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16 juillet 2018 1 16 /07 /juillet /2018 21:48

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 21 juillet 2018).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celle-d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE  DU LIVRE DE JÉRÉMIE   23, 1 - 6

 

1             Quel malheur pour vous, pasteurs !
              Vous laissez périr et vous dispersez         
              les brebis de mon pâturage - oracle du SEIGNEUR !
2            C'est pourquoi, ainsi parle le SEIGNEUR, le Dieu d'Israël       
              contre les pasteurs qui conduisent mon peuple : 
              Vous avez dispersé mes brebis, vous les avez chassées, 
              et vous ne vous êtes pas occupés d'elles. 
              Eh bien ! Je vais m'occuper de vous,       
              à cause de la malice de vos actes 
              - oracle du SEIGNEUR.
3            Puis, je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis    
              de tous les pays où je les ai chassées.      
              Je les ramènerai dans leur enclos, 
              elles seront fécondes et se multiplieront.
4            Je susciterai pour elles des pasteurs
              qui les conduiront ;           
              elles ne seront plus apeurées ni effrayées,           
              et aucune ne sera perdue - oracle du SEIGNEUR.
5            Voici venir des jours - oracle du SEIGNEUR -, 
              où je susciterai pour David un Germe juste :       
              il régnera en vrai roi, il agira avec intelligence,    
              il exercera dans le pays le droit et la justice.
6            En ces jours-là, Juda sera sauvé,  
              et Israël habitera en sécurité.        
              Voici le nom qu'on lui donnera :  
              « Le-SEIGNEUR-est-notre-justice. »

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LE ROI COMME UN BERGER

La métaphore du berger était familière aux peuples du Moyen-Orient, pour parler des rois ; et le sceptre royal était en fait une houlette. En Israël, cette image s'appliquait particulièrement bien à David, l'ancien berger, et on continua à l'évoquer pour ses descendants. Un bon roi est celui qui, tel un berger, veille à la sécurité et à la prospérité de son troupeau, son peuple. Malheureusement, l'histoire de la royauté fut très mouvementée, et, s'il y eut quelques bons bergers, il y en eut beaucoup plus de mauvais. Le premier livre de Samuel offre une description de l'institution royale très sévère, mais toute empreinte de réalisme : « Voici comment gouvernera le roi qui règnera sur vous : il prendra vos fils pour les affecter à ses chars et à sa cavalerie et ils courront devant son char. Il les prendra pour s’en faire des chefs de millier et des chefs de cinquantaine, pour labourer son labour, pour moissonner sa moisson, pour fabriquer ses armes et ses harnais. Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières et boulangères. Il prendra vos champs, vos vignes et vos oliviers les meilleurs. Il les prendra et les donnera à ses serviteurs. Il lèvera la dîme sur vos grains et sur vos vignes et la donnera à ses eunuques et à ses serviteurs. Il prendra vos serviteurs et vos servantes, les meilleurs de vos jeunes gens et vos ânes pour les mettre à son service. Il lèvera la dîme sur vos troupeaux. Vous-mêmes enfin, vous deviendrez ses esclaves. » (1 S 8, 11-18). Malheureusement, en bien des circonstances, cette description n'a rien d'exagéré. D'où les emportements des prophètes, en particulier de Jérémie.

Le texte que nous lisons ici vise les derniers rois de Jérusalem au moment de l'Exil à Babylone : « Quel malheur pour vous, pasteurs ! Vous laissez périr et vous dispersez les brebis de mon pâturage. » Mais Dieu veille : car, en dernier ressort, le vrai, le seul berger d'Israël, c'est Dieu lui-même : « Mon berger, c’est le SEIGNEUR : je ne manque de rien » chante le psaume 22/23. Dans les mauvaises périodes, combien de fois les prophètes n'ont-ils pas répercuté la douleur de Dieu devant la dispersion de son troupeau ? Car son unique souci est de le rassembler ; et, dans leur foi, les prophètes ne doutent pas un seul instant qu'il y parviendra : un jour, lointain peut-être, mais certain, naîtra enfin un bon roi. Dès l'Ancien Testament, donc, l'image du bon pasteur était devenue l'une des expressions de l'attente messianique.

Chez Michée par exemple : « Toi, Bethléem Éphrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël... Il se tiendra debout et fera paître son troupeau par la puissance du SEIGNEUR, par la majesté du nom du SEIGNEUR son Dieu. » (Mi 5, 1-3).

Le texte de Jérémie que nous lisons aujourd’hui se situe dans cette ligne : « Je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis... Je leur donnerai des pasteurs qui les conduiront... aucune ne sera perdue, déclare le SEIGNEUR. » Mais, à l’heure où Jérémie prêchait, plus grand monde ne croyait, probablement, aux belles promesses d’avenir, car le prophète multiplie (cinq fois dans ces versets !) les assurances qu'il s'agit bien d'une parole qui vient du Seigneur, avec la formule « Parole du SEIGNEUR » ou son équivalent.

 

UN GERME SUR L’ARBRE DE JESSÉ

Puis la même prédication d’espérance est reprise avec une autre image, celle du « Germe » : le mot apparaît rarement dans la Bible, mais il est, comme il se doit, lourd de promesses ; bien sûr, pour commencer, le verbe « germer, pousser » (tsamah) évoque bien la croissance d'une semence. (Le même verbe est employé dans le récit de la Création : « Le Seigneur Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger. » Gn 2, 9). Mais les prophètes Isaïe, Jérémie, Zacharie en ont fait l'image d'une espérance bien précise : celle de voir s'accomplir enfin les promesses faites à David (le fils de Jessé), en d'autres termes, celle de l'arrivée du Messie. Si bien que le mot « Germe » (en particulier dans l’expression « Germe de David ») est devenu synonyme de Messie. Plus les temps sont durs, plus les prophètes s'appliquent à maintenir cette espérance. C'est le cas ici : « Voici venir des jours, déclare le SEIGNEUR, où je donnerai à David un Germe juste : il régnera en vrai roi, il agira avec intelligence, il exercera dans le pays le droit et la justice. Sous son règne, le royaume de Juda sera sauvé, et Israël habitera sur sa terre en sécurité. » Droit, justice, sécurité, voilà à quoi aspire le peuple, voilà ce que lui apportera le Messie ; le nom du coupable et malheureux roi Sédécias, emmené enchaîné à Babylone en 587 signifiait « Le SEIGNEUR est ma justice » ; or il fut largement infidèle à ce beau programme. Ironiquement, Jérémie annonce que le Messie, lui, saura porter ce nom au service du peuple tout entier : « Voici le nom qu’on lui donnera : Le SEIGNEUR est notre justice. »

Dernière remarque : Jérémie, parlant du Messie promis, nous dit : « Sous son règne, le royaume de Juda sera sauvé, et Israël habitera sur sa terre en sécurité. » Sachant que « Juda » désignait le royaume du sud et « Israël » celui du Nord, à l’époque où il y avait deux royaumes (avant 721), on peut entendre là de la part du prophète une annonce de la réunification des deux royaumes.

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Compléments 

- Plus tard, à une époque où la souche royale semble définitivement éteinte, (la restauration attendue de Zorobabel après l'Exil fut un échec), les prophètes continuent d'affirmer que de tout arbre mort Dieu peut susciter des pousses nouvelles et que le bonheur de l'ère messianique viendra tôt ou tard : « Le SEIGNEUR fera germer la justice » (Is 61, 11).

- Plus tard encore, un autre prophète (anonyme celui-là) reprendra intégralement la prédication de Jérémie 23, 5-6 ; et ses paroles seront intégrées dans le livre qui porte le nom de Jérémie : elles se trouvent en Jr 33, 15-16.

- Le psaume 84/85 de dimanche dernier (quinzième dimanche) se situait dans la même ligne : « J'écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ? Ce qu'il dit, c'est la paix pour son peuple. Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. Amour et vérité se rencontrent,  justice et paix s'embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin. »

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PSAUME  22   (23), 1-6

 

1          Le SEIGNEUR est mon berger :      
            je ne manque de rien.
2          Sur des prés d'herbe fraîche, 
            il me fait reposer.          

            Il me mène vers les eaux tranquilles
3          et me fait revivre ;     
            il me conduit par le juste chemin      
            pour l'honneur de son nom.

4          Si je traverse les ravins de la mort,   
            je ne crains aucun mal,          
            car tu es avec moi :    
            ton bâton me guide et me rassure.

5          Tu prépares la table pour moi
            devant mes ennemis ;
            tu répands le parfum sur ma tête,     
            ma coupe est débordante.

6          Grâce et bonheur m'accompagnent   
            tous les jours de ma vie ;       
            j'habiterai la maison du SEIGNEUR
            pour la durée de mes jours.

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LE BERGER D’ISRAËL

« Je rassemblerai moi-même mes brebis » annonçait Jérémie de la part de Dieu (première lecture) ; au nom du peuple, le psaume 22/23 répond : « Le SEIGNEUR est mon berger ». Parce que, comme toujours, celui qui parle dans ce psaume, c’est le peuple d’Israël tout entier. Israël qui se reconnaît comme le peuple de Dieu, le troupeau de Dieu : « Oui, Il est notre Dieu, nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main » (Ps 94/95).

Aujourd’hui, nous ne trouvons peut-être pas très flatteur le terme de troupeau ! Mais il faut nous replacer dans le contexte biblique : à l’époque le troupeau était peut-être la seule richesse ; déjà d’Abraham, on disait « Abram était très riche en troupeaux, en argent et en or. » (Gn 13, 2). Et il suffit de voir comment le livre de Job décrit l’opulence puis la déchéance de son héros. Cela se chiffre en nombre d’enfants, d’abord, en nombre de bêtes tout de suite après. « Il y avait au pays de Ouç un homme du nom de Job. Il était, cet homme, intègre et droit, craignait Dieu et s’écartait du mal. Sept fils et trois filles lui étaient nés. Il possédait sept mille moutons, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cents ânesses et une très nombreuse domesticité. Cet homme était le plus grand des fils de l’Orient. » Et quand on vient annoncer à Job tous les malheurs qui s’abattent sur lui, cela concerne ses enfants et ses troupeaux.        

Mais alors, si les troupeaux sont considérés comme une richesse, nous pouvons oser penser que Dieu nous considère comme une de ses richesses. Ce qui est quand même une belle audace sur le plan théologique ! En écho, le livre des Proverbes dit que la Sagesse de Dieu « trouve ses délices auprès des enfants des hommes » (Pr 8, 31). Plus tard, on ira encore beaucoup plus loin, puisqu’on osera dire « Dieu a tant aimé le monde (c’est-à-dire l’humanité) qu’Il a donné son Fils Unique ». (Jn 3, 16).

Pour revenir à notre psaume d’aujourd’hui, il décline l’amour de Dieu pour son peuple dans le vocabulaire du berger : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles... » Le verbe « mener » est ce qui caractérise le mieux un berger digne de ce nom. Dans notre première lecture, au contraire, Jérémie se plaignait des bergers d’Israël (entendez les rois), qui, justement, n’ont pas « mené » le peuple, parce qu’ils étaient avant tout préoccupés de leur intérêt personnel.

Et, pendant l’Exil à Babylone, Ézéchiel en disait tout autant : « Malheur aux bergers d’Israël qui se paissent eux-mêmes ! N’est-ce pas le troupeau que les bergers doivent paître ?... Les bêtes se sont dispersées, faute de berger, et elles ont servi de proie à toutes les bêtes sauvages (entendez les nations étrangères, et en particulier Babylone) ; elles se sont dispersées… Mon troupeau s’est éparpillé par toutes les montagnes, sur toutes les hauteurs ; mon troupeau s’est dispersé sur toute la surface du pays sans personne pour le chercher, personne qui aille à sa recherche. » (Ez 34, 2. 5-6). Quand le prophète parle de dispersion, il vise toutes les infidélités à l’Alliance, toutes les idolâtries, tous les cultes qui se sont instaurés partout dans le pays pourtant consacré au Dieu unique ; ce sont autant de fausses pistes qui ont entraîné le malheur actuel du peuple.

 

ROMPRE AVEC LES IDOLES

Dans ce psaume, la phrase « Il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son Nom » vise exactement la même chose : en langage biblique, le « chemin » signifie toujours la vie dans l’Alliance avec le Dieu unique, c’est-à-dire l’abandon résolu de toute idolâtrie ; or l’histoire montre que ce n’est jamais gagné et qu’à toute époque l’idolâtrie a été le combat incessant de tous les prophètes ; soit-dit en passant, ils auraient peut-être tout autant à faire aujourd’hui ; car une idole n’est pas obligatoirement une statue de bois ou de plâtre... c’est tout ce qui risque d’accaparer nos pensées au point d’entamer notre liberté : que ce soit une personne, un bien convoité, ou une idée, Dieu veut nous en délivrer, non pas pour faire de nous ses esclaves, mais pour faire de nous des hommes libres. C’est cela l’honneur de son Nom : le Dieu libérateur veut l’homme libre.            

Pour libérer définitivement l’humanité de toutes ces fausses pistes, Dieu a envoyé son Fils ; et désormais, les Chrétiens ont en tête la phrase de Jésus dans l’évangile de Jean : « Je suis le Bon Pasteur, je donne ma vie pour mes brebis » (Jn 10). Il donne sa vie, au vrai sens du terme. Si bien que nous pouvons chanter à notre tour « Toi, Seigneur,  tu es mon berger...Tu es avec moi, ton bâton (ta croix) me guide et me rassure. »

Au début de l’Église, ce psaume était devenu naturellement le psaume spécial de la liturgie du Baptême ; les baptisés (je parle au pluriel parce que les baptêmes étaient toujours célébrés de manière communautaire) émergeant de la cuve baptismale, partaient en procession vers le lieu de la confirmation et de l’Eucharistie. Et l’évocation des eaux tranquilles, vivifiantes, (pour le Baptême), de la table et de la coupe (pour l’Eucharistie), du parfum (pour la Confirmation) nous rappelle évidemment cette triple liturgie. « Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre... Tu prépares la table pour moi... Ma coupe est débordante... tu répands le parfum sur ma tête... »

Désormais, grâce et bonheur accompagnent le baptisé puisque, comme le Christ nous l’a promis, il est « avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ÉPHÉSIENS    2, 13 - 18

 

            Frères,
13        maintenant, dans le Christ Jésus,
            vous qui autrefois étiez loin, 
            vous êtes devenus proches par le sang du Christ.
14        C'est lui, le Christ, qui est notre paix :          
            des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ;        
            par sa chair crucifiée, 
            il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine ;
15        il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse.           
            Ainsi, à partir des deux, le Juif et le païen,  
            il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau en faisant la paix,
16        et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps         
            par le moyen de la croix ;      
            en sa personne, il a tué la haine.
17        Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix,   
            la paix pour vous qui étiez loin,        
            la paix pour ceux qui étaient proches.
18        Par lui, en effet, les uns et les autres,
            nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père.
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À ÉPHÈSE, JUIFS ET PAÏENS DEVENUS FRÈRES

« Les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père » : ici, Paul fait référence à deux catégories de personnes : les uns, ce sont les chrétiens d'origine juive, les autres, les chrétiens d'origine païenne. Quand Paul est arrivé à Éphèse, Apollos l'avait précédé et avait rassemblé autour de lui douze nouveaux Chrétiens d'origine juive (Ac 19, 1). Paul a continué l'œuvre entreprise et, comme toujours, il a commencé par annoncer l'évangile au cœur même de la synagogue. Au bout de trois mois, cependant, certains des membres de la synagogue étant très opposés à sa prédication, il fallut trouver un autre lieu de rassemblement ; mais la communauté chrétienne était née et elle grandit peu à peu : à côté des douze premiers, elle comprit bientôt côte à côte des membres d'origine païenne et des membres d'origine juive. Désormais Paul pouvait dire : « Des deux, Israël et les païens, il (le Christ) a fait un seul peuple ».

Dans le texte de dimanche dernier (Ep 1, 13-14), il avait pris acte de cette diversité d’origine des Chrétiens : il disait « nous » quand il s’adressait aux Juifs, (dont il faisait partie), il disait « vous » aux anciens païens : « Dieu nous a d’avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ... Dieu nous a d’avance destinés à devenir son peuple ; il a voulu que nous soyons ceux qui d’avance avaient espéré dans le Christ... dans le Christ, vous aussi, vous avez écouté la parole de vérité, la bonne nouvelle de votre salut ; en lui, devenus croyants, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. » En d’autres termes, Israël est le premier bénéficiaire de l’annonce du projet de Dieu, mais, désormais, en Christ, des païens ont pu l’écouter à leur tour, au sens de devenir croyants, et recevoir l’Esprit Saint. C’est à Antioche de Pisidie que Paul a compris ce grand tournant de l’histoire de la révélation : rencontrant une violente opposition de la part des Juifs, il leur avait déclaré : « C’est à vous d’abord que devait être adressée la parole de Dieu ! Puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous nous tournons vers les païens. » (Ac 13, 46).

L’UNITÉ A CONSTRUIRE

Dans le texte d’aujourd’hui, c’est à ces païens convertis au christianisme que Paul s’adresse : « Vous qui autrefois étiez loin du Dieu de l’Alliance, vous êtes devenus proches par le sang du Christ » et il développe le thème de la réconciliation entre les uns et les autres ; et s’il le fait aussi longuement, c’est que cette entente devait paraître à beaucoup d’entre eux irréalisable. Visiblement, au moment où cette lettre a été écrite, l’unité recommandée par le Christ était en jeu. Or il ne s’agit pas seulement d’un problème de comportement, il y va du contenu même de la foi chrétienne. Les uns et les autres ont été baptisés, c’est-à-dire plongés dans la vie nouvelle du Ressuscité, c’est la seule réalité qui compte désormais. Nous ne sommes plus sous le régime de la Première Alliance : oui, seuls, jusque-là, les Juifs avaient accès à la révélation du Père ; et on sait qu’ils comprenaient leur vocation comme une mise à part. Concrètement cela se marquait par une barrière sur l’esplanade même du Temple de Jérusalem. Le tour de l’esplanade était accessible à tout le monde, Juifs ou païens, mais la cour centrale était réservée aux Juifs, on l’appelait « le parvis d’Israël ». Un écriteau interdisait aux non-Juifs l’entrée dans cette cour sous peine de mort.

C’est peut-être à cette barrière que Paul fait allusion quand il parle d’un « mur de la haine ». Il pense aussi à la méfiance qui s’était installée entre Juifs et païens : les Juifs, circoncis par fidélité à la loi de Moïse, méprisaient parfois ceux qu’ils appelaient les « incirconcis ».

Dans les versets qui précèdent notre texte, Paul a rappelé cet ostracisme qui pesait sur les païens : « Souvenez-vous donc qu’autrefois, vous qui portiez le signe du paganisme dans votre chair, vous que traitaient « d’incirconcis » ceux qui se prétendent les « circoncis », à la suite d’une opération pratiquée dans la chair, souvenez-vous qu’en ce temps-là, vous étiez sans Messie, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance... » (2, 11-12). Ici, il résume : « Vous qui autrefois étiez loin du Dieu de l'Alliance ».

Or le projet de Dieu, qu’il a décrit dans le premier chapitre (1, 9-10) est un projet d’amour et de réconciliation à l’échelle de l’humanité tout entière, et même de la Création tout entière, dans et par le Christ. Alors, le Christ serait-il né et mort pour rien ? Non, dit Paul, désormais, ce projet est accompli ; nous sommes dans la Nouvelle Alliance scellée en Jésus-Christ « pour la multitude », comme il l’a dit lui-même au soir de la Cène ; car « Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, (les anciens païens), la paix pour ceux qui étaient proches (les Juifs) ».

Annoncer en paroles et en actes, en vérité : par trois fois, Paul fait référence à la Passion du Christ : « Vous êtes devenus proches par le sang du Christ... par sa chair crucifiée, il a fait tomber ce qui les séparait (Juifs et païens), le mur de la haine... il voulait les réconcilier avec Dieu par la croix... »

Désormais, la Loi ne doit plus être une cause de discorde entre anciens Juifs et anciens païens ; tous peuvent donner leur foi au Christ : « Il a fait tomber ce qui les séparait, le mur de la haine, en supprimant les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. » Désormais, en levant les yeux vers le Christ crucifié, tout homme qui croit en lui peut entrer dans le mystère de l’amour trinitaire. « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi » avait promis Jésus (Jn 12, 32).          

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Complément

INSCRIPTION INTERDISANT L’ENTRÉE AUX ÉTRANGERS DANS LE TEMPLE DE JÉRUSALEM

« Que nul étranger ne pénètre à l’intérieur de la barrière et de l’enceinte qui entourent le lieu sacré. Celui qui serait pris y pénétrant serait responsable envers lui-même que mort s’ensuive. »

cf Ac 21, 27-31 (l’histoire de Trophime : un païen, compagnon de Paul, que l’on a cru voir pénétrer dans l’espace interdit ; ce qui a déclenché l’arrestation de Paul).

Dans la vie courante, la barrière d’interdits était la traduction de cette séparation entre Juifs et païens. Elle manifestait le désir profond du peuple élu de rester fidèle en tous points à la Loi reçue de Moïse.

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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MARC     6, 30 - 34

 

            En ce temps-là,
            après leur première mission,
30        les Apôtres se réunirent auprès de Jésus,      
            et lui annoncèrent tout ce qu'ils avaient fait et enseigné.
31        Il leur dit :      
            « Venez à l'écart dans un endroit désert,     
            et reposez-vous un peu. »      
            De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux
            et l'on n'avait même pas le temps de manger.
32        Alors, ils partirent en barque pour un endroit désert, à l'écart.
33        Les gens les virent s'éloigner, et beaucoup comprirent leur intention.        
            Alors, à pied, de toutes les villes,     
            ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux.
34        En débarquant, Jésus vit une grande foule.  
            Il fut saisi de compassion envers eux,          
            parce qu'ils étaient comme des brebis sans berger.   
            Alors, il se mit à les enseigner longuement.

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RETOUR DE MISSION : REPOSEZ-VOUS UN PEU

Dimanche dernier, nous avions assisté à l'envoi en mission des Douze pour la première fois (Mc 6, 7-13) ; et Marc décrivait rapidement la façon dont ils s'en étaient acquittés : « Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient. » (6, 12-13). Ils ont donc fait très exactement ce qu’ils voient Jésus faire depuis le début de leur rencontre : guérir les malades, chasser les démons, enseigner ; Marc veut certainement faire entendre à ses lecteurs que la mission des Douze est dans la parfaite continuité de celle de Jésus.

Car il a pris bien soin de les décrire en parallèle ; on peut noter en effet que le début de la mission de Jésus et celui de la mission des Douze sont semblables : le lieu est le même (la Galilée), et surtout le contexte : Jésus a commencé « après que Jean (Baptiste) eut été livré » (1, 14), les apôtres commencent à leur tour au moment de la mort du même Jean-Baptiste : puisque Marc raconte l’arrestation et l’exécution de Jean-Baptiste dans l’intervalle entre leur envoi en mission par Jésus et leur retour (6, 17-29). Quant au contenu de l’enseignement, s’il n’est pas précisé, c’est parce qu’il ressemble certainement à celui du Maître, résumé par Marc au début de son évangile : « Après que Jean (Baptiste) eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l’Évangile de Dieu et disait : « Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » (1, 14-15).

Voici donc maintenant le retour des Douze : « Après leur première mission, les apôtres se réunirent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. » C’est la première fois que Marc emploie le mot « apôtres » (qui signifie « envoyés » en mission), jusqu’ici il les appelait les « disciples » (« enseignés ») : désormais, ils partageront la mission de Jésus.

Curieusement, à leur retour, la première chose qu’il leur propose, c’est de prendre de la distance : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » Si l’on se souvient, après sa première journée à Capharnaüm, où il avait abondamment enseigné, guéri les malades, chassé les démons (1, 21-34), Jésus aussi avait pris de la distance. Marc notait : « Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert ; là il priait. » Il s’était arraché au succès et était parti se ressourcer dans la prière. Les « envoyés » de tous les temps sont certainement invités ici à en faire autant : Marc répète à deux reprises cette retraite de Jésus et ses apôtres « à l’écart dans un endroit désert » (v. 31 et 32). Entre ces deux précisions qui forment une « inclusion », Marc a noté la présence de la foule : manière de nous dire « ce n’est pas une fuite-dérobade que Jésus leur propose, c’est un ressourcement pour mieux servir la foule ». À Capharnaüm, c’est dans cette pause que Jésus avait puisé la force de s’arracher à la tentation de s’installer (1, 38).

AU SERVICE DE LA MULTITUDE

Mais la foule les suit, elle s’impose et avec elle, s’impose l’urgence de la mission ; dans son évangile, Marc insiste souvent sur cette présence de la foule qui poursuit Jésus partout : par exemple dans le récit de l’appel de Matthieu : « Toute la foule venait à lui et il les enseignait. » (2, 13) ; ou pour introduire le discours en paraboles : « De nouveau, Jésus se mit à enseigner au bord de la mer. Une foule se rassemble près de lui, si nombreuse qu’il monte s’asseoir dans une barque, sur la mer. Toute la foule était à terre face à la mer. » (4, 1) ; ou encore, à Génésareth : « Partout où il entrait, villages, villes ou hameaux, on mettait les malades sur les places ; on le suppliait de les laisser toucher seulement la frange de son vêtement. » (6, 56). Marc insiste, cette foule ne vient pas seulement de Galilée, elle vient de partout : « Jésus se retira avec ses disciples au bord de la mer. Une grande multitude venue de la Galilée le suivit. Et de la Judée, de Jérusalem, de l’Idumée, d’au-delà du Jourdain, du pays de Tyr et Sidon, une grande multitude vint à lui, à la nouvelle de tout ce qu’il faisait. Il dit à ses disciples de tenir une barque prête pour lui à cause de la foule qui risquait de l’écraser. Car il en avait tant guéri que tous ceux qui étaient frappés de quelque mal se jetaient sur lui pour le toucher. » (3, 7-10). Et cette foule reste parfois des jours à l’écouter.

C’est ce qui décidera Jésus à accomplir la deuxième multiplication des pains : « Comme il y avait de nouveau une grande foule et qu’elle n’avait pas de quoi manger, Jésus appelle ses disciples et leur dit : J’ai pitié de cette foule, car voilà déjà trois jours qu’ils restent auprès de moi et ils n’ont pas de quoi manger. Si je les renvoie chez eux à jeun, ils vont défaillir en chemin, et il y en a qui sont venus de loin. » (8, 1-3).

Tout ceci fait donc penser que Jésus a reçu un très bon accueil de la plupart de ses contemporains ; mais ce succès même a déclenché l’inquiétude des autorités religieuses : dès le chapitre 3, on apprend que des scribes sont « descendus de Jérusalem » (3, 22).

Revenons à notre texte : en débarquant, Jésus vit donc cette grande foule (cinq mille hommes), « il fut saisi de pitié envers eux parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les instruire longuement. » Il les instruit d’abord, il accomplira une première multiplication des pains, ensuite (6, 35-44). Deux manières de les nourrir. Quand Marc dit la pitié de Jésus, il utilise le mot grec (« splangna »)  qui désigne les entrailles, la profondeur de l’être ; c’est un équivalent du mot hébreu (« rahamim ») que l’on traduit souvent par miséricorde. Rien d’étonnant à ce que Jésus éprouve pour les hommes la pitié même de Dieu, une pitié telle qu’il a envoyée son Fils ; Marc, à la différence de Jean (Jn 10), ne développe pas le thème du bon pasteur, mais il est présent ici en filigrane : « Il fut saisi de pitié envers eux parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. » On entend résonner ici les plaintes de Jérémie sur les mauvais pasteurs qui ont mal dirigé le peuple d’Israël (c’était le sujet de notre première lecture). Et, depuis des siècles, on attendait le Messie qui serait un vrai bon berger. Cette fois, nous dit Marc, le Bon Pasteur, le Messie est parmi nous.

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Complément

« Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. Ils partirent donc dans la barque, pour un endroit désert, à l'écart. » On a donc le droit de se reposer ! Serait-ce tout simplement de l’humilité et de la confiance ? À rapprocher du Psaume 126/127 : « Dieu comble son bien-aimé qui dort...  En vain, tu retardes le moment de ton repos ... Tu devances le jour »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique B, 16e dimanche du temps ordinaire (22 juillet 2018)

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8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 21:31

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 14 juillet 2018).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celle-d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE AMOS     7, 12 - 15

 

            En ces jours-là,
12        Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos : 
            « Toi, le voyant, va-t’en d’ici,          
            fuis au pays de Juda ;
            c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie       
            en faisant ton métier de prophète.
13        Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser ;     
            car c’est un sanctuaire royal, 
            un temple du royaume. »
14        Amos répondit à Amazias :
            « Je n’étais pas prophète       
            ni fils de prophète ;   
            j’étais bouvier, et je soignais les sycomores.
15        Mais le SEIGNEUR m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau,                          
            et c’est lui qui m’a dit :         
            Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël. »
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LA « MAISON DE DIEU » SUR LA TERRE

« Béthel » signifie tout simplement « maison de Dieu », comme « Bethléem » signifie « maison du pain. » « Maison de Dieu », c’est tout un programme ; et Béthel mérite son nom depuis longtemps : Abraham, déjà, y avait campé et le Seigneur lui était apparu ; en souvenir, il avait dressé là un autel (Gn 12, 8) ; on évoque là également le souvenir de Jacob : celui-ci en fuite après avoir peu élégamment déshérité son frère, avait reçu là néanmoins la promesse de l’assistance de Dieu. À deux reprises, le Seigneur lui était apparu (Gn 28, 12-19 ; Gn 35, 7-15) ; la première fois est restée célèbre sous le nom « d’échelle de Jacob » : alors qu’il dormait, la tête sur une pierre, il avait fait un songe : une échelle reliait la terre au ciel et des anges montaient et descendaient ; il avait appelé ce lieu « porte du ciel » (cf Jn 1, 51). Et les deux fois, le Seigneur lui avait réitéré les promesses faites à Abraham : « Je suis le SEIGNEUR, Dieu d’Abraham ton père et Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu couches, je la donnerai à toi et à ta descendance. Ta descendance sera pareille à la poussière de la terre... En toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 28, 13)... « Le pays que j’ai donné à Abraham et à Isaac, je te le donne ; à ta descendance après toi, je donnerai ce pays. » (Gn 35, 12).

Quand, des siècles plus tard, en 931, Jéroboam Ier, le roi du tout nouveau petit royaume du Nord, (né de la sécession des tribus du Nord, après la mort de Salomon), chercha à doter son pays d’un sanctuaire capable de concurrencer Jérusalem, le lieu de Béthel, si mémorable, était tout indiqué.

Et nous voilà deux cents ans plus tard, vers 750 environ, sous le règne de Jéroboam II ; c’est à Béthel, précisément, qu’Amos eut à accomplir sa très éphémère carrière de prophète : quelques mois à peine, probablement ; mais il a eu le temps d’en dire assez pour que ses prédications donnent naissance à un livre, le premier en date des livres prophétiques. Un livre très court (dix pages à peine dans nos Bibles), mais admirable : un souffle extraordinaire traverse ces pages et même si le prêtre Amazias a pu faire taire le prophète, rien n’effacera plus jamais ses paroles, puisqu’elles font désormais l’objet de ce petit livre. Il faut prendre le risque de le lire d’une traite et de se laisser emporter par la véhémence de ces neuf chapitres de propos plutôt musclés, bien représentatifs des prophètes de l’Ancien Testament. Amos use d’un style extrêmement imagé et varié qui alterne oracles solennels, visions étranges, récits quasi-journalistiques, et même parfois énigmes.

 

UNE « MAISON DE DIEU » BIEN MAL FRÉQUENTÉE

Quant au fond, on trouve bien chez Amos les deux axes de la prédication habituelle des prophètes : paroles d’espoir, promesses de salut pour ceux qui traversent une période difficile ; avertissements et même menaces à l’adresse de ceux qui oublient trop facilement les exigences de l’Alliance. Et sur ce chapitre, Amos a de quoi faire : partout il ne voit qu’injustices, règne de l’argent, corruption, écrasement des pauvres. Il ne mâche pas ses mots ; c’est probablement à Béthel même qu’il a dit de la part du Seigneur : « Je déteste, je méprise vos pèlerinages, je ne puis sentir vos rassemblements, quand vous faites monter vers moi des holocaustes ; et dans vos offrandes, rien qui me plaise ; votre sacrifice de bêtes grasses, j’en détourne les yeux ; éloigne de moi le bruit de tes cantiques, le jeu de tes harpes, je ne veux pas l’entendre. » (5, 21-23) ; au passage, il faut noter que le prophète Isaïe tonitrue à la même époque et presque dans les mêmes termes, à Jérusalem, cette fois (Is 1, 11-14).

Pas plus que les autres prophètes, pourtant, (pas plus qu’Isaïe à Jérusalem), Amos ne veut supprimer le culte ou les pèlerinages, ni même le sanctuaire de Béthel ; il ne sait pas que, cent ans plus tard, à peu près, le roi Josias supprimera tous les sanctuaires ; seul, le Temple de Jérusalem sera agréé comme lieu de pèlerinage ; mais on n’en est pas encore là. Pour l’instant on a le droit de célébrer des sacrifices à Béthel, mais il faut d’abord se convertir. Voici la suite de cette fameuse prédication : « Que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable ! »  (5, 24).

Traduisez : « Ne vous croyez pas quittes avec Dieu sous couvert de vos belles cérémonies ; commencez par vivre dans l’obéissance à la volonté de Dieu, c’est-à-dire la pratique de la justice. » Il faut dire que la corruption sévissait au point qu’Amos peut dire : « Ils changent le droit en poison et traînent la justice à terre. » (5, 7) ; « Je connais la multitude de vos révoltes, et l’énormité de vos péchés, oppresseurs du juste, extorqueurs de rançons ; ils déboutent les pauvres au tribunal. » (5, 12). Il va même jusqu’à se permettre un jeu de mots sur le nom de Béthel : la « maison de Dieu » est devenue « maison d’iniquité » (5, 5). Comme tous les prophètes, il rappelle que de telles pratiques engendrent toujours des catastrophes. Osée, son cadet de quelques années aura cette phrase magnifique et terrible à la fois, à propos, justement, de Samarie, la capitale du royaume du Nord : « Qui sème le vent récolte la tempête. » (Os 8, 7).

On comprend que le clergé local ait préféré se passer des services d’Amos ! Pour se débarrasser de ce trop bavard, on l’accuse de propos séditieux ; il est dénoncé auprès du roi pour incitation à la révolte ; c’est notre texte de ce dimanche (7, 10). Cette disgrâce nous vaut le récit de la vocation du prophète : éleveur de bétail dans le royaume du Sud, à Teqoa, dans les environs de Bethléem, rien ne le prédisposait à cette carrière inconfortable. Mais le Seigneur l’a « saisi », comme il dit, comment résister ?

« Un lion a rugi, qui ne craindrait ? Le SEIGNEUR Dieu a parlé, qui ne prophétiserait ? » (3, 8).

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PSAUME  84   (85), 9-10, 11-12, 13-14

 

9          J'écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ?    
            Ce qu'il dit, c'est la paix pour son peuple et ses fidèles ;
10        Son salut est proche de ceux qui le craignent,         
            et la gloire habitera notre terre.

11        Amour et vérité se rencontrent,        
            justice et paix s'embrassent ;
12        la vérité germera de la terre   
            et du ciel se penchera la justice.

13        Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits,        
            et notre terre donnera son fruit.
14        La justice marchera devant lui,         
            et ses pas traceront le chemin.
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RETOUR D’EXIL : DU RÊVE À LA RÉALITÉ

Le psaume 84/85 a été écrit après le retour d’Exil du peuple d’Israël : ce retour tant attendu, tant espéré. Ce devait être un merveilleux recommencement : c’était le retour au pays, d’abord, mais aussi le début d’une nouvelle vie... Dieu effaçait le passé, on repartait à neuf... La réalité est moins rose. D’abord, on a beau prendre de « bonnes résolutions », rêver de repartir à zéro (nous en savons tous quelque chose !), on se retrouve toujours à peu près pareils... et c’est très décevant. Les manquements à la Loi, les infidélités à l’Alliance ont recommencé, inévitablement.

Ensuite, il faut dire que l’Exil à Babylone a duré, à peu de chose près, cinquante ans (de 587 à 538 av. J.-C.) ; ce sont des hommes et des femmes valides, d’âge mûr pour la plupart, qui ont été déportés et qui ont survécu à la marche forcée entre Jérusalem et Babylone... Cela veut dire que cinquante ans plus tard, au moment du retour, beaucoup d’entre eux sont morts ; ceux qui rentrent au pays sont, soit des jeunes partis en 587, mais dont la mémoire du pays est lointaine, évidemment, soit des jeunes nés pendant l’Exil. C’est donc une nouvelle génération, pour une bonne part, qui prend le chemin du retour. Cela ne veut pas dire qu’ils ne seraient ni très fervents, ni très croyants, ni très catéchisés... Leurs parents ont eu à cœur de leur transmettre la foi des ancêtres ; ils sont impatients de rentrer au pays tant aimé de leurs parents, ils sont impatients de reconstruire le Temple et de recommencer une nouvelle vie. Mais au pays, justement, ils sont, pour la plupart des inconnus, et, évidemment, ils ne reçoivent pas l’accueil dont ils avaient rêvé ; par exemple, la reconstruction du Temple se heurtera sur place à de farouches oppositions.

Dans le début de ce psaume 84/85, on ressent bien ce mélange de sentiments ; voici des versets qui ne font pas partie de la liturgie de ce dimanche, mais qui expliquent bien le contexte : le retour d’Exil est une chose acquise : « Tu as aimé, SEIGNEUR, cette terre, tu as fait revenir les déportés de Jacob ; tu as ôté le péché de ton peuple, tu as couvert toute sa faute ; tu as mis fin à toutes tes colères, tu es revenu de ta grande fureur. » (v. 2-4). Mais, pour autant, puisque les choses vont mal, on se demande si Dieu ne serait pas encore en colère : « Seras-tu toujours irrité contre nous, maintiendras-tu ta colère d’âge en âge ? » (v. 6). Alors on supplie : « Fais-nous voir, SEIGNEUR, ton amour, que nous soit donné ton salut. » (v.8).

Et on demande la grâce de la conversion définitive : « Fais-nous revenir, Dieu notre salut » (v.5) ; toute la première partie du psaume joue sur le verbe « revenir » : « revenir » au sens de rentrer au pays après l’exil, c’est chose faite ; « revenir » au sens de « revenir à Dieu », « se convertir »; c’est plus difficile encore ! Et on sait bien que la force, l’élan de la conversion est une grâce, un don de Dieu. Une conversion qui exige un engagement du croyant : « J’écoute... que dira le SEIGNEUR Dieu ? » « Écouter », en langage biblique, c’est précisément l’attitude résolue du croyant, tourné vers son Dieu, prêt à obéir aux commandements, parce qu’il y reconnaît le seul chemin de bonheur tracé pour lui par son Dieu. « Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles ».

 Mais le compositeur de ce psaume est réaliste ! Il ajoute « Qu’ils (les fidèles) ne reviennent jamais à leur folie ! » (9c).

 

LE CHANT DE LA CONFIANCE REVENUE 

La fin de ce psaume est un chant de confiance superbe, en quelque sorte « le chant de la confiance revenue », la certitude que le projet de Dieu, le projet de paix pour tous les peuples avance irrésistiblement vers son accomplissement. « La gloire (c’est-à-dire le rayonnement de la Présence de Dieu) habitera notre terre (10)... La justice marchera devant lui et ses pas traceront le chemin. (14)... Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent. » (11) : le psaume parle au présent ; pourtant, il n’est pas dupe, il n’est pas dans le rêve ! Il anticipe seulement ! Il entrevoit le Jour qui vient, celui où, après tant de combats et de douleurs inutiles, et de haines imbéciles, enfin, les hommes seront frères !

Pour les Chrétiens, ce Jour s’est levé depuis que Jésus-Christ s’est levé d’entre les morts, et, à leur tour, les Chrétiens ont chanté ce psaume, et pour eux, bien sûr, à la lumière du Christ, il a trouvé tout son sens. Le psaume disait : « Son salut est proche de ceux qui l’aiment » (10) et justement le nom de Jésus veut dire « Dieu-salut » ou « Dieu sauve » ; le psaume disait : « La vérité germera de la terre » ; Jésus lui-même a dit « Je suis la Vérité » et le mot « germe », ne l’oublions pas, était l’un des noms du Messie dans l’Ancien Testament ; le psaume disait « La gloire habitera notre terre », et saint Jean, dans son Évangile dit « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire qu’il tient du Père » (Jn 1, 14) ; le psaume disait : « J’écoute, que dira le SEIGNEUR Dieu ? » ; Jean appelle Jésus la Parole, le Verbe de Dieu ; le psaume disait : « Ce que Dieu dit, c’est la paix pour son peuple » ; lors de ses rencontres avec ses disciples, après sa Résurrection, la première phrase de Jésus pour eux sera « La paix soit avec vous » ; décidément, toute la Bible nous le dit, la paix, cette conquête apparemment impossible pour l’humanité, est pourtant notre avenir, à condition de ne pas oublier qu’elle est don de Dieu.

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ÉPHÉSIENS 1, 3 - 14

 

3          Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ !      
            Il nous a bénis et comblés     
            des  bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ.
4          Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde,      
            pour que nous soyons saints, immaculés
            devant lui, dans l'amour.        .
5          Il nous a prédestinés  
            à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ.           
            Ainsi l’a voulu sa bonté,
6          à la louange de gloire de sa grâce,
            la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé.
7          En lui, par son sang,
            nous avons la rédemption,    
            le pardon de nos fautes.        
            C’est la richesse de la grâce
8          que Dieu a fait déborder jusqu’à nous
            en toute sagesse et intelligence.
9          Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté,         
            selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ :      
10        pour mener les temps à leur plénitude,         
            récapituler toutes choses dans le Christ
            celles du ciel et celles de la terre.
11        En lui, nous sommes devenus
            le domaine particulier de Dieu,
            nous y avons été prédestinés 
            selon le projet de celui qui réalise tout ce qu'il a décidé :
12        il a voulu que nous vivions    
            à la louange de sa gloire,
            nous qui avons d'avance espéré dans le Christ.
13        En lui, vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité,    
            l’Évangile de votre salut,      
            et après y avoir cru,   
            vous avez reçu la marque de l'Esprit Saint.  
            Et l'Esprit promis par Dieu
14        est une première avance sur notre héritage,  
            en vue de la rédemption que nous obtiendrons,       
            à la louange de sa gloire.
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LE « DESSEIN BIENVEILLANT » DE DIEU

Voilà peut-être la plus belle prédication de l’histoire chrétienne ! On pourrait l’appeler « L’hymne de jubilation » de Paul : dans le texte grec, ces douze versets ne forment qu’une seule phrase d’action de grâce ; Paul y déploie la grande fresque du projet de Dieu, et il nous invite à nous associer à sa contemplation émerveillée. Ce projet que nous avons pris l’habitude (avec la traduction œcuménique TOB) d’appeler « le dessein bienveillant de Dieu » est de rassembler l’humanité au point de ne faire qu’un seul Homme en Jésus-Christ, à la tête de la création tout entière : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. »

Première bonne nouvelle, Dieu a un projet sur nous et sur l’ensemble de la création ; l’histoire humaine a donc un sens, ce qui veut dire à la fois direction et signification ; pour les croyants, les années ne se succèdent pas toutes pareilles, notre histoire avance vers son accomplissement : nous allons, comme dit Paul, vers « la plénitude des temps ». Ce projet, nous ne l’aurions pas deviné tout seuls, c’est un « mystère » pour nous, car il nous dépasse infiniment, alors Dieu nous le révèle.

« Dieu nous a remplis de sagesse et d’intelligence en nous dévoilant le mystère de sa volonté ».

Dans le vocabulaire de Paul, un mystère n’est pas un secret que Dieu garderait jalousement pour lui ; au contraire, c’est son intimité à laquelle il nous convie. Il nous fait découvrir une autre sagesse, une autre intelligence que les nôtres, sous-entendu sa sagesse à lui, son intelligence à lui.

Deuxième bonne nouvelle, cette volonté de Dieu n’est qu’amour : les mots « bénédiction, amour, grâce, bienveillance » parsèment le texte ; c’est également le sens de l’expression « à la louange de sa gloire » qui revient trois fois comme un refrain (v. 6, 12, 14).

En réalité, la première fois, il faudrait traduire : « à la louange de la gloire de sa grâce » : c’est-à-dire que Dieu sera reconnu comme le Dieu de la grâce, ce qui veut dire « le Dieu dont l’amour est gratuit ». Déjà, le prophète Jérémie savait dire que « les projets de Dieu ne sont que des projets de paix et non de malheur » (Jr 29, 11) ; depuis la venue du Christ, nous savons mieux encore ce qu’est la volonté de Dieu : le Dieu qui n’est qu’amour (la communion trinitaire structure le texte) veut nous faire entrer dans son intimité : ce qui veut dire que nous pouvons toujours, en toutes circonstances, souhaiter « que sa volonté soit faite » : parce qu’elle n’est que bonne !

 

PAR LUI, AVEC LUI, ET EN LUI

Troisième insistance de ce texte : ce projet de Dieu s’accomplit à travers le Christ ; celui-ci est cité  de nombreuses fois dans ces quelques lignes : tout advient « par lui, avec lui, et en lui », comme dit la liturgie : « Dieu nous prédestinés à être pour lui des fils adoptifs, par Jésus le Christ. » (v. 5). Au vrai sens du terme, le centre du monde, le centre de l’histoire humaine (l’alpha et l’oméga), c’est Jésus-Christ. Lui, le « Fils bien-aimé » en qui nous sommes « comblés de la grâce du Père » (v. 6), lui en qui nous serons tous réunis quand « viendra la plénitude des temps » (v. 10), lui en qui nous avons écouté cette Bonne Nouvelle (v. 13), lui par qui nous avons reçu « la marque de l’Esprit Saint » (v. 13). De toute évidence, ce rôle prééminent du Christ était prévu de toute éternité, dès « avant la fondation du monde » (v. 4). Le « mystère de sa volonté, ce que Dieu prévoyait dans le Christ pour le moment où les temps seraient accomplis... c’était de saisir l’univers entier... » Paul parle pourtant bien de « rédemption » au sens de libération (v. 7), mais le projet de la rédemption est second ; Dieu a de toute éternité projeté de faire de nous ses fils, et c’est seulement parce que nous manquons sans cesse le but que nous avons besoin d’être sauvés

Providentiellement, la liturgie de ce dimanche nous fait chanter le psaume 84/85 qui est une variation sur le même thème ; et c’est peut-être bien le meilleur écho à la méditation de Paul : « J’écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple. Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin. »

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Complément

Une toute petite note pour ceux qui s'intéressent à l'histoire des textes : Paul connaissait bien la communauté d'Éphèse où il a séjourné deux ou trois ans : or, curieusement, on ne trouve dans la Lettre aux Éphésiens aucune allusion à des relations personnelles de l'auteur avec les destinataires ; par ailleurs, les thèmes abordés et le style employé témoignent d'une nette évolution par rapport aux écrits antérieurs de l'apôtre ; tout cela pousse certains spécialistes à penser que la lettre aux Éphésiens serait l'œuvre non de Paul mais d'un de ses très proches disciples qui aurait rassemblé la pensée de son maître peu après sa mort, donc dans les années 70.

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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MARC    6, 7 - 13

 

            En ce temps-là,
7          Jésus appela les Douze ;        
            alors il commença à les envoyer en mission deux par deux.
            Il leur donnait autorité sur les esprits impurs,
8          et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route,
            mais seulement un bâton ;     
            pas de pain, pas de sac,         
            pas de pièces de monnaie dans leur ceinture.
9          « Mettez des sandales,          
            ne prenez pas de tunique de rechange. »
10        Il leur disait encore :  
            « Quand vous avez trouvé l'hospitalité dans une maison,   
            restez-y jusqu'à votre départ.
11        Si, dans une localité, 
            on refuse de vous accueillir et de vous écouter,       
            partez et secouez la poussière de vos pieds :
            ce sera pour eux un témoignage. »
12        Ils partirent, et proclamèrent qu'il fallait se convertir.
13        Ils expulsaient beaucoup de démons,           
            faisaient des onctions d'huile à de nombreux malades,       
            et les guérissaient.
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CONSIGNES POUR MISSIONNAIRES

Voici les Douze au tout début de leur activité missionnaire : Jésus avait certainement formé depuis quelque temps déjà le projet de les envoyer ; puisque, dès le chapitre 3, Marc nous raconte qu’il les avait choisis dans ce but : « Il monte dans la montagne et il appelle ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons. Il établit les Douze : Pierre - c’est le surnom qu’il a donné à Simon -, Jacques, le fils de Zébédée et Jean, le frère de Jacques, - et il leur donna le nom de Boanerguès, c’est-à-dire fils du tonnerre -, André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils d’Alphée, Thaddée et Simon le zélote, et Judas Iscarioth, celui-là même qui le livra. » (3, 16-19). Depuis, ils l’ont suivi partout et ont reçu son enseignement. Ils ont été témoins de sa puissance : les premiers chapitres de Marc rapportent de nombreux miracles de toute sorte.

Avec le texte d’aujourd’hui, voici que Jésus les envoie à leur tour, munis eux aussi du pouvoir de chasser les démons : « Jésus appelle les Douze, et pour la première fois il les envoie... Il leur donnait pouvoir sur les esprits mauvais. »

Il leur donne également trois consignes : aller deux par deux, n’emporter que le strict nécessaire, ne pas se laisser impressionner par la persécution inévitable, avec cette expression « secouer la poussière de ses pieds »..

Premièrement, aller deux par deux : cela semble une pratique habituelle de Jésus ; Marc en donne quelques exemples par la suite : par exemple, pour préparer l’entrée à Jérusalem : « Lorsqu’ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples et leur dit : Allez au village qui est devant vous... vous trouverez un ânon attaché... » (11, 1-2) ; même chose pour préparer la Pâque : « Il envoie deux de ses disciples et leur dit : Allez à la ville ; un homme viendra à votre rencontre, portant une cruche d’eau... » (14, 13). Il y a là peut-être la trace de la coutume juive selon laquelle un témoignage n’était recevable que quand il était porté par deux personnes au moins : « C’est sur les déclarations de deux ou de trois témoins qu’on pourra instruire une affaire. » (Dt 19, 15).  L’évangélisation, elle aussi, est affaire de témoignage, elle n’est pas une affaire individuelle. Plus tard, les Apôtres garderont cette habitude : ainsi Pierre et Jean vont ensemble prêcher au Temple de Jérusalem (Ac, 1) ; Paul et Barnabé font équipe longtemps en Syrie et en Asie Mineure (Ac 13-15) ; après leur séparation, Paul continue la mission avec Silas (Ac 16-17).

Deuxièmement, n’emporter que le strict nécessaire : « Il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route, si ce n’est un bâton ; de n’avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture. Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. » Leurs seuls instruments doivent être ceux de la marche pour la mission. En entendant cette consigne, les apôtres ont probablement évoqué la marche de leurs pères dans la foi, la nuit de la fameuse Pâque de la sortie d’Égypte, « la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. » (Ex 12, 11). La longue marche de l’Église, peuple de Dieu, commence ici. Elle exige mobilité, disponibilité, liberté d’esprit.

Troisième consigne donnée par Jésus, ne pas se laisser impressionner par la persécution inévitable. D’après le récit de Marc, les apôtres viennent tout juste d’assister à l’échec de Jésus à Nazareth (6, 1-6) ; et, depuis le début de l’évangile, ils ont vu naître et grandir l’opposition des scribes et des pharisiens. Il semble bien que la persécution doive être de tout temps le lot des prédicateurs et des prophètes : la première lecture nous en donne un cuisant exemple avec Amos, renvoyé dans ses foyers au bout de quelques mois seulement de prédication (« va-t-en d’ici avec tes visions » ; Am 7). On peut se demander pourquoi la persécution est inévitable, pourquoi « nul n’est prophète en son pays » comme l’a déclaré Jésus à Nazareth (6, 4) ; si l’évangélisation consiste à annoncer partout l’amour et le pardon de Dieu, pourquoi rencontre-t-elle tant d’oppositions ? Parce que nous avons la « nuque raide », comme disait Moïse ; parce que nous avons d’autres idées sur Dieu ; enfin, parce que nous avons le cœur endurci : or, si Dieu est amour et pardon, il va nous demander d’être à son image et donc nous remettre en question. C’est pour toutes ces mauvaises raisons que Jésus a été crucifié, et tant d’autres martyrisés à leur tour.

 

SECOUER LA POUSSIÈRE DE SES PIEDS

Face à ces refus, Jésus ne préconise pas la violence, ni le mépris évidemment ; mais la persévérance et la sérénité : « Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. » Soit dit en passant, c’est exactement ce qu’ont fait Paul et Barnabé à Antioche de Pisidie quand les choses se sont gâtées. (Ac 13, 51). Comment comprendre ce geste qui doit être pour les gens un « témoignage » ? C’est d’abord une manière de dire : nous respectons votre liberté, nous ne sommes pas venus chez vous pour prendre quoi que ce soit contre votre gré, fût-ce de la poussière. Saint Luc a cette formule : « Même la poussière de votre ville qui s’est collée à nos pieds, nous l’essuyons pour vous la rendre. Pourtant, sachez-le, le Règne de Dieu est arrivé. » (Lc 10, 11).

C’est aussi une invitation à ne pas se laisser arrêter par les échecs, repartir le pied léger, quoi qu’il arrive.

Mais les apôtres, heureusement, ne rencontreront pas que de l’hostilité et des cœurs endurcis. La croissance irrésistible des communautés chrétiennes dès après la Résurrection du Christ en est la preuve. Et les Actes des Apôtres rapportent les noms de nombreuses personnes qui ont ouvert leurs maisons aux prédicateurs de l’évangile. Dans ce cas-là, la recommandation de Jésus est simple : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. » Accepter l’hospitalité d’autrui, c’est l’honorer.

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique B, 15e dimanche du temps ordinaire (15 juillet 2018)

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2 juillet 2018 1 02 /07 /juillet /2018 08:17

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 7 juillet 2018).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celle-d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ÉZÉKIEL  2, 2 - 5

 

            En ces jours-là,
2          l’esprit vint en moi,   
            et me fit tenir debout.           
            J’écoutai celui qui me parlait.
3          Il me dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël,
            vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi.          
            Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères
            se sont soulevés contre moi.
4          Les fils ont le visage dur,      
            et le cœur obstiné ;    
            c’est à eux que je t’envoie. Tu leur diras :    
            « Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu... »
5          Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas        
            - c’est une engeance de rebelles ! -               
            ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »
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DIEU EST AUSSI À BABYLONE

Rassurez-vous, les paroles que Dieu a adressées à Ézékiel ne se sont pas limitées à ce que nous venons d'entendre !

Ce texte n'est qu'une toute petite partie du long récit de la vocation d'Ézékiel, dans les premiers chapitres de son livre. À ne s'en tenir qu'aux quelques versets proposés pour ce dimanche, l'appel de Dieu semblerait un peu court et sévère ; aurait-il suffi à galvaniser Ézékiel pour des années ? Mais c'est oublier dans quel climat ont résonné ces paroles. Quand Dieu envoie en mission, il donne toujours la force nécessaire : pour Ézékiel, ce fut une vision grandiose, inoubliable dont le souvenir désormais soutiendrait tous ses efforts.

Nous sommes à Babylone, au tout début de l'Exil, avec la première vague des déportés chassés de Jérusalem par Nabuchodonosor en 597. Très loin, là-bas, sur la colline de Sion, le Temple est encore debout et Dieu y réside toujours puisqu'il l'a promis. Mais alors que reste-t-il aux exilés ? Désormais loin de Dieu, il ne leur reste que leurs yeux pour pleurer apparemment, en attendant des jours meilleurs.

Mais voilà que Dieu s'adresse à Ézékiel, ici, bien loin de la mère-patrie et du Temple : c'est la première très Bonne Nouvelle de ce livre : Dieu n'est pas assigné à résidence à Jérusalem, il est également présent à Babylone, au bord du fleuve Kebar, là où est déporté son peuple. Ézékiel voit les cieux s'ouvrir et le voilà plongé dans un univers de beauté indicible : plus tard il tentera bien de raconter sa vision, mais pour tous ceux qui n'y ont pas assisté, c'est proprement inimaginable : dans un univers de flammes, de feu, de pierres précieuses, de torches vivantes à visages d'hommes, d'animaux ailés, se déplaçait en tournoyant le chariot qui portait le trône de Dieu. Indicible, inracontable, peut-être, mais le feu qui émane du trône de Dieu vient d'embraser l'âme d'Ézékiel, il est armé pour sa mission.

Laquelle promet d’être difficile : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi. » On a peut-être un peu trop l’habitude de croire que le peuple en exil à Babylone ne faisait qu’un autour de ses prêtres et de ses prophètes, dans la fidélité à la Loi et l’espérance du retour. En fait, si l’on en croit ce texte, les choses étaient moins simples. Il est probable que, là-bas, au contact de l’idolâtrie ambiante, les tentations d’abandonner la foi juive ont été très fortes. D’autant plus qu’en pareil cas, si l’on veut survivre loin du pays, il faut bien s’adapter. Certains pensent probablement que l’intransigeance n’est pas le bon plan.

Par ailleurs, à l'époque, une question se posait : si nous sommes le peuple vaincu, n'est-ce pas une preuve que notre Dieu est moins puissant que les autres ? Et, du coup, certains étaient tentés de changer de religion.       

 

DES REBELLES QUI ONT BIEN BESOIN DE DIEU

On devine à travers ces lignes que le prophète aura fort à faire, le mot « rebelles » revient plusieurs fois sous sa plume : « C’est une engeance de rebelles... Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi, et les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné. » On pourrait diagnostiquer une « rébellion congénitale » en quelque sorte ! Thème connu bien avant Ézékiel : déjà Moïse s’en plaignait : ce n’est pas un hasard s’il avait transformé le nom de l’étape de Rephidim dans le Sinaï en Massa et Meriba (épreuve et querelle) en souvenir des récriminations continuelles du peuple pendant l’Exode.

Des siècles plus tard, à l’orée de l’Exil, justement, méditant cette rude expérience de Moïse, le livre du Deutéronome lui faisait dire : « Souviens-toi, n’oublie pas que tu as irrité le SEIGNEUR ton Dieu dans le désert. Depuis le jour où tu es sorti d’Égypte, jusqu’à votre arrivée ici, vous avez été en révolte contre le SEIGNEUR... Et le SEIGNEUR m’a dit : Je vois ce peuple : eh bien ! C’est un peuple à la nuque raide ! » (Dt 9, 7. 13).

Dans le texte d’aujourd’hui, le reproche est particulièrement cinglant : car le peuple est comparé à Pharaon lui-même, le modèle de l’endurcissement du cœur ! (Au verset 4, quand le prophète dit : « les fils ont le cœur obstiné », il emploie exactement le même mot hébreu que celui qui avait caractérisé le roi d’Égypte dans le livre de l’Exode : « le cœur du Pharaon resta endurci » (Ex 7, 13). C’est donc la suprême injure. Voilà Ézékiel bien prévenu ; et ce peuple est si rebelle que le prophète, à n’en pas douter, aura fort à faire pour se faire entendre et justifier son autorité ; c’est pourquoi il précise bien qu’il ne parle pas de lui-même : « L’Esprit vint en moi, il me fit tenir debout », et cette parole n’est pas la sienne ; c’est Dieu lui-même qui parle : « Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu... »

Au verset suivant, Dieu invitera son porte-parole à garder courage : « Écoute, fils d’homme, n’aie pas peur d’eux et n’aie pas peur de leurs paroles, tu es au milieu de contradicteurs et d’épines, tu es assis sur des scorpions ; n’aie pas peur de leurs paroles et ne t’effraie pas de leurs visages, car c’est une engeance de rebelles. Tu leur diras mes paroles, qu’ils t’écoutent ou qu’ils ne t’écoutent pas : ce sont des rebelles. » (Ez 2, 6).

Mais, précisément, à travers la gravité même des reproches adressés par Dieu à son peuple, on peut lire la deuxième très Bonne Nouvelle du texte de ce dimanche : ce peuple est dur et indocile, soit ; eh bien, même cela n’arrête pas la fidélité de Dieu à son Alliance : quelle que soit leur attitude, d'écoute ou de refus « ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. » Traduisez, ils sauront que Dieu continue de leur parler, de les appeler.

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PSAUME  122 (123), 1-2. 3-4


1          Vers toi j'ai les yeux levés,
            vers toi qui es au ciel.
2          Comme les yeux de l'esclave
            vers la main de son maître.

            Comme les yeux de la servante        
            vers la main de sa maîtresse, 
            nos yeux, levés vers le SEIGNEUR notre Dieu,     
            attendent sa pitié.

3          Pitié pour nous, SEIGNEUR, pitié pour nous :       
            notre âme est rassasiée de mépris.
4          C'en est trop, nous sommes rassasiés
            du rire des satisfaits,
            du mépris des orgueilleux.
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LA PRIÈRE DES HUMILIÉS

La première ligne de ce psaume dans la Bible précise qu’il s’agit d’un « cantique des montées » : c’est-à-dire l’un des quinze psaumes (de 119/120 à 133/134) composés tout exprès pour être chantés pendant la marche des trois pèlerinages annuels à Jérusalem. Mais parmi les quinze, celui-ci a une tonalité très particulière que seule l’histoire peut éclairer.

Si l’on en croit les livres d’Esdras et de Néhémie, après l’Exil à Babylone, les rescapés revenaient au pays pleins d’ardeur : à peine arrivés, avant même d’avoir pu reconstruire le Temple, ils rétablirent le culte dans des installations de fortune. Ils avaient pour eux la protection de Cyrus, le nouveau maître du monde, celui qui avait conquis Babylone et renvoyé les exilés chez eux, en 538, avec l’ordre de reconstruire leurs villes et leurs temples. Mais la peur les tenaillait quand même (Esd 3, 3), car en leur absence, d’autres s’étaient installés à Jérusalem ; d’autres qui ne voyaient pas d’un très bon œil le retour des exilés. Ces derniers commencèrent quand même à poser les fondations du nouveau Temple ; Zorobabel avait pris la direction des opérations. Mais ils avaient à peine commencé que les oppositions s’affirmèrent : le conflit s’envenima tellement qu’il parvint aux oreilles de l’administration perse et les travaux furent arrêtés. On a plusieurs versions des faits, différentes évidemment, selon la source : pour les uns, Zorobabel, le meneur des nouveaux venus, les exilés de retour, fut trop exigeant sur les garanties de fidélité des gens du pays qui voulaient participer également aux travaux. Pour les autres, ce sont des gens du pays, qui dénoncèrent les travaux de Zorobabel à l’administration perse comme un acte d’insoumission et de révolte larvée. Les travaux ne reprirent qu’en 520 à l’appel des prophètes Aggée et Zacharie.

C’est dans ce climat de soupçon qu’est née la prière de notre psaume : ceux qui sont revenus avec Zorobabel, pleins d’espoir, n’en finissent pas de déchanter. On lit ici leur humiliation. Ceux que l’on trouve en place, font figure de gens installés, en regard de la pauvreté des rapatriés : qui d’autre que Dieu pourrait faire valoir leurs droits ? « Pitié pour nous, SEIGNEUR, pitié pour nous : notre âme est rassasiée de mépris. C’en est trop, nous sommes rassasiés du mépris des orgueilleux. » Une fois de plus, apparemment, ce n’est pas la foi qui paie !

Bien longtemps après, les pèlerins qui « montent » au Temple de Jérusalem en pèlerinage, pour les trois grandes fêtes annuelles, se remémorent cette période difficile ; et on évoque les souffrances de ceux à qui on doit sa reconstruction, envers et contre tout. On n’a pas de mal à épouser leurs sentiments, car l’humiliation n’est pas terminée et l’humilité reste de mise. Le Temple est reconstruit, certes, mais Israël n’a pas recouvré sa totale indépendance (sauf la courte période hasmonéenne, 142-63 av. J.-C., plus tardive) ; et jusqu’à la venue du Messie, on suppliera inlassablement « Pitié pour nous, SEIGNEUR, pitié pour nous. »

L’appel au secours  « Vers toi j’ai les yeux levés, vers toi qui es au ciel » reprend la formule du premier psaume des montées, l’image des yeux levés « Je lève les yeux vers les montagnes, d’où le secours me viendra-t-il ? » (Ps 119/120, 1). C’est l’une des expressions habituelles de l’adoration et de la confiance ; elle revient quatre fois dans le psaume d’aujourd’hui.

En voici quelques autres toutes extraites d’autres psaumes : « J’ai toujours les yeux sur le SEIGNEUR, car il dégage mes pieds du filet. » (Ps 24/25, 15) ; « Ta fidélité est restée devant mes yeux. » (Ps 25/26, 3) ; « Mes yeux se sont usés à force d’attendre mon Dieu » (Ps 68/69, 4) ; « Mes yeux se sont usés à chercher tes ordres, et je dis : Quand me consoleras-tu ? » (Ps 118/119, 82) ; « Mes yeux se sont usés à attendre ton salut et à chercher les ordres de ta justice. » (Ps 118/119, 123) ; « Les yeux sur toi, Dieu SEIGNEUR, je me suis réfugié près de toi ; ne me laisse pas rendre l’âme ; garde-moi du filet qu’on m’a tendu et des prières des malfaisants. » (Ps 140/141, 8) ; « Les yeux sur toi, ils espèrent tous, et tu leur donnes la nourriture en temps voulu ; tu ouvres ta main  et tu rassasies tous les vivants que tu aimes. » (Ps 144/145, 15-16). Tous ces versets nous montrent à quel point le thème du regard est présent dans la Bible.

 

LA MAIN DU SEIGNEUR

Autre image de confiance, la référence à la main de Dieu : c’est elle qui a depuis toujours protégé, guidé, comblé Israël. C’est ainsi qu’on évoque le passage de la Mer : « Israël vit avec quelle main puissante le SEIGNEUR a agi contre l’Égypte » (Ex 14, 31). « Le SEIGNEUR votre Dieu a asséché devant vous les eaux du Jourdain jusqu’à ce que vous ayez passé, comme il l’avait fait pour la Mer des Joncs qu’il assécha devant nous jusqu’à ce que nous ayons passé, afin que tous les peuples de la terre sachent comme est forte la main du Seigneur. » (Jos 4, 23-24). Cette main du Seigneur tient toute la terre : « Dans la main du Seigneur est le gouvernement de la terre » (Si 10, 4), mais elle tient plus encore son peuple élu : « Car moi, le SEIGNEUR, je suis ton Dieu qui tient ta main droite, qui te dit : ne crains pas, c’est moi qui t’aide » (Is 41, 13) ; « C’est moi le SEIGNEUR, je t’ai appelé selon la justice, je t’ai tenu par la main, et je t’ai mis en réserve... » (Is 42, 6). « Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, comme l’argile dans la main du potier. » (Jr 18, 6). En fait, en hébreu, on le voit bien ici, le mot main signifie également « pouvoir », « puissance ».

Pour terminer je laisse la parole encore une fois à Isaïe : « Non, la main du SEIGNEUR n’est pas trop courte pour sauver, son oreille n’est pas trop dure pour entendre. Mais ce sont vos perversités qui ont mis une séparation entre vous et votre Dieu ; ce sont vos fautes qui ont tenu son visage caché loin de vous, trop loin pour qu’il vous entende. Vos paumes, en effet, sont tachées par le sang et vos doigts par la perversité, vos lèvres profèrent la tromperie, votre langue roucoule la perfidie. » (Is 59, 1). On comprend bien ici pourquoi le psaume implore trois fois « Pitié », mais sans oublier que « la main du SEIGNEUR n’est pas trop courte pour sauver ».

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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE L’APÔTRE PAUL AUX CORINTHIENS   12, 7 - 10

 

            Frères,
7          les révélations que j'ai reçues
            sont tellement extraordinaires           
            que, pour m'empêcher de me surestimer,      
            j'ai reçu dans ma chair une écharde, 
            un envoyé de Satan qui est là pour me gifler,          
            pour empêcher que je me surestime.
8          Par trois fois,             
            j'ai prié le Seigneur de l'écarter de moi.
9          Mais il m'a déclaré :   
            « Ma grâce te suffit,  
            car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. »
            C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses,                  
            afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure.
10        C'est pourquoi j'accepte de grand cœur pour le Christ        
            les faiblesses, les insultes, les contraintes,    
            les persécutions et les situations angoissantes.         
            Car, lorsque je suis faible,     
            c'est alors que je suis fort.
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LES SOUFFRANCES DE L’APÔTRE PAUL

Comme Ézékiel (voir première lecture, Ez 2), Paul a bénéficié de visions et révélations exceptionnelles ; l’un comme l’autre y ont puisé la force de poursuivre leur mission. Pas question de devenir orgueilleux pour autant, leurs auditeurs se chargeant de les ramener sans cesse à l’humilité. « Nul n’est prophète en son pays » est un dicton connu et vécu en Israël bien avant la venue de Jésus-Christ. Mais Paul avait apparemment une autre raison, meilleure encore, de rester humble : si l’on en croit ce texte, il portait en lui-même un rappel permanent de sa petitesse : « Pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. »

Nous ne saurons jamais ce qu’était concrètement « l’écharde dans la chair » qui faisait tant souffrir Paul : toutes les hypothèses ont été proposées, mais lui ne le précise jamais. On peut néanmoins en énumérer quelques-unes : lui-même, pour commencer, reconnaît avoir été malade : « Vous le savez bien, ce fut à l’occasion d’une maladie que je vous ai, pour la première fois, annoncé la bonne nouvelle ; et, si éprouvant pour vous que fût mon corps, vous n’avez montré ni dédain, ni dégoût. Au contraire, vous m’avez accueilli comme un ange de Dieu, comme le Christ Jésus. » (Ga 4, 13-15).

Une autre source de souffrance fut incontestablement pour lui le rejet de la bonne nouvelle par ses frères de race ; il en parle longuement dans la lettre aux Romains (chapitres 9 à 11) : « En Christ je dis la vérité, je ne mens pas, par l’Esprit Saint ma conscience m’en rend témoignage : j’ai au cœur une grande tristesse et une douleur incessante. Oui, je souhaiterais être anathème, être moi-même séparé du Christ pour mes frères, ceux de ma race selon la chair... » (Rm 9, 1-3).

On peut aussi imaginer une autre source de souffrance secrète, intarissable : la culpabilité, le remords d’avoir été, dans un premier temps, le persécuteur des Chrétiens de la première heure. Impossible, peut-être pour lui, de faire table rase de ce passé honteux. Cette persécution qu’il a pratiquée (cf les Actes des Apôtres : Ac 7, 58 ; 9, 1 ; 22, 4), il l’endure lui-même à son tour et tout ce qu’il subit désormais, dans la fierté de souffrir pour le Christ, réveille en même temps sa honte. Une seule issue, reconnaître humblement sa faiblesse et se mettre tel quel à la disposition du Christ pour l’œuvre d’évangélisation. À ce prix, il expérimente combien la force du Christ est puissante dans ceux qui s’y abandonnent : « J’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. »

D’autre part, il est mieux placé que quiconque pour savoir que la persécution est à peu près inévitable pour les Apôtres ; là encore, il peut parler d’expérience : dès sa conversion et ses premières prédications à Damas, il a été attaqué physiquement et il a fallu pour le sauver lui faire quitter la ville en le descendant dans une corbeille le long de la muraille (Ac 9, 20-25). Un peu plus loin, dans cette même lettre aux Corinthiens que nous lisons aujourd’hui, il récapitule tout ce qu’il a dû subir à cause de sa prédication : « Des Juifs, j’ai reçu cinq fois les trente-neuf coups, trois fois j’ai été flagellé, une fois lapidé, trois fois j’ai fait naufrage, j’ai passé un jour et une nuit sur l’abîme. Voyages à pied, souvent, dangers des fleuves, dangers des brigands, dangers de mes frères de race, dangers des païens, dangers dans la ville, dangers dans le désert, dangers sur mer, dangers des faux frères ! Fatigues et peines, veilles souvent ; faim et soif, jeûne souvent ; froid et dénuement ; sans compter tout le reste, ma préoccupation quotidienne, le souci de toutes les Églises. » (2 Co 11, 24-28). Vu le ton, on a l’impression qu’il s’en vanterait presque : et c’est vrai puisque les épreuves sont le lieu même où se manifeste aux yeux de tous la vraie source de sa force, non pas en lui-même, mais dans le soutien permanent de la présence du Christ en lui.

ACCUEILLIR LA FORCE DE DIEU

Ce contraste que l’on pourrait appeler « faiblesse et force » des Apôtres ne peut que tourner à la gloire de Dieu, puisque dans l’extrême faiblesse des apôtres et grâce à elle, la force de résurrection du Christ est manifestée. Ainsi, paradoxalement, Paul se glorifie de sa faiblesse : « S’il faut s’enorgueillir, je mettrai mon orgueil dans ma faiblesse. » (2 Co 11, 30). Il y revient souvent dans cette lettre (cf 2 Co 4, 8-11, lecture du 9e dimanche), dès le début par exemple : « Le péril que nous avons couru en Asie (à Éphèse) nous a accablés à l’extrême, au-delà de nos forces, au point que nous désespérions même de la vie. Oui, nous avions reçu en nous-mêmes notre arrêt de mort, ainsi notre confiance ne pouvait plus se fonder sur nous-mêmes, mais sur Dieu qui ressuscite les morts. » (2 Co 1, 8 - 9). Puis au chapitre 6 : « Nous nous recommandons en tout comme ministres de Dieu par une grande persévérance dans les détresses, les contraintes, les angoisses, les coups, les prisons, les émeutes, les fatigues, les veilles, les jeûnes... Dans la gloire et le mépris, dans la mauvaise et la bonne réputation ; tenus pour imposteurs et pourtant véridiques, inconnus et pourtant bien connus, moribonds et pourtant nous vivons, châtiés sans être exécutés, attristés mais toujours joyeux, pauvres, et faisant bien des riches, n’ayant rien, nous qui pourtant possédons tout ! » (2 Co 6, 4... 10). Notre texte de ce dimanche est dans cette ligne : extraordinaire bonne nouvelle, une fois encore ! Notre faiblesse n’est pas une entrave à l’évangélisation ! C’est peut-être même le contraire…

Lorsque Paul a prié, par trois fois, comme son maître à Gethsémani, pour que cette souffrance s’éloigne de lui : « Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi », le Seigneur lui a simplement répondu : « Ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. »  

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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MARC    6, 1 - 6

 

            En ce temps-là,
1          Jésus se rendit dans son lieu d’origine,        
            et ses disciples le suivirent.
2          Le jour du sabbat,     
            il se mit à enseigner dans la synagogue.       
            De nombreux auditeurs, frappés d'étonnement, disaient :   
            « D’où cela lui vient-il ?        
            Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée,           
            et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ?
3          N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie,  
            et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ?        
            Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? »
            Et ils étaient profondément choqués à son sujet.
4          Jésus leur disait :       
            « Un prophète n’est méprisé que dans son pays,     
            sa parenté et sa maison. »
5          Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ;
            il guérit seulement quelques malades
            en leur imposant les mains.
6          Et il s'étonna de leur manque de foi.
            Alors Jésus parcourait les villages d'alentour en enseignant.
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JÉSUS À LA SYNAGOGUE DE NAZARETH

D’après l’évangile de Marc, Jésus a quitté son village de Nazareth au début de sa vie publique pour rejoindre Jean-Baptiste au bord du Jourdain et se faire baptiser (1, 9). Puis il a commencé sa prédication en parcourant une partie de la Galilée ; il est même allé de l’autre côté de la mer  de Tibériade, dans les villes de la Décapole (chap. 5). Quand il s’installe quelque part, Capharnaüm semble être sa ville d’élection ; il n’est plus question de Nazareth pendant les cinq premiers chapitres de Marc ; quant à son entourage, il s’est choisi des amis, qu’il appelle ses disciples (3, 13). Comment réagit sa famille ? Marc note seulement au chapitre 3 l’opposition de quelques-uns qui le croyaient devenu fou.

Les autres sont visiblement partagés : nombreux sont ceux qui ont été séduits par Jésus, par son enseignement et ses miracles ; les Pharisiens et leurs scribes, quant à eux, ont déjà à plusieurs reprises manifesté leur hostilité ; certains ont même déjà décidé de se débarrasser de lui (3, 6) : son crime, guérir des malades, n’importe quand, et même le jour du sabbat !

Et voici, avec l’évangile de ce dimanche, que Jésus revient pour la première fois dans son village de Nazareth. Sa réputation l’a-t-elle précédé ? Probablement, puisqu’on s’inquiète déjà de lui à Jérusalem (3, 22), et que, dès le début du texte, Marc nous rapporte la question de ses auditeurs : « D’où cela lui vient-il ... ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? »

Voici donc l’enfant du  pays de retour à la synagogue de Nazareth un matin de shabbat. Marc note seulement la présence de ses disciples : « Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. » Puis il ne parle plus d’eux ; eux vont assister à la scène, sans intervenir, apparemment, mais cela leur servira de leçon pour l’avenir qui les attend eux-mêmes. Car si, jusqu’à présent, Jésus avait déjà rencontré des oppositions, ici, c’est bien pire, il essuie un véritable échec : au point de ne même plus pouvoir accomplir un seul miracle (v. 5) ; son propre village le refuse : toute l’attention du récit se concentre en effet sur la réaction des anciens voisins de Jésus ; dubitatifs au début, ils deviennent peu à peu franchement hostiles.

Tout commence par des questions bien humaines : « Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée ?... N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Un mot, d'abord, sur ses frères : ce sont en réalité des parents, peut-être ses cousins : deux (Jacques le Petit et José) seront plus tard présentés par Marc comme fils d'une autre Marie, (cf 15, 40 - 47). D’ailleurs, si Jésus avait eu des frères de sang, il n’aurait pas confié sa mère à Jean.

Je reviens à la phrase : « Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée ?... N'est-il pas le charpentier, le fils de Marie... ? » Traduisez : son enseignement et ce qu’on sait de son action dans la région en font un personnage hors du commun ; or, nous savons bien, nous d’où il sort ; il est comme nous, rien de plus ; d’où lui viendraient ses pouvoirs ? Si c’était un prophète, on l’aurait su, déjà ; il y a incompatibilité entre la grandeur de Dieu et la modestie de ses origines humaines.

C’est bien le drame d’une partie des contemporains du Christ, semble dire Marc : enfermés dans leurs idées sur Dieu, ils n’ont pu le reconnaître quand il est venu.

Marc revient très souvent sur cette question que pose la personnalité de Jésus : à Capharnaüm, déjà, les gens « se demandaient les uns aux autres : Qu’est-ce que cela ? Voilà un enseignement nouveau plein d’autorité ! Il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent. » (1, 27).

DE LA SURPRISE À L’HOSTILITÉ

À Nazareth (6, 2), comme à Capharnaüm (1, 22), les assistants ont d’abord été « frappés d’étonnement » ; mais à Nazareth, les choses ont mal tourné, l’étonnement a viré au scandale : ici, Marc a certainement choisi volontairement le mot grec (skandalon) qui évoquait la pierre d’achoppement dont parlait Isaïe ; imaginez un chef de chantier qui se trouve devant une pierre de forme imprévue : soit il l’intègre à sa construction dont elle devient une pierre maîtresse ; soit il la méprise, et la laisse traîner sur le chantier, au risque de buter dessus. Cette image illustrait pour Isaïe le contraste entre celui qui croit et celui qui refuse de croire. Pour celui qui croit, le Seigneur est son rocher, comme disent certains psaumes, sa sécurité ; mais ceux qui refusent de croire se privent eux-mêmes de cette sécurité et le choix des croyants devient pour eux incompréhensible et proprement scandaleux.

Saint Pierre reprend la même image en parlant du Christ : « On trouve dans l’Écriture : Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, choisie et précieuse, et celui qui met en elle sa confiance ne sera pas confondu... mais pour les incrédules, la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre de l’angle et aussi une pierre d’achoppement, un roc qui fait tomber. Ils s’y heurtent parce qu’ils refusent de croire en la parole. » (1 P 2, 6-8).

Chez Matthieu et Luc, le même thème est repris sous une autre forme : « Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi, dit Jésus lui-même. » (Mt 11, 5 ; Lc 7, 23). Pour le dire autrement, heureux sont ceux qui ont eu le bonheur de s’ouvrir au mystère de Jésus et de reconnaître en lui le Messie ; pour eux, le Christ est désormais le centre de leur vie ; au contraire, malheureux sont ceux qui, comme à Nazareth, se sont fermés à sa parole et à son action.

Curieusement, les plus proches ne sont pas les mieux préparés à faire le bon choix : Jésus, comme Ézékiel (première lecture), comme Jérémie, comme tant d’autres avant lui, constate que nul n’est prophète en son pays : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. »

Manifestement, Jésus ne s’attendait pas à cette réaction scandalisée, puisque Marc affirme : « Il s’étonna de leur manque de foi ». On peut déjà être surpris nous-mêmes que Jésus s’étonne : cela veut dire que, pour lui, tout n’était pas écrit d’avance ; d’autre part cet étonnement est mêlé de tristesse : un peu plus haut, devant une opposition semblable venant des Pharisiens, Marc a noté que Jésus était « navré de l’endurcissement de leurs cœurs » (Mc 3, 5). Au niveau de Jésus, cet épisode peu glorieux de Nazareth fait déjà pressentir la croix ; pour l’avenir, il préfigure le sort des prophètes de tous les temps, affrontés à une incroyance quasi structurelle.

Et pourtant, l’épisode se clôt néanmoins sur une petite lueur d’optimisme : même à Nazareth, dans ce climat d’hostilité, Jésus a pu quand même opérer quelques guérisons ; cela veut dire en clair que malgré toutes nos mauvaises volontés, tout espoir n’est jamais perdu !

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Complément

Ézékiel traduit cette expérience du prédicateur déçu dans une phrase magnifique : « Ils viendront à toi comme au rassemblement du peuple ; ils s’assiéront devant toi, eux, mon peuple ; ils écouteront tes paroles mais ne les mettront pas en pratique car leur bouche est pleine des passions qu’ils veulent assouvir : leur cœur suit leur profit. Au fond, tu es pour eux comme un chant passionné, d’une belle sonorité, avec un bon accompagnement. Ils écoutent tes paroles, mais personne ne les met en pratique. » (Ez 33, 31-32).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique B, 14e dimanche du temps ordinaire (8 juillet 2018)

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24 juin 2018 7 24 /06 /juin /2018 21:41

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 30 juin 2018).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celle-d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE LA SAGESSE  1, 13 - 15 ; 2, 23 - 24

 

1, 13    Dieu n'a pas fait la mort,       
            il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants.
14        Il les a tous créés pour qu'ils subsistent ;      
            ce qui naît dans le monde est porteur de vie :
            on n'y trouve pas de poison qui fasse mourir.          
            La puissance de la Mort ne règne pas sur la terre,
15        car la justice est immortelle.
2, 23    Dieu a créé l'homme pour l’incorruptibilité, 
            il a fait de lui une image       
            de sa propre identité.
24        C’est par la jalousie du diable
            que la mort est entrée dans le monde ;         
            ils en font l'expérience
            ceux qui prennent parti pour lui.
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DIEU A CRÉE L’HOMME POUR L’INCORRUPTIBILITÉ

Le début du Livre de la Sagesse fait penser au Livre de la Genèse ; l'un et l'autre commencent par une longue réflexion sur la destinée humaine : onze chapitres dans la Genèse, cinq dans la Sagesse ; écrits à des époques différentes, dans des styles également très différents, ils abordent néanmoins tous les deux les mêmes problèmes, ceux de la vie et de la mort, ceux de la relation des hommes avec Dieu. C'est exactement notre thème d'aujourd'hui.

D’un côté comme de l’autre, les auteurs sont des Juifs nourris de toute l’expérience religieuse et de la méditation du peuple de l’Alliance ; mais l’un comme l’autre sont au contact du monde païen, et soucieux de préserver l’intégrité de la foi juive. Une foi dont la première caractéristique est peut-être bien l’optimisme. L’affirmation du livre de la Sagesse « Ce qui naît dans le monde est porteur de vie » est une variante du constat de la Genèse « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. » (Gn 1, 31). Et ce que nous avons entendu ici « Dieu a fait de l’homme une image de sa propre identité » est une copie de la phrase célèbre de la Genèse « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa. »

Phrase célèbre ? Sûrement, mais en tirons-nous toutes les conséquences ? Si réellement, Dieu nous a faits à son image, alors nous sommes des vivants, faits pour vivre éternellement. D’ailleurs il suffisait de lire la phrase en entier : « Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il a fait de lui une image de sa propre identité. »

Mais alors, Dieu aurait-il échoué ? Certainement pas, seulement, il a pris le risque de nous créer libres. Libres de nous ranger dans le parti de la mort, comme dit le texte : pas la mort biologique, s’entend, simple transformation de la chrysalide en papillon ; mais la mort dont parle la Bible, la mort spirituelle, séparation d’avec Dieu. « Ils en font l’expérience, ceux qui prennent parti pour lui. »

Les cinq premiers chapitres de la Sagesse opposent précisément les justes et les impies : les justes, ce sont ceux qui vivent dès ici-bas et pour toujours de la vie de Dieu ; et les impies, ceux qui se sont rangés du côté de la mort, c’est-à-dire ceux qui dès ici-bas, malgré les apparences, ne sont déjà plus des vrais vivants, car ils sont loin de Dieu.

Pour prendre une autre image, les justes sont ceux qui vivent de l’Esprit de Dieu, les impies, ceux qui ne se laissent plus mener par lui.

(§ ajouté pour KTO) Lorsque le deuxième récit de Création dans le livre de la Genèse raconte que Dieu insuffla dans les narines de l’homme, le souffle de vie, et qu’à ce moment-là, l’homme devint un être vivant, il suggère bien que nous sommes faits pour vivre suspendus au souffle de Dieu. Nous en détourner, c’est nous ranger dans le parti de la mort.

L’auteur du livre de la Sagesse veut évidemment encourager ses lecteurs à « se ranger dans le parti de Dieu », pour reprendre son expression.

Le psaume 1 met en musique cette opposition entre les justes et les impies : « Heureux l’homme qui ne prend pas le parti des méchants, ne s’arrête pas sur le chemin des pécheurs et ne s’assied pas au banc des moqueurs, mais qui se plaît à la loi du SEIGNEUR et récite sa loi jour et nuit.... Il est comme un arbre planté près des ruisseaux : il donne du fruit en sa saison et son feuillage ne se flétrit pas ; il réussit tout ce qu’il fait... Tel n’est pas le sort des méchants : ils sont comme la bale que disperse le vent. Lors du jugement, les méchants ne se lèveront pas, ni les pécheurs au rassemblement des justes. Car le SEIGNEUR connaît le chemin des justes, mais le chemin des méchants se perd. »

Notre auteur du Livre de la Sagesse connaissait bien ce psaume ; d’autre part, il tenait certainement beaucoup à rappeler ces vérités réconfortantes à ses contemporains.

Car ils étaient en posture difficile et, pour l’heure, tout semblait profiter aux impies, traduisez les païens. Sans qu’on puisse préciser la date exacte, on sait au moins que le livre de la Sagesse a été écrit à Alexandrie, vers 50 ou même 30 av. J.-C., pour des Juifs, bien sûr, affrontés à la culture grecque c’est-à-dire païenne. Si l’auteur intitule ses écrits « Livre de la Sagesse de Salomon », (alors que Salomon est mort depuis neuf cents ans), c’est qu’il s’inscrit bien dans la lignée du Judaïsme. Il s’agit pour lui de donner des arguments à ses frères dans la foi juive, face aux raisonnements des païens.

 

NOTRE VIE PRÉSENTE EST SEMENCE D’ÉTERNITÉ

Le problème ici posé est celui de l’attitude à adopter devant la mort : les Juifs, depuis toujours, savent aussi bien que les Grecs que la mort est inéluctable ; mais dans la foi, ils en tirent de tout autres conséquences. Car il y a deux attitudes possibles : ou bien, et c’est l’attitude des païens, goûtons l’heure présente, faisons tout ce qui nous plaît, de toute manière, tout sera d’ici peu effacé.

Notre auteur traduit ainsi leur pensée au début du chapitre 2 : « Ils se disent entre eux avec de faux raisonnements : Elle est courte et triste notre vie ; il n’y a pas de remède quand l’homme touche à sa fin et personne, à notre connaissance, n’est revenu de l’Hadès (la mort)... Eh bien, allons ! Jouissons des biens présents et profitons de la création comme du temps de la jeunesse, avec ardeur. » (Sg 2, 1... 6).

Les Juifs ont une autre foi, une autre attitude ; pour eux, notre vie présente est déjà semence d’éternité : « Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il a fait de lui une image de sa propre identité. » Peut-être la vie sur terre ne récompense-t-elle pas toujours ceux qui ont bien agi, mais Dieu qui est l’infiniment juste finira bien par faire justice. Ce texte très tardif, le dernier de tout l’Ancien Testament, couronne la méditation juive de plusieurs siècles sur le problème de la rétribution : face à l’injustice apparente de l’existence (où l’on voit des innocents mourir sans consolation), le croyant affirme que « la justice est immortelle ».

Oui, les païens se trompent : « Leur perversité les aveugle et ils ne connaissent pas les secrets desseins de Dieu, ils n’espèrent pas de récompense pour la piété, ils n’apprécient pas l’honneur réservé aux âmes pures. » (Sg 2, 21-22).

Traduisez « Mes frères, tenez bon, Dieu saura vous récompenser. »

Reste la dernière phrase : « La mort est entrée dans le monde par la jalousie du diable, et ceux qui se rangent dans son parti en font l’expérience. » Il ne peut s’agir de la mort biologique, car tous, croyants ou païens, en feront l’expérience, un jour ou l’autre. Il s’agit de la mort spirituelle, la privation de Dieu : pour l’auteur du livre de la Sagesse, la résurrection n’était promise qu’aux justes ; il pensait encore que les païens, eux qui se sont rangés dans le parti de la mort, c’est-à-dire contre Dieu, ne connaîtront pas la résurrection.

Il faudra attendre la venue du Christ, offert « pour la multitude » pour que nous découvrions la foi en la résurrection promise à tous, car, comme le dit saint Jean « Dieu est plus grand que notre cœur ».

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PSAUME  29 (30), 2-4. 5-6ab. 6cd. 12-13

 

2          Je t’exalte, SEIGNEUR, tu m’as relevé,      
            tu m’épargnes les rires de l’ennemi.
4          SEIGNEUR, tu m'as fait remonter de l'abîme         
            et revivre quand je descendais à la fosse.

5          Fêtez le SEIGNEUR, vous, ses fidèles,       
            rendez grâce en rappelant son nom très saint.
6          Sa colère ne dure qu'un instant,        
            sa bonté, toute la vie.

            Avec le soir viennent les larmes,       
            mais au matin les cris de joie.
12        Tu as changé mon deuil en une danse,         
            mes habits funèbres en parure de joie.

13        Que mon cœur ne se taise pas,          
            qu'il soit en fête pour toi,      
            et que sans fin, SEIGNEUR, mon Dieu,     
            je te rende grâce !
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LA PARABOLE DU PUITS

Le psaume 29/30 est très court, il ne comporte que treize versets (dont six seulement sont retenus par la liturgie de ce dimanche) ; mais il faut connaître l’histoire sous-jacente dans son entier pour mieux le comprendre ; la voici :

Imaginez quelqu’un qui est tombé au fond d’un puits : il a crié, supplié, appelé au secours... il donnait même des arguments pour qu’on lui vienne en aide (du genre je vous serai plus utile, vivant que mort !) ; apparemment, il y avait des gens qui n’étaient pas mécontents de le voir dans le trou et qui ricanaient... mais il continuait à appeler au secours : quelqu’un finirait bien par avoir pitié... et quelqu’un a entendu ses appels, quelqu’un est venu le délivrer, l’a tiré de là comme on dit. Ce « quelqu’un », il faut l’écrire avec une majuscule, c’est Dieu lui-même. Une fois en haut, revenu à la lumière et en quelque sorte à la vie, notre homme explose de joie ! « Quand j’ai crié vers toi, SEIGNEUR, mon Dieu, tu m’as guéri ; SEIGNEUR, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse. Fêtez le SEIGNEUR, vous, ses fidèles, rendez grâce en rappelant son nom très saint. »

En réalité, comme toujours dans les psaumes, il y a deux niveaux de lecture : l’histoire qu’on nous raconte est celle d’un individu tombé dans un puits ; mais ce n’est qu’une parabole ; plus profondément, c’est le peuple tout entier qui parle, ou plutôt qui chante, qui explose de joie au retour de l’Exil à Babylone... comme il avait chanté, dansé, explosé de joie après le passage de la Mer Rouge. L’Exil à Babylone, c’est comme une chute mortelle dans un puits sans fond, dans un gouffre... et nombreux sont ceux qui ont pensé qu’Israël ne s’en relèverait pas. Au sein même du peuple, on a pu être pris de désespoir... Et il y en a eu des ennemis, pas mécontents, qui riaient bien de cette déchéance...

Pendant toute cette période d’épreuve, le peuple soutenu par ses prêtres, ses prophètes, a gardé espoir malgré tout et force pour appeler au secours (malheureusement, nous n’entendons pas ces versets ce dimanche) : « J’ai crié vers toi, SEIGNEUR, j’ai supplié mon Dieu... Écoute, SEIGNEUR, pitié pour moi ! SEIGNEUR, viens à mon aide !... » (versets 9 et 11). Dans sa prière, il n’hésitait pas à employer tous les arguments, par exemple du genre « tu seras bien avancé quand je serai mort »... parce que, quand ce psaume a été écrit, on ne croyait pas en la Résurrection : on imaginait que les morts étaient dans un séjour d’ombre, le « shéol » où il ne se passe rien. Alors on disait à Dieu : « À quoi te servirait mon sang (c’est-à-dire ma vie) si je descendais dans la tombe ? La poussière peut-elle te rendre grâce et proclamer ta fidélité ? » (verset 10).

 

LE RETOUR DE L’EXIL

Et le miracle s’est produit : Dieu a sauvé son peuple : « Quand j’ai crié vers toi, SEIGNEUR, mon Dieu, tu m’as guéri ; SEIGNEUR, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse... » C’est la restauration du peuple exilé, son retour au pays qui est dit en termes très imagés : car le peuple était comme un condamné à mort, on le croyait bien rayé de la carte ; quand il rentre, on peut le prendre pour un revenant.

Quand nous lisons ces versets, aujourd’hui, après vingt siècles de foi chrétienne, nous sommes tentés d’y lire une allusion à la Résurrection. Mais ce serait un anachronisme. À l’époque du retour d’Exil, on ne pensait pas encore à la possibilité d’une résurrection individuelle. D’autres textes bibliques, la vision d’Ézéchiel des ossements desséchés, par exemple, sont écrits dans le même esprit : la restauration du peuple, le retour d’exil est décrit en termes de résurrection.   

Plus tard, beaucoup plus tard, au deuxième siècle av. J.-C. (vers 165) quand la foi biblique aura franchi le pas décisif et accueilli la révélation de la foi en la résurrection, ces textes seront relus et on leur découvrira une profondeur nouvelle. Aujourd’hui, quand nous lisons ce psaume ou bien la prophétie des ossements desséchés d’Ézéchiel, nous nous disons « quand ces auteurs employaient des images de résurrection, ils ne pensaient qu’au peuple, mais ils ne croyaient pas si bien dire : ces images sont vraies aussi au plan individuel. »

« Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie »... Désormais, pour tous ceux qui croient à la résurrection, Juifs et Chrétiens, cette dernière phrase a pris un sens nouveau. On pourrait en dire autant de bien d’autres phrases de la Bible qui prennent un sens nouveau, au fur et à mesure de l’avancée de la foi juive au long des siècles.  

On peut en dire autant également du mot « Alléluia »... À l’origine il traduisait seulement la joie et l’allégresse de la sortie d’Égypte, ce qui était déjà considérable. Voici le commentaire des rabbins sur « l’Alléluia » : « Dieu nous a amenés de la servitude à la liberté, de la tristesse à la joie, du deuil au jour de fête, des ténèbres à la brillante lumière, de la servitude à la Rédemption. C’est pourquoi chantons devant lui l’Alléluia ! » Évidemment, aujourd’hui, nous pouvons le chanter avec plus de conviction encore en pensant à la résurrection du Christ et à la nôtre.

Je reviens à notre psaume : il y a la joie, certes, et c’est celle du retour d’exil, on l’a vu. Mais il y a également beaucoup d’allusions à la période terrible et cette expression étonnante : « Sa colère ne dure qu’un instant ». De quelle colère s’agit-il ? Celle de Dieu, bien sûr. Pendant l’Exil à Babylone, on a eu tout loisir de méditer sur les diverses causes possibles de ce drame ; et on s’est demandé si le malheur du peuple n’avait pas été la conséquence de ses péchés. La seule solution pour ne pas retomber, on le sait bien, c’est de vivre désormais dans la fidélité à L’Alliance : « Que sans fin, SEIGNEUR, mon Dieu, je te rende grâce ! »

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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE L’APÔTRE PAUL AUX CORINTHIENS  8, 7. 9. 13-15

 

            Frères,
7          puisque vous avez tout en abondance :        
            la foi, la Parole, la connaissance de Dieu,    
            toute sorte d’empressement et l’amour qui vous vient de nous,      
            qu’il y ait aussi abondance dans votre don généreux !
9          Vous connaissez en effet le don généreux   
            de notre Seigneur Jésus Christ :        
            lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous,
            pour que vous deveniez riches par sa pauvreté.
13        Il ne s'agit pas de vous mettre dans la gêne 
            en soulageant les autres,        
            il s'agit d'égalité.
14        Dans la circonstance présente,          
            ce que vous avez en abondance comblera leurs besoins,     
            afin que, réciproquement, ce qu'ils ont en abondance         
            puisse combler vos besoins,
15        et cela fera l'égalité,   
            comme dit l'Écriture à propos de la manne :
            « Celui qui en avait ramassé beaucoup n'eut rien de trop,   
            celui qui en avait ramassé peu           
            ne manqua de rien.
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APPRENDRE À PARTAGER

Il est toujours difficile de demander de l’argent : saint Paul fait appel, pour cela, à toutes les ressources de la diplomatie et de la fermeté ; les chapitres 8 et 9 de la deuxième lettre aux Corinthiens y sont consacrés. Et nous découvrons là un Paul inattendu, ironique sinon grinçant, encourageant et sévère à la fois. Au départ, il y a un fait historique, une famine qui a sévi en Judée (et particulièrement à Jérusalem), vers 46-48 ap. J.-C. L’historien Flavius Josèphe s’en fait l’écho :

il raconte que, à cette occasion, la reine Hélène d’Adiabène (un petit royaume au bord du Tigre) s’illustra par sa générosité, faisant venir du blé d’Alexandrie et des figues sèches de Chypre.

La communauté chrétienne de Jérusalem connut, elle aussi, la pauvreté pour plusieurs années ; il fallut organiser les secours. Dans l’immédiat, Antioche de Syrie donna l’exemple.

Voici le récit des Actes des Apôtres : « En ces jours-là, des prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche. L’un d’eux, appelé Agabus, fit alors savoir, éclairé par l’Esprit, qu’une grande famine allait régner dans le monde entier - elle eut lieu en effet sous (l’empereur) Claude. Les disciples décidèrent alors qu’ils enverraient, selon les ressources de chacun, une contribution au service des frères qui habitaient la Judée. Ce qui fut fait. L’envoi, adressé aux Anciens, fut confié aux mains de Barnabas et de Saül. » (Ac 11, 27-30).

La suite montre que Paul attacha dès le début beaucoup d’importance à cette collecte : lui qui s’était consacré à l’évangélisation des païens a toujours manifesté le souci de rester attaché à l’Église-mère de Jérusalem. À ses yeux, c’était simple justice, d’ailleurs, car c’est à elle d’abord que l’on devait la Bonne Nouvelle. Et l’on se souvient qu’au moment de ce que l’on peut appeler « L’Assemblée de Jérusalem » il s’engagea solennellement à rester solidaire des autres apôtres ; il racontera plus tard : « Jacques, Céphas et Jean, considérés comme des colonnes, nous donnèrent la main, à moi et à Barnabas, en signe de communion, afin que nous allions, nous vers les païens, eux vers les circoncis. Simplement, nous aurions à nous souvenir des pauvres, ce que j’ai eu bien soin de faire. » (Ga 2, 9-10).

Dans ces années difficiles, donc, Paul s’attacha à obtenir la contribution des communautés plus lointaines ; il suffit de lire la lettre aux Romains : « La Macédoine et l’Achaïe ont décidé de manifester leur solidarité à l’égard des saints de Jérusalem qui sont dans la pauvreté. Oui, elles l’ont décidé et elles le leur devaient. Car si les païens ont profité de leurs biens spirituels, ils doivent également subvenir à leurs besoins matériels. » (Rm 15, 26-27).

De prime abord, la communauté de Corinthe se montra particulièrement bien intentionnée et même enthousiaste ; Paul pourra leur dire plus tard : « Vous avez été les premiers, non seulement à réaliser, mais aussi à décider cette œuvre dès l’an dernier. » (2 Co 8, 10). À cette occasion, on découvre les talents d’organisateur de Paul, témoin ces quelques lignes de la première lettre aux Corinthiens : « Pour la collecte en faveur des saints, vous suivrez, vous aussi, les règles que j’ai données aux Églises de Galatie. Le premier jour de chaque semaine, chacun mettra de côté chez lui ce qu’il aura réussi à épargner, afin qu’on n’attende pas mon arrivée pour recueillir les dons. Quand je serai là, j’enverrai, munis de lettres, ceux que vous aurez choisis, porter vos dons à Jérusalem ; s’il convient que j’y aille moi-même, ils feront le voyage avec moi. » (1 Co 16, 1-4).

 

DES PROMESSES AUX ACTES

Mais les belles promesses ne suffisent pas toujours ; il semble que les Corinthiens aient eu quelque mal à passer à l’acte, ce qui nous vaut les fameux chapitres 8 et 9 (et, en particulier, notre lecture de ce dimanche). Non sans humour, Paul commence par monter en épingle la générosité des autres communautés, qui ont bien de la chance, elles, de connaître la joie de donner : « Nous voulons vous faire connaître, frères, la grâce que Dieu a accordée aux Églises de Macédoine. Au milieu des multiples détresses qui les ont éprouvées, leur joie surabondante et leur pauvreté extrême ont débordé en trésors de libéralité. Selon leurs moyens et, j’en suis témoin, au-delà de leurs moyens, en toute spontanéité, avec une vive insistance, ils nous ont réclamé la grâce de participer à ce service au profit des saints. » (2 Co 8, 1-4). Et Paul ajoute : « Je ne vous le dis pas comme un ordre ; mais, en vous citant le zèle des autres, je vous permets de prouver l’authenticité de votre charité... Maintenant donc, achevez de la réaliser (la collecte) ; ainsi à vos beaux projets correspondra aussi la réalisation selon vos moyens. » (2 Co 8, 11).

Certains s’abritaient probablement derrière la faiblesse de leurs moyens : Paul balaie l’argument : « Quand l’intention est vraiment bonne, on est bien reçu avec ce que l’on a, peu importe ce que l’on n’a pas. » (2 Co 8, 12). Et là nous retrouvons la lecture de ce dimanche : « Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne, en soulageant les autres, il s’agit d’égalité. En cette occasion, ce que vous avez en trop compensera ce qu’ils ont en moins. » Ici, Paul illustre son homélie en citant l’exemple de la manne au désert (Ex 16). Chacun pouvait ramasser chaque jour la quantité juste nécessaire à sa subsistance, tout excédent pourrissait. Bel apprentissage de l’équilibre social dans l’usage des richesses.

Enfin, le meilleur atout de Paul est un argument théologique (et nous retrouvons sous sa plume une de ces formules dont il a le génie) : « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ qui, pour vous, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour vous enrichir de sa pauvreté. »

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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT  MARC  5, 21 - 43

 

            En ce temps-là,
21        Jésus regagna en barque l’autre rive,
            et une grande foule s’assembla autour de lui.          
            Il était au bord de la mer.
22        Arrive un des chefs de synagogue, nommé Jaïre.    
            Voyant Jésus, il tombe à ses pieds    
            et le supplie instamment :
23        « Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité.        
            Viens lui imposer les mains   
            pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. »
24        Jésus partit avec lui,  
            et la foule qui le suivait         
            était si nombreuse qu’elle l’écrasait.
25        Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans...
26        - elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins,         
            et elle avait dépensé tous ses biens sans avoir la moindre amélioration ;    
            au contraire, son état avait plutôt empiré -
27        ... cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus,           
            vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement.
28        Elle se disait en effet :          
            « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, 
            je serai sauvée. »
29        À l’instant, l’hémorragie s’arrêta,     
            et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal.
30        Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui.     
            Il se retourna dans la foule, et il demandait :           
            « Qui a touché mes vêtements ? »
31        Ses disciples lui répondirent :           
            « Tu vois bien la foule qui t’écrase,  
            et tu demandes : Qui m’a touché ? »
32        Mais lui regardait tout autour           
            pour voir celle qui avait fait cela.
33        Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante,         
            sachant ce qui lui était arrivé,
            vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité.
34        Jésus lui dit alors :     
            « Ma fille, ta foi t’a sauvée.  
            Va en paix et sois guérie de ton mal. »
35        Comme il parlait encore,       
            des gens arrivent de la maison de Jaïre,
            le chef de synagogue,
            pour dire à celui-ci :   
            « Ta fille vient de mourir.     
            À quoi bon déranger encore le Maître ? »
36        Jésus, surprenant ces mots,   
            dit au chef de synagogue :    
            « Ne crains pas, crois seulement. »
37        Il ne laissa personne l’accompagner, 
            sauf Pierre, Jacques, et Jean, le frère de Jacques.
38        Ils arrivent à la maison du chef de synagogue.        
            Jésus voit l’agitation, 
            et des gens qui pleurent et poussent de grands cris.
39        Il entre et leur dit :    
            « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ?     
            L’enfant n’est pas morte : elle dort. »
40        Mais on se moquait de lui.    
            Alors il met tout le monde dehors,   
            prend avec lui le père et la mère de l’enfant,
            et ceux qui étaient avec lui ;  
            puis il pénètre là où reposait l’enfant.
41        Il saisit la main de l’enfant, et lui dit :          
            « Talitha koum » ;     
            ce qui signifie :          
            « Jeune fille, je te le dis, lève-toi. »
42        Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher     
            - elle avait en effet douze ans.          
            Ils furent frappés d’une grande stupeur.
43        Et Jésus leur ordonna fermement
            de ne le faire savoir à personne ;       
            puis il leur dit de la faire manger.
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JÉSUS, MAITRE DE LA VIE

On peut penser que ceci se passe à Capharnaüm, quoique Marc ne juge pas utile de le préciser.

Les deux récits de miracles sont imbriqués l’un dans l’autre ;

les trois évangiles synoptiques racontent les mêmes événements dans le même ordre : la demande de guérison de Jaïre pour sa fille, puis la guérison de la femme et enfin la résurrection de la fillette.

Il y a douze ans que la femme est malade, l’enfant a douze ans ; dans un cas comme dans l’autre, les ressources humaines de la médecine sont épuisées.

Marc y insiste ; en ce qui concerne la femme, il précise qu’elle « avait des pertes de sang depuis douze ans... - elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins, et elle avait dépensé tous ses biens sans aucune amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré - »  ; quant à la petite fille, il rapporte les propos désespérés des proches de Jaïre : « Ta fille vient de mourir. À quoi bon déranger encore le maître ? »

Si Marc tient ainsi à noter l’impuissance des hommes, c’est pour mieux faire ressortir le pouvoir de Jésus : un pouvoir tel qu’il émane de lui, qu’il lui échappe pour ainsi dire (la guérison de la femme), un pouvoir qui va jusqu’à ressusciter les morts (la fille de Jaïre).

Un pouvoir qui lui appartient en propre ; Marc tient à faire sentir la différence entre Jésus et les prophètes de l’Ancien Testament : Élie ressuscitant le fils de la veuve de Sarepta  (1 R 17, 17-24), Élisée rappelant à la vie le fils de la Shounamite (2 R 4, 18-37), commencent tous deux par invoquer le Seigneur. Marc connaît par cœur ces exemples très célèbres ; et justement, il manifeste la puissance directe de Jésus en personne sur la maladie et la mort : « Ne crains pas, crois seulement », dit-il à Jaïre, et aux autres : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort. »

De cette manière Marc entend bien nous dire que Jésus lui-même est le Seigneur de la vie ; désormais nous savons que la mort est un sommeil dont Jésus peut nous réveiller.

La réanimation de la fille de Jaïre est une image et un avant-goût de notre résurrection : comme Jésus a pris la jeune fille par la main, ainsi nous prendra-t-il la main, chacun à notre tour : comme disait Isaïe : « Moi, le SEIGNEUR, je suis ton Dieu qui tiens ta main droite, qui te dis : Ne crains pas, c’est moi qui t’aide. » (Is 41, 13). C’est à toute l’humanité qu’un jour le Sauveur dira : « Talitha koum », ce qui signifie « Jeune fille, lève-toi ! » Nous en avons déjà un avant-goût dans le Baptême ; Marc connaissait-il déjà ce chant baptismal des premières communautés, rapporté par la lettre aux Éphésiens : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. » (Ep 5, 14) ?

 

TOUT EST POSSIBLE À CELUI QUI CROIT

Pour participer à cette puissance de guérison, de résurrection de Jésus, il y a une seule condition, y croire : « Ma fille, ta foi t’a sauvée ». La foi, donnée librement, condition nécessaire et suffisante du salut, est certainement le deuxième thème de Marc ici ; une foi à laquelle n’importe qui peut accéder : Jaïre est un chef de synagogue, l’homme le plus recommandable qui soit ; mais à l’autre bout de l’échelle sociale, si on peut dire, il y a cette femme, interdite de séjour en quelque sorte ; sa maladie entraînant des pertes de sang continuelles la mettait en état d’impureté légale : or c’est à cette femme impure que Jésus parle de salut ; au vu et au su de tous, il la réintroduit dans la communauté.

Nous retrouvons ici une insistance de Marc, déjà rencontrée au tout début de son évangile, dans l’épisode de la guérison du lépreux (Mc 1, 40-45), le combat de Jésus contre toute exclusion (cf sixième dimanche du Temps Ordinaire de l’Année B). Mais nous restons libres ; refuser de croire, prendre le parti des « moqueurs » (« Mais on se moquait de lui », verset 40), c’est « nous ranger dans le parti de la mort », comme dit le livre de la Sagesse (notre première lecture) : refuser d’entrer dans le chemin de la vie, c’est rester loin de Dieu et donc loin de la vie. Encore un thème très important pour Marc ; il faut croire que ses lecteurs avaient besoin de l’entendre : un peu plus loin, il sera le seul à rapporter la phrase de Jésus : « Tout est possible à celui qui croit. »  (Mc 9, 23).

Pour l’instant, Jésus prend grand soin d’éduquer ses disciples à la foi : nous retrouvons les trois disciples les plus proches, toujours les mêmes : Pierre, Jacques et Jean, ceux de la première heure (1, 16-20), ceux qui seront témoins de la Transfiguration (9, 2) et de Gethsémani (14, 33) ; ceux également à qui il dispense parfois un enseignement particulier, à l’écart (chapitre 13) ; ce seront eux plus tard les grandes figures de la première Église, que Paul cite dans la lettre aux Galates : « Jacques, Céphas et Jean, considérés comme des colonnes » (Ga 2, 9) : quand Marc écrit son évangile, il n’est peut-être pas inutile de faire remarquer la prédilection que Jésus leur a toujours manifestée.

            Enfin, dernière particularité de Marc, la force avec laquelle il rapporte les consignes de silence données par Jésus après chacune de ses manifestations de puissance : « Jésus leur recommanda avec insistance que personne ne le sache » ; peut-être faut-il voir là une fois de plus le « secret messianique » : le fait que Jésus ne puisse être reconnu comme Messie sans risque de malentendu qu’après la Passion ; mais il y a une autre explication : Jésus est en plein succès ; nous en avons la preuve dans deux phrases de Marc avant et après notre récit d’aujourd’hui : au chapitre 3 « Il en avait tant guéris que tous ceux qui étaient frappés de quelque mal se jetaient sur lui pour le toucher. » (Mc 3, 10)... et au chapitre 6 : « Partout où il entrait, villages, villes ou hameaux, on mettait les malades sur les places ; on le suppliait de les laisser toucher seulement la frange de son vêtement, et ceux qui le touchaient étaient tous sauvés. » (Mc 6, 56). Marc ne s’est pas étendu comme Matthieu (4) et Luc (4) sur le contenu des tentations que Jésus a dû affronter tout au long de sa vie ; nul doute qu’il ait connu celle de la gloire ; Matthieu le montre au sommet du Temple résistant à celui qui l’incitait à faire un coup d’éclat ; Marc ne nous fait pas un tel récit, mais il s’ingénie à montrer l’humilité de Jésus qui fuit toute mise en valeur personnelle. Bien au contraire, détournant l’attention de lui-même, il tourne les regards de tous vers la jeune fille qui se réveille et, tout simplement, « leur dit de la faire manger ».

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique B, 13e dimanche du temps ordinaire (1er juillet 2018)

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18 juin 2018 1 18 /06 /juin /2018 21:30

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 23 juin 2018).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celle-d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  49, 1 - 6

 

1               Écoutez-moi, îles lointaines !       
                 Peuples éloignés, soyez attentifs !    
                 J’étais encore dans le sein maternel  
                 quand le SEIGNEUR m’a appelé ;  
                 j’étais encore dans les entrailles de ma mère
                 quand il a prononcé mon nom.
2               Il a fait de ma bouche une épée tranchante,        
                 il m’a protégé par l’ombre de sa main ;        
                 il a fait de moi une flèche acérée,     
                 il m’a caché dans son carquois.
3               Il m’a dit : 
                 « Tu es mon serviteur, Israël,
                 en toi je manifesterai ma splendeur. »
4               Et moi, je disais :
                  « Je me suis fatigué pour rien,         
                 c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces. »   
                 Et pourtant, mon droit subsistait aux yeux du SEIGNEUR,          
                 ma récompense auprès de mon Dieu.
5               Maintenant, le SEIGNEUR parle,           
                 lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère  
                 pour que je sois son serviteur,           
                 que je lui ramène Jacob,        
                 que je lui rassemble Israël.    
                 Oui, j’ai de la valeur aux yeux du SEIGNEUR,      
                 c’est mon Dieu qui est ma force.
6               Et il dit :    
                 « C’est trop peu que tu sois mon serviteur   
                 pour relever les tribus de Jacob,        
                 ramener les rescapés d’Israël :          
                 je fais de toi la lumière des nations,
                 pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »
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LE MESSAGE D’ISAÏE AUX EXILÉS

Au sixième siècle av. J.-C., le peuple d’Israël a connu la terrible épreuve de la déportation : les armées de Nabuchodonosor ont tout détruit sur leur passage et la majorité des survivants a pris le chemin d’un exil qui devait durer cinquante ans.

Pendant toute cette période de souffrance et d’angoisse, les prêtres et les prophètes d’Israël ont uni leurs forces pour soutenir la foi et l’espérance de leurs compagnons d’infortune. Une bonne manière de le faire consistait à convaincre ce peuple qu’il avait encore un rôle à tenir ; ce rôle est exprimé ici par le titre de « serviteur de Dieu ». Il faut savoir que ce titre de serviteur est le plus beau que l’on puisse décerner à quelqu’un dans l’Ancien Testament. Dans un autre passage, le même Isaïe, celui qui prêchait pendant l’Exil dit cette très belle phrase : « Toi, Israël, mon serviteur, toi que j’ai choisi, descendance d’Abraham, mon ami… je t’ai choisi et non pas rejeté, ne crains pas car je suis avec toi, n’aie pas ce regard anxieux, car je suis ton Dieu. » (Is 41, 8… 10).

Dans notre texte d’aujourd’hui, Dieu parle à son serviteur comme il avait parlé à Jérémie le jour où il l’avait appelé. Voici comment Jérémie raconte sa vocation : « La parole du SEIGNEUR s'adressa à moi : Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu ne sortes de son ventre, je t'ai consacré. » (Jr 1, 4-5). Ici, Isaïe dit au nom du groupe des déportés d’Israël : « J’étais encore dans le sein maternel quand le SEIGNEUR m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. » Cela revient à dire que la mission du peuple en exil est une mission de prophète, de porte-parole de Dieu. Et cette parole que le serviteur doit annoncer ne sera peut-être pas toujours facile à dire puisqu’elle ressemble à une épée ou à une flèche : « Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé par l’ombre de sa main ; il a fait de moi une flèche acérée, il m’a caché dans son carquois. » On sait bien que les prophètes ont parfois dû faire preuve de courage pour remplir leur rôle de témoins de la volonté de Dieu ! Après de nombreux prophètes de l’Ancien Testament, saint Jean Baptiste en est à son tour un bon exemple !

Et comment le peuple en exil aura-t-il l’occasion d’être prophète ? De deux manières peut-être. Tout simplement d’abord en résistant à la tentation d’idolâtrie : à Babylone, on était plongé dans une société polythéiste ; or ce peuple était le grand vainqueur ! On était tenté de se demander si ses divinités n’étaient pas plus puissantes que le Dieu d’Israël. Certains s’éloignaient donc peut-être de la religion d’Israël. Le petit noyau fidèle, ce qu’on appelait le Reste est donc appelé à ramener spirituellement ses frères vers le Seigneur : « Maintenant, le SEIGNEUR parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. »

ISRAËL, PROPHÈTE DE DIEU            

On voit donc que dans ce texte, le mot Israël peut être employé dans deux sens un peu différents : au sens large c’est l’ensemble des déportés qui porte le titre de serviteur de Dieu ; dans un sens plus restreint, c’est le noyau fidèle, le Reste, dont la foi n’a pas chancelé, malgré les années d’exil et de captivité, qui est chargé de ramener les autres dans la communauté des croyants.

Il y aura ensuite une deuxième manière d’être prophètes, une manière passive, si j’ose dire. Car, et c’est la deuxième annonce d’Isaïe dans ce texte, le retour des déportés au pays ne fait aucun doute. Parce que le Dieu fidèle ne peut pas abandonner son peuple, donc il le sauvera inévitablement tôt ou tard. Et, à ce moment-là, les autres nations seront témoins de cette œuvre de salut de Dieu et donc elles sauront que Dieu est sauveur, elles mettront leur confiance en lui. Et, ainsi, elles seront sauvées à leur tour.

              C’est le sens de la phrase « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je me glorifierai » : on pourrait traduire : « En toi, mon serviteur, je serai manifesté, reconnu, révélé ». C’est-à-dire ma présence sera manifestée à travers toi. C’est en ce sens-là qu’Israël aura été prophète du salut de Dieu.

              Ce souci du salut de toutes les nations est dit très fortement dans ce texte, comme une sorte de parallèle (on dit une inclusion) au début et à la fin. Pour commencer, le prophète s’adresse à elles dès les premiers mots : « Écoutez-moi, îles lointaines ! Peuples éloignés, soyez attentifs ! » Et, à la fin de ce passage, il insiste en précisant au peuple sa vocation : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les rescapés d’Israël : je vais faire de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »

Car, Isaïe le sait, le projet de Dieu est un projet de salut, de bonheur, et il concerne l'humanité tout entière « jusqu’aux extrémités de la terre ».

Dernière remarque : être lumière pour les nations, être l’instrument de Dieu « pour que son salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre », c’était exactement la vocation du Messie, telle qu’on l’entrevoyait depuis des siècles ; seulement ici, le Messie n’est pas présenté comme un roi ; il est présenté comme un serviteur, ce qui n’est pas la même chose ! Cela veut dire qu’avec Isaïe au temps de l’Exil à Babylone, au moment où justement, on n’a plus de roi, l’attente du Messie prend désormais un autre visage.

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Compléments

 - Voir Ga 1, 15 : « celui qui m'a mis à part depuis le sein de ma mère et m'a appelé par sa grâce… »

- C’est la première fois que la parole de Dieu (ou de son prophète) est comparée à une épée tranchante, mais, par la suite, cette image a été reprise plusieurs fois : dans le livre de la Sagesse (Sg 18, 15), dans la lettre aux Hébreux (He 4, 12) et deux fois dans l’Apocalypse (Ap 1, 16 ; 19, 15).

He 4,12 : « Vivante, en effet, est la parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu'aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu'à diviser âme et esprit, articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur. »

 - «  Tu es mon serviteur, Israël, en toi je me glorifierai » : C’est une nouvelle théologie qui est dite là par Isaïe, dans cette phrase. Cette théologie qui apparaît ici sera reprise à l’avenir par d’autres prophètes.

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PSAUME  138 ( 139 ), 1-3a, 13-14b, 14c-15

Le commentaire de ce psaume a été complètement remanié pour l’émission 2018

Ci-dessous, je donne d’abord celui-ci (2018) ; puis ensuite (pour ceux que cela intéresse)  le commentaire d’une année ancienne où j’avais replacé les quelques versets du jour dans l’ensemble du psaume 138/139. Pour cette année 2018, j’ai préféré me focaliser sur les quelques versets retenus par la liturgie du jour.

 

1                Tu me scrutes, SEIGNEUR, et tu sais :
2                tu sais quand je m'assois, quand je me lève ;
                  de très loin, tu pénètres mes pensées ;
3                tous mes chemins te sont familiers.

13              C'est toi qui as créé mes reins,    
                  tu m'as tissé dans le sein de ma mère.
14              Je reconnais devant toi le prodige,         
                  l'être étonnant que je suis.

                  Étonnantes sont tes œuvres,       
                  toute mon âme le sait.
15              Mes os n'étaient pas cachés pour toi       
                  quand j'étais façonné dans le secret.

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PSAUME  138 ( 139 ), 1-3a, 13-14b, 14c-15 (commentaire 2018)

LE MYSTÈRE DE L’ÉLECTION D’ISRAËL

On peut, bien sûr, imaginer que Jean-Baptiste a fait cette expérience mystique décrite par ce psaume : celle de la présence permanente, douce et irrésistible de son Dieu ; mais, encore une fois, le psaume n’a pas été écrit pour un homme particulier, fût-il Jean-Baptiste.

Car, ici, dans le psaume 138/139, une fois de plus, c’est le peuple d’Israël tout entier qui parle. Lui qui ne conçoit nul orgueil mais infinie reconnaissance de l’œuvre de Dieu à son égard. Jérémie le dit très bien : « Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, comme l’argile dans la main du potier » (Jr 18, 6).

« Tu me scrutes, SEIGNEUR, et tu sais : tu sais quand je m'assois, quand je me lève ; de très loin, tu pénètres mes pensées ; tous mes chemins te sont familiers. » Le nom même de Dieu, SEIGNEUR (YHVH) révélé à Moïse promettait cette vigilance ; depuis toujours Dieu a conduit ce petit peuple ; il a commencé par le faire naître : « C’est toi qui as créé mes reins, tu m’as tissé dans le sein de ma mère… Mes os n'étaient pas cachés pour toi quand j'étais façonné dans le secret. » Plus tard, Osée commentait : « Quand Israël était jeune, je l’ai aimé et d’Égypte j’ai appelé mon fils... C’est moi qui avais appris à marcher à Éphraïm, les prenant par le bras... Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour, j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se nourrir. » (Os 11, 1... 4).

Ce lien très privilégié entre Dieu et le peuple d’Israël a pris au cours du temps le nom d’élection, au sens de choix délibéré : « Tu es un peuple consacré au SEIGNEUR ton Dieu : c’est toi qu’il a choisi pour être son peuple, son domaine particulier parmi tous les peuples de la terre.  C’est uniquement à tes pères que le SEIGNEUR ton Dieu s’est attaché par amour. Après eux, entre tous les peuples, c’est leur descendance qu’il a choisie, ce qu’il fait encore aujourd’hui avec vous » (Dt 7,6 ; 10,15).

À l’origine, dans la pensée d’Israël, cela n’excluait pas que d’autres peuples aient leurs propres dieux protecteurs. Israël n’était pas encore monothéiste : il était « monolâtre » (on dit également « hénothéiste ») c’est-à-dire qu’il ne rendait de culte qu’à un seul Dieu, le Dieu du Sinaï, celui qui l’avait libéré d’Égypte. Il ne devint réellement « monothéiste » que pendant l’Exil à Babylone (au sixième siècle avant notre ère). Ce fut alors un nouveau saut dans la foi, la découverte de l’universalisme : si Dieu était le Dieu unique, alors, il était également celui de tous les peuples.

 

UNE ÉLECTION QUI EST UNE MISSION

L’élection d’Israël n’était pas dénoncée pour autant et l’on trouve sous la plume du prophète Isaïe des phrases magnifiques en ce sens : « Toi, Israël, mon serviteur, Jacob que j’ai choisi, descendance d’Abraham mon ami : aux extrémités de la terre je t’ai saisi, du bout du monde je t’ai appelé ; je t’ai dit : Tu es mon serviteur, je t’ai choisi, je ne t’ai pas rejeté. Ne crains pas : je suis avec toi ; ne sois pas troublé : je suis ton Dieu. Je t’affermis ; oui, je t’aide, je te soutiens de ma main victorieuse. » (Is 41,8-10). C’est le même Isaïe qui sut faire comprendre à ses contemporains que leur élection prenait désormais un autre visage, celui d’une vocation au service des autres peuples : être auprès d’eux le témoin de Dieu. C’est le sens, entre autres des quatre textes que l’on appelle « Les Chants du Serviteur  » : « Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » (Is 49,6).

Car si Dieu a fait des prodiges en faveur de son peuple (« Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis. »), c’est pour que toute l’humanité en profite.

Cette vocation est exigeante, on ne le sait que trop. On en devine le poids derrière des versets comme celui-ci  : « Tu me scrutes, SEIGNEUR, et tu sais : tu sais quand je m’assois, quand je me lève ; de très loin, tu pénètres mes pensées. » Impossible d’échapper à l’exigence et au regard perspicace de Dieu. Affronté à l’idolâtrie, le peuple a continuellement dû choisir le rude chemin de la fidélité.

C’est le sort de tout prophète, peut-être, et Israël a souvent médité l’expérience de Jérémie qui est un bon exemple sur ce point ; on trouve chez lui exactement les mêmes accents : il a connu cette présence de Dieu dès l’enfance : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, avant que tu ne sortes de son ventre, je te connaissais. » (Jr 1, 5). Mais il a aussi connu la solitude et l’incompréhension ; devant l’insuccès de sa prédication, il en appelle au jugement de Dieu : « Toi, SEIGNEUR, tu es juste ! Mais je veux quand même plaider contre toi...  Toi, SEIGNEUR, tu me connais, tu me vois et tu examines mes pensées : elles sont avec toi. »  (Jr 12, 3).

Jean-Baptiste a certainement connu cette expérience forte et douce à la fois : de l’émerveillement d’être choisi pour être serviteur de Dieu mais aussi des exigences rudes parfois que cela comporte inévitablement.

Car, dans la Bible, jamais aucune vocation, aucun appel n’est pour l’intérêt égoïste de celui qui est appelé. C’est même l’un des critères d’une vocation authentique : toute vocation est toujours pour une mission au service des autres. Celle de Jean-Baptiste, on la connaît : annoncer celui qui était plus grand que lui, puis le jour venu, s’effacer, lui qui disait : « Il faut qu’il croisse et que je diminue ».

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PSAUME  138 ( 139 ), 1-3a, 13-14b, 14c-15 (ancien commentaire)

 

              On peut, bien sûr, imaginer que Jean-Baptiste a fait cette expérience mystique décrite par ce psaume : celle de la présence permanente, douce et irrésistible de son Dieu ; mais, encore une fois, le psaume n’a pas été écrit pour un homme particulier, fût-il Jean-Baptiste. Nous commencerons donc par là. Il y a peut-être bien plusieurs manières de lire ce psaume 138/139 : le découpage liturgique en a privilégié une, évidente, qui est l’admiration du croyant pour la Création. « Étonnantes sont tes œuvres, toute mon âme le sait. » On entend résonner ici le psaume 8, tout aussi émerveillé : « À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme (pour) que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ; tu l’établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toutes choses à ses pieds. » Nous sommes bien ici dans la même veine : « Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis. » Oui, mais... Il y a plus grand encore que la création de l’homme ; il y a la création du peuple : car, ici, dans le psaume 138/139, une fois de plus, il s’agit du peuple d’Israël tout entier. Lui qui ne conçoit nul orgueil mais infinie reconnaissance de l’œuvre de Dieu à son égard. Jérémie le dit très bien : « Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, comme l’argile dans la main du potier » (Jr 18, 6) ; l’image du potier étant, pour Jérémie, comme on sait, l’image privilégiée du créateur.

              À lire donc, ce psaume, de cette deuxième manière, c’est-à-dire comme l’histoire du peuple, alors tous les versets s’agencent de façon lumineuse. Mais il faut déborder le découpage liturgique ; c’est ce que nous allons faire ici ; à commencer par un verset que nous connaissons bien et qui est peut-être la clé de l’ensemble : « Ta main me conduit, ta droite me saisit, tu as posé sur moi ta main. » Le nom même de Dieu (YHVH) révélé à Moïse promettait cette vigilance ; depuis toujours Dieu a conduit ce petit peuple ; il a commencé par le faire naître, disions-nous : « C’est toi qui as créé mes reins, tu m’as tissé dans le sein de ma mère. » Plus tard, Osée commentait : « Quand Israël était jeune, je l’ai aimé et d’Égypte j’ai appelé mon fils... C’est moi qui avais appris à marcher à Éphraïm, les prenant par le bras... Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour, j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se nourrir. » (Os 11, 1... 4).

              Cette présence de Dieu ne s’est jamais démentie : le verset 5 (« Tu me devances et me poursuis, tu m’enserres, tu as mis la main sur moi ») est la reconnaissance que, depuis toujours, Dieu connaît, Dieu accompagne l’histoire de son peuple ; l’opposition « tu me devances, tu me poursuis » figurant l’avenir et le passé. Autre manifestation de la présence de Dieu, la colonne de feu qui n’abandonna jamais le peuple dans sa marche difficile ; et cela nous vaut un autre verset merveilleux « la ténèbre n’est pas ténèbre devant toi, la nuit comme le jour est lumière » (v. 12). Dans tout ceci, Dieu poursuivait un projet, on le sait bien, un projet qui nous dépasse : « Que tes pensées sont pour moi difficiles, Dieu, que leur somme est imposante ! » (v. 17). Il faut citer ici le psaume 39/40 : « Qu’ils sont grands, Seigneur mon Dieu, les projets et les miracles que tu as faits pour nous ! Tu n’as pas d’égal. Je voudrais l’annoncer, le répéter, mais il y en a trop à dire. » (Ps 39/40, 6). Car si Dieu a fait des prodiges en faveur de son peuple (« Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis. »), c’est pour que toute l’humanité en profite.

              Et on se souvient que le geste de poser la main (v. 5) est un geste de consécration ; c’est dire la vocation d’Israël. Cette vocation qui consiste à témoigner du Dieu unique au milieu des nations. Comme le disait André Chouraqui : « Le peuple de l’Alliance est destiné à devenir le futur instrument de l’Alliance des peuples. »

              Cette vocation est exigeante, on ne le sait que trop. On en devine le poids derrière des versets comme celui-ci  : « Tu me scrutes, SEIGNEUR, et tu sais : tu sais quand je m’assois, quand je me lève ; de très loin, tu pénètres mes pensées. » Impossible d’échapper à l’exigence et au regard perspicace de Dieu. Affronté à l’idolâtrie, le peuple a continuellement dû choisir le rude chemin de la fidélité. C’est le sort de tout prophète, peut-être, et Israël a souvent médité l’expérience de Jérémie qui est un bon exemple sur ce point ; on trouve chez lui exactement les mêmes accents : il a connu cette présence de Dieu dès l’enfance : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, avant que tu ne sortes de son ventre, je te connaissais. » (Jr 1, 5). Mais il a aussi connu la solitude et l’incompréhension ; devant l’insuccès de sa prédication, il en appelle au jugement de Dieu : « Toi, SEIGNEUR, tu es juste ! Mais je veux quand même plaider contre toi...  Toi, SEIGNEUR, tu me connais, tu me vois et tu examines mes pensées : elles sont avec toi. »  (Jr 12, 3) :  chez Jérémie, ce n’est  plus seulement de l’émerveillement, c’est une plaidoirie, manière de dire à Dieu : « Reconnais que je te suis resté fidèle ».

         Jean-Baptiste a certainement connu cette expérience forte et douce à la fois : de l’émerveillement d’être choisi pour être serviteur de Dieu mais aussi des exigences rudes parfois que cela comporte inévitablement. Il a certainement dit plus d’une fois les derniers versets de ce psaume qui sont une prière pour la persévérance, et que nous pouvons faire nôtre à notre tour : « Dieu ! scrute-moi et connais mon cœur ; éprouve-moi et connais mes soucis. Vois donc si je prends le chemin périlleux, et conduis-moi sur le chemin de toujours. »

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LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 13, 22 - 26

 

              En ces jours-là,
              dans la synagogue d’Antioche de Pisidie,          
              Paul disait aux Juifs :
22          « Dieu a, pour nos pères, suscité David comme roi,       
              et il lui a rendu ce témoignage :   
              J’ai trouvé David, fils de Jessé,   
              c’est un homme selon mon cœur  
              qui réalisera toutes mes volontés.
23          De la descendance de David,      
              Dieu, selon la promesse,
              a fait sortir un sauveur pour Israël ;         
              c’est Jésus,
24          dont Jean le Baptiste a préparé l’avènement       
              en proclamant avant lui un baptême de conversion        
              pour tout le peuple d’Israël.
25          Au moment d’achever sa course, 
              Jean disait :           
              Ce que vous pensez que je suis,   
              Je ne le suis pas.    
              Mais le voici qui vient après moi, 
              et je ne suis pas digne de retirer les sandales de ses pieds.
26          Vous, frères, les fils de la lignée d’Abraham,     
              et ceux parmi vous qui craignent Dieu,   
              c’est à nous que la parole de salut a été envoyée. »
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QUAND PAUL BROSSE LA LONGUE HISTOIRE DU SALUT

         Ceci se passe au cours du premier voyage missionnaire de Paul en Anatolie, plus précisément à Antioche de Pisidie, c’est-à-dire à peu près exactement au centre de ce que nous appelons aujourd’hui la Turquie.

         Paul et Barnabé se rendent à la synagogue le samedi matin pour la célébration du shabbat ; la célébration se déroule comme d’habitude : il y a des prières, des psaumes, et des lectures. Et, comme d’habitude, également, lorsqu’il y a des hôtes de passage, les responsables de la synagogue leur proposent de prendre la parole.1

         Alors, Paul prend la parole, effectivement, car il a vraiment quelque chose à dire, on s’en doute, mais ce n’est peut-être pas ce qu’attendaient les chefs de la synagogue ! Car Paul entreprend aussitôt un grand discours pour expliquer que Jésus de Nazareth est le Messie qu’on attendait.

         Malheureusement, aujourd’hui, nous n’avons entendu qu’une partie de sa démonstration : je vous résume l’ensemble. Il brosse une grande fresque du projet de Dieu, depuis Abraham jusqu’à Jésus. Il raconte le séjour de son peuple en Égypte, et le miracle de la sortie d’Égypte ; puis le séjour au désert pendant quarante ans et l’entrée en terre promise ; il rappelle la période des Juges puis la naissance de la monarchie. C’est ici que commence notre lecture d’aujourd’hui : « Dieu a, pour nos pères, suscité David comme roi ».

         J’ai dit : « Paul raconte » ; mais en fait, il fait beaucoup plus que raconter comme s’il s’agissait tout simplement de rappeler une histoire passée. En réalité, Paul choisit ses mots très soigneusement pour évoquer ce qui fait la mémoire de ce peuple, la foi de ce peuple. Car la foi d’Israël est d’abord et avant tout la mémoire de l’œuvre de Dieu depuis les origines, la mémoire de la sollicitude de Dieu pour son peuple. Chacune des phrases de Paul fait partie des professions de foi habituelles qu’on se répète en famille et dans les célébrations. Par exemple, pour dire la sortie miraculeuse d’Égypte, le fameux soir du passage de la mer, Paul emploie l’expression « À la force de son bras, Dieu les a fait sortir d’Égypte. » Pour nous, cela ne signifie peut-être rien d’extraordinaire, mais pour tout Juif, cela évoque aussitôt les récits épiques de cette sortie et le fameux cantique de Moïse et de Myriam. Et, à ce moment-là, chacun dans l’assistance, est plein d’émotion et de reconnaissance pour la sollicitude extraordinaire que Dieu a déployée pour son peuple à chacune des étapes de cette longue histoire.

         Arrivé à David, Paul emploie également une expression très particulière : « Dieu a, pour nos frères, suscité David comme roi, et il lui a rendu ce témoignage : J’ai trouvé David, fils de Jessé ; c’est un homme selon mon cœur qui réalisera toutes mes volontés. »

Pour tous les assistants, cela rappelle d’abord le choix de David, huitième fils de Jessé, par le prophète Samuel, au grand étonnement de tout le monde. Mais c’était le choix de Dieu car David n’était pas comme ses sept frères, il était, lui, un homme « selon le cœur de Dieu ». Et la phrase suivante : « Il réalisera toutes mes volontés » est le rappel de la fameuse promesse faite à David ; lorsque le jeune roi avait pensé à construire à Jérusalem un temple pour l’arche d’Alliance, Dieu lui avait fait savoir par le prophète Natan que ce n’était pas son affaire ; Dieu ne lui avait rien demandé.

« DE LA DESCENDANCE DE DAVID, DIEU A FAIT SORTIR UN SAUVEUR POUR ISRAËL »

En revanche, dans le même temps, le prophète avait annoncé à David : « C’est moi, Dieu, qui te construirai une maison » au sens de dynastie. Et, peu à peu, au long des siècles, on avait compris que la fidélité de Dieu à cette dynastie se réaliserait un jour pleinement par la venue au monde d’un roi qui apporterait enfin à tous et à chacun la paix, la justice, le bonheur. Ce roi idéal, on l’appelait le Messie. « Il réalisera toutes mes volontés », cela veut dire : par lui, par sa dynastie, s’accomplira ma volonté de salut.

         Voilà où Paul veut en venir ; il continue : « De la descendance de David, Dieu, selon la promesse, a fait sortir un sauveur pour Israël : c’est Jésus. » Le but de ce long discours de Paul, de cette grande rétrospective, c’est de replacer la venue du Messie-Jésus dans l’ensemble du grand projet de Dieu ; car c’est le meilleur argument pour convaincre ses contemporains. Ils ne pourront croire en Jésus de Nazareth et devenir Chrétiens que s’ils sont convaincus que Jésus accomplit vraiment ce qu’on appelle les Écritures, c’est-à-dire le projet de Dieu, les promesses de Dieu.

         Paul sait bien que c’est une réelle difficulté pour ses contemporains, comme cela a été pendant longtemps une difficulté pour lui-même ; c’est pour cela qu’il prend grand soin d’évoquer à chaque instant le long déroulement du projet de Dieu dans l’histoire de son peuple. Dans ce long cheminement de l’histoire du salut, Jean-Baptiste a sa place : Paul dit : « Le sauveur pour Israël, c’est Jésus dont Jean-Baptiste a préparé l’avènement en proclamant avant lui un Baptême de conversion pour tout le peuple d’Israël. »

         La vocation de Jean-Baptiste est donc claire : il a été le « Précurseur », l’annonciateur ; et Paul rappelle la phrase de Jean-Baptiste : « Ce que vous pensez que je suis, (c’est-à-dire le Messie), Je ne le suis pas. Mais le voici qui vient après moi, et je ne suis pas digne de retirer les sandales de ses pieds. »

           Pour finir, rendons à Jean-Baptiste l’hommage que Jésus lui-même lui a rendu en public : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? Un roseau agité par le vent ? Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu d’habits élégants ? Mais ceux qui sont vêtus d’habits somptueux et qui vivent dans le luxe se trouvent dans les palais des rois. Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le déclare, et plus qu’un prophète. Il est celui dont il est écrit : Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi. Je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, aucun n’est plus grand que Jean. » (Lc 7, 24-28).

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Note

1 - C’est ce qui s’est passé pour Jésus, on s’en souvient, à la synagogue de Nazareth, quelques années plus tôt ; Luc 4. Luc raconte : « Après la lecture de la Loi et des prophètes, les chefs de la synagogue envoyèrent quelqu’un pour leur dire : Frères, si vous avez un mot d’exhortation pour le peuple, prenez la parole. »

Complément

- Nous sommes ici à Antioche de Pisidie ; un peu plus tard, à Éphèse, Paul fera cette même mise au point : « Jean donnait un baptême de conversion et il demandait au peuple de croire en celui qui viendrait après lui, c’est-à-dire en Jésus. » (Ac 19,  4).

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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT LUC 1, 57 - 66. 80

 

57           Quand fut accompli le temps où Élisabeth devait enfanter,       
               elle mit au monde un fils.
58           Ses voisins et sa famille apprirent
               que le Seigneur lui avait montré la grandeur de sa miséricorde, 
               et ils se réjouissaient avec elle.
59           Le huitième jour, ils vinrent pour la circoncision de l'enfant.     
               Ils voulaient l’appeler Zacharie, du nom de son père.
60           Mais sa mère prit la parole et déclara :     
               « Non, il s’appellera Jean. »
61           On lui dit :
               « Personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! »
62           On demandait par signes au père comment il voulait l’appeler.
63           Il se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit :          
               « Son nom est Jean. »       
               Et tout le monde en fut étonné.
64           À l’instant même sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia :           
               il parlait et il bénissait Dieu.
65           La crainte saisit alors tous les gens du voisinage,
               et, dans toute la région montagneuse de Judée
               on racontait tous ces événements.
66           Tous ceux qui les apprenaient
               les conservaient dans leur cœur et disaient :
               « Que sera donc cet enfant ? »
               En effet, la main du Seigneur était avec lui.
80           L'enfant grandissait          
               et son esprit se fortifiait.
               Il alla vivre au désert
               jusqu'au jour où il se fit connaître à Israël.
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L’HISTOIRE DE LA LONGUE MISÉRICORDE DE DIEU POUR SON PEUPLE

         Dès les premières lignes de son évangile, Luc prévient son lecteur supposé, Théophile, qu’il entreprend un récit ordonné des événements ; effectivement, les deux premiers chapitres, dont nous lisons un extrait ce dimanche, sont particulièrement structurés : deux annonciations (l’ange Gabriel chez Zacharie, puis chez Marie), deux naissances (celle de Jean-Baptiste, celle de Jésus), deux circoncisions. Le tout émaillé de trois discours, ou plutôt trois cantiques d’action de grâces, le Magnificat (chant de Marie), le Bénédictus (celui de Zacharie), et le « Nunc dimittis » (celui de Syméon : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix »). Clairement, Luc nous propose de faire un parallèle entre Jean-Baptiste et Jésus.

         Ces deux naissances qui pourraient bien n’avoir d’autre portée que familiale sont en réalité l’accomplissement des grandes promesses de Dieu pour l’humanité : avant même que les trois cantiques ne le proclament, tous les détails du texte et le vocabulaire choisi par Luc nous mènent à cette découverte.

         Tout avait commencé par l’annonce à Zacharie, dont le nom, ne l’oublions pas, signifie « Dieu se souvient ». Alors qu’il officiait à l’intérieur du temple de Jérusalem, l’ange Gabriel lui annonce la naissance prochaine d’un fils : « Sois sans crainte, Zacharie, car ta prière a été exaucée. Ta femme Élisabeth t’enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jean. » Cette annonce avait de quoi surprendre Zacharie, car non seulement, lui et sa femme, Élisabeth, avaient largement passé l’âge d’avoir des enfants, mais, de surcroît, l’ange précisait que le garçon serait porteur d’une vocation exceptionnelle : « Il sera grand devant le Seigneur... Il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère. Il ramènera beaucoup de fils d’Israël au Seigneur leur Dieu ; et il marchera par-devant sous le regard de Dieu, avec l’esprit et la puissance d’Élie, pour ramener le cœur des pères vers leurs enfants. » Zacharie qui était prêtre reconnaissait probablement là les expressions mêmes du prophète Malachie : « Voici que je vais vous envoyer Élie, le prophète, avant que ne vienne le jour du SEIGNEUR, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, celui des fils vers leurs pères... » (Ml  3, 23-24).

         Mais l’homme est libre ; tout ceci était très cohérent, mais encore fallait-il faire confiance à l’ange et à travers lui, à la parole de Dieu ; moins bien inspiré que ne le sera Marie, quelque temps plus tard, Zacharie demande une preuve : « À quoi le saurai-je ? Car je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge. » L’ange lui répond : « Je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu. J’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer cette bonne nouvelle. » Et vous savez que, de ce jour, Zacharie s’est retrouvé muet, incapable d’annoncer la bonne nouvelle en laquelle il n’avait pas su croire.

         Tout ceci explique le texte d’aujourd’hui : « Quand arriva le moment où Élisabeth devait enfanter, elle mit au monde un fils. Ses voisins et sa famille apprirent que le Seigneur lui avait prodigué sa miséricorde, et ils se réjouissaient avec elle. » La miséricorde dont parlent les voisins, c’est une naissance accordée à une femme stérile. Mais Luc nous invite à replacer cet événement dans la longue miséricorde de Dieu pour son peuple : le même mot  (« eleos » qui veut dire miséricorde, bonté, amour, tendresse) revient quatre fois dans les cantiques de Zacharie et de Marie : « Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (1, 50) ; « il se souvient de son amour » (1, 54) ; « Il a montré sa miséricorde envers nos pères » (1, 72) ; « Telle est la tendresse du cœur de notre Dieu » (1, 78).

         Arriva le jour où l’enfant devait être circoncis et où il devait recevoir son nom : deux coutumes qui inscrivent le nouveau-né dans la longue suite des fidèles de l’Alliance conclue par Dieu avec Abraham. Voici ce que Dieu avait dit au patriarche : « Toi, tu garderas mon alliance, et après toi, les générations qui descendront de toi. Voici mon alliance que vous garderez entre moi et vous, c’est-à-dire ta descendance après toi : tous vos mâles seront circoncis... ce qui deviendra le signe de l’alliance entre moi et vous. Seront circoncis à l’âge de huit jours tous vos mâles de chaque génération. (Gn 17, 9-12). Et on sait l’importance que revêt pour l’homme biblique l’imposition du nom ; quand Dieu donne lui-même un nom, c’est pour une révélation et une mission : le nom de Jean (« Yo-hanan ») avait été précisé par l’ange et signifiait « Dieu a fait grâce ». Zacharie, toujours privé de la parole, en est réduit à communiquer par écrit ; mais à peine a-t-il accompli cet acte de foi, il retrouve la parole et se met à chanter ce que nous appelons le « Benedictus ». Notre lecture de ce dimanche l’annonce seulement : « Zacharie se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit : Son nom est Jean. Et tout le monde en fut étonné. À l’instant même sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia : il parlait et il bénissait Dieu. »

         « Et tout le monde en fut étonné », dit Luc : il emploie ici un mot (« Thaumazô ») qui traduit plutôt l’émerveillement ; on le retrouve à plusieurs reprises dans ce même évangile pour exprimer le sentiment de spectateurs mis en présence de quelque chose qui dépasse leur entendement, particulièrement devant les événements qui paraissent avoir une dimension divine ; ce mot apparaît plusieurs fois accompagné du mot « crainte ». Par exemple, lors de la tempête apaisée « Saisis de crainte, ils s’émerveillèrent et ils se disaient entre eux : Qui donc est-il pour qu’il commande même aux flots et qu’il lui obéissent ? » (Lc 8, 25) ; ici, on trouve également, un peu plus bas, le mot « crainte » : « La crainte saisit alors les gens du voisinage, et dans toute la montagne de Judée on racontait tous ces événements. Tous ceux qui les apprenaient en étaient frappés. » En réalité, il faudrait traduire « Tous ceux (les gens du voisinage) qui les apprenaient les écoutaient dans leur cœur ». Cette insistance sur l’écoute du cœur est intéressante, en regard du manque de foi de Zacharie : manière de nous dire que les petits sont ceux qui accueillent le plus facilement l’évangile.

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique B, Nativité de saint Jean Baptiste (24 juin 2018)

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11 juin 2018 1 11 /06 /juin /2018 06:38

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Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 16 juin 2018).

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LEC­TURE DU LIVRE D’ÉZÉ­CHIEL   17, 22 - 24

 

22        Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu :
            À la cime du grand cèdre,
            je prendrai une tige ;
            au sommet de sa ramure,
            j’en cueillerai une toute jeune,
            et je la planterai moi-même
            sur une montagne très élevée.
23        Sur la haute montagne d'Israël je la planterai.
            Elle portera des rameaux, et portera du fruit,
            elle deviendra un cèdre magnifique.
            En dessous d’elle habiteront tous les passereaux,
            et toutes sortes d'oiseaux
            à l'ombre de ses branches ils habiteront.
24        Alors tous les arbres des champs sauront
            que Je suis le SEIGNEUR :
            je renverse l'arbre élevé
            et relève l'arbre renversé,
            je fais sécher l'arbre vert
            et reverdir l'arbre sec.
            Je suis le SEIGNEUR, j’ai parlé,
            et je le ferai.
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UNE PARABOLE D’ESPÉRANCE

Pour com­pren­dre la pa­ra­bo­le d’Ézéchiel, il faut se rap­pe­ler le contex­te his­to­ri­que dans le­quel par­le le pro­phè­te : en 597, Na­bu­cho­do­no­sor, roi de Ba­by­lo­ne, s’est em­pa­ré de Jé­ru­sa­lem ; il a dé­por­té le roi et une par­tie des habitants (parmi eux, Ézéchiel). Dix ans plus tard, en 587, nou­vel­le va­gue, cet­te fois, Jé­ru­sa­lem est com­plè­te­ment dé­trui­te et pillée, une nouvelle partie de ses ha­bi­tants dé­por­tés à leur tour à Ba­by­lo­ne.

Le peu­ple juif sem­ble avoir tout per­du : sa ter­re, si­gne concret de la bé­né­dic­tion de Dieu, son roi, mé­dia­teur en­tre Dieu et le peu­ple, son Tem­ple, lieu de la Pré­sen­ce di­vi­ne. D’où la ques­tion qui, dés­or­mais, ta­rau­de tous les cœurs : Dieu au­rait-il aban­don­né son peu­ple ? C’est, au sens pro­pre du ter­me, la « ques­tion de confian­ce ».

Le mi­ra­cle de la foi, jus­te­ment, c’est qu’au sein mê­me de l’épreuve, el­le se pu­ri­fie et s’approfondit : c’est exac­te­ment ce qui s’est pas­sé pour Is­raël. L’exil à Ba­by­lo­ne a été l’occasion d’un sur­saut ex­traor­di­nai­re de la foi jui­ve ; Ézé­chiel est l’un des ar­ti­sans de ce sur­saut : avant la ca­ta­strophe, il avait aler­té le peu­ple sur les consé­quen­ces dés­as­treu­ses et in­é­vi­ta­bles de sa condui­te. Il avait mul­ti­plié les me­na­ces, dans l’espoir d’obtenir une conver­sion. Dés­or­mais, la ca­ta­strophe étant sur­ve­nue, il se consa­cre à re­le­ver l’espoir dé­faillant. À ce peu­ple hu­mi­lié, en exil, il ap­por­te une pa­ro­le d’espérance. Cet­te pa­ra­bo­le du cè­dre que nous li­sons aujourd’hui en est une.

Pour­quoi un cè­dre, d’abord ? Par­ce que le cè­dre était le sym­bo­le de la dy­nas­tie roya­le. Ézé­chiel prend l’image du cè­dre pour par­ler du roi, com­me La Fon­tai­ne pre­nait cel­le du lion. Le roi en exil est com­me un cè­dre ren­ver­sé (on em­ploie bien en fran­çais l’expression « ren­ver­ser un roi »), il est com­me un ar­bre des­sé­ché... Mais Dieu va pré­le­ver une tige tendre du vieil ar­bre et le re­plan­ter lui-mê­me.

« Sur la hau­te mon­ta­gne d’Israël, je la plan­te­rai » : la « hau­te mon­ta­gne d’Israël », c’est évi­dem­ment Jé­ru­sa­lem ; to­po­gra­phi­que­ment, ce n’est pas la plus hau­te mon­ta­gne du pays, mais c’est d’une au­tre élé­va­tion qu’il est ques­tion ! Cet­te phra­se an­non­ce donc deux cho­ses : le re­tour au pays et la res­tau­ra­tion du royau­me de Jé­ru­sa­lem

Et la pe­ti­te bou­ture de­vien­dra un cè­dre ma­gni­fi­que. Tel­le­ment vas­te que tous les pas­se­reaux du mon­de vien­dront y fai­re leur nid, tou­tes sor­tes d’oiseaux ha­bi­te­ront à l’ombre de ses bran­ches. « Tous les ar­bres des champs sau­ront que je suis le SEIGNEUR ». « Tous les ar­bres des champs », c’est-à-di­re le mon­de en­tier, mê­me les païens, ceux qui n’ont rien à voir avec le cè­dre de la royau­té. Quant à l’expression « ils sau­ront que Je suis le SEIGNEUR », nous l’avons dé­jà ren­con­trée ; el­le si­gni­fie « Je suis le SEIGNEUR, il n’y en a pas d’autre ». Thè­me très fré­quent chez les pro­phè­tes, dans le ca­dre de leur lut­te contre l’idolâtrie. La sui­te du tex­te va dans le mê­me sens : quand un pro­phè­te in­sis­te sur la puis­san­ce de Dieu, c’est tou­jours pour mar­quer le contras­te avec les ido­les qui, el­les, sont in­ca­pa­bles du moin­dre ges­te, de la moin­dre ac­tion.

 

RIEN N’EST IMPOSSIBLE À DIEU

« Je suis le SEIGNEUR, je ren­ver­se l’arbre éle­vé, je re­lè­ve l’arbre ren­ver­sé, je fais sé­cher l’arbre vert, et re­ver­dir l’arbre sec. » Il ne s’agit pas du tout de pré­sen­ter Dieu com­me jouant pour son plai­sir avec la créa­tion, au gré de quel­que ca­pri­ce... ce qui se­rait, tout comp­te fait, très in­quié­tant ; au contrai­re, c’est une ma­niè­re de nous ras­su­rer, du sty­le « rien n’est im­pos­si­ble à Dieu ». Vous, les croyants, ne vous lais­sez pas im­pres­sion­ner par qui que ce soit, ou quoi que ce soit, fai­tes confian­ce, tout est dans la main de Dieu.

« Je suis le SEIGNEUR, j’ai parlé et je le fe­rai » : ce­la veut di­re au moins deux cho­ses : d’abord, bien sûr, dans le mê­me sens que tout ce que je viens de di­re, la puis­san­ce de Dieu, l’efficacité de sa Pa­ro­le.

Le poè­me de la Créa­tion, au pre­mier cha­pi­tre de la Ge­nè­se, qui a été écrit sen­si­ble­ment à la mê­me épo­que, ré­pè­te com­me un re­frain : « Dieu dit... et il en fut ain­si ».

En­sui­te, il y a cer­tai­ne­ment là, pour le peu­ple juif, un rap­pel de ce que l’on pour­rait ap­pe­ler la gran­de pro­mes­se, ou la gran­de es­pé­ran­ce ; ce qu’Ézéchiel dit là, c’est quel­que cho­se com­me « c’est vrai, ap­pa­rem­ment, tout est per­du ; mais n’oubliez ja­mais que Dieu est fi­dè­le à ses pro­mes­ses ; donc, quel­les que soient les ap­pa­ren­ces, la pro­mes­se fai­te au roi Da­vid est tou­jours va­la­ble. »

Je l’ai dit et je le fe­rai, ce­la re­vient à di­re « J’ai pro­mis, donc je tien­drai ».

Cet­te pro­mes­se fai­te à Da­vid, par le pro­phè­te Na­tan, quatre cents ans plus tôt, an­non­çait un roi idéal né de sa des­cen­dan­ce. On la trou­ve au deuxième li­vre de Sa­muel : « Lors­que tes jours se­ront ac­com­plis et que tu se­ras cou­ché avec tes pè­res, j’élèverai ta des­cen­dan­ce après toi, ce­lui qui se­ra is­su de toi-mê­me, et j’établirai fer­me­ment sa royau­té... Je se­rai pour lui un pè­re et il se­ra pour moi un fils... Ta mai­son et ta royau­té se­ront à ja­mais sta­bles, ton trô­ne à ja­mais af­fer­mi. » (2 S 7, 12... 17).

Cet­te pro­mes­se ré­per­cu­tée de siè­cle en siè­cle par les pro­phè­tes a nour­ri l’espérance d’Israël aux heu­res les plus som­bres. La pa­ra­bo­le du cè­dre, chez  Ézé­chiel, en est la re­pri­se ima­gée. Au mo­ment où le peu­ple dé­po­si­tai­re de la pro­mes­se ex­pé­ri­men­te cruel­le­ment son im­puis­san­ce, l’insistance du pro­phè­te sur l’œuvre de Dieu et de Dieu seul, est la meilleu­re sour­ce de confian­ce.

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PSAU­ME   91  (92), 2-3, 13-14, 15-16

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2          Qu'il est bon de rendre grâce au SEIGNEUR,
            de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut,
3          d'annoncer dès le matin ton amour,
            ta fidélité, au long des nuits,

13        Le juste grandira comme un palmier,
            il poussera comme un cèdre du Liban ;
14        planté dans les parvis du SEIGNEUR,
            il grandira dans la maison de notre Dieu.

15        Vieillissant, il fructifie encore,
            il garde sa sève et sa verdeur
16        pour annoncer : « Le SEIGNEUR est droit !
            Pas de ruse en Dieu, mon rocher ! »

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LE PIÈGE DU SOUPÇON

« Pas de ruse en Dieu, mon rocher » : le peuple d’Israël sait bien qu’il lui est arrivé d’accuser Dieu de ruse ; dans le désert du Sinaï, par exemple, un jour de grande soif, quand la déshydratation menaçait bêtes et gens, on avait accusé Moïse et Dieu : ils nous ont fait sortir d’Égypte, en nous faisant miroiter la liberté, mais en réalité, c’était pour nous perdre ici. C’est le fameux épisode de Massa et Meriba (Ex 17, 1-7) ; or, malgré ces murmures, ces bruits de révolte, Dieu avait été plus grand que son peuple en colère ; il avait fait couler l’eau d’un rocher. Désormais, on appelait Dieu « notre rocher », manière de rappeler la fidélité de Dieu plus forte que tous les soupçons de son peuple.

Dans ce rocher, Israël a puisé l’eau de sa survie... Mais surtout, au long des siècles, la source de sa foi, de sa confiance... C’est la même chose de dire à la fin du psaume « Dieu est mon rocher » ou au début du psaume « J’annonce dès le matin, ton amour, ta fidélité, au long des nuits ». Le rappel du rocher, c’est le rappel de l’expérience du désert, et de la fidélité de Dieu plus forte que toutes les révoltes... Et la formule « ton amour et ta fidélité », c’est également le rappel de l’expérience du désert : c’est l’expression employée par Dieu lui-même pour se faire connaître à son peuple : « Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté... » (Ex 34, 6).

Bien souvent, cette expression a été reprise dans la Bible, et en particulier dans les Psaumes, comme un rappel de l’Alliance entre Dieu et son peuple : « Dieu d’amour et de fidélité, lent à la colère et plein d’amour... »

L’épisode de Massa et Meriba dont je parlais il y a un instant, (ou plutôt cette séquence), épreuve du désert, soupçon du peuple, intervention de Dieu, s’est répété bien des fois, quand on a eu soif, mais aussi quand l’eau n’était pas bonne ou quand on eu faim (rappelons-nous la manne et les cailles et les eaux amères de Mara). Cela s’est répété si souvent qu’on a fini par comprendre que c’était presque inévitable, si on n’y prenait pas garde... Parce que l’homme est tenté d’accuser Dieu de ruse chaque fois que quelque chose ne va pas selon ses désirs. Et alors, pour bien retenir cette leçon capitale, on a écrit le récit du Jardin d’Éden : un serpent, particulièrement rusé, fait croire à l’homme et à la femme que c’est Dieu qui ruse avec eux. Il insinue : Dieu vous interdit les meilleurs fruits sous prétexte de vous garder du danger, il prétend que ces fruits sont vénéneux, alors que c’est tout le contraire. Et l’homme et la femme tombent dans le piège. Et c’est toujours la même histoire depuis que le monde est monde.

Comment se prémunir une fois pour toutes contre ce danger ? Ce psaume nous dit le moyen de nous protéger : il suffit de se planter dans le Temple comme un cèdre et de chanter pour Dieu « Qu’il est bon de rendre grâce au SEIGNEUR, de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut ». On devrait traduire « il est bon pour nous de rendre grâce au SEIGNEUR, il est bon pour nous de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut ». Car, en fait, le peuple d’Israël ne nous a pas attendus pour comprendre que notre chant pour Dieu, c’est à nous qu’il fait du bien ! Saint Augustin dira : « Tout ce que l’homme fait pour Dieu profite à l’homme et non à Dieu ». Chanter pour Dieu, résolument, ouvrir les yeux sur son amour et sa fidélité, dès le matin et au long des nuits, c’est se protéger des ruses du serpent.

ANNONCER LA FIDÉLITÉ DE DIEU

Pour le dire, le psalmiste emploie l’expression : « Qu’il est bon... » ; c’est le même mot « bon » (tôv en hébreu) qui est employé pour dire « bon à manger » ;

Encore faut-il y avoir goûté pour pouvoir en parler !

Le psaume dit un peu plus loin (dans un verset qui n’est pas lu ce dimanche) « l’homme borné ne le sait pas... l’insensé ne peut pas le comprendre »... Mais le croyant, lui le sait : oui il est bon pour nous de chanter l’amour de Dieu et sa fidélité. Parce que c’est la vérité et que seule cette confiance invincible dans l’amour de Dieu, dans son dessein bienveillant, peut illuminer notre vie en toutes circonstances... alors que la méfiance, le soupçon fausse complètement notre regard. Soupçonner Dieu de ruse, c’est le piège dans lequel il ne faut pas tomber, un piège mortel.

Celui qui se protège ainsi est, dit notre psaume, comme un arbre qui « garde sa sève et sa verdeur » : en Terre Sainte, c’est une image très suggestive. Si les cèdres du Liban, les palmiers des oasis font rêver, c’est parce qu’ici, le problème de l’eau est crucial ; l’eau est vitale et par endroits, tellement rare. On attend avec impatience la moindre pluie de printemps qui fait reverdir les paysages désertiques tout près de Jérusalem. Pour le croyant, l’eau vivifiante, c’est la présence de son Dieu. Si bien que, quand Jésus, plus tard, parlera d’eau vive, il ne fera que reprendre une image déjà bien connue.

Il est bon pour nous de prendre conscience et de chanter que Dieu est Amour... mais il est bon aussi pour les autres que nous le leur disions... C’est ce que veut dire la répétition du mot « annoncer » au début et à la fin du psaume. On a ici une « inclusion » : au début « Qu’il est bon de rendre grâce au SEIGNEUR, de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut, d’annoncer dès le matin ton amour » et à la fin « Le juste est comme un cèdre du Liban... vieillissant, il fructifie encore pour annoncer « le SEIGNEUR est droit ! » Ici, le mot « annoncer » signifie « annoncer aux autres, aux non-croyants »... Le peuple d’Israël n’oublie pas sa mission d’être témoin de l’amour de Dieu pour tous les hommes.

Dernière remarque : ce psaume porte une inscription tout au début (qu’on appelle la « suscription1 ») : elle précise que c’est un psaume pour le jour du sabbat, le jour par excellence où l’on chante l’amour et la fidélité de Dieu. C’est le jour ou jamais de le faire, bien sûr. Nous, Chrétiens, pourrions bien en faire le psaume du dimanche ; car notre dimanche chrétien ne fait pas autre chose : chanter l’amour et la fidélité de Dieu qui se sont manifestés de manière totale et définitive en Jésus-Christ.

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Note

1 - La suscription : dans certains psaumes, le premier verset ne fait pas partie de la prière ; il est une indication pour sa mise en œuvre ou bien une présentation du thème et de l’esprit dans lequel il doit être chanté. On rencontre souvent, par exemple, la formule « De David ». Cela ne signifie pas que David est l’auteur incontesté du psaume en question, mais qu’il aurait pu partager la prière ou les sentiments qui y sont exprimés. On peut traduire « À la manière de David ».

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LEC­TURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE L’APÔTRE PAUL AUX CORINTHIENS   5, 6 - 10

 

            Frères,
6          nous gardons toujours confiance,
            tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur
            tant que nous demeurons dans ce corps ;
7          en effet, nous cheminons dans la foi,
            non dans la claire vision.
8          Oui, nous avons confiance,
            et nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps
            pour demeurer près du Seigneur.
9          Mais, de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors,
            notre ambition, c'est de plaire au Seigneur.
10        Car il nous faudra tous apparaître à découvert
            devant le tribunal du Christ,
            pour que chacun soit rétribué selon ce qu'il a fait,
            soit en bien soit en mal,
            pendant qu'il était dans son corps.
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LA MORT COMME UNE NAISSANCE

Qui sait ce que pen­se le bé­bé qui va naî­tre ; est-il cons­cient, seu­le­ment ? Et s'il l'est, appréhende-t-il ce pas­sa­ge ? Il pa­raît qu'une fois né, la lu­miè­re du jour l'aveugle, lui qui était dans l'obscurité ; jusqu'ici, il en­ten­dait quel­ques voix, dés­or­mais, il ver­ra fa­ce à fa­ce ceux qui l'ont ai­mé, ceux qui lui ont par­lé, ceux qui lui ont don­né son nom avant mê­me qu'il le sa­che.

Eh bien, pour Paul, la mort est une nais­san­ce. Jus­que-là, nous som­mes com­me l’enfant qui va naî­tre ; nous aus­si, nous som­mes dans l’obscurité. Mais quand nous naî­trons à la vraie vie, nous se­rons en plei­ne lu­miè­re.

« Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un mi­roir ; ce jour-là, nous verrons fa­ce à fa­ce. » (1 Co 13,12)

Tout com­me le temps de la ges­ta­tion n’a de sens qu’en fonc­tion de la nais­san­ce qui se pré­pa­re, no­tre vie ter­res­tre n’a de sens qu’en fonc­tion de la vie dé­fi­ni­ti­ve au­près du Sei­gneur. 

En at­ten­dant, heu­reu­se­ment, dans cet­te obs­cu­ri­té, il y a un rayon de lu­miè­re, c’est la foi. C’est el­le qui nous ai­de à che­mi­ner, qui nous ai­de à pré­pa­rer la nais­san­ce qui ap­pro­che : « Nous che­mi­nons dans la foi, non dans la claire vision ». C’est la foi qui nous ré­vè­le le sens de no­tre vie ac­tuel­le, le sens de no­tre mort. C’est dans la foi que nous sa­vons que no­tre mort est une nais­san­ce.

Paul la com­pa­re ici à  un pas­sa­ge de fron­tiè­re en­tre l’exil et la mè­re-pa­trie. Pour l’instant, nous dit-il, nous som­mes  « en exil loin du Sei­gneur ». Car no­tre vraie pa­trie, c’est Lui.

C’est dans la foi, aus­si, que nous sa­vons que no­tre vie a un sens, c’est-à-di­re à la fois u­ne di­rec­tion et une significa­tion. La di­rec­tion, on la connaît : pour le bé­bé, c’est le jour de l’accouchement, de la nais­san­ce... pour nous, le jour de no­tre mort bio­lo­gi­que ; la si­gni­fi­ca­tion, on ris­que peut-être plus de l’oublier ; alors Paul  y in­sis­te ; car sur ce point, no­tre si­tua­tion est très dif­fé­ren­te de cel­le du bé­bé qui va naî­tre : lui ne peut rien fai­re pour ac­ti­ver les choses ; tout se dé­rou­le en-de­hors de lui ; tan­dis que nous, nous avons un rô­le ca­pi­tal à jouer : no­tre vie terrestre est vrai­ment le temps d’une ges­ta­tion ; tout ce que nous fai­sons aujourd’hui pré­pa­re de­main.

Paul s’en explique dans la let­tre aux Phi­lip­piens : « Pour moi, vi­vre, c’est Christ, et mou­rir m’est un gain. Mais si vivre ici-bas doit me per­met­tre un tra­vail fé­cond, je ne sais que choi­sir. Je suis pris dans ce dilemme : j’ai le dé­sir de m’en al­ler et d’être avec Christ, et c’est de beau­coup pré­fé­ra­ble, mais de­meu­rer ici-bas est plus né­ces­sai­re à cause de vous. » (Ph 1, 21-23).

On voit bien ici que Paul a dé­pas­sé la crain­te de la mort, au contrai­re il la dé­si­re.

 

LE BUT DU VOYAGE

Pour au­tant, no­tre vie ter­res­tre n’est pas igno­rée, mé­pri­sée ; el­le est orien­tée ; el­le n’est pas dé­pré­ciée, car c’est son but, au contrai­re, qui lui don­ne tout son prix. Un peu com­me quand on est en voya­ge, il est es­sen­tiel de ne jamais per­dre de vue le but du voya­ge ; et c’est le but qu’on s’est fixé qui jus­ti­fie tout le res­te, la rou­te choi­sie, les éta­pes, et mê­me les dif­fi­cul­tés du che­min... Or, quel est le but du voya­ge du Chré­tien ? De­meu­rer au­près du Seigneur, de fa­çon to­ta­le et dé­fi­ni­ti­ve et fai­re en­trer dans cet­te de­meu­re, dans cet­te mè­re-pa­trie tous les exi­lés que nous avons ren­con­trés sur no­tre rou­te.

Or l’efficacité de nos ef­forts n’est pas tou­jours évi­den­te ! Sur ce point aus­si nous som­mes dans l’obscurité... Peut-être ici, pour com­pren­dre ce tex­te, faut-il es­sayer d’imaginer ce que peu­vent être les sen­ti­ments d’un apô­tre qui consa­cre tou­tes ses for­ces à sa mis­sion et qui n’en voit guè­re les fruits. Com­bien ont eu l’impression de tra­vailler en pu­re per­te, de prê­cher dans le dé­sert, com­me on dit ? C’est à eux que Paul s’adresse. Et c’est pour ce­la qu’il insis­te tel­le­ment sur la confian­ce : «  Nous avons plei­ne confian­ce... Oui, nous avons confian­ce... ». S’il doit le ré­pé­ter, c’est que ce­la ne va peut-être pas de soi tous les jours pour tout le mon­de !

Nous ne ver­rons que plus tard la ré­col­te, pour l’instant, il ne faut pas se las­ser de se­mer. Quel gen­re de grai­nes ? On s’en dou­te, évi­dem­ment. Paul em­ploie l’expression : « Mon am­bi­tion, c’est de plai­re au Sei­gneur » ; il suf­fit d’avoir un peu lu l’Ancien Tes­ta­ment pour sa­voir ce qui plaît au Sei­gneur. À commencer par le prophète Mi­chée : « On t’a fait sa­voir, ô hom­me, ce qui est bien, ce que le SEI­GNEUR at­tend de toi : rien d’autre que de pra­ti­quer le droit, d’aimer la jus­ti­ce et de mar­cher hum­ble­ment avec ton Dieu ». (Mi 6, 8).

Jé­ré­mie dit exac­te­ment la mê­me cho­se, il  dit, ce qui plaît au Sei­gneur,  c’est le droit, la so­li­da­ri­té, la jus­ti­ce ; « Ainsi par­le le SEI­GNEUR : que le sa­ge ne se van­te pas de sa sa­ges­se ! Que l’homme fort ne se van­te pas de sa for­ce ! Que le ri­che ne se van­te pas de sa ri­ches­se ! Si quelqu’un veut se van­ter, qu’il se van­te de ce­ci : d’être assez ma­lin pour me connaî­tre, moi, le SEI­GNEUR, qui mets en œu­vre la so­li­da­ri­té, le droit et la jus­ti­ce sur la terre. Oui, c’est ce­la qui me plaît - ora­cle du SEI­GNEUR ». (Jr 9, 22-23).

Isaïe a mê­me pous­sé l’audace jusqu’à dire qu’un païen com­me le roi Cy­rus pou­vait plai­re au Sei­gneur par­ce qu’il tra­vaillait dans le bon sens si j’ose di­re, quand il avait contri­bué à la re­con­struc­tion de la ville de Jé­ru­sa­lem et du Tem­ple après l’Exil à Ba­by­lo­ne.

Peut-être au­rons-nous des sur­pri­ses en pas­sant la fron­tiè­re ? Com­me les hom­mes de la pa­ra­bo­le rapportée par saint Mat­thieu ; à cer­tains, le Sei­gneur di­ra : « Ve­nez, les bé­nis de mon Pè­re... Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à man­ger ; j’ai eu soif et vous m’avez don­né à boi­re... Alors ils de­man­de­ront : Sei­gneur, quand nous est-il ar­ri­vé de te voir af­fa­mé et de te nour­rir, as­soif­fé et de te don­ner à boi­re ?... » Eux aus­si, com­me di­rait Paul, cheminaient sans voir. Et dans la let­tre aux Éphé­siens, il nous le pro­met : « Vous le sa­vez, ce qu’il aura fait de bien, cha­cun le re­tro­u­ve­ra au­près du Sei­gneur. » (Ep 6, 8).

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ÉVAN­GI­LE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MARC   4, 26 - 34

 

            Parlant à la foule en paraboles,
26        Jésus disait :
            « Il en est du règne de Dieu
            comme d'un homme
            qui jette en terre la semence :
27        nuit et jour,
            qu'il dorme ou qu'il se lève,
            la semence germe et grandit,
            il ne sait comment.
28        D'elle-même, la terre produit d'abord l'herbe,
            puis l'épi, enfin du blé plein l'épi.
29        Et dès que le blé est mûr,
            il y met la faucille,
            puisque le temps de la moisson est arrivé. »
30        Jésus disait encore :
            « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ?
            Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ?
31        Il est comme une graine de moutarde :
            quand on la sème en terre,
            elle est la plus petite de toutes les semences.
32        Mais quand on l'a semée,
            elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ;
            et elle étend de longues branches,
            si bien que les oiseaux du ciel
            peuvent faire leur nid à son ombre. »
33        Par de nombreuses paraboles semblables,
            Jésus leur annonçait la Parole,
            dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre.
34        Il ne leur disait rien sans parabole,
            mais il expliquait tout à ses disciples en particulier.
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UN ROYAUME PAS COMME LES AUTRES

Jé­sus ne dis­ait rien à la fou­le sans em­ployer de pa­ra­bo­les, nous dit Marc ; c’était certaine­ment la seu­le ma­niè­re d’avoir un pe­tit es­poir d’être com­pris ! Car la le­çon était quand mê­me ru­de à fai­re pas­ser ! Jé­sus lui-mê­me annonce d’entrée de jeu qu’il va par­ler du Royau­me de Dieu, mais tout le monde a dé­jà des idées là-des­sus ; et les idées des hommes ne co­ïn­ci­dent pas du tout avec les sien­nes, ap­pa­rem­ment ! Alors il lui faut dé­ployer tou­te une pé­da­go­gie dans la li­gne de la conver­sion que l’Ancien Tes­ta­ment avait dé­jà en­tre­pri­se.

Au dé­but, le peu­ple d’Israël, com­me tous les peu­ples, ne pou­vait en­vi­sa­ger le Rè­gne de Dieu qu’en ter­mes de Sou­ve­rai­ne­té.

Les psau­mes, par exem­ple, chan­tent la sou­ve­rai­ne­té de Dieu sur le mon­de : « Le SEI­GNEUR a éta­bli son trô­ne dans les cieux et sa royau­té do­mi­ne tout. » (Ps 102/103, 19)... « Le Sei­gneur, le Très-Haut est ter­ri­ble ; il est le grand roi sur tou­te la ter­re. » (Ps 46/47, 3)... « Le SEI­GNEUR est roi, il est vê­tu de ma­jes­té. » (Ps 92/93, 1)... « Le SEI­GNEUR est roi, que la ter­re exul­te, que tous les ri­va­ges se ré­jouis­sent. » (Ps 96/97, 1).

Dans cet­te op­ti­que, di­re « À toi le rè­gne, la puis­san­ce et la gloi­re »  re­vient à di­re « c’est toi le plus fort ! » Si les tex­tes du li­vre de l’Exode nous pré­sen­tent tou­jours les ren­con­tres de Moï­se avec Dieu dans l’o­rage, les éclairs, le feu et le trem­ble­ment de la mon­ta­gne, c’est que sans tou­tes ces preu­ves de gran­deur et de puis­san­ce, le peu­ple n’aurait ja­mais pu pren­dre ce Dieu au sé­rieux !

Mê­me le grand pro­phè­te Élie, au dé­but de sa car­riè­re, ne peut pas ima­gi­ner Dieu au­tre­ment que dans des manifes­ta­tions gran­dio­ses : et c’est le feu du ciel qu’il im­plo­re pour im­pres­sion­ner les pro­phè­tes des ido­les. On se souvient de cet­te gran­de dé­mon­stra­tion qui de­vait fai­re tai­re à tout ja­mais les  in­cré­du­les : « À l’heure de l’offrande, le pro­phè­te Élie s’approcha et dit : SEIGNEUR, Dieu d’Abraham et d’Israël, fais que l’on sa­che aujourd’hui que c’est toi qui es Dieu en Is­raël... Ré­ponds-moi, ré­ponds-moi : que ce peu­ple sa­che que c’est toi, SEI­GNEUR, qui es Dieu...  Et le feu du SEI­GNEUR tom­ba et dé­vo­ra l’holocauste, le bois, les pier­res, la pous­siè­re, et il ab­sor­ba mê­me l’eau qui était dans le fos­sé. À cet­te vue, tout le peu­ple se je­ta fa­ce contre ter­re et dit : C’est le SEI­GNEUR qui est Dieu ; c’est le SEI­GNEUR qui est Dieu ! » (1 R 18, 36-39).

Ce jour-là, Dieu n’a pas dés­a­voué son pro­phè­te, mais, quel­que temps après…

On se souvient comment, plus tard, Dieu a ré­vé­lé au prophète Élie que sa puis­san­ce n’est pas ce que l’homme croit spon­ta­né­ment. C’est le fa­meux épi­so­de d’Élie à l’Horeb : « Le SEI­GNEUR dit à Élie : Sors et tiens-toi sur la mon­ta­gne de­vant le SEIGNEUR ; voi­ci, le SEI­GNEUR va pas­ser. Il y eut de­vant le SEI­GNEUR un vent fort et puissant qui éro­dait les mon­ta­gnes et fra­cas­sait les ro­chers ; le SEI­GNEUR n’était pas dans le vent. Après le vent, il y eut un trem­ble­ment de ter­re ; le SEI­GNEUR n’était pas dans le trem­ble­ment de ter­re. Après le trem­ble­ment de ter­re, il y eut un feu ; le SEI­GNEUR n’était pas dans le feu. Et après le feu, le bruis­se­ment d’un souf­fle té­nu (une bri­se lé­gè­re). Alors, en l’entendant, Élie se voi­la le vi­sa­ge avec son man­teau. » (1 R 19, 11-13). Cet­te fois, Élie avait tout com­pris : Dieu n’est pas dans les dé­mon­stra­tions de puis­san­ce que nous ai­mons tant, il est dans la bri­se lé­gè­re.

Ce pa­ra­doxe, si on y ré­flé­chit, parcourt toute la Bi­ble, dès l’Ancien Tes­ta­ment : à commencer par le choix surprenant d’un tout petit peuple pour porter au monde la plus grande des nouvelles. Et que dire du choix d’un hom­me bè­gue (Moï­se) com­me por­te-pa­ro­le et d’un cou­ple sté­ri­le (Abra­ham et Sa­ra) pour por­ter l’espoir d’une descen­dan­ce nom­breu­se com­me les étoi­les. Dieu a choi­si un pe­tit ber­ger de Beth­léem pour vain­cre le géant Goliath ; et des siè­cles plus tard, c’est aus­si de Beth­léem, pe­tit villa­ge in­si­gni­fiant que sor­ti­ra le Fils de Dieu lui-même ; le­quel va vi­vre ca­ché pen­dant tren­te ans dans une bour­ga­de per­due dont on se de­man­dait « Que peut-il sor­tir de bon de Na­za­reth ? »

Ce qui sort de Na­za­reth, jus­te­ment, c’est le Ver­be, com­me dit saint Jean, la Pa­ro­le : com­me une se­men­ce, el­le est je­tée à tous les vents, aux ris­ques de la mau­vai­se ter­re et des pié­ti­ne­ments ; et Dieu sait si le Ver­be a été pié­ti­né ; au ris­que mê­me de se fai­re trai­ter de possédé du démon (Béel­zé­boul : Mc 3, 22) ; mais il court le ris­que quand même, sim­ple­ment par­ce que c’est la seu­le cho­se à fai­re. À tra­vers mê­me les échecs ap­pa­rents du Christ, la déchéan­ce et la mort sur la Croix, s’est le­vé sur le mon­de le tri­om­phe de l’amour.

 

CONFIANCE, LA MOISSON VIENDRA

Tel­le est la le­çon de ces pa­ra­bo­les, une ma­gni­fi­que le­çon de confian­ce : Dieu agit, le royau­me est une se­men­ce qui ger­me ir­ré­sis­ti­ble­ment, il est peut-être en­co­re in­vi­si­ble, mais la mois­son vien­dra. Jé­sus nous dit quel­que cho­se com­me : « Vous sa­vez la puis­san­ce de vie qui se ca­che mê­me dans une tou­te pe­ti­te grai­ne. Conten­tez-vous de se­mer : c’est vo­tre tra­vail de jar­di­niers. Dieu vous fait confian­ce pour cul­ti­ver son jar­din. À vo­tre tour, fai­tes-lui confian­ce : la se­men­ce pous­se­ra tou­te seu­le, car c’est Dieu qui agit... C’est vo­tre meilleu­re ga­ran­tie. »

Jé­sus l’avait bien dit en par­lant de lui-même : « En vé­ri­té, en vé­ri­té je vous le dis, si le grain de blé qui tom­be en ter­re ne meurt pas, il res­te seul ; si, au contrai­re il meurt, il por­te du fruit en abon­dan­ce. » (Jn 12, 24). C’est là que se ma­ni­fes­te la vraie puis­san­ce de Dieu : la pa­ro­le se­mée dans la pau­vre­té et l’humilité de­vient peu à peu un ar­bre im­men­se dont les bras sont as­sez grands pour ac­cueillir l’humanité tout en­tiè­re. Voilà le des­sein bien­veillant de Dieu : « Ré­u­nir l’univers en­tier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la ter­re. »

« La grai­ne de mou­tar­de, quand on la sè­me en ter­re, el­le est la plus pe­ti­te de tou­tes les se­men­ces du mon­de. Mais quand on l’a se­mée, el­le gran­dit et dé­pas­se tou­tes les plan­tes po­ta­gè­res, et el­le étend de lon­gues bran­ches, si bien que les oi­seaux du ciel peu­vent fai­re leur nid à son om­bre. »

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique B, 11e dimanche du Temps ordinaire (17 juin 2018)

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4 juin 2018 1 04 /06 /juin /2018 21:35

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 9 juin 2018).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celle-d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE LA GENÈSE  3, 9-15

 

            Lorsque Adam eut mangé du fruit de l’arbre,
9          Le SEIGNEUR Dieu l’appela et lui dit :
            « Où es-tu donc ? »
10        Il répondit :
            « J'ai entendu ta voix dans le jardin,
            j'ai pris peur parce que je suis nu,
            et je me suis caché. »
11        Le SEIGNEUR reprit :
            « Qui donc t'a dit que tu étais nu ?
            Aurais-tu mangé de l'arbre
            dont je t'avais interdit de manger ?
12        L'homme répondit :
            « La femme que tu m'as donnée,
            c'est elle qui m'a donné du fruit de l'arbre,   
            et j'en ai mangé. »
13        Le SEIGNEUR Dieu dit à la femme :
            « Qu'as-tu fait là ? »
            La femme répondit :
            « Le serpent m'a trompée,
            et j'ai mangé. »
14        Alors le SEIGNEUR Dieu dit au serpent :
            « Parce que tu as fait cela,
            tu seras maudit parmi tous les animaux,
            et toutes les bêtes des champs.
            Tu ramperas sur le ventre et tu mangeras de la poussière
            tous les jours de ta vie.
15        Je mettrai une hostilité entre toi et la femme,
            entre ta descendance et sa descendance :
            celle-ci te meurtrira la tête,
            et toi, tu lui meurtriras le talon. »
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         On se souvient du récit de la Genèse : Dieu plante un jardin, peuplé d’arbres de toute sorte ; au centre du jardin, l’arbre de la vie, et puis, quelque part, dans ce même jardin, un autre arbre, celui de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. Notons-le bien au passage, le texte ne dit pas de manière précise où est ce deuxième arbre.

         Dieu confie ce jardin à l’homme pour qu’il le cultive et qu’il le garde ; la consigne est simple : « Tu pourras manger de tous les arbres du jardin, sauf d’un seul, celui-là, précisément, l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » Puis Dieu crée la femme ; survient un serpent qui entame la conversation : « Alors, comme cela, Dieu a dit de ne pas manger de tous les arbres du jardin ? » La femme est bien honnête, elle rectifie le propos : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas, afin de ne pas mourir. »

         Elle est bien honnête et elle croit rectifier le propos, mais, sans le savoir, elle déforme déjà la vérité : le seul fait d’être entrée en conversation avec le serpent a déjà faussé son regard : on pourrait dire désormais que « l’arbre lui cache la forêt ». Maintenant, c’est l’arbre interdit qu’elle voit au milieu du jardin (et non l’arbre de vie). Le serpent peut continuer son petit travail de sape : « Mais non ! Vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, possédant la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » Devenir comme des dieux, par un simple geste magique, c’est irrésistible ; et la femme se laisse tenter. Le texte est laconique : « Elle en prit un fruit dont elle mangea, elle en donna aussi à son mari qui était avec elle et il en mangea. Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus. Ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des pagnes. »

         Jusqu’ici, leur nudité (traduisez leur fragilité) ne les gênait pas l’un vis à vis de l’autre ; un peu plus haut, on peut lire : « Tous deux étaient nus, l’homme et la femme, sans se faire mutuellement honte. » Ils pouvaient être transparents l’un pour l’autre, et l’homme accueillait sa femme nouvellement créée avec émerveillement : « Voici l’os de mes os et la chair de ma chair. »  Désormais, ils ont honte l’un en face de l’autre. Finie la transparence.

         De la même manière, leur nudité, leur fragilité, ne les gênait pas non plus face à Dieu : ils étaient en confiance. Mais le serpent leur a soi-disant ouvert les yeux en leur susurrant que Dieu n’était pas leur allié, qu’il voulait garder le meilleur pour lui, qu’il les redoutait presque ! « Il a peur que vous deveniez ses égaux ! »

         En fait, réellement, leurs yeux se sont ouverts, mais leur regard est complètement faussé : désormais, ils vivront dans la peur de Dieu, et c’est pour cela qu’ils se cachent. Mais voilà que Dieu les cherche et les interroge : « Qui donc t'a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de manger ? »

         Visiblement, le projet de Dieu est contrarié : l’homme n’aurait pas dû prendre conscience de sa nudité-fragilité de cette manière-là : il aurait dû pouvoir vivre sa condition dans la sérénité, et non dans cette peur et cette gêne qui viennent de s’emparer de lui. Aux questions de Dieu, l’homme et la femme répondent en disant la pure vérité, sans rien ajouter, sans rien retrancher : chacun des deux s’est laissé influencer et a désobéi ; l’homme dit : « La femme que tu m'as donnée, c'est elle qui m'a donné du fruit de l'arbre, et j'en ai mangé. » Et la femme ajoute : « Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé. » En définitive, tout vient du serpent.

         On peut en tirer au moins une conclusion : le mal n’est pas dans l’homme ; voilà déjà une affirmation capitale de la Bible. Face à des civilisations pessimistes qui considèrent l’humanité comme foncièrement mauvaise, la Révélation affirme que le mal est extérieur à l’homme. Quand l’humanité s’engage sur des fausses pistes, c’est parce qu’elle a été trompée, séduite. Toute la lutte des prophètes, pendant toute la durée de l’histoire biblique vise justement les innombrables séductions qui menacent l’homme.

         Le texte va plus loin ; Dieu dit au serpent : « Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux. » Ce qui revient à dire que le mal est maudit par Dieu ; la colère de Dieu, dans la Bible, est toujours contre ce qui détruit l’homme. Cela veut dire aussi que le mal est complètement étranger à Dieu : voilà encore une question que nous nous posons souvent : d’où vient le mal ? Est-ce Dieu qui l’a voulu ? La Bible répond deux choses : le mal ne vient pas de Dieu, et nous avons vu, déjà, qu’il ne fait pas non plus partie de la nature de l’homme.

         L’homme et la femme avaient raison de vouloir être comme des dieux, et d’ailleurs, Dieu ne le leur reproche pas, puisqu’ils sont faits à sa ressemblance, et que le souffle de Dieu est la respiration de l’homme. Mais ils se sont laissé prendre à la tentation d’assouvir leur désir par eux-mêmes, dans une sorte de geste magique ; et ils n’ont expérimenté que le malheur.

         Mais tout n’est pas perdu, et c’est la troisième bonne nouvelle de ce texte : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. » C’est un combat qui est annoncé là ; un combat dont l’issue est déjà certaine. Car c’est au serpent que Dieu s’adresse : il sera atteint à la tête, la femme seulement au talon ; ce qui dit bien, de manière imagée, que l’humanité aura le dessus. Le mal n’aura pas le dernier mot.

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Compléments

- Pour traduire littéralement le texte hébreu (Gn  2, 9), il faudrait parler de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » ; mais cette traduction, grammaticalement bonne, risque de nous entraîner dans un véritable contresens : les mots « bien » et « mal » ont en français un sens abstrait qui ne correspond nullement à la sensibilité concrète, existentielle de la pensée hébraïque. C’est pourquoi, dans ce commentaire, on emploie de préférence l’expression « l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux ».

- À la cour du roi Salomon, on se préoccupait de découvrir la sagesse, le véritable art de vivre ; ce texte nous incite à l’humilité : Dieu seul sait ce qui est bon pour l’homme ; l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux lui est inaccessible ; en revanche, il est invité à se nourrir chaque jour du véritable arbre de vie qu’est la Loi donnée par Dieu, la Tôrah.

- C’est une certaine soif de connaissance qui a tenté l’homme ; une connaissance qui est une prise de pouvoir : « Vous serez comme des dieux ». Alors qu’il était invité à une autre connaissance, la seule qui vaille, la connaissance de Dieu au sens biblique, c’est-à-dire l’amour.

 

« La femme que tu m'as donnée, c'est elle qui m'a donné du fruit de l'arbre » : le serpent a abordé la femme pour lui faire son petit boniment sur le thème « quand Dieu vous interdit quelque chose, ce n’est pas pour votre bien ». N’accusons donc pas Adam de reporter la faute sur sa femme : il dit la stricte vérité.

« Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé » : la femme non plus ne se « défausse » pas de sa responsabilité sur le serpent ; elle aussi ne dit que la vérité.

- La tradition chrétienne, relisant ce texte, y a vu une annonce lointaine de la victoire de la Nouvelle Ève, Marie. À tel point qu’on a parlé ici de « protévangile », c’est-à-dire d’un « pré-évangile » ; bien sûr, l’auteur de ce passage de la Genèse, qui écrivait probablement au temps du roi Salomon, ne pouvait pas avoir des visées aussi précises. Mais il annonçait clairement déjà, que le mal, un jour, sera vaincu.

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PSAU­ME  129  (130), Psaume des montées

 

1          Des pro­fon­deurs je crie vers toi, SEI­GNEUR,
2          Sei­gneur, écou­te mon ap­pel !
            Que ton oreille se fas­se at­ten­ti­ve      
            au cri de ma priè­re !          

3          Si tu re­tiens les fau­tes, SEI­GNEUR,           
            Sei­gneur, qui sub­sis­te­ra ?
4          Mais près de toi se trou­ve le par­don 
            pour que l'homme te crai­gne.          

5          J'espère le SEI­GNEUR de tou­te mon âme ;
            je l'espère, et j'attends sa pa­ro­le.
6          Mon âme at­tend le Sei­gneur 
            plus qu'un veilleur ne guet­te l'aurore.          

7          Oui, près du SEI­GNEUR, est l'amour ;       
            près de lui, abon­de le ra­chat.
8          C'est lui qui ra­chè­te­ra Is­raël  
            de tou­tes ses fau­tes.

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         Nous avons tel­le­ment pris l’habitude de chan­ter ce psau­me dans cer­tai­nes cir­con­stan­ces, en par­ti­cu­lier les en­ter­re­ments, que nous en ou­blions qu’il a été com­po­sé pour tout au­tre cho­se ! En fait, il fait par­tie d’un en­sem­ble de quinze psau­mes qui por­tent tous le mê­me sous-ti­tre : « Psau­me des mon­tées », qu’on peut tra­dui­re « Psau­mes de pèle­ri­na­ge ». Tout sim­ple­ment par­ce que, en hé­breu, le ver­be « mon­ter » était em­ployé pour di­re « Al­ler à Jé­ru­sa­lem en pè­le­ri­na­ge ». Dans les Évan­gi­les, d’ailleurs, l’ex­pres­sion « mon­ter à Jé­ru­sa­lem » ap­pa­raît plu­sieurs fois dans le mê­me sens : el­le évo­que le pèle­ri­na­ge pour les trois fê­tes an­nuel­les  et en par­ti­cu­lier, la plus im­por­tan­te d’en­tre el­les, la fê­te des Ten­tes. Et ceux qui connais­sent la ré­gion de Jé­ru­sa­lem com­pren­nent tout de sui­te ! Jé­ru­sa­lem est à huit cents mètres d’altitude, à peu près, Jé­ri­cho à moins trois cents mètres ; on peut réellement par­ler d’une mon­tée ! En­co­re que, bien sûr, le sens soit en­co­re plus spi­ri­tuel que gé­o­gra­phi­que !

         La Bi­ble grec­que a tra­duit « can­ti­que des de­grés », c’est-à-di­re des « mar­ches ». Or un es­ca­lier de quinze mar­ches re­liait la Cour des fem­mes au par­vis du Tem­ple ; cer­tains en dé­dui­sent que cha­cun de ces quinze psau­mes était chan­té sur l’une des mar­ches. Mais il est plus pro­ba­ble qu’ils ac­com­pa­gnaient l’ensemble du pè­le­ri­na­ge. Avant mê­me d’arriver à Jé­ru­sa­lem, ces psau­mes évo­quaient par avan­ce le dé­rou­le­ment de la fê­te.

          Le psau­me 129/130 est donc l’un des can­ti­ques des Mon­tées ; il sem­ble évo­quer un sa­cri­fi­ce  de ré­pa­ra­tion qui de­vait être of­fert pen­dant la fê­te des Ten­tes, au cours d’une cé­lébration pé­ni­ten­tiel­le. C’est pour­quoi le vo­ca­bu­lai­re de la fau­te et du par­don est re­la­ti­ve­ment im­por­tant dans ce psau­me. Le pé­cheur qui par­le ici, et qui sup­plie, sûr déjà d’être par­don­né, c’est le peu­ple qui re­con­naît à la fois l’infinie bonté de Dieu (sa Hes­sed) et l’incapacité fon­ciè­re de l’homme à ré­pon­dre à l’Alliance. Ces in­fi­dé­li­tés ré­pé­tées à l’Alliance sont vé­cues com­me une vé­ri­ta­ble « mort spi­ri­tuel­le » : « Des pro­fon­deurs, je crie vers Toi ». Mais ce cri s’adres­se à ce­lui dont l’Être mê­me est le Par­don : c’est le sens de l’expression « Près de toi se trouve le par­don ». C’est dans son par­don que Dieu ré­vè­le sa puis­san­ce : Dieu est AMOUR et Il  est DON, c’est la mê­me cho­se ; or le PAR-DON n’est pas au­tre cho­se que le don : c’est le DON « par-de­là », le don par­fait, pa­ra­che­vé. Par­don­ner, c’est conti­nuer à pro­po­ser une Al­lian­ce, un ave­nir pos­si­ble, au-de­là des in­fi­dé­li­tés de l’autre.

          On sait que cet­te fa­cul­té de par­don de Dieu est l’une des gran­des dé­cou­ver­tes de Moï­se ; c’est dans le li­vre de l’Exode que l’on en­tend cet­te ma­gni­fi­que dé­fi­ni­tion du « Dieu de ten­dres­se et de pi­tié, lent à la co­lè­re et plein d’amour ». Les pro­phè­tes ont ré­per­cu­té cet­te Bon­ne Nou­vel­le, cha­que fois qu’il fal­lait ren­dre l’espérance au peu­ple ; rap­pe­lez-vous Mi­chée : « À quel Dieu te com­pa­rer, toi qui ôtes le pé­ché, toi qui pas­ses sur les ré­vol­tes ? Pour l’amour du res­te (d’Israël), son pa­tri­moi­ne, loin de s’obstiner dans sa co­lè­re, lui, il se plaît à fai­re grâ­ce. » (Mi 7, 18). Et ce fa­meux tex­te d’Isaïe : « Re­cher­chez le SEI­GNEUR puisqu’il se lais­se trou­ver, ap­pe­lez-le puisqu’il est pro­che. Que le mé­chant aban­don­ne son che­min, et l’homme mal­fai­sant, ses pen­sées. Qu’il re­tour­ne vers le SEI­GNEUR, qui lui ma­ni­fes­te­ra sa ten­dres­se, vers no­tre Dieu qui par­don­ne abon­dam­ment. » (Is 55, 6-7).

          « Près de toi se trouve le par­don pour que l’homme te crai­gne » : cet­te for­mu­le très ra­mas­sée dit quel­le doit être l’attitude du croyant fa­ce à ce Dieu qui n’est que don et par­don. Nous trou­vons là en­co­re une dé­fi­ni­tion de la « crain­te de Dieu » : ce n’est pas la crain­te du châ­ti­ment ; au contraire, tou­te la pé­da­go­gie de Dieu au long de l’histoire bi­bli­que cher­che à nous li­bé­rer de tou­te peur ; car la peur n’est pas une at­ti­tu­de d’homme li­bre et Dieu veut nous li­bé­rer to­ta­le­ment ; la « crain­te de Dieu » au sens bi­bli­que, c’est u­ne a­do­ra­tion plei­ne d’émerveillement de­vant la Tou­te-Puis­san­ce de Dieu fai­te seu­le­ment d’amour et de par­don ; une ado­ra­tion, un émer­veille­ment qui condui­sent lo­gi­que­ment le croyant à obéir dés­or­mais à la Pa­ro­le de Dieu, à ses com­man­de­ments ; la « crain­te de Dieu » n’est donc pas de la crain­te au sens de la peur, mais une ado­ra­tion confian­te qui conduit à l’obéissance. Dés­or­mais, on fe­ra tout son pos­si­ble pour obéir à sa Loi dans la cer­ti­tu­de que cet­te Loi n’est dic­tée que par son amour pater­nel.

          Qu’on se rassure, cet­te cer­ti­tu­de de la « mis­é­ri­cor­de » de Dieu n’en­gen­dre pas chez le croyant la pré­somp­tion ou l’indifférence au pé­ché : au contraire ! Notre prise de conscience de la miséricorde de Dieu résonne en nous comme un appel à une vie meilleure ; et elle ouvre nos yeux sur les conséquences de nos actes.

          Car le Par-don ne si­gni­fie pas pour au­tant ef­fa­ce­ment ni coup d’éponge : rien ne pour­ra ef­fa­cer le mal que nous avons fait, ni le bien d’ailleurs ; et c’est bien ce qui fait la gran­deur et la gra­vi­té, au sens éty­mo­lo­gi­que du ter­me, le poids, de nos vies d’hommes ; le par­don, qu’il soit ac­cor­dé par Dieu, ou par ceux qui ont souf­fert à cau­se de nous, n’efface rien, mais il per­met de re­par­tir dans une re­la­tion re­nou­ve­lée. Il ne s’agit donc pas d’ignorer ou de mi­ni­mi­ser nos fau­tes, mais de re­par­tir tou­jours de l’avant, grâ­ce au par­don de Dieu.

          Cet­te cer­ti­tu­de du PAR-DON, du DON tou­jours ac­quis au-de­là de tou­tes les fau­tes in­spi­re à Is­raël une at­ti­tu­de d’espérance ex­traor­di­nai­re. Is­raël re­pen­tant at­tend son par­don « plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ». Il at­tend plus en­co­re : au-de­là du par­don ponc­tuel, ce qu’Israël at­tend, c’est la li­bé­ra­tion dé­fi­ni­ti­ve du mal. Cet­te dé­li­vran­ce ne peut être l’œuvre que de Dieu seul : « C’est Lui qui ra­chè­te­ra Is­raël de tou­tes ses fau­tes » : pré­ci­sé­ment par­ce que le peu­ple de l’Alliance ex­pé­ri­men­te sa fai­bles­se et son pé­ché tou­jours re­nais­sant, mais aus­si la  FI­DÉ­LI­TÉ DE  DIEU, il at­tend de Dieu lui-mê­me la ré­a­li­sa­tion dé­fi­ni­ti­ve de ses pro­mes­ses. Au-de­là du par­don im­mé­diat, donc, c’est l’aurore dé­fi­ni­ti­ve, l’aurore du Jour de  Dieu que ce peu­ple at­tend de siè­cle en siè­cle, qu’il « es­pè­re contre tou­te es­pé­ran­ce » com­me Abra­ham. Tous les psau­mes sont tra­ver­sés par cet­te at­ten­te. Tout comme le li­vre de la Ge­nè­se, que nous avons lu en pre­miè­re lec­ture, an­non­çait que le mal se­ra un jour dé­fi­ni­ti­ve­ment vain­cu, ce psau­me 129/130 est ha­bi­té par la mê­me cer­ti­tu­de.

          Il ne nous vient ja­mais à l’idée que le jour pour­rait ou­blier de se le­ver après la nuit... Les Chré­tiens sa­vent en­co­re plus sûre­ment que no­tre mon­de va vers son ac­com­plis­se­ment : un ac­com­plis­se­ment qui se nom­me Jé­sus-Christ : « No­tre âme at­tend le SEI­GNEUR plus qu’un veilleur ne guette l’aurore. »

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LECTURE DE LA DEUXIÈ­ME LET­TRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CO­RIN­THIENS 4, 13 - 5, 1

 

            Frères,
13        L'Écriture dit :
            J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé.
            Et nous aussi, qui avons le même esprit de foi,
            nous croyons,
            et c'est pourquoi nous parlons.
14        Car, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus
            nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus,
            et il nous placera près de lui avec vous.
15        Et tout cela, c'est pour vous,
            afin que la grâce, plus largement répandue,
            dans un plus grand nombre,
            fasse abonder l’action de grâce
            pour la gloire de Dieu.
16        C'est pourquoi nous ne perdons pas courage,
            et même si en nous l'homme extérieur va vers sa ruine,
            l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour.
17        Car notre détresse du moment présent est légère
            par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle
            qu'elle produit pour nous.
18        Et notre regard ne s'attache pas à ce qui se voit,
            mais à ce qui ne se voit pas ;
            ce qui se voit est provisoire,
            mais ce qui ne se voit pas est éternel.
5,1       Nous le savons, en effet,
            même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre,
            est détruit,
            nous avons un édifice construit par Dieu,    
            une demeure éternelle dans les cieux
            qui n'est pas l'œuvre des hommes.
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         Dès le dé­but de ce pas­sa­ge, Paul se si­tue dans la lon­gue li­gnée des croyants : « L’Écriture dit ‘J’ai cru, c’est pour­quoi j’ai par­lé’. » Vous au­rez du mal à re­tro­u­ver cet­te phra­se dans la Bi­ble, car el­le ne se trou­ve que dans la tra­duc­tion grec­que de la Sep­tan­te ; c’est le pre­mier ver­set du psau­me 115/116 : ce psau­me que, jus­te­ment, nous avons chan­té di­man­che der­nier. Il va nous ai­der à com­pren­dre cet­te lec­ture d’aujourd’hui.

         Ce psau­me évo­quait les épreu­ves du croyant et le se­cours que Dieu lui avait ap­por­té : « Com­ment ren­drai-je au SEI­GNEUR tout le bien qu’il m’a fait ? » Com­me tou­jours, il s’agit d’abord ici de  l’expérience du peu­ple d’Israël tout en­tier avec tou­te son his­toi­re : l’esclavage, sa lut­te pour la li­ber­té, sa li­bé­ra­tion par Dieu : « Il en co­û­te au SEI­GNEUR de voir mou­rir les siens ! Ne suis-je pas, SEI­GNEUR,  ton ser­vi­teur, moi dont tu bri­sas les chaî­nes ? » Mais l’expérience in­di­vi­duel­le du croyant se re­con­naît, el­le aus­si, dans ce che­min d’épreuves et de re­con­nais­san­ce de la pré­sen­ce agis­san­te de Dieu. C’est à ce­la que Paul se ré­fè­re ici. Le psau­me dis­ait « Moi qui ai dit dans mon trou­ble ‘l’homme n’est que men­son­ge’ » : les Co­rin­thiens, dont cer­tains ne se sont pas pri­vés de ca­lom­nier Paul, com­pren­dront très bien l’allusion.

         Pour au­tant, Paul n’écrit pas pour ré­gler des comp­tes : chez lui, c’est l’émerveillement de la foi qui pri­me. Et, com­me tou­jours, chez Paul, la foi veut di­re foi que Jé­sus est res­sus­ci­té : « J’ai cru, c’est pour­quoi j’ai par­lé. Et nous aussi, qui avons le mê­me esprit de foi, nous croyons, et c’est pour­quoi nous par­lons. CAR, nous le sa­vons, Ce­lui qui a res­sus­ci­té le Sei­gneur Jé­sus nous res­sus­ci­tera, nous aus­si, avec Jé­sus. » Il faut bien entendre le mot CAR. Pour Paul, de­puis le che­min de Da­mas, la Ré­sur­rec­tion du Christ est une évi­den­ce aveu­glan­te ; dans sa pre­miè­re let­tre à ces mê­mes Co­rin­thiens, il affirmait : « Si Christ n’est pas res­sus­ci­té, no­tre pré­di­ca­tion est vi­de et vi­de aus­si vo­tre foi. » (1 Co 15, 14).

         Et la Ré­sur­rec­tion du Christ an­non­ce et pré­fi­gu­re la nô­tre ; cela aus­si, pour Paul, est une évi­den­ce ; dans sa pre­miè­re let­tre, tou­jours, il ne les sé­pa­re pas : « Si l’on pro­cla­me que Christ est res­sus­ci­té des morts, com­ment cer­tains d’entre vous dis­ent-ils qu’il n’y a pas de ré­sur­rec­tion des morts ? S’il n’y a pas de ré­sur­rec­tion des morts, Christ non plus n’est pas res­sus­ci­té...  Mais non ; Christ est res­sus­ci­té des morts, pré­mi­ces de ceux qui sont morts. » (1 Co 15, 12-13. 20) Com­me vous sa­vez, les pré­mi­ces, dans l’Ancien Tes­ta­ment, ce sont les pre­miè­res ger­bes de la ré­col­te et el­les re­pré­sen­tent l’ensemble de la mois­son. Bel­le ma­niè­re de di­re que le Christ n’est pas le Fils so­li­tai­re de Dieu, il est le Fils aî­né, pre­mier-né d’une mul­ti­tu­de de frè­res, com­me dit en­co­re Paul. C’est l’humanité tout en­tiè­re qui a vo­ca­tion à la Ré­sur­rec­tion : « Com­me tous meu­rent en Adam, en Christ, tous re­ce­vront la vie. » (1 Co 15, 22).

         C’est pour ce­la qu’un vé­ri­ta­ble apô­tre ne peut pas se dés­in­té­res­ser du nom­bre de ses au­di­teurs : nous pre­nons peut-être quel­que­fois un peu vi­te no­tre par­ti de la dé­chris­tia­ni­sa­tion : l’Église n’est pas là pour fai­re du mar­ke­ting, c’est une évi­den­ce, mais si nous ne som­mes pas pres­sés que la Bon­ne Nou­vel­le de Jé­sus-Christ se ré­pan­de, c’est qu’elle n’est pas vrai­ment Bon­ne Nou­vel­le ! Une vraie Bon­ne Nou­vel­le, on la crie sur les toits. Il y a tout cela dans ce pas­sa­ge : « afin que la grâ­ce, plus largement répandue, dans un plus grand nombre, fasse abonder l’action de grâce pour la gloi­re de Dieu. »

         C’est cet­te foi in­domp­ta­ble qui pous­se l’apôtre à par­ler : « J’ai cru, C’EST POUR­QUOI j’ai par­lé ». Dire « foi in­domp­ta­ble », c’est dire qu’elle ren­con­tre in­é­vi­ta­ble­ment la contra­dic­tion. Si Paul pré­ci­se « C’est pour­quoi nous ne per­dons pas cou­ra­ge... », c’est bien qu’il y au­rait de quoi per­dre cou­ra­ge.

         Jé­sus avait pré­ve­nu ses dis­ci­ples que la per­sé­cu­tion ferait par­tie du pro­gram­me : « Si quelqu’un veut ve­nir à ma sui­te, qu’il re­non­ce à lui-mê­me et pren­ne sa croix, et qu’il me sui­ve. » (Mt 16, 24). Cet­te an­non­ce se si­tue dans l’évangile de Mat­thieu à un mo­ment très im­por­tant : en­tre la pro­fes­sion de foi de Pier­re à Cé­sa­rée et la Trans­fi­gu­ra­tion. Tout de sui­te après la phra­se émer­veillée de Pier­re, « C’est toi, le Christ, le Fils du Dieu vi­vant », Jé­sus an­non­ce sa pro­pre pas­sion, sa mort et sa Ré­sur­rec­tion ; et il ajou­te aus­si­tôt que ceux qui pren­dront sa sui­te mar­che­ront sur ses tra­ces, de souf­fran­ce et de gloi­re.

          Paul a dé­jà ex­pé­ri­men­té la souf­fran­ce, phy­si­que et mo­ra­le, dans l’exercice de son mi­nis­tè­re. Au dé­but de cet­te se­con­de let­tre, il le rap­pel­le très clai­re­ment : « Le pé­ril que nous avons cou­ru en Asie nous a ac­ca­blé à l’extrême, au-de­là de nos for­ces, au point que nous dés­es­pé­rions mê­me de la vie. No­tre confian­ce ne pou­vait plus se fon­der sur nous-mê­mes mais sur Dieu qui res­sus­ci­te les morts. » (2 Co 1,8-9).

          La seu­le ma­niè­re de sur­mon­ter les épreu­ves, c’est de gar­der les yeux fixés sur la Ré­sur­rec­tion du Christ et la nô­tre : Paul op­po­se ce qui est  pro­vi­soi­re et ce qui est éter­nel, l’homme ex­té­rieur et l’homme in­té­rieur, ce qui se voit et ce qui ne se voit pas, les é­preu­ves du mo­ment pré­sent et la  gloi­re éter­nel­le qui nous est pro­mi­se : « Notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu'elle produit pour nous. Et no­tre re­gard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est pro­vi­soi­re, mais ce qui ne se voit pas est éter­nel. »1

          Aux yeux de Paul, les épreu­ves ne sont pas sou­hai­ta­bles, mais el­les sont in­é­vi­ta­bles ; mieux, le lieu de la dé­tres­se est aus­si ce­lui de la conso­la­tion : Paul ne se fait pas un ti­tre de gloi­re de ses épreu­ves en el­les-mê­mes, mais c’est là qu’il ex­pé­ri­men­te la pré­sen­ce et la ten­dres­se du Res­sus­ci­té. Au tout dé­but de cet­te mê­me let­tre, il re­prend un mot d’Isaïe : « Conso­lez, conso­lez mon peu­ple, dit Dieu » (Is 40, 1) et il écrit : « Bé­ni soit Dieu, le Pè­re de no­tre Sei­gneur Jé­sus-Christ, le Pè­re des mis­é­ri­cor­des et le Dieu de tou­te conso­la­tion ; il nous conso­le dans tou­tes nos dé­tres­ses, pour nous ren­dre ca­pa­bles de conso­ler tous ceux qui sont en dé­tres­se, par la conso­la­tion que nous-mê­mes re­ce­vons de Dieu. De mê­me en ef­fet que les souf­fran­ces du Christ abon­dent pour nous, de mê­me, par le Christ, abon­de aus­si no­tre conso­la­tion. » (2 Co 1,3-5).

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Note

1 - Saint-Exu­pé­ry avait-il lu Paul quand il écri­vait « L’essentiel est in­vi­si­ble pour les yeux » ?

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ÉVAN­GI­LE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MARC 3, 20 - 35

 

            En ce temps-là,
20        Jésus revint à la maison avec ses disciples,
            où de nouveau la foule se rassembla,
            si bien qu'il n'était même pas possible de manger.
21        Les gens de chez lui, l'apprenant,
            vinrent pour se saisir de lui,
            car ils affirmaient :
            « Il a perdu la tête. »
22        Les scribes, qui étaient descendus de Jérusalem, disaient :
            « Il est possédé par Béelzéboul ;
            c'est par le chef des démons
            qu'il expulse les démons. »
23        Les appelant près de lui,
            Jésus leur dit en parabole :
            « Comment Satan peut-il expulser Satan ?
24        Si un royaume est divisé contre lui-même,
            ce royaume ne peut pas tenir.
25        Si les gens d’une même maison se divisent entre eux,
            ces gens ne pourront pas tenir.
26        Si Satan s'est dressé contre lui-même, s'il s'est divisé,
            il ne peut pas tenir ;
            c'en est fini de lui.
27        Mais personne ne peut entrer dans la maison d'un homme fort
            et piller ses biens,
            s'il ne l'a d'abord ligoté.
            Alors seulement il pillera sa maison.
28        Amen, je vous le dis :
            Tout sera pardonné aux enfants des hommes,
            leurs péchés et les blasphèmes qu'ils auront proférés.
29        Mais si quelqu'un blasphème contre l'Esprit Saint,
            il n'aura jamais de pardon.
            Il est coupable d'un péché pour toujours. »
30        Jésus parla ainsi parce qu'ils avaient dit :
            « Il est possédé par un esprit impur. »
31        Alors arrivent sa mère et ses frères.
            Restant au-dehors, ils le font appeler.
32        Une foule était assise autour de lui ;
            et on lui dit :
            « Voici que ta mère et tes frères sont là dehors :
            ils te cherchent. »
33        Mais il leur répond :
            « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? »
34        Et parcourant du regard
            ceux qui étaient assis en cercle autour de lui,
            il dit : « Voici ma mère et mes frères.
35        Celui qui fait la volonté de Dieu,
            celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »
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         On croi­rait en­ten­dre Saint Jean quand il dit en par­lant de Jé­sus : « Il est ve­nu chez lui et les siens ne l’ont pas re­çu » et en­co­re « Voi­ci l’Agneau de Dieu qui en­lè­ve le pé­ché du mon­de ». Marc le dit au­tre­ment, mais il me sem­ble que c’est bien le mê­me mes­sa­ge.

         Les siens, les voi­là : sa fa­mille d’origine, mais aus­si, sa com­mu­nau­té re­li­gieu­se, les scri­bes de Jé­ru­sa­lem. Pour les uns com­me pour les au­tres, Jé­sus est sur­pre­nant, in­at­ten­du, voi­re cho­quant. Alors, cha­cun se for­ge une ex­pli­ca­tion : soit il est fou (c’est l’explication de la fa­mille), soit il a fait un pac­te avec le dia­ble (ce sont les au­to­ri­tés re­li­gieu­ses qui le dis­ent).

         Cu­rieu­se­ment, Jé­sus ne cher­che pas à dis­cu­ter avec ceux qui le croient fou, mais il prend très au sé­rieux l’autre ac­cu­sa­tion, cel­le d’être pos­sé­dé du dé­mon. Il com­men­ce par fai­re ap­pel à la lo­gi­que : on dit sou­vent que l’union fait la for­ce, à l’inverse, dit Jé­sus, tout grou­pe di­vi­sé va à sa per­te. Un royau­me di­vi­sé par la guer­re ci­vi­le se­ra la proie des au­tres peu­ples qui pro­fi­te­ront de ses di­vi­sions ; une fa­mille qui n’a plus d’esprit de fa­mille n’est plus une fa­mille ; et si Sa­tan tra­vaille contre lui-mê­me, il n’ira pas bien loin. Dans ce cas-là, a l’air de di­re Jé­sus, vous n’auriez qu’à vous ré­jouir, vous qui êtes les en­ne­mis du dia­ble, par pro­fes­sion, si j’ose di­re.

         Jusqu’ici, les ex­pli­ca­tions de Jé­sus sont clai­res. Il conti­nue : « Per­son­ne ne peut en­trer dans la mai­son d’un hom­me fort et piller ses biens, s’il ne l’a d’abord li­go­té. Alors seu­le­ment il pille­ra sa mai­son. » Marc nous a pré­ve­nus, il faut en­ten­dre cet­te phra­se com­me une pa­ra­bo­le, on peut donc tra­dui­re : l’homme fort, c’est Sa­tan ; si moi, Jé­sus, je me suis ren­du maî­tre dans la mai­son de Sa­tan, puis­que j’expulse les dé­mons, c’est que je suis plus fort que Sa­tan... en­ten­dez : Jé­sus est le vain­queur du mal. Le li­vre de la Ge­nè­se que nous avons en­ten­du en pre­miè­re lec­ture, an­non­çait que le mal, un jour, se­rait vain­cu : Jésus se présente ici comme ce­lui qui en­lè­ve le mal du mon­de.

         Puis Jé­sus quit­te le re­gis­tre des ex­pli­ca­tions, le ton de­vient beau­coup plus gra­ve : « Amen, je vous le dis : Tout sera pardonné aux enfants des hommes, leurs péchés et les blasphèmes qu'ils auront proférés. Mais si quelqu'un blasphème contre l'Esprit Saint, il n'aura jamais de pardon. Il est cou­pa­ble d’un pé­ché pour tou­jours. »

         La pre­miè­re par­tie de la phra­se ne nous éton­ne pas, heu­reu­se­ment ; nous som­mes bien per­sua­dés que Dieu par­don­ne tou­jours ; il par­don­ne­ra mê­me, a l’air de di­re Jé­sus, à ceux qui m’auront pris pour un fou. La mis­é­ri­cor­de de Dieu est sans li­mi­te, l’Ancien Tes­ta­ment l’a tant de fois ré­pé­té : « Oui, près du SEI­GNEUR, est l’amour ; près de lui, abon­de le ra­chat » dis­ait le psau­me 129/130.

         Mais alors, la deuxiè­me phra­se nous cho­que : Jé­sus dit qu’il exis­te un pé­ché im­par­don­na­ble, ce qu’il ap­pel­le le blas­phè­me contre l’Esprit. Pour­quoi em­ploie-t-il cet­te ex­pres­sion ? Que s’est-il pas­sé au jus­te ? Rap­pe­lez-vous le dé­but de l’évangile de Marc : la ré­pu­ta­tion de Jé­sus est par­ve­nue à Jé­ru­sa­lem, on dit par­tout qu’il gué­rit les ma­lades, et qu’il ex­pul­se les dé­mons. Le peu­ple, dans sa sim­pli­ci­té, ne s’y trom­pe pas et re­con­naît là l’œuvre de Dieu. Et c’est bien pour cela que l’on vient à lui en fou­le.

         Mais certains scri­bes, eux, sont tel­le­ment loin de Dieu, main­te­nant, qu’ils ne sa­vent mê­me plus re­con­naî­tre l’œuvre de Dieu. C’est bien ce­la que Jé­sus leur re­pro­che : leur at­ti­tu­de res­sem­ble à cel­le du ser­pent du jar­din de la Ge­nè­se. Le ser­pent avait pré­ten­du ré­vé­ler à l’homme et à la fem­me que Dieu, en don­nant sa loi, était pro­fon­dé­ment mal­fai­sant, mal­veillant ; le dis­cours du ser­pent, était : « Dieu vous in­ter­dit les fruits de cet ar­bre, sous pré­tex­te qu’ils sont vé­né­neux, mais au contrai­re, c’est pour les gar­der pour lui, par­ce qu’ils sont ex­cel­lents ».

         Jé­sus ne trai­te pas les scri­bes de ser­pents, mais il n’en est pas loin ; leur dis­cours, en effet, ressemble à une mise en garde sur le thème : « vous pre­nez Jé­sus pour un bien­fai­teur de l’humanité, mais vous ne voyez pas qu’il est vo­tre en­ne­mi, puisqu’il est l’ennemi de la vraie re­li­gion. »

          Prê­ter des ar­riè­re-pen­sées mal­veillan­tes à Ce­lui qui n’est qu’Amour, c’est ce­la que Jé­sus ap­pel­le « blas­phé­mer contre l’Esprit ». Car c’est au mo­ment mê­me où Jé­sus gué­rit que les scri­bes le trai­tent de dé­mon ; c’est n’avoir vrai­ment rien com­pris à l’amour de Dieu. Et, du coup, ils de­vien­nent in­ca­pa­bles de l’accueillir.  Car on sait bien que l’Amour ne peut se don­ner que s’il est ac­cueilli. Voi­là pour­quoi Jé­sus dit que ce pé­ché là est im­par­don­na­ble : ce n’est pas que Dieu re­fu­se­rait de par­don­ner, ce sont les cœurs des scri­bes qui sont fer­més.

          La fin du tex­te va exac­te­ment dans le mê­me sens : « Qui est ma mè­re ? Qui sont mes frè­res ? ... Voi­ci ma mè­re et mes frè­res. Ce­lui qui fait la vo­lon­té de Dieu, ce­lui-là est pour moi un frè­re, une sœur, une mè­re. » En d’autres termes, pour re­con­naî­tre le doigt de Dieu à l’œuvre, en­co­re faut-il être de la fa­mille de Dieu. Jé­sus dit ce­la en re­gar­dant tous ceux qui étaient en cer­cle au­tour de lui, c’est-à-di­re cet­te fou­le qui ac­cou­rait vers lui, par­ce qu’elle re­con­nais­sait en lui la pré­sen­ce de l’Esprit. Là en­co­re, on croit en­ten­dre saint Jean : « Il est ve­nu chez lui et les siens ne l’ont pas re­çu... Mais à ceux qui l’ont re­çu, à ceux qui croient en son nom, il a don­né de pou­voir de­ve­nir en­fants de Dieu. » (Jn 1, 12).

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Complément

Jésus était-il « Fou » ? Ceux qui l’accusent de « folie » ne savent pas si bien dire ! Mais c’est la folie de Dieu. Le Dieu Tout-Autre ne peut pas ne pas nous surprendre (ses pensées ne sont pas nos pensées ; Is 55, 8). « Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes. » (1 Co 1, 25). La prétendue sagesse des hommes a éliminé Jésus ; mais c’est bien la folie de Dieu qui a sauvé le monde.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique B, 10e dimanche du Temps ordinaire (10 juin 2018)

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27 mai 2018 7 27 /05 /mai /2018 21:19

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 2 juin 2018).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celle-d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE L’EXODE  24,3-8

 

            En ces jours-là,
3          Moïse vint rapporter au peuple         
            toutes les paroles du SEIGNEUR et toutes ses ordonnances.
            Tout le peuple répondit d'une seule voix :    
            « Toutes ces paroles que le SEIGNEUR a dites,     
            nous les mettrons en pratique. »
4          Moïse écrivit toutes les paroles du SEIGNEUR.     
            Il se leva de bon matin et il bâtit un autel au pied de la montagne,
            et il dressa douze pierres pour les douze tribus d'Israël.
5          Puis il chargea quelques jeunes garçons parmi les fils d’Israël        
            d'offrir des holocaustes,        
            et d'immoler au SEIGNEUR des taureaux  
            en sacrifice de paix.
6          Moïse prit la moitié du sang et la mit dans des coupes ;      
            puis il aspergea l'autel avec le reste du sang.
7          Il prit le livre de l'Alliance et en fit la lecture au peuple.     
            Celui-ci répondit :     
            « Tout ce que le SEIGNEUR a dit,  
            nous le mettrons en pratique, nous y obéirons. »
8          Moïse prit le sang, en aspergea le peuple, et dit :     
            « Voici le sang de l'Alliance 
            que, sur la base de toutes ces paroles,          
            le SEIGNEUR a conclue avec vous. »
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L’ALLIANCE CONCLUE AU SINAÏ

Il y en a des choses surprenantes dans ce texte ! Ces usages bien loin des nôtres, d’abord, et puis l’insistance sur le sang, avec une expression que nous connaissons très bien, évidemment, « le sang de l’Alliance ».

Mais, si les usages qui sont rapportés ici nous surprennent, n’oublions pas que Moïse a vécu vers 1250 av. J.-C. Ces coutumes sont donc vieilles de trois mille ans et même plus, car Moïse ne les a pas inventées ; elles étaient courantes dans beaucoup d’autres peuples à cette époque. Elles subsistent d’ailleurs encore aujourd’hui, au vingt-et-unième siècle, dans certains peuples dont l’histoire a évolué moins vite. Le texte biblique nous décrit ici le cérémonial habituellement utilisé pour un contrat d’Alliance entre deux peuples jusque-là ennemis. Mais, cette fois, les contractants sont Dieu lui-même... et un tout petit peuple.

Et, surtout, ce qui est intéressant, c’est de voir comment Moïse a repris un rite habituel mais en lui donnant un sens tout-à-fait neuf ! Si on y regarde bien, les deux réalités, le rite ancien, d’une part, le nouveau sens donné par Moïse, d’autre part, sont imbriquées dans ce texte de manière extrêmement serrée : ce qui vient de la tradition ancienne, ce sont les usages des pierres dressées, de l’immolation des animaux, de l’aspersion du sang sur un autel qui représente la divinité et également de l’aspersion de sang sur le peuple. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la notion même d’Alliance proposée par Dieu, c’est le don de la Loi par Dieu, et enfin, l’engagement du peuple d’obéir à cette loi.

Il suffit de relire le texte dans l’ordre pour voir à quel point tous ces éléments sont imbriqués :

« En descendant du Sinaï, Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles du SEIGNEUR et tous ses commandements. Le peuple répondit d’une seule voix : Toutes ces paroles que le SEIGNEUR a dites, nous les mettrons en pratique.  Moïse écrivit toutes les paroles du SEIGNEUR... » 

Le récit commence donc par le plus important, la parole de Dieu. Quand les descendants de Moïse, des siècles plus tard, relisent ce passage, ils comprennent tout de suite le message : ce n’est pas le sacrifice en lui-même qui compte ; le plus important c’est l’Alliance, la fidélité à la Parole de Dieu.

Puis le récit décrit les rites du sacrifice lui-même : l’autel au pied de la montagne, les douze pierres qui représentent les douze tribus d’Israël, c’est-à-dire l’ensemble du peuple. Le mot « peuple » revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans le texte ; car c’est bien avec un peuple et non avec un individu ou même des individus que l’Alliance est conclue ! Les douze pierres dressées signifient que le peuple entier est concerné et que son unité se fera autour de cette Alliance. Là encore, il y a un message pour les futurs lecteurs : il a peut-être été bien utile, parfois, de rappeler aux douze tribus ce qui les unissait et depuis si longtemps, puisque cela remonte au tout début de la sortie d’Égypte.

Quelques jeunes gens sacrifient les taureaux : soit dit en passant, cette fonction n’est donc pas encore réservée au prêtres. Puis c’est le rite du sang : d’abord, Moïse asperge l’autel qui représente Dieu, et aussitôt il reprend le livre de l’Alliance et il lit au peuple les paroles de Dieu et le peuple s’engage à obéir.

« Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique, nous y obéirons. »

 

LE SACRIFICE, GESTE D’ALLIANCE

Enfin, Moïse asperge le peuple : ce rite du sang signifie que l’Alliance devient « vitale » pour les contractants ; manière de dire que désormais, le nouveau lien ainsi créé entre Dieu et le peuple l’est « à la vie à la mort ». Et aussitôt, Moïse rappelle que ceci n’a de sens que référé à l’Alliance que Dieu vient de sceller avec son peuple : « Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de  toutes ces paroles, le SEIGNEUR a conclue avec vous. » Ce qui est premier, donc, ce n’est pas le sacrifice pour le sacrifice, c’est l’Alliance, formulée dans cette Parole de Dieu.

Pour le dire autrement, le sacrifice n’est jamais un but en soi : il ne vaut que par l’engagement d’amour et de fidélité qu’il instaure et couronne entre Dieu et son peuple.

Avec Moïse, une étape essentielle est franchie : le sacrifice n’est plus un rite magique, il est tissé de la parole d’un engagement réciproque, il devient mystère de foi.

Mais la confiance ne naît pas toute seule : l’amour filial ne peut naître qu’en réponse à un amour paternel ;

 Moïse précise bien que c’est Dieu qui a pris l’initiative : il dit « L’Alliance que le SEIGNEUR a conclue avec vous » ; ce n’est pas Israël qui a essayé d’atteindre ce Dieu dont il n’avait même pas idée, c’est Dieu lui-même qui est venu le chercher, lui proposer l’Alliance et se révéler peu à peu comme le Dieu qui libère et qui fait vivre. Une des grandes particularités de la foi du peuple juif est d’avoir compris que toute l’initiative vient de Dieu ; tout ce que fait l’homme, prière, sacrifice, offrande ne vient qu’en réponse à l’amour de Dieu qui est premier.

Alors le peuple peut s’engager sur la voie de l’obéissance (« Tout ce que Dieu a dit, nous y obéirons ») parce qu’il a fait l’expérience très concrète de l’œuvre de Dieu en sa faveur. Le don de la loi se situe par hypothèse après la sortie d’Égypte, donc après la libération de l’esclavage. Le peuple est devenu un peuple libre grâce à l’initiative de Dieu ; il peut donc désormais croire que l’obéissance qui lui est demandée maintenant s’inscrit en droite ligne de cette œuvre de libération. C’est ce que Saint-Paul appelle « l’obéissance de la foi », c’est-à-dire la confiance tout simplement.

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Complément

« Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique, nous y obéirons. » (verset 7). Ne nous y trompons pas, ce n’est pas à Dieu que notre obéissance profite. Si Dieu nous donne des commandements, c’est parce que nous ne pouvons pas trouver notre bonheur hors d’un certain mode de vie. Quand nous désobéissons aux commandements, c’est à nous que nous faisons du mal, c’est notre propre malheur que nous construisons. Notre faute à l’égard de Dieu, c’est de ne pas lui faire confiance pour diriger notre vie. Quand l’enfant se brûle au feu que nous lui avions interdit d’approcher, c’est lui qui est brûlé. À notre égard, sa seule faute est de n’avoir pas écouté, par orgueil ou manque de confiance en nous.

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PSAUME 115 (116),12-13.15-16ac.17-18

 

12        Comment rendrai-je au SEIGNEUR           
            tout le bien qu'il m'a fait ?
13        J'élèverai la coupe du salut,   
            j'invoquerai le nom du SEIGNEUR.

15        Il en coûte au SEIGNEUR   
            de voir mourir les siens !
16        Ne suis-je pas, SEIGNEUR, ton serviteur,
            moi, dont tu brisas les chaînes ?

17        Je t'offrirai le sacrifice d'action de grâce,     
            j'invoquerai le nom du SEIGNEUR.
18        Je tiendrai mes promesses au SEIGNEUR, 
            oui, devant tout son peuple.
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EN SOUVENIR DE LA LIBÉRATION D’ÉGYPTE

Nous retrouvons dans ce psaume tous les éléments importants de la première lecture de cette fête du Corps et du Sang du Christ : en tout premier, l'œuvre libératrice de Dieu, puis la reconnaissance par les croyants de cette initiative de Dieu, et enfin l'engagement d'obéissance. « Moi dont tu brisas les chaînes », voilà l’œuvre de Dieu ; et on sait bien à quelles chaînes le psalmiste pense : il s’agit d’abord de la libération d’Égypte ; chaque année, spécialement au moment de la Pâque, les descendants de ceux qui furent esclaves en Égypte revivent les grandes étapes de leur libération : la vocation de Moïse, ses multiples tentatives pour obtenir de Pharaon la permission de partir, sans avoir toute l’armée à leurs trousses, l’obstination du roi... et les interventions répétées de Dieu pour encourager Moïse à persévérer malgré tout dans son entreprise. Pour finir, le peuple a pu s’enfuir et survivre miraculeusement alors que l’endurcissement du Pharaon a causé sa perte.

Quand on chante ce psaume, des siècles plus tard, au Temple de Jérusalem, cette étape de la sortie d’Égypte est franchie depuis longtemps, mais elle n’est qu’une étape justement ; on sait bien qu’il ne suffit pas d’avoir quitté l’Égypte pour être vraiment un peuple libre ; que d’esclavages individuels ou collectifs sévissent encore à la surface de la terre ! Esclavage de la pauvreté, voire de la misère sous tant de formes ; esclavage de la maladie et de la déchéance physique ; esclavage de l’idéologie, du racisme, de la domination sous toutes ses formes... L’Égypte de la Bible a pris au long des siècles et prend encore aujourd’hui quantité de visages sous toutes les latitudes : mais on sait aussi que, inlassablement, Dieu soutient nos efforts pour briser nos chaînes.

Car l’histoire humaine qui nous donne, hélas, mille exemples d’esclavages, nous montre aussi (et c’est magnifique) la soif de liberté qui est inscrite au plus profond du cœur de l’homme, et qui résiste à toutes les tentatives pour l’étouffer. Cette soif de liberté, les croyants savent bien qui l’a insufflée dans l’homme ; ils l’appellent l’Esprit. Notre psaume sait « qu’il en coûte au SEIGNEUR de voir mourir les siens ! »... et qu’il lui en coûte tellement qu’Il est à l’origine de tous les combats pour la vie et pour la liberté de tout homme, quel qu’il soit.

 

LE LIBRE CHOIX DU SERVICE

À ce Dieu qui a fait ses preuves, si l’on peut dire, on peut faire confiance. Ce n’est pas lui qui nous enchaînera, il est bien trop jaloux de notre liberté ! Et, alors, librement, on se met à sa suite, on l’écoute : « Ne suis-je pas, SEIGNEUR, ton serviteur, moi dont tu brisas les chaînes ? » ; le mot « serviteur » ici, peut s’entendre plutôt comme disciple. Dans la Bible, il ne s’agit pas de « servir » Dieu dans le sens où il aurait besoin de serviteurs...

Cela est valable pour les idoles, les dieux que l’homme s’est inventés ; curieusement, quand nous imaginons des dieux, nous croyons qu’ils ont besoin de notre encens, de nos louanges, de nos compliments, de nos services.

Au contraire, le Dieu d’Israël, le Dieu libérateur n’a nul besoin d’esclaves à ses pieds, il nous demande seulement d’être ses disciples parce que lui seul peut nous faire avancer sur le difficile chemin de la liberté. Et l’expérience d’Israël, comme la nôtre, montre que dès qu’on cesse de se laisser mener par ce Dieu-là et par sa parole, on retombe très vite dans quantité de pièges, de déviations, de fausses pistes.

C’est pour cela que le psaume affirme si fort :

« J’invoquerai le nom du SEIGNEUR » : résolution affirmée deux fois en quelques versets ; c’est une véritable résolution, effectivement, celle de ne pas invoquer d’autres dieux, donc de tourner le dos définitivement à l’idolâtrie.

« J’invoquerai le nom du SEIGNEUR », cela revient à dire « je m’engage à ne pas en invoquer d’autre ! » Et on sait que les prophètes ont dû lutter pendant de nombreux siècles contre l’idolâtrie.

Il faut dire que la fidélité à cette résolution exigeait une grande confiance en Dieu, mais aussi bien souvent un immense courage face au polythéisme des peuples voisins. Pendant la domination grecque sur la Palestine, par exemple, et ceci se passe très tardivement dans la Bible, peu avant la venue du Christ, les Juifs ont dû affronter l’effroyable persécution d’Antiochus IV Épiphane : rester fidèle à la promesse contenue dans cette phrase « J’invoquerai le nom du SEIGNEUR » revenait à signer son propre arrêt de mort.

Cette résolution « J’invoquerai le nom du SEIGNEUR » est associée à des rites : « J’élèverai la coupe du salut »... « Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce. » Nous retrouvons ici, comme dans le livre de l’Exode que nous lisons en première lecture, la transformation radicale apportée par Moïse : désormais, les gestes du culte ne sont plus des rites magiques, ils sont l’expression de l’Alliance, reconnaissance de l’œuvre de Dieu pour l’homme. La coupe s’appelle désormais « coupe du salut » ; le sacrifice, désormais, est toujours sacrifice d’action de grâce parce que l’attitude croyante n’est que reconnaissance.

Enfin, ce psaume 115/116 fait partie d’un petit ensemble qu’on appelle les psaumes du Hallel, qui sont une sorte de grand Alléluia, et qui étaient chantés lors des trois grandes fêtes annuelles, la Pâque, la Pentecôte et la fête des Tentes.

Lors de sa dernière Pâque à Jérusalem, Jésus lui-même a donc chanté ces psaumes du Hallel et en particulier notre psaume d’aujourd’hui, le soir du Jeudi saint, alors qu’avec ses disciples, il venait d’élever une dernière fois la coupe du salut, alors qu’il allait offrir sa propre vie en sacrifice d’action de grâce : du coup, pour nous, ce psaume devient encore plus parlant ; nous savons que c’est Jésus-Christ qui délivre définitivement l’humanité de ses chaînes. À sa suite, et même avec lui, nous pouvons chanter : « Comment rendrai-je au SEIGNEUR tout le bien qu’il m’a fait ? ».

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LECTURE  DE LA LETTRE AUX HÉBREUX   9, 11-15

 

            Frères,
11        Le Christ est venu, grand prêtre des biens à venir.  
            Par la tente plus grande et plus parfaite,
            celle qui n’est pas œuvre de mains humaines
            et n'appartient pas à cette création,
12        il est entré une fois pour toutes         
            dans le sanctuaire,     
            en répandant, non pas le sang de boucs et de jeunes taureaux,