dans l’épisode des trois jeunes gens jetés dans la fournaise sur ordre du roi Nabuchodonosor (Dn 3,6).

3 - « Pleurs et grincements de dents » (même verset 42) : Matthieu reprend ici une expression classique dans la Bible pour dire la rage et le désespoir des impies devant le bonheur des justes. Exemple : « Ils ouvrent la bouche à tes dépens, tous tes ennemis ; ils sifflent et grincent des dents. » (Lm 2,16). On trouve des formules similaires dans le livre de Job (Jb 16,9) et dans les Psaumes (Ps 35,16 ; Ps 37,12 ; Ps 112,10). On la trouve plusieurs fois chez Matthieu (Mt 8,12 ; 13,42.50 ; 22,13 ; 24,51 ; 25,30) et une fois chez Luc (Lc 13,28).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 07 19 16e dimanche du temps ordinaire A

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6 juillet 2020 1 06 /07 /juillet /2020 11:41

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

 

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 11 juillet 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  55, 10-11

 

       Ainsi parle le SEIGNEUR
10   La pluie et la neige qui descendent des cieux
       n'y retournent pas sans avoir abreuvé la terre,
       sans l'avoir fécondée et l'avoir fait germer,
       donnant la semence au semeur
       et le pain à celui qui doit manger ;
11   ainsi ma parole, qui sort de ma bouche,
       ne me reviendra pas sans résultat,
       sans avoir fait ce qui me plaît,
       sans avoir accompli sa mission.
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         Comme le font souvent les prophètes, Isaïe emploie une image pour se faire comprendre. L’image ici est celle de la pluie et de la neige. À Babylone où il est en exil avec son peuple (au 6e siècle av. J.-C), on a l’expérience des bienfaits de la pluie : un pays gorgé de soleil, comme est Israël ou comme est Babylone, ne demande qu’à refleurir dès la première pluie : « La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, pour donner la semence au semeur et le pain à celui qui mange... »

         Le prophète applique cette image d’efficacité à la Parole de Dieu : « Ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission. »

         Pourquoi insiste-t-il sur l’efficacité de la Parole de Dieu ? Pour deux raisons :

         Première raison, il est en train d’annoncer la fin de l’Exil à Babylone, le retour à Jérusalem des déportés. Voilà cinquante ans que les habitants de Jérusalem sont déportés à Babylone ; eh bien, c’est fini, leur promet Isaïe de la part de Dieu, vous allez très bientôt être libérés, vous allez sortir d’ici.

          Évidemment, pour oser croire à une telle promesse, à une libération attendue depuis si longtemps, il faut avoir confiance dans la parole de Dieu. C’est pour cela qu’Isaïe est si ferme : « ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission. »

          On ne s’étonne pas que de tels propos sur l’efficacité de la Parole de Dieu aient été prononcés toujours dans des moments difficiles de l’histoire du peuple d’Israël. C’est à ces moments-là qu’il faut se raccrocher à sa foi. Par exemple, dès le début du deuxième Isaïe, on trouve cette phrase : « Tous les êtres de chair sont de l’herbe et toute leur constance est comme la fleur des champs : l’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours. » (Is 40,6... 8). Ou encore, le premier chapitre de la Genèse, ce long poème de la Création qui a été rédigé lui aussi pendant l’Exil à Babylone, répète à plusieurs reprises : « Dieu dit et cela fut ». On lit la même insistance chez le prophète Jérémie, qui prêche lui aussi en période d’inquiétude ; il dit de la part de Dieu : « Je veille à l’accomplissement de ma parole. » (Jr 1,12). Au passage, vous savez que c’est le même mot en hébreu (« Davar ») qui signifie à la fois « parole » et « événement ».

          La deuxième raison de l’insistance d’Isaïe sur l’efficacité de la Parole de Dieu, c’est sa volonté de lutter contre l’idolâtrie : car la tentation de perdre confiance en Dieu renaissait inévitablement pendant l’Exil ; voilà le raisonnement qu’on entendait parfois : puisque nous (les gens de Jérusalem), nous sommes vaincus, anéantis, nous ferions peut-être mieux de nous tourner vers les dieux des vainqueurs, les Babyloniens en l’occurrence. Eux au moins ils ont des dieux efficaces !

         C’est bien chez le deuxième Isaïe, le prophète du temps de l’Exil, qu’on trouve les paroles les plus cinglantes contre les idoles des autres nations : sur le thème : Notre Dieu n’est pas comme les idoles qui sont désespérément muettes et qui ne peuvent rien pour nous. Je vous en cite une phrase : « Qu’un homme crie vers lui (le faux dieu), il ne répond pas, de sa détresse, il ne le sauve pas. » (Is 46,7). Et si vous avez la curiosité de lire le chapitre 44 d’Isaïe, vous y trouverez tout un développement assez sarcastique sur les pauvres gens qui utilisent le même bois pour faire du feu et pour se fabriquer des statues ; et les malheureux attendent une aide de ces statues inertes qu’ils ont fabriquées eux-mêmes ! En écho, vous connaissez cette phrase du psaume 113 (115 dans la Bible) : « Notre Dieu, il est au ciel ; tout ce qu’il veut, il le fait. Leurs idoles : or et argent, ouvrage de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas, des narines et ne sentent pas. Leurs mains ne peuvent toucher, leurs pieds ne peuvent marcher, pas un son ne sort de leur gosier ! »

         Je reviens au texte d’aujourd’hui : « Ma parole ne me reviendra pas sans avoir accompli sa mission. » Je m’arrête sur ce mot de mission : Isaïe avait compris une chose, c’est que la grande particularité de la parole de Dieu est d’être une parole de pardon et de réconciliation. Je vous lis les versets qui précèdent tout juste notre texte d’aujourd’hui : « Recherchez le SEIGNEUR parce qu’il se laisse trouver, appelez-le puisqu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme malfaisant, ses pensées. Qu’il retourne vers le SEIGNEUR qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu qui pardonne abondamment. CAR vos pensées ne sont pas mes pensées... » (Is 55,6-9). La mission dont il est question dans le passage d’aujourd’hui (« ma parole ne me reviendra pas sans avoir accompli sa mission ») est donc une mission d’annonce du pardon gratuit de Dieu, et donc de réconciliation de l’humanité avec lui :  Traduisez : Dieu finira bien par réconcilier l’humanité avec lui. Plus tard, saint Paul ne dira pas autre chose : « Dieu notre sauveur, veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1 Tm 2,4).

         Même s’il faut pour cela envoyer le Verbe dans le monde : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le. » Les disciples, à leur tour, sont envoyés en ambassade de réconciliation : « Tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. » (2 Co 5,18). Le Verbe fait chair n’est pas retourné vers le Père « sans résultat... sans avoir accompli sa mission » de réconciliation.

         Comme le dit la lettre aux Hébreux : « Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu’il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes. Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être et il porte l’univers par la puissance de sa parole. » (He 1,1-3).

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PSAUME  64  ( 65 ), 10, 11, 12-13, 12b. 14

 

10   Tu visites la terre et tu l'abreuves,
       tu la combles de richesses :
       les ruisseaux de Dieu regorgent d'eau :
       tu prépares les moissons.

       Ainsi tu prépares la terre,
11   tu arroses les sillons ;
       tu aplanis le sol, tu le détrempes sous les pluies,
       tu bénis les semailles.

12   Tu couronnes une année de bienfaits ;
       sur ton passage ruisselle l'abondance.
13   Au désert les pâturages ruissellent,
       les collines débordent d'allégresse.

14   Les herbages se parent de troupeaux
       et les plaines se couvrent de blé.
       Tout exulte et chante !
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La liturgie de ce dimanche nous propose une partie seulement du psaume 64 : ce sont les versets 10 à 14 qui sont les derniers. Et ils sonnent comme une heureuse et tranquille contemplation de la nature. Mais il ne faut pas s’arrêter là, car, avant ceux-ci il y a neuf autres versets qui parlent de tout autre chose. Et ce sont ces neuf versets qui donnent la véritable dimension de ce psaume.

Je vous donne le premier verset : « Il est beau de te louer, Dieu, dans Sion, de tenir ses promesses envers toi, qui écoutes la prière. » (Au passage, Sion, c’est le deuxième nom de Jérusalem). De quelles promesses s’agit-il ? De celles que l’on a faites quand on était en exil à Babylone, au sixième siècle av. J.-C. Là-bas, on avait fait un vœu : Si Dieu nous libère de cet exil forcé et nous ramène en Israël, alors on fera la fête au temple de Jérusalem. Ce psaume est donc ce qu’on appelle un ex-voto : il a été composé au retour d’Exil pour rendre grâce pour la libération accordée par Dieu. Vous voyez qu’on est loin d’un simple chant sur les bienfaits de la pluie et du retour des saisons !

Cette libération est vécue comme un pardon : à l’époque, l’Exil a été considéré comme un châtiment pour les fautes du peuple et de ses dirigeants ; le retour est accueilli comme un retour en grâce : Dieu efface notre passé de pécheurs. C’est le sens des versets suivants : « Nos fautes ont dominé sur nous ; toi, tu les pardonnes. » Au passage, il y a une phrase superbe que beaucoup d’entre nous connaissent car elle fait partie de la musique de certains requiems célèbres : « Jusqu’à toi vient toute chair avec son poids de péché » (« Ad te omnis caro veniet »).

C’est donc le peuple qui célèbre la fidélité de Dieu à son Alliance : « Heureux ton invité, ton élu : il habite ta demeure ! » Il faut entendre le poids de ces mots : « ton élu ». Sans aucun mérite de sa part, mais par pure grâce, par un choix délibéré de Dieu, ce petit peuple a été choisi, admis dans l’intimité de Dieu. C’est ce que l’on appelle « l’élection d’Israël ».

L’auteur du psaume propose ici une comparaison : au milieu du peuple d’Israël, il y avait une tribu privilégiée, celle des lévites ; elle avait une place à part, celle d’être consacrée au service exclusif de Dieu. Eh bien, la position du peuple élu au milieu des autres nations est comparable à celle des lévites au sein d’Israël. « Heureux ton invité, ton élu : il habite ta demeure ! Les biens de ta maison nous rassasient, les dons sacrés de ton temple ! »

Mais c’est également au cours de l’Exil à Babylone que l’on a pris conscience de la dimension universelle du projet de Dieu ; alors le peuple d’Israël a compris que son élection était en fait une mission, celle de messager auprès des autres nations ; quand les autres peuples verront que Dieu a sauvé Israël, ils auront la preuve que le Dieu d’Israël est le seul sauveur et ils se tourneront vers lui et alors ils possèderont la vraie joie, celle de connaître enfin Dieu. Cela nous vaut encore un autre verset magnifique : « Dieu notre sauveur » est « l’espoir des horizons de la terre et des rives lointaines ».

Avec le retour au pays, une vie nouvelle va commencer ; c’est une véritable re-création. C’est ce qui explique la fin du psaume : l’apparence bucolique des derniers versets (ceux qui ont été retenus par la liturgie) ne doit donc pas faire oublier le vrai thème de ce psaume qui est une action de grâce du peuple libéré. L’évocation des beautés de la nature n’est là que pour suggérer cette vie nouvelle : « Tu couronnes une année de bienfaits ; sur ton passage ruisselle l'abondance. »

Mieux même, la profusion des dons de Dieu dans la nature se prête admirablement bien à l’évocation des dons combien plus hauts et merveilleux, et plus encore de ses inlassables pardons. Car on a compris, déjà, que le jugement de Dieu est un jugement qui sauve

Je crois que maintenant nous sommes prêts à entendre ce psaume en entier :

« Il est beau de te louer, Dieu, dans Sion, de tenir ses promesses envers toi, qui écoutes la prière. Jusqu’à toi vient toute chair avec son poids de péché ; nos fautes ont dominé sur nous ; toi, tu les pardonnes. Heureux ton invité, ton élu : il habite ta demeure ! Les biens de ta maison nous rassasient, les dons sacrés de ton temple ! Ta justice nous répond par des prodiges, Dieu notre sauveur, espoir des horizons de la terre et des rives lointaines. Sa force enracine les montagnes, il s’entoure de puissance ; il apaise le vacarme des mers, le vacarme de leurs flots et la rumeur des peuples. Les habitants des bouts du monde sont pris d’effroi* à la vue de tes signes ; aux portes du Levant et du Couchant, tu fais jaillir des cris de joie. Tu visites la terre et tu l'abreuves, tu la combles de richesses : les ruisseaux de Dieu regorgent d'eau : tu prépares les moissons. Ainsi tu prépares la terre, tu arroses les sillons ; tu aplanis le sol, tu le détrempes sous les pluies, tu bénis les semailles. Tu couronnes une année de bienfaits ; sur ton passage ruisselle l'abondance. Au désert les pâturages ruissellent, les collines débordent d'allégresse. Sur ton passage ruisselle l'abondance : Les herbages se parent de troupeaux et les plaines se couvrent de blé. Tout exulte et chante ! »

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Note

* - « Effroi » ici ne veut pas dire épouvante : c’est un mot du vocabulaire de cour qui signifie que, désormais, Dieu est reconnu comme le grand roi sur toute la terre.

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   8, 18-23

 

       Frères,
18   j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure
       entre les souffrances du temps présent
       et la gloire qui va être révélée pour nous.
19   En effet la création attend avec impatience
       la révélation des fils de Dieu.
20   Car la création a été soumise au pouvoir du néant,
       non pas de son plein gré,
       mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir.
       Pourtant, elle a gardé l’espérance
21   d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation,
       pour connaître la liberté
       de la gloire donnée aux enfants de Dieu.
22   Nous le savons bien,
       la création tout entière gémit,
       elle passe par les douleurs d’un enfantement
       qui dure encore.
23   Et elle n’est pas seule.
       Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ;
       nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint,
       mais nous attendons notre adoption
       et la rédemption de notre corps.

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              « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu ». Cela veut dire que la création n’est pas un événement du passé : elle est un projet en marche.

              Je vous propose une comparaison : Imaginons la naissance d’une œuvre d’art, une immense sculpture de bronze, par exemple. J’ai en tête une grande croix de bronze offerte à une église de mon diocèse par un sculpteur tchèque ; aujourd’hui, elle est admirable, mais que de difficultés, petites et grandes, pour en arriver là !

         Depuis le premier jour, l’artiste sait où il va et il sait qu’il lui faudra beaucoup de patience et de temps ; il faudra passer par bien des étapes, des débuts de réalisation, des échecs, peut-être... Dans bien des cas, il devra s’entourer de collaborateurs. Ceux-ci devront endurer les fatigues et les peines, les risques sans très bien savoir où ce travail parfois ingrat les mènera. Car seul l’artiste imagine déjà l’œuvre achevée ; et la beauté entrevue, comment la décrire, la faire partager à ses collaborateurs ? Ceux-ci devront faire preuve de beaucoup de confiance pour s’engager sur ce chantier.

         On pourrait comparer le projet de Dieu à cette naissance d’une œuvre d’art : d’ailleurs Paul parle bien d’enfantement. Dieu seul, pour l’instant, peut décrire l’œuvre achevée ; qui est en train d’achever l’œuvre ? Nous, chacun, pour notre petite part, mais surtout l’Esprit qui souffle sur le monde pour le tourner vers Dieu. « Nous avons commencé à recevoir le Saint Esprit, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps. » : au sens biblique, notre corps, c’est notre être tout entier ; la rédemption de notre corps, cela veut dire que notre être tout entier, actuellement encore enchaîné, lié au péché, sera enfin libéré, libre de vivre en fils de Dieu.

         La traduction liturgique dit « Nous avons commencé à recevoir le Saint Esprit, mais nous attendons notre adoption » et c’est déjà magnifique, mais il est bon de lire aussi d’autres traductions, tant la réalité qui nous est promise est de fait intraduisible ; ainsi la Traduction Œcuménique a-t-elle préservé le mot « prémices » : « Nous qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption... » Au sens biblique, les prémices, c’est la première gerbe de la récolte ou l’agneau premier-né du troupeau au printemps.  Ils étaient à la fois début et promesse de la récolte tout entière. Belle image pour dire que nous possédons déjà les arrhes du salut définitif ; « car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). Et c’est parce que nous possédons déjà les prémices, parce que nous sommes déjà animés par l’Esprit, que nous gémissons dans l’attente de notre transformation définitive.

         La quatrième Prière Eucharistique a cette phrase superbe : « Il (Ton Fils) a envoyé d’auprès de toi, comme premier don fait aux croyants, l’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification. » « Toute sanctification », c’est-à-dire toute transformation. Pour l’instant, la création est encore « livrée au pouvoir du néant » : la formidable puissance qui anime la création tout entière est trop souvent dirigée contre elle-même, elle est le théâtre de toutes sortes de violences. Mais dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle que nous attendons, vers lesquels nous tendons, plutôt, cette puissance sera devenue passion de l’unité : « Nous attendons des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habitera. » (2 P 3,13). Alors la création sera « libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté ».

         Il semble bien que Paul parle de l’ensemble de la création et du cosmos, pas seulement de nous. En cela, il ne fait que reprendre un thème familier aux hommes de la Bible, pour lesquels par exemple, la dysharmonie engendrée par le mauvais choix d’Adam entraîne le jardin tout entier, c’est-à-dire toute la création dans le chaos : « Le sol sera maudit à cause de toi. » (Gn 3,17). À l’inverse, quand la justice habitera sur la terre, non seulement les hommes, mais aussi les animaux connaîtront la paix. Car l’homme fait partie du cosmos et ne se conçoit pas sans lui ; c’est, je crois, l’un des sens de la magnifique « parabole » des animaux du prophète Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du SEIGNEUR, comme la mer que comblent les eaux. » (Is 11,6-9). Comme le dit Paul ailleurs, dans la lettre aux Éphésiens : c’est « l’univers entier, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre » qui sera un jour réuni sous un seul chef (tête), Jésus-Christ. (Ep 1,9-10).

           Je reprends ma comparaison de l’œuvre d’art : pour nous qui sommes engagés dans le projet de Dieu, nous avons un immense privilège par rapport aux collaborateurs habituels d’un artiste : nous entrevoyons déjà l’œuvre achevée : « Le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père. » (Jn 1,14). En attendant, ce grand travail d’enfantement de l’humanité nouvelle se poursuit encore dans les douleurs et les gémissements. Raison de plus pour que les croyants trouvent l’audace d’annoncer dès à présent la gloire promise à toute la création.

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Complément

« La gloire que Dieu va bientôt révéler en nous » : la résurrection des fils d’Adam s’accompagnera d’un renouvellement de toutes choses : « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu... Elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage... pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu. » « Nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, avec une gloire toujours plus grande par le Seigneur qui est Esprit. » (2 Co 3,18).

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   13, 1-23

 

1     Ce jour là, Jésus était sorti de la maison,
       et il était assis au bord du lac.
2     Une foule immense se rassembla auprès de lui,
       si bien qu'il monta dans une barque où il s'assit ;
       toute la foule se tenait sur le rivage.
3     Il leur dit beaucoup de choses en paraboles :
       « Voici que le semeur est sorti pour semer.
4     Comme il semait,
       des grains sont tombés au bord du chemin,
       et les oiseaux sont venus tout manger.
5     D'autres sont tombés sur le sol pierreux,
       où ils n'avaient pas beaucoup de terre ;
       ils ont levé aussitôt
       parce que la terre était peu profonde.
6     Le soleil s'étant levé, ils ont brûlé
       et, faute de racines, ils ont séché.
7     D'autres grains sont tombés dans les ronces ;
       les ronces ont poussé et les ont étouffés.
8     D'autres sont tombés sur la bonne terre
       et ils ont donné du fruit
       à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un.
9     Celui qui a des oreilles,
       qu'il entende. »
10   Les disciples s'approchèrent de Jésus et lui dirent :
       « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? »
11   Il leur répondit :
       « À vous il est donné de connaître
       les mystères du Royaume des cieux,
       mais à eux, ce n'est pas donné.
12   Celui qui a recevra encore
       et il sera dans l'abondance ;
       mais celui qui n'a rien
       se fera enlever même ce qu'il a.
13   Si je leur parle en paraboles,
       c'est parce qu'ils regardent sans regarder,
       qu'ils écoutent sans écouter et sans comprendre.
14   Ainsi s'accomplit pour eux la prophétie d'Isaïe :
       Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas.
       Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
15   Le cœur de ce peuple s'est alourdi :
       ils sont devenus durs d'oreille,
       ils se sont bouché les yeux,
       pour que leurs yeux ne voient pas,
       que leurs oreilles n'entendent pas,
       que leur cœur ne comprenne pas,
       et qu'ils ne se convertissent pas.
       Sinon, je les aurais guéris !
16   Mais vous, heureux vos yeux parce qu'ils voient,
       et vos oreilles parce qu'elles entendent !
17   Amen, je vous le dis :
       beaucoup de prophètes et de justes
       ont désiré voir ce que vous voyez,
       et ne l'ont pas vu,
       entendre ce que vous entendez,
       et ne l'ont pas entendu.
18   Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur.
19   Quand l'homme entend la parole du Royaume sans la comprendre
       le Mauvais survient
       et s'empare de ce qui est semé dans son cœur :
       cet homme, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin.
20   Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux,
       c'est l'homme qui entend la Parole
       et la reçoit aussitôt avec joie,
21   mais il n'a pas de racines en lui,
       il est l'homme d'un moment :
       quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole,
       il tombe aussitôt.
22   Celui qui a reçu la semence dans les ronces,
       c'est l'homme qui entend la Parole ;
       mais les soucis du monde et les séductions de la richesse
       étouffent la Parole, et il ne donne pas de fruit.
23   Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre,
       c'est l'homme qui entend la Parole et la comprend ;
       il porte du fruit
       à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. »
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         La « parabole » est un genre littéraire de la tradition juive qui ressemble à ce que nous appelons une « fable » : son but est pédagogique ; il s’agit d’amener l’auditeur à changer de point de vue.1

         Pourquoi donc Jésus parle-t-il en paraboles ? Les disciples ne manquent pas de lui poser la question. La réponse de Jésus tient en trois points : premièrement une distinction entre les disciples et les autres interlocuteurs de Jésus, deuxièmement un constat (les autres écoutent sans comprendre) et enfin, troisièmement, ce qui ressemble à un dicton « Celui qui a recevra encore… mais celui qui n'a rien se fera enlever même ce qu'il a. »2

         Je reprends ces trois points : premièrement la distinction entre les disciples et certains autres interlocuteurs de Jésus : « À vous, il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, mais à eux, ce n’est pas donné. » Pour éclairer cette distinction, il faut remettre l’enseignement de Jésus dans son contexte : dans l’évangile de Matthieu, comme dans celui de Marc, cet enseignement en paraboles suit immédiatement le récit des polémiques avec les Pharisiens et avec ceux qui, comme eux, refuseront de reconnaître en Jésus le Messie de Dieu.

         Deuxièmement, Jésus fait un constat : « Ils (ses opposants) regardent sans regarder, ils écoutent sans écouter et sans comprendre. » Et il leur applique une phrase que le prophète Isaïe, des siècles plus tôt, disait de ses propres contemporains : « Le cœur de ce peuple s'est alourdi : ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouché les yeux, pour que (de sorte que) leurs yeux ne voient pas, que leurs oreilles n'entendent pas, que leur cœur ne comprenne pas, et qu'ils ne se convertissent pas. Sinon, je les aurais guéris ! » (Isaïe 6,9-10)3. Ici, le mot « pour » ne veut pas dire un but mais seulement une conséquence (de sorte que) ; « ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, et du coup, leurs yeux ne voient pas, et leurs oreilles n’entendent pas ». De nombreuses fois, Jésus a pu faire ce constat : plus les auditeurs s’enferment dans leurs propres certitudes, plus ils deviennent imperméables à la Parole de Dieu. Et c’est pour cela qu’il leur parle en paraboles : c’est une pédagogie pour essayer de toucher ces cœurs endurcis. C’est dire l’importance des dispositions du cœur pour comprendre les enseignements de Jésus.

         Troisièmement, cette phrase qui ressemble à un dicton : « Celui qui a recevra encore et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. » Voilà une formulation particulièrement abrupte du thème des deux voies, classique dans l’Ancien Testament. Je vous rappelle ce thème des deux voies  : on peut comparer l’existence humaine à un chemin qui débouche sur une grande route perpendiculaire : quelle direction prendre ? À gauche ? Ou à droite ? Si nous prenons la bonne direction (la bonne « voie »), chaque pas que nous faisons dans ce sens nous rapproche du but : « Donne au sage, et il deviendra plus sage, Instruis le juste, et il augmentera son acquis. » (Pr 9,9). Si, par malheur, nous choisissons la mauvaise direction, chaque pas fait dans ce sens nous éloigne du but.

         Le choix est clair : ou bien écouter, entendre, ouvrir ses oreilles pour laisser la Parole nous instruire et nous transformer peu à peu ; ou refuser d’entendre au risque de devenir de plus en plus durs d’oreille : « Le cœur de ce peuple s’est épaissi, ils sont devenus durs d’oreille. » Alors que le seul désir de Dieu était de les guérir : « Et moi, je les aurais guéris. »

         La parabole du semeur, ainsi que l’explication que Jésus en donne, apparaît alors plus clairement comme une illustration des obstacles que rencontre la prédication évangélique. Jésus est la parole de Dieu venue habiter parmi les hommes (Jn 1,14) ; il ne dit que la Parole du Père : « Cette parole que vous entendez, elle n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé. » (Jn 14,24). Mais sa parole trouve difficilement le terrain favorable dans lequel elle va pouvoir germer ; il y a d’abord les difficultés inhérentes à tout chemin de conversion (les exigences du Royaume sont sans cesse étouffées par les soucis du monde (cf Mt 6,25-34) ; mais il y a aussi, plus profondément les difficultés pour les contemporains de Jésus de lui faire confiance au point de le reconnaître comme le Messie : les disciples eux-mêmes ont achoppé sur cet enseignement ; saint Jean nous a rapporté leurs réactions au discours sur le pain de vie : « Après l’avoir entendu, beaucoup de ses disciples commencèrent à dire : cette parole est rude ! Qui peut l’écouter ?... Dès lors, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui. Alors Jésus dit aux Douze : Et vous, ne voulez-vous pas partir ? Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle. » (Jn 6,60... 68).

         Je reviens à la parabole du semeur ; Jésus annonce qu’il y aura une récolte, (de cent, soixante ou trente pour un), et c’est certain, mais à quel prix ! Le règne de Dieu, il faut bien l’admettre,  ne s’établira qu’au travers de nombreux échecs ; car entrer dans l’intelligence du Royaume ne peut être que l’effet d’un don de Dieu : « À vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux... Heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent !... Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est l’homme qui entend la Parole et la comprend. » Cela suppose un cœur disponible, capable de recevoir de Dieu la lumière qui vient de Lui seul : cette disponibilité elle aussi doit être reçue comme un cadeau. Les Pharisiens et la foule n’y étaient pas encore prêts.
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Notes

  • Une parabole n’est pas une allégorie : chaque détail du conte ne prétend pas avoir une signification précise, c’est de l’ensemble de la comparaison que l’auditeur doit dégager une leçon bien concrète.
  • Jésus répétera cette formule dans la parabole des talents (Mt 25,29).
  • Paul faisait le même constat à Rome face à certains de ses interlocuteurs juifs qui refusaient sa prédication : il cite, lui aussi, la phrase d’Isaïe (Ac 28,26-27). Jean, dans son évangile, fait la même analyse (Jn 12,40).

 

Compléments

          - À propos du verset 15 : « Le cœur de ce peuple s'est alourdi : ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouché les yeux, pour que (de sorte que) leurs yeux ne voient pas, que leurs oreilles n'entendent pas, que leur cœur ne comprenne pas, et qu'ils ne se convertissent pas. Sinon, je les aurais guéris ! » (Isaïe 6,9-10). J’ai choisi de comprendre « pour » dans le sens de « de sorte que ». Mais n’y a-t-il pas des cas où l’on choisit sciemment de ne pas voir et de ne pas entendre pour ne pas courir le risque de se convertir ?

          - Jésus pensait-il à Ézéchiel lorsqu’il disait : « Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c'est l'homme qui entend la Parole ; mais les soucis du monde et les séductions de la richesse étouffent la Parole, et il ne donne pas de fruit. » (verset 22) ? Voici comment le SEIGNEUR prévenait son prophète des difficultés qui l’attendaient dans l’annonce de la Parole : « Écoute, fils d’homme ! les gens de ton peuple, ceux qui bavardent sur toi le long des murs et aux portes des maisons – parlant les uns avec les autres, chacun avec son frère – ils disent : Venez écouter quelle parole vient de la part du SEIGNEUR. Ils viendront à toi comme au rassemblement du peuple ; ils s’assiéront devant toi, eux, mon peuple ; ils écouteront tes paroles mais ne les mettront pas en pratique car leur bouche est pleine des passions qu’ils veulent assouvir : leur cœur suit leur profit. Au fond, tu es pour eux comme un chant passionné, d’une belle sonorité avec un bon accompagnement. Ils écoutent tes paroles mais personne ne les met en pratique. » (Ez 33,30-32).

          - On est frappé par les échecs répétés du semeur. S’agit-il de Jésus qui est « sorti » au sens de « s’est incarné » ? Oui, certainement : une fois encore, ses contemporains sont affrontés au mystère de l’échec partiel du Messie : et c’est ce qui fera la différence entre ceux qui accepteront d’entrer dans le mystère et ceux qui rejetteront le mystère du dessein de Dieu et donc Jésus lui-même.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 07 12 15e dimanche du temps ordinaire A

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6 juillet 2020 1 06 /07 /juillet /2020 11:41

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

 

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

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29 juin 2020 1 29 /06 /juin /2020 22:08

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 4 juillet 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ZACHARIE   9,9-10

 

       Ainsi parle le SEIGNEUR :
9     « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion !
       Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem !
       Voici ton roi qui vient à toi :
       il est juste et victorieux,
       pauvre et monté sur un âne,
       un ânon, le petit d’une ânesse.
10   Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre,
       et de Jérusalem les chevaux de combat ;
       il brisera l’arc de guerre,
       et il proclamera la paix aux nations.
       Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre,
       et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. »
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     Première remarque : l’expression « fille de Sion » ou « fille de Jérusalem » ne désigne pas une personne précise, une certaine jeune fille ou jeune femme qui serait originaire de Jérusalem (Sion ou Jérusalem, c’est la même chose). Cette expression désigne la ville elle-même ; c’est exactement comme si le prophète disait : « Jérusalem, réjouis-toi ». Et pourquoi Jérusalem doit-elle se réjouir ? Cela m’amène à ma deuxième remarque : car, justement, l’heure n’est pas à la joie !

     Deuxième remarque : le ton général de ces versets est triomphant ; mais nous savons bien que c’est toujours signe de période difficile : cette prédication de Zacharie a certainement été prononcée en temps de guerre : c’est ce qu’on appelle un oracle de consolation. Cela explique des phrases telles que « Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. » On situe généralement ce texte au début de la domination grecque (donc vers 330) après les conquêtes éclair d’Alexandre ; c’est un moment où, plus que jamais, il faut se raccrocher à l’espérance d’une intervention de Dieu.

     Je reprends cette annonce de Zacharie : les termes qu’il emploie sont ceux qui désignaient habituellement le Messie. On attendait un roi qui apporterait la justice et la paix pour tous. C’est exactement ce que promet Zacharie : « Voici ton roi qui vient vers toi ; il est juste et victorieux... Ce roi fera disparaître d'Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l'arc de guerre... Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre, et de l'Euphrate à l'autre bout du pays. » Jusqu’ici, il n’y a rien de particulièrement neuf dans les paroles de Zacharie ; d’autres paroles prophétiques ou des psaumes disaient déjà à peu près la même chose ; par exemple je vous rappelle quelques versets du psaume 71/72 : « Dieu confie au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. Qu’il gouverne ton peuple avec justice... Qu’il domine d’une mer à l’autre, et du Fleuve jusqu’au bout de la terre. » Ce qui est audacieux dans les paroles de Zacharie, c’est de proclamer ce message d’espérance à un moment précisément où on aurait de bonnes raisons de penser que tout espoir est perdu.

     Mais j’ai laissé de côté jusqu’ici trois affirmations de Zacharie ; la première n’est pas exactement une nouveauté mais elle mérite d’être notée : « Il proclamera la paix aux nations ». C’est seulement depuis l’Exil à Babylone que le peuple juif a pris conscience que le projet de Dieu englobait l’humanité tout entière. Voici la deuxième : « Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat... ». Citer ensemble Éphraïm et Jérusalem, c’est une manière discrète d’annoncer la restauration et la réunification de l’antique royaume de David ; pour l’instant, quand ce texte est écrit, il n’en reste plus grand chose : le Nord (Éphraïm) comme le Sud (Jérusalem) qui avaient perdu depuis bien longtemps leur unité, ont perdu également toute souveraineté.

     Enfin, la troisième affirmation de Zacharie est véritablement une nouveauté : « (Voici ton roi qui vient vers toi) humble et monté sur un âne, un âne tout jeune. » Or l’âne était considéré comme une monture modeste : les conquérants d’Alexandre étaient autrement mieux montés. Et à Jérusalem même, le roi Salomon avait introduit le cheval comme monture de guerre et aussi de parade ; on lui a assez reproché ses goûts de grandeur. On n’avait pas l’habitude de voir un roi sur un âne 1.

     Isaïe, il est vrai, avait déjà entrevu un Messie humble : il annonçait un Serviteur de Dieu, humble et fidèle, qui accomplira l’œuvre de Dieu et n’hésitera pas à affronter la persécution ; il la subira, mais c’est dans sa souffrance même que son peuple trouvera le chemin de la paix et de la réconciliation avec Dieu. (C’était dans les chants du Serviteur : Is 50,6 ; 53,7).

     Il faut noter que le Serviteur d’Isaïe ne porte absolument pas le titre de roi, mais il est néanmoins présenté comme un Messie, en ce sens, d’une part, qu’il accomplit bien l’œuvre du Messie attendu et, d’autre part, qu’il est rempli de l’Esprit de Dieu comme doit l’être le Messie. Au contraire, le Messie de Zacharie est d’emblée présenté comme un Roi : il représente donc l’attente traditionnelle du Messie-Roi ; mais la nouveauté du texte de Zacharie, c’est qu’il combine cette attente traditionnelle du Messie-Roi avec celle de l’humilité du Serviteur décrit par Isaïe : puisque son roi est humble : finis les rêves de grandeur, de guerre, de puissance ; une seule chose compte à ses yeux : instaurer la paix pour son peuple.

     Les quatre récits de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem ressemblent très fort à la venue de ce roi monté sur un âne. Matthieu (Mt 21,5) et Jean (Jn 12,15) citent même expressément ce passage. Peut-être Jésus lui-même a-t-il cité ce texte aux disciples d’Emmaüs ? Puisque Luc nous dit qu’il a relu avec eux dans les Écritures tout ce qui le concernait (Lc 24,27). Or, de toute évidence, ce texte concerne bien le Messie, mais d’une manière nouvelle pour son époque.

     Pourquoi les évangiles s’intéressent-ils tant à ce texte de Zacharie ? Parce que, dans un premier temps après la mort et la Résurrection de Jésus, les apôtres ont été confrontés à un mystère inexplicable : pour eux, qui étaient témoins de la Résurrection de Jésus, il ne faisait pas de doute que celui-ci était le Messie ; mais il était doux, humble et pacifique, c’est-à-dire bien différent du roi triomphant qu’ils imaginaient spontanément. C’est alors que ce texte de Zacharie (tout comme les chants du Serviteur d’Isaïe) leur est apparu comme un chemin pour entrer dans « l’intelligence des Écritures ».

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Note

1 – Lors de son sacre, Salomon était monté sur la mule de son père, David (1 R 1,32), mais, plus tard, il ne s’en contentait plus.

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PSAUME  144 (145)

 

1     Je t'exalterai, mon Dieu, mon roi,
       je bénirai ton nom toujours et à jamais !
2     Chaque jour je te bénirai,
       je louerai ton nom toujours et à jamais.

8     Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
       lent à la colère et plein d'amour :
9     la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
       sa tendresse pour toutes ses œuvres.

10   Que tes œuvres, SEIGNEUR, te rendent grâce
       et que tes fidèles te bénissent !
11   Ils diront la gloire de ton règne,
       ils parleront de tes exploits.

13   Le SEIGNEUR est vrai en tout ce qu'il dit,
       fidèle en tout ce qu'il fait.
14   Le SEIGNEUR soutient ceux qui tombent,
       il redresse tous les accablés.

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     On sait bien que le psautier tout entier en hébreu s’appelle « louanges » ; mais ce psaume précis est l’unique du psautier à être intitulé « louange » : ce qui explique le vocabulaire et le ton émerveillé des versets que nous venons d’entendre ; et le motif particulier de la louange, c’est la royauté du Dieu de l’Alliance ; à l’occasion d’une célébration de renouvellement de l’Alliance, Israël contemple le roi qui lui a accordé sa protection, gratuitement, sans mérite de sa part. On ne s’étonne donc pas de l’importance du vocabulaire royal : « Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi »... et encore « tes fidèles diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits ».

     Puisqu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance, il est ce qu’on appelle un psaume « alphabétique » : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de Aleph à Tav) baigne dans l’Alliance, dans la tendresse de Dieu. Deuxième remarque quant à la forme : le parallélisme d’une ligne à l’autre de chaque verset est particulièrement accentué : cela vaudrait la peine de le lire à deux voix ou deux chœurs alternés.

     Comme toujours, ce parallélisme est instructif : par exemple, la juxtaposition des deux derniers versets que nous propose la liturgie de ce dimanche est surprenante à première vue : « Le SEIGNEUR est vrai en tout ce qu’il dit, fidèle en tout ce qu’il fait / Le SEIGNEUR soutient ceux qui tombent, il redresse tous les accablés. » Un peu plus loin, deux autres versets offrent exactement ce même parallélisme : « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait / Il est proche de ceux qui l’invoquent, de tous ceux qui l’invoquent en vérité. » Cela veut dire que la justice de Dieu, la vérité, la fidélité de Dieu ne sont rien d’autre que sa miséricorde ; cela veut dire encore que la plus grande justice au monde n’est pas celle de la balance, elle est celle de l’amour ! Cela veut dire enfin que si nous vivons « selon l’Esprit de Dieu » comme nous le recommande saint Paul, dans la lettre aux Romains (cf la deuxième lecture de ce dimanche), nous allons nous engager sur la voie de cette étrange justice qui est synonyme de miséricorde.

     Car le Roi dont il est question ici n’est pas un roi comme ceux qu’on connaît sur la terre. C’est un roi à la fois tout-puissant et bon : il ne veut que notre bonheur... Voilà la découverte qu’Israël a faite au long de son histoire. Quand on parle de la puissance de ce roi pas comme les autres, on sait que sa puissance n’est qu’amour : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour1 ». C’est le meilleur résumé qu’on puisse donner de toute la révélation biblique : et là Israël parle d’expérience : combien de fois, en particulier pendant l’Exil à Babylone, n’a-t-il pas invoqué son Dieu et supplié pour obtenir son pardon et son retour ?... Désormais, le peuple rassemblé dans le Temple reconstruit, chante de tout son cœur : « Que tes œuvres, SEIGNEUR, te rendent grâce et que tes fidèles te bénissent !... Je t’exalterai, mon Dieu, mon roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais ! Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais. »

     Et sa mission, il le sait, est de le chanter assez fort pour que tous le sachent : la richesse de pardon, la tendresse et la pitié du Seigneur, elles sont POUR TOUS ! « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse pour toutes ses œuvres ». Cette universalité du projet de Dieu, les hommes de l’Ancien Testament l’avaient peu à peu comprise : Dieu aime toute l’humanité et son projet d’amour, son « dessein bienveillant » concerne toute l’humanité et toute la création.

     Pour nous chrétiens, qui avons relu la prophétie de Zacharie (dans la première lecture de ce dimanche), le chant de ce psaume est saisissant : Zacharie dessine le portrait du Messie à venir ; comme la majorité des Juifs, il le voit comme un roi, descendant de David ; mais ce roi, au lieu de chercher son propre intérêt et de satisfaire ses rêves de grandeur et de conquêtes, se consacrera exclusivement au service de son peuple : il fera taire définitivement les armes ; en cela, il sera vraiment le fidèle exécutant des projets de Dieu. Évidemment, Jésus de Nazareth, le doux et humble de cœur, répond bien au portrait de Zacharie. Plus saisissant encore, est le premier verset qui prend un relief nouveau, si l’on pense à Jésus : « Je t’exalterai, mon Dieu, mon roi... » Car il est bien Dieu et roi, notre Messie.

     Pour terminer, si l’on se rapporte au texte complet de ce psaume, on lui découvre une parenté très grande avec le Notre-Père : par exemple, le Notre-Père s’adresse à Dieu à la fois comme à un Père ET comme à un roi : un père qui est le Dieu de tendresse et de pitié dont parle ce psaume... un roi dont le seul objectif est le bonheur de tous les hommes. « Notre Père... donne-nous... pardonne-nous... délivre-nous du mal... »... que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ... » parce qu’on sait que sa volonté est, comme dit saint Paul, « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité ».  (1 Tm 2,4).

     On comprend que ce psaume 144/145 soit devenu la prière du matin du peuple qui le premier a appris à parler à Dieu comme à un père. On ne s’étonne pas non plus que ce psaume figure dans la prière juive de chaque matin : pour le juif croyant, le matin (l’aube du jour neuf) évoque irrésistiblement l’aube du JOUR définitif, celui du monde à venir, celui de la création renouvelée... Si nous allons un peu plus loin dans la spiritualité juive, le Talmud (l’enseignement des rabbins des premiers siècles après J.C.), affirme que celui qui récite ce psaume trois fois par jour, « peut être assuré d’être un fils du monde à venir ». 

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Note

1 - Nous retrouverons ce psaume dans la liturgie du dix-huitième dimanche ; nous nous attarderons alors sur le verset 8 : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour » qui est l’écho de la révélation de Dieu à Moïse au Sinaï (Ex 34,6). Le texte lui-même de l’Exode est lu pour la Fête de la Sainte-Trinité de l’année A.

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS     8,9.11-13

 

       Frères,
9     vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
       mais sous celle de l’Esprit,
       puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
       Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ
       ne lui appartient pas.
11   Mais si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
       habite en vous,
       celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts
       donnera aussi la vie à vos corps mortels
       par son Esprit qui habite en vous.
12   Ainsi donc, frères, nous avons une dette,
       mais elle n’est pas envers la chair
       pour devoir vivre selon la chair.
13   Car si vous vivez selon la chair,
       vous allez mourir ;
       mais si, par l’Esprit,
       vous tuez les agissements de l’homme pécheur,
       vous vivrez.

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     La grosse difficulté de ce texte est dans le mot « chair » : chez saint Paul, il n’a pas le même sens que dans notre français courant du vingt-et-unième siècle. Nous, nous sommes tentés d’opposer deux composantes de l’être humain que nous appelons le corps et l’âme et nous risquons donc de faire un épouvantable contresens : quand Paul parle de chair et d’esprit, ce n’est pas du tout cela qu’il a en vue. Ce que saint Paul appelle « chair », ce n’est pas ce que nous appelons le corps ; ce que Paul appelle l’Esprit, ce n’est pas ce que nous appelons l’âme. D’ailleurs Paul précise plusieurs fois qu’il s’agit de l’Esprit de Dieu, ou encore il dit « l’Esprit du Christ ». Et encore, si on y regarde de plus près, il n’oppose pas deux mots « chair » et « Esprit », mais deux expressions « vivre selon la chair » et « vivre selon l’Esprit ». Pour lui, il faut choisir entre deux modes de vie ; ou pour le dire autrement, il faut choisir nos maîtres, ou notre ligne de conduite, si vous préférez.

     Vivre « selon la chair », pour saint Paul, c’est vivre sans Dieu, vivre de nos seules forces, enfermé dans les limites de l’intelligence et des forces humaines ; évidemment, cela ne va pas loin ! Ou plutôt si, cela peut aller très loin, mais dans le mauvais sens. (Nous retrouvons, comme toujours chez Paul, le thème des deux voies). Car vivre sans Dieu finit toujours par vouloir dire vivre loin de Dieu, et d’un éloignement qui ne peut que s’aggraver. C’est ce que Paul a décrit dans les premiers chapitres de cette lettre aux Romains. Pour reprendre les images de la Genèse, vivre selon la chair, c’est vivre comme Adam : il veut devenir comme Dieu, mais sans l’aide de Dieu : il se trompe. Nous aussi, à nos heures, qui cherchons notre bonheur tout seuls, sans lui, ou même contre lui, sans nous apercevoir que c’est le meilleur moyen de faire notre malheur.

     Au contraire, vivre « selon l’Esprit », c’est nous laisser guider par lui, et donc vivre de la force de Dieu : cela change tout ! Or la grande nouvelle de ce texte, c’est « L’Esprit de Dieu habite en vous » donc « vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous l’emprise de l’Esprit ». Le mot « habiter » revient trois fois dans le texte d’aujourd’hui, c’est dire l’importance que Paul y attache : or, celui qui habite la maison, c’est le maître, c’est lui qui dirige. Nous sommes donc devenus littéralement des maisons de l’Esprit : c’est lui qui commande désormais.

     Encore faut-il savoir quelle place nous lui laissons dans notre maison ; car nous sommes libres d’ouvrir plus ou moins la porte. Dans de nombreux textes, Paul insiste sur notre liberté : « vous n’êtes plus sous l’emprise de la chair » signifie que nous ne sommes plus esclaves des forces du mal, que nous avons désormais la force de faire triompher les vraies valeurs : l’amour, la paix, la vérité, la justice. Nous en avons la force, mais nous n’y sommes pas obligés non plus : à chaque instant, le choix est à refaire. Plus nous laisserons de place à l’Esprit Saint dans notre maison (c’est-à-dire plus nous ferons ce qu’il nous souffle de faire dans la voie de l’amour, de la bienveillance, du pardon), plus nous serons des vivants.

     Avant sa conversion, Paul appliquait des quantités de règles morales et religieuses avec beaucoup de fidélité mais l’Esprit du Christ n’habitait pas en lui ; il vivait encore « sous l’emprise de la chair ». Et cela pouvait l’amener à la violence et au meurtre, avec la meilleure foi du monde. Désormais, sa vie tout entière est inspirée par l’Esprit du Christ, jusqu’à pouvoir dire : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

     Nous aussi, depuis notre baptême, nous pouvons laisser l’Esprit prendre possession de notre maison. Paul en déduit deux conséquences : premièrement, nous ressusciterons avec le Christ ; c’est une promesse pour le futur : l’Esprit exercera en nous sa puissance et réalisera en nous ce qu’il a réalisé en Jésus-Christ : « Si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » Deuxièmement, dès maintenant, notre vie est transformée, comme l’a été celle de Paul, car, désormais, nous sommes « sous l’emprise de l’Esprit ». « Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez » annonçait le prophète Ézéchiel ; Paul parle souvent de cette nouvelle vie spirituelle qui est la nôtre depuis notre baptême : tout en demeurant encore dans notre corps mortel, nous pouvons déjà vivre de l’Esprit du Christ. C’est ce que saint Jean appelle la « vie éternelle ».

     Concrètement, on voit bien ce que cela veut dire, il suffit de remplacer le mot « Esprit » par le mot « amour » : « vivre selon l’Esprit » c’est se laisser souffler par lui des paroles et des gestes d’amour. Quelques chapitres plus haut, Paul écrivait aux Romains : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » (Rm 5,5). Et dans la lettre aux Galates, il explique ce que sont les fruits de l’Esprit : « joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi », (Ga 5,22) en un mot l’amour décliné selon toutes les circonstances concrètes de nos vies. Paul, en cela, est bien l’héritier de toute la tradition des prophètes : tous affirment que notre relation à Dieu se vérifie dans la qualité de notre relation aux autres ; et dans les chants du Serviteur, en particulier, Isaïe affirme que vivre selon l’Esprit de Dieu, c’est aimer et servir nos frères. Comme dit saint Jean (1 Jn 3,14) : « Qui n’aime pas demeure dans la mort... Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie (la vraie vie s’entend) parce que nous aimons nos frères ».

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU    11, 25 - 30

 

25   En ce temps-là,
       Jésus prit la parole et dit :
       « Père, Seigneur du ciel et de la terre,
       je proclame ta louange :
       ce que tu as caché aux sages et aux savants,
       tu l’as révélé aux tout-petits.
26   Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance.
27   Tout m’a été remis par mon Père ;
       personne ne connaît le Fils, sinon le Père,
       et personne ne connaît le Père, sinon le Fils,
       et celui à qui le Fils veut le révéler.
28   Venez à moi,
       vous tous qui peinez sous le poids du fardeau,
       et moi, je vous procurerai le repos.
29   Prenez sur vous mon joug,
       devenez mes disciples,
       car je suis doux et humble de cœur,
       et vous trouverez le repos pour votre âme.
30   Oui, mon joug est facile à porter,
       et mon fardeau, léger. »
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« Prenez sur vous mon joug » dit Jésus ; (nous avons déjà rencontré cette image dans un texte du livre de l’Exode que nous avons lu pour la fête de la Trinité) ; là-bas on savait bien ce qu’est un joug : une pièce de bois, très lourde, très solide, qui attache deux animaux, deux bœufs normalement, pour labourer. Ils conjuguent leurs forces et le plus puissant des deux imprime son pas à l’attelage. Au sens figuré, « Prendre le joug » suggère donc que l’on s’attache à quelqu’un pour marcher du même pas, attelés à la même tâche.

Si bien que cette expression était devenue courante dans l’Ancien Testament et dans le Judaïsme pour évoquer l’Alliance entre Dieu et son peuple : lorsqu’on promettait de « Prendre le joug de la Torah » cela voulait dire s’engager à suivre la Loi de Dieu, s’atteler à Dieu, en quelque sorte ; étant entendu que toute la force de « l’attelage » ainsi composé vient de Dieu lui-même ! Pour un Juif, le service de la Torah n’est donc pas un fardeau trop lourd, c’est le chemin du vrai bonheur ; Ben Sirac le Sage disait : « Tu trouveras en elle (dans la pratique de la Loi) le repos, elle se changera pour toi en joie. » (Si 6,281). On parlait même parfois de la « joie du joug ! »

Visiblement c’est bien de cela que Jésus parle, et il fait lui aussi le lien entre le joug de la Torah et le repos : « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples », c’est-à-dire pratiquez mes commandements « et vous trouverez le repos ».

Mais on sent bien également dans ces quelques lignes une pointe polémique : « Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Manière de dire : Mon joug à moi est facile à porter, ce n’est pas le cas de tout le monde. D’ailleurs, Jésus ne se prive pas de le dire : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau ».

Effectivement, certains Pharisiens, à force de scrupules, avaient transformé la pratique de la Loi de Dieu en un cortège d’obligations tatillonnes ; c’est à leur propos que Jésus disait aux foules : « Les scribes et les Pharisiens siègent dans la chaire de Moïse : faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes alors qu’eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. » (Mt 23,2-4). D’autre part, une majorité du peuple avait bien du mal à observer la totalité des commandements que les autorités religieuses leur imposaient et ils sentaient le mépris dont ils étaient l’objet.

Jésus propose donc à ses disciples de déposer ces fardeaux trop lourds : « Prenez sur vous mon joug... et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Son joug à lui, c’est tout simplement la loi d’aimer, et c’est lui qui nous en donne la force.

Quant au repos, c’était également un mot familier aux auditeurs de Jésus ; par exemple, l’Ancien Testament présentait la Terre Promise comme le lieu du repos accordé par Dieu à son peuple. Et, en contrepoint, quand le peuple était infidèle à la loi, le psaume 94/95 exprimait la tristesse de Dieu : « J’ai dit : ce peuple a le cœur égaré, il n’a pas connu mes chemins... Jamais ils n’entreront dans mon repos. » Reprenant ce psaume, la lettre aux Hébreux annonce un nouveau jour où avec le Christ, nous entrerons avec assurance dans le repos de Dieu : « Empressez-vous donc d’entrer dans ce repos. » (He 4,11).

La chose très nouvelle dans ce discours, c’est que Jésus s’identifie à Dieu : lui seul peut se permettre de dire « Moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Les représentants de la religion ne pouvaient qu’être agacés par ces propos. En revanche, ceux qui « peinaient sous le poids du fardeau », pour reprendre l’expression de Jésus, étaient attirés par son attitude de respect et d’attention à chacun, lui qui était « doux et humble de cœur». Ce sont eux qui, spontanément, ont compris que Dieu était là. On a là une application de la fameuse béatitude : « Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux ».

Alors Jésus s’émerveille : ces pauvres de cœur comprennent son message à une profondeur telle que cela ne peut venir que du Père : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bonté. » Jésus tiendra le même langage un peu plus tard, lorsque Pierre, un homme simple, lui aussi, lui aura déclaré : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, Jésus lui dira aussitôt : Heureux es-tu, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. » (Mt 16,17). Une fois de plus, Jésus est bien ici dans la droite ligne de l’Ancien Testament qui a toujours déclaré haut et fort que toute vraie sagesse, toute vraie intelligence ne peuvent venir que de Dieu ; c’est ce qu’exprime à sa manière la très belle image du livre de la Genèse : l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux n’est pas accessible à l’homme par ses seules forces. Le livre de Job le dit lui aussi dans un poème admirable consacré à la Sagesse : « La sagesse, où la trouver ? Où réside l’intelligence ? On en ignore le prix chez les hommes, et elle ne se trouve pas au pays des vivants... Dieu en a discerné le chemin, il a su, lui, où elle réside. » (Jb 28,12... 23). Le livre de Ben Sirac, lui, l’affirme dès son premier verset : « Toute sagesse vient du Seigneur » (Si 1,1).

Chaque fois que Jésus est mis devant l’évidence de la foi, il manifeste sa joie et sa reconnaissance au Père3 ; l’évangile nous révèle ainsi ce qu’est la véritable prière d’action de grâce : bonheur filial émerveillé devant l’initiative de Dieu se révélant aux hommes. Ce dont Jésus s’émerveille aussi, c’est de l’intimité que lui offre son Père : il contemple la communion inouïe qui les unit : « Tout m’a été confié par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » Ici, l’évangile de Matthieu se rapproche des méditations de l’évangile de Jean : « Le Père et moi, nous sommes UN... Qui m’a vu a vu le Père. »

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Notes

1 - « Tu trouveras en elle le repos, elle se changera pour toi en joie. Alors ses entraves seront pour toi une protection puissante et son carcan un vêtement glorieux. Son joug est une parure d’or, ses liens sont un ruban de pourpre violette. » (Si 6,28-30). « Soumettez votre nuque à son joug et que votre âme reçoive l’instruction. » (Si 51,26).

2 - « Doux et humble de cœur » : l’évangéliste, rapportant cette parole, y entendait certainement un écho de la prophétie de Zacharie sur le roi doux et humble monté sur un âne (Za 9,9-10 ; cf la première lecture).

3 - Le passage parallèle à celui-ci dans l’évangile de Luc commence par ces mots : « À l’heure même (il s’agit du retour de mission des soixante-douze disciples), il exulta sous l’action de l’Esprit-Saint. » (Lc 10,21).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 07 05 14e dimanche du temps ordinaire A

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23 juin 2020 2 23 /06 /juin /2020 23:05

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • donnant des explications historiques ;

  • donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "ovation", "mort", "baptême", "obéissance", "aimer", "(prendre sa) croix" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 27 juin 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU DEUXIÈME LIVRE DES ROIS  4, 8 - 11. 14 - 16a

 

8        Un jour, le prophète Élisée passait à Sunam ;
          une femme riche de ce pays
          insista pour qu'il vienne manger chez elle.
          Depuis, chaque fois qu'il passait par là,
          il allait manger chez elle.
9        Elle dit à son mari :
          « Écoute, je sais que celui qui s'arrête toujours chez nous
          est un saint homme de Dieu.
10      Faisons-lui une petite chambre sur la terrasse ;
          nous y mettrons un lit, une table, un siège et une lampe,
          et quand il viendra chez nous, il pourra s'y retirer. »
11      Le jour où il revint,
          il se retira dans cette chambre pour y coucher.
14      Puis il dit à son serviteur :
          « Que peut-on faire pour cette femme ? »
          Le serviteur répondit :
          « Hélas, elle n'a pas de fils,
          et son mari est âgé. »
15      Élisée lui dit :
          « Appelle-la. »
          Le serviteur l'appela et elle se présenta à la porte.
16      Élisée lui dit :
          « À cette même époque,
          au temps fixé pour la naissance,
          tu tiendras un fils dans tes bras. »
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         Cela se passe donc à Sunam, qui est un petit village du royaume du Nord ; Élisée est au début de sa carrière, vers 850 av. J.-C. Et il va s’instaurer entre l’homme de Dieu, Élisée, et cette famille, une relation forte et durable d’amitié. Évidemment, on peut se demander pourquoi les auteurs bibliques s’intéressent de si près à l’histoire d’une famille de Sunam ; ce n’est certainement pas uniquement pour l’anecdote. Aucun livre de la Bible n’est écrit dans le seul but de nous donner des connaissances historiques ! Les auteurs ont toujours un but théologique qui est de nous faire connaître et vivre la proposition d’Alliance de Dieu.

         Et ce qui intéresse l’auteur du livre des Rois, ici, c’est qu’il voit dans la longue alliance entre le prophète Élisée et la famille de Sunam une image de l’alliance entre Dieu et le peuple d’Israël ; mais commençons par lire l’histoire de cette famille de Sunam et de son amitié avec le prophète Élisée.

         Elle se déroule en quatre actes ; ce dimanche, nous lisons seulement le premier épisode.

         Le premier acte, c’est donc la promesse d’un enfant pour une femme stérile ; à vues humaines, il n’y avait certainement plus d’espoir de grossesse pour cette femme puisqu’elle ne prend pas la promesse au sérieux ; elle semble même reprocher au prophète de remuer le couteau dans la plaie en la berçant d’illusions ; nous avons entendu la promesse d’Élisée « L’an prochain, à cette même époque, tu tiendras un enfant dans tes bras »... mais nous n’avons pas entendu la réponse de la Sunamite, la voici : « Non, mon seigneur, homme de Dieu, ne dis pas de mensonge à ta servante ». Ce qui prouve que, même si elle considère Élisée comme un homme de Dieu, elle n’est pas crédule pour autant.

         Sa réaction fait irrésistiblement penser, bien sûr, à celle de Sara, la femme d’Abraham, au chêne de Mambré. Elle aussi stérile, recevant, elle aussi, une promesse de naissance, elle avait trouvé cette affirmation si saugrenue, vu son âge, qu’elle s’était mise à rire... Et son fils, Isaac, s’appelle justement « l’enfant du rire ». Notre Sunamite ne rit pas, mais elle ne prend pas plus au sérieux la promesse d’Élisée ; et elle lui rappelle gentiment que lui,  homme de Dieu, ne peut pas se permettre de mentir... Mais l’année suivante, le bébé était là.

         Deuxième acte, quelques années passent, l’enfant grandit, mais un jour qu’il a accompagné son père aux champs pour la moisson, il est pris d’un violent mal de tête, peut-être une insolation, et quelques heures après, il meurt sur les genoux de sa maman. Elle ne perd pas la tête, elle dépose l’enfant sur le lit du prophète, et elle court le chercher. Elle ne prévient même pas son mari : inutile de l’affoler puisque, de toute manière, d’ici peu, l’enfant sera debout ! On a envie de dire « C’est beau la foi »... Elle se précipite donc chez Élisée ; et la première chose qu’elle lui dit, c’est : « Quand tu m’as promis cet enfant, je ne t’avais rien demandé, à tel point, rappelle-toi, que je ne pouvais pas y croire ; et je t’avais dit « Non, mon seigneur, homme de Dieu, ne dis pas de mensonge à ta servante ». Sous-entendu, « Tu ne m’as pas donné cet enfant, que je ne te demandais pas, pour me le reprendre ! »... Et vous connaissez la suite, Élisée ressuscite l’enfant (2 R 4,18-37).

         Troisième acte, quelques années passent encore, et fidèle à cette amitié, Élisée va sauver, une fois de plus, la famille de la Sunamite ; il la prévient de la famine imminente : « Élisée parla à la femme dont il avait fait revivre le fils et dit : ‘Lève-toi, pars, toi et ta famille, émigre où tu pourras, car le Seigneur a appelé la famine et même elle vient sur le pays pour sept ans ». Et la suite nous apprend qu’elle écoute le conseil et s’exile pour sept ans au pays des Philistins.

         Seulement voilà « qui va à la chasse perd sa place » ; quand la petite famille revient, ses biens, qui n’étaient pas minces, puisqu’on disait qu’elle était riche, sa maison et son champ ont été réquisitionnés par les officiers du roi (c’était la règle, d’ailleurs). C’est encore l’intervention d’Élisée qui la fait rentrer en possession de sa terre, et c’est le quatrième acte (2 R 8).

         Voici donc l’histoire d’Élisée et de la famille sunamite. Mais quelle leçon l’auteur biblique en tire-t-il à notre profit ? Je vous l’ai dit, il considère cette histoire comme symbolique de l’alliance entre Dieu et son peuple, Israël ; le prophète étant l’image de Dieu. On peut relever au moins cinq traits : d’abord, la durée de cette histoire dit la fidélité de Dieu que même l’incrédulité ne rebute pas. Ensuite, la sollicitude sans faille de l’homme de Dieu pour son hôtesse dit la sollicitude constante de Dieu pour son peuple. Et cette sollicitude va jusqu’à vouloir habiter au milieu de son peuple, comme Élisée accepte de s’installer dans la chambre sur la terrasse ; (rappelez-vous toute l’histoire de la construction du Temple de Salomon : Dieu habite au milieu de son peuple). Plus tard, ce souci d’Élisée de redonner à la femme ses biens évoquent la promesse de Dieu de redonner à Israël sa terre ; or, vous savez qu’on pense généralement que le livre des Rois date de la période de l’Exil à Babylone : un moment où il est essentiel de relire l’histoire et de s’appuyer sur les promesses de Dieu. Enfin, la promesse de la naissance et la résurrection de l’enfant sont le signe que Dieu est le Dieu de la vie.

         Quant à la femme, son attitude nous est donnée en modèle ; un modèle finalement bien simple à suivre : « accueillir le prophète en sa qualité de prophète », comme dira plus tard Jésus (Mt 10, 41, notre évangile de ce dimanche) et faire une confiance si totale qu’on ose parler du fond de son cœur, y compris pour dire ses besoins et sa révolte. Heureuse la femme de Sunam qui a su reconnaître en Élisée un « saint homme de Dieu » ; mais au fait, nous savons désormais que Dieu habite le cœur de tout homme ; à nous de savoir l’y reconnaître et d’accueillir tout homme en conséquence.

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PSAUME  88 ( 89 )

 

2     L'amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante
       ta fidélité, je l'annonce d'âge en âge.
3     Je le dis : C'est un amour bâti pour toujours ;
       ta fidélité est plus stable que les cieux.

16   Heureux le peuple qui connaît l'ovation !
       SEIGNEUR, il marche à la lumière de ta face ;
17   tout le jour, à ton nom il danse de joie,
       fier de ton juste pouvoir.

18   Tu es sa force éclatante ;
       ta grâce accroît notre vigueur.
19   Oui, notre roi est au SEIGNEUR ;
       notre bouclier, au Dieu saint d'Israël
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         La première lecture de ce dimanche nous faisait entendre le récit de la longue amitié qui s’était nouée au fil des ans entre une famille de Galilée et le prophète Élisée, l’homme de Dieu, comme on disait. À travers cette histoire d’une belle relation humaine, nous étions invités à méditer sur l’Alliance éternelle entre Dieu et son peuple, et plus largement, l’Alliance entre Dieu et l’humanité tout entière : « L’amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge. Je le dis : C’est un amour bâti pour toujours ; ta fidélité est plus stable que les cieux ».

         Ceci dit, nous savons tous que cette merveilleuse histoire d’amour entre Dieu et les hommes ne ressemble pas toujours à un chemin parsemé de roses ! Nous avons entendu ici quelques versets seulement du psaume 88/89 (qui en comporte en fait cinquante-trois) et tout a l’air si simple ! Apparemment, c’est l’euphorie ; mais justement c’est cette facilité qui doit nous mettre la puce à l’oreille ; nous l’avons appris avec les prophètes : plus un passage parle de lumière, de victoire, plus on devine qu’il a été écrit en période sombre, en temps de défaite.

          Ici, les premiers mots du psaume, ce sont l’amour et la fidélité du Seigneur : autant dire tout de suite qu’il était urgent d’y croire si on ne voulait pas sombrer dans le découragement. Et si vous ne me croyez pas, allez voir dans vos Bibles le verset 50 : « Où donc est, Seigneur, ton premier amour, celui que tu jurais à  David sur ta foi ? »  Ce qu’on semble affirmer si fort, dans les autres versets, en réalité, on craint bien de l’avoir perdu...

         Deuxième remarque préliminaire : dans la Bible, l’ensemble des psaumes est composé de cinq livres dont chacun se termine par une formule de bénédiction ; ce psaume 88/89 est le dernier du troisième livre et son dernier verset est « Béni soit le SEIGNEUR pour toujours ! Amen ! Amen ! » Mais c’est l’ensemble de ce psaume qui a un caractère de conclusion ou plutôt de synthèse : écrit très probablement pendant l’Exil à Babylone, il brosse en fait la fresque de l’histoire d’Israël : les commencements de l’Alliance, les promesses faites à David, l’attente du Messie et maintenant l’Exil, c’est-à-dire l’écroulement : plus de roi à Jérusalem, plus d’héritier royal, donc pas de Messie... Dieu aurait-il oublié ses promesses ? « Où donc est, Seigneur, ton premier amour ? »

         Ces deux remarques pour dire tout de suite qu’en chantant les quelques versets de ce dimanche, il ne faut pas oublier tout le reste du psaume, sous peine de le défigurer. Mais venons-en aux versets proposés pour la messe de ce treizième dimanche ; et puisqu’ils sont courts, profitons-en pour les regarder d’un peu plus près ; souvent, ces dernières semaines, nous nous sommes émerveillés de la richesse du contenu des psaumes et nous n’avons pas pris le temps de nous arrêter sur la forme ; pour changer, commençons par là.

         La construction de la première strophe est très soignée : « L’amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge. Je le dis : C’est un amour bâti pour toujours ; ta fidélité est plus stable que les cieux ». Vous avez remarqué d’abord le parallélisme des versets, c’est-à-dire que la deuxième partie du verset (ce qu’on appelle le deuxième « stique ») est parallèle à la première : « L’amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge ». L’amour du SEIGNEUR / ta fidélité ... je le chante / je l’annonce ...  sans fin / d’âge en âge... Venons-en au deuxième verset : « Je le dis : c’est un amour bâti pour toujours ; ta fidélité est plus stable que les cieux » : on retrouve le même parallélisme : un amour / ta fidélité ... bâti / stable... Le dernier couple de mots « pour toujours / les cieux » vous surprend peut-être, mais il s’agit quand même d’un parallélisme, mais entre l’espace et le temps, cette fois. Nous sommes véritablement devant une construction très savante qui devrait nous pousser à soigner le chant des psaumes.

         Dans ces deux premiers versets nous avons déjà rencontré deux fois le couple de mots « amour » et « fidélité » ; si vous avez la curiosité de lire ce psaume 88/89 en entier, vous les retrouverez sept fois et ce chiffre sept n’est pas non plus le fruit du hasard. Et dans cette expression « amour et fidélité » vous avez reconnu la traduction qu’on a toujours faite de la Révélation que Moïse avait reçue du Seigneur au Sinaï : « Dieu miséricordieux et bienveillant, plein de fidélité et de loyauté » (Exode 34,6).

         Et quand le premier verset nous fait dire : « L’amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante » : le mot amour (dans le texte hébreu) signifie en fait « les gestes d’amour de Dieu » : Dieu n’aime pas seulement en paroles, mais « en actes et en vérité », comme dirait saint Jean.

         C’est précisément en Exil que le peuple d’Israël se remémore plus que jamais tous les « gestes d’amour de Dieu » pour lui : car la tentation est trop forte de penser que Dieu aurait pu oublier son peuple. Et un noyau de croyants compose des hymnes qui rappellent à tout le peuple que Dieu n’a jamais cessé d’être le roi d’Israël. C’est le sens de cette dernière phrase curieuse : « Notre roi est au SEIGNEUR ; notre bouclier, au Dieu saint d’Israël » ; très difficile à traduire en français, et prononcée justement à un moment où il n’y a plus de roi en Israël, elle signifie en fait « notre roi, c’est le Seigneur, notre bouclier, c’est le Saint d’Israël ».

         Et pour le dire encore mieux, on utilise un vocabulaire royal : « ovation... pouvoir... force... vigueur... bouclier... » Le mot « ovation », en particulier, désigne la « terouah », c’est-à-dire la grande acclamation pour le roi le jour de son sacre ; c’est une acclamation guerrière et plusieurs de ces mots (comme force... vigueur... bouclier) sont typiquement guerriers parce que, à cette époque, le roi est avant tout celui qui marche à la tête de ses armées.        

         Mais on sait par la suite de ce psaume ce qu’il en est de ces accents victorieux : en voici les derniers versets en guise d’aperçu : « Rappelle-toi, Seigneur, tes serviteurs outragés... Oui, tes ennemis ont outragé, SEIGNEUR, poursuivi de leurs outrages ton Messie ». Raison de plus pour se répéter les promesses de Dieu.

         Décidément, ce psaume nous donne une leçon : c’est la nuit qu’il faut croire à la lumière.

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS  6, 3... 11

 

       Frères,
       ne le savez-vous pas ?
3     Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus,
       c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême.
4     Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort,
       nous avons été mis au tombeau avec lui,
       c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi,
       comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père,
       est ressuscité d’entre les morts.

8     Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ,
       nous croyons que nous vivrons aussi avec lui.
9     Nous le savons en effet :
       ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ;
       la mort n’a plus de pouvoir sur lui.
10   Car lui qui est mort,
       c'est au péché qu'il est mort une fois pour toutes ;
       lui qui est vivant,
       c'est pour Dieu qu'il est vivant.
11   De même, vous aussi,
       pensez que vous êtes morts au péché,
       mais vivants pour Dieu en Jésus Christ.
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         Ce texte de Paul est peut-être bien sa réponse à un reproche qu’on lui fait souvent. Je m’explique : le thème majeur de la lettre aux Romains pourrait se résumer ainsi : « Dieu nous sauve par pure grâce, qui que nous soyons ; il nous suffit d’accueillir ce salut dans la foi » ; cette insistance de Paul sur la gratuité du salut lui vaut une objection que nous entendons aussi parfois aujourd’hui, ici ou là : on lui dit : « À trop insister sur la gratuité du salut de Dieu, vous encouragez le péché » (sous-entendu, alors on peut faire n’importe quoi, vous prêchez le laxisme). Paul s’en défend ici en disant : Ne me faites pas dire qu’il est sans importance de pécher sous prétexte qu’il y a la grâce de Dieu ; car désormais, le péché ne nous concerne plus ; depuis notre baptême, nous sommes des créatures nouvelles sur lesquelles le péché n’a plus de prise. « Si quelqu’un est en Christ, il est une créature nouvelle. » (2 Co 5,17).

         Sa réponse à ses détracteurs n’est pas fondée sur des principes moraux, mais sur le mystère du salut. Il faut dire que Paul vit son baptême avec une telle profondeur que nous avons un peu de mal à le suivre ! Quand Paul parle de création nouvelle, il parle d’expérience : sur le chemin de Damas, quand il s’est relevé, il était un autre homme ! Il était mort à tout ce qu’était sa vie antérieure, une certaine manière de voir, d’agir, de croire surtout.

         C’est ce mot « mort » qui représente pour nous l’une des principales difficultés de ce texte, car il revient pratiquement à toutes les lignes, et il nous est bien difficile de lui donner un autre sens que celui de notre langage courant : la mort biologique qui attend tous les humains et qui nous fait si peur. Or Paul lui donne un tout autre sens dans ce texte qui se place à un niveau uniquement théologique : « Nous tous, qui avons été baptisés en Jésus Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés... nous sommes passés par la mort avec le Christ... lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes... pensez que vous êtes morts au péché. »

         Il s’agit d’un baptême, d’un passage, d’une mort au péché. Un autre texte de Paul peut nous donner la clé de ces mots ; il écrit dans sa première lettre aux Corinthiens : « Nos pères étaient tous sous la nuée, tous ils passèrent à travers la mer, et tous furent baptisés en Moïse, dans la nuée et dans la mer. » (1 Co 10,1-2). Il s’agit là des événements fondateurs du peuple d’Israël : Dieu libère son peuple de l’esclavage et le fait naître à une nouvelle vie par son passage à travers les eaux. C’est cela que Paul appelle le baptême d’Israël ; Moïse a rompu là l’engrenage d’une captivité de plus en plus impitoyable : travail forcé, meurtre des enfants, mauvaise foi de Pharaon. Le passage de la mer a consacré cette rupture, cette mort à l’esclavage.

         De même, nous dit Paul, Jésus accomplit une rupture radicale : l’homme, dans sa révolte contre Dieu, est prisonnier de ses doutes, de ses soupçons, de ses refus d’aimer, en un mot prisonnier de son péché. L’engrenage de la haine et de la violence semble impitoyable.

         Jésus, lui, se fait « obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix » (Phi 2,8) ; sa confiance en Dieu (c’est le sens du mot « obéissance » chez Paul), son harmonie parfaite avec toute la volonté de son Père rompt le cercle infernal du péché des hommes. Ainsi, sa mort est un triomphe, l’acte victorieux du premier homme vraiment libre. « Car lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il est vivant. »

         De quelle mort parle-t-il ? Paul nous dit « « Nous sommes passés par la mort avec le Christ », mais pourtant, nous nous sentons bien vivants, sinon nous ne serions pas là, vous et moi ! C’est donc qu’il ne s’agit pas de la mort biologique. Il emploie ici ce mot « mort » pour évoquer une rupture radicale avec le passé.

 

         Quand Paul dit « nous sommes morts au péché », il veut dire que nous sommes morts à notre mauvaise manière de vivre. Désormais, nous vivons une vie nouvelle : nous avons abandonné les fausses valeurs du monde pour vivre à l’image de Jésus. Imiter Jésus, c’est sortir de l’engrenage de la haine et de la violence, du goût du pouvoir ou de l’argent. C’est le choisir, lui, comme notre seul maître et entrer dans une nouvelle manière de vivre faite d’amour et de service des frères. Et c’est notre baptême qui a inauguré pour nous ce changement radical d’orientation, le commencement de notre nouvelle vie. Paul envisage donc le baptême comme une véritable libération.

         Alors Paul peut dire à ceux qui se sont attachés au Christ : « Vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché, et vivants pour Dieu en Jésus Christ. » Ailleurs, il dira que le baptisé est un « homme nouveau » : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle est là. Tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ. » (2 Co 5,17-18).

         Cette transformation est donc déjà chose faite, mais en même temps elle reste à faire : notre vie nouvelle est inaugurée par notre baptême, à nous maintenant, d’y conformer tous nos comportements quotidiens. Paul répond donc ainsi aux objections qui lui étaient faites, de présenter un tableau un peu trop rose de la vie du chrétien : car sa conclusion représente une exigence formidable, finalement : « De même vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché, et vivants pour Dieu en Jésus Christ. »

         Oui, entrer dans le salut est très simple, il suffit d’y croire, mais c’est très exigeant ! Car, désormais, nous nous devons de mener une vie nouvelle, conforme à l’Esprit du Christ.

         La lettre aux Éphésiens le redit aux chrétiens : « Il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme qui se corrompt sous l’effet des convoitises trompeuses ; il vous faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence et revêtir l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité. » (Ep 4,22-24). Le secret pour nous laisser renouveler entièrement, comme dit l’apôtre ici : rester les yeux fixés sur la croix du Christ, lui qui nous donne l’exemple parfait de l’obéissance et de la douceur seules capables de casser l’enchaînement de la violence : « Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s’il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. » (Jn 15,4).
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  10, 37 - 42

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à ses Apôtres :
37   « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi
       n’est pas digne de moi ;
       celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi