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27 mai 2017 6 27 /05 /mai /2017 21:27

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 3 juin 2017).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

PREMIÈRE LECTURE Actes des Apôtres  2, 1-11

 

1          Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques,
            ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2             Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : 
            la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3             Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
            qui se partageaient,   
            et il s’en posa une sur chacun d'eux.
4             Tous furent remplis d'Esprit Saint :  
            ils se mirent à parler en d'autres langues,
            et chacun s'exprimait selon le don de l'Esprit.
5             Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,       
            venant de toutes les nations sous le ciel.
6             Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
            ils se rassemblèrent en foule.
            Ils étaient en pleine confusion          
            parce que chacun d'eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7             Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :        
            « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8          Comment se fait-il que chacun de nous les entende
            dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9             Parthes, Mèdes et Élamites,  
            habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,      
            de la province du Pont et de celle d'Asie,
10        de la Phrygie et de la Pamphylie,     
            de l'Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
            Romains de passage,
11        Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,   
            tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
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             Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.

              À l’époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve : « Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la mer Noire, de la province d'Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye proche de Cyrène... Crétois et Arabes ».

             La ville de Jérusalem grouillait donc de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin : c’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.

             Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché... après sa Résurrection... cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant... Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !

             Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.

             Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « pareil à celui d’un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d’un cor très puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. La montagne du Sinaï n’était que fumée, parce que le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; sa fumée monta comme le feu d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment ... Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre ». (Ex 19, 16-19).

(Et on racontait que lorsque Dieu avait donné la loi, il y avait des lampes de feu qui traversaient l’espace.)

              En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple... Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le cœur de l’homme, pour reprendre une image d’Ézéchiel.2

              Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair », dit Dieu (Jl 3, 1 ; « toute chair » c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !

              Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande œuvre qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense... Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus... Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?... Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur... Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».

              Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu

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Note

1 - La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

2 - « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes...vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». (Ez 36, 26…28).

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Note

1 - La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

2 - « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes...vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». (Ez 36, 26…28).

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PSAUME 103 (104), 1.24, 29-30, 31.34

 

1          Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;  
            SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !       
24        Quelle profusion dans tes œuvres, SEIGNEUR !   
            La terre s'emplit de tes biens.

29        Tu reprends leur souffle, ils expirent            
            et retournent à leur poussière.           
30        Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;         
            tu renouvelles la face de la terre.

31        Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !          
            Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !          
34        Que mon poème lui soit agréable ;    
            moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.

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                   Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les œuvres de Dieu  J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire  trente-six  « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.

              On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.

              Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Égypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.-C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Égypte ; ils ont peut-être connu ce poème.

              Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.

              La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu ! Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de la Création dans la Genèse : la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi : un des versets du psaume le dit clairement « Toi, Dieu, tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher ». Je ne vais pas en parler longtemps car il s’agit de versets qui n’ont pas été retenus pour la fête de la Pentecôte, mais plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.

              Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »... Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, jouer pour mon Dieu tant que je dure... »

              Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’œuvre de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.

              Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous comptent sur toi... Tu caches ton visage, ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle, ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ».

              Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être  le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu  se réjouisse en ses œuvres ! ... Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».

              Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’œuvre de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :

              D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.

              Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! »  L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à toute chair », comme dit le prophète Joël qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu.

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Note

1 - La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

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DEUXIÈME LECTURE - Première lettre de Paul aux Corinthiens  12, 3b-7. 12-13

 

            Frères,
3          personne n’est capable de dire :
            « Jésus est Seigneur »
            sinon dans l’Esprit Saint.
4          Les dons de la grâce sont variés,
            mais c’est le même Esprit.
 5         Les services sont variés,
            mais c’est le même Seigneur.
6          Les activités sont variées,
            mais c’est le même Dieu
            qui agit en tout et en tous.
7          À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit
            en vue du bien.
12        Prenons une comparaison :
            le corps ne fait qu’un,
            il a pourtant plusieurs membres ;
            et tous les membres, malgré leur nombre,
            ne forment qu’un seul corps.
            Il en est ainsi pour le Christ.
13        C’est dans un unique Esprit, en effet,
            que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
            nous avons été baptisés pour former un seul corps.
            Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.
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              Paul nous donne ici une définition de l’Église : c’est le lieu où « chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien. » Voilà pourquoi nous sommes faits : manifester l’Esprit Saint, et non pas pour notre propre fierté, mais en vue du bien de tous. Et c’est un don gratuit qui est fait à chacun d’entre nous.

              Comme tous les membres d’un même corps sont au service de ce corps, sans que personne ne se demande lequel est le plus utile, de la main ou du pied, de l’oreille ou de l’œil, de même nous sommes tous indispensables à ce grand corps du Christ qui est en train de se former. Pour l’instant, l’œuvre définitive ressemble plutôt à une immense mosaïque dont les pièces sont encore éparpillées, mais c’est justement l’Esprit qui fait l’unité et la cohésion de l’ensemble, et qui relie entre elles les multiples pièces répandues à la surface du globe.

              Si, partout dans le monde, des communautés vivent à la manière dont parle saint Paul, alors cela fera tache d’huile et la mosaïque s’assemblera peu à peu. Car la vie des communautés chrétiennes à la manière de saint Paul est pour le moins révolutionnaire : d’un trait de plume, il barre toute considération de hiérarchie ou de supériorité !!! Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions bien humaines, tout cela ne compte plus : désormais une seule chose compte : notre Baptême dans l’unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d’infériorité... Tout racisme est désormais impossible.

              Paul avait certainement de bonnes raisons de le rappeler à ses chrétiens d’origines si diverses : « Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres »... dit-il. Juifs ou païens, ce sont tous les problèmes de diversités de sensibilités religieuses, sans parler de la difficulté des croyants de longue date à accepter les nouveaux venus. Mettre Juifs et païens sur le même plan au niveau religieux, quand on sait le poids que pouvait revêtir l’élection d’Israël aux yeux de Paul, c’était quand même bien audacieux ! Esclaves ou hommes libres, ce sont les diversités sociales, peut-être même raciales, certainement des clivages politiques et inévitablement pour certains des sentiments de supériorité.

              Bien sûr, les problèmes de la communauté de Corinthe n’étaient pas tout à fait les nôtres... Mais sommes-nous tellement loin de cela ? Si elles ne portent plus les mêmes noms, nos diversités de toute sorte sont bien à l’origine de nombreuses difficultés dans nos communautés. Pour certains d’entre nous, s’ajoute peut-être la difficulté de vivre sereinement et de trouver chacun notre juste place dans la structure qui s’est instaurée en vingt siècles de vie d’Église. 

              Et le premier message de Paul, aujourd’hui, c’est que l’Église du Christ a précisément pour vocation d’être ce lieu où l’on apprend à ne plus penser en termes de supériorité, de hiérarchie, d’avancement, d’honneur... Le lieu où une nomination n’est pas un avancement ou une rétrogradation... Le lieu où une ordination ne confère pas une supériorité... Car les vues de Dieu sont tout autres : « Vous le savez, disait Jésus à ses apôtres, les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. » (Mt 20, 25-26).

              Si on devait dessiner l’Église, ce ne serait pas une pyramide, mais une foule serrée autour de Quelqu’un. (Et au mot « Quelqu’un », j’ai mis une majuscule bien sûr). Saint Paul aussi dessine, mais lui il dessine tout simplement un corps humain : tous les baptisés, petits ou grands, nous en sommes les membres. Et ceux, parmi nous, qui sont ordonnés, ont justement ce rôle d’être le signe visible de la présence invisible du Christ dans son corps. Cela ne leur confère pas une supériorité, mais une mission.

              Nous ne sommes pas tous pareils pour autant : l’âge et le curriculum vitae ont quand même leur importance... mais pas celle qu’on croit. Et voilà le deuxième message de Paul : nos diversités sont des cadeaux ; ce n’est pas un hasard si il emploie plusieurs fois le mot « don » : « Les dons de la grâce sont variés »... « Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous ». Cela aussi, c’est un peu le monde à l’envers, parce que, bien souvent, ce sont nos diversités qui nous font souffrir ; on en sait quelque chose en liturgie ; Paul, au contraire, nous invite à nous en réjouir : nos diversités sont des richesses ! Et, paradoxalement, ce sont elles qui bâtiront notre unité. C’est l’un des grands messages de la Pentecôte, nous l’avons vu, en particulier, avec le récit des Actes des Apôtres où toutes les langues diverses s’unissent pour chanter le même chant, les merveilles de Dieu. L’Église est aussi ce lieu où l’on peut surmonter les différences de sensibilité et apprendre à vivre la réconciliation. Car l’Esprit qui nous est donné à la Pentecôte est l’Esprit d’amour, donc de pardon et de réconciliation. C’est même justement notre capacité de réconciliation et de respect mutuel qui est la marque de l’Esprit. Voilà le témoignage que le monde attend de nous. « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » disait Jésus le dernier soir (Jn 13, 35).

              Décidément, si nous avions à imaginer un dessin représentant l’Église, on pourrait dessiner une mosaïque : (chaque pièce compte et il ne faut surtout pas des pièces trop grandes !) plus les pièces (ce qu’on appelle les tesselles) sont petites, variées, colorées, plus la mosaïque sera belle et nuancée !

              L’unité dans la diversité, c’est un beau pari : mais nous ne pouvons le gagner que parce que l’Esprit nous est donné : l’Esprit d’Amour, l’Amour qui unit le Père et le Fils. C’était déjà la leçon de Babel : l'unité n'est pas dans l'uniformité ! La véritable unité de l'amour ne peut se trouver que dans la diversité.

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ÉVANGILE Jean  20, 19-23

 

            C’était après la mort de Jésus :
19        le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
            alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
            étaient verrouillées par crainte des Juifs,
            Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
            Il leur dit :
            « La paix soit avec vous ! »
20        Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
            Les disciples furent remplis de joie
            en voyant le Seigneur.
21        Jésus leur dit de nouveau :
            « La paix soit avec vous !
            De même que le Père m’a envoyé,
            moi aussi, je vous envoie. »
22        Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
            et il leur dit :
            « Recevez l’Esprit Saint.
23        À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
            à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
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                   Pour transmettre l’Esprit Saint à ses disciples, Jésus souffle sur eux ; cela nous fait penser à la phrase célèbre du livre de la Genèse, au chapitre 2 : « Le Seigneur Dieu insuffla dans les narines de l’homme l’haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2, 7). Et le psaume 103/104 (que nous entendons également pour cette fête de Pentecôte), commente le texte de la Création en chantant : « Tu envoies ton souffle, ils sont créés. » Or, nous sommes au soir de Pâques et Jésus reprend ce geste du Créateur. On comprend pourquoi saint Jean note : « C’était le soir du premier jour de la semaine », manière de dire c’est le premier jour de la nouvelle création ; dans le Judaïsme, on évoquait souvent la première création que Dieu avait accomplie en sept jours, comme le dit le fameux poème du chapitre 1 de la Genèse et on attendait le huitième jour, celui du Messie. À sa manière, imagée, Jean nous dit : ce fameux huitième jour est arrivé, c’est à une véritable re-création de l’homme que vous assistez.

              Deuxième remarque à propos du souffle, il me semble que l’ordre choisi par Jean pour nous raconter la Pentecôte est une leçon : je reprends les trois phrases dans l’ordre : 1) « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » ...2) « Il répandit sur eux son souffle et il leur dit recevez l’Esprit Saint » ... 3) « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ». La première et la troisième phrase disent une  mission, elles encadrent la phrase qui dit le don de l’Esprit. Ce qui veut bien dire que l’Esprit est donné POUR la mission. Nous n’avons pas d’autre raison d’être que cette mission.

              Et cette mission consiste à « remettre les péchés » ; c’était déjà celle de Jésus ; et il dit bien d’ailleurs : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Jésus, l’envoyé du Père, c’est un grand thème de Jean... À notre tour, Jésus nous envoie et Jean emploie bien le même mot ; Jésus est l’envoyé du Père et nous sommes les envoyés de Jésus, nous avons la même mission que Jésus, il nous la confie. C’est dire notre responsabilité, la confiance qui nous est faite ; or cela concerne tous les baptisés puisque l’Église a toujours jugé bon de confirmer tous les baptisés.

              Et cette mission de Jésus, pour s’en tenir au seul évangile de Jean, c’était d’ôter le péché du monde, j’ai envie de dire « extirper » le péché du monde ; et cela en étant l’agneau de Dieu. « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » avait dit Jean-Baptiste. L’agneau, c’est celui qui reste doux et humble de cœur face à ses bourreaux (c’est celui dont parle Isaïe 52-53) ; c’est aussi l’agneau pascal, celui qui signe de sa vie la libération du peuple de Dieu. Et au-delà de la libération d’Égypte, la phrase de Jean-Baptiste vise la libération du péché, c’est-à-dire de la haine et de la violence.

                 Jésus lui-même parle souvent de sa mission : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui »... « Dieu a donné son Fils, son unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ».

             Il me semble que toutes ces affirmations de Jésus sur sa mission éclairent la phrase difficile du texte d’aujourd’hui : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus ». La première partie de cette phrase nous convient tout à fait, bien sûr, mais la deuxième nous déroute. Pour commencer, je la redis un peu différemment, sans la déformer, j’espère : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui  vous ne remettrez pas ses péchés, ils ne lui seront pas remis ».

             Impossible de penser que notre Père du ciel pourrait ne pas nous pardonner. Déjà l’Ancien Testament avait parfaitement mis en lumière que le pardon de Dieu précède même notre repentir ; car en Dieu le pardon n’est pas un acte ponctuel, c’est son être même. Dieu n’est que don et pardon. La caractéristique de la miséricorde, c’est de se pencher encore plus près des miséreux, et miséreux, nous le sommes.

             Le pouvoir donné aux disciples du Christ, et plus que le pouvoir, la mission, confiée aux disciples du Christ, c’est donc de dire cette parole du pardon de Dieu ; c’est aussi, du coup, la terrible responsabilité que nous donne la deuxième partie de la phrase : ne pas dire la parole du pardon de Dieu, laisser le monde ignorer ce pardon, c’est laisser le monde à son désespoir. Nous détenons le pouvoir de ne pas dire le pardon de Dieu et de laisser le monde l’ignorer

              À entendre cela, on a envie de se mettre au travail tout de suite !

             Et le pardon de Dieu peut être annoncé de deux manières : par nos paroles et par nos gestes ; ce qui nous est demandé, c’est d’être nous-mêmes pardon. Nous sommes désormais pour le monde les témoins du pardon de Dieu.

             Et c’est cela la nouvelle Création : l’Esprit de don et de pardon nous est donné. À la Pentecôte, le pouvoir de pardonner nous est insufflé ; Dieu souffle en nous les paroles du pardon. Au théâtre, il y a un souffleur pour les trous de mémoire de l’acteur... Désormais il y a en nous quelqu’un qui souffle les paroles et les gestes du pardon. L’Esprit fait de nous des agneaux de Dieu à notre tour, il nous donne ainsi le pouvoir de vaincre la spirale de la haine et de la violence. Jésus l’avait déjà dit à ses disciples : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». Comme son Père l’a envoyé pour être l’agneau de Dieu, Jésus nous envoie à notre tour pour être des agneaux dans le monde. Pour répondre à la violence et à la haine par la non-violence et le pardon.

             Jusqu’au jour où se lèvera enfin ce fameux « huitième jour » que l’Ancien Testament déjà annonçait, celui où l’humanité tout entière vivra enfin l’amour et le pardon...

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, Pentecôte (4 juin 2017)

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22 mai 2017 1 22 /05 /mai /2017 06:59

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 27 mai 2017).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES  1, 12 - 14

 

            Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel,
12        retournèrent à Jérusalem
            depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche,
            – la distance de marche ne dépasse pas
            ce qui est permis le jour du sabbat.
13        À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute
            où ils se tenaient habituellement ;
            c’était Pierre, Jean, Jacques et André,
            Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu,
            Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques.
14        Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière,
            avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus,
            et avec ses frères.
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              Jésus vient tout juste de quitter ses disciples : la première phrase de notre texte d’aujourd’hui résume en quelques mots ce qui fut certainement une étape cruciale de la vie des premiers Chrétiens. Nous l’appelons l’Ascension et nous en avons fait une fête ; mais, à l’origine, n’est-ce pas plutôt un jour de deuil, un jour de grand départ ?

              Après l’horreur de la Passion et de la mort de Jésus, après l’éblouissement de la Résurrection, les voilà orphelins, cette fois, et pour toujours. Mais, du coup, les voici plus proches de nous et leur attitude pourrait guider la nôtre. Nous allons donc nous intéresser de très près à leurs faits et gestes.

              Jésus leur avait laissé des consignes : ne pas quitter Jérusalem, et attendre là le don de l’Esprit-Saint. Voici le récit qu’en donne le livre des actes des Apôtres : « Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche : Jean (Baptiste) a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. » (Ac 1, 4-5).

              Et, le jour même de son départ, sur le Mont des Oliviers, il a répété : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. » Je retiens, au passage, cette expression « la puissance de l’Esprit », elle devrait nous rassurer en toutes circonstances. Et Luc raconte ce qui s’est passé ensuite : « À ces mots, sous leurs yeux, il s'éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards. »

              Évidemment, ils ont respecté la consigne de leur Maître. Nous ne nous étonnons donc pas de les retrouver aussitôt après à Jérusalem ; Luc note que le mont des Oliviers est tout proche de Jérusalem : la distance n’excède pas ce qu’on appelle un « chemin de shabbat », c’est-à-dire la distance maximum que l’on peut parcourir sans violer la prescription de repos du shabbat ; c'était un peu moins d'un kilomètre ; pour être plus précis, le « chemin de shabbat » était de deux mille coudées ; et une coudée, comme son nom l'indique, c'est la longueur de l'avant-bras, soit à peu près cinquante centimètres.

              Mais pourquoi Luc donne-t-il cette précision ? Faut-il en déduire que c'était un jour de sabbat ? Ou bien, en insistant sur la proximité du Mont des Oliviers, Luc veut-il suggérer que tout se passe à Jérusalem ? C'est là que s'accomplit le dessein de Dieu : là le Fils a été glorifié, là a été renouée l'Alliance entre Dieu et l'humanité, là sera donné l'Esprit.

 

               C'est dans la ville sainte, donc, que commence la vie de l'Église naissante ; et Luc énumère ceux qui composent le groupe : les Onze, quelques femmes, dont Marie, la mère de Jésus et quelques frères, c’est-à-dire des disciples probablement. Là encore, les précisions ne sont certainement pas là pour l'anecdote ; nous connaissions déjà les noms des apôtres par l’évangile de Luc ; s’il nous en redonne la liste, ce n'est donc pas pour nous instruire ! Luc veut marquer la continuité dans la communauté des apôtres : ce sont les mêmes qui ont accompagné Jésus tout au long de sa vie terrestre, qui maintenant s'engagent dans la mission. Et ils ne pourront être les témoins de la Résurrection que parce qu'ils ont été témoins de la vie, de la Passion et de la mort de Jésus.

              Nous retrouvons donc là le groupe que Jésus avait choisi avec ses diversités étonnantes : Pierre, Jacques, Jean et André étaient pêcheurs au bord du lac de Tibériade ; Simon était zélote : à l’époque de la vie terrestre de Jésus, cela ne représentait pas encore un engagement politique, mais c’était quand même déjà un signe de fanatisme religieux ; on se demande comment il pouvait voisiner avec Matthieu le publicain : c’est-à-dire percepteur à la solde de l’occupant, et, pour cette raison interdit de culte ! Non seulement, Jésus a réussi à les faire cohabiter autour de lui, mais, désormais, ils vont porter ensemble la responsabilité de continuer la mission de leur Maître.1

              C'est sur cette communauté d'hommes tels qu'ils sont que repose désormais l'annonce de la Bonne Nouvelle. Je note deux choses :

              Premièrement, leur groupe n’est pas refermé sur lui-même, il est déjà ouvert à d’autres, hommes et femmes. Deuxièmement, ils commencent cette vie de l’Église dans la prière, « d’un seul cœur et fidèlement », nous dit Luc. Et voilà peut-être bien le premier miracle des apôtres ! Cette prière d’un seul cœur au moment où leur Maître les quitte, où ils se retrouvent apparemment livrés à eux-mêmes et à leurs diversités qui auraient bien pu devenir des divergences.

              Mais ils ne sont livrés à eux-mêmes qu’apparemment ! Jésus est désormais invisible, il n’est pas pour autant absent. Matthieu, dans son évangile, a retenu l’une des dernières phrases de Jésus : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin des temps ». 

              Les apôtres ne prient donc pas pour obtenir que Jésus se fasse proche : sa présence leur est acquise ; ils prient pour se replonger dans sa présence. Ce récit des Actes devient alors pour nous une formidable leçon d’espoir : Jésus est avec nous tous les jours, sa présence nous est acquise, à nous aussi, et la puissance de l’Esprit Saint nous accompagne. Voilà de quoi nous donner toutes les audaces !

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Note

1 - La tradition Chrétienne a assimilé Barthélémy avec Nathanaël (cité par saint Jean) qui était un spécialiste de la Loi. Si c’était le cas, c’était encore une diversité supplémentaire à l’intérieur du groupe des Douze.

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PSAUME  26  ( 27 )

 

1      Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ; 
        de qui aurais-je crainte ?           
        Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ;       
        devant qui tremblerais-je ?

4      J'ai demandé une chose au SEIGNEUR,         
        la seule que je cherche : 
        habiter la maison du SEIGNEUR        
        tous les jours de ma vie,
        pour admirer le Seigneur dans sa beauté
        et m’attacher à son temple.

7      Écoute, SEIGNEUR, je t'appelle !       
        Pitié ! Réponds-moi !    
8      Mon cœur m'a redit ta parole :  
        « Cherchez ma face ».
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Ce psaume est fait tout particulièrement pour ceux qui traversent des temps difficiles ! On sait bien que les croyants ne sont pas plus épargnés que les autres par les épreuves de la vie : la foi n’est pas une baguette magique. Parfois même, les croyants souffrent à cause de leur foi ; c’est le cas dans toutes les guerres de religion ou les persécutions. Cela peut venir aussi de l’hostilité des athées et des difficultés à défendre les valeurs chrétiennes dans un monde qui ne les partage pas. Nous en aurons l’exemple dans la lettre de saint Pierre qui est notre deuxième lecture de ce dimanche.

Mais, dans les épreuves, les croyants ont une attitude particulière, car ils savent qu’ils ne sont pas seuls, abandonnés à leur triste sort, comme on dit. Ils savent qu’ils ont un interlocuteur : « C’est vers Dieu que pleurent mes yeux », disait Job (Jb 16, 20). Et ils vont chercher la force là où elle se trouve, c’est-à-dire en Dieu. « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? »

Nous ne saurons pas à quelles épreuves précises fait allusion ce psaume ; entre parenthèses, il est beaucoup plus long que les quelques versets que nous avons lus ici, mais cela ne nous donne aucune indication historique. Nous sentons ici ou là une allusion à des attaques extérieures : « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? » Depuis la grande aventure de l’Exode, le peuple d’Israël a été à plusieurs reprises menacé dans sa vie même ; le premier verset « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut » est probablement aussi une allusion à l’Exode, sous la conduite de Moïse : car, dans le désert du Sinaï, la colonne de nuée éclairait sa route et disait la présence de Dieu : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut... »

Le salut, à cette époque-là, c’était d’échapper au Pharaon ; à chaque époque de nos histoires collectives et individuelles, le salut prend des formes diverses ; et Israël en a connu de toutes sortes que l’ensemble du psaume évoque par allusions ; par exemple, dire « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie », c’est faire remonter à la mémoire la longue période de guerres ; et on sait bien que le meilleur rempart ce ne sont pas des fortifications, avec des créneaux et des mâchicoulis, c’est la  force que Dieu nous donne. « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas », disait Isaïe au roi Achaz (Is 7, 9). La foi est la seule force qui nous permette de tout affronter ; « De qui aurais-je crainte ? » : cela veut bien dire que Dieu  nous garde de toute peur. Et que nous n’avons pas peur de lui non plus.

Dans toutes les épreuves et les souffrances, le croyant sait qu’il peut crier vers Dieu : c’est même recommandé, si j’en crois la Bible ! Il ne faut pas écouter la phrase d’Alfred de Vigny qui a bercé l’enfance de certains d’entre nous : je vous la rappelle, mais c’est pour l’oublier aussi vite : « Gémir, pleurer, prier est également lâche ; accomplis chaque jour ta longue et lourde tâche, puis après, comme et moi, souffre et meurs sans parler. » C’est dans « La mort du loup ». La phrase est belle, mais elle n’est pas biblique ! Ce que la Bible nous apprend, et en particulier dans le livre de Job (si on lit soigneusement la partie centrale du livre), c’est que « Non, gémir, pleurer, prier, ce n’est pas lâche ! » C’est humain tout simplement. Mais c’est vers Dieu qu’il faut gémir, pleurer, prier

              « Écoute, SEIGNEUR, je t’appelle », dit notre psaume : il y a une chose dont  le peuple élu est sûr, c’est que Dieu entend nos cris d’appel ! Cela a été la grande révélation du Buisson ardent : « Le cri des fils d’Israël est venu jusqu’à moi » a dit Dieu à Moïse (Exode 3) ; depuis ce jour et pour toujours, Israël sait que Dieu entend le cri des malheureux. Et même s’il est silencieux, nous savons qu’il n’est pas sourd.

En dehors des épreuves extérieures, ce psaume évoque peut-être également l’épreuve spirituelle du peuple qui peine à garder la foi : « J’ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche : c’est d’habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie » : comme le lévite, admis dans l’intimité du temple de Jérusalem, Israël demande la grâce de demeurer dans l’intimité de Dieu.

« Pitié, réponds-moi », c’est un cri de mendiant ; c’est aussi, peut-être, une demande de pardon ; car l’expression qui suit, « Cherchez ma face », est un appel à la conversion ; il faut se détourner des idoles et se tourner vers Dieu. Dès son installation dans la Terre Promise, le peuple a été affronté à un nouveau danger : celui de l’infidélité, c’est-à-dire l’idolâtrie ; alors, là encore, il faut tenir ferme, se rappeler les mises en garde de Moïse. « Mon cœur m’a redit ta parole : « Cherchez ma face ».

         Mais là, il ne faut pas se tromper, il y a un contresens à ne pas faire ; quand Dieu dit  « Cherchez ma face », ce n’est pas qu’il ait soif de nos hommages. Ce conseil nous est donné pour notre bonheur : nous sommes parfois tentés de penser que Dieu pourrait nous demander quelque chose dans son intérêt à lui. Mais Dieu nous aime. Tous les commandements qu’Il nous donne sont pour notre bonheur. Saint Augustin disait : « Tout ce que l’homme fait pour Dieu profite à l’homme et non à Dieu. »

         Pour Dieu, le centre du monde, c’est l’humanité ; il n’a pas d’autre but que notre bonheur ; et nous, nous ne trouvons notre bonheur que quand nous mettons Dieu au centre de notre vie. Saint Augustin disait encore « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ».

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Compléments

1 - Il est intéressant de faire le rapprochement entre ce psaume 26/27 et le cantique de Zacharie (le père de Jean-Baptiste ; Lc 1, 67-79) que beaucoup d’entre nous disent chaque matin  dans la Liturgie des Heures :

« Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël,
qui visite et rachète son peuple.
Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David,
son serviteur,
Comme il l’avait dit par la bouche des saints,
par ses prophètes,
depuis les temps anciens ;
Salut qui nous arrache à l’ennemi,
à la main de tous nos oppresseurs,
Amour qu’il montre envers nos pères,
mémoire de son alliance sainte,
Serment juré à notre père Abraham, de nous rendre sans crainte,
Afin que, délivrés de la main de nos ennemis,
nous le servions dans la justice et la sainteté,
En sa présence tout au long de nos jours ».
 

2 - Il suffit d'entendre la première phrase « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut », pour savoir que ce psaume est écrit dans une période difficile ; c'est la nuit qu'on a besoin de croire à la lumière.

 Ce qui peut surprendre, c'est que quand le soleil disparaît, quelquefois pour des jours et des jours, derrière la pluie et les nuages, nous ne doutons jamais un seul instant qu'il continue d'exister... nous sommes absolument certains que les beaux jours reviendront, que nous sentirons de nouveau sa chaleur et son rayonnement... C'est même en plein hiver, sous la pluie, que les magasins proposent les vêtements d'été ; tout le monde sait que le soleil est toujours là, même s’il est provisoirement caché !

 Mais quand la présence de Dieu est moins évidente, il nous est plus difficile de croire qu'Il ne cesse pas pour autant d' être présent et agissant. C'est à ces moments-là que nous avons bien besoin de notre foi ; ce psaume est très certainement fait pour entretenir la foi dans un moment difficile. Affirmer « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte », c’est avouer que la crainte me guette et qu’il faut s’accrocher à la certitude.
            

3 - On ne s'étonne pas que ce psaume soit  proposé par le Rituel des Funérailles ; et d'ailleurs,  le refrain que nous chantons le plus habituellement pour ce psaume, c'est « Ma lumière et mon salut, c’est le Seigneur, Alléluia »  : c’est-à-dire le premier verset auquel on a ajouté « Alléluia » ; on ne pouvait pas mieux faire ; car le sens du mot « Alléluia », c’est justement  « Le Seigneur est mon salut, il m’a relevé ». Le sens littéral, c’est « Louez Dieu », mais cela veut dire « Louez Dieu qui vous sauve. » Voici le sens de l’Alléluia dans la tradition juive : « Dieu nous a amenés de la servitude à la rédemption, de la tristesse à la joie, des ténèbres à la brillante lumière, du deuil au jour de fête, de la servitude à la liberté, c’est pourquoi chantons devant lui l’Alléluia ».
 

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PIERRE APÔTRE   4, 13-16 

 

            Bien-aimés,
13        dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ,
            réjouissez-vous,
            afin d’être dans la joie et l’allégresse
            quand sa gloire se révélera.
14        Si l’on vous insulte pour le nom du Christ,
            heureux êtes-vous,
            parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu,
            repose sur vous.
15        Que personne d’entre vous, en effet,
            n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur,
            ou comme agitateur.
16        Mais si c’est comme chrétien,
            qu’il n’ait pas de honte,
            et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.

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             Si Pierre emploie le mot  « chrétien », c’est parce qu’il écrit cette lettre longtemps déjà après la Résurrection du Christ.

              Au tout début de l’Église, nous le savons par les Actes des Apôtres, les premiers disciples du Christ ne portaient pas encore ce nom ; ils étaient appelés « Nazôréens », à cause de Nazareth, bien sûr ; à vrai dire, de la part des Juifs qui refusaient de reconnaître en Jésus de Nazareth le Messie attendu par Israël, ce titre de Nazôréens était plutôt péjoratif. Un peu plus tard, au moment où Barnabé et Saül de Tarse (le futur saint Paul) accomplissaient leur mission à Antioche de Syrie, ce sont probablement des païens non convertis à l’Église chrétienne qui donnèrent aux disciples de Jésus le nom de Chrétiens, qui veut dire « du Christ, appartenant au Christ » (Ac 11, 26).

              Ce nouveau titre de chrétien n’était pas non plus honorifique ! Les païens non convertis voyaient d’un mauvais œil le changement de vie radical qui s’opérait dans la communauté des baptisés. Voici ce que nous pouvons lire un peu plus tôt dans la lettre de Pierre : « Les païens trouvent étrange que vous ne couriez plus avec eux vers la même débauche effrénée et ils vous outragent. » (1 P 4, 4) ; « Ils vous calomnient comme malfaiteurs. » (1 P 2, 12).

              Nous comprenons mieux, du coup, de quelles souffrances Pierre parle ici : « Si l'on fait souffrir l'un de vous... si c'est comme chrétien, qu'il n'ait pas de honte »... « vous communiez aux souffrances du Christ ». Il entend par là la souffrance de l’incompréhension, de l’isolement, de la calomnie dont Jésus a été victime parce qu’il se démarquait de la classe dominante. Parce qu’il continuait à annoncer son message sans se laisser arrêter par quiconque... C’est cette fidélité qui lui a coûté la vie... À leur tour, les premiers Chrétiens sont affrontés à la même hostilité ; alors il s’emploie à leur donner le courage de tenir bon en attendant des jours meilleurs, le jour où la gloire du Christ se révélera, comme il dit ; c’est-à-dire le jour où la vérité éclatera, le jour où Jésus viendra inaugurer son règne parmi les hommes.

              Pierre va même plus loin : non seulement, il ne faut pas avoir honte, mais au contraire, le titre de chrétiens est à ses yeux, la plus haute dignité : « Réjouissez-vous », leur dit-il et rendez gloire à Dieu, à cause de ce nom de chrétien. Il est vrai que si le mot « chrétien » signifie « appartenant au Christ », alors, oui, c’est bien notre plus beau titre de fierté ! Bien au-delà de la fierté que nous tirons de notre naissance, de nos titres, de notre culture, de nos diplômes, de notre palmarès sportif, de notre beauté, de notre argent, de nos décorations...

              Cette formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous... » ressemble de très près à l’une des béatitudes annoncées par Jésus : « Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux » (Mt 5, 11). Jésus, en disant cela, faisait son propre portrait. Désormais, Pierre applique ce portrait à ceux qui, à leur tour, portent le nom du Christ. Il emploie même le mot « communier » : « vous communiez aux souffrances du Christ » : ce qui veut dire : « réjouissez-vous, vous êtes intimement unis au Christ dans ces souffrances que vous subissez pour rester fidèles à son nom et à sa mission. Et parce que vous êtes unis à ses souffrances, vous serez également unis à sa gloire, le jour où la vérité éclatera. »

              Il faut certainement rester très fermes sur un point : la souffrance n’est pas un but en soi ; le but, c’est le jour où sa gloire se révélera. Si la souffrance était un but en soi, Jésus n’aurait pas consacré sa vie publique à soulager, guérir, pardonner, relever, redonner courage, accueillir les exclus de toute sorte, et même ressusciter Lazare ou le fils d’une veuve... Si la souffrance était un but en soi, les prophètes n’auraient pas non plus annoncé maintes et maintes fois le jour de Dieu comme celui de toutes les guérisons et de toutes les libérations. Le but, ce n’est pas la souffrance, c’est d’être uni au Christ et à Dieu dans l’Esprit d’amour, quelles que soient les circonstances, heureuses ou malheureuses de notre vie.

              Et Pierre indique un chemin pour aborder la circonstance très particulière qu’est la persécution pour le nom du Christ : ce chemin, c’est sa formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous... » qui sonne comme une Béatitude.

              Une Béatitude, c’est à la fois une félicitation, une annonce et un encouragement ;

              La félicitation, c’est quelque chose comme : « Bravo... si on vous traite ainsi, c’est que vous ressemblez au Christ. Et donc, que vous êtes dignes de porter le nom de chrétiens ».

              L’annonce, c’est : « Un jour viendra où le Christ sera reconnu par tous, et vous avec. Ce jour-là, on reconnaîtra que vous ne vous êtes pas trompés », et que le Christ non plus ne vous a pas trompés.

              L’encouragement, c’est la suite logique de ce qui précède ; c’est : « Courage, tenez bon, vous avez choisi la bonne voie » ; et, d’ailleurs, on sait qu’André Chouraqui traduisait  « Bienheureux » par « En marche ».

              Pierre parle ici en connaissance de cause : s’il a commencé par renier son maître, c’est parce qu’il craignait d’être associé à ses souffrances ; mais après la Pentecôte, plus rien n’a pu l’arrêter dans sa tâche de prédicateur ; aux autorités qui lui interdisaient de parler de Jésus, il répondait simplement :  « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu »  (Actes 4, 20). Et quand les menaces se sont concrétisées, le livre des Actes raconte qu’après avoir été battus de verges, « les apôtres quittèrent le Sanhédrin, tout heureux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom » (Actes 5,41).

              Mais cela, Pierre n’a pu le faire qu’après la Pentecôte : il faut être rempli de l’Esprit de Jésus pour avoir le courage d’affronter la persécution en son nom et pour connaître cette joie mystérieuse d’être en communion avec lui, jusque dans la souffrance, cette joie que nul ne pourra nous ravir !

              Pas étonnant que l’Église nous fasse entendre ce texte de Pierre en ce temps de redécouverte du rôle de l’Esprit Saint dans la vie de nos communautés.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN  17, 1b-11a

 

              En ce temps-là,
1            Jésus leva les yeux au ciel et dit :
              « Père, l’heure est venue.
              Glorifie ton Fils
              afin que le Fils te glorifie.
2            Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair,
              il donnera la vie éternelle
              à tous ceux que tu lui as donnés.
3            Or, la vie éternelle,
              c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu,
              et celui que tu as envoyé,
              Jésus Christ.
4            Moi, je t’ai glorifié sur la terre
              en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire.
5            Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père,
              de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.
6            J’ai manifesté ton nom
              aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner.
              Ils étaient à toi, tu me les as donnés,
              et ils ont gardé ta parole.
7            Maintenant, ils ont reconnu
              que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8            car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données :
              ils les ont reçues,
              ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi,
              et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9            Moi, je prie pour eux ;
              ce n’est pas pour le monde que je prie,
              mais pour ceux que tu m’as donnés,
              car ils sont à toi.
10          Tout ce qui est à moi est à toi,
              et ce qui est à toi est à moi ;
              et je suis glorifié en eux.
11          Désormais, je ne suis plus dans le monde ;
              eux, ils sont dans le monde,
              et moi, je viens vers toi. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

              Je reprends les derniers mots de Jésus : « Je viens vers toi ». Tant que nous sommes sur cette terre, nous ne pouvons pas être témoins du grand dialogue d’amour de Jésus avec son Père. Mais avec ce récit de saint Jean, nous entrons dans la prière de Jésus au moment même où il va rejoindre son Père : « Je viens vers toi. ». Car c’est l’Heure du grand passage : « Père, l’heure est venue », dit Jésus. Cette heure dont il a parlé à plusieurs reprises, au cours de sa vie terrestre. Cette Heure qu’il semblait désirer et redouter à la fois.

              C’est l’heure, décisive, centrale de toute l’histoire humaine, l’heure que toute la création attend comme celle d’une naissance : parce qu’elle est l’heure de l’accomplissement du dessein de Dieu. Désormais, à partir de cette heure, plus rien, jamais, ne sera comme avant. En cette heure décisive, le mystère du Père va enfin être révélé au monde : c’est pourquoi Jésus emploie avec insistance les mots « gloire » et « glorifier ». La gloire d’une personne, au sens biblique, ce n’est pas sa célébrité ou sa reconnaissance par les autres, c’est sa valeur réelle. La gloire de Dieu, c’est donc Dieu lui-même, qui se manifeste aux hommes dans tout l’éclat de sa sainteté. On peut remplacer le verbe « glorifier » par « manifester ».

              En cette heure décisive, Dieu va être glorifié, manifesté en son Fils, et les croyants vont « connaître » enfin le Père, entrer dans son intimité. Cette intimité qui unit le Fils au Père, le Fils la communique aux hommes ; désormais ceux qui accueilleront cette révélation, ceux qui croiront en Jésus, accèderont à cette connaissance, cette intimité du Père. Alors ils entreront dans la vraie vie : « La vie éternelle, c’est de te connaître, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » Voilà, de la bouche de Jésus lui-même, une définition de la vie éternelle : Jésus parle au présent et il  décrit la vie éternelle comme un état, l’état de ceux qui connaissent Dieu et le Christ. Nous vivons déjà de cette vie depuis notre baptême.

              Parlant de ses disciples, Jésus dit : « ils ont vraiment reconnu que je suis venu d’auprès de toi, et ils ont cru que c’était toi qui m’avais envoyé. » En cette heure-là, une partie (une partie seulement) de l’humanité a accueilli cette révélation et est entrée dans cette communion d’amour proposée par le Père et a accepté de prendre le chemin ouvert par le Fils. Curieusement, c’est seulement pour ces quelques-uns que Jésus prie : « Je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés... » Car Dieu attend la collaboration des hommes pour son œuvre de salut, et c’est le mystère des choix de Dieu qui se répète : comme le Père avait choisi Abraham pour lui révéler son grand projet, il a choisi certains membres de la lignée d’Abraham pour parachever la révélation de son mystère : « J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé fidèlement ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi... » Pour ce petit peuple choisi, l’heure est venue de poursuivre l’œuvre de révélation : « Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. » Jésus nous passe le flambeau en quelque sorte : il nous a tout donné, à nous de donner aux autres maintenant.

Il faut laisser résonner en nous l’insistance de Jésus sur le mot « donner » : Le Père a donné autorité au Fils... le Fils donnera la vie éternelle aux hommes... le Père a donné les hommes au Fils... Le Père a donné ses paroles au Fils... et le Fils a donné ces paroles à ses frères... L'insistance de Jésus sur le mot « donner » rejoint toute la méditation biblique : notre relation avec Dieu ne se déroule pas sur le registre du calcul. Il nous suffit de nous laisser aimer et combler de sa grâce en permanence. Le mot « grâce » signifie un don gratuit. Cette logique du don, de la gratuité, c’est celle du Fils, celui qui vit éternellement dans un dialogue d’amour sans ombre avec son Père ; dans le prologue de son évangile, Jean dit que le Fils est éternellement « tourné vers le Père ». Et parce qu’il n’y a pas d’ombre entre eux, il reflète la gloire du Père « Qui l’a vu a vu le Père ». Entre eux tout est amour, dialogue, partage : « Tout ce qui est à toi est à moi, comme tout ce qui est à moi est à toi ».

              Le fameux texte du Prologue de l’évangile de Jean s’éclaire très nettement à la lecture de la prière de Jésus, il en est comme la transposition : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise... À ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu... Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils Unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père... De sa plénitude, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce. » (Jn 1, 1.. 16).

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 7e dimanche de Pâques (28 mai 2017)

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15 mai 2017 1 15 /05 /mai /2017 15:53

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 20 mai 2017).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   8, 5-8. 14-17

  1. J’ai un peu modifié le début du commentaire pour simplifier la présentation du contexte.
     

          En ces jours-là,
5        Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie,
          et là il proclamait le Christ.
6        Les foules, d’un même cœur,
          s’attachaient à ce que disait Philippe,
          car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait,
          ou même les voyaient.
7        Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs,
          qui sortaient en poussant de grands cris.
          Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris.
8        Et il y eut dans cette ville une grande joie.

14      Les Apôtres, restés à Jérusalem,
          apprirent que la Samarie
          avait accueilli la parole de Dieu.
          Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean.
15      À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains
          afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ;
16      en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux :
          ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus.
17      Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains,
          et ils reçurent l’Esprit Saint.
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                        Je reprends la première phrase : « Philippe, l’un des Sept » ; il s’agit de ces sept hommes qui ont été désignés pour organiser ce qu’on appelait le service des tables à Jérusalem. Concrètement, il s’agissait du problème d’assurer un partage équitable dans la distribution de ce qui ressemblait à une banque alimentaire en faveur des veuves.

                        Dimanche dernier, nous avons vu qu’un problème était né parmi les tout premiers chrétiens : je m’en explique. Dans un premier temps, après la Résurrection de Jésus, tous ceux qui ont suivi les apôtres et ont demandé le baptême étaient des Juifs, soit de naissance, soit convertis au judaïsme (ceux qu’on appelait les prosélytes). Mais il y avait entre eux déjà de grandes diversités.

                        Parmi ces Juifs, certains étaient originaires du pays même d’Israël et en particulier de Jérusalem et ils parlaient hébreu à la synagogue et araméen dans la rue. On les appelait « Hébreux ». Les autres étaient originaires de ce qu’on appelle la Diaspora, c’est-à-dire tout le reste de l’empire romain ; ils parlaient grec et on les appelait « Hellénistes ».

                        Pour la célébration du shabbat, le samedi matin, tous les juifs, qu’ils soient devenus chrétiens ou non, se rendaient dans des synagogues où l’on parlait leur langue : les Hébreux d’un côté, les Hellénistes de l’autre. Mais pour la célébration chrétienne, ceux des Juifs qui étaient devenus chrétiens se regroupaient dans des maisons particulières, Hellénistes et Hébreux confondus.

                        C’est dans le cadre de ces célébrations chrétiennes qu’une première querelle a éclaté entre ces deux groupes de chrétiens, à propos des secours apportés aux veuves. Et, pour le résoudre, on a nommé sept hommes chargés du service des tables (on dirait peut-être aujourd’hui les questions matérielles). C’était notre texte de dimanche dernier.

                        Parmi ces sept hommes, Étienne et Philippe. Tous les deux sont donc des Juifs, devenus chrétiens depuis peu, Hellénistes, ardents, fervents et probablement reconnus comme des meneurs. Ils essaient de convertir à Jésus-Christ les Juifs qui fréquentent les synagogues où on parle grec ; c’est là que naît une deuxième querelle ; mais ce n’est plus une dispute entre chrétiens d’origines différentes ; c’est une querelle beaucoup plus grave, entre Juifs hellénistes (c’est-à-dire des Juifs de la Diaspora) : ceux qui croient en Jésus de Nazareth, Messie méconnu, crucifié, ressuscité… et ceux qui continuent à penser que Jésus n’était qu’un imposteur.

                        Et c’est là que commence la première persécution : les Juifs qui refusent de croire en Jésus-Christ attaquent leurs frères juifs devenus chrétiens. Étienne le paiera de sa vie. Il est dénoncé par des Juifs hellénistes aux autorités de Jérusalem. Il est arrêté, exécuté.

                        Ce martyre d’Étienne n’apaise pas la fureur de ses opposants ; au contraire, ils vont s’en prendre aux autres chrétiens du groupe d’Étienne ; cette toute première persécution ne vise pas les apôtres directs de Jésus, Pierre, Jean, Jacques et les autres qui font partie du groupe des Hébreux ; elle vise seulement les Hellénistes. Si bien que les apôtres de Jésus ne sont pas inquiétés et restent à Jérusalem, continuant à pratiquer leur religion juive tout en prêchant au nom de Jésus. En revanche, par prudence, le groupe des Hellénistes se disperse : ceux qui sont le plus en danger s’éloignent ; bien sûr, partout où ils iront, ils parleront du Messie, Jésus de Nazareth.

                        Et donc, grâce à la persécution, en quelque sorte, la Bonne Nouvelle déborde Jérusalem et atteint les autres villes de Judée et la Samarie. Plus tard, on se rappellera la dernière phrase de Jésus, le jour de l’Ascension : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités  de la terre » (Ac 1, 8). C’est exactement ce qui est en train de se passer : c’est paradoxalement cette épreuve, la persécution et la dispersion de la communauté qui permet à l’évangélisation de gagner du terrain.

                        C’est donc ainsi que Philippe est descendu en Samarie, mais au lieu de s’y cacher, il se met à prêcher ; où l’on voit d’ailleurs qu’il déborde très rapidement la mission qui lui avait été confiée : primitivement, Philippe  a été choisi pour être l’un des sept chargés du service des tables des veuves à Jérusalem ; pour que les apôtres, eux, les douze, puissent continuer d’assurer la prière et le service de la Parole. Et nous le retrouvons prédicateur en Samarie ; comme quoi, il faut savoir s’adapter : une mission peut prendre des visages très différents : ce sont les besoins de la communauté qui commandent.

                        En même temps, il reste en lien, visiblement, avec ceux qui lui ont confié sa mission puisque la communauté de Jérusalem lui envoie Pierre et Jean qui viendront en quelque sorte authentifier le travail accompli par Philippe ; il me semble qu’on a là un bon exemple d’un  équilibre à maintenir : se sentir libres d’innover dans nos missions respectives et, en même temps,  garder le lien avec l’institution... ne pas devenir des sortes d’électrons libres...  

                        Ceci se passe en Samarie ; or, on sait à quel point les gens de Jérusalem méprisaient les Samaritains : ils les considéraient comme des hérétiques ; parce que, depuis des siècles, entre Judéens et Samaritains on entretenait soigneusement la brouille et le mépris de l’autre. Philippe, lui, ne s’embarrasse pas des vieilles querelles : lui, l’homme de la Diaspora, il est sans doute plus loin de ces disputes théologiques ; en tout cas, grâce à lui, l’évangile vient de déborder les frontières de la synagogue ; en retour, Luc insiste sur la joie des Samaritains d’accueillir la Bonne Nouvelle ; cela évidemment fait penser à nombre de passages d’évangile où ce sont les plus humbles, les exclus qui ont le plus facilement accueilli le message de Jésus.

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  1. Donc Philippe se met à prêcher à son tour : Luc dit « il proclamait le Christ » ; formule ramassée qui signifie : il annonçait que Jésus de Nazareth est ressuscité, il est bien le Messie qu’on attendait. D’après tout le Nouveau Testament, Actes des Apôtres et épîtres, on voit bien que le témoignage de la résurrection du Christ est le centre de toute prédication apostolique ; ce qui veut dire qu’une prédication n’est chrétienne que si elle est centrée sur la résurrection.

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PSAUME 65  (66)

 

1            Acclamez Dieu, toute la terre ;  
2            fêtez la gloire de son nom,        
              glorifiez-le en célébrant sa louange.      
3            Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

4            Toute la terre se prosterne devant toi,   
              elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. 
5            Venez et voyez les hauts-faits de Dieu,
              ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

6            Il changea la mer en terre ferme :          
              ils passèrent le fleuve à pied sec.           
              De là, cette joie qu'il nous donne.         
7            Il règne à jamais par sa puissance.

16          Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ; 
              je vous dirai ce qu'il a fait pour mon âme.        
20          Béni soit Dieu, qui n'a pas écarté ma prière,     
              ni détourné de moi son amour !
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                   Nous n’avons lu ici qu’un choix très court parmi les vingt versets que compte ce psaume 65/66. Mais toute la longue aventure des croyants est évoquée ici, ramassée en trois étapes : première étape suggérée : au verset 6, nous avons entendu le rappel de l’Exode : la sortie d’Égypte avec Moïse : « Il changea la mer en terre ferme » puis l’entrée en terre promise sous la conduite de Josué, par le miracle de l’assèchement du Jourdain : « Ils passèrent le fleuve à pied sec. » Lorsqu’on lit attentivement les psaumes, on est surpris de l’abondance des échos de l’Exode qui est le socle de l’expérience croyante d’Israël et donc de son espérance.

                   Deuxième étape, l’époque où le psalmiste compose son chant : il invite ses contemporains à la prière, à la louange et au partage de l’expérience croyante : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ; je vous dirai ce qu'il a fait pour mon âme. »

                   Troisième étape, l’avenir : c’est la terre tout entière qui est invitée à entrer dans la louange de Dieu : « Acclamez  Dieu, toute la terre ; fêtez la gloire de son nom. Glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ».

                   Ce n’est pas la première fois que nous voyons la prière d’Israël s’élargir à la dimension de la terre entière, ce qui veut dire, bien sûr, l’humanité entière. Le peuple élu a peu à peu compris qu’il était en mission pour le monde et que cette mission ne serait achevée que quand tous les peuples seraient unis pour entrer dans la joie de Dieu. Rappelons-nous, en particulier, les prophéties d’Isaïe sur le rassemblement de tous les peuples à Jérusalem, par exemple « Ma maison sera appelée Maison de prière pour tous les peuples » (Is  56, 7).

                   Et d’ailleurs, on entend ici comme une sorte d’anticipation de ce jour, comme si tous les peuples faisaient déjà partie du cortège des pèlerins qui montent à Jérusalem : « Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom ». Ce n’est encore qu’une anticipation, malheureusement, mais appeler le futur de tous ses vœux, c’est le hâter, car ce futur ne se réalisera que si nous le désirons ardemment : alors nous prendrons les moyens de le réaliser.

                   Au passage, nous avons remarqué l’insistance sur le mot « redoutables » appliqué deux fois à Dieu dans ces quelques versets ! « Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ! » Si on entend par là que nous devrions redouter Dieu, évidemment, c’est inacceptable et complètement incompatible avec la révélation biblique du « Dieu de tendresse et de fidélité » comme dit le livre de l’Exode.

                   Notons d’abord qu’en français, il nous arrive d’employer ce mot avec une nuance d’admiration :  quand nous disons  d’un sportif, par exemple, qu’il est « redoutable » ou bien d’un politicien « il est un  débatteur redoutable », ce n’est pas la crainte qui parle, c’est l’émerveillement devant des capacités hors du commun.

                   En fait, dans le langage biblique, le mot « redoutable »  faisait partie des compliments que l’on adressait au roi le jour de son sacre, pour lui promettre un règne glorieux, capable d’apporter la sécurité à ses sujets. Le roi n’est « redoutable » que pour ses ennemis. Appliquer ce mot à Dieu, c’est tout simplement une manière de lui dire « en définitive, notre seul roi, c’est toi ».

                     Ce psaume plonge donc à la fois dans le passé, le présent, le futur... Dans le passé, Dieu a libéré son peuple de la servitude en Égypte, comme ils disent ; aujourd’hui, il libère à chaque instant ceux qui le laissent agir ; dans l’avenir c’est toute l’humanité qui sera libérée définitivement par Dieu des chaînes de toutes sortes qui la tiennent actuellement ligotée dans ses haines, ses peurs, ses guerres. Ce psaume nous introduit donc à ce que représente pour le peuple juif la dimension historique de l’expérience croyante .

                        Et comme toujours, c’est du peuple tout entier qu’il s’agit : dans l’univers biblique, la dimension collective prime sur l’expérience individuelle ; dès son plus jeune âge, l’enfant juif participe à la mémoire de son peuple : les prières quotidiennes, le shabbat, les fêtes religieuses, les pèlerinages évoquent toute une mémoire collective dans laquelle il entre par une sorte d’imprégnation lente. L’enfant entend d’innombrables fois les adultes chanter la gloire de Dieu, raconter ses « hauts-faits », comme on dit... un jour, à son tour, tout naturellement, il reprendra le flambeau ; il entend la conviction avec laquelle ses aînés affirment « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour » ; devant lui, on répète inlassablement les exploits de Dieu qui a délivré les anciens de l’esclavage en  Égypte : « Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec ».

                        La journée des adultes, de la prière du matin à celle du soir, en passant par les repas et tous les actes de la vie quotidienne, est imprégnée de cette mémoire du Dieu qui libère de toute servitude. En entrant dans sa famille, elle-même très fortement intégrée à son peuple, l’enfant juif entre tout naturellement dans la « mémoire » de ce peuple.

                        Tout ceci, évidemment, suppose une véritable vie de famille, comme aussi un sens très fort de l’appartenance à un peuple. Voilà peut-être une des clés de nos problèmes de transmission de la foi : c’est cette mémoire collective, justement, qui manque à beaucoup de nos jeunes chrétiens ; car la mémoire d’un peuple n’est pas l’affaire de cours d’instruction religieuse, si excellents soient-ils ; elle est affaire de vie collective, de rites répétés, d’imprégnation  lente et nous voyons bien là les dangers de l’individualisme. Nous savons du même coup ce qui nous reste à faire si nous voulons transmettre la foi à nos jeunes : premièrement, imprégner toute notre existence familiale quotidienne de cette mémoire croyante et deuxièmement, revivifier nos liens communautaires

 
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PIERRE APÔTRE   3, 15 - 18

 

            Bien-aimés,
15        honorez dans vos cœurs
            la sainteté du Seigneur, le Christ.
            Soyez prêts à tout moment à présenter une défense
            devant quiconque vous demande de rendre raison
            de l’espérance qui est en vous ;
16        mais faites-le avec douceur et respect.
            Ayez une conscience droite,
            afin que vos adversaires soient pris de honte
            sur le point même où ils disent du mal de vous
            pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ.
17        Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien,
            si c’était la volonté de Dieu,
            plutôt qu’en faisant le mal.
18        Car le Christ, lui aussi,
            a souffert pour les péchés,
            une seule fois,
            lui, le juste, pour les injustes,
            afin de vous introduire devant Dieu ;
            il a été mis à mort dans la chair ;
            mais vivifié dans l’Esprit.
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                                À lire entre les lignes de ce texte, on peut imaginer que les interlocuteurs de Pierre connaissaient beaucoup de vexations et de moqueries de la part des païens. Ils ne rencontraient pas une persécution déclarée, mais une hostilité latente ; il leur fallait s’expliquer chaque fois qu’ils refusaient certaines pratiques païennes, comme les sacrifices aux divinités par exemple.

                        Pierre leur dit ici : « Frères, c’est votre tour maintenant, de vous conduire comme le Christ s’est conduit ». Lui aussi a connu les accusations, les calomnies, les menaces, mais il n’a pas dévié ; à votre tour, vous devez être capables de résister à vos adversaires.

                        D’où leur viendra cette audace ? Oh, c’est bien simple : les chrétiens n’ont qu’une source, qu’un argument, qu’un discours : le Christ est mort et ressuscité. Pierre ne dit pas autre chose : « C’est le Seigneur, le Christ que vous devez reconnaître dans vos cœurs comme le seul saint… Le Christ est mort pour les péchés, une fois pour toutes : lui, le juste, il est mort pour les coupables afin de nous introduire devant Dieu. « Il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit. »

                        La chair, en langage biblique, cela veut dire « la faiblesse humaine », le fait d’être mortel ; ses ennemis ne pouvaient l’atteindre que là ; ils ne peuvent rien contre l’esprit d’amour qui est le principe même de la vie : parce qu’il était rempli de l’Esprit de Dieu, la mort ne pouvait le retenir en son pouvoir, comme dit Paul ; au contraire, l’Esprit lui a fait traverser la mort biologique et a fait surgir en lui la vie, parce que l’Esprit qui s’est manifesté sur lui au jour du baptême est l’Esprit de vie...

                        C’est ce même Esprit qui est entré en nous lors de notre Baptême : désormais, nous le savons, nous le croyons, parce que nous l’avons vu réalisé en Jésus-Christ, le mal, la haine sont vaincus, la vie est plus forte que la mort ; c’est cela l’espérance des chrétiens ; celle dont Pierre dit que nous devons pouvoir en rendre compte à tout moment ; le Christ avait bien dit à ses Apôtres : « Confiance, j’ai vaincu le monde ». Le témoignage que le monde attend de nous, c’est : le mal n’est pas une fatalité ; Le monde attend de nous que nous ne baissions jamais les bras devant le mal, la haine, la violence.

                        Quand Pierre affirme « Le Christ est mort pour les péchés, une fois pour toutes », l’expression « une fois pour toutes » est un cri de victoire : le monde du mal et du péché est définitivement vaincu dans l’obéissance du Fils.

                        Pierre lie fortement les deux étapes du témoignage du chrétien : ce qui se passe dans le secret du cœur, dans la prière ; et le courage de parler ; l’un ne va pas sans l’autre. « Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. » Voilà la première étape, ce qui se passe en nous, dans le secret de la prière. Et c’est dans la prière que nous puiserons l’audace nécessaire.

                        La deuxième étape, c’est d’oser dire notre espérance, être prêts à dire « ce qui nous fait courir », dirait-on aujourd’hui. « Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l’espérance qui est en vous ». Si je comprends bien, Pierre nous conseille de ne pas parler en premier ; pour lui, nous devons nous contenter de répondre aux questions de notre entourage. Il dit bien : « Vous devez être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent... »

                        Cela fait penser à une phrase dont je ne connais pas l’auteur, mais qui est très suggestive : « Ne parle que si on t’interroge, mais vis de manière à ce qu’on t’interroge. »

                        Les interrogations ne germeront que si notre vie tout entière est un témoignage d’espérance : alors ceux qui nous voient vivre se demanderont immanquablement d’où nous vient notre espérance indestructible. Nous ne pouvons témoigner de Jésus-Christ que si nous avons d’abord vécu l’espérance. Ce qui veut dire que notre témoignage se fait d’abord en actes et non en paroles. Être rendus capables de mener notre vie d’une manière renouvelée est certainement le témoignage le plus urgent.

                        C’est peut-être dans ce sens-là qu’on peut comprendre la phrase de Jésus : « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions, ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5, 16). Vous connaissez aussi la phrase de Paul VI qui est une variation sur le même thème  : « Nos contemporains ont besoin de témoins et non de maîtres... et ils n’écoutent les maîtres que s’ils sont des témoins ».

                        Ce témoignage n’est pas fanfaronnade : « Faites-le avec douceur et respect », comme dit Pierre. Cette douceur et ce respect qui ne doivent pas nous quitter peuvent nous faire comprendre la phrase suivante : « Ayez une conscience droite afin que vos adversaires soient pris de honte ».

                        « Faire honte » : curieuse expression, quand même : on ne peut évidemment pas penser que des chrétiens, vivant le commandement d’amour du Christ, n’aient d’autre but que de faire honte aux autres au sens où nous l’entendons habituellement ; ce dont il s’agit, c’est de donner un tel témoignage de foi, d’espérance et d’amour mutuel, que d’autres soient amenés à remettre en question leurs calomnies. Peut-être alors s’ouvriront-ils à la conversion.

                        Finalement, le programme que Pierre trace à ses disciples, c’est le programme même du Christ, c’est-à-dire le programme du Serviteur que décrivait le prophète Isaïe : le prophète disait : « Il ne crie pas, il n’élève pas le ton », Pierre en écho conseille « agissez avec douceur et respect » ; mais en même temps, quoi qu’il arrive, ce serviteur décrit par Isaïe ne se laisse pas décourager : à son tour Pierre insiste : « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. » 

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   14, 15-21

 

            En ce temps-là,
            Jésus disait à ses disciples :
15        « Si vous m’aimez,
            vous garderez mes commandements.
16        Moi, je prierai le Père,
            et il vous donnera un autre Défenseur
            qui sera pour toujours avec vous :
17        l’Esprit de vérité,
            lui que le monde ne peut recevoir,
            car il ne le voit pas et ne le connaît pas ;
            vous, vous le connaissez,
            car il demeure auprès de vous,
            et il sera en vous.
18        Je ne vous laisserai pas orphelins,
            je reviens vers vous.
19        D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus,
            mais vous, vous me verrez vivant,
            et vous vivrez aussi.
20        En ce jour-là, vous reconnaîtrez
            que je suis en mon Père,
            que vous êtes en moi,
            et moi en vous.
21        Celui qui reçoit mes commandements et les garde,
            c’est celui-là qui m’aime ;
            et celui qui m’aime
            sera aimé de mon Père ;
            moi aussi, je l’aimerai,
            et je me manifesterai à lui. »
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                               Nous sommes au soir du Jeudi saint après le lavement des pieds. Jésus s’entretient longuement avec ses disciples pour la dernière fois. Il parle de son Père et de la relation qui l’unit, lui, le fils, à son Père ; il parle de ce lien qui les unit désormais, eux les apôtres, à son Père et à lui. Un lien que rien ni personne ne pourra détruire : « Je suis en mon Père, vous êtes en moi et moi en vous.... Celui qui m’aime sera aimé de mon Père. » Toutes ces phrases, ils auront bien besoin de s’en souvenir, de s’y accrocher, si j’ose dire, dans les heures qui viennent !

                               Et puis, au moment où il s’apprête à les quitter, il leur annonce la venue de l’Esprit. En bons Juifs qu’ils étaient, les apôtres connaissaient la prophétie d’Ézéchiel : « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes » (Ez 36, 26). Et cette autre prophétie du même Ézéchiel : « Je ne leur cacherai plus mon visage puisque j’aurai répandu mon Esprit sur la maison d’Israël. » (Ez 39, 29). Avec Joël, la promesse du don de l’Esprit s’était faite universelle, et non plus réservée aux prophètes, aux rois, ni même au peuple élu : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair. »  (Jl 3, 1).

                         Alors dire à ses apôtres « l’Esprit de vérité demeure auprès de vous, et il sera en vous », c’est leur annoncer que le grand jour de l’Alliance définitive est arrivé.

                        Même ce simple mot « demeure » (dans la phrase « l’Esprit de vérité demeure auprès de vous, et il sera en vous ») évoquait pour les apôtres toute la longue attente de leur peuple : l’aspiration de tous les  croyants de l’Ancien Testament, c’était la présence de Dieu au milieu de son peuple ; il y avait eu la Tente de la Rencontre pendant l’Exode... et puis, il y avait eu le Temple de Jérusalem, mais on attendait l’Alliance Nouvelle où Dieu demeurerait, non pas dans des bâtiments, mais dans le cœur de son peuple, où il serait intimement présent à chaque cœur croyant ; et Dieu l’avait promis : par la bouche d’Ézéchiel par exemple : « Ma demeure sera auprès d’eux ; je serai leur Dieu et eux seront mon peuple » (Ez 37, 26 -27), ou encore  Zacharie  : « Crie de joie, réjouis-toi, fille de Sion, car me voici, je viens demeurer au milieu de toi » (Za 2, 14).

                        Les apôtres  étaient pétris de cette espérance : ils savaient que l’Alliance définitive promise par l’Ancien Testament était destinée à l’humanité tout entière ; et tout au long de sa vie publique, Jésus avait bien dit sa soif que le monde entier soit sauvé.

                        Mais alors pourquoi dit-il que le monde est incapable de recevoir l’Esprit de vérité ? Et il dit cela précisément en ce moment décisif du salut ! Est-ce une restriction ? Certainement pas ! Jésus ne peut pas se contredire. Il n’y a pas là un jugement de valeur, mais un constat ; Jésus précise : « Le monde est incapable de le recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas » ; et il continue  « mais vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous et il sera en vous ». Ce qui est un envoi en mission. Manière de leur dire : « Le monde ne connaît pas l’Esprit de vérité... À vous de le lui faire connaître ; à vous de faire découvrir au monde la présence active de l’Esprit en toute chair. »

                        Le mot « monde » n’est certainement pas péjoratif... Jésus n’est jamais péjoratif ; (être péjoratif ou défaitiste n’est pas chrétien) ; le salut du monde est le grand désir de Dieu : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3, 17). En fait il faudrait remplacer le mot « monde » par « esprit du monde » opposé à « esprit d’amour ».

                        Jésus veut fortifier ses disciples : les aider à croire que la contagion de l’amour gagnera peu à peu ; et qu’il leur est possible de transformer l’esprit du monde en esprit d’amour. En quelque sorte, la mission qu’il leur donne, c’est une évangélisation par contamination, de proche en proche ; mission impossible ? Non ; puisque Jésus leur dit : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur qui sera toujours avec vous ». Phrase ambiguë : de qui l’Esprit de Dieu doit-il nous défendre ? L’horrible méprise serait de croire qu’il puisse avoir à nous défendre devant Dieu ; comme si Dieu pouvait vouloir nous condamner.

                        En grec, ce mot désigne celui qui est appelé auprès d’un accusé pour l’assister ; c’est le conseiller, l’avocat, le défenseur. André Chouraqui traduit le « réconfort ». De quel procès parle-t-on ? De celui que le monde fait aux disciples du Christ, et à travers eux, au Père lui-même et au Christ, c’est-à-dire en fin de compte à la vérité. D’où l’insistance de Jésus sur ce mot de vérité chaque fois qu’il prévient ses disciples des persécutions qui les attendent : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous rendrez témoignage, vous qui êtes avec moi depuis le commencement. » (Jn 15, 26-27).

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 6e dimanche de Pâques (21 mai 2017)

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8 mai 2017 1 08 /05 /mai /2017 20:11

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 13 mai 2017).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   6,  1-7

 

1        En ces jours-là,
          comme le nombre des disciples augmentait,
          les frères de langue grecque
          récriminèrent contre ceux de langue hébraïque,
          parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées
          dans le service quotidien.
2        Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples
          et leur dirent :
          « Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu
          pour servir aux tables.
3        Cherchez plutôt, frères,
          sept d’entre vous,
          des hommes qui soient estimés de tous,
          remplis d’Esprit Saint et de sagesse,
          et nous les établirons dans cette charge.
4        En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière
          et au service de la Parole. »
5        Ces propos plurent à tout le monde,
          et l’on choisit :
          Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint,
          Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas
          et Nicolas, un converti au judaïsme, originaire d’Antioche.
6        On les présenta aux Apôtres,
          et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains.
7        La parole de Dieu était féconde,
          le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem,
          et une grande foule de prêtres juifs
          parvenaient à l’obéissance de la foi.
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              Au fond, si on y réfléchit, cette difficulté était déjà en germe le matin de la Pentecôte. Vous connaissez le récit de la Pentecôte dans les Actes des Apôtres : « À Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. » Dès ce matin-là, il y eut des conversions, trois mille, paraît-il, et d’autres dans les mois et les années qui suivirent ; ces nouveaux convertis sont tous des Juifs, (la question de l’admission de non-Juifs ne s’est posée que plus tard) mais, très probablement, un certain nombre d’entre eux sont justement des Juifs venus d’un peu partout à Jérusalem en pèlerinage ; ils sont ce qu’on appelle les Juifs de la Diaspora (c’est-à-dire dispersés dans tout l’Empire Romain) ; leur langue maternelle n’est pas l’hébreu ni l’araméen, mais le grec, car, à l’époque, c’était la langue commune dans tout le bassin méditerranéen.

             

Si bien que la jeune communauté toute neuve va être affrontée à ce que j’appellerais « le défi des langues ». Nous savons d’expérience que cette barrière de la langue est beaucoup plus qu’une difficulté de traduction : langue maternelle différente veut dire aussi culture, coutumes, compréhension de l’existence, manières différentes d’envisager et de résoudre les problèmes. En tête d’un Nouveau Testament en grec, j’ai trouvé cette formule : « Une langue est un filet  jeté sur la réalité des choses. Une autre langue est un autre filet. Il est rare que les mailles coïncident ».  

              Pour revenir à la jeune communauté de Jérusalem, il y a donc un problème de cohabitation entre les frères  de langue grecque et  ceux  de langue hébraïque ; très concrètement, la goutte d’eau qui va faire déborder le vase c’est l’inégalité flagrante dans les secours portés quotidiennement aux veuves ; on n’est pas étonné que la communauté ait eu à cœur de prendre en charge les veuves, c’était une règle du monde juif ; mais il faut croire que ceux qui en étaient chargés (logiquement recrutés dans le groupe majoritaire donc hébreu) avaient tendance à favoriser les veuves de leur groupe.

              Ce genre de querelles ne peut que s’envenimer de jour en jour, jusqu’au moment où le bruit revient aux oreilles des apôtres. Leur réaction tient en trois points :

              Premier point : ils convoquent toute l’assemblée des disciples : et c’est en assemblée plénière que la décision sera prise ; il y a donc là, semble-t-il, un fonctionnement traditionnel de l’Église... on peut se demander pourquoi cette habitude s’est perdue ?

              Deuxième point : ils rappellent l’objectif : il s’agit de rester fidèles à trois exigences de la vie apostolique : la prière, le service de la parole et le service des frères.

              Troisième point : ils n’hésitent pas à proposer une organisation nouvelle ; innover n’est pas un manque de fidélité ; au contraire : la fidélité exige de savoir s’adapter à des conditions nouvelles ; être fidèle, ce n’est pas rester figé sur le passé  (ici, par exemple, ce serait confier la totalité des tâches aux Douze puisque ce sont eux que Jésus a choisis...) ; être fidèle c’est garder les yeux fixés sur l’objectif.

              L’objectif, comme dit saint Jean, c’est « Qu’ils soient UN pour que le monde croie » ; c’est certainement pour cela que les apôtres n’ont pas envisagé de couper la communauté en deux, les frères de langue grecque d’un côté, ceux de langue hébraïque de l’autre ; l’acceptation des diversités est un défi pour toute communauté qui grandit ; (et je connais telle ou telle équipe qui préfère ne pas s’agrandir pour ne pas risquer les désaccords ...). Mais quand les différends surgissent, la séparation n’est certainement pas la meilleure solution. C’est l’Esprit-Saint qui a suscité ces conversions nombreuses et diverses ; c’est lui aussi qui inspire aux Apôtres l’idée de s’organiser autrement pour en assumer les conséquences.

              Les Douze décident donc de nommer des hommes capables d’assumer ce service des tables puisque c’est cela qui pose problème. « Cherchez, frères, sept d’entre vous, qui soient des hommes estimés de tous, remplis d’Esprit-Saint et de sagesse, et nous leur confierons cette tâche. Pour notre part, nous resterons fidèles à la prière et au service de la Parole ». On notera que les sept hommes désignés portent des noms grecs ; ils font peut-être partie du groupe des chrétiens de langue grecque puisque c’est dans ce groupe qu’il y avait des récriminations.

              Voilà donc une nouvelle institution qui est née ; ces nouveaux serviteurs de la communauté n’ont pas encore de titre ; je remarque que le mot « diacre » n’est pas employé dans le texte ; n’assimilons donc pas trop vite nos diacres d’aujourd’hui à ces hommes chargés du service des tables à  Jérusalem. Retenons seulement que l’Esprit saura nous inspirer à chaque époque les innovations qui seront indispensables pour assurer fidèlement les diverses missions et priorités de l’Église.

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 PSAUME  32 ( 33 )

 

1     Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes !         
       Hommes droits, à vous la louange !
2     Rendez grâce au Seigneur sur la cithare,
       Jouez pour lui sur la harpe à dix cordes.

4     Oui, elle est droite, la parole du SEIGNEUR,
       il est fidèle en tout ce qu'il fait.      
5     Il aime le bon droit et la justice ;    
       la terre est remplie de son amour.

18   Dieu veille sur ceux qui le craignent          
       qui mettent leur espoir en son amour,        
19   pour les délivrer de la mort,
       les garder en vie aux jours de famine.
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                J’ai envie de commencer par là où nous avons terminé la lecture de ce psaume, parce qu’il me semble que nous avons là une clé de l’ensemble. Je vous rappelle l’avant-dernier verset (le verset 18 pour ceux qui ont le psautier entre les mains) : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour ». Nous découvrons ici une belle définition de ce que l’on appelle « la crainte de Dieu ». Craindre le SEIGNEUR au sens biblique, c’est tout simplement mettre notre espoir en son amour. Le croyant au sens biblique, c’est quelqu’un qui est plein d’espoir ; et s’il est plein d’espoir, quoi qu’il puisse arriver, c’est parce qu’il sait que « la terre est remplie de l’amour de Dieu » comme dit un autre verset que nous venons d’entendre.

              En hébreu, la formule est plus belle encore : ce n’est pas « Dieu veille » sur ceux qui le craignent, mais « L’œil du SEIGNEUR est sur ceux qui le craignent ». Savoir que le regard plein d’amour du Seigneur est en permanence penché sur nous est la source de notre espérance. Encore faut-il préciser que, dans le texte hébreu, toujours, ce nom de Seigneur est celui qu’il a révélé à Moïse dans l’épisode du buisson ardent : ce fameux mot de quatre lettres YHVH que, par respect, les Juifs ne prononcent jamais, et qui signifie quelque chose comme « Je suis, je serai avec vous, depuis toujours et pour toujours, à chaque instant de votre histoire. » Ce simple nom rappelle toujours à Israël la sollicitude avec laquelle Dieu a entouré son peuple tout au long de l’Exode. La traduction « Dieu veille » dit bien cette vigilance.

            C’est ce qui nous permet de comprendre le verset suivant : « pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine ». Ce sont également des allusions à la sortie d’Égypte : en permettant à son peuple de traverser la mer à pied sec, à la suite de Moïse, le Seigneur l’a fait échapper à la mort certaine programmée par Pharaon ; puis, en lui envoyant du ciel la manne chaque jour, pendant toute la traversée du désert, le Seigneur a réellement gardé son peuple en vie aux jours de famine.

            Alors la louange jaillit spontanément du cœur de ceux qui ont fait cette expérience de la sollicitude de Dieu : « Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange ! » 

Cette expression « hommes justes » peut nous surprendre ; elle est très habituelle pourtant dans la Bible. On sait qu'est considéré comme « juste » dans la Bible celui qui entre dans le projet de Dieu, celui qui est accordé à Dieu, au sens où un instrument de musique est bien accordé. C’est ce que l’on dit d’Abraham, par exemple : « Abraham eut foi dans le Seigneur et pour cela il fut considéré comme juste » (Gn 15, 6). Il eut foi, c’est-à-dire il fit confiance à Dieu et à son projet. Si bien qu’on pourrait traduire « hommes justes » (en hébreu les « hassidim ») par « les hommes de l’Alliance », ou « les hommes du dessein bienveillant de Dieu » c’est-à-dire ceux qui ont entendu la révélation de la bienveillance de Dieu et y répondent en adhérant à l’Alliance. Donc, ne prenons pas pour de la prétention ces titres « hommes justes »... « hommes droits »  : il ne s’agit pas de qualités morales ; le « hassid » (pluriel hassidim) est un homme comme les autres, pécheur comme les autres, mais il est celui qui vit dans l’Alliance du Seigneur, qui vit dans la confiance envers le Dieu fidèle ; parce qu’il a découvert le « Dieu de tendresse et de fidélité », très logiquement, il vit dans la louange : « Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange ! Jouez pour lui sur la harpe à dix cordes. Chantez-lui le cantique nouveau. »

              Cet appel à la louange qui résonne ici était le chant d’entrée d’une liturgie d’action de grâce. Au passage, nous relevons une indication sur la mise en œuvre des psaumes et sur l’un au moins des instruments de musique utilisés au Temple de Jérusalem. Ce psaume était probablement prévu pour être accompagné à la harpe à dix cordes.

Je continue : « Chantez-lui le cantique nouveau ». Le mot « nouveau » dans la Bible ne veut pas dire du « jamais vu » ou « jamais entendu » ; le chant est « nouveau » au sens où les mots d’amour, même les plus habituels sont toujours nouveaux. Quand les amoureux disent « je t’aime », ils ne craignent pas de répéter les mêmes mots et pourtant, la merveille, c’est que ce chant-là est toujours nouveau.

              « Oui, elle est droite, la parole du SEIGNEUR ; il est fidèle en tout ce qu’il fait ». Contrairement aux apparences, il n’y a pas là deux affirmations distinctes, l’une concernant la parole de Dieu, l’autre portant sur ses actes, ce qu’il fait ; car la Parole de Dieu est acte ; « Il dit et cela fut » répète le récit de la création au chapitre 1 de la Genèse.

              Ou encore, rappelez-vous Isaïe au chapitre 55 : « La parole qui sort de ma bouche ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée ».

              Et ce n’est pas un hasard si ce psaume comporte exactement vingt-deux versets, (qui correspondent aux vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu) : c’est en hommage à la Parole de Dieu, comme pour dire, elle est le tout de notre vie, de A à Z. Et ce n’est pas un compliment en l’air, si j’ose dire : c’est l’expérience d’Israël qui parle : depuis la première parole de Dieu à son peuple, celui-ci a expérimenté à la fois la parole qui est promesse de libération et dans le même temps l’œuvre libératrice de Dieu : à chaque époque de l’histoire de son peuple, la parole de Dieu l’appelle à la liberté, et c’est la force de Dieu qui agit le bras de l’homme pour conquérir sa liberté ; liberté par rapport à toute idolâtrie, liberté par rapport à tout esclavage de toute sorte.

 « Il aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour ». C’est la vocation de la création tout entière qui est dite là : Dieu est amour et la terre entière a vocation à être le lieu de l’amour, du droit et de la justice. Rappelez-vous le prophète Michée : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR attend de toi : rien d’autre que pratiquer a justice, aimer la miséricorde et marcher humblement avec ton Dieu »  (Mi 6, 8).

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PIERRE APÔTRE  2, 4-9

  1.  À cause de la nouvelle traduction, et aussi, dans l’espoir d’être un peu plus claire sur le thème de la pierre angulaire, j’ai complètement modifié le commentaire de cette deuxième lecture.

 

            Bien-aimés,
4          approchez-vous du Seigneur Jésus :
            il est la pierre vivante
            rejetée par les hommes,
            mais choisie et précieuse devant Dieu.
5          Vous aussi, comme pierres vivantes,
            entrez dans la construction de la demeure spirituelle,
            pour devenir le sacerdoce saint
            et présenter des sacrifices spirituels,
            agréables à Dieu, par Jésus Christ.
6          En effet, il y a ceci dans l’Écriture :
            Je vais poser en Sion une pierre angulaire,
            une pierre choisie, précieuse ;

            celui qui met en elle sa foi 
ne saurait connaître la honte.
7          Ainsi donc, honneur à vous les croyants,
            mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit :
            La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
            est devenue la pierre d’angle,
  
            une pierre d’achoppement,
8          
un rocher sur lequel on trébuche.
            Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole,
            et c’est bien ce qui devait leur arriver.
9          Mais vous, vous êtes une descendance choisie,
            un sacerdoce royal,
            une nation sainte,
            un peuple destiné au salut,
            pour que vous annonciez les merveilles
            de celui qui vous a appelés des ténèbres
            à son admirable lumière.
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            C’est le même verbe en hébreu qui signifie « construire une maison » et aussi « fonder sa famille », ou « fonder une société ». Et donc, dès l’Ancien Testament, les prophètes, employaient volontiers le vocabulaire du bâtiment pour parler de la société humaine. Isaïe, par exemple, avait inventé une parabole sur ce thème et il comparait le royaume de Jérusalem à un chantier mal dirigé. Sur ce chantier, il y avait un bloc de pierre admirable qui aurait dû devenir la pierre angulaire du monument. Mais les architectes méprisaient ce bloc de pierre, et préféraient utiliser des pierres de mauvaise qualité. C'était une manière pour Isaïe d'accuser les autorités d'abandonner les vraies valeurs et de fonder la société sur de fausses valeurs.

            Plus tard, avec le temps, on avait pris l’habitude d’appliquer ce terme de pierre angulaire au Messie : lui saurait reprendre et restaurer le chantier de Dieu. Pierre, à son tour, développe cette comparaison pour parler du Christ. Jésus, le Messie, est bien la pierre la plus précieuse que Dieu a mise au centre de l’édifice ; et à tous les hommes, il est proposé de devenir des pierres du monument ; ceux qui acceptent de faire corps avec lui sont intégrés à la construction, ils deviennent eux-mêmes des éléments  porteurs.

              Mais, bien sûr, c’est un choix à faire et les hommes peuvent tout aussi bien faire le choix inverse, c’est-à-dire refuser le projet et même le saboter. Tout se passe alors pour eux comme si la pierre maîtresse n’était pas au cœur de l’édifice ; elle est restée par terre, bloc admirable, mais encombrant sur le chantier : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue une pierre d’achoppement, 
un rocher sur lequel on trébuche. »

              Notre Baptême a été l’heure du choix, si j’ose dire ; désormais, nous sommes intégrés à la construction de ce que Pierre appelle le Temple spirituel : par opposition au Temple de pierre de Jérusalem où l’on célébrait des sacrifices d’animaux. On sait bien que depuis le début de l’histoire, l’humanité cherche à rejoindre Dieu en lui rendant le culte qu’elle croit digne de lui ; au fur et à mesure de son  expérience historique, le peuple élu a découvert le vrai visage de Dieu et a appris à vivre dans son Alliance. Et peu à peu, à la lumière de l’enseignement des prophètes on a découvert que le vrai temple de Dieu est l’humanité et que le seul culte digne de lui est l’amour et le service des frères et non plus des sacrifices d’animaux.

              Mais voilà qui nous engage terriblement : le Temple de Jérusalem était le signe de la présence de Dieu dans son peuple... désormais le signe visible aux yeux du monde de la présence de Dieu, c’est nous, l’Église du Christ. La phrase de Pierre résonne donc à nos oreilles comme une vocation : « Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle. »

              Encore une précision : il s’agit bien d’un choix, qui met en œu­vre no­tre li­ber­té, il ne s’agit pas de pré­des­ti­na­tion. Pier­re dis­tin­gue en­tre ceux qui don­nent leur foi au Christ et ceux qui re­fu­sent de croi­re. « Don­ner sa foi », « re­fu­ser de croi­re » sont  deux ac­tes li­bres. Pier­re ajou­te : « Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui de­vait leur ar­ri­ver » ; cet­te der­niè­re phra­se dit seu­le­ment la consé­quen­ce de leur choix li­bre mais pas une prédestination par dé­ci­sion ar­bi­trai­re de Dieu : le Dieu li­bé­ra­teur ne peut que res­pec­ter no­tre li­ber­té.

          Lors de la Présentation de Jésus au temple, Sy­méon l’avait an­non­cé à Jo­seph et Ma­rie : « Il est là pour la chu­te ou le re­lè­ve­ment de beau­coup en Is­raël » (Luc 2, 34). Syméon ne dit pas là une nécessité exigée par Dieu, mais les conséquences de la venue de Jésus. Effectivement, sa présence a été pour certains occasion de conversion complète, tandis que d’autres se sont endurcis.

          Pierre conclut : « Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal ». Au jour de notre baptême, nous avons été greffés sur le Christ : le rituel du Baptême dit : « Vous êtes devenus membres du Christ, prêtre, prophète et roi ». Cela ne veut pas dire que chacun de nous est désormais prêtre, prophète et roi. Le Christ est le seul prêtre, prophète et roi, et nous, nous sommes greffés sur lui, nous sommes membres de son Corps. Par le Baptême, nous avons été agrégés à ce peuple saint, « naturalisés » si vous préférez. Nous avons acquis ce jour-là une nouvelle nationalité, celle du peuple de Dieu ; notre hymne national, désormais, c’est l’Alléluia ! Pierre termine en nous disant « Vous êtes donc chargés d’annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière ».

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   14, 1-12

 

              En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
1            « Que votre cœur ne soit pas bouleversé :
              vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
2            Dans la maison de mon Père,
              il y a de nombreuses demeures ;
              sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ?
3            Quand je serai parti vous préparer une place,
              je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi,
              afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi.
4            Pour aller où je vais, vous savez le chemin. »
5            Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas.
              Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
6            Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ;
              personne ne va vers le Père sans passer par moi.
7            Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père.
              Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. »
8            Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. »
9            Jésus lui répond :
              « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe !
              Celui qui m’a vu a vu le Père.
              Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ?
10          Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père
              et que le Père est en moi !
              Les paroles que je vous dis,
              je ne les dis pas de moi-même ;
              le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres.
11          Croyez-moi :
              je suis dans le Père, et le Père est en moi ;
              si vous ne me croyez pas,
              croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes.
12          Amen, amen, je vous le dis :
              celui qui croit en moi
              fera les œuvres que je fais.
              Il en fera même de plus grandes,
              parce que je pars vers le Père »
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              Si Jésus commence par dire « Ne soyez donc pas bouleversés »... c’est que les disciples ne cachaient pas leur angoisse et on les comprend ; ils se savaient cernés par l’hostilité générale, ils savaient que le compte à rebours était commencé.

              Cette angoisse se doublait, pour certains d’entre eux au moins, d’une horrible déception : « Nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël (sous-entendu des Romains) » diront les disciples d’Emmaüs quelques jours plus tard ; les apôtres partageaient cette espérance politique ; or leur chef va être condamné, exécuté... finies les illusions.

              Et donc, Jésus s’emploie à déplacer leur espérance : il ne va pas combler l’attente que ses miracles ont fait naître ; il ne va pas prendre la tête du soulèvement national contre l’occupant ; au contraire il n’a cessé de prêcher la non-violence. Mais la libération qu’il apporte se situe sur un autre plan. S’il ne comble pas l’attente terrestre de son peuple, il est pourtant celui qu’on attendait.

              Il commence par faire appel à leur foi, à cette attitude fondamentale du peuple juif que nous lisons dans tous les psaumes par exemple. L’espérance ne peut s’appuyer que sur la foi et Jésus revient plusieurs fois sur le mot « croire »  « Ne soyez donc pas bouleversés (puisque) vous croyez en Dieu... »

              Seulement, une chose est de croire en Dieu, et cela c’est acquis, une autre est de croire en Jésus, au moment précisément où il semble avoir définitivement perdu la partie. Pour accorder à Jésus la même foi qu’à Dieu, il faut, pour ses contemporains, faire un saut formidable. Et donc il faut qu’il leur fasse percevoir l’unité profonde entre le Père et lui ; et c’est la deuxième ligne de force de ce texte :

              « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (et, cette phrase-là, il la dit deux fois)... « Celui qui m’a vu a vu le Père »... Cette dernière phrase résonne tout particulièrement lorsqu’on sait ce qui est arrivé quelques heures plus tard : cela veut dire que la révélation du Père culmine sur la croix ; et que fait Jésus mourant sur la croix ? Il continue à aimer les hommes, tous les hommes, puisqu’il pardonne même à ses bourreaux.            

              Il faudrait avoir le temps de s’attarder sur chaque phrase de ce dernier entretien de Jésus avec ses disciples, sur chacun des mots lourds de toute l’expérience biblique : « connaître », « voir », « demeurer », « Aller vers »... la Parole qui est en même temps œuvre... l’expression « Je suis » qui pour des oreilles juives ne peut pas ne pas évoquer Dieu lui-même. Oser dire « Je suis la vérité et la vie » c’est s’identifier à Dieu lui-même. Et en même temps ces deux personnes sont bien distinctes, puisque Jésus dit « Je suis le chemin » (sous-entendu vers le Père)

               « Personne ne va vers le Père sans passer par moi » : autre manière de dire « Je suis le chemin » ou « Je suis la porte » comme dans le discours du Bon Pasteur ; ce n’est certainement pas une mise en garde ou une sorte d’obligation qui est dite là : il me semble que c’est beaucoup plus profond que cela : il s’agit du mystère de notre solidarité en Jésus-Christ ; c’est vraiment un mystère, nous avons bien du mal à nous en faire une idée... et pourtant c’est l’essentiel du projet de Dieu ; le « Christ total », comme dit saint Augustin, c’est l’humanité tout entière.

              Cette solidarité en Jésus-Christ est dite à toutes les pages du Nouveau Testament ; Paul, par exemple, la dit quand il parle du Nouvel Adam et aussi quand il dit que le Christ est la tête du Corps dont nous sommes les membres. « La création tout entière gémit dans les douleurs d’un enfantement qui dure encore » (Rm 8, 22) : l’enfantement dont il parle, c’est celui du Corps du Christ justement. Jésus lui-même a très souvent employé l’expression « Fils de l’Homme » pour annoncer la victoire définitive de l’humanité tout entière rassemblée comme un seul homme.

              Si je prends au sérieux cette phrase « Personne ne va vers le Père sans passer par moi » et que j’y entends la solidarité de toute l’humanité en Jésus-Christ, alors il faut aussi dire la réciproque : « Le Christ ne va pas vers le Père sans nous ». C’est le sens des phrases du début : « Là où je suis, vous y serez vous aussi » ... « Quand je serai  allé vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi ». Paul le dit encore autrement : « Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ »  (Rm 8, 39).

              Jésus termine par une promesse solennelle : « Celui qui croit en moi accomplira les mêmes œuvres que moi » ; après tout ce qu’il vient de dire sur lui, le mot « œuvres » ne veut sûrement pas dire seulement miracles ; dans tout l’Ancien Testament, le mot « œuvre » en parlant de Dieu est toujours un  rappel de la grande œuvre de Dieu pour libérer son peuple. Ce qui veut dire que désormais les disciples sont associés à l’œuvre entreprise par Dieu pour libérer l’humanité de tout esclavage physique ou moral. Cette promesse du Christ devrait nous convaincre tous les jours que cette libération est possible.

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 5e dimanche de Pâques (14 mai 2017)

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30 avril 2017 7 30 /04 /avril /2017 21:18

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 6 mai 2017).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   2, 14a. 36-41

 

          Le jour de la Pentecôte,
14      Pierre, debout avec les onze autres Apôtres,
          éleva la voix et fit cette déclaration :
 36     « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude :
          Dieu l’a fait Seigneur et Christ,
          ce Jésus que vous aviez crucifié. »
37      Les auditeurs furent touchés au cœur ;
          ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres :
          « Frères, que devons-nous faire ? »
38      Pierre leur répondit :
          « Convertissez-vous,
          et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ
          pour le pardon de ses péchés ;
          vous recevrez alors le don du Saint-Esprit.
39    Car la promesse est pour vous,
          pour vos enfants
          et pour tous ceux qui sont loin,
          aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. »
40      Par bien d’autres paroles encore,
          Pierre les adjurait et les exhortait en disant :
          « Détournez-vous de cette génération tortueuse,
          et vous serez sauvés. »
41      Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre
          furent baptisés.
          Ce jour-là, environ trois mille personnes
          se joignirent à eux.
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              Nous continuons la lecture du discours de Pierre à Jérusalem au matin de la Pentecôte ; parce qu’il est désormais rempli de l’Esprit-Saint, il lit « à livre ouvert », si j’ose dire, dans le projet de Dieu : tout lui paraît clair ; il se souvient du prophète Joël qui avait annoncé « Je répandrai mon Esprit sur toute chair » (Jl 3, 1) et pour lui, c’est l’évidence, nous sommes au matin de l’accomplissement de cette promesse : c’est par Jésus, rejeté, supprimé par les hommes, mais ressuscité, exalté par Dieu que l’Esprit est répandu sur toute chair.

              Ces gens qui sont en face de lui, ce sont des pèlerins juifs venus de tous les coins de l’Empire Romain : ils sont partis de chez eux, parfois de très loin, du fin fond de la Mésopotamie, ou de la Turquie, ou d’Égypte et de Libye, par obéissance à la Loi de Moïse ; et ils ne sont pas venus faire du tourisme ; ils sont venus en pèlerinage pour célébrer la fête de la Pentecôte, la fête du don de la Loi ; pendant tout le trajet, et encore une fois arrivés au Temple de Jérusalem, ils ont chanté les psaumes et prié Dieu de faire venir son Messie.

              La tâche de Pierre, ce matin-là, c’est donc de leur ouvrir les yeux : oui, le Messie dont vous n’avez pas cessé de parler ces jours-ci, c’est bien lui, qui a été exécuté ici même à Jérusalem, il y a quelques semaines. « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. »

              Pour  des auditeurs juifs, ces titres de  « Seigneur » et « Christ » décernés à Jésus sont très osés : le mot « Christ » est la traduction en grec du mot hébreu « Messie » ; quant au mot « Seigneur », il était appliqué tantôt à Dieu tantôt au Messie ; dans le psaume 109/110, par exemple, vous connaissez la phrase « Le SEIGNEUR a dit à mon Seigneur »... qui voulait dire « Le SEIGNEUR Dieu a dit à mon Seigneur, le roi ».

               Pierre ne l’emploie certainement pas encore au sens de « Jésus est Dieu », c’était par trop impensable pour des Juifs, lui compris. Mais il veut bien dire par là, ce qui est déjà considérable, que l’homme de Nazareth est le Messie attendu : c’est donc faire reposer sur Jésus toute l’espérance d’Israël ; or si, de très bonne foi, des quantités de contemporains de Jésus ont pu vouloir la mort de Jésus, c’est que son caractère de Messie n’était pas du tout évident.

              Les auditeurs de Pierre furent « remués jusqu’au fond d’eux-mêmes », nous dit Luc ; là on touche le mystère de la conversion : ils étaient venus à Jérusalem en pèlerinage, donc le cœur ouvert, certainement. Et Pierre a su toucher leurs cœurs.

              Ils posent la même question très humble qu’on posait à Jean-Baptiste sur les bords du Jourdain  : « Que devons-nous faire ? » (verset 37) ; et la réponse est la même également, tout aussi simple : « Convertissez-vous » (verset 38)... et un peu plus tard, Pierre reprend une formule analogue : « Détournez-vous de cette génération égarée » ; se convertir, dans le langage biblique, c’est précisément se retourner, faire demi-tour ; l’image qui est derrière ces expressions, c’est celle de deux routes (on disait deux voies) : on peut se tromper de chemin ; « génération égarée » veut dire « qui a perdu sa route ». Dans cette expression  « génération égarée », il ne faut certainement pas lire du mépris : Pierre fait une simple constatation. La génération contemporaine du Christ et des apôtres a été affrontée à un véritable défi : reconnaître en Jésus le Messie qu’on attendait malgré toutes les apparences contraires ; et elle a commis une erreur de jugement, elle s’est trompée de chemin. Et cette constatation de Pierre est un appel pour ses auditeurs, un appel à se convertir, à faire demi-tour. 

              Concrètement, se convertir, c’est demander le Baptême « au nom du Christ » ; et nous avons là  une petite catéchèse du Baptême tel que les apôtres en parlaient dès le début de l’Église. « Que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés. Vous recevrez alors le don du Saint-Esprit ». 

              Car, dit-il, « la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Ici, il rapproche, pour des auditeurs juifs, donc familiers des Écritures, deux textes de l’Ancien Testament ; d’abord l’annonce du prophète Joël citée plus haut (« Je répandrai mon Esprit sur toute chair ») ; et puis une phrase d’Isaïe qui était bien connue  : « Paix pour ceux qui sont loin (sous-entendu les païens) comme pour ceux qui sont proches (le peuple élu) » (Isaïe 57, 19). Le peuple d’Israël se sentait proche de Dieu, grâce à sa vie dans l’Alliance : il était le peuple choisi, le fils, comme disait le prophète Osée. Les autres peuples lui paraissaient étrangers à Dieu, éloignés de Dieu. Et quand Isaïe dit « la paix est aussi pour ceux qui sont loin », il rappelle ce que le peuple élu a retenu de la promesse faite à Abraham : à savoir que l’humanité tout entière est concernée par ce qu’on pourrait appeler « le plan de paix de Dieu »

              Ce jour-là ils furent trois mille à se faire baptiser, trois mille Juifs qui devinrent Chrétiens ; ils faisaient partie de ceux que Pierre appelait les « proches ». Mais peu à peu, au long du livre des Actes, puis de l’histoire de l’Église, ceux qui étaient loin vont rejoindre les appelés de Dieu. C’est à eux que Paul dira dans la lettre aux Éphésiens : « Maintenant, en Jésus-Christ, vous qui jadis étiez loin, vous avez été rendus proches par le sang du Christ. C’est lui, en effet, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité «  (Ep 2, 13 - 14).

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PSAUME 22 (23)

 

1       Le SEIGNEUR est mon berger :        
         je ne manque de rien.              
2       Sur des prés d'herbe fraîche,               
         il me fait reposer.

         Il me mène vers les eaux tranquilles    
3       et me fait revivre ;                   
         il me conduit par le juste chemin        
         pour l'honneur de son nom.

4       Si je traverse les ravins de la mort,                 
         je ne crains aucun mal,            
         car tu es avec moi,                   
         ton bâton me guide et me rassure.

5       Tu prépares la table pour moi              
         devant mes ennemis ;              
         tu répands le parfum sur ma tête,                   
         ma coupe est débordante.

6       Grâce et bonheur m'accompagnent     
         tous les jours de ma vie ;                     
         j'habiterai la maison du SEIGNEUR              
         pour la durée de mes jours.
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              Nous avons déjà rencontré ce psaume 22/23 il y a quelques semaines pour le quatrième dimanche de Carême, et j’avais insisté sur trois points :

              Premier point : comme toujours dans les psaumes c’est d’Israël tout entier qu’il est question, même si la personne qui parle dit « JE » .

              Deuxième point : pour dire son expérience croyante, Israël utilise deux comparaisons, celle du lévite qui trouve son bonheur à habiter dans la Maison de Dieu et celle du pèlerin qui participe au repas sacré qui suit les sacrifices d’action de grâce. Mais il faut lire entre les lignes : à travers ces deux comparaisons, il faut entendre l’expérience du peuple élu, vivant dans l’émerveillement et la reconnaissance l’Alliance proposée par Dieu.

              Troisième point : les premiers Chrétiens ont trouvé dans ce psaume une expression privilégiée de leur propre expérience de baptisés ; et ce psaume 22/23 est devenu dans la primitive Église le chant attitré des célébrations de Baptême.

              Aujourd’hui, je vous propose de nous arrêter tout simplement sur le premier verset : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ». Dans le même esprit, le prophète Michée exprimait cette prière : « Fais paître ton troupeau sous ta houlette, le troupeau, ton héritage » (Michée 7, 14)... Je remarque au passage que c’est le peuple qui est l’héritage de Dieu ; dans le psaume 15/16, nous avions rencontré l’expression  inverse : « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage. » (Ps 15/16, 5-6).1 C’est bien la réciprocité de l’Alliance qui est dite là.

              Dans un pays d’éleveurs, un troupeau c’est la richesse d’une famille et le livre des Proverbes donne des conseils  pour l’entretien de ce patrimoine : « Connais bien l’état de ton bétail et porte attention à tes troupeaux. Car la richesse n’est pas éternelle et un trésor2 ne passe pas de génération en génération ! » (Pr 27, 23). Ce qui veut dire que quand on compare Dieu à un berger et donc Israël à son troupeau, on ose penser que le peuple élu est un trésor pour son Dieu. Ce qui est une belle audace !

              L’emploi d’un tel vocabulaire est donc une invitation à la confiance : Dieu est représenté comme un bon pasteur : c’est-à-dire celui qui  rassemble, qui guide, qui nourrit, qui soigne, qui protège et qui défend... en un mot, c’est celui qui veille sur tous les besoins de son troupeau. Tout cela, on le dit de Dieu : je vous en cite quelques exemples :  

              le berger qui  rassemble,  je le trouve encore chez le prophète Michée : « Je vais te rassembler, Jacob tout entier, je vais réunir le reste d’Israël, je les mettrai ensemble... comme un troupeau au milieu de son pâturage... » (Mi 2, 12) ; et encore : « En ce jour-là je rassemblerai ce qui boite, je réunirai ce qui est dispersé » (Mi 4, 6). Et Sophonie reprend le même thème : « Je sauverai les brebis boiteuses, je rassemblerai les égarées ». (So 3, 19). Ce qui veut dire, au passage, que chaque fois que nous faisons œuvre de division, nous travaillons contre Dieu !

              le berger-guide et défenseur de son troupeau, nous le retrouvons souvent dans les psaumes : en particulier dans le psaume 94/95 qui est la prière du matin de chaque jour dans la liturgie des Heures : « Nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main ». (Ps 94/95, 7). De même dans le psaume 77/78 : « Tel un berger, il conduit son peuple, il pousse au désert son troupeau, il les guide et les défend, il les rassure. » (Ps 77/78, 52 ) ; et le psaume 79/80 commence par cet appel : « Berger d’Israël écoute, toi qui conduis Joseph, ton troupeau... révèle ta puissance et viens nous sauver »  (Ps 79/80, 2).

              Évidemment, c’est dans les périodes difficiles, quand le troupeau (traduisez Israël) se sent mal dirigé, délaissé, malmené ou pire maltraité, que les prophètes recourent le plus souvent à cette image du vrai bon berger, pour redonner espoir ; on ne s’étonne donc pas de retrouver ce thème chez le deuxième Isaïe, celui qui a écrit le livre intitulé « Livre de la Consolation d’Israël ».

               Par exemple : « Comme un berger, il fait paître son troupeau, de son bras il rassemble ; il porte sur son sein les agnelets, il procure de la fraîcheur aux brebis qui allaitent. » (Is 40, 11) ; et encore : « Le long des chemins ils auront leurs pâtures, sur tous les coteaux pelés leurs pâturages. Ils n’endureront ni faim ni soif, jamais ne les abattront ni la brûlure du sable, ni celle du soleil ; car celui qui est plein de tendresse pour eux les conduira, et vers les nappes d’eau les mènera se rafraîchir. » (Is 49, 9-10).

              J’ai gardé pour la fin ce magnifique texte d’Ézéchiel que vous connaissez  : « Je viens chercher moi-même mon troupeau pour en prendre soin. De même qu’un berger prend soin de ses bêtes le jour où il se trouve au milieu d’un troupeau débandé, ainsi je prendrai soin de mon troupeau ; je l’arracherai de tous les endroits où il a été dispersé un jour de brouillard et d’obscurité... je le ferai paître sur les montagnes d’Israël, dans le creux des vallées et dans tous les lieux habitables du pays. Je le ferai paître dans un bon pâturage, son herbage sera sur les montagnes du haut pays d’Israël. C’est là qu’il pourra se coucher dans un bon herbage et paître un gras pâturage, sur les montagnes d’Israël... La bête perdue, je la chercherai ; celle qui se sera écartée, je la ferai revenir ; celle qui aura une patte cassée, je lui ferai un bandage ; la malade, je la fortifierai ... » (Ez 34,11s).

              À notre tour, nous  chantons ce psaume 22/23 parce que Jésus s’est présenté lui-même comme le berger des brebis perdues ; il nous invite à mettre notre confiance dans la tendresse du Dieu-pasteur ; mais, plus largement, en un moment où tant d’hommes traversent des jours de brouillard et d’obscurité, nous sommes invités également à contempler l’image du bon Pasteur, pour nous comporter en imitateurs du Père et en continuateurs du Fils.

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Notes

1 – Voir le commentaire de ce psaume au Troisième Dimanche de Pâques – A.
2 – En hébreu, le mot employé signifie « diadème ».

Complément

Le rassemblement du troupeau de Dieu réparti dans le monde entier annoncé par les prophètes voit un début de réalisation au matin de la Pentecôte : Pierre s’adresse à une foule de tous horizons.

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PIERRE APÔTRE  2, 20b-25

N.B. En raison de la nouvelle traduction liturgique, j’ai dû modifier sensiblement mon commentaire. Impossible de signaler les différences par de simples italiques comme je le fais d’habitude pour marquer les passages simplement supprimés.

 

 

            Bien-aimés,
20        si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien,
            c’est une grâce aux yeux de Dieu.
21        C’est bien à cela que vous avez été appelés,
            car c’est pour vous que le Christ,
            lui aussi, a souffert ;
            il vous a laissé un modèle
            afin que vous suiviez ses traces.
22        Lui n’a pas commis de péché ;
            dans sa bouche,
            on n’a pas trouvé de mensonge.
23        Insulté, il ne rendait pas l’insulte,
            dans la souffrance, il ne menaçait pas,
            mais il s’abandonnait
            à Celui qui juge avec justice.
24        Lui-même a porté nos péchés,
            dans son corps, sur le bois,
            afin que, morts à nos péchés,
            nous vivions pour la justice.
            Par ses blessures, nous sommes guéris.
25        Car vous étiez errants
            comme des brebis ;
            mais à présent vous êtes retournés
            vers votre berger, le gardien de vos âmes.
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Dans ce passage, Pierre s'adresse à une catégorie sociale toute particulière : ce sont des esclaves  (on sait que l’esclavage existait encore à son époque) ; or, en droit romain, l’esclave était à la merci de son maître, il était un objet entre ses mains. Il arrivait donc que des esclaves subissent des mauvais traitements sans autre raison que le bon plaisir de leurs maîtres ; et être un esclave chrétien chez un maître non chrétien exposait certainement à des brimades supplémentaires.

Pierre leur dit en substance : imitez le Christ : lui aussi était esclave à sa manière, puisqu’il a mis sa vie tout entière au service de tous les hommes. Or, comment s’est-il comporté ? « Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. »

Je reprends le raisonnement de Pierre au début : « Si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. » Ce qui est une grâce, ce n’est pas de souffrir, c’est d’être capables de se conduire comme le Christ lorsqu’on est dans la souffrance. On ne redira jamais assez qu’il n’y a pas de vocation du Chrétien à la souffrance ; mais, dans la souffrance, un appel à tenir bon à l’exemple du Christ. Suivre les traces du Christ, suivre son exemple, ce n’est pas souffrir pour souffrir, c’est tenir bon dans la souffrance comme lui : « C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. »

Pierre en profite pour rappeler le Credo des chrétiens : « Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. »

Voilà bien ce qui est au cœur de notre catéchisme et en même temps la chose la plus difficile du monde à comprendre ! Nous affirmons « Dieu nous sauve... Christ est mort pour nos péchés », mais comment aller plus loin ? Comment expliquer ? De quoi nous sauve-t-il ? Comment nous sauve-t-il ?

Pour commencer, il me semble que nous entendons ici une définition du salut : être sauvés, c’est devenir « capables de vivre pour la justice ». Nous sommes guéris de nos blessures, comme dit Pierre. Nos blessures à nous, ce sont nos incapacités d’aimer et de donner, de pardonner, de partager ; c’est une humanité déboussolée : au lieu d’être centrée sur Dieu, l’humanité a perdu sa boussole, elle est désorientée ; Pierre dit « Vous étiez errants comme des brebis ». « Mourir à nos péchés », pour reprendre l’expression de Pierre, c’est être capables de vivre autrement, de vivre pour la justice, c’est-à-dire dans la fidélité au projet de Dieu.

Reste à savoir comment la croix du Christ a pu opérer ce salut : d’après Pierre, « c'est par ses blessures que nous avons été guéris ». Or les blessures du Christ, n’oublions pas que ce n’est pas Dieu, ce sont les hommes qui les lui ont infligées. Le Christ est mort parce qu’il a eu le courage de porter témoignage à son Père, de se comporter en homme de prière et de paix, de s’opposer à toute forme de mépris ou d’exclusion. Mais le Père dont il parlait ne répondait pas à l’image que s’en faisaient la majorité de ses contemporains ; Jésus, lui, malgré les menaces, n’a pas changé de ligne de conduite : « Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité », disait-il (Jn 18, 37). Alors on l’a supprimé. Mais, même sur la croix, il a continué à rendre témoignage à son Père en révélant jusqu’où va le pardon de Dieu. Ses derniers mots sont encore des mots d’amour : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Alors, cette croix qui était le lieu de l’horreur absolue, de la haine humaine déchaînée est devenue, grâce au Christ, le lieu de l’amour absolu dans ce pardon du Christ à ses bourreaux.

Et, désormais, il nous suffit de contempler la croix, de croire à cet amour de Dieu pour l’humanité, révélé dans la croix du Christ, pour être transformés, convertis, réorientés ; comme le disait Zacharie « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12, 10). Alors nous sommes guéris, sauvés, c’est-à-dire rendus capables à nouveau d’aimer et de pardonner comme lui. Si nous voulons bien nous laisser attendrir par cette attitude d’amour absolu de Jésus et de son Père, nos cœurs de pierre deviennent cœurs de chair. Et nous devenons capables de vivre comme lui. Et d’autres, alors, pourront se laisser transformer à leur tour. C’est comme une contagion qui doit se répandre.

Car l’œuvre de transformation de l’humanité tout entière n’est pas terminée ! Il faut donc encore des témoins de l’amour et du pardon de Dieu : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups », disait Jésus. Quand Pierre dit : « le Christ vous a laissé son exemple afin que vous suiviez ses traces », il nous rappelle que, à notre tour, nous devons prendre sa suite pour, avec lui, continuer l’œuvre du salut de l’humanité.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   10, 1-10  

 

            En ce temps-là, Jésus déclara :
1          « Amen, amen, je vous le dis :
            celui qui entre dans l’enclos des brebis
            sans passer par la porte,
            mais qui escalade par un autre endroit,
            celui-là est un voleur et un bandit.
2          Celui qui entre par la porte,
            c’est le pasteur, le berger des brebis.
3          Le portier lui ouvre,
            et les brebis écoutent sa voix.
            Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom,
            et il les fait sortir.
4          Quand il a poussé dehors toutes les siennes,
            il marche à leur tête,
            et les brebis le suivent,
            car elles connaissent sa voix.
5          Jamais elles ne suivront un étranger
            mais elles s’enfuiront loin de lui,
            car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
6          Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens,
            mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait.
7          C’est pourquoi Jésus reprit la parole :
            « Amen, amen, je vous le dis :
            Moi, je suis la porte des brebis.
8          Tous ceux qui sont venus avant moi
            sont des voleurs et des bandits ;
            mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9          Moi, je suis la porte.
            Si quelqu’un entre en passant par moi,
            il sera sauvé ;
            il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage.
10        Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr.
            Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie,
            la vie en abondance. »
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              La cohérence des textes de ce dimanche est particulièrement frappante ! Le psaume, puis la deuxième lecture et maintenant l’évangile nous transportent dans une bergerie. Le psaume comparait la relation de Dieu avec Israël à la sollicitude d’un berger pour son troupeau ; il disait « le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer. » Dans la deuxième lecture, saint Pierre comparait les hommes qui n’ont pas la foi en Jésus-Christ à des brebis perdues : « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes revenus vers le berger qui veille sur vous. » Et, ici, dans l’évangile de Jean, Jésus développe son long discours sur le bon pasteur.

              Une bergerie, ce n’est pas un spectacle habituel pour une bonne partie d’entre nous, il faut bien le dire. Il faut donc que nous fassions l’effort d’imaginer le paysage du Proche-Orient, le troupeau regroupé pour la nuit dans un enclos bien gardé ; au matin le berger vient libérer les brebis et les emmène sur les pâturages.

              Si nous avons un effort d’imagination à faire, en revanche ce genre de réflexion était très familier aux auditeurs de Jésus : parce que, tout d’abord, il y avait de nombreux troupeaux en Israël, et ensuite parce que les prophètes de l’Ancien Testament avaient pris l’habitude de ce genre de comparaisons. Nous en avons relu certains passages à propos du psaume. Je ne retiens qu’une phrase du prophète Isaïe qui insiste sur la sollicitude de Dieu envers son peuple : « Celui qui est plein de tendresse pour eux les conduira, et vers les masses d’eau les mènera se rafraîchir. » (Is 49, 9). Enfin, du futur Messie on disait volontiers qu’il serait un berger pour Israël.

              En même temps, les prophètes ne cessaient de mettre en garde contre les mauvais bergers qui représentent un véritable danger pour les brebis. C’est évidemment une affaire de vie ou de mort pour le troupeau. Jésus, à son tour, s’inscrit bien ici dans le même registre : il dit à la fois la sollicitude du berger pour ses brebis et le danger que représentent pour elles les faux bergers.

              Ces thèmes familiers, il les reprend dans l’évangile de ce dimanche, sous la forme de deux petites comparaisons successives : celle du berger, puis celle de la porte. Il prend la peine de les introduire l’une et l’autre par la formule solennelle : « Amen, amen, je vous le dis ». Or cette expression introduit toujours du nouveau ; mais, justement, le thème du berger était bien connu, alors où est la nouveauté ? D’autre part, Jean précise que ces deux paraboles sont adressées aux Pharisiens : Jésus leur a raconté la première, mais, nous dit Jean, « ils ne comprirent pas ce que Jésus voulait leur dire. » Alors Jésus enchaîna sur la deuxième.

              Pourquoi les Pharisiens n’ont-ils pas compris la première ? Peut-être tout simplement parce que, de toute évidence, Jésus laisse deviner qu’il est lui-même ce bon berger capable de faire le bonheur de son peuple ; et eux se voient ravaler du coup au rang de mauvais bergers. Ils ont donc parfaitement compris ce que Jésus veut dire, mais ils ne peuvent l’accepter. Ce serait admettre que ce Galiléen est le Messie, l’Envoyé de Dieu, or il ne ressemble en rien à l’idée qu’on s’en faisait. C’est peut-être la raison pour laquelle Jésus a pris soin de dire « Amen, amen, je vous le dis » ; chaque fois qu’il introduit un discours par cette entrée en matière, il faut être particulièrement attentif ; c’est l’équivalent de certaines phrases que l’on rencontre souvent chez les prophètes de l’Ancien Testament : quand l’Esprit de Dieu leur souffle des paroles dures à comprendre ou à accepter, ils prennent toujours bien soin de commencer et parfois de terminer leur prédication par des formules telles que « oracle du SEIGNEUR » ou « Ainsi parle le SEIGNEUR ». Même ainsi mis en garde, les Pharisiens n’ont pas compris ou pas voulu comprendre ce que Jésus voulait leur dire.

              Mais il persiste ; Jean nous dit  « C’est pourquoi Jésus reprit la parole » ; on devine la patience de Jésus qui lui inspire cette nouvelle tentative pour convaincre son auditoire : « Je suis la porte des brebis ; si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ». C’est une autre manière de dire qu’il est le Messie, le sauveur : par lui, le troupeau accède à la vraie vie. « Moi je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. » C’est presque une confidence : Jésus nous dit pourquoi il est venu. 

              Pour terminer je retiendrais volontiers une leçon de cet évangile : Jésus nous dit que les brebis suivent le berger parce qu’elles connaissent sa voix : derrière cette image pastorale, on peut lire une réalité de la vie de foi ; nos contemporains ne suivront pas le Christ, ne seront pas ses disciples si nous ne faisons pas résonner la voix du Christ, si nous ne faisons pas connaître la Parole de Dieu.  J’y entends une fois de plus un appel à faire entendre par tous les moyens « le son de sa voix ».  

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Complément

À plusieurs reprises dans l’évangile de Jean, Jésus révèle sa mission dans des termes qui sont tout à fait clairs ; tantôt, il insiste sur le fait qu’il est l’envoyé du Père : un jour, à Jérusalem, par exemple, il a dit « Je suis venu au nom de mon Père » (Jn 5, 43) ; tantôt il dit le contenu de sa mission : à Pilate, il affirme : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37) ; ailleurs il parle de sauver le monde : « Je ne suis pas venu juger le monde, je suis venu sauver le monde. » (Jn 12, 47). Ou encore : « Moi, la lumière, je suis venu dans le monde, afin que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. » (Jn 12, 46).

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 4e dimanche de Pâques (7 mai 2017)

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23 avril 2017 7 23 /04 /avril /2017 23:12

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 29 avril 2017).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES  2, 14. 22b - 33

  1. Pour m’adapter au format court de KTO, j’ai dû chambouler passablement l’ensemble du commentaire de cette première lecture.

 

                 Le jour de la Pentecôte,
14             Pierre, debout avec les onze autres Apôtres,
                 éleva la voix et leur fit cette déclaration :
                 « Vous, Juifs,
                 et vous tous qui résidez à Jérusalem,
                 sachez bien ceci,
                 prêtez l’oreille à mes paroles.
22             Il s’agit de Jésus le Nazaréen,
                 homme que Dieu a accrédité auprès de vous
                 en accomplissant par lui des miracles, des prodiges
                 et des signes au milieu de vous,
                 comme vous le savez vous-mêmes.
23             Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu,
                 vous l’avez supprimé
                 en le clouant sur le bois par la main des impies.
24             Mais Dieu l’a ressuscité
                 en le délivrant des douleurs de la mort,
                 car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir.
25             En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume :
                 Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite,
                 je suis inébranlable.
    
26             C’est pourquoi mon cœur est en fête,
 et ma langue exulte de joie ;

                 ma chair elle-même reposera dans l’espérance :
    
27             tu ne peux m’abandonner au séjour des morts
                 
ni laisser ton fidèle voir la corruption.
    
28             Tu m’as appris des chemins de vie,

                 tu me rempliras d’allégresse par ta présence.
29             Frères, il est permis de vous dire avec assurance,
                 au sujet du patriarche David,
                 qu’il est mort, qu’il a été enseveli,
                 et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous.
30             Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré
                 de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui.
31             Il a vu d’avance la résurrection du Christ,
                 dont il a parlé ainsi :
                 Il n’a pas été abandonné à la mort,
                 
et sa chair n’a pas vu la corruption.
 32            Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ;
                 nous tous, nous en sommes témoins.
33             Élevé par la droite de Dieu,
                 il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis,
                 et il l'a répandu sur nous,
                 ainsi que vous le voyez et l’entendez.
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       Le même Pierre, qui avait succombé à la peur pendant le procès de Jésus, au point de le renier publiquement, le même qui, après la mort du Christ, se calfeutrait avec les autres disciples dans une salle verrouillée, c'est bien le même que nous retrouvons aujourd'hui, un peu plus d'un mois après, (cinquante jours exactement) et cette fois, il improvise un grand discours devant des milliers de gens ! Il est debout ; si  Luc note l'attitude de Pierre, c'est parce qu'elle est symbolique : d'une certaine manière Pierre est en train de se réveiller, de revivre, de se relever...

            Première remarque avant d'aller plus loin : jusque là Pierre n'a donc pas été un modèle d'audace et c'est à lui que Jésus  confie désormais la mission la plus audacieuse : continuer l’œuvre d'évangélisation, une mission qui a coûté la vie au Fils de Dieu lui-même ! Celui qui avait renié son maître il n'y a pas si longtemps se réjouira bientôt d'être persécuté pour avoir trop parlé. C'est certainement l'un des plus grands miracles des Actes des Apôtres ! Quand je dis miracle, je veux dire que cette force toute neuve, cette audace, Pierre ne la puise pas en lui-même, elle est don de Dieu. 

 Je reviens à cette matinée de Pentecôte, l'année de la mort de Jésus ; Jérusalem grouille de monde. Comme chaque année, des pèlerins sont venus de partout pour cette fête de Pentecôte ; ce sont des Juifs, et s'ils sont venus en pèlerinage à Jérusalem, c'est parce que, tout comme Pierre et les autres apôtres de Jésus, ils partagent l'espérance d'Israël ; tout au long du trajet, et ils viennent parfois de très loin, ils ont chanté les psaumes en suppliant Dieu de hâter la venue de son Messie.

         Précisément, Pierre s'appuie sur cette espérance pour annoncer : ce Messie que vous attendez, il est venu, nous avons eu le privilège de le connaître. Dieu a accompli sa promesse : le nouveau monde est déjà commencé. À première vue, les auditeurs de Pierre sont les hommes du monde les mieux préparés à entendre ce message : puisque toute leur vie de prière mais aussi leur vie quotidienne est baignée dans la mémoire des œuvres de Dieu pour son peuple et dans l'attente du Messie, celui qui accomplira la libération définitive d'Israël et de l'humanité tout entière.

         Et donc, Pierre insiste dans son discours sur cet aspect de continuité de l’œuvre de Dieu qui est pour lui une évidence ; et je crois que c'est très important que nous retrouvions ce sens de la continuité de l’œuvre de Dieu, si nous voulons approcher la Bible. Pour mettre en évidence cette continuité, Pierre invoque le témoignage du psaume 15/16 ; mais je n'en parle pas ici parce que c'est précisément celui que la liturgie nous propose pour ce troisième dimanche de Pâques, nous aurons donc l'occasion d'en reparler.

         En même temps, les auditeurs de Pierre sont aussi les moins préparés à accepter les paroles de Pierre : précisément parce que, s'ils attendent le Messie depuis toujours, ils ont eu le temps de se faire des idées sur lui, des idées d'hommes... Or Dieu ne peut que surprendre nos idées d'hommes...

         L'un des aspects les plus inacceptables du mystère de Jésus, pour ses contemporains, c'est sa mort sur la croix. Le Vendredi saint, Jésus, abandonné de tous, semblait bien maudit de Dieu lui-même. Il ne pouvait donc pas être le Messie… du moins selon les idées des hommes. Et pourtant, les apôtres l’ont compris le soir de Pâques, il était bien le Messie envoyé par Dieu ; s’ils l’ont compris, c’est parce qu’ils ont été témoins de la Résurrection de Jésus : alors seulement ils ont pu s’ouvrir aux pensées de Dieu et comprendre la mission de Jésus.

         Pierre sait bien tout cela et c’est pour cette raison qu’il insiste sur l’accomplissement du projet de Dieu en Jésus : « Il s’agit de Jésus le Nazaréen, cet homme dont Dieu avait fait connaître la mission en accomplissant par lui des prodiges et des signes au milieu de vous... Cet homme, livré selon le plan et la volonté de Dieu... ce Jésus, Dieu l’a ressuscité... Élevé dans la gloire par la puissance de Dieu, il a reçu de son Père l’Esprit-Saint qui  était promis... ».

         Pierre termine en faisant appel à l’expérience de ses auditeurs ; il leur dit : « C’est ce que vous voyez et entendez » (verset 33) et, là, il parle du spectacle que donnent les apôtres désormais. Il sait qu’on ne peut devenir témoin à son tour que lorsqu’on a l’expérience de l’œuvre de Dieu. Pour les auditeurs de Pierre, qui n'ont pas été directement témoins de la résurrection, la seule expérience possible, c'est celle de voir et entendre les douze apôtres transformés par l'Esprit-Saint. Pour nos contemporains, c'est la même chose : cela veut dire l'urgence pour nos communautés chrétiennes de se laisser transformer par l'Esprit

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PSAUME 15 (16)

 

1        Garde-moi, mon Dieu : j'ai fait de toi mon refuge.    
2        J'ai dit au SEIGNEUR : « Tu es mon Dieu !  
5        SEIGNEUR, mon partage et ma coupe :       
          de toi dépend mon sort. »

7       Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille :      
          même la nuit mon cœur m'avertit.      
8        Je garde le SEIGNEUR devant moi sans relâche ;    
          il est à ma droite : je suis inébranlable.

9        Mon cœur exulte, mon âme est en fête,         
          ma chair elle-même repose en confiance :       
10      tu ne peux m'abandonner à la mort     
          ni laisser ton ami voir la corruption.

11      Tu m'apprends le chemin de la vie :    
          devant ta face, débordement de joie !
          à ta droite, éternité de délices !

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  « Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur,
Tu es mon héritage,
En Toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur,      
Toi, mon seul partage. »                   

Vous avez reconnu là  un negro spiritual célèbre... c’est le  psaume 15/16.

              Dans les versets qui nous sont proposés aujourd’hui, certains versets semblent traduire un bonheur parfait ; tout a l’air si simple ! «  J’ai dit au SEIGNEUR : Tu es  mon Dieu !... J’ai fait de toi mon refuge... Je n’ai pas d’autre bonheur que toi... »

              D’autres versets sont l’écho d’un danger et Israël supplie : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »

              Je reprends ces deux points l’un après l’autre : premièrement le bonheur d’Israël : « Mon cœur exulte, mon âme est en fête... SEIGNEUR, mon partage et ma coupe... Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. » Ici le peuple d’Israël est comparé à un « lévite », un prêtre, qui « demeure » sans cesse dans le temple de Dieu, qui vit dans l’intimité de Dieu : la vie des lévites, consacrés au Seigneur offrait une image très parlante de la vie du peuple tout entier.

              Par exemple, l’expression « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort » (verset 5) est une allusion à leur statut particulier : au moment du partage de la Palestine entre les tribus des descendants de Jacob,  (partage fait par tirage au sort), les membres de la tribu de Lévi n’avaient pas reçu de part : leur part c’était la Maison de Dieu (c’est-à-dire le service du Temple), le service de Dieu... Leur vie tout entière était consacrée au culte ; ils n’avaient pas de territoire ; leur subsistance était assurée par les dîmes (on pourrait dire le « denier du culte » de l’époque) et par une partie des récoltes et des viandes offertes en sacrifice. Du coup on comprend cet autre verset de ce psaume que nous n’entendons pas ce dimanche : « La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ». Enfin, ils gardaient le temple jour et nuit et c’est ce à quoi fait allusion la formule du verset  7 : « Même la nuit mon cœur m’avertit ».

              On voit bien comment ce statut très particulier, privilégié, des lévites pouvait être lu comme une image du statut particulier, privilégié du peuple élu, choisi par Dieu pour son service au milieu des nations

              Mais on entend également dans ce psaume une tout autre tonalité : on entend les échos d’un danger et la supplication : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »

              Car, en réalité, les choses sont moins roses qu’il n’y paraît. On ne sait pas dater la composition de ce psaume : les circonstances auxquelles il fait allusion pourraient convenir à plusieurs époques ; mais, en tout cas, l’appel au secours du début, « Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge » et les affirmations répétées de confiance laissent supposer une période dans laquelle, justement, la confiance était difficile. Cet appel au secours est tout autant une profession de foi : il traduit un combat terrible, le combat de la fidélité à la vraie foi, c’est-à-dire le combat contre l’idolâtrie, le combat de la fidélité au Dieu unique.

              Par exemple, un autre verset de ce psaume dit : « Toutes les idoles du pays, ces dieux que j’aimais, ne cessent d’étendre leurs ravages, et l’on se rue à leur suite. » Cela prouve bien que Israël a parfois succombé à l’idolâtrie mais il prend l’engagement de ne plus y retomber : l’affirmation « J’ai fait de toi, mon Dieu, mon seul refuge »  traduit cette résolution. Du coup on comprend mieux combien l’image du lévite est parlante : c’est une manière de dire « en choisissant de rester fidèle au vrai Dieu, le peuple d’Israël a fait le vrai choix qui le fait entrer dans l’intimité de Dieu ».

              La confiance d’Israël lui inspire des phrases étonnantes : par exemple l’expression « Éternité de délices » ou bien encore « Tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » ; on peut se demander : quand le psaume est écrit, est-il déjà confusément une première amorce de la foi en la Résurrection ? En réalité, cette affirmation est une supplication, ou plutôt une plaidoirie ; vous savez que la foi en la Résurrection individuelle n’est apparue que très tard en Israël ; c’est du peuple qu’il est question ici : sa survie est en péril par sa faute (l’idolâtrie, justement) mais il sait que Dieu ne l’abandonnera pas et c’est pourquoi il affirme « tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » ; c’est bien du peuple qu’il s’agit.

              Par la suite, vers le deuxième siècle avant Jésus-Christ, quand on a commencé à croire à la résurrection de chacun d’entre nous, la phrase « tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » a été relue dans ce sens.

              Plus tard, les Chrétiens ont également relu ce psaume à leur manière, nous l’avons entendu dans la première lecture de ce dimanche : Pierre, le matin de la Pentecôte, a cité ce psaume aux pèlerins juifs venus nombreux à Jérusalem pour la fête. Pour leur montrer que Jésus était bien le Messie, Pierre leur a dit : quand David composait ce psaume, et disait « tu ne peux m’abandonner à la mort » sans le savoir il annonçait la Résurrection du Messie ; or Jésus est ressuscité, c’est donc bien de lui que David parlait, sans savoir le nommer, évidemment.

                Nous avons là un exemple de la première prédication chrétienne adressée à des Juifs : c’est-à-dire comment les premiers apôtres relisaient la tradition juive en y découvrant tout-à-coup une nouvelle dimension, l’annonce de Jésus-Christ.

              Au long des siècles, donc, ce psaume a porté la prière d’Israël dans l’attente du Messie et il s’est enrichi peu à peu de sens nouveaux... Ce sera le rôle de la première génération chrétienne de découvrir et de montrer  que les Écritures trouvent leur sens plénier en Jésus-Christ. 

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PIERRE APÔTRE 1, 17-21         

 

                   Bien-aimés,
17               si vous invoquez comme Père
                   celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre,
                   vivez donc dans la crainte de Dieu,
                   pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers.
18               Vous le savez :
                   ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or,
                   que vous avez été rachetés
                   de la conduite superficielle héritée de vos pères ;
19               mais c’est par un sang précieux,
                   celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ.
20               Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance
                   et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous.
21               C’est bien par lui que vous croyez en Dieu,
                   qui l’a ressuscité d’entre les morts
                   et qui lui a donné la gloire ;
                   ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu.
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                   Nous avons lu dans la première lecture (tirée des Actes des Apôtres) le discours de Pierre le matin de Pentecôte : un modèle de ce qu'était la première prédication chrétienne lorsqu'elle s'adressait à des juifs ; voici maintenant avec la lettre de Pierre une prédication  adressée à des anciens païens, des non-Juifs devenus chrétiens ; évidemment le discours n'est pas tout-à-fait le même ; c'est le B.A. BA  de la communication d'adapter son langage à son auditoire !

            J’ai dit qu’il s’agissait de non-Juifs ; on ne sait pas exactement à qui cette lettre est adressée : dans les premières lignes, Pierre dit seulement qu’il écrit aux « élus qui vivent en étrangers » dans les cinq provinces de notre Turquie actuelle, (le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie). Ce qui incite à penser qu’ils n’étaient pas d’origine juive, c’est la phrase « vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères » : Pierre, Juif lui-même ne dirait pas une telle phrase à des Juifs... il sait trop bien quelle espérance traverse les Écritures et à quel point toute la vie de son peuple est tendue vers Dieu ; impossible de parler d’une « conduite superficielle » !

              Mais s’il s’agit de non-Juifs, comme on le croit, la première chose qui saute aux yeux dans ce simple passage, c’est le nombre impressionnant d’allusions à la Bible : par exemple des expressions comme « le sang de l’Agneau sans défaut et sans tache », « le Père qui juge impartialement », la « crainte de Dieu » ; si Pierre les emploie sans les expliquer, c’est que son auditoire les connaît. Est-ce possible si ce sont des non-Juifs ?

              Voilà l’hypothèse la plus probable : autour des synagogues gravitaient de nombreux sympathisants et parmi eux un nombre important de ceux que l’on appelait les « craignant Dieu » : ils étaient si proches du Judaïsme qu’ils pratiquaient le shabbat et donc entendaient toutes les lectures de la synagogue le samedi matin ; par conséquent, ils connaissaient très bien les Écritures juives ; mais ils n’avaient jamais été jusqu’à demander la circoncision. On croit savoir que les premiers Chrétiens se sont recrutés majoritairement parmi eux.

              Je reviens à deux formules de la lettre de Pierre qui peuvent nous heurter si nous ne les replaçons pas dans leur contexte biblique :

            L’expression « crainte de Dieu », d’abord ; elle a un sens tout particulier dans la Bible précisément parce que Dieu s’est révélé à son peuple comme un « Père » ; rappelez-vous la phrase du psaume 102/103 : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour celui qui le craint » ; la crainte de Dieu, ce n’est donc pas la peur, c’est une attitude filiale faite de tendresse, de respect, de vénération, et d’une confiance totale. Pierre le dit bien : « Vous invoquez Dieu comme votre Père... vivez donc dans la crainte de Dieu » ; c’est logique : vous l’invoquez comme votre Père, alors, conduisez-vous en fils. Je reprends encore une fois cette phrase, mais en entier cette fois : « Si vous invoquez comme Père celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre, vivez donc dans la crainte de Dieu ». D’après l’insistance de Pierre sur « celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre » on devine que certains de ces nouveaux Chrétiens, qui venaient du paganisme, étaient complexés par rapport aux Chrétiens d’origine juive ; Pierre veut donc les rassurer ; il leur dit en substance « Vous êtes fils tout comme les autres, conduisez-vous en fils, tout simplement ».

            Deuxième formule qui risque de nous heurter : « Vous avez été rachetés ... par le sang précieux du Christ » ; j’ai volontairement tronqué la phrase, car c’est sous cette forme raccourcie qu’elle nous choque ; nous sommes tentés d’y voir un affreux marchandage, sans bien pouvoir dire, d’ailleurs, entre qui et qui. Si je prends, au contraire, la phrase de Pierre en entier : « ce qui vous a libérés de la vie sans but que vous meniez à la suite de vos pères, ce n’est pas l’or et l’argent, car ils seront détruits ; c’est le sang précieux du Christ, l’Agneau sans défaut et sans tache », je découvre deux choses :

              Premièrement, il ne s’agit pas de marchandage, notre libération est « gratuite », je devrais dire « gracieuse », c’est-à-dire donnée ; Pierre prend bien peine de dire : « Ce n’est pas l’or et l’argent »2, manière de dire « c’est gratuit ». La lettre aux Colossiens dit bien : « Il a plu à Dieu de tout réconcilier en Christ... » (Col 1,19).

              Deuxièmement, Pierre ne met pas l’accent là où nous le mettons, nous. Le sang d’un agneau sans défaut et sans tache, c’est celui qu’on versait chaque année pour la Pâque et qui signait la libération d’Israël de tous les esclavages ; ce sang versé annonçait l’œuvre permanente de Dieu pour libérer son peuple. C’est donc, pour un lecteur averti de l’Ancien Testament, un rappel de fête, la fête de la liberté en quelque sorte, d’une liberté en marche vers la Terre Promise. Or, dit Pierre, la libération définitive est accomplie en Jésus-Christ, désormais vous êtes entrés dans une vie nouvelle (c’est encore mieux que la Terre Promise). Cette libération consiste précisément en ceci que vous invoquez Dieu comme Père.

            On comprend mieux alors la phrase « Vous avez été rachetés (c’est-à-dire libérés) de la conduite superficielle héritée de vos pères ». « Superficielle » ici veut dire « qui ne mène à rien, par opposition à la vie éternelle » ; désormais, parce que le Fils a vécu sa vie d’homme dans la confiance jusqu’au bout, c’est toute l’humanité qui a retrouvé le chemin de l’attitude filiale, qui a retrouvé le chemin de l’arbre de vie, pour reprendre l’image de la Genèse.

              Paul dirait : « Vous êtes passés de l’attitude de peur, de méfiance de l’esclave à l’attitude de crainte filiale, l’attitude des fils ».3

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Notes

1 – « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes » : c’est une allusion à la révélation de Dieu au prophète Samuel : « Dieu ne regarde pas comme les hommes, car les hommes regardent l'apparence, mais le SEIGNEUR regarde le cœur. » (1 S 16, 7). Phrase reprise par Jésus dans ses controverses avec les Pharisiens auxquels il reprochait de « juger selon les apparences » (Jn 7, 24 ; 8, 15 ; cf le quatrième dimanche de Carême – A).

2 - « Ce n’est pas l’or et l’argent » : le thème de la gratuité des dons de Dieu n’est pas nouveau non plus. Le prophète Isaïe l’avait annoncé avec force : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. » (Is 55, 1 ; cf commentaire du dix-huitième dimanche du Temps Ordinaire – A).

3 – D’après Ga 4, 6 et Rm 8, 15.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC  24, 13-35

 

                     Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine),
13                 deux disciples faisaient route
                     vers un village appelé Emmaüs,
                     à deux heures de marche de Jérusalem,
14                 et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
15                 Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient,
                     Jésus lui-même s’approcha,
                     et il marchait avec eux.
16                 Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
17                 Jésus leur dit :
                     « De quoi discutez-vous en marchant ? »
                     Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes.
18                 L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit :
                     « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem
                     qui ignore les événements de ces jours-ci. »
19                 Il leur dit :
                     « Quels événements ? »
                     Ils lui répondirent :
                     « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth,
                     cet homme qui était un prophète
                     puissant par ses actes et ses paroles
                     devant Dieu et devant tout le peuple :
20                 comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré,
                     ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié.
21                 Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël.
                     Mais avec tout cela,
                     voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
22                 À vrai dire, des femmes de notre groupe
                     nous ont remplis de stupeur.
                     Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau,
23                 elles n’ont pas trouvé son corps ;
                     elles sont venues nous dire
                     qu’elles avaient même eu une vision :
                     des anges, qui disaient qu’il est vivant.
24                 Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau,
                     et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ;
                     mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
25                 Il leur dit alors :
                     « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire
                     tout ce que les prophètes ont dit !
26                 Ne fallait-il pas que le Christ
                     souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
27                 Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes,
                     il leur interpréta, dans toute l’Écriture,
                     ce qui le concernait.
28                 Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient,
                     Jésus fit semblant d’aller plus loin.
29                 Mais ils s’efforcèrent de le retenir :
                     « Reste avec nous,
                     car le soir approche et déjà le jour baisse. »
                     Il entra donc pour rester avec eux.
30                 Quand il fut à table avec eux,
                     ayant pris le pain,
                     il prononça la bénédiction
                     et, l’ayant rompu,
                     il le leur donna.       
31                 Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent,
                     mais il disparut à leurs regards.
32                 Ils se dirent l’un à l’autre :
                     « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous,
                     tandis qu’il nous parlait sur la route
                     et nous ouvrait les Écritures ? »
33                 À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem.
                     Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons,
                     qui leur dirent :
34                 « Le Seigneur est réellement ressuscité :
                     il est apparu à Simon-Pierre. »
35                 À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route,
                     et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux
                     à la fraction du pain.
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                  Vous avez remarqué certainement le parallèle (on dit « l’inclusion ») entre les deux formules « leurs yeux étaient aveuglés » (verset 16) et « alors leurs yeux s’ouvrirent » (verset 31) ; ce qui veut dire que les deux disciples d’Emmaüs sont passés du plus profond découragement à l’enthousiasme simplement parce que leurs yeux se sont ouverts. Et pourquoi leurs yeux se sont-ils ouverts ? Parce que Jésus  leur a expliqué les Écritures.

« Partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur expliqua, dans toute l’Écriture ce qui le concernait ». J’en déduis que Jésus-Christ est au centre du projet de Dieu qui se révèle dans l’Écriture.

             Il ne faudrait pas réduire pour autant l’Ancien Testament à un faire-valoir du Nouveau. Lire les prophètes comme s’ils n’annonçaient que la venue historique de Jésus-Christ, c’est trahir l’Ancien Testament et lui enlever toute son épaisseur historique.

L’Ancien Testament est le témoignage de la longue patience de Dieu pour se révéler à son peuple et le faire vivre dans son Alliance. Les paroles des prophètes, par exemple, sont d’abord valables pour l’époque où elles ont été prononcées.

             Il ne faut pas oublier non plus que la lecture qui consiste à considérer Jésus-Christ comme le centre de l’histoire humaine et donc aussi le centre de l’Écriture est une lecture « chrétienne », les Juifs en ont une autre... Nous sommes d’accord entre Juifs et Chrétiens pour invoquer le Dieu Père de tous les hommes et lire dans l’Ancien Testament la longue attente du Messie.

Mais n’oublions pas que la reconnaissance du Christ comme Messie n’est pas une évidence ! Elle le devient pour ceux dont les yeux « s’ouvrent » d’une certaine manière. Et alors leur cœur devient « tout brûlant » comme celui des disciples d’Emmaüs.

             On aimerait connaître évidemment la liste des textes que Jésus a parcourus avec les deux disciples d’Emmaüs ! À la fin de ce parcours biblique avec eux, Jésus  conclut : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » Je m’arrête sur cette formule qui représente une vraie difficulté pour nous : car elle se prête à deux lectures possibles :

             Première lecture possible : « Il fallait que le Christ souffrît pour mériter d’entrer dans sa gloire ». Comme si il y avait là une exigence de la part du Père. Mais cette lecture est une « tentation » qui trahit les Écritures ; elle présente la relation de Jésus à son Père en termes de « mérite », ce qui n’est nullement conforme à la révélation de l’Ancien Testament et que Jésus a développée : que Dieu n’est que Amour et Don et Pardon. Avec Lui, il n’est pas question de balance, de mérite, d’arithmétique, de calcul. Il est vrai que le Nouveau Testament parle souvent de l’accomplissement des Écritures, mais ce n’est pas dans ce sens-là, nous y reviendrons tout à l’heure. 

             Alors il y a une deuxième manière de lire cette phrase « Il fallait  que le Christ souffrît pour  entrer dans sa gloire » : la gloire de Dieu, c’est sa présence qui se manifeste à nous ; or Dieu est Amour. On pourrait donc transformer la phrase en « Il fallait que le Christ souffrît pour que l’amour de Dieu soit manifesté, révélé ».

             Or, je crois que Jésus a donné lui-même d’avance l’explication de sa mort lorsqu’il a dit à ses disciples : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». C’est-à-dire, il fallait que l’amour aille jusque-là, jusqu’à affronter la haine, l’abandon, la mort pour que vous découvriez que l’amour de Dieu est  « le plus grand amour ».

             Pour que nous découvrions jusqu’où va l’amour de Dieu, qui est tellement au-dessus de nos amours humaines, tellement impensable, au vrai sens du terme, il fallait qu’il nous soit révélé... et pour  qu’il nous soit révélé, il fallait qu’il aille jusque-là.

             « Il fallait » ne veut donc pas dire une exigence de Dieu mais une nécessité pour nous. Dire que les événements de la vie de Jésus « accomplissent les Écritures »1, c’est dire que sa vie tout entière est révélation en actes de cet amour du Père, quelles que soient les circonstances, y compris la persécution, la haine, la condamnation, la mort.

             La Résurrection de Jésus vient authentifier cette révélation que l’amour est plus fort que la mort.

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Note

1 – Ce thème de l’accomplissement des Écritures est très fréquent dans le Nouveau Testament, à commencer par cette phrase de Paul : « Lorsque les temps furent accomplis » (Ga 4, 4 ; cf commentaire pour la Fête de Sainte Marie, Mère de Dieu, le 1er janvier – tome I).

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 3e dimanche de Pâques (30 avril 2017)

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16 avril 2017 7 16 /04 /avril /2017 21:01

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 22 avril 2017).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   2, 42-47

          

42          Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres
              et à la communion fraternelle,
              à la fraction du pain
              et aux prières.
43          La crainte de Dieu était dans tous les cœurs
              à la vue des nombreux prodiges et signes
              accomplis par les Apôtres.
44          Tous les croyants vivaient ensemble,
              et ils avaient tout en commun ;
45          ils vendaient leurs biens et leurs possessions,
              et ils en partageaient le produit entre tous
              en fonction des besoins de chacun.
46          Chaque jour, d’un même cœur,
              ils fréquentaient assidûment le Temple,
              ils rompaient le pain dans les maisons,
              ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ;
47          ils louaient Dieu
              et avaient la faveur du peuple tout entier.
              Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait
              ceux qui allaient être sauvés.

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          Voilà un flash de la toute première communauté chrétienne comme saint Luc aime en donner dans les Actes des Apôtres. À plusieurs reprises (j'en compte quatre) il dresse en une ou plusieurs lignes un portrait de ce type ; on dirait des photos de famille, en quelque sorte, des instantanés pris sur le vif.

Ad­di­tion­nés, ils des­si­nent un por­trait qui nous pa­raît pres­que idyl­li­que de la vie des pre­miers chré­tiens : as­si­dus à l'enseignement des apô­tres et à la priè­re, vi­vant dans la louan­ge du Sei­gneur et met­tant tout en com­mun, se­mant sur leur pas­sa­ge de mul­ti­ples gué­ri­sons et re­cru­tant sans ces­se de nou­veaux mem­bres...

          Ce qui n'empêche pas Luc de ra­con­ter par ailleurs quel­ques dif­fi­cul­tés bien concrè­tes de ces mê­mes com­mu­nau­tés... Ananie et Saphire par exemple, qui ont eu du mal à pratiquer jusqu’au bout le partage des biens, et, plus grave encore, les difficultés de coexistence entre chrétiens d’origine juive et chrétiens d’origine païenne...

          On peut se demander : quel message Luc veut nous faire passer en dressant ainsi ces por­traits si beaux, presque irréels ? Cela fait penser aux photos de famille des jours de fête qui habillent les murs de nos maisons, les albums de photos ou les pêle-mêle que nous aimons regarder. Évidemment, on a sélectionné les meilleures photos ; en les regardant, nous prenons conscience de la beauté de nos familles et de la joie de certains jours privilégiés.

            Pour saint Luc, c’est certainement cela, mais c’est aussi beaucoup plus que cela : c’est la preuve que les temps messianiques sont arrivés. Les apôtres sont devenus capables de vivre en frères, grâce au don de l’Esprit ; voilà, nous dit-il, ce que l’Esprit nous rend capables de faire : lui qui « poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification ». Voilà la marque de l’Esprit répandu sur le monde par le Messie : c’est bien ce qu’avaient promis les prophètes. La fra­ter­ni­té, la paix, la jus­ti­ce, l'abolition du mal sont les va­leurs du Royau­me de Dieu que de­vait in­stau­rer le Mes­sie ; or les premiers chrétiens en ont donné l’exemple à plusieurs reprises !

          C’est donc la preuve que Jésus est bien le Messie attendu, la preuve qu’il a répandu l’Esprit de Dieu sur le monde. Alors on comprend la phrase : « La crainte de Dieu était dans tous les cœurs » : c’est l’émerveillement devant l’œuvre de Dieu. Luc nous dit : voyez mes frè­res, les pre­miers si­gnes du Royau­me sont bien là ; voilà ce que l'Esprit Saint nous permet de vivre dans nos familles, nos paroisses et nos communautés lorsque nous nous laissons guider par lui dans la lumière de Pâques. Depuis la Résurrection du Christ, l’humanité nouvelle est née, celle qui grandit lentement autour et à l’image du Fils de Dieu. Saint Paul dirait : regardez, nous sommes vraiment ressuscités ! C’est-à-dire « nous vivons vraiment d’une vie nouvelle, le vieil homme (l’ancien comportement) est mort ».

          Luc, le païen conver­ti, s'émerveille de l'expansion ir­ré­sis­ti­ble de l'évangile : « Tous les jours, le Seigneur faisait entrer dans la communauté ceux qui étaient appelés au salut ». Je remarque, au passage, que c’est le Seigneur qui les y faisait entrer ! « Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés. » Je remarque, au passage, que c’est le Seigneur qui faisait entrer de nouveaux membres dans la communauté ! À nous, que nous est-il demandé ? Peut-être, tout simplement, d’être de vraies communautés chrétiennes, dignes de ce nom. Car c’est par sa vie bien concrète que la communauté porte témoignage de la Résurrection du Christ : une vie faite de partage de la Parole et du pain, de prière, de partage de tous les biens de chacun, le tout dans la joie ! C’est le monde à l’envers !

          En particulier, le dépouillement personnel et le partage de tous les biens, voilà bien la chose irréalisable pour des hommes ordinaires… à moins qu’ils ne soient habités par l’Esprit de Dieu, celui que le Christ lui-même leur a insufflé. Jésus avait bien dit : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples ». C’est cela qui prouvera au monde entier que Jésus est vivant ; voilà qui juge une fois pour toutes nos querelles et nos médisances, nos intolérances et nos divisions, nos refus de partager.

          Il ne nous est pas in­ter­dit, bien sûr, de pui­ser dans ces beaux portraits des cri­tè­res de vé­ri­fi­ca­tion de la qua­li­té de nos pro­pres com­mu­nau­tés (familles, équipes, communautés chrétiennes). C’est un peu comme si nous Luc nous disait : À bon entendeur salut !

              Car, finalement, c’est bien un programme  de  vie chrétienne que nous venons d’entendre ;  si je compte bien, il y a quatre points : écouter l’enseignement des Apôtres, vivre en communion fraternelle, y compris le partage de tous les biens, rompre le pain et participer aux prières.

          Pour finir, il me semble que la très grande Bonne Nouvelle de ce texte, c’est que ce nouveau comportement inspiré par l’Esprit Saint est possible ! Tout comme les photos des jours de fête nous rappellent les possibilités d’amour de nos familles !

          Mais cela peut aussi nous inspirer quelques questions : je m’arrête à l’une des expressions de Luc : « Les frères étaient fidèles à rompre le pain ». Nous dirions aujourd’hui l’Eucharistie. Cela veut dire au moins trois choses : d’abord, la messe du dimanche (pour ceux qui ont la chance d’en avoir une à leur portée), est beaucoup plus qu’une obligation, c’est une nécessité vitale ! Parce que la pratique eucharistique est indispensable à chacun d’entre nous pour sa vie de foi ; ensuite, plus grave encore, c’est la communauté qui est privée de l’un de ses membres chaque fois que l’un d’entre nous ne participe pas à l’eucharistie.

              Enfin, troisième chose, une communauté est gravement pénalisée quand elle est privée de ce ressourcement régulier : cela pose évidemment tout le problème de tant de communautés chrétiennes privées de prêtre parfois depuis longtemps, pendant que certaines paroisses de ville offrent un large échantillonnage d’heures de messes pour satisfaire toutes les exigences. Nous ne pouvons qu’admirer le dynamisme de la foi de ceux d’entre nous qui savent faire vivre leurs communautés malgré l’absence de prêtre.

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PSAUME 117  (118)  

 

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !
Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !

On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ;
mais le Seigneur m’a défendu.
Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ;
il est pour moi le salut.
Clameurs de joie et de victoire
sous les tentes des justes.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle ;
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.
Voici le jour que fit le Seigneur,
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

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            Nous avons déjà chanté ce psaume 117/118 pendant la nuit pascale et le jour même de Pâques. Et même, chaque dimanche ordinaire, il fait partie de l’Office des Laudes dans la liturgie des Heures (ou le Bréviaire si vous préférez). Pas étonnant : pour les Juifs, ce psaume concerne le Messie ; pour nous, Chrétiens, quand nous célébrons la Résurrection du Christ, nous reconnaissons en lui le Messie attendu par tout l’Ancien Testament, le roi véritable, le vainqueur de la mort. C’est donc à ce double niveau de l’attente juive et de la foi chrétienne que je vous propose de l’entendre.

              Le sens de ce psaume dans la foi juive :

              C’est un psaume de louange : il commence d’ailleurs par le mot « Alléluia » qui signifie « louez Dieu » et qui donne bien le ton de l’ensemble ; ensuite, il comporte vingt-neuf versets et sur cet ensemble de vingt-neuf versets, il y a plus  de trente fois le mot « SEIGNEUR » (les fameuses quatre lettres du nom de Dieu en hébreu) ou au moins « Yah », qui en est la première syllabe... et ce sont autant de phrases de louange pour la grandeur de Dieu, l’amour de Dieu, l’œuvre de Dieu pour son peuple... Une vraie litanie !

              Ce psaume de louange est prévu pour accompagner un sacrifice d’action de grâce au cours de la fête des Tentes, cette fête très importante et très joyeuse qui dure huit jours en automne : on a des traces de la joie de cette fête dans le texte même du psaume ; par exemple : « Voici le jour que fit le SEIGNEUR, jour de fête et jour de joie ».

                        Je vous rappelle les rites les plus importants de cette fête : tout d’abord, on habite pendant huit jours sous des tentes en souvenir des tentes de l’Exode après la sortie d’Égypte, pour retrouver le goût de l’Alliance. Ensuite, il y a de nombreuses célébrations au temple de Jérusalem et l’on fait des processions autour de l’autel en agitant des rameaux et en chantant « Hosanna » qui signifie « Donne, SEIGNEUR, donne le salut » ; parce que l’attente du Messie est très marquée dans l’esprit de cette fête, on répète « Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient », comme une sorte de prière pour hâter sa venue. (Nous faisons quelque chose d’analogue quand nous célébrons - déjà ! - une fête du Christ-Roi.) Un autre rite marquant était une grande illumination spectaculaire du Temple, le dernier soir. Tous ces rites, nous pouvons en entendre l’écho dans ce psaume, à condition de le lire en entier.

                        Voici quelques autres versets que nous n’entendons pas dans la liturgie de ce deuxième dimanche de Pâques : « Rameaux en main, formez vos cortèges jusqu’auprès de l’autel. »... « Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient »... « Dieu, le SEIGNEUR, nous illumine » (allusion à l’illumination du dernier soir).

                        Tout ceci, ce sont les mots de la louange ; voici les motifs maintenant : pour parler de l’histoire d’Israël, le psaume raconte l’histoire d’un roi qui vient d’affronter une guerre sans merci et qui a remporté la victoire ; et ce roi vient rendre grâce à son Dieu de l’avoir soutenu. Il dit par exemple : « on m’a poussé, bousculé pour m’abattre, mais le SEIGNEUR m’a défendu »... et encore « toutes les nations m’ont encerclé : au nom du SEIGNEUR, je les détruis » et encore : « non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres du Seigneur ». C’est donc un individu qui parle ici, un roi qui a miraculeusement échappé à toutes les attaques des pays qui l’assaillaient ; mais, en réalité, nous savons ce qu’il faut lire entre les lignes : c’est l’histoire du peuple d’Israël. De nombreuses fois au cours de son histoire, il a frôlé l’anéantissement ; mais à chaque fois le Seigneur l’a relevé et il le célèbre dans cette grande fête des tentes : il chante  « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres du SEIGNEUR ». Ce rôle de témoin des œuvres du Seigneur, c’est la vocation propre d’Israël ; et c’est dans la conscience même de cette vocation qu’il a puisé la force de survivre à toutes ses épreuves au long de l’histoire.

              Et maintenant, quelques mots sur le sens de ce psaume pour les Chrétiens :

              Tout d’abord, vous avez remarqué la parenté entre la fête juive des Tentes et l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, que nous commémorons dans la fête des Rameaux.

              Mais surtout, la jubilation qui court dans ce psaume convient au Ressuscité du matin de Pâques ! Il est ce roi victorieux : les évangélistes, chacun à sa manière, nous l’ont présenté comme le roi véritable : pour n’en citer qu’un, par exemple, Matthieu a construit l’épisode de la visite des Mages de manière à bien nous faire comprendre que le véritable roi n’est pas celui que disent les historiens (c’est-à-dire Hérode) mais l’enfant de Bethléem... ou bien Jean, dans le récit de la Passion, nous présente bien Jésus comme le vrai roi des Juifs...

              En méditant le mystère de ce Messie rejeté, méprisé, crucifié, les apôtres ont découvert un nouveau sens à ce psaume : (quand il chante : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ; c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. » Et Jésus l’avait cité dans la parabole des vignerons homicides :) Jésus est cette pierre angulaire, rejetée par les bâtisseurs et qui devient la pierre maîtresse ; (sur la pierre angulaire, voir le commentaire du psaume 117/118 pour le dimanche de Pâques) ; lui, rejeté par son peuple, il est devenu la pierre de fondation de l’Israël nouveau.

              Il est vraiment « celui qui vient au nom du SEIGNEUR » comme dit le psaume : l’expression même a été employée lors de son entrée solennelle à Jérusalem.

              Enfin, on sait que ce psaume était chanté à Jérusalem à l'occasion d'un sacrifice d'action de grâce ; Jésus, lui, vient d'accomplir « le » sacrifice d'action de grâce par excellence ! Il prend la tête de l'Israël nouveau qui rend grâce à Dieu son Père : c'est même ce qui caractérise Jésus. Toute son attitude envers son Père n'est qu'action de grâce et c'est cela justement qui inaugure entre Dieu et l'humanité l'Alliance nouvelle : celle où l'humanité n'est que réponse d'amour à l'amour du Père.

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PIERRE APÔTRE  1, 3-9          

 

3          Béni soit Dieu, le Père
            de notre Seigneur Jésus Christ :
            dans sa grande miséricorde,
            il nous a fait renaître pour une vivante espérance
            grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts,
4          pour un héritage qui ne connaîtra
            ni corruption, ni souillure, ni flétrissure.
            Cet héritage vous est réservé dans les cieux,
5          à vous que la puissance de Dieu garde par la foi,
            pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps.
6          Aussi vous exultez de joie,
            même s’il faut que vous soyez affligés,
            pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ;
7          elles vérifieront la valeur de votre foi
            qui a bien plus de prix que l’or

            – cet or voué à disparaître
            et pourtant vérifié par le feu –,
            afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur
            quand se révélera Jésus Christ.
8          Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ;
            en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi,
            vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire,
9           car vous allez obtenir le salut des âmes
            qui est l’aboutissement de votre foi.
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              Il y a un tel souffle de liberté dans le passage que nous avons entendu que certains se demandent si Pierre n’a pas repris une hymne qu’on chantait pendant les baptêmes... On n’en a pas la preuve, mais c’est en tout  cas une hypothèse intéressante qui peut nous aider à mieux comprendre ce texte.

              On y reconnaît facilement trois strophes : je commence par les distinguer tout simplement en vous donnant un résumé de chacune d’elles :

              Première strophe, le début de notre texte (les versets 3, 4, 5) : Béni soit Dieu... Il nous a fait renaître par la Résurrection du Christ et désormais nous vivons dans la foi et l’espérance ; comme dit un chant bien connu : « Dieu fait de nous en Jésus-Christ des hommes libres... »

              Deuxième strophe, les versets suivants (6 et 7) : l’espérance nous fait tressaillir de joie déjà, mais nous sommes encore dans le temps de l’épreuve de notre foi ;

              Troisième strophe, les derniers versets (8 et 9) : heureux ceux qui croient sans avoir vu ; notre foi nous procure déjà une joie inexprimable qui nous transfigure.

              Vous avez remarqué déjà le mot « foi » qui figure dans les trois strophes :

              Cela justifie par exemple la très grande insistance sur la foi : le mot figure cinq fois dans ces quelques lignes. Ce qui n’est pas étonnant, si on est dans une célébration de baptême ; et aussi une joie formidable, il dit « inexprimable », malgré les épreuves présentes (« même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves », verset 6) : cela s’adresse visiblement à des communautés chrétiennes qui vivent en monde hostile ; il faut croire que c’était le cas des lecteurs de Pierre.

              Je reprends l’ensemble : les trois strophes une à une : « Béni soit Dieu, le Père de Jésus-Christ notre Seigneur » : la tournure est juive, la formule est chrétienne ; commencer par une grande bénédiction de Dieu, c’est typique de la prière juive ; et c’est certainement quelqu’un qui a beaucoup chanté les psaumes qui peut écrire un texte pareil ! Mais le contenu est chrétien : dans les psaumes, Dieu est chanté comme le Dieu des Pères, Abraham, Isaac, Jacob... désormais la Révélation a franchi un pas décisif : Dieu est connu maintenant comme Père de Jésus-Christ et c’est par Jésus-Christ qu’il accomplit son dessein sur l’humanité.

                   « Dieu nous a fait renaître grâce à la Résurrection de Jésus-Christ » : comme Jésus lui-même dans  son dialogue avec Nicodème, Pierre parle du baptême comme d’une nouvelle naissance et cette nouvelle naissance a sa source dans la résurrection du Christ ; aujourd’hui, nous, après deux mille ans de Christianisme, sommes tellement habitués à la formule « Jésus-Christ est ressuscité » que nous ne ressentons peut-être plus aucun choc à la dire ; mais les premiers chrétiens vivaient cela comme une véritable révolution : désormais, pour eux, la face du monde était changée ; comme dit Paul, le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est né (2 Co 5).

                   On retrouve aussi très fortement chez Pierre un autre thème habituel de Paul : la tension entre le présent et l’avenir : tout est déjà accompli dans la résurrection du Christ et donc il parle au passé : « Dieu nous a fait renaître »... tout est joué, si l’on peut dire ; mais tout reste encore à venir : nous sommes tendus vers le « salut qui est prêt à se révéler dans les derniers temps » comme dit Pierre.

                   Ce mot « salut », on pourrait le traduire par « vie »… « qui ne connaît ni corruption, ni souillure, ni flétrissure » ; on pourrait le traduire aussi par « libération » de tout ce qui est justement  « corruption, souillure, flétrissure ». Un salut, une libération déjà accomplie en Jésus-Christ mais dans laquelle toute l’humanité n’est pas encore entrée, et c’est cela qui reste à venir.

                   C’est ce « déjà accompli » qui nous fait  dès  maintenant « tressaillir de joie » comme dit Pierre ; les jours où nous sommes moroses sont peut-être bien ceux où nous perdons de vue cette grande nouvelle de Pâques : la grande nouvelle qui est que l’amour et la vie sont plus forts que toutes les haines et que la mort ; mais il est vrai que, dans certaines situations, cette certitude a tendance à s’estomper et notre foi est alors mise à l’épreuve ! Et la deuxième strophe le dit bien : « Vous êtes attristés pour un peu de temps encore par toute sorte d’épreuves », dit Pierre. La suite de la lettre laisse entrevoir les difficultés dont il s’agit, probablement l’hostilité rencontrée par ces jeunes chrétiens qui font figure de marginaux en monde païen.  

                   La dernière strophe reprend ce thème de la foi dans le temps de l’attente ; Pierre, lui, a eu le privilège de connaître, de côtoyer longuement Jésus-Christ, mais il s’adresse à des chrétiens qui n’ont pas connu Jésus et il développe pour eux la béatitude que Jésus avait dite à Thomas « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » et il les encourage : « Vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi... et vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire ».

quand il emploie le mot « transfigurer », Pierre sait de quoi il parle, lui qui a eu le privilège d’assister à la transfiguration de Jésus : et sur le visage des chrétiens, il retrouve un reflet de la lumière qui irradiait  Jésus lui-même.

                   Cette insistance de Pierre sur la joie des chrétiens, une joie à la fois inexprimable et plus forte que toutes les épreuves passagères, résonne comme un appel ! Peut-être nos contemporains attendent-ils tout simplement de voir sur nos visages la joie de notre Baptême un reflet de Jésus transfiguré ?

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Complément

Traditionnellement, ce dimanche s’appelait « in albis », ce qui veut dire « en vêtements blancs ». Car les nouveaux baptisés de la Nuit de Pâques avaient porté leur robe de Baptême pendant toute la semaine pascale. Et ce dimanche figurait pour eux comme une fête des baptisés.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   20, 19-31

 

              C’était après la mort de Jésus.
19          Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
              alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
              étaient verrouillées par crainte des Juifs,
              Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
              Il leur dit :
              « La paix soit avec vous ! »
20          Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
              Les disciples furent remplis de joie
              en voyant le Seigneur.
21          Jésus leur dit de nouveau :
              « La paix soit avec vous !
              De même que le Père m’a envoyé,
              moi aussi, je vous envoie. »
22          Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
              et il leur dit :
              « Recevez l’Esprit Saint.
23          À qui vous remettrez ses péchés,
              ils seront remis ;
              à qui vous maintiendrez ses péchés,
              ils seront maintenus. »
24          Or, l’un des Douze, Thomas,
              appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau),
              n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
25          Les autres disciples lui disaient :
              « Nous avons vu le Seigneur ! »
              Mais il leur déclara :
              « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
              si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
              si je ne mets pas la main dans son côté,
              non, je ne croirai pas ! »
26          Huit jours plus tard,
              les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
              et Thomas était avec eux.
              Jésus vient,
              alors que les portes étaient verrouillées,
              et il était là au milieu d’eux.
              Il dit :
              « La paix soit avec vous ! »
27          Puis il dit à Thomas :
              « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
              avance ta main, et mets-la dans mon côté :
              cesse d’être incrédule,
              sois croyant. »
28          Alors Thomas lui dit :
              « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29          Jésus lui dit :
              « Parce que tu m’as vu, tu crois.
              Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30          Il y a encore beaucoup d’autres signes
              que Jésus a faits en présence des disciples
              et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31          Mais ceux-là ont été écrits
              pour que vous croyiez
              que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
              et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.

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             « C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine », c’est-à-dire le dimanche : ce n’est pas seulement une précision matérielle que saint Jean nous donne : c’est plutôt comme un clin d’œil ; quand Jean écrit son évangile, il y a déjà à peu près cinquante ans que les faits se sont passés... cinquante ans que les chrétiens se réunissent chaque dimanche pour fêter la Résurrection de Jésus... le clin d’œil, c’est « vous comprenez pourquoi on se rassemble chaque dimanche ? » Le rassemblement des chrétiens chaque dimanche en mémoire de la résurrection du Christ est né là. Ce rassemblement du dimanche était une caractéristique des chrétiens dans le monde juif.

              Car, pour les Juifs, depuis des siècles, le dimanche était un jour de travail comme les autres, le premier jour de la semaine ; c’est le septième jour, le samedi (le shabbat) qui était jour de fête, de repos, de rassemblement, de prière.

              Or, c’est un lendemain de shabbat que Jésus est ressuscité, et, plusieurs fois de suite, il s’est montré vivant à ses apôtres après sa Résurrection, chaque fois le premier jour de la semaine : si bien que pour les chrétiens, ce jour-là a pris un sens particulier. Ce premier jour de la semaine leur paraît à eux être le premier jour des temps nouveaux : comme la semaine de sept jours des Juifs rappelait les sept jours de la Création, cette nouvelle semaine qui a commencé par la Résurrection du Christ a été comprise par les chrétiens comme le début de la nouvelle Création.

              « Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint et il était là au milieu d’eux ». Jean souligne le contraste : les disciples sont enfermés, ils ont peur et, humainement, on les comprend ! Si on a tué le Maître, on peut bien tuer les disciples. Cela ne souligne que mieux la liberté du Christ. Tout est verrouillé, cela n’a pas l’air d’être un problème pour lui ! Il ne connaît pas les verrous, mais surtout, il n’a pas l’air de connaître la peur !

              Et, précisément, sa première parole, c’est « la Paix soit avec vous »... C’était le salut juif habituel... mais quand même c’est une étrange salutation après tout ce qu’on vient de vivre ! La crainte, l’angoisse des derniers mois avant l’arrestation de Jésus, l’horreur de sa Passion et de sa mort, la nuit du Jeudi, la journée du vendredi, et ce silence du samedi, une fois Jésus mis au tombeau ... Est-ce qu’on peut être dans la Paix... comme si rien n’était arrivé ?           

                        Et en même temps, c’est fou, mais c’est bien vrai quand même : Il est bel et bien vivant... et, pour le prouver, il montre ses plaies qui sont les marques de la crucifixion. Au passage, je remarque que les marques sont bien là dans ses mains, ses pieds, son côté : la Résurrection ne gomme donc pas la mort.

              Alors, même si cela paraît fou, saint Jean nous dit « les disciples furent remplis de joie ! » C’est inouï ce qui leur arrive ! Et, à ce moment-là, saint Jean continue : « Jésus leur dit de nouveau : La Paix soit avec vous ». Alors, ils peuvent réellement être dans la Paix... non pas comme si rien n’était arrivé... mais malgré ce qui est arrivé : parce que cette Paix du Ressuscité est très au-delà de ce qui peut arriver !

              « Ayant ainsi parlé, Jésus répandit sur eux son souffle, et il leur dit : Recevez l’Esprit-Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » On est frappés du lien entre le don de l’Esprit et la mission de réconciliation : dans la Bible, l’Esprit est toujours donné pour une mission ; et il n’y a pas d’autre mission en définitive que de réconcilier les hommes avec Dieu : tout le reste en découle.

                   C’est un ordre, un commandement que Jésus donne : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » Allez annoncer que les péchés sont remis, c’est-à-dire pardonnés. Soyez les ambassadeurs de la réconciliation universelle. Et, si vous n’y allez pas, cette Nouvelle de la Réconciliation ne sera pas annoncée : le Père sollicite votre collaboration pour cela. « Comme le Père m’a envoyé... » : on a ici, de la bouche même de Jésus-Christ un résumé de toute sa mission ; c’est comme s’il nous disait : « Le Père m’a envoyé pour annoncer la réconciliation universelle, pour annoncer que les péchés sont pardonnés. Que Dieu ne tient pas des comptes des péchés des hommes ; annoncer une seule chose : que Dieu est Amour et Pardon... à votre tour, je vous envoie pour la même mission. » Le seul péché, celui qui est la racine de tous les autres, c’est de ne pas croire à l’amour de Dieu : vous donc, je vous envoie, allez annoncer à tous les hommes l’amour de Dieu.

                        Reste la phrase « Tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » : être maintenu dans son péché, c’est ignorer l’amour de Dieu. Il dépend de vous, dit Jésus, que vos frères connaissent l’amour de Dieu et en vivent... Le projet de Dieu ne sera définitivement accompli que quand vous, à votre tour, aurez rempli votre mission... « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ».   

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, dimanche de la Divine Miséricorde (23 avril 2017)

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13 avril 2017 4 13 /04 /avril /2017 11:59

En cette semaine sainte 2017, Marie-Noëlle Thabut nous met en marche vers Pâques, en nous proposant, via KTO, un éclairage sur la notion de "Messie".