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22 février 2016 1 22 /02 /février /2016 22:49

 Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 27 février 2016).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

PREMIÈRE LECTURE – Livre de l’Exode 3, 1-8a. 10. 13-15

En ces jours-là,
1 Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro,
prêtre de Madiane.
Il mena le troupeau au-delà du désert
et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb,.
2 L’Ange du SEIGNEUR lui apparut
dans la flamme d’un buisson en feu.
Moïse regarda : le buisson brûlait
sans se consumer.
3 Moïse se dit alors :
« Je vais faire un détour
pour voir cette chose extraordinaire :
pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? »
4 Le SEIGNEUR vit qu’il avait fait un détour pour voir,
et Dieu l’appela du milieu du buisson :
« Moïse ! Moïse ! »
Il dit : « Me voici ! »
5 Dieu dit alors :
« N’approche pas d’ici !
Retire les sandales de tes pieds,
car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! »
6 Et il déclara :
« Je suis le Dieu de ton père,
le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. »
Moïse se voila le visage
car il craignait de porter son regard sur Dieu.
7 Le SEIGNEUR dit :
« J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple
qui est en Égypte,
et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants.
Oui, je connais ses souffrances.
8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens
et le faire monter de ce pays
vers un beau et vaste pays,
vers un pays ruisselant de lait et de miel.

10 Maintenant donc, va !
Je t’envoie chez Pharaon :
tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël. »

13 Moïse répondit à Dieu :
« J’irai donc trouver les fils d’Israël, et je leur dirai :
Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.
Ils vont me demander quel est son nom ;
que leur répondrai-je ? »
14 Dieu dit à Moïse :
« Je suis qui je suis.
Tu parleras ainsi aux fils d’Israël :
Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est JE-SUIS. »
15 Dieu dit encore à Moïse :
« Tu parleras ainsi aux fils d’Israël :
Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est le SEIGNEUR,
le Dieu de vos pères,
le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob.
C’est là mon nom pour toujours,
c’est par lui que vous ferez mémoire de moi, d’âge en âge. »


Ce récit magnifique est capital pour la foi d’Israël et donc aussi pour la nôtre : c’est la première fois que l’humanité découvrait qu’elle était aimée de Dieu ; au point qu’il voit, qu’il entend, qu’il connaît nos souffrances. Seul, le peuple élu pouvait accéder à cette découverte, parce que personne au monde n’y a pensé tout seul, il a fallu la Révélation. C’est sur ce socle, cette conviction désormais inébranlable que s’est construite la foi d’Israël, et donc, encore une fois, la nôtre. Il faut entendre la force du texte biblique. Notre traduction liturgique est presque trop faible ; quand nous lisons « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple », le texte hébreu est beaucoup plus insistant ; il faudrait traduire « pour voir, j’ai vu » ou « vraiment j’ai vu, oui, j’ai vu » la misère de mon peuple en Égypte.
Cette misère du peuple était bien réelle, effectivement. L’immigration des Hébreux avait eu lieu des siècles plus tôt, à l’occasion d’une famine, et au début les choses allaient bien ; mais au fil des siècles, ces Hébreux s’étaient multipliés et au moment de la naissance de Moïse, ils commençaient à inquiéter le pouvoir. On les gardait parce que c’était une main-d’œuvre à bon marché, mais on venait de décider de les empêcher de se reproduire ; un bon moyen, tout bébé garçon serait tué par la sage-femme dès sa naissance. On sait comment Moïse avait échappé miraculeusement à cette mort programmée et comment il avait finalement été adopté par la fille du Pharaon et élevé à la cour. Mais il n’avait pas oublié ses origines : il était sans cesse écartelé entre sa famille adoptive et ses frères de race, réduits à l’impuissance et à la révolte.
Un jour, il prit parti : témoin des violences des Égyptiens contre les Hébreux, il tua un Égyptien. Consciemment ou non, il venait de choisir son camp. Le lendemain, voyant deux Hébreux s’empoigner, il leur avait fait la morale ; mais il avait essuyé une fin de non-recevoir ; on l’avait accusé de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Ce qui signifiait que personne n’était prêt à lui confier la responsabilité de mener une quelconque révolte contre le Pharaon. En même temps, il avait entendu dire que le Pharaon avait décidé de le châtier pour le meurtre de l’Égyptien. Finie la vie à la cour, il fut obligé de s’exiler pour échapper aux représailles. Il s’enfuit dans le désert du Sinaï, il y rencontra et épousa une Madianite, Cippora, la fille de Jéthro.

C’est là que commence notre texte d’aujourd’hui : « Moïse gardait le troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à l’Horeb, la montagne de Dieu. » Moïse, est certainement à ce moment-là dans les meilleures conditions qui soient pour rencontrer Dieu et recevoir sa vocation : il est sensible à la misère de ses frères, puisqu’il a pris des risques pour s’engager à leurs côtés, en tuant un Égyptien pour sauver un Hébreu ; mais en même temps, il a pris la mesure de son impuissance : le seul geste qu’il ait osé est un échec ; il est un paria désormais, et même ses frères de race ne lui reconnaissent aucune autorité. C’est cet homme pauvre qui s’approche d’un étrange buisson en feu.
Je ferai deux remarques : tout d’abord, Dieu se révèle en même temps comme le Tout-Autre et comme le Tout-proche ; Il est le Tout-Autre, celui qu’on ne peut approcher qu’avec crainte et respect ET en même temps, il est le Tout Proche, celui qui voit la misère de son peuple et lui suscite un libérateur. Commençons par les expressions qui manifestent la sainteté de Dieu et l’immense respect de l’homme qui se trouve en sa présence : la phrase « L’Ange du SEIGNEUR lui apparut au milieu d’un feu qui sortait d’un buisson », par exemple, est caractéristique ; pour dire la présence de Dieu lui-même dans le buisson, on prend une circonlocution ; l’expression « L’Ange du SEIGNEUR » est une manière pudique de parler de Dieu. Ou encore, des expressions comme « N’approche pas d’ici ! Retire tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte ! » Ou enfin « Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. » En même temps, Dieu se révèle comme le Tout Proche des hommes, celui qui se penche sur leur malheur.
Deuxième remarque, il faut retenir l’articulation de l’intervention de Dieu. Il voit la souffrance des hommes, donc il intervient, donc il envoie Moïse : l’action de Dieu suppose la collaboration de celui que Dieu appelle… Encore faut-il que celui que Dieu appelle accepte de répondre à cet appel… Encore faut-il que celui qui souffre accepte d’être secouru.


PSAUME – 102 (103), 1-2, 3-4, 6-7, 8.11

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

3 Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

6 Le SEIGNEUR fait œuvre de justice,
il défend le droit des opprimés.
7 Il révèle ses desseins à Moïse,
aux enfants d’Israël ses hauts faits.

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour.
11 Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint.


La première lecture, avec le récit du buisson ardent (extrait du livre de l’Exode au chapitre 3) a révélé le Nom de Dieu : « JE SUIS » sous-entendu « avec vous » au plus profond de vos souffrances et de vos révoltes. En écho, notre psaume chante : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint. » Ces deux formulations du Mystère de Dieu (« JE SUIS » et « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié ») se complètent mutuellement.
Revenons d’abord à l’épisode du Buisson Ardent : on sait bien qu’il ne faut pas entendre l’expression « JE SUIS » ou « Je suis qui je suis » comme une définition, comme en philosophie on cherche à définir un concept ; la répétition du verbe « Je suis » est une tournure de la langue hébraïque, pour dire l’intensité. Dieu a commencé par rappeler la longue histoire d’Alliance avec les Pères : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Ce qui voulait déjà dire la fidélité de Dieu à son peuple depuis des siècles et à travers toute l’épaisseur d’une histoire. Puis il a dit sa compassion pour le peuple humilié, réduit à l’esclavage en Égypte ; enfin seulement il révèle son Nom « Je suis ». La première découverte que Moïse a faite au Sinaï, c’est donc cette Présence intense de Dieu au cœur de la détresse des hommes. Il aura retenu pour toujours cette révélation surprenante : « J’ai vu, (dit Dieu) oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups de ses surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer… » Moïse l’a tellement bien retenue qu’il a puisé là l’incroyable énergie qui a fait d’un homme seul, exilé, rejeté par tous, le meneur infatigable que l’on sait et le libérateur de son peuple.
Quand le peuple d’Israël se souvient de cette aventure inouïe, il sait bien que son premier libérateur, c’est Dieu, Moïse n’en est que l’instrument. Le « Me voici » de Moïse (comme celui d’Abraham, comme celui de tant d’autres depuis) est la réponse qui permet à Dieu de réaliser sa grande œuvre de libération de l’humanité. Et, désormais, quand on dit « LE SEIGNEUR », qui est la traduction française des quatre lettres (YHVH) du Nom de Dieu, on pense à cette Présence libératrice.
La vision de Moïse qui accompagnait cette révélation du Nom permet de mieux entrer dans ce mystère de la Présence de Dieu ; rappelons-nous le début du récit du Buisson Ardent : « L’Ange du SEIGNEUR apparut à Moïse au milieu d’un feu qui sortait d’un buisson. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. » (Ex 3, 2).
Dieu se révèle donc de deux manières à la fois : dans cette vision et dans la parole qui dit son Nom. Devant cette flamme qui jaillit d’un buisson sans le consumer, Moïse est invité à comprendre que Dieu, comparé à un feu, est au milieu de son peuple (le buisson). Et cette Présence de Dieu au milieu de son peuple ne le détruit pas, ne le consume pas. Moïse, dont le premier réflexe a été de se voiler le visage, comprend alors qu’il n’y a pas à avoir peur. Du coup, la vocation du peuple est dite en même temps : il est le lieu choisi par Dieu pour manifester sa Présence ; et, désormais, le peuple choisi témoignera au milieu du monde que Dieu est au milieu des hommes et que ceux-ci n’ont rien à craindre.
Dans le psaume d’aujourd’hui, ce Nom de Dieu est explicité par la formule que nous connaissons bien « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié ». C’est la reprise exacte d’une autre révélation de Dieu à Moïse (Ex 34, 6). Ces deux révélations n’en font qu’une et le psaume développe : « Le SEIGNEUR fait œuvre de justice, il défend le droit des opprimés. Il révèle ses desseins à Moïse, aux enfants d’Israël ses hauts faits. » Il s’agit de l’Exode, bien sûr. Mais Dieu est toujours le même, de toujours à toujours, il est cette Présence, cette flamme, au milieu de nous, feu de tendresse et de pitié.
Et c’est de cela que nous avons à témoigner ; si Dieu a choisi un peuple pour être son témoin au milieu du monde, c’est d’abord parce que le monde a besoin de ce témoignage : les hommes meurent de ne pas connaître cette flamme ; mais aussi, parce que seul le témoignage d’un peuple qui vit de cette flamme pourra la faire connaître. D’où la prédication des prophètes sur ces deux aspects de la vocation d’Israël : premièrement, oser témoigner de sa foi, de la révélation dont il est porteur ; deuxièmement, à l’image de son SEIGNEUR, faire œuvre de justice et défendre le droit des opprimés.
Sur le premier point, celui du témoignage, c’est la lutte opiniâtre des prophètes contre l’idolâtrie : le peuple qui a expérimenté dans son histoire la présence du Dieu qui voit ses souffrances, et qui entend ses cris, ne peut plus se confier à des idoles de bois ou de pierre : « elles ont des yeux, et ne voient pas ; elles ont des oreilles et n’entendent pas… » comme dit le psaume 115 (113B), 5-6. Dans la même veine, le prophète Isaïe raille ceux qui coupent un morceau de bois en deux pour se chauffer avec l’un des morceaux et de l’autre faire une statue devant laquelle ensuite ils se prosterneront. (Is 44, 12-18). Et il ajoute « Qu’un homme crie vers ce dieu, il ne lui répond pas, de sa détresse il ne le sauve pas. » (Is 46, 7).
Sur le deuxième point, les prophètes sont tout aussi catégoriques ; témoin, par exemple, ce passage d’Isaïe que nous réentendons chaque année pendant le Carême : « Le jeûne que je préfère (dit le SEIGNEUR), n’est-ce pas ceci ? Dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref, que vous mettiez en pièces tous les jougs ! N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras ; devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. » (Is 58, 6-7). À ce prix seulement, nous serons à l’image et à la ressemblance du Dieu de tendresse et de pitié.


DEUXIÈME LECTURE – Première lettre de saint Paul aux Corinthiens  10, 1-6. 10-12

1 Frères,
je ne voudrais pas vous laisser ignorer
que, lors de la sortie d’Égypte,
nos pères étaient tous sous la protection de la nuée,
et que tous ont passé à travers la mer.
2 Tous, ils ont été unis à Moïse
par un baptême dans la nuée et dans la mer ;
3 tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ;
4 tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ;
car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait,
et ce rocher, c’était le Christ.
5 Cependant, la plupart n’ont pas su plaire à Dieu :
leurs ossements, en effet, jonchèrent le désert.
6 Ces événements devaient nous servir d’exemple,
pour nous empêcher de désirer ce qui est mal
comme l’ont fait ces gens-là.

10 Cessez de récriminer
comme l’ont fait certains d’entre eux :
ils ont été exterminés.
11 Ce qui leur est arrivé devait servir d’exemple,
et l’Écriture l’a raconté pour nous avertir,
nous qui nous trouvons à la fin des temps.
12 Ainsi donc, celui qui se croit solide,
qu’il fasse attention à ne pas tomber.


Apparemment, la communauté de Corinthe n’était pas à l’abri des tentations : dans les premiers chapitres de sa lettre, Paul a traité de quelques cas bien concrets : il a nommé les débauchés, les idolâtres, les adultères, les voleurs, les accapareurs, les ivrognes, les calomniateurs et les filous. Ici, de nouveau, Paul avertit ses lecteurs : la leçon qu’il va développer est grave ; il commence solennellement par la phrase « Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer ce qui s’est passé lors de la sortie d’Égypte… » et il termine par « celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber ». Pour le dire autrement, ne vous surestimez pas, personne n’est à l’abri de la tentation.
Pour appuyer ces conseils d’humilité, il nous propose une lecture de toute l’histoire du peuple d’Israël pendant l’Exode : histoire faite des dons de Dieu, d’une part, mais histoire faite aussi de la versatilité de l’homme : Dieu s’est montré comme il l’avait dit à Moïse… le Dieu fidèle, le Dieu présent à son peuple dans son difficile chemin vers la liberté, à travers le désert du Sinaï. En réponse, il n’a rencontré bien souvent qu’ingratitude : à de multiples reprises, le peuple a trahi l’Alliance.
Reprenons les diverses étapes de l’Exode, telles que Paul les relit ; dès le départ des fuyards, avant même le passage de la Mer Rouge, le livre de l’Exode note que Dieu avait pris lui-même la direction des opérations : « Le SEIGNEUR lui-même marchait à leur tête. Colonne de nuée le jour, pour leur ouvrir la route – colonne de feu la nuit, pour les éclairer ; ils pouvaient ainsi marcher jour et nuit. Le jour, la colonne de nuée ne quittait pas la tête du peuple ; ni la nuit, la colonne de feu. » (Ex 13, 21-22). Mais, dès le premier campement, le peuple reprend peur en voyant les Égyptiens à leur poursuite, et se révolte contre Moïse : « Les fils d’Israël eurent grand-peur et crièrent vers le SEIGNEUR. Ils dirent à Moïse : L’Égypte manquait-elle de tombeaux pour que tu nous aies emmenés mourir au désert ? Que nous as-tu fait là, en nous faisant sortir d’Égypte ? Ne te l’avions-nous pas déjà dit en Égypte : Laisse-nous servir les Égyptiens ! Mieux vaut pour nous servir les Égyptiens que mourir au désert. » (Ex 14, 10-11).
Et la même histoire va se répéter à chaque nouvelle difficulté : le chemin de la liberté est semé d’embûches et la tentation est grande de retomber dans son ancien esclavage. C’est exactement le message que Paul adresse aux Corinthiens : traduisez « Christ vous a libérés, mais vous êtes bien souvent tentés de retomber dans vos errances antérieures, sans vous apercevoir que toutes ces mauvaises conduites font de vous des esclaves. Le chemin du Christ vous paraît rude, mais faites-lui confiance, lui seul est libérateur. »
L’étape suivante de l’Exode, ce fut le passage de la mer : la situation était désespérée ; quelques fuyards acculés à la mer, et derrière eux, une armée bien équipée et décidée à les rattraper. C’est alors que Dieu intervient : « L’ange de Dieu qui marchait en avant du camp d’Israël partit et passa sur leur arrière. La colonne de nuée partit de devant eux et se tint sur leurs arrières. Elle s’inséra entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël. » Ainsi protégé, le peuple put traverser la mer qui s’écarta pour les laisser passer : « Le SEIGNEUR refoula la mer toute la nuit par un vent d’Est puissant et il mit la mer à sec. » (Ex 14, 19-21).
Mais les épreuves n’étaient pas finies pour autant et à bien des reprises les Israélites ont eu tout loisir de regretter la sécurité de l’Égypte : ils étaient libres, certes, mais dans ce désert, on manquait de tout et les dangers, eux, ne manquaient pas. Ils ont connu la faim, ils ont connu la soif ; mais à chaque nouvelle difficulté, au lieu de faire confiance, de savoir d’avance que Dieu interviendrait, le peuple a commencé par se plaindre et se révolter. L’épisode qui résume le mieux ce problème sans cesse renaissant, c’est celui du manque d’eau et du Rocher, justement. Quand le peuple a commencé à ressentir vraiment la soif, les récriminations ont commencé et Moïse a eu bien peur d’être lapidé. Mais à travers lui, c’est Dieu lui-même qu’on accusait : « Pourquoi donc, dit-il, nous as-tu fait monter d’Égypte ? Pour me laisser mourir de soif, moi, mes fils et mes troupeaux ? » C’est là que Moïse a frappé le Rocher et il en est sorti de l’eau. Ensuite il a baptisé ce lieu Massa et Meriba, qui veut dire « Épreuve et Querelle » car, disait-il, « ici, le peuple mit le SEIGNEUR à l’épreuve en disant Le SEIGNEUR est-il au milieu de nous, oui ou non ? » (Ex 17, 3-7).
Les problèmes qui se posent aux Corinthiens ne sont plus les mêmes, évidemment ; mais il existe d’autres Égyptes, d’autres esclavages ; pour ces nouveaux Chrétiens, il y a des choix à faire au nom de leur Baptême, il y a des conduites qu’on ne peut plus tenir. Et ces choix peuvent être douloureux ; pensez par exemple aux exigences du catéchuménat pour les premiers Chrétiens : elles signifiaient de vrais renoncements à des comportements, à des relations, à un métier, parfois ; renoncements auxquels on ne peut consentir que si on met toute sa confiance en Jésus-Christ. Dans la société mélangée et particulièrement laxiste de Corinthe, afficher un comportement chrétien relevait du courage. Mais ce qui semble folie pour les hommes est véritable sagesse aux yeux de Dieu.
Ce n’est peut-être pas un hasard si, pendant le temps du Carême, l’Église nous donne à méditer ce texte de Paul fait à la fois d’exigence pour nous-mêmes et de confiance en Dieu.


ÉVANGILE – selon saint Luc 13, 1-9

1 Un jour, des gens rapportèrent à Jésus
l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer
mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient.
2 Jésus leur répondit :
« Pensez-vous que ces Galiléens
étaient de plus grands pécheurs
que tous les autres Galiléens,
pour avoir subi un tel sort ?
3 Eh bien, je vous dis : pas du tout !
Mais si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de même.
4 Et ces dix-huit personnes
tuées par la chute de la tour de Siloé,
pensez-vous qu’elles étaient plus coupables
que tous les autres habitants de Jérusalem ?
5 Eh bien, je vous dis : pas du tout !
Mais si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de même. »
6 Jésus disait encore cette parabole :
« Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne.
Il vint chercher du fruit sur ce figuier,
et n’en trouva pas.
7 Il dit alors à son vigneron :
Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier,
et je n’en trouve pas.
Coupe-le.
A quoi bon le laisser épuiser le sol ?
8 Mais le vigneron lui répondit :
Maître, laisse-le encore cette année,
le temps que je bêche autour
pour y mettre du fumier.
9 Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir.
Sinon, tu le couperas. »


Voilà bien un texte étonnant ! Il rassemble deux « faits divers », un commentaire de Jésus et la parabole du figuier. À première vue, ce rapprochement nous surprend, mais si Luc nous le propose, c’est certainement intentionnel ! Et alors on peut penser que la parabole est là pour nous faire comprendre ce dont il est question dans le commentaire de Jésus sur les deux faits divers.
Premier fait divers, l’affaire des Galiléens : en soi, il n’a rien de surprenant, la cruauté de Pilate était connue ; l’hypothèse la plus vraisemblable, c’est que des Galiléens venus en pèlerinage à Jérusalem ont été accusés (à tort ou à raison ?) d’être des opposants au pouvoir politique romain ; on sait que l’occupation romaine était très mal tolérée par une grande partie du peuple juif, et c’est bien de Galilée qu’à l’époque de la naissance de Jésus était partie la révolte de Judas, le Galiléen. Ces pèlerins auraient donc été massacrés sur ordre de Pilate au moment où ils étaient rassemblés dans le Temple de Jérusalem pour offrir un sacrifice. Quant à l’écroulement de la tour de Siloé, deuxième fait divers, c’était une catastrophe comme il en arrive tous les jours.
D’après la réponse de Jésus, on devine la question qui est sur les lèvres de ses disciples : elle devait ressembler à celle que nous formulons souvent dans des occasions semblables : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour qu’il m’arrive ceci ou cela ? »
C’est l’éternelle question de l’origine de la souffrance, le problème jamais résolu ! Dans la Bible, c’est le livre de Job qui pose ce problème de la manière la plus aiguë et il énumère toutes les explications que les hommes inventent depuis que le monde est monde. Parmi les explications avancées par l’entourage de Job accablé par toutes les souffrances possibles, la plus fréquente était que la souffrance serait la punition du péché. J’ai bien dit « serait » ! Car la conclusion du livre de Job est très claire : la souffrance n’est pas la punition du péché ! À la fin du livre, d’ailleurs, c’est Dieu lui-même qui parle : il ne nous donne aucune explication et déclare nulles toutes celles que les hommes ont inventées ; Dieu vient seulement demander à Job de reconnaître deux choses : premièrement, que la maîtrise des événements lui échappe et deuxièmement, qu’il lui faut les vivre sans jamais perdre confiance en son Créateur.
Devant l’horreur du massacre des Galiléens et de la catastrophe de la tour de Siloé, Jésus est sommé de répondre à son tour ; la question du mal se pose évidemment et les disciples n’échappent pas à la tentative d’explication : l’idée d’une relation avec le péché semble être venue spontanément à leur esprit. La réponse de Jésus est catégorique : il n’y a pas de lien direct entre la souffrance et le péché. Non, ces Galiléens n’étaient pas plus pécheurs que les autres… non, les dix-huit personnes écrasées par la tour de Siloé n’étaient pas plus coupables que les autres habitants de Jérusalem. Là Jésus reprend exactement la même position que la conclusion du Livre de Job.
Mais il poursuit et à partir de ces deux faits, il va inviter ses apôtres à une véritable conversion. Il le fait avec énergie et il insiste sur l’urgence de la conversion. Là, on croit entendre les prophètes comme Amos ou Isaïe, ou tant d’autres.
Mais il ajoute aussitôt la parabole du figuier qui vient tempérer la rudesse apparente de ses propos. Elle nous dit combien les mœurs divines sont différentes des mœurs humaines, car elle nous révèle un Dieu plein de patience et d’indulgence ! À vues humaines, un figuier stérile qui épuise inutilement le sol de la vigne, il n’y a qu’une chose à faire, c’est le couper ! Traduisez, « si on était Dieu, les pécheurs, on les éliminerait ! » Mais les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes ! « Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive » disait déjà Ezéchiel (Ez 18, 23 ; 33, 11). La conversion que Jésus demande à ses disciples ne porte donc pas d’abord sur des comportements ; ce qu’il faut changer de toute urgence, c’est notre représentation d’un Dieu punisseur.
Bien plus, c’est en face du mal justement, qu’il faut nous rappeler que Dieu est « tendresse et pitié » comme dit le psaume de ce dimanche ; qu’il est « miséricordieux », c’est-à-dire penché sur nos misères. La conversion qui nous est demandée ne serait-ce pas tout simplement celle-ci ? À savoir nous mettre une fois pour toutes à croire à l’infinie patience et miséricorde de Dieu ? Et là encore, Jésus reprend bien à son compte les conclusions du livre de Job : ne cherchez pas à expliquer la souffrance ni par le péché, ni par autre chose, mais vivez dans la confiance en Dieu.
Alors les deux phrases « si vous ne vous convertissez pas… vous périrez de la même manière » voudraient dire quelque chose comme : L’humanité court à sa perte parce qu’elle ne fait pas confiance à Dieu. C’est toujours la même histoire : nous sommes comme le peuple d’Israël au désert, dont Paul rappelait l’aventure dans la deuxième lecture ; notre liberté doit choisir entre la confiance en Dieu et le soupçon : choisir la confiance, c’est croire une fois pour toutes que le dessein de Dieu est bienveillant ; ce simple retournement de nos cœurs changerait la face du monde !

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 3e dimanche de Carême (28 février 2016)

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15 février 2016 1 15 /02 /février /2016 11:34

 Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

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PREMIÈRE LECTURE – Livre de la Genèse 15, 5-12. 17-18

En ces jours-là,
Le SEIGNEUR parlait à Abraham dans une vision.
5 Puis il le fit sortir et lui dit :
« Regarde le ciel,
et compte les étoiles si tu le peux… »
Et il déclara :
« Telle sera ta descendance ! »
6 Abram eut foi dans le SEIGNEUR,
et le SEIGNEUR estima qu’il était juste.
7 Puis il dit :
« Je suis le SEIGNEUR,
qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée
pour te donner ce pays en héritage. »
8 Abram répondit :
« SEIGNEUR mon Dieu, comment vais-je savoir
que je l’ai en héritage ? »
9 Le SEIGNEUR lui dit :
« Prends-moi une génisse de trois ans,
une chèvre de trois ans,
un bélier de trois ans,
une tourterelle et une jeune colombe. »
10 Abram prit tous ces animaux,
les partagea en deux,
et plaça chaque moitié en face de l’autre ;
mais il ne partagea pas les oiseaux.
11 Comme les rapaces descendaient sur les cadavres,
Abram les chassa.
12 Au coucher du soleil,
un sommeil mystérieux tomba sur Abram,
une sombre et profonde frayeur tomba sur lui.

17 Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses.
Alors un brasier fumant et une torche enflammée
passèrent entre les morceaux d’animaux.
18 Ce jour-là, le SEIGNEUR conclut une Alliance avec Abram
en ces termes :
« À ta descendance
je donne le pays que voici
depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »


À l’époque d’Abraham, lorsque deux chefs de tribus faisaient alliance, ils accomplissaient tout un cérémonial semblable à celui auquel nous assistons ici : des animaux adultes, en pleine force de l’âge, étaient sacrifiés ; les animaux « partagés en deux », écartelés, étaient le signe de ce qui attendait celui des contractants qui ne respecterait pas ses engagements. Cela revenait à dire : « Qu’il me soit fait ce qui a été fait à ces animaux si je ne suis pas fidèle à l’alliance que nous contractons aujourd’hui ». Ordinairement, les contractants passaient tous les deux entre les morceaux, pieds nus dans le sang : ils partageaient d’une certaine manière le sang, donc la vie ; ils devenaient en quelque sorte « consanguins ».
Pourquoi cette précision que les animaux devaient être âgés de trois ans ? Tout simplement parce que les mamans allaitaient généralement leurs enfants jusqu’à trois ans ; ce chiffre était donc devenu symbolique d’une certaine maturité : l’animal de trois ans était censé être adulte.
Ici Abraham accomplit donc les rites habituels des alliances ; mais pour une alliance avec Dieu, cette fois. Tout est semblable aux habitudes et pourtant tout est différent, précisément parce que, pour la première fois de l’histoire humaine, l’un des contractants est Dieu lui-même.
Commençons par ce qui est semblable : « Abraham prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les morceaux, Abraham les écarta. » La mention des rapaces est intéressante : Abraham les écarte parce qu’il les considère comme des oiseaux de mauvais augure ; cela nous prouve que le texte est très ancien : Abraham découvre le vrai Dieu, mais la superstition n’est pas loin.
Ce qui est inhabituel maintenant : « Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux s’empara d’Abraham, une sombre et profonde frayeur le saisit. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d’animaux. » À  propos d’Abraham, le texte parle de « sommeil mystérieux » : ce n’est pas le mot du vocabulaire courant ; c’était déjà celui employé pour désigner le sommeil d’Adam pendant que Dieu créait la femme ; manière de nous dire que l’homme ne peut pas assister à l’œuvre de Dieu : quand l’homme se réveille (Adam ou Abraham), c’est une aube nouvelle, une création nouvelle qui commence. Manière aussi de nous dire que l’homme et Dieu ne sont pas à égalité dans l’œuvre de création, dans l’œuvre d’Alliance ; c’est Dieu qui a toute l’initiative, il suffira à l’homme de faire confiance : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu’il était juste »…
« Un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d’animaux » : la présence de Dieu est symbolisée par le feu comme souvent dans la Bible ; depuis le Buisson ardent, la fumée du Sinaï, la colonne de feu qui accompagnait le peuple de Dieu pendant l’Exode dans le désert jusqu’aux langues de feu de la Pentecôte.
Venons-en aux termes de l’Alliance ; Dieu promet deux choses à Abraham : une descendance et un pays. Les deux mots « descendance » et « pays » sont utilisés en inclusion dans ce récit ; au début, Dieu avait dit : « Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux… Vois quelle descendance tu auras !… Je suis le SEIGNEUR qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te mettre en possession de ce pays » et à la fin « À  ta descendance je donne le pays que voici. » Soyons francs, cette promesse adressée à un vieillard sans enfant est pour le moins surprenante ; ce n’est pas la première fois que Dieu fait cette promesse et pour l’instant, Abraham n’en a pas vu l’ombre d’une réalisation. Depuis des années déjà, il marche et marche encore en s’appuyant sur la seule promesse de ce Dieu jusqu’ici inconnu pour lui. Rappelons-nous le tout premier récit de sa vocation : « Va pour toi, loin de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation… » (Gn 12, 1). Et dès ce jour-là, le texte biblique notait l’extraordinaire foi de l’ancêtre qui était parti tout simplement sans poser de questions : « Abraham partit comme le SEIGNEUR le lui avait dit. » (Gn 12, 4).
Ici, le texte constate : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR, et le SEIGNEUR estima qu’il était juste. » C’est la première apparition du mot « Foi » dans la Bible : c’est l’irruption de la Foi dans l’histoire des hommes. Le mot « croire » en hébreu vient d’une racine qui signifie « tenir fermement » (notre mot « Amen » vient de la même racine). Croire c’est « TENIR », faire confiance jusqu’au bout, même dans le doute, le découragement, ou l’angoisse. Telle est l’attitude d’Abraham ; et c’est pour cela que Dieu le considère comme un juste. Car, le Juste, dans la Bible, c’est l’homme dont la volonté, la conduite sont accordées à la volonté, au projet de Dieu. Plus tard, saint Paul s’appuiera sur cette phrase du livre de la Genèse pour affirmer que le salut n’est pas une affaire de mérites. « Si tu crois… tu seras sauvé » (Rm 10, 9). Si je comprends bien, Dieu donne : il ne demande qu’une seule chose à l’homme…. y croire.
———————————-
Compléments
– v.7 : « Je suis le Seigneur qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée » ; c’est le même mot que pour la sortie d’Égypte avec Moïse, six cents ans plus tard : l’œuvre de Dieu est présentée dès le début comme une œuvre de libération.
– v. 12 : « sommeil mystérieux » = « tardémah » = même mot pour Adam, Abraham, Saül (1 S 26)


PSAUME – 26 (27), 1, 7-8, 9a-d, 13-14

1 Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut,
de qui aurais-je crainte ?
Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie,
devant qui tremblerais-je ?

7 Écoute, SEIGNEUR, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
8 Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, SEIGNEUR, que je cherche :
9 ne me cache pas ta face.
N’écarte pas ton serviteur avec colère,
tu restes mon secours.

13 J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR
sur la terre des vivants.
14 « Espère le SEIGNEUR, sois fort et prends courage ;
Espère le SEIGNEUR. »


En peu de mots, tout est dit ; la tranquille certitude : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? » mais aussi l’ardente supplication : « Écoute, SEIGNEUR, je t’appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! » Et ces états d’âme sont si contrastés qu’on pourrait presque se demander si c’est bien la même personne qui parle d’un bout à l’autre. Mais oui, bien sûr, c’est la même foi qui s’exprime dans l’exultation ou dans la supplication selon les circonstances. Et nous nous sentons autorisés à tout dire dans notre prière.
Circonstances gaies, circonstances tristes, le peuple d’Israël a tout connu ! Et au milieu de toutes ces aventures, il a gardé confiance, ou mieux « il a approfondi » sa foi. Enfin, entre la première et la dernière strophes, il faut noter le passage du présent au futur : première strophe, « Le SEIGNEUR EST ma lumière et mon salut », voilà le langage de la foi, cette confiance indéracinable ; dernière strophe, « Je VERRAI la bonté du SEIGNEUR… » et la fin « ESPÈRE »… l’espérance, c’est la foi conjuguée au futur.
Nous avons déjà rencontré ce psaume à plusieurs reprises au cours des trois années liturgiques ; aujourd’hui, arrêtons-nous sur deux expressions, « C’est ta face, SEIGNEUR, que je cherche » et « Je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants. » Tout d’abord, « C’est ta face, SEIGNEUR, que je cherche » ; voir la face de Dieu, c’est le désir, la soif de tous les croyants : l’homme créé à l’image de Dieu est comme aimanté par son Créateur. Et, plus que jamais, pendant le temps du Carême, nous cherchons la face de Dieu !
Moïse a supplié : « Fais-moi donc voir ta gloire ! » et le Seigneur lui a répondu : « Tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne saurait me voir et vivre… Voici un lieu près de moi. Tu te tiendras sur le rocher. Alors, quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et, de ma main, je t’abriterai tant que je passerai. Puis, j’écarterai ma main et tu me verras de dos ; mais ma face, on ne peut la voir. » (Ex 33, 18… 23). Ce qui est magnifique dans ce texte, c’est qu’il préserve à la fois la grandeur de Dieu, son inaccessibilité, et en même temps sa proximité et sa délicatesse.
Dieu est tellement immense pour nous que nous ne pouvons pas le voir de nos yeux ; le rayonnement de sa Présence ineffable, inaccessible, ce que les textes appellent sa gloire, est trop éblouissant pour nous ; nos yeux ne supportent pas de fixer le soleil, comment pourrions-nous regarder Dieu ? Mais en même temps, et c’est la merveille de la foi biblique, cette grandeur de Dieu n’écrase pas l’homme, bien au contraire, elle le protège, elle est sa sécurité. L’immense respect qui envahit le croyant mis en présence de Dieu n’est donc pas de la peur, mais ce mélange de totale confiance et d’infini respect que la Bible appelle « crainte de Dieu ».
Ceci peut nous permettre de comprendre le premier verset : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? » ; cela veut dire deux choses, au moins : premièrement, le peuple croyant n’a plus peur de rien ni de personne, y compris de la mort. Deuxièmement, aucun autre dieu ne lui inspirera jamais plus ce sentiment religieux de crainte. Le verset suivant ne fait que redire la même chose : « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? »
Cette confiance s’exprime encore dans la dernière strophe de notre psaume : « J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants. » À  la suite de Moïse, le peuple libéré par lui compte sur les bienfaits de Dieu. Mais quelle est cette « terre des vivants » ? Certainement, d’abord, la terre donnée par Dieu à son peuple et dont la possession est devenue tout un symbole pour Israël ; symbole des dons de Dieu, elle est aussi le rappel des exigences de l’Alliance : la terre sainte a été donnée au peuple élu pour qu’il y vive « saintement ».
C’est l’un des thèmes majeurs du livre du Deutéronome par exemple : « Vous veillerez à agir comme vous l’a ordonné le SEIGNEUR votre Dieu sans vous écarter ni à droite ni à gauche. Vous marcherez toujours sur le chemin que le SEIGNEUR votre Dieu vous a prescrit, afin que vous restiez en vie, que vous soyez heureux et que vous prolongiez vos jours dans le pays dont vous allez prendre possession. » (Dt 5, 32-33). Les « vivants » au sens biblique, ce sont les croyants.
Ne voyons donc pas dans cette expression « terre des vivants » une allusion consciente à une quelconque vie éternelle : quand le psaume a été composé, il ne venait à l’idée de personne que l’homme puisse espérer un horizon autre que terrestre ; personne n’imaginait que nous soyons appelés à ressusciter ; on sait que cette foi ne s’est développée en Israël qu’à partir du deuxième siècle av. J.-C. Mais, désormais, pour nous, Chrétiens, brille la lumière de la Résurrection du Christ ; à sa suite et avec lui, nous pouvons dire : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants », et pour nous, désormais, cela veut dire la terre des ressuscités.


DEUXIÈME LECTURE – Première lettre de saint Paul aux Philippiens  3, 17 – 4, 1

3, 17 Frères,
ensemble imitez-moi,
et regardez bien ceux qui se conduisent
selon l’exemple que nous vous donnons.
18 Car je vous l’ai souvent dit,
et maintenant je le redis en pleurant :
beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ.
19 Ils vont à leur perte.
Leur dieu, c’est leur ventre,
et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ;
ils ne pensent qu’aux choses de la terre.
20 Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux,
d’où nous attendons comme sauveur
le Seigneur Jésus-Christ,
21 lui qui transformera nos pauvres corps
à l’image de son corps glorieux,
avec la puissance active qui le rend même capable
de tout mettre sous son pouvoir.
4, 1 Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection,
vous, ma joie et ma couronne,
tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.


L’heure est grave, certainement, puisque, Paul l’avoue lui-même, c’est en pleurant qu’il dit aux Philippiens : « Tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés. » On croit entendre « tenez bon comme moi-même je tiens bon ». Puisqu’il dit : « Frères, prenez-moi tous pour modèle » : une telle phrase nous surprend un peu ! D’autant plus qu’au moment où il écrit, Paul est loin et il est en prison. Mais justement, le problème des Philippiens, c’est qu’en l’absence de Paul, certains autres se présentent comme modèles et Paul veut à tout prix empêcher ses chers Philippiens de tomber dans le panneau. Au début de sa lettre, il leur a dit : « Voici ma prière : que votre amour abonde encore, et de plus en plus, en clairvoyance et pleine intelligence, pour discerner ce qui convient le mieux. » (1, 9 – 10). Quel est le problème ? Pour le comprendre, il faut se rappeler le contexte ; il apparaît un peu plus haut dans cette lettre ; des « mauvais ouvriers », comme dit Paul, se sont introduits dans la communauté et sèment le trouble : ils prétendent que la circoncision est nécessaire pour tous les Chrétiens. Paul a tout de suite saisi la gravité de l’enjeu théologique : si la circoncision est nécessaire, c’est que le Baptême ne suffit pas. Mais alors que devient la phrase de Jésus : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » ?
La question est fondamentale, et on sait par les Actes des Apôtres et les autres lettres de Paul qu’elle a pendant un temps divisé les Chrétiens ; de deux choses l’une : ou bien l’événement de la « Croix du Christ » a eu lieu… ou bien non ! Et quand Paul dit « Croix du Christ », il veut dire tout ensemble sa Passion, sa Mort, et sa Résurrection… Si cet événement a eu lieu… la face du monde est changée : Christ a fait la paix par le sang de sa Croix… On trouve de nombreuses affirmations de ce genre sous la plume de Paul ; pour lui, la Croix du Christ est vraiment l’événement central de l’histoire de l’humanité. Et alors on ne peut plus penser comme avant, raisonner comme avant, vivre comme avant. Ceux qui affirment que le rite de la circoncision reste indispensable font comme si l’événement de la « Croix du Christ » n’avait pas eu lieu. C’est pour cela que Paul les appelle les « ennemis de la Croix du Christ ».
Apparemment, les Philippiens sont hésitants puisque Paul les met très sévèrement en garde : dans un passage précédent, il a dit « Prenez garde aux chiens ! Prenez garde aux mauvais ouvriers ! Prenez garde aux faux circoncis ! » (3, 2) Et il a ajouté : « Car les circoncis, (sous-entendu les vrais) c’est nous, qui rendons notre culte par l’Esprit de Dieu, qui plaçons notre gloire en Jésus-Christ, qui ne nous confions pas en nous-mêmes. » Là, il manie un peu le paradoxe : pour lui, les « vrais circoncis », ce sont ceux qui ne sont pas circoncis dans leur chair, mais qui sont baptisés en Jésus-Christ : ils misent toute leur existence et leur salut sur Jésus-Christ ; ils attendent leur salut de la Croix du Christ et non de leurs pratiques.
À l’inverse, et c’est là le paradoxe, il traite de « faux circoncis » ceux qui, justement, ont reçu la circoncision dans leur chair, selon la loi de Moïse. Car ils attachent à ce rite plus d’importance qu’au Baptême. Quand Paul dit « leur dieu c’est leur ventre », c’est à la circoncision qu’il fait allusion. Comment peut-on mettre en balance le rite extérieur de la circoncision et le Baptême qui transforme l’être tout entier des Chrétiens en les plongeant dans le mystère de la mort et de la Résurrection du Christ ?
Nous sommes là au niveau du contenu de la foi ; mais Paul voit encore un autre danger, au niveau de l’attitude même du croyant ; là encore, de deux choses l’une : ou bien nous gagnons notre salut par nous-mêmes et par nos pratiques, ou bien nous le recevons gratuitement de Dieu. L’expression « leur dieu c’est leur ventre » va jusque-là : ces gens-là misent sur leurs pratiques juives mais ils se trompent. « Ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne tendent que vers les choses de la terre. » Adopter cette attitude-là, c’est faire fausse route : « Ils vont tous à leur perte », dit Paul.
Et il continue, indiquant ainsi le bon choix à ses chers Philippiens : « Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. » Dire que nous attendons Jésus-Christ comme sauveur, c’est dire que nous mettons toute notre confiance en lui et pas en nous-mêmes et en nos mérites. Reprenons ce qu’il disait plus haut : « Car les circoncis (sous-entendu les vrais), c’est nous, qui rendons notre culte par l’Esprit de Dieu, qui plaçons notre gloire en Jésus-Christ, qui ne nous confions pas en nous-mêmes. »
Et c’est là qu’il peut se poser en modèle : s’il y en avait un qui avait des mérites à faire valoir, selon la loi juive, c’était lui ; quelques versets plus haut, il écrivait : « Pourtant, j’ai des raisons d’avoir confiance en moi-même. Si un autre croit pouvoir se confier en lui-même, je le peux davantage, moi, circoncis le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils d’Hébreux ; pour la loi, Pharisien ; pour le zèle, persécuteur de l’Église ; pour la justice qu’on trouve dans la loi, devenu irréprochable. Or toutes ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai considérées comme une perte à cause du Christ. » (Phi 3, 4-7). En résumé, prendre modèle sur Paul, c’est faire de Jésus-Christ et non de nos pratiques le centre de notre vie ; c’est cela qu’il appelle être « citoyens des cieux ».


ÉVANGILE – selon saint Luc 9, 28-36

En ce temps-là,
28 Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques,
et il gravit la montagne pour prier.
29 Pendant qu’il priait,
l’aspect de son visage devint autre,
et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante.
30 Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui :
c’étaient Moïse et Élie,
31 apparus dans la gloire.
Ils parlaient de son départ
qui allait s’accomplir à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ;
mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus,
et les deux hommes à ses côtés.
33 Ces derniers s’éloignaient de lui,
quand Pierre dit à Jésus :
« Maître, il est bon que nous soyons ici !
Faisons trois tentes :
une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
Il ne savait pas ce qu’il disait.
34 Pierre n’avait pas fini de parler,
qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ;
ils furent saisis de frayeur
lorsqu’ils y pénétrèrent.
35 Et, de la nuée, une voix se fit entendre :
« Celui-ci est mon Fils,
celui que j’ai choisi,
écoutez-le. »
36 Et pendant que la voix se faisait entendre,
il n’y avait plus que Jésus, seul.
Les disciples gardèrent le silence
et, en ces jours-là,
ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.


Quelques jours avant la Transfiguration, au cours d’un temps de prière avec ses disciples, Jésus leur a posé la question cruciale : « Qui suis-je au dire des foules ? » Pierre a su répondre : « Tu es le Christ (c’est-à-dire le Messie) de Dieu ». Mais Jésus, aussitôt, a mis les choses au point : le Messie, oui, mais pas comme on l’attendait : la gloire, oui, mais pas à la manière des hommes : la gloire, c’est-à-dire la Présence de Dieu, mais sur la croix, la gloire de l’amour et aucune autre : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite. »
Environ huit jours plus tard, Jésus conduit ses disciples Pierre, Jacques et Jean sur la montagne, il veut de nouveau aller prier avec eux. C’est ce moment de prière sur la montagne que Dieu choisit pour révéler à ces trois privilégiés le mystère du Messie. Car, ici, ce ne sont plus des hommes, la foule ou les disciples, qui donnent leur opinion, c’est Dieu lui-même qui apporte la réponse et nous donne à contempler le mystère du Christ : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le ».
Cette montagne de la Transfiguration nous fait penser au Sinaï ; et d’ailleurs Luc a choisi son vocabulaire de façon à évoquer le contexte de la révélation de Dieu au Sinaï : la montagne, la nuée, la gloire, la voix qui retentit, les tentes… Nous sommes moins étonnés, du coup, de la présence de Moïse et Élie aux côtés de Jésus. Quand on sait que Moïse a passé quarante jours sur le Sinaï en présence de Dieu et qu’il en est redescendu le visage tellement rayonnant que tous furent étonnés.
Quant à Élie, lui aussi marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne ; et c’est là que Dieu se révéla à lui de manière totalement inattendue : non pas dans la puissance du vent, du feu, du tremblement de terre, mais dans le doux murmure de la brise légère.
Ainsi, les deux personnages de l’Ancien Testament qui ont eu le privilège de la révélation de la gloire de Dieu sur la montagne sont également présents lors de la manifestation de la gloire du Christ. Luc est le seul évangéliste à nous préciser le contenu de leur entretien avec Jésus : « Ils parlaient de son départ qui allait se réaliser à Jérusalem. » (En réalité, Luc emploie le mot « Exode »). Décidément, impossible de séparer la gloire du Christ de sa Croix. Ce n’est pas pour rien que Luc emploie le mot « Exode » en parlant de la Pâque du Christ. Comme la Pâque de Moïse avait inauguré l’Exode du peuple, de l’esclavage en Égypte vers la terre de liberté, la Pâque du Christ ouvre le chemin de la libération pour toute l’humanité.
« Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le » : « Fils », « Choisi », « Écoutez-le » : ces trois mots exprimaient au temps du Christ la diversité des portraits sous lesquels on imaginait le Messie : un Messie-Roi, un Messie-Serviteur, un Messie-Prophète. Je les reprends l’un après l’autre.
Le titre de « Fils de Dieu » était décerné aux rois le jour de leur sacre : « Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » était l’une des phrases du sacre ; « Choisi », c’est l’un des noms du serviteur de Dieu dont parle Isaïe dans les « Chants du serviteur » : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon Élu » ; quant à l’expression « Écoutez-le », c’est une allusion à la promesse que Dieu a faite à Moïse de susciter à sa suite un prophète : « C’est un prophète comme toi que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche. » (Dt 18, 18). Certains en déduisaient que le Messie attendu serait un prophète.
« Écoutez-le », ce n’est pas un ordre donné par un maître exigeant ou dominateur… mais une supplication … « Écoutez-le », c’est-à-dire faites-lui confiance.
Pierre, émerveillé du visage transfiguré de Jésus, parle de s’installer : « Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes… » Mais Luc dit bien que « Pierre ne savait pas ce qu’il disait. » Il n’est pas question de s’installer à l’écart du monde et de ses problèmes : le temps presse ; Pierre, Jacques et Jean, ces trois privilégiés, doivent se hâter de rejoindre les autres. Car le projet de Dieu ne se limite pas à quelques privilégiés : au dernier jour, c’est l’humanité tout entière qui sera transfigurée ; comme dit saint Paul dans la lettre aux Philippiens « nous sommes citoyens des cieux. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 2e dimanche de Carême (21 février 2016)

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8 février 2016 1 08 /02 /février /2016 14:07

 Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 13 février 2016).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

PREMIÈRE LECTURE – Livre du Deutéronome 26, 4 – 10


Moïse disait au peuple d’Israël :
« Lorsque tu présenteras les prémices de tes récoltes,
4 le prêtre recevra de tes mains la corbeille
et la déposera devant l’autel du SEIGNEUR ton Dieu.
5 Tu prononceras ces paroles devant le SEIGNEUR ton Dieu :
Mon Père était un Araméen nomade,
qui descendit en Égypte :
il y vécut en immigré avec son petit clan.
C’est là qu’il est devenu une grande nation,
puissante et nombreuse.
6 Les Égyptiens nous ont maltraités, et réduits à la pauvreté ;
ils nous ont imposé un dur esclavage.
7 Nous avons crié vers le SEIGNEUR, le Dieu de nos pères.
Il a entendu notre voix,
il a vu que nous étions dans la misère, la peine et l’oppression.
8 Le SEIGNEUR nous a fait sortir d’Égypte
à main forte et à bras étendu,
par des actions terrifiantes, des signes et des prodiges.
9 Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays,
un pays ruisselant de lait et de miel.
10 Et maintenant voici que j’apporte les prémices
des fruits du sol que tu m’as donné, SEIGNEUR. »


Dans toutes les religions du monde, on pratique des gestes d’offrande ; on ne s’étonne donc pas d’en trouver également dans la Bible. Mais ce qui est très particulier en Israël, c’est le sens que l’on donne à ce geste. Et la forme de ce texte le montre bien ! Moïse ordonne un geste d’offrande, comme on le fait ailleurs ; mais, pour Israël, il s’agit d’une véritable profession de foi ! « Tu présenteras les prémices de tes récoltes… et tu prononceras ces paroles… » Suit tout un discours sur l’œuvre de Dieu en faveur de son peuple ; lequel pourrait se résumer en une simple phrase : tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes, c’est le don de Dieu. Elle est là, la grande insistance et la nouveauté de l’ensemble de la Bible, et du livre du Deutéronome en particulier : dans les autres religions, il s’agit le plus souvent d’une démarche de demande pour obtenir les bienfaits dont les divinités ont le secret. Israël inverse complètement le sens du rite : le geste d’offrande y est vécu comme un geste de reconnaissance ; apporter les offrandes, ce n’est pas concéder à Dieu quelque chose qui nous appartiendrait, c’est reconnaître que tout nous vient de lui ; ce n’est pas arriver les mains pleines de nos richesses, c’est reconnaître que sans lui nos mains seraient vides. Dans cet esprit, apporter ses offrandes est un geste de mémoire.
Si le Deutéronome y insiste, c’est probablement que la leçon n’était pas inutile ! Effectivement, le peuple semblait devenu amnésique, la reconnaissance pour les bienfaits de Dieu s’était estompée. Dans l’aridité du désert, le peuple avait pourtant bien compris que sa survie dépendait de Dieu et de lui seul ; mais une fois arrivé en terre promise, il risquait d’oublier cette dépendance fondamentale. Car, dès l’entrée en Canaan (ce que nous appelons aujourd’hui Israël), le peuple qui avait fait Alliance avec Dieu au désert a été confronté aux cultes des gens du pays. Ceux-ci adoraient Baal, le dieu de la pluie et donc de la fécondité des terres et des troupeaux. Et la difficulté consistait justement à ne pas se laisser contaminer par l’idolâtrie ambiante.
Tout le problème des prophètes a été de maintenir le peuple d’Israël dans la fidélité à l’Alliance du Sinaï ; car le premier commandement était formel : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. » (Ex 20, 2). Le refrain des prophètes est toujours le même : Baal n’existe pas, il n’y a qu’un seul Dieu, le Dieu de Moïse qui a délivré son peuple de la main des Égyptiens, et qui l’accompagne tout au long de son histoire, et qui, enfin, lui donne ce pays.
Voilà bien la préoccupation majeure de l’auteur de notre texte d’aujourd’hui : retrouvez la mémoire, rappelez-vous l’œuvre de Dieu en votre faveur depuis si longtemps. À  vrai dire, le livre du Deutéronome tout entier pourrait s’appeler le livre de la mémoire. Et le rite d’offrande des prémices dont il est question ici est précisément vécu d’abord comme un geste de mémoire. C’est pourquoi il est accompagné de l’énumération des œuvres de Dieu en faveur de son peuple.
Commençons par le geste : dans le mot « prémices », il y a « premier » ; les prémices, ce sont les premiers fruits de la nouvelle récolte, les premières gerbes de blé, les premières grappes de raisin, le premier-né de la nouvelle portée… Ils sont le début et aussi la promesse : en soupesant la première gerbe, la première grappe, on sait si la récolte sera bonne. Ce rite d’offrande existait chez les agriculteurs du Proche-Orient, bien avant Moïse. De mémoire d’homme, on l’avait toujours connu, puisque le texte biblique en parle même pour Caïn et Abel. Comme nous l’avons vu, ce geste visait primitivement à obtenir les bénédictions de la divinité. Moïse ne l’avait donc pas inventé, il ne l’avait pas supprimé non plus. Mais il en avait transformé le sens : désormais tout était vécu en fonction de l’Alliance.
C’est ce que va préciser le discours qui accompagne le geste d’offrande. Il ne s’agit pas de demander à Dieu ses bienfaits pour demain ; on sait qu’on peut compter dessus ; il s’agit d’abord de reconnaître les bienfaits de Dieu envers son peuple depuis l’appel d’Abraham. On a là, sous la forme d’une profession de foi, un véritable résumé de l’histoire d’Israël : « Mon Père était un Araméen vagabond » ; tout a commencé avec Abraham, l’Araméen choisi par Dieu pour devenir le père du peuple de l’Alliance ; jusque-là, ce nomade ne pouvait pas, à proprement parler, être traité de vagabond, mais l’auteur utilise ici un mot qui signifie « errant, égaré » au sens où, avant son appel par Dieu, Abraham n’avait pas découvert le Dieu unique, il était un idolâtre, donc notre auteur le considère comme un errant au sens spirituel. La deuxième partie de la phrase « Mon Père était un Araméen vagabond, qui descendit en Égypte » fait référence non plus à Abraham, l’ancêtre, mais à son descendant Jacob : lui et ses fils se sont installés en Égypte.
Suit toute l’histoire qu’on connaît bien jusqu’à l’entrée en terre promise : « Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel. »
Alors le geste d’offrande prend tout son sens : en offrant la première gerbe, la première grappe, c’est toute la récolte que l’on présente à Dieu : « Voici maintenant que j’apporte les prémices des produits du sol que tu m’as donné, SEIGNEUR. »
Notre geste d’offrande au cours de la Messe a le même sens : reconnaissance que tout ce que nous possédons dans tous les domaines est cadeau de Dieu : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes… » C’est ce que notre Missel appelle la « Préparation des dons » ; dommage qu’il ait oublié de préciser « Préparation des dons… de Dieu ».


PSAUME – 90 (91), 1-2, 10-11, 12-13, 14-15


1 Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut
et repose à l’ombre du Puissant,
2 je dis au SEIGNEUR : « Mon refuge,
mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! »

10 Le malheur ne pourra te toucher,
ni le danger, approcher de ta demeure :
11 Il donne mission à ses anges
de te garder sur tous tes chemins.

12 Ils te porteront sur leurs mains
pour que ton pied ne heurte les pierres ;
13 tu marcheras sur la vipère et le scorpion,
tu écraseras le lion et le dragon.

14 « Puisqu’il s’attache à moi, je le délivre ;
je le défends, car il connaît mon nom.
15 Il m’appelle, et moi, je lui réponds ;
je suis avec lui dans son épreuve. »


Ce psaume se présente un peu comme un entretien à trois personnes ; tantôt c’est Israël qui parle : « Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au SEIGNEUR : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! », tantôt ce sont les prêtres à l’entrée du Temple : « Le malheur ne pourra te toucher, ni le danger, approcher de ta demeure : Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins », tantôt enfin, c’est Dieu lui-même : « Puisqu’il s’attache à moi, je le délivre ; je le défends, car il connaît mon nom. Il m’appelle, et moi, je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve. »
Reprenons tout simplement les versets dans l’ordre : « Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au SEIGNEUR : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! » Vous avez remarqué les quatre noms différents donnés à Dieu dans les premiers versets : le Très-Haut (Elyôn), le Puissant (El Shaddaï), le SEIGNEUR (YHVH), et enfin Dieu (un mot que nous connaissons bien, Elohim) ; les autres peuples appelaient leurs divinités de trois de ces noms : le Très-Haut, le Puissant, ou Elohim ; et Israël reprend ces termes habituels pour désigner son Dieu, mais ce peuple est le seul au monde à pouvoir l’appeler par le quatrième, le fameux Nom révélé à Moïse au buisson ardent : YHVH. Comme dit Dieu lui-même dans le livre de l’Exode : « Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme Dieu Puissant (El Shaddaï), mais sous mon Nom, YHVH, je ne me suis pas fait connaître d’eux. » (Ex 6, 3).
Toute cette première strophe développe le thème de la sécurité du croyant : « L’abri du Très-Haut, l’ombre du Puissant, Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! » L’abri du Très-Haut, dans le langage des psaumes, c’est le Temple de Jérusalem. Quant à l’ombre, elle est à la fois celle des ailes des statues de chérubins qui surplombent l’arche d’Alliance, et une allusion à la présence protectrice de Dieu tout au long de l’Exode : car le mot « ailes » évoque celles de l’aigle qui encourage les premiers vols de ses petits (Dt 32, 10-11 ; cf Ex 19, 4). Jusqu’au jour où l’ange Gabriel dira à la jeune fille de Nazareth « La Puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre, sois sans crainte Marie… »
La fin de cette strophe « Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! » sonne donc comme une profession de foi, mais surtout comme une résolution, sous-entendu contre l’idolâtrie : car il faut sans cesse reprendre l’engagement de ne pas quitter l’abri du Très-Haut. Nous verrons d’ailleurs en méditant l’évangile des Tentations de Jésus (que nous lisons également ce dimanche) combien l’attitude de Jésus dans l’épreuve consonne avec celle décrite dans ces versets : Jésus est celui qui ne cesse de prendre Dieu comme refuge. Le thème de la lutte contre l’idolâtrie est souvent repris dans les psaumes, comme dans l’ensemble de la Bible, d’ailleurs ; on peut être surpris de la fréquence de ce thème, mais il est clair que cela a été pendant très longtemps le cheval de bataille des prophètes.
Et peut-on dire même aujourd’hui que cette bataille est gagnée ? L’idolâtrie prend des visages différents mais sans cesse renouvelés au cours des siècles de l’histoire humaine.
Les deux strophes suivantes dans notre lecture d’aujourd’hui, sont une sorte de catéchèse des prêtres à l’adresse des croyants qui arrivent au Temple de Jérusalem. Maintenant que le peuple a promis de ne pas quitter la protection de Dieu, voici la parole qui lui est révélée : « Le malheur ne pourra te toucher, ni le danger, approcher de ta demeure : il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres ; tu marcheras sur la vipère et le scorpion, tu écraseras le lion et le dragon. » Le message est double : premièrement, la victoire sur le mal est assurée, ce sont les images d’écrasement des animaux dangereux : « la vipère et le scorpion, le lion et le dragon » ; deuxièmement, et c’est le plus important, cette victoire est assurée parce que Dieu ne cessera pas de protéger son peuple : « Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres. » Dans la méditation biblique, ces deux strophes concernaient d’abord le peuple d’Israël ; puis peu à peu on a pris l’habitude de les appliquer au sauveur qu’on attendait, c’est-à-dire le Messie ; puisque le véritable triomphateur de tous les maux qui agressent l’humanité, ce sera le Messie.
Dernière strophe : « Puisqu’il s’attache à moi, je le délivre ; je le défends, car il connaît mon nom. Il m’appelle, et moi, je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve. » Le psalmiste, ici, fait parler Dieu ; un mot seulement sur le dernier verset : « Je suis avec lui dans son épreuve » ; l’homme de la Bible a découvert Dieu non pas comme celui qui écarte toute épreuve d’un coup de baguette magique… mais comme celui qui est « avec » nous dans nos épreuves. Le mot à mot ici, c’est « Moi, avec lui, dans l’épreuve » ; c’est exactement le même sens que le mot « Emmanuel » qui signifie littéralement « Dieu-avec-nous ».
En fin de compte, ce psaume est un peu le modèle de toute liturgie : l’arrivée au Temple, la Parole, la bénédiction. Quand nous nous joignons à une assemblée célébrante, nous allons puiser la force là où elle se trouve. Nous y entendons proclamer la Parole et nous repartons chargés des bénédictions de Celui qui est avec nous dans notre épreuve. Il est donc bien normal que ce psaume nous soit proposé à l’entrée du Carême : belle invitation à nous tenir à l’abri du Très-Haut. Moralité, n’hésitons pas au cours de ce Carême à aller nous ressourcer à l’ombre de nos églises.
Il n’y a plus l’arche d’Alliance, il n’y a plus les deux statues de chérubins : ces animaux ailés à tête d’homme, corps et pattes de lions dont les ailes jointes formaient un trône pour Dieu. Mais il y a mieux : il y a la Présence de la Trinité sainte.


DEUXIÈME LECTURE – Première lettre de saint Paul aux Romains,  10, 8 – 13


Frères,
8 nous lisons dans l’Écriture :
« Tout près de toi est la Parole,
elle est dans ta bouche et dans ton cœur. »
Cette Parole, c’est le message de la foi que nous proclamons.
9 En effet, si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur,
si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts,
alors tu seras sauvé.
10 Car c’est avec le cœur que l’on croit
pour devenir juste,
c’est avec la bouche que l’on affirme sa foi
pour parvenir au salut.
11 En effet, l’Écriture dit :
« Quiconque met en lui sa foi ne connaîtra pas la honte. »
12 Ainsi, entre les Juifs et les païens,
il n’y a pas de différence :
tous ont le même Seigneur,
généreux envers tous ceux qui l’invoquent.
13 En effet,
« quiconque invoquera le nom du Seigneur
sera sauvé. »


Tout le raisonnement de Paul aboutit à la conclusion : « Entre les Juifs et les païens, il n’y a pas de différence ». Précisons tout de suite que ces Juifs et ces païens dont parle Paul sont tous des Chrétiens : soit d’origine juive, soit d’origine païenne. Et c’est bien cela le fond de son discours : que vous soyez des Juifs convertis au christianisme, ou que vous soyez d’anciens païens convertis au christianisme, vous êtes « avant tout » des Chrétiens. « Ainsi, entre les Juifs et les païens, il n’y a pas de différence : tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l’invoquent. »
Si Paul insiste, c’est que le problème était bien là. Probablement parce que, à Rome comme dans toutes les communautés chrétiennes du premier siècle, la même question s’est posée. Était-il bien normal de traiter de la même manière des Juifs et des païens ? Que des Juifs deviennent Chrétiens, c’était évidemment conforme au plan de Dieu. Puisque Dieu avait préparé son peuple pendant de longs siècles à recevoir le Messie, une fois celui-ci venu et reconnu, tous les Juifs auraient pu devenir Chrétiens. C’était évidemment le souhait de Paul. Mais les choses se sont passées autrement. C’est une minorité seulement du peuple juif qui a adhéré à Jésus-Christ ; en revanche, ce sont des païens qui ont constitué le noyau le plus important des communautés chrétiennes. Entre ces Chrétiens d’origines si diverses (soit juive, soit païenne), la cohabitation posait inévitablement des problèmes : sur le plan des habitudes quotidiennes, tout les séparait et les sujets de discussion ne manquaient pas : la loi, la circoncision, les coutumes alimentaires.
Plus profondément, pour certains Juifs devenus Chrétiens, c’était une affaire de principe : ils acceptaient de mauvais gré l’entrée dans l’Église des anciens païens, ceux qu’ils appelaient les « incirconcis ». Car Israël était le peuple élu ; c’est en son sein que devait naître le Messie ; logiquement, les Juifs devaient être les fondements de l’Église ; alors une question revenait souvent : accepter des non-Juifs dans l’Église, n’était-ce pas une infidélité à l’Alliance, à l’élection du peuple juif ?
Cette question-là, lorsque Paul écrit aux Romains, il y a longtemps qu’il l’a résolue. Car si on fermait l’entrée de l’Église aux païens, si on leur refusait le baptême, cela reviendrait à dire que Jésus ne peut sauver que des Juifs. Cette position-là est évidemment intenable. Alors, comme toujours, Paul est allé chercher la solution du problème dans l’Écriture, c’est-à-dire dans ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament. Et il a trouvé la réponse chez le prophète Joël : « Tous ceux qui invoqueront le nom du SEIGNEUR seront sauvés. » Joël, parlait, justement, du temps de la venue du Messie : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, vos jeunes gens auront des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes, en ce temps-là je répandrai mon Esprit… Alors tous ceux qui invoqueront le Nom du SEIGNEUR seront sauvés. » (Jl 3, 1 – 5).
Argument imparable, puisque c’était dans l’Écriture ; mais bien surprenant quand même pour les contemporains de Paul : suffit-il réellement d’invoquer le Nom de Jésus pour être sauvé ? Jusqu’ici, il fallait être circoncis et pratiquer la Loi scrupuleusement ; les choses auraient-elles changé ? Oui, répond Paul ; car Jésus-Christ, lui aussi, mérite le Nom de Seigneur !
Désormais, tout homme qui invoque le Seigneur Jésus-Christ peut être sauvé. N’est-ce pas ce que Jésus lui-même a déclaré à Nicodème ? « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. » Jésus a bien dit « tout homme ». Et il a ajouté : « Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 16-17). Le monde, ici, veut bien dire « toute l’humanité ».
Mais ce message reste dur à admettre pour certains. Alors Paul n’hésite pas à se répéter : « Si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. Car c’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste, c’est avec la bouche que l’on affirme sa foi pour parvenir au salut. »
Première remarque de vocabulaire : dans le langage de Paul, héritier de l’Ancien testament, « devenir juste » ou être sauvé », c’est exactement la même chose. On a ici un bel exemple du parallélisme si habituel dans les textes bibliques. Deuxième remarque de vocabulaire : entendons-nous sur le sens du mot « croire » ici : le parallèle entre « bouche » et « cœur », sur lequel Paul insiste, dit bien que la foi n’est pas affaire d’opinion ; en employant le mot cœur, selon le sens que ce mot avait à l’époque, il vise la profondeur de l’engagement de toute la personne. Ainsi, aux yeux de Paul, une autre phrase de l’Écriture est désormais accomplie ; le livre du Deutéronome affirmait : « La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur. » Au temps du Deutéronome, il s’agissait de la Loi qu’il fallait pratiquer, maintenant dit Paul, cette parole, c’est tout simplement le message de la foi en Jésus-Christ.
La voilà, la Bonne Nouvelle que Paul adresse à ceux qui ont reçu le Baptême : sans mérites de notre part, le salut nous est donné gratuitement par Dieu ; il nous faut simplement l’accueillir librement dans la foi : « Si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé. Celui qui croit du fond de son cœur devient juste, celui qui, de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut. »


ÉVANGILE – selon saint Luc 4, 1 – 13


Après son Baptême,
1 Jésus, rempli d’Esprit Saint,
quitta les bords du Jourdain ;
dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert
2 où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable.
Il ne mangea rien durant ces jours-là,
et, quand ce temps fut écoulé,
il eut faim.
3 Le diable lui dit alors :
« Si tu es Fils de Dieu,
ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
4 Jésus répondit :
« Il est écrit :
L’homme ne vit pas seulement de pain. »
5 Alors le diable l’emmena plus haut,
et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre.
6 Il lui dit :
« Je te donnerai tout ce pouvoir,
et la gloire de ces royaumes,
car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux.
7 Toi donc, si tu te prosternes devant moi,
tu auras tout cela. »
8 Jésus lui répondit :
« Il est écrit :
C’est devant le SEIGNEUR ton Dieu que tu te prosterneras,
à lui seul tu rendras un culte. »
9 Puis le diable le conduisit à Jérusalem,
il le plaça au sommet du Temple
et lui dit :
« Si tu es Fils de Dieu,
d’ici jette-toi en bas ;
10 car il est écrit :
Il donnera pour toi, à ses anges,
l’ordre de te garder ;
11 et encore :
Ils te porteront sur leurs mains,
de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
12 Jésus lui fit cette réponse :
« Il est dit :
Tu ne mettras pas à l’épreuve le SEIGNEUR ton Dieu. »
13 Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations,
le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.


Il est très intéressant de rapprocher cet évangile du psaume qui le précède dans la liturgie de ce dimanche : « Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au SEIGNEUR : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu dont je suis sûr. » C’est très exactement l’attitude du Christ, au seuil de sa vie publique : il se tient tout simplement à l’ombre du Très-Haut.
La tentation serait de quitter cet abri ou bien de douter qu’il soit sûr, ou encore de chercher d’autres abris, d’autres sécurités. Ces trois tentations ont été celles du peuple d’Israël tout au long de l’histoire biblique. Et quand le diable (en grec le mot « diabolos » signifie le « diviseur ») s’adresse à Jésus, c’est bien sur ce terrain qu’il se place : par trois fois, il essaie de distiller son poison : Si tu es Fils de Dieu, tu peux tout ce que tu veux… : Tu es grand, tu peux bien faire ton bonheur tout seul ; dis donc à cette pierre de devenir du pain pour satisfaire ta faim immédiate… (première tentation). Peut-être ferais-tu mieux de m’adorer, moi, pour réaliser tous tes projets… (deuxième tentation). Jette-toi en bas, Dieu sera bien obligé de t’aider… (troisième tentation). Mais Jésus sait bien que Dieu seul peut combler toutes les faims de l’homme, et il a choisi de faire confiance jusqu’au bout, de « se tenir sous l’abri du Très-Haut » comme dit le psaume.
Reprenons une à une les trois sollicitations du Tentateur et les trois réponses de Jésus.
Première tentation : quand Jésus commença à souffrir de la faim, le Tentateur lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain » et Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. » Phrase bien connue du peuple juif tout entier, car elle se trouve au chapitre 8 du Deutéronome ; je vous rappelle le contexte : il s’agit d’une méditation sur l’expérience d’Israël pendant l’Exode sous la conduite de Moïse : « Tu te souviendras de toute la route que le SEIGNEUR ton Dieu t’a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert, afin de te mettre dans la pauvreté ; ainsi il t’éprouvait pour connaître ce qu’il y avait dans ton cœur et savoir si tu allais, oui ou non, observer ses commandements. Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche du SEIGNEUR. » (Dt 8, 2-3). Désormais le peuple sait d’expérience ce qu’est la béatitude de la pauvreté : « Heureux ceux qui ont faim, ils comptent sur Dieu seul pour les combler. »
Et le Deutéronome continue : « Tu reconnais, à la réflexion, que le SEIGNEUR ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils. » (Dt 8, 5). Le Fils de Dieu, venu prendre la tête de son peuple, vit dans sa chair l’expérience d’Israël au désert.
En d’autres termes, quand le Tentateur interpelle Jésus en lui disant « Si tu es Fils de Dieu, prouve-le », il reçoit pour toute réponse : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas… Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » (C’est la réponse que Jésus fera à ses apôtres dans l’épisode de la Samaritaine, Jn 4, 32-34).
Deuxième tentation, deuxième réponse de Jésus : le Tentateur lui promet tous les royaumes de la terre ; et Jésus répond « Tu te prosterneras devant le SEIGNEUR ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. » Là il cite le texte le plus connu peut-être de tout l’Ancien Testament, puisqu’il est la suite du fameux « Shema Israël », la profession de foi juive. Ce qu’il faut remarquer c’est l’inversion de la perspective entre les exigences du Tentateur et les dons gratuits de Dieu : le Tentateur dit : commence par te prosterner, puis je te donnerai (et entre parenthèses, il promet ce qui ne lui appartient pas) ; Dieu, au contraire, commence par donner, et seulement après, il dit : n’oublie pas que je t’ai donné, alors fais-moi confiance pour la suite.
Voici le texte du Deutéronome : « Quand le SEIGNEUR ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays qu’il a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob, de te donner… garde-toi d’oublier le SEIGNEUR qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude. C’est le SEIGNEUR ton Dieu que tu craindras, c’est lui que tu serviras, c’est par son nom que tu prêteras serment. » (Dt 6, 10… 13).
Troisième tentation : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Et Jésus répond : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le SEIGNEUR ton Dieu » (Dt 6, 16), c’est-à-dire tu n’exigeras pas de Dieu des preuves de sa présence et de sa protection. Le Fils de Dieu sait, lui, qu’il est en permanence sous l’abri du Très-Haut quoi qu’il arrive.
Ces trois réponses de Jésus sonnent donc étrangement face aux interpellations du Tentateur « si tu es le fils de Dieu » ; visiblement, le démon et le Christ n’ont pas la même idée sur le Fils de Dieu ! « Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le » semble dire le Tentateur et Jésus le prouve, réellement, mais c’est en restant fidèle à son Père.
Où Jésus puise-t-il la force de résister à celui qui veut le séparer de son Père ? Dans la parole de Dieu : la force de ce texte est dans cette construction étonnante ; le Tentateur s’adresse à Jésus par trois fois ; mais à aucun moment, Jésus n’entre en discussion avec lui ; ses trois réponses sont exclusivement des citations de l’Écriture.
En cela, il est bien l’héritier de son peuple : à lui s’applique merveilleusement la phrase du Deutéronome que saint Paul a reprise dans la lettre aux Romains (voir la deuxième lecture) : « La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur » (Dt 30, 14). Ses réponses sont toutes les trois extraites du livre du Deutéronome, le livre écrit justement pour que les fils d’Israël n’oublient jamais que Dieu est leur Père ; manière de dire que Jésus refait pour lui-même l’expérience que son peuple a faite au désert.
Depuis son Baptême, où il a été révélé comme le Fils, jusqu’à Gethsémani où le Tentateur lui donne rendez-vous (c’est le sens de la dernière phrase de notre texte : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.1 »), Jésus restera sous l’abri du Très-Haut. Nul doute que Luc, ici, nous propose le seul exemple à suivre.
—————————–
Note
1 – À  vrai dire, le texte grec n’emploie pas l’expression : « jusqu’au moment fixé » ; il dit seulement « jusqu’à une occasion ». Cette « occasion », on la situe généralement à Gethsémani.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 1er dimanche de Carême (14 février 2016)

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1 février 2016 1 01 /02 /février /2016 14:40

 Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 6 février 2016).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV

PREMIÈRE LECTURE – Isaïe 6, 1…8


1 L’année de la mort du roi Ozias,
je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ;
les pans de son manteau remplissaient le Temple.
2 Des séraphins se tenaient au-dessus de lui.
3 Ils se criaient l’un à l’autre :
« Saint ! Saint ! Saint ! le SEIGNEUR de l’univers !
Toute la terre est remplie de sa gloire. »
4 Les pivots des portes se mirent à trembler
à la voix de celui qui criait,
et le Temple se remplissait de fumée.
5 Je dis alors :
« Malheur à moi ! Je suis perdu,
car je suis un homme aux lèvres impures,
j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures ;
et mes yeux ont vu le Roi, le SEIGNEUR de l’univers ! »
6 L’un des séraphins vola vers moi,
tenant un charbon brûlant
qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel.
7 Il l’approcha de ma bouche et dit :
« Ceci a touché tes lèvres,
et maintenant ta faute est enlevée,
ton péché est pardonné. »
8 J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait :
« Qui enverrai-je ?
Qui sera notre messager ? »
Et j’ai répondu :
« Me voici :
envoie-moi ! »


La semaine dernière, nous lisions le récit de la vocation de Jérémie, aujourd’hui, celle d’Isaïe ; deux très grands prophètes à nos yeux. Et pourtant, l’un comme l’autre avouent leur petitesse : Jérémie se sent incapable de parler, mais puisque Dieu a pris l’initiative de le choisir, c’est Dieu aussi qui l’inspirera et lui donnera la force nécessaire. Isaïe, lui, est saisi par un sentiment d’indignité ; mais là encore, puisque c’est Dieu qui l’a choisi, c’est Dieu aussi qui le purifiera.
Jérémie était
prêtre et nous ne savons pas où il a reçu l’appel de Dieu ; curieusement, c’est Isaïe qui n’était pas prêtre, qui situe sa vocation au Temple de Jérusalem : « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ». Quand Isaïe nous dit « je vis », cela veut dire qu’il s’agit non pas d’un récit, mais d’une vision ; ne cherchons donc pas dans son évocation un déroulement logique d’événements. Les livres prophétiques sont émaillés de visions fantastiques : à nous de décoder ce langage extrêmement suggestif, même s’il surprend notre mentalité contemporaine.
Isaïe nous dit qu’en ce qui le concerne, cela s’est passé « l’année de la mort du roi Ozias » : c’est une indication précieuse. Il est rare que nous puissions évoquer des dates avec autant de précision ; cette fois, nous le pouvons car on sait que le roi Ozias a régné à Jérusalem de 781 à 740 av. J.-C. Depuis la mort du roi Salomon (en 933, c’est-à-dire depuis près de deux cents ans), le royaume de David et de Salomon est divisé : il y a deux royaumes, deux rois, deux capitales : au Sud, Ozias est roi de Jérusalem, au Nord, Menahem est roi de Samarie. On sait également que Ozias était lépreux et qu’il est mort de cette maladie à Jérusalem en 740. C’est donc cette année-là qu’Isaïe a reçu sa vocation de prophète : ensuite, il a prêché pendant environ quarante ans (là on est moins précis) et il est resté dans la mémoire collective d’Israël comme un très grand prophète et en particulier le prophète de la sainteté de Dieu.1
« Saint, Saint, Saint le SEIGNEUR, Dieu de l’univers. Toute la terre est remplie de sa gloire » : vous avez reconnu le Sanctus de nos messes. Il date donc au moins du prophète Isaïe. (Peut-être cette acclamation faisait-elle déjà partie de la liturgie au Temple de Jérusalem, mais on n’en a pas la preuve ; on a seulement retrouvé des expressions équivalentes plus anciennes en Égypte).
Dire que Dieu est « Saint », au sens biblique, c’est dire qu’il est Tout Autre que l’homme. Dieu n’est pas à l’image de l’homme ; bien au contraire, la Bible affirme l’inverse : c’est l’homme qui est « à l’image de Dieu » ; ce n’est pas la même chose ! Cela veut dire que nous devrions rester très modestes et très prudents chaque fois que nous parlons de Dieu ! Parce que Dieu est le Tout Autre, il nous est radicalement, irrémédiablement impossible de l’imaginer tel qu’il est, nos mots humains ne peuvent jamais rendre compte de lui. 2
La première partie de la vision d’Isaïe dit bien cette prise de conscience fondamentale ; et ce qu’il nous décrit ressemble étrangement à d’autres évocations des grandes manifestations de Dieu dans la Bible : Dieu est assis sur un trône très élevé, une fumée se répand et remplit tout l’espace, une voix tonne… elle tonne si fort que les lieux tremblent… Isaïe ne peut pas s’empêcher de penser à ce qui s’était passé pour Moïse sur la montagne du Sinaï, au moment où Dieu avait fait alliance avec son peuple et donné les tables de la Loi ; c’est le livre de l’Exode qui raconte : « Le mont Sinaï n’était que fumée, parce que le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s’amplifia : Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre. » (Ex 19, 18-19).
L’homme Isaïe mesure alors sa petitesse et il ressent comme une sorte de crainte : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures ; et mes yeux ont vu le Roi, le SEIGNEUR de l’univers ! » Cette « crainte », comme découverte de notre petitesse, du fossé infranchissable qui nous sépare de Dieu si Dieu lui-même ne le comble pas, est une première étape indispensable dans notre relation à Dieu. Mais Dieu n’en reste pas là. D’ordinaire, dans la Bible, il y a toujours cette parole de la part de Dieu : « ne crains pas »… Ici, la parole n’est pas dite mais elle est remplacée par un geste très suggestif : un des séraphins, un de ceux qui, justement, proclament la sainteté de Dieu, va accomplir le geste qui purifie l’homme, qui comble le fossé, qui permet à l’homme d’entrer en relation avec Dieu : « L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche… » Manière de dire que c’est Dieu qui prend l’initiative de se faire proche de l’homme ; ce fossé qui nous sépare de Dieu, c’est Dieu lui-même qui le comble.
Quand Isaïe parlera de Dieu, plus tard, il lui arrivera souvent de l’appeler « Le Saint d’Israël » : cette expression dit bien que Dieu est le Saint, le Tout-Autre, mais aussi qu’il s’est fait proche de son peuple, puisque celui-ci peut aller jusqu’à revendiquer une relation d’appartenance (Dieu est « Le Saint d’Israël »).
La merveille, c’est que ce qui est vrai pour le peuple d’Israël l’est désormais pour notre Église et pour chacun d’entre nous.

———————–
Notes
1 – Le livre qui porte le nom d’Isaïe comporte soixante-six chapitres : ce n’est pas l’œuvre d’un seul homme, mais un ensemble de trois recueils.
Les chapitres 1 à 39 sont l’œuvre du prophète qui nous relate ici sa vocation ; les chapitres 40 à 55 sont l’œuvre d’un prophète qui prêchait pendant l’Exil à Babylone (au sixième siècle avant notre ère) ; les chapitres 56 à 66 rapportent la prédication d’un troisième prophète, contemporain de la période du retour de l’Exil.
2 – La sainteté n’est pas une notion morale, ni même un attribut de Dieu, elle est sa nature même ; car l’adjectif « divin » n’existe pas en hébreu, il est remplacé par le mot « Saint » qui signifie Tout-Autre (sous-entendu Tout-Autre que l’homme), celui que nous ne pouvons jamais atteindre par nous-mêmes, celui qui nous dépasse infiniment, à tel point que nous n’avons aucune prise sur lui. Ce que le prophète Osée traduisait : « Je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis Saint. » (Os 11, 9). Pour cette raison, dans la Bible, aucun humain n’est jamais considéré comme saint, tout au plus peut-on être « sanctifié » par Dieu et, de ce fait, refléter son image, ce qui est de tout temps notre vocation ultime.
Et, bien évidemment, nous ne pouvons pas imaginer quelqu’un qui est Tout-Autre que nous-mêmes. D’où la réaction d’effroi du prophète Isaïe : « Je ne suis qu’un homme aux lèvres impures et mes yeux ont vu le roi, le SEIGNEUR de l’univers ».


PSAUME – 137 (138), 1-5. 7c-8


1 De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce,
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
2 vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
3 Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

4 Tous les rois de la terre te rendent grâce
quand ils entendent les paroles de ta bouche.
5 Ils chantent les chemins du SEIGNEUR :
« Qu’elle est grande, la gloire du SEIGNEUR ! »

7c Ta droite me rend vainqueur.
8 Le SEIGNEUR fait tout pour moi !
SEIGNEUR, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.


Il se dégage de ce psaume une impression très particulière, très douce, de joie profonde et de sérénité. Dès le premier verset, tout est dit. Par exemple, l’expression « rendre grâce » est répétée : « De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce »… « Je rends grâce à ton nom ». Le croyant est celui qui vit dans la grâce de Dieu et qui le reconnaît tout simplement, le cœur noyé de reconnaissance.
J’ait dit « le croyant », mais ce croyant n’est pas un individu particulier, c’est le peuple d’Israël, comme toujours dans les psaumes, qui parle ici et qui rend grâce pour l’Alliance que Dieu lui a proposée. Cela s’entend à la répétition du nom « SEIGNEUR » que l’on entend à plusieurs reprises dans ces quelques versets. C’est le fameux NOM de Dieu, ce que nous appelons le « tétragramme » puisqu’il s’agit de quatre consonnes, ce Nom révélé par Dieu à Moïse au Sinaï au moment de l’épisode du buisson ardent (Ex 3). Dieu s’est encore révélé à Moïse au cours de l’Exode dans le Sinaï, sous le nom de « amour et vérité » : nous l’entendons également ici : « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité ». Nous retrouvons cette même expression « amour et vérité » à plusieurs reprises dans d’autres psaumes et dans l’ensemble de la Bible ; c’est la précieuse découverte d’Israël, grâce au souffle de Dieu, bien sûr. On peut la lire au chapitre 34 de l’Exode : « (je suis) le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein d’amour et de vérité ». (Ex 34, 6). Et ce n’est pas un hasard si cette révélation de la tendresse de Dieu est intervenue après l’épisode du veau d’or, c’est-à-dire une infidélité caractérisée du peuple. Car c’est précisément à l’occasion de ses infidélités répétées que le peuple d’Israël a fait l’expérience de l’inépuisable miséricorde de Dieu.
C’est cette fidélité de Dieu que l’on chante inlassablement au Temple de Jérusalem : « Vers ton temple sacré je me prosterne » … le décor ici est le même que dans le récit de la vocation d’Isaïe que nous avons lu en première lecture… et le psaume continue : « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité ». Dans le récit de la vocation d’Isaïe, l’accent était mis sur la Sainteté de Dieu, le fossé qui nous sépare de Dieu, et que nous ne pouvons combler par nos propres forces ni par aucune action, si méritoire soit-elle… C’est Dieu lui-même qui en permanence comble ce fossé et nous invite à entrer dans son intimité. Dans ce psaume, nous découvrons en quoi consiste la Sainteté de Dieu : Dieu est Amour et vérité : voilà sa sainteté… et il est vrai qu’en cela un fossé nous sépare de Lui.
A la fin du psaume, nous retrouvons une autre expression de cette prise de conscience de l’amour de Dieu : « éternel est ton amour », vous avez reconnu le refrain du psaume 135 (136) qui est, lui aussi, un rappel de la libération de l’Exode. L’allusion à la « droite » (traduisez la main) de Dieu (dans le verset « Ta droite me rend vainqueur ») est encore un autre rappel de l’Exode : car, selon l’expression consacrée, Dieu nous a libérés « par sa main forte et son bras étendu » (Dt 4, 34).
Cette Alliance du Sinaï a fait d’Israël le bénéficiaire de la Révélation, le confident de Dieu ; et c’est ce qui vient d’être exprimé de plusieurs manières. Mais Israël a découvert également que ce n’est pas le tout d’être le confident de Dieu. Désormais, il doit en être le prophète : c’est-à-dire qu’il a la charge, la responsabilité de proclamer l’amour et la vérité de Dieu à l’ensemble de l’humanité.
C’est le sens du verset : « Tous les rois de la terre te rendent grâce »1. À dire vrai, c’est pour le moins une anticipation ! Tous les rois de la terre ne sont pas encore convertis, ni au temps de David, ni même à la fin de l’Ancien Testament, et pas encore non plus aujourd’hui… loin de là ! Mais cette anticipation, on y tient : elle est un rappel du double aspect de la vocation d’Israël dont je viens de parler. Pour que les rois de la terre s’inclinent devant Dieu, il faudra qu’ils aient entendu la Bonne Nouvelle. Le psaume dit bien : « Tous les rois de la terre te rendent grâce quand ils entendent les paroles de ta bouche ». Quand Israël aura rempli sa mission de témoin de Dieu, alors on pourra chanter vraiment : « De tout mon cœur je te rends grâce // tous les rois de la terre te rendent grâce ».
Dernière remarque à propos d’une phrase apparemment toute simple : « Je te chante en présence des anges ». Il est intéressant de noter que, dans la Bible en hébreu, la formule était : « Je te chante devant les dieux ». C’était une sorte de profession de foi, manière d’affirmer qu’Israël ne tombe pas dans l’idolâtrie : Dieu seul est Dieu, les dieux des autres peuples ne sont que néant. Mais s’il est utile de l’affirmer, c’est que le danger n’est pas totalement écarté. Cela sonne donc plutôt comme une résolution.
En revanche, quand la Bible hébraïque a été traduite en grec, les traducteurs, considérant probablement qu’il n’y avait plus de danger d’idolâtrie ont remplacé le mot « dieux » par « anges ». D’où notre verset : « Je te change en présence des anges ». (Or notre psautier liturgique s’inspire du grec).

Enfin, le psaume se termine par une prière : « n’arrête pas l’œuvre de tes mains », ce qui veut dire « continue malgré nos infidélités répétées » ; il faut lire ensemble les deux phrases « SEIGNEUR, éternel est ton amour : n’arrête pas l’œuvre de tes mains. » C’est parce que l’amour de Dieu est éternel que nous savons qu’il n’arrêtera pas « l’œuvre de ses mains ».
Et c’est bien pour cela que nous ne cessons de rendre grâce : « Le SEIGNEUR fait tout pour moi », chante le psaume. Nous savons que nous sommes enveloppés en permanence de sa présence et de sa sollicitude. Comme dit saint Paul : « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment », c’est-à-dire « qui lui font confiance ».

———————–
Note
1 – « Tous les rois de la terre te rendent grâce » : cette traduction par un indicatif présent est un choix. La forme du verbe en hébreu (qu’on appelle un inaccompli) pourrait tout aussi valablement être traduite par un futur (« Tous les rois de la terre te rendront grâce ») ou un subjonctif (« Que tous les rois de la terre te rendent grâce »). Cela change évidemment quelque peu le sens.

DEUXIÈME LECTURE – Première lettre de saint Paul aux Corinthiens, 15, 1-11


1 Frères,
je vous rappelle la Bonne Nouvelle
que je vous ai annoncée ;
cet Évangile, vous l’avez reçu ;
c’est en lui que vous tenez bon,
2 c’est par lui que vous serez sauvés
si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé ;
autrement, c’est pour rien que vous êtes devenus croyants.
3 Avant tout, je vous ai transmis ceci,
que j’ai moi-même reçu :
le Christ est mort pour nos péchés
conformément aux Écritures,
4 et il fut mis au tombeau ;
il est ressuscité le troisième jour
conformément aux Écritures,
5 il est apparu à Pierre, puis aux Douze ;
6 ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois
– la plupart sont encore vivants,
et quelques-uns sont endormis dans la mort -,
7 ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres.
8 Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis.
9 Car moi, je suis le plus petit des Apôtres,
je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre,
puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu.
10 Mais ce que je suis,
je le suis par la grâce de Dieu,
et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile.
Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ;
à vrai dire, ce n’est pas moi,
c’est la grâce de Dieu avec moi.
11 Bref, qu’il s’agisse de moi ou des autres,
voilà ce que nous proclamons,
voilà ce que vous croyez.


« Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu… » nous dit Paul. Si nous sommes ici, à lire les lettres de saint Paul, c’est parce que depuis deux mille ans, génération après génération, l’Évangile se transmet : notre foi, nous la devons à ceux qui nous ont précédés. On peut comparer cette transmission de l’Évangile à une course de relais : sur le même parcours, régulièrement, les coureurs sont remplacés par de nouvelles équipes, de nouveaux concurrents, auxquels ils transmettent un objet (qu’on appelle le « relais », le « témoin ») ; entendons-nous bien, la foi n’est pas un objet, mais gardons l’idée d’une course ; pour l’Évangile, le relais se transmet depuis deux mille ans sans défaillance.
Paul ne fait pas partie de l’équipe qui a pris le départ la première : en dehors de l’apparition sur le chemin de Damas, il n’a pas connu le Christ, il n’a pas été témoin des événements de la vie de Jésus de Nazareth. Mais il peut citer ses sources : ce sont les Apôtres de la première génération, si l’on peut dire (et pour lui, plus précisément, Ananie, Barnabé et la communauté chrétienne d’Antioche de Syrie) ; grâce à eux, lui, Paul, a reçu le témoin et il le transmet à son tour. Ce qu’il transmet c’est l’Évangile, la Bonne Nouvelle qui tient en deux phrases, mieux en deux mots ! Deux phrases, les voici : « le Christ est mort pour nos péchés, il est ressuscité le troisième jour » ; deux mots : mort / ressuscité ; ce sont les deux piliers de notre foi.
Pour appuyer son propos, Paul affirme que tout cela est conforme aux Écritures (c’est-à-dire, à l’heure où il écrit, à l’Ancien Testament) : « Le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il a été mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures ». En réalité, on ne trouve nulle part dans les Écritures des affirmations concernant explicitement la mort et la résurrection du Messie : la formule « conformément aux Écritures » ne signifie pas que tout était écrit d’avance ; la formule « selon les Écritures » signifie que tout ce qui est arrivé est conforme au dessein bienveillant de Dieu ; on pourrait remplacer ici le mot « Écritures » par le mot « projet de Dieu » ou « promesse de Dieu » : conformément à la promesse de Dieu, le Christ est mort pour nos péchés, c’est-à-dire nos péchés sont effacés… Conformément à la promesse de Dieu, le Christ est ressuscité, c’est-à-dire la mort est vaincue. L’Ancien Testament résonnait de ces promesses : promesses de pardon des péchés, promesses de salut, promesses de vie.
Par exemple, l’expression « le troisième jour », à elle seule, dans l’Ancien Testament, évoquait une promesse de salut, de libération ; dire « il y aura un troisième jour » revenait à dire « Dieu interviendra ». Le troisième jour, au mont Moryyah, Dieu avait suggéré à Abraham la solution pour sauver Isaac (Gn 22, 4) ; le troisième jour, Joseph, en Égypte, avait rendu la liberté à ses frères (Gn 42, 18) ; le troisième jour, le Seigneur s’était manifesté à son peuple rassemblé au pied du Mont Sinaï (Ex 19, 11. 16) ; le troisième jour, Jonas enfin converti avait retrouvé la terre ferme et sa mission (Jon 2, 1) ; c’est bien ainsi qu’on interprétait la parole d’Osée : « Il nous guérira après deux jours ; au troisième jour nous serons ressuscités et nous vivrons devant lui. » (Os 6, 2). Le troisième jour n’est donc pas une donnée chronologique mais l’expression d’une espérance : celle du triomphe de la vie au bénéfice de tous. Proclamer « Le Christ est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures » est donc bien l’affirmation d’un salut pour tous. Un salut qui est le triomphe de la vie ; un salut actuel pour tous les temps et pour tous les hommes puisque le Christ est vivant pour toujours.
Cette Bonne Nouvelle, nous dit Paul, il faut absolument y rester attachés : « Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Évangile, vous l’avez reçu, et vous y restez attachés ; vous serez sauvés par lui si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé. » « Vous serez sauvés », c’est-à-dire vous pourrez participer à ce triomphe de Jésus-Christ sur la mort et le péché : grâce à lui, ou greffés sur lui, vous ferez partie de cette humanité nouvelle désormais animée par l’Esprit Saint.
Ce salut, Paul l’a expérimenté lui-même, lui le persécuteur pardonné, converti et transformé en colonne de l’Église… lui qui n’oubliera jamais qu’il a été un persécuteur des Chrétiens : « Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. » Plus qu’aucun autre il est bien placé pour en parler ! Il suffit de croire au pardon pour être pardonné… Voilà la merveille de l’amour de Dieu pour l’humanité, un amour sans conditions, un amour sans cesse offert. C’est cela qu’en théologie, on appelle la « grâce ». Une grâce qu’il nous suffit d’accepter. Paul, comme Isaïe, comme Pierre, a grande conscience de son péché ; mais il laisse la grâce de Dieu agir en lui : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m’a comblé n’a pas été stérile : je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi. » D’un persécuteur Dieu a fait un apôtre, le plus ardent qui soit, tout comme, de Jérémie, le jeune homme timide, il avait fait un prophète intrépide, comme d’Isaïe aux lèvres impures, il a fait la « bouche de Dieu », comme de Pierre, le renégat, il a fait le fondement de son Église.
Un salut qu’il suffit d’accepter : c’est vraiment une Bonne Nouvelle ! Il ne reste plus qu’à la crier sur les toits !


ÉVANGILE – selon saint Luc 5, 1-11


1 La foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu,
tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth.
2 Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ;
les pêcheurs en étaient descendus
et lavaient leurs filets.
3 Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon,
et lui demanda de s’écarter un peu du rivage.
Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
4 Quand il eut fini de parler,
il dit à Simon :
« Avance au large,
et jetez vos filets pour la pêche. »
5 Simon lui répondit :
« Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ;
mais, sur ta parole,
je vais jeter les filets. »
6 Et l’ayant fait,
ils capturèrent une telle quantité de poissons
que leurs filets allaient se déchirer.
7 Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque
de venir les aider.
Ceux-ci vinrent,
et ils remplirent les deux barques,
à tel point qu’elles enfonçaient.
8 À  cette vue,
Simon-Pierre tomba aux pieds de Jésus, en disant :
« Éloigne-toi de moi, Seigneur,
car je suis un homme pécheur. »
9 En effet, un grand effroi l’avait saisi,
lui et tous ceux qui étaient avec lui,
devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ;
10 et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon.
Jésus dit à Simon :
« Sois sans crainte,
désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
11 Alors ils ramenèrent les barques au rivage
et, laissant tout, ils le suivirent.


On n’a pas beaucoup l’habitude de comparer l’Apôtre Pierre au prophète Isaïe, et pourtant le rapprochement des textes de la liturgie de ce cinquième dimanche nous y invite, en nous faisant lire les récits de leurs vocations. Le décor n’est pas le même : pour Isaïe, cela se passait au cours d’une vision qui se déroulait dans le temple de Jérusalem ; Pierre, lui, est sur le lac de Tibériade (appelé aussi lac de Génésareth). L’un et l’autre sont subitement mis en présence de Dieu lui-même : Isaïe au cours de sa vision, Pierre parce qu’il assiste à un miracle. Les précisions apportées par Luc ne laissent aucun doute là-dessus : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre », c’est le constat de l’homme de métier. Puis, le succès inespéré de l’entreprise pourtant vouée à l’échec à vues humaines : si la pêche ne donne rien la nuit, elle a encore moins de chances d’être fructueuse le jour, tous les pêcheurs le disent ; mais sur la simple parole de Jésus, le miracle se produit : « Ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se déchiraient. »
Et tous les deux, Pierre et Isaïe, ont la même réaction devant cette irruption de Dieu dans leur vie ; tous les deux ont une même conscience de la sainteté de Dieu et de l’abîme qui nous sépare de lui. Et leurs expressions à tous les deux se ressemblent beaucoup : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur », dit Pierre ; et Isaïe disait « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures ; et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! »
Mais, apparemment, ce n’est pas notre péché, notre indignité qui arrête Dieu ! Il lui suffit que nous en prenions conscience, que nous soyons en vérité devant lui. Car le jour où nous prenons conscience de notre pauvreté, Dieu peut nous combler. Tous les deux, Pierre et Isaïe, sont donc en proie à une espèce de crainte devant la manifestation évidente de Dieu. Alors, toujours dans sa vision, Isaïe voit s’accomplir le geste qui le purifie et le rassure ; Pierre, lui, entend la parole de réconfort de Jésus : « Sois sans crainte ». Enfin, tous les deux reçoivent une vocation, au service du même projet de Dieu, bien sûr, qui est le salut des hommes. Isaïe sera un messager, un prophète. Pierre sera un pêcheur d’hommes, un « sauveteur.
« Ce sont des hommes que tu prendras » : en grec, le sens du mot employé ici est « prendre vivant » ; quand il s’agit de poissons, c’est le mot qu’on emploie pour la pêche au filet : capturer des poissons, les arracher à la mer, c’est les tuer parce que la mer est leur milieu naturel… Mais quand il s’agit des hommes que l’on arrache à la mer, il signifie sauver : prendre vivants des hommes, les arracher à la mer, c’est les empêcher de se noyer, c’est les sauver. Sur cette phrase de Jésus, « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras », Pierre ne répond pas ; la simplicité du texte est impressionnante : « Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. » Encore faut-il s’entendre sur le sens du mot « suivre » : les disciples ne se contenteront pas de suivre le maître pour l’écouter ; ils seront associés à sa tâche, ils deviendront ses collaborateurs. Même si l’entreprise paraît vouée à l’échec à vues humaines, il faudra continuer à lancer les filets. Nous sommes placés là devant le mystère extraordinaire de notre collaboration à l’œuvre de Dieu : nous ne pouvons rien faire sans Dieu, mais Dieu ne veut rien faire sans nous. Comme disait Paul dans la deuxième lecture, c’est la grâce de Dieu qui fait tout : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m’a comblé n’a pas été stérile : je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi. »
La seule collaboration qui nous est demandée, si on y réfléchit, c’est la confiance et la disponibilité. Tout a commencé parce que Pierre a fait confiance : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets. » À ce maître qu’il vient d’entendre parler à la foule longuement, il fait confiance, assez pour l’écouter, assez pour se risquer à une nouvelle tentative de pêche ; après le miracle, il ne dit plus « Maître », il dit « Seigneur », le nom réservé à Dieu ; et c’est aux pieds du Seigneur qu’il se prosterne ; et alors il est prêt à entendre l’appel : pour se risquer à cette nouvelle sorte de pêche que lui propose Jésus, il faut le reconnaître comme le Seigneur.
Grâce à la générosité d’Isaïe qui a accepté de devenir messager, grâce à la générosité de Pierre et de ses compagnons qui ont tout laissé pour suivre Jésus, grâce à la générosité de Paul qui, après le chemin de Damas, a consacré le reste de sa vie à témoigner du Christ ressuscité, à notre tour, nous sommes là ; la parole du Christ résonne encore à nos oreilles : « Avance au large, et jetez les filets »… À notre tour de répondre : « Sur ton ordre, nous jetterons les filets ».
Moralité : faisons confiance et acceptons de jeter nos filets. Pour que la pêche soit miraculeuse, il suffit de croire en Lui.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 5e dimanche du temps ordinaire (7 février 2016)

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25 janvier 2016 1 25 /01 /janvier /2016 22:23

 Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 30 janvier 2016).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV

PREMIÈRE LECTURE – Jérémie 1, 4-5. 17-19


Au temps de Josias,
4 La parole du SEIGNEUR me fut adressée :
5 « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère,
je te connaissais ;
avant que tu viennes au jour,
je t’ai consacré ;
je fais de toi un prophète pour les nations. »

17 « Toi, mets ta ceinture autour des reins et lève-toi,
tu diras contre eux tout ce que je t’ordonnerai.
Ne tremble pas devant eux,
sinon c’est moi qui te ferai trembler devant eux.
18 Moi, je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée,
une colonne de fer,
un rempart de bronze,
pour faire face à tout le pays,
aux rois de Juda et à ses princes,
à ses prêtres et à tout le peuple du pays.
19 Ils te combattront,
mais ils ne pourront rien contre toi,
car je suis avec toi pour te délivrer.
Oracle du SEIGNEUR. »


Jérémie fut un très grand prophète à Jérusalem, on le sait ; ici, il nous dit sa vocation, son expérience spirituelle. Mais il faut d’abord se rappeler le contexte historique dans lequel il est intervenu. C’était une période extrêmement difficile de l’histoire du peuple juif. On ne sait ni la date de la naissance ni celle de la mort de Jérémie, mais lui-même dit très précisément les dates de sa prédication qui s’étend de 627 à 587 av. J.-C. ; c’est-à-dire une durée de quarante ans, ce qui est considérable ! Pendant ce temps-là, la situation politique a connu de grands bouleversements !
Les grandes puissances de l’époque, dans cette région tout au moins, sont l’empire assyrien, l’Égypte et bientôt Babylone. Le royaume de Jérusalem n’est qu’un tout petit pays coincé entre ces grandes puissances qui se disputent la domination sur tout le Moyen-Orient. Tantôt en paix, tantôt en guerre, mais toujours sous domination étrangère, le roi de Jérusalem ne sait pas bien quelle politique d’alliance adopter avec quelle puissance étrangère pour reconquérir son indépendance. En fait, il sera tour à tour vassal de ces trois puissances.

C’est dans ce contexte que Jérémie a entendu l’appel de Dieu : « Le SEIGNEUR m’adressa la parole et me dit : Avant même de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ». Jérémie a donc bien conscience de n’avoir rien décidé par lui-même, c’est Dieu qui l’a choisi ; le mot « consacrer » signifie « mettre à part » : de la part du Seigneur, cela équivaut à choisir, prédestiner. Et on sait que Jérémie a trouvé ce choix de Dieu bien exigeant ! En tout cas, depuis son premier instant, la vie tout entière de Jérémie a été orientée vers la mission confiée par Dieu. Entendons-nous bien : Dieu l’a « mis à part », comme il dit, mais c’est tout le contraire d’une mise à l’écart, d’un splendide isolement, d’une tour d’ivoire, comme on dirait aujourd’hui. Toute vocation, dans la Bible, est toujours une « mise à part » pour un service.
Un service qui, dans le cas présent, ressemble fort à un combat ! Car, à la lumière de sa vocation, Jérémie porte sur la monarchie et sur les autorités religieuses un jugement très sévère qu’on pourrait résumer en deux phrases : à la cour, le roi et les chefs politiques ne parlent que guerres, soulèvements, renversement d’alliances ; c’est-à-dire tout le contraire de la paix dont rêve le peuple. Quant au Temple, on ne se préoccupe que de belles liturgies, pendant que la justice sociale et la morale sont en pleine décadence ; on est donc en parfaite hypocrisie.
Au milieu de tout cela, le prophète doit être le porte-parole de Dieu ; il est là pour rappeler que la seule chose qui compte, la seule urgente, prioritaire, c’est l’Alliance avec Dieu, celle justement dont plus personne ne se préoccupe. Évidemment, ses vigoureuses remises en cause ne peuvent que soulever l’opposition ou, au mieux, la dérision. Dieu l’a bien prévenu : « Ils te combattront ». Et de fait, Jérémie a rencontré beaucoup d’opposition dans l’accomplissement de son ministère.
Le plus curieux dans cette histoire, c’est que pour cette tâche ingrate et qui exigeait beaucoup de courage, Dieu a choisi un jeune homme timide et « qui ne sait pas parler » (Jérémie le disait lui-même dans des versets qui ne font pas partie de la lecture de ce dimanche). Or il lui faudra parler, justement, crier, tempêter, prêcher… à temps et à contre-temps, tenir tête à tout un peuple et à son roi. En plus, c’est un cœur sensible, et il sera profondément bouleversé par le malheur de sa patrie ; mais l’heure n’est pas à la mollesse : et il lui faudra consacrer toute son énergie à rappeler (sans le moindre succès) l’urgence de la conversion. « Oiseau de mauvais augure », annonceur de catastrophes, il sera détesté, méprisé, ridiculisé jusque dans sa propre famille.
Et pourtant, rien ni personne ne le détournera de sa mission : car Dieu est avec lui dans toutes ses épreuves. Lui qui se sentait si misérable, c’est vraiment en Dieu seul qu’il a trouvé sa force.
 À travers les quelques lignes de ce texte pourtant bien court nous devinons l’expérience spirituelle du prophète. Nous entendons là comme un écho des Béatitudes : « Heureux les pauvres de cœur… » C’est bien parce qu’il se trouvait pauvre que Jérémie a laissé Dieu l’envahir de sa force. Car si on lit attentivement ce texte, c’est bien Dieu qui est le principal acteur dans sa vie, c’est Dieu qui a toutes les initiatives : « Le SEIGNEUR m’adressa la parole et me dit … Je te connaissais… Je fais de toi… Je t’ordonnerai… Je suis avec toi… » Quant aux images, elles montrent bien quelle force intérieure il a fallu à Jérémie : « Moi, je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze, pour faire face à tout le pays, aux rois de Juda et à ses chefs, à ses prêtres et à tout le peuple. »
Des siècles plus tard, Jésus, lui aussi a présenté sa vie comme un combat ; et la nôtre l’est aussi ; car l’annonce de la Parole de Dieu reste une tâche redoutable, tellement les pensées de Dieu sont loin de celles des hommes. Tellement les priorités de Dieu sont loin de celles des hommes. Et pourtant, les croyants savent que le bonheur de l’humanité ne peut naître que lorsque nos pensées et nos priorités se seront enfin transformées. Lorsque les valeurs de l’Alliance (comme disait Jérémie), celles de l’Évangile, (dirons-nous aujourd’hui) seront pleinement respectées.
Mais la force d’un Jérémie, celle de Jésus, la nôtre résident dans la certitude que Dieu nous accompagne sans cesse dans ce combat : nous avons entendu la phrase de Dieu à Jérémie : « Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi ». Plus tard, Jésus à son tour encouragera ses disciples en leur disant : « Confiance, j’ai vaincu le monde. »
—————————–
Compléments
1 – Saint Paul dit de la même manière dans la lettre aux Galates qu’il a conscience d’avoir été « mis à part » dès le sein maternel et appelé par la grâce de Dieu : « Celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens… » (Ga 1, 15).
2 – Les auteurs du Nouveau Testament ont certainement plus d’une fois été tentés de faire le rapprochement entre Jésus de Nazareth et Jérémie. Quand ils nous rapportent les larmes de Jésus devant la mort d’un ami ou devant le destin tragique de Jérusalem ; quand ils racontent l’hostilité grandissante que Jésus a dû affronter ; quand ils rapportent certaines paroles de menace prononcées par lui, dans un style tout à fait comparable à celui des prophètes ; ou encore quand ils nous disent avec quelle résolution Jésus a quand même pris le chemin de Jérusalem au moment même où ses rares amis essayaient de l’en détourner à cause des risques trop évidents. Quant à Jésus lui-même, il pensait peut-être bien à Jérémie quand il a dit à la synagogue de Nazareth (Lc 4, évangile de ce dimanche) « nul n’est prophète en son pays. »
3 – Une remarque sur la traduction du verset 17 : « Tu prononceras contre eux tout ce que je t’ordonnerai ». En français, l’expression « prononcer contre » est violente. L’original hébreu dit seulement : « tu leur diras ». De fait, on lit chez Jérémie des prédications sévères mais aussi combien de paroles douces et consolantes.


PSAUME – 70 (71), 1-2. 3. 5-6ab, 15ab.17


1 En toi, SEIGNEUR, j’ai mon refuge
garde-moi d’être humilié pour toujours
2 Dans ta justice, défends-moi, libère-moi,
Tends l’oreille vers moi et sauve-moi.

3 Sois le rocher qui m’accueille,
toujours accessible ;
tu as résolu de me sauver :
ma forteresse et mon roc, c’est toi !

5 SEIGNEUR mon Dieu, tu es mon espérance,
mon appui dès ma jeunesse.
6ab Toi, mon soutien dès avant ma naissance,
tu m’as choisi dès le ventre de ma mère.

15 Ma bouche annonce tout le jour
tes actes de justice et de salut.
17 Mon Dieu, tu m’as instruit dès ma jeunesse,
jusqu’à présent, j’ai proclamé tes merveilles.


On pourrait croire que ce psaume parle du prophète Jérémie, dont nous avons un peu deviné l’expérience spirituelle dans la première lecture. Il pourrait signer sans hésiter, si j’ose dire ! Par exemple, lui qui était ébloui de son intimité avec Dieu, aurait parfaitement pu dire « SEIGNEUR mon Dieu, tu es mon appui dès ma jeunesse… tu m’as choisi dès le ventre de ma mère… tu as été mon secours et ma force. » Mais en réalité, le psaume 70 n’a pas été écrit pour Jérémie. Nous entendons bien quelqu’un parler à la première personne, mais, comme toujours dans les psaumes, ce JE est collectif. Le psaume est écrit à la première personne du singulier, mais il faut s’habituer à lire « Nous, peuple d’Israël, avec toute l’expérience spirituelle qui est la nôtre depuis Abraham, depuis Moïse… »
C’est l’expérience d’Israël qui est décrite sous forme de comparaisons, traduite en images, peinte comme le portrait d’un individu particulier. C’est ce que l’on appelle le phénomène du « Revêtement » que nous connaissons bien : par exemple, nous avons déjà rencontré plusieurs psaumes dans lesquels Israël est comparé à un lévite, tellement heureux d’avoir été choisi pour le service de Dieu et du Temple : « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, tu es mon héritage… » (Ps 15-16).
Ici, dans notre psaume d’aujourd’hui, c’est bien Israël qui parle : « SEIGNEUR mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse. Toi, mon soutien dès avant ma naissance, tu m’as choisi dès le ventre de ma mère. Pour beaucoup, je fus comme un prodige ; tu as été mon secours et ma force. Je n’avais que ta louange à la bouche, tout le jour, ta splendeur. » On voit bien de quoi il s’agit, toute la longue expérience que le peuple élu a faite de la présence constante de Dieu à ses côtés, si j’ose dire.
Mais ces verbes au passé (par exemple « je fus comme un prodige ») nous surprennent un peu ; on a envie de demander : « c’est donc fini ? » Alors il faut aller lire le reste de ce psaume ; et effectivement, le ton change : très clairement, ce psaume est écrit dans un moment de détresse. (Là on voit bien le danger de lire seulement quelques versets hors de leur contexte).
Dans les versets que nous ne lisons pas aujourd’hui, Israël est représenté comme une vieille épouse qui supplie celui qui l’a aimée quand elle était belle et jeune de ne pas l’abandonner. « Aux jours de la vieillesse et des cheveux blancs, ne me rejette pas, ô mon Dieu. » (v. 18).
Ce n’est pas l’image elle-même qui nous étonne : ce n’est pas la première fois que l’Alliance d’Israël est comparée à des fiançailles ou à un mariage. Mais ici, visiblement ce ne sont pas les joies du mariage qui sont évoquées ; à travers les lignes, on devine que l’épouse traverse une expérience douloureuse : celle de la vieillesse flétrie, abandonnée, en butte à l’arrogance des plus jeunes, dont c’est le tour aujourd’hui d’être belles, adulées, aimées : « Ne me rejette pas maintenant que j’ai vieilli ; alors que décline ma vigueur, ne m’abandonne pas. » (v. 9).
Mais, bien sûr, il ne s’agit que d’une comparaison, les noces sont une manière de parler de l’Alliance que Dieu a conclue avec Israël ; ce qui est décrit comme l’abandon de la vieille épouse par son époux, c’est la période de l’Exil à Babylone. Là, effectivement, on a parfois été tentés de croire que Dieu avait abandonné son peuple ; et pendant ce temps, les ennemis d’Israël se frottaient les mains, en pensant qu’Israël serait bientôt rayé de la carte : « Mes ennemis parlent contre moi, ils me surveillent et se concertent. Ils disent : Dieu l’abandonne ! … Il n’a plus de défenseur ! »
Tout ceci donne à l’ensemble du psaume un aspect un peu curieux, parce qu’il est un mélange constant de supplication et de louange : au sein même de la détresse, de la vieillesse, du délaissement apparent, l’épouse garde espoir et ne cesse de faire des projets : « Je dirai aux hommes de ce temps ta puissance, à tous ceux qui viendront tes exploits (18)… En toi, SEIGNEUR, j’ai mon refuge : garde-moi d’être humilié pour toujours. Dans ta justice, défends-moi, libère-moi, tends l’oreille vers moi et sauve-moi. Sois le rocher qui m’accueille, toujours accessible ; tu as résolu de me sauver : ma forteresse et mon roc, c’est toi (1-3)… Toi qui m’as fait voir tant de maux et de détresses, tu me feras vivre à nouveau, à nouveau tu me tireras des abîmes de la terre, tu m’élèveras et me grandiras, tu reviendras me consoler. Et moi, je te rendrai grâce sur la harpe pour ta vérité, ô mon Dieu ! Je jouerai pour toi de ma cithare, Saint d’Israël ! Joie pour mes lèvres qui chantent pour toi, et dans mon âme que tu as rachetée ! » (20-23).
Dommage que la liturgie ne nous propose pas ce psaume plus souvent et en entier de préférence. Car il comporte de multiples résonances avec notre propre expérience. Dans la souffrance, la maladie, le deuil, nous connaissons bien ce mélange de sentiments ; le cri de la détresse, d’abord : « Mon Dieu, ne m’oublie pas, ne m’abandonne pas » ; et aussitôt, la peur d’offenser Dieu, alors nous ajoutons : « mais je sais bien que tu ne m’abandonnes jamais » ; ici le psaume dit : « tu as résolu de me sauver : ma forteresse et mon roc, c’est toi. » (3)
Mais pour continuer à espérer, le croyant a bien besoin de se rappeler tous les points d’appui de sa foi : « Mon Dieu, mon Rocher… SEIGNEUR mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse (5)… (en ce temps béni) je n’avais que ta louange à la bouche » (8)… sous-entendu je sais, j’affirme que ces jours bénis reviendront : « je revivrai les exploits du SEIGNEUR en rappelant que ta justice est la seule (16)… moi qui ne cesse d’espérer, j’ajoute encore à ta louange » (14).
C’est tout ce mélange d’expériences douloureuses, de souffrance, d’aveu des faiblesses passagères, mais aussi de foi retrouvée et d’espérance indéracinable qu’il faut entendre à travers les lignes que nous lisons ce dimanche : « SEIGNEUR mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse. »
—————————–
Complément
On entend aussi dans ce psaume l’écho d’une autre expérience triste, celle de la flétrissure de l’amour : « Je n’avais que ta louange à la bouche » : l’épouse (traduisez Israël) reconnaît implicitement que sa tendresse (traduisez sa ferveur) l’a abandonnée ; les choses se sont gâtées… Alors il ne reste plus qu’à espérer l’indulgence de l’époux, traduisez encore : même si l’amour du peuple pour son Dieu s’est affaibli au long du temps, que Dieu lui, n’abandonne pas son épouse « Aux jours de la vieillesse et des cheveux blancs, ne m’abandonne pas, ô mon Dieu. » (18).


DEUXIÈME LECTURE – Première lettre de saint Paul aux Corinthiens, 12, 31 – 13, 13


Frères,
12, 31 recherchez avec ardeur les dons les plus grands.
Et maintenant, je vais vous indiquer le chemin par excellence.
13, 1 J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges,
si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour,
je ne suis qu’un cuivre qui résonne,
une cymbale retentissante.
2 J’aurais beau être prophète,
avoir toute la science des mystères
et toute la connaissance de Dieu,
j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes,
s’il me manque l’amour,
je ne suis rien.
3 J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés,
j’aurais beau me faire brûler vif,
s’il me manque l’amour,
cela ne me sert à rien.
4 L’amour prend patience ;
l’amour rend service ;
l’amour ne jalouse pas ;
il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ;
5 il ne fait rien d’inconvenant ;
il ne cherche pas son intérêt ;
il ne s’emporte pas ;
il n’entretient pas de rancune ;
6 il ne se réjouit pas de ce qui est injuste,
mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ;
7 il supporte tout, il fait confiance en tout,
il espère tout, il endure tout.
8 L’amour ne passera jamais.
Les prophéties seront dépassées,
le don des langues cessera,
la connaissance actuelle sera dépassée.
9 En effet, notre connaissance est partielle,
nos prophéties sont partielles.
10 Quand viendra l’achèvement,
ce qui est partiel sera dépassé.
11 Quand j’étais petit enfant,
je parlais comme un enfant,
je pensais comme un enfant,
je raisonnais comme un enfant.
Maintenant que je suis un homme,
j’ai dépassé ce qui était propre à l’enfant.
12 Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ;
ce jour-là, nous verrons face à face.
Actuellement, ma connaissance est partielle ;
ce jour-là, je connaîtrai parfaitement,
comme j’ai été connu.
13 Ce qui demeure aujourd’hui,
c’est la foi, l’espérance et la charité ;
mais la plus grande des trois,
c’est la charité.


Dans les passages de la lettre aux Corinthiens que nous avons lus ces deux derniers dimanches, saint Paul énumérait les différents dons que l’Esprit Saint fait aux membres du Corps du Christ dans leur diversité. Mais, dit-il, le plus précieux des dons que nous fait l’Esprit-Saint c’est l’Amour. C’est lui qui donne valeur à tous les autres.
Ce n’est donc pas une leçon de morale que Paul nous dispense ici, mais la contemplation d’un mystère qui nous dépasse. Car, en fait, avant de parler de nous, ce texte de Paul parle d’abord de Dieu, il contemple le mystère de l’amour de Dieu ; à chaque fois que nous rencontrons le mot « Amour » dans ce texte, nous pourrions le remplacer par le mot « Dieu ».
« L’amour prend patience » ; oui, Dieu patiente avec son peuple, avec l’humanité, avec nous, lui pour qui « mille ans sont comme un jour, et un jour est comme mille ans », comme nous dit Pierre (2 P 3, 8) ; oui, « l’amour rend service », il suffit de regarder Jésus laver les pieds de ses disciples (Jn 13) ; oui encore, le peuple d’Israël a eu maintes occasions d’expérimenter que « l’amour (c’est-à-dire Dieu) ne garde pas rancune » : lui qui a pardonné à son peuple sans se lasser tout au long de l’histoire biblique. Jusqu’au jour où sur le visage du Christ en croix, nous avons pu voir la preuve de l’amour infini de Dieu et nous avons entendu ce jour-là les paroles suprêmes du pardon : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Et il ne nous a laissé qu’une seule consigne « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Heureusement pour nous, nous ne sommes pas laissés à nos seules forces pour cela, puisqu’il nous a transmis son Esprit : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Ro 5, 5). Ce qui veut dire que « l’amour même de Dieu est répandu en nous ». Voilà une bonne nouvelle, si nous voulons bien l’entendre. Alors ici, Paul fait l’inventaire du don qui nous est fait, le catalogue des possibilités infinies de dépassement qu’il nous offre : en quelque sorte, il nous dit : « Voilà ce que l’amour vous rend capables de faire ». Les quinze comportements que saint Paul énumère dans son inventaire, loin d’être des utopies, sont les réalités étonnantes que l’expérience fait découvrir : réellement, on le sait bien, l’amour et l’amour seul permet à ceux qui aiment, à ceux qui s’aiment, d’atteindre des sommets de patience, d’oubli de soi, de douceur, de transparence, de confiance totale, et en définitive, de joie profonde. C’est l’amour de Dieu, c’est-à-dire donné par Dieu, qui, seul, peut faire de nos communautés les témoins que le monde attend. Inversement, on peut lire dans ce texte de Paul un bon catalogue de critères pour juger nos comportements individuels et collectifs. En un temps où les mots (et les gestes) d’amour sont multipliés et galvaudés, une telle grille de discernement n’est peut-être pas superflue.
Paul insiste, c’est l’amour et lui seul qui fera de nous des adultes : « Quand viendra l’achèvement, ce qui est partiel disparaîtra. Quand j’étais un enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Maintenant que je suis un homme, j’ai fait disparaître ce qui faisait de moi un enfant. » On peut en déduire que toutes les autres qualités : la science, la générosité, et même la foi et le courage, le don des langues ou de prophétie, ne sont que des enfantillages au regard de la seule valeur qui compte, l’amour. Quand on pense à l’importance que les Corinthiens attachaient à l’intelligence, à la naissance, à la condition sociale, on mesure mieux l’audace des propos de Paul. Toutes ces soi-disant valeurs auxquelles nous tenons tant, nous aussi, ne sont que des balayures, comme Paul le dit ailleurs. Puisque les plus grandes vertus elles-mêmes ne sont rien si elles ne sont pas irriguées uniquement par l’amour de Dieu lui-même. Voilà qui remet les choses à leur place ; une fois de plus, on entend résonner les béatitudes : seuls les pauvres de cœur savent accueillir en eux les richesses de Dieu. Peut-être n’osons-nous pas assez compter sur ces possibilités infinies d’amour qui sont à notre disposition, pourvu que nous les sollicitions. L’Esprit est très discret, il attend peut-être que nous lui demandions son aide.


ÉVANGILE – selon saint Luc 4, 21- 30


En ce temps-là,
dans la synagogue de Nazareth,
après la lecture du livre d’Isaïe,
21 Jésus déclara :
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture,
que vous venez d’entendre. »
22 Tous lui rendaient témoignage
et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche.
Ils se disaient :
« N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
23 Mais il leur dit :
« Sûrement vous allez me citer le dicton :
Médecin, guéris-toi toi-même, et me dire :
Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm :
fais donc de même ici dans ton lieu d’origine ! »
24 Puis il ajouta :
« Amen, je vous le dis,
aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
25 En vérité, je vous le dis :
Au temps du prophète Élie,
lorsque pendant trois ans et demi
le ciel retint la pluie,
et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre,
il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
26 pourtant, Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles,
mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon,
chez une veuve étrangère.
27 Au temps du prophète Élisée,
il y avait beaucoup de lépreux en Israël ;
et aucun d’entre eux n’a été purifié,
mais bien Naaman, le Syrien. »
28 À ces mots, dans la synagogue,
tous devinrent furieux.
29 Ils se levèrent,
poussèrent Jésus hors de la ville,
et le menèrent jusqu’à un escarpement
de la colline où leur ville est construite,
pour le précipiter en bas.
30 Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.


« Aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays » : apparemment, ce dicton n’est pas d’aujourd’hui, puisque Jésus en cite un tout à fait équivalent : « Aucun prophète n’est bien reçu dans son pays », au moment où il est justement dans son propre pays, Nazareth, où il a grandi.
Si on y réfléchit, tout est étrange dans ce texte : d’abord, pourquoi, alors qu’il vient d’arriver dans son village natal, après une tournée triomphale dans les villages de la région, pourquoi Jésus met-il le sujet sur Capharnaüm ? Si l’on peut parler de « tournée triomphale », c’est parce que dans le début de cet évangile que nous avons lu dimanche dernier, Luc disait : « Lorsque Jésus, avec la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues des Juifs, et tout le monde faisait son éloge. » Luc ne dit rien de plus précis jusqu’à présent, mais Jésus doit avoir eu vent d’une certaine jalousie dans le cœur de ses compatriotes de Nazareth ; d’après sa phrase « nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm », nous devinons qu’il y a déjà eu des miracles à Capharnaüm. Et les habitants de Nazareth attendent bien d’en voir autant.
Ensuite, deuxième étrangeté de ce passage, pourquoi ce retournement de situation ? Jésus vient de faire la lecture du texte d’Isaïe, il a tranquillement affirmé « Cette parole de l’Écriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit », ce qui revient à affirmer « Je suis le Messie que vous attendez » et pour l’instant cela n’a soulevé aucun tollé. Luc nous dit simplement : « Tous lui rendaient témoignage ; et ils s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche. Ils se demandaient : N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Et il suffira de quelques paroles de Jésus pour les rendre furieux, au point qu’ils voudront se débarrasser de lui, une bonne fois pour toutes. On peut donc se demander ce que Jésus a dit de si extraordinaire et pourquoi il a jugé bon de le dire. En fait, il leur a asséné une leçon qui est dure à entendre ; elle tient en deux points : premièrement, si j’ai pu faire des miracles à Capharnaüm, c’est parce que ses habitants avaient une autre attitude. La fin de l’histoire prouve bien que Jésus n’a vu que trop juste : la violence de la réaction de ses compatriotes laisse entendre qu’ils n’étaient pas prêts à accueillir les dons de Dieu comme des dons.
Le deuxième point revient à dire « le salut n’est pas réservé aux fils d’Israël. Dieu s’intéresse aussi aux païens et ceux-ci sont parfois plus près du salut que ceux qui se disent croyants » : c’est ce qui se dégage des deux histoires d’Élie et Élisée. On trouve l’histoire d’Élie au premier Livre des Rois (1 R 17) : elle met en scène une veuve de la ville de Sarepta, en plein pays païen, la Phénicie ; Élie lui demande l’hospitalité, en période de sécheresse, et, malgré sa pauvreté, elle vient en aide au prophète étranger, dans lequel elle reconnaît un homme de Dieu. Cela a suffi pour qu’Élie accomplisse pour elle deux miracles ; d’abord il la sauve de la famine : on se souvient de la fameuse promesse d’Élie « jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre ». Quant au deuxième miracle, c’est la guérison de son fils unique. Cette païenne a su se montrer accueillante à ce prophète étranger au moment même où il était un paria et un exclu dans son propre pays. Bien lui en a pris !
L’histoire d’Élisée, elle, se trouve au Deuxième Livre des Rois (2 R 5) : Naaman est un général syrien ; par malheur il est atteint de la lèpre ; il a eu vent des talents de guérisseur du prophète Élisée et se rend chez lui en grande tenue, bardé de cadeaux et de recommandations. Mais Élisée le décevra un peu ; c’est seulement quand il aura accepté de se plier humblement aux ordres du prophète que Naaman sera guéri : « Va ! Lave-toi sept fois dans le Jourdain. » Il se soumet donc et il descend jusqu’au Jourdain : geste très simple qui lui paraît dérisoire, à lui, général, favori du roi de Damas… mais geste symbolique d’humilité et de soumission au prophète du Dieu d’Israël. On connaît la suite : il est guéri et bien sûr il se convertit au Dieu d’Israël.
Une païenne (la veuve de Sarepta), un général ennemi, païen, lépreux (Naaman) : aucun des deux ne peut prétendre avoir des droits sur le Dieu d’Israël… et ce sont ces pauvres qui ont été comblés ; Jésus n’ajoute pas, mais tout le monde comprend : « À bon entendeur salut ».
En quelques lignes, nous avons ici un raccourci de la vie de Jésus : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » dira saint Jean ; Luc le dit ici à sa manière en opposant l’attitude de Nazareth, sa ville natale, et celle de Capharnaüm (où il était au départ un inconnu) ; et cette opposition en préfigure une autre : l’opposition entre l’attitude de refus des Juifs (pourtant les destinataires du message des prophètes) et l’accueil de la Bonne Nouvelle par des païens ; comme la veuve de Sarepta, comme le général syrien Naaman, ce sont les non-Juifs qui feront le meilleur accueil au Messie. Mais la victoire définitive du Christ est déjà annoncée, symbolisée par sa maîtrise sur les événements : « Lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. »
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Complément
Jésus vient de faire à ses compatriotes une confidence : la confidence suprême, celle de sa mission. Sans doute a-t-il pensé que ceux qui l’avaient vu grandir, ses copains d’enfance, étaient les mieux placés pour accueillir son secret, pour lui faire confiance.
Quelle a dû être sa déception de se heurter à leur incompréhension, leur méfiance. C’est peut-être à la suite de cette expérience qu’il a désormais jalousement gardé son secret. Plus jamais il ne dira qu’il est le Messie. Ce n’est que bien plus tard qu’il acceptera la déclaration de Pierre à Césarée de Philippe.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 4e dimanche du temps ordinaire (31 janvier 2016)

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18 janvier 2016 1 18 /01 /janvier /2016 22:20

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Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 23 janvier 2016).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV

PREMIÈRE LECTURE – Néhémie 8, 2-4a. 5-6. 8-10


En ces jours là,
2 le prêtre Esdras apporta la Loi en présence de l’assemblée,
composée des hommes, des femmes,
et de tous les enfants en âge de comprendre.
C’était le premier jour du septième mois.
3 Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux,
fit la lecture dans le livre,
depuis le lever du jour jusqu’à midi,
en présence des hommes, des femmes,
et de tous les enfants en âge de comprendre :
tout le peuple écoutait la lecture de la Loi.
4 Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois,
construite tout exprès.
5 Esdras ouvrit le livre ;
tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée.
Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout.
6 Alors Esdras bénit le SEIGNEUR, le Dieu très grand,
et tout le peuple, levant les mains, répondit :
« Amen ! Amen ! »
Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le SEIGNEUR,
le visage contre terre.
7b Les Lévites expliquaient la Loi au peuple,
pendant que le peuple restait debout sur place.
8 Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu,
puis les Lévites traduisaient, donnaient le sens,
et l’on pouvait comprendre.
9 Néhémie, le gouverneur,
Esdras, qui était prêtre et scribe,
et les Lévites qui donnaient les explications,
dirent à tout le peuple :
« Ce jour est consacré au SEIGNEUR votre Dieu !
Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! » »
Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi.
10 Esdras leur dit encore :
« Allez, mangez des viandes savoureuses,
buvez des boissons aromatisées,
et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt.
Car ce jour est consacré à notre Dieu !
Ne vous affligez pas :
la joie du SEIGNEUR est votre rempart ! »


Nous qui n’aimons pas les liturgies qui durent plus d’une heure, nous serions servis ! Debout depuis le lever du jour jusqu’à midi ! Tous comme un seul homme, hommes, femmes et enfants ! Et tout ce temps à écouter des lectures en hébreu, une langue qu’on ne comprend plus. Heureusement, le lecteur s’interrompt régulièrement pour laisser la place au traducteur qui redonne le texte en araméen, la langue de tout le monde à l’époque, à Jérusalem. Et le peuple n’a même pas l’air de trouver le temps long : au contraire tous ces gens pleurent d’émotion et ils chantent, ils acclament inlassablement « AMEN » en levant les mains. Esdras, le prêtre, et Néhémie, le gouverneur, peuvent être contents : ils ont gagné la partie ! La partie, l’enjeu si l’on veut, c’est de redonner une âme à ce peuple. Car, une fois de plus, il traverse une période difficile.
Nous sommes à Jérusalem vers 450 av. J.-C. L’Exil à Babylone est fini, le Temple de Jérusalem est enfin reconstruit, (même s’il est moins beau que celui de Salomon), la vie a repris. Vu de loin, on pourrait croire que tout est oublié. Et pourtant, le moral n’y est pas. Ce peuple semble avoir perdu cette espérance qui a toujours été sa caractéristique principale. La vérité, c’est qu’il y a des séquelles des drames du siècle précédent. On ne se remet pas si facilement d’une invasion, du saccage d’une ville… On en garde des cicatrices pendant plusieurs générations. Il y a les cicatrices de l’Exil lui-même et il y a les cicatrices du retour. Car, avec l’Exil à Babylone on avait tout perdu et le retour tant espéré n’a finalement pas été magique, nous l’avons vu souvent. Je n’y reviens pas.
Le miracle, c’est que cette période fut terrible, oui, mais très féconde : car la foi d’Israël a survécu à cette épreuve. Non seulement ce peuple a gardé sa foi intacte pendant l’Exil au milieu de tous les dangers d’idolâtrie, mais il est resté un peuple et sa ferveur a grandi ; et cela grâce aux prêtres et aux prophètes qui ont accompli un travail pastoral inlassable. Ce fut par exemple une période intense de relecture et de méditation des Écritures. Un de leurs objectifs, bien sûr, pendant les cinquante ans de l’Exil, c’était de tourner tous les espoirs vers le retour au pays.
Du coup, la douche froide du retour n’en a été que plus dure. Car, du rêve à la réalité, il y a quelquefois un fossé… Le grand problème du retour, nous l’avons vu avec les textes d’Isaïe de la Fête de l’Épiphanie et du deuxième dimanche du temps ordinaire, c’est la difficulté de s’entendre : entre ceux qui reviennent au pays, pleins d’idéal et de projets et ceux qui se sont installés entre temps, ce n’est pas un fossé, c’est un abîme. Ce sont des païens, pour une part, qui ont occupé la place et leurs préoccupations sont à cent lieues des multiples exigences de la loi juive.
Depuis le retour, le problème est autre. On sait que ce sont des païens, pour une part, qui se sont installés à Jérusalem pendant la déportation de ses habitants. Et leurs préoccupations sont à cent lieues des multiples exigences de la loi juive.
On se souvient que la reconstruction du Temple s’est heurtée à leur hostilité, et les moins fervents de la communauté juive ont été bien souvent tentés par le relâchement ambiant. Ce qui inquiète les autorités, c’est ce relâchement religieux, justement ; et il ne cesse de s’aggraver à cause de très nombreux mariages entre Juifs et païens ; impossible de préserver la pureté et toutes les exigences de la foi dans ce cas. Alors Esdras, le prêtre, et Néhémie, le laïc, vont unir leurs efforts. Ils obtiennent tous les deux du maître du moment, le roi de Perse, Artaxerxès, une mission pour reconstruire les murailles de la ville et pleins pouvoirs pour reprendre en main ce peuple. Car on est sous domination perse, il ne faut pas l’oublier.
Esdras et Néhémie vont donc tout faire pour redresser la situation : il faut relever ce peuple, lui redonner le moral. Car la communauté juive a d’autant plus besoin d’être soudée qu’elle est désormais quotidiennement en contact avec le paganisme ou l’indifférence religieuse. Or, dans l’histoire d’Israël l’unité du peuple s’est toujours faite au nom de l’Alliance avec Dieu ; les points forts de l’Alliance, ce sont toujours les mêmes : la Terre, la Ville Sainte, le Temple, et la Parole de Dieu. La Terre, nous y sommes ; la ville sainte, Jérusalem, Néhémie le gouverneur va en achever la reconstruction ; le Temple, lui, est déjà reconstruit ; reste la Parole : on va la proclamer au cours d’une gigantesque célébration en plein air.
Tous les éléments sont réunis et on a soigné la mise en scène : c’est très important. La date elle-même a été choisie avec soin : on a repris la coutume des temps anciens, une grande fête à l’occasion de ce qui était alors la date du Nouvel An, « le premier jour du septième mois ». Et on a construit pour l’occasion une tribune en bois qui domine le peuple : c’est de là que le prêtre et les traducteurs font la proclamation. Quant à l’homélie, bien sûr, elle invite à la fête. Mangez, buvez, c’est un grand jour puisque c’est le jour de votre rassemblement autour de la Parole de Dieu. Le temps n’est plus aux larmes, fussent-elles d’émotion.
Retenons la leçon : pour ressouder leur communauté, Esdras et Néhémie ne lui font pas la morale, ils lui proposent une fête autour de la parole de Dieu. Rien de tel pour revivifier le sens de la famille que de lui proposer régulièrement des réjouissances !


PSAUME – 18 (19), 8. 9. 10. 15


8 La loi du SEIGNEUR est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du SEIGNEUR est sûre,
qui rend sages les simples.

9 Les préceptes du SEIGNEUR sont droits,
ils réjouissent le cœur ;
le commandement du SEIGNEUR est limpide,
il clarifie le regard.

10 La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du SEIGNEUR sont justes,
et vraiment équitables.

15 Accueille les paroles de ma bouche,
le murmure de mon cœur ;
qu’ils parviennent devant toi,
SEIGNEUR, mon Rocher, mon défenseur !


Nous avons déjà rencontré plusieurs fois ce psaume ; et nous avons donc eu l’occasion de dire l’importance de la Loi pour Israël, dans un sens extrêmement positif, et de la crainte de Dieu, une attitude elle aussi éminemment positive et filiale. Et nous avions relu plusieurs passages de l’Ancien Testament dans lesquels la Loi est présentée comme un chemin : si un fils d’Israël veut être heureux, il veillera à ne s’en écarter ni à droite ni à gauche.
Aujourd’hui, pour éclairer ce psaume, je vous propose de relire le livre du Deutéronome. C’est un texte relativement tardif : à une période où le royaume de Juda s’éloignait dangereusement de la pratique de la Loi, justement, ce livre a sonné comme un cri d’alarme ; sur le thème « si vous ne voulez pas qu’il vous arrive la catastrophe qui s’est abattue sur le royaume du Nord, vous feriez bien de changer de conduite. » C’est donc un rappel de tous les commandements de Moïse, et de ses mises en garde ; on y trouve toute une méditation sur le rôle de la Loi : elle n’a pas d’autre but que d’éduquer le peuple, le garder dans le droit chemin, comme on dit. Et si Dieu tient tellement à ce que son peuple se maintienne dans le droit chemin, c’est parce que c’est le seul moyen de vivre heureux en société et de remplir sa vocation de peuple élu parmi les nations. Le roi de Jérusalem, Josias, entreprenant une réforme religieuse en profondeur, vers 620 av. J.-C. s’est appuyé sur ce livre du Deutéronome.1
Premier paradoxe pour nous, peut-être, il ne fait de doute pour personne dans la Bible que la loi est un instrument de liberté. Nous, nous serions plutôt tentés de la voir comme un carcan ; l’image qui est donnée, c’est celle de l’aigle qui apprend à voler à ses petits. Voici ce que racontent les ornithologues qui ont observé les aigles dans le désert du Sinaï : quand les petits aiglons se lâchent, les parents restent dans les environs et planent au-dessus d’eux en traçant de larges cercles ; lorsque les petits aiglons sont fatigués, ils peuvent à tout moment se reposer (dans les deux sens du terme : se reposer et se re-poser) sur les ailes de leurs parents, pour s’élancer de nouveau ensuite, lorsqu’ils auront repris des forces. Le but de l’opération, évidemment, étant que les petits soient bientôt capables de se débrouiller tout seuls.
L’auteur biblique a pris cette image pour dire que Dieu donne sa loi aux hommes pour leur apprendre à voler de leurs propres ailes. Pas l’ombre d’une domination là-dedans, au contraire ; d’ailleurs, en libérant son peuple de l’esclavage en Égypte, Dieu a prouvé une fois pour toutes que son seul objectif est de libérer son peuple. Voici la phrase du livre du Deutéronome : « Le SEIGNEUR rencontre son peuple au pays du désert, dans les solitudes remplies de hurlements sauvages : il l’entoure, il l’instruit, il veille sur lui comme sur la prunelle de son œil. Il est comme l’aigle qui encourage sa nichée ; il plane au-dessus de ses petits, il déploie toute son envergure, il les prend et les porte sur ses ailes. » (Dt 32, 9 – 11).
Un Dieu qui veut l’homme libre ! C’est le message que l’on se transmet fidèlement d’une génération à l’autre : « Demain, quand ton fils te demandera : pourquoi ces exigences, ces lois et ces coutumes que le SEIGNEUR votre Dieu vous a prescrites ? » alors tu diras à ton fils : « nous étions esclaves du Pharaon en Égypte, mais, d’une main forte, le SEIGNEUR nous a fait sortir d’Égypte… Le SEIGNEUR nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois et de craindre le SEIGNEUR notre Dieu, pour que nous soyons heureux tous les jours et qu’il nous garde vivants comme nous le sommes aujourd’hui. » (Dt 6, 20 – 24).
Quand le roi Josias essaie de remettre son peuple sur le droit chemin, on voit bien l’intérêt qu’il éprouve à faire connaître ce livre qui répète sur tous les tons : le plus court chemin pour être un peuple libre et heureux, c’est la vie droite. Sous-entendu, si vos frères du Nord ont si mal fini, c’est parce qu’ils ont oublié cette vérité élémentaire. Or il en va non seulement du salut du royaume du Sud, ce qui est évidemment le premier souci de Josias, mais c’est le salut de l’humanité tout entière qui est en jeu, le salut de « toutes les familles de la terre » comme dit le livre de la Genèse. Comment le peuple élu pourra-t-il être témoin du Dieu libérateur s’il ne se comporte pas lui-même en peuple libre ? S’il retombe dans les éternelles tentations de l’humanité : l’idolâtrie, l’injustice sociale, les prises de pouvoir des uns ou des autres ?
Au long de l’histoire, les auteurs bibliques ont peu à peu pris conscience de cette responsabilité que Dieu a confiée à son peuple en lui proposant son Alliance : « Au SEIGNEUR notre Dieu sont les choses cachées, et les choses révélées sont pour nous et nos fils à jamais, pour que soient mises en pratique toutes les paroles de cette Loi. » (Dt 29, 28). Cela inspire à Israël une grande fierté, mais pas le moindre orgueil ; d’ailleurs, s’il en était besoin, le Deutéronome se charge de rappeler le peuple à l’humilité : « Si le SEIGNEUR s’est attaché à vous et s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de tous les peuples. » (Dt 7, 7) ; et encore « Reconnais que ce n’est pas parce que tu es juste que le SEIGNEUR ton Dieu te donne ce bon pays en possession, car tu es un peuple à la nuque raide. » (Dt 9, 6). Notre psaume reprend cette leçon d’humilité : « La charte du SEIGNEUR est sûre, qui rend sages les simples » ; jolie manière de dire que Dieu seul est sage ; pour nous, pas besoin de nous croire malins, laissons-nous guider tout simplement.
Il n’est donc demandé qu’une pratique humble et quotidienne ; c’est à la portée de tout le monde, cela aussi, le roi Josias a dû être bien content de le répéter pour encourager ses sujets (Dt 30, 11) : « Oui, ce commandement que je te donne aujourd’hui n’est pas trop difficile pour toi, il n’est pas hors d’atteinte. Il n’est pas au ciel ; on dirait alors : Qui va, pour nous, monter au ciel nous le chercher, (et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique) ? Il n’est pas non plus au-delà des mers ; on dirait alors : Qui va, pour nous, passer outre-mer nous le chercher (et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique) ? Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, pour que tu la mettes en pratique. »
Et alors, cette pratique humble et quotidienne de la Loi peut transformer peu à peu un peuple tout entier ; comme dit encore le psaume : « Le commandement du SEIGNEUR est limpide, il clarifie le regard. » À pratiquer les commandements, on apprend peu à peu à vivre en fils de Dieu, on apprend peu à peu à vivre en frères des hommes : pour le dire autrement, on apprend à regarder Dieu comme un Père et les hommes comme des frères.
——————————
Note
1 – À  vrai dire, le livre du Deutéronome, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est postérieur à Josias. Mais les bases en étaient déjà posées dans un manuscrit trouvé par les ouvriers de Josias au cours de travaux de restauration du Temple de Jérusalem. Ce manuscrit amené là probablement par des rescapés du royaume du Nord (après la chute de Samarie en 721) était une prédication musclée pour une véritable conversion et un retour à la pratique des commandements.


DEUXIÈME LECTURE – Première lettre de saint Paul aux Corinthiens, 12, 12-30


Frères,
prenons une comparaison :
12 le corps ne fait qu’un,
il a pourtant plusieurs membres ;
et tous les membres, malgré leur nombre,
ne forment qu’un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ.
13 C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous,
Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
nous avons été baptisés pour former un seul corps.
Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.
14 Le corps humain se compose non pas d’un seul
mais de plusieurs membres.
15 Le pied aurait beau dire :
« Je ne suis pas la main,
donc je ne fais pas partie du corps »,
il fait cependant partie du corps.
16 L’oreille aurait beau dire :
« Je ne suis pas l’oïl,
donc je ne fais pas partie du corps »,
elle fait cependant partie du corps.
17 Si, dans le corps, il n’y avait que les yeux,
comment pourrait-on entendre ?
S’il n’y avait que les oreilles,
comment pourrait-on sentir les odeurs ?
18 Mais, dans le corps,
Dieu a disposé les différents membres
comme il l’a voulu.
19 S’il n’y en avait en tout qu’un seul membre,
comment cela ferait-il un corps ?
20 En fait, il y a plusieurs membres
et un seul corps.
21 L’œil ne peut pas dire à la main :
« Je n’ai pas besoin de toi » ;
la tête ne peut pas dire aux pieds :
« Je n’ai pas besoin de vous ».
22 Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates
sont indispensables.
23 Et celles qui passent pour moins honorables,
ce sont elles que nous traitons avec plus d’honneur ;
celles qui sont moins décentes,
nous les traitons plus décemment ;
24 pour celles qui sont décentes, ce n’est pas nécessaire.
Mais en organisant le corps,
Dieu a accordé plus d’honneur
à ce qui en est dépourvu.
25 Il a voulu ainsi qu’il n’y ait pas de division dans le corps,
mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres.
26 Si un seul membre souffre,
tous les membres partagent sa souffrance ;
si un membre est à l’honneur,
tous partagent sa joie.
27 Or, vous êtes corps du Christ
et, chacun pour votre part,
vous êtes membres de ce corps.
28 Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Eglise,
il y a premièrement des apôtres,
deuxièmement des prophètes,
troisièmement ceux qui ont charge d’enseigner ;
ensuite, il y a les miracles,
puis les dons de guérison,
d’assistance, de gouvernement,
le don de parler diverses langues mystérieuses.
29 Tout le monde évidemment n’est pas apôtre,
tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ;
tout le monde n’a pas à faire des miracles,
30 à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter.


Autrement dit « À chacun son métier ; mais attention à ne pas vous mépriser mutuellement, rappelez-vous que tout le monde a besoin de tout le monde ». Ce long développement de Paul prouve au moins une chose, c’est que la communauté de Corinthe connaissait exactement les mêmes problèmes que nous. Pour donner une leçon à ses fidèles, Paul a recours à un procédé qui marche mieux que tous les discours, il leur propose une comparaison. À vrai dire, il ne l’a pas complètement inventée, mais c’est encore mieux : il utilise une fable que tout le monde connaissait et il l’adapte à son objectif. Cette fable s’appelait « La fable des membres et de l’estomac » (Elle existait déjà chez Esope, 700 ans avant notre ère et elle était connue au temps de saint Paul. Puisqu’on la trouve racontée dans « L’Histoire Romaine de Tite-Live » ; plus près de nous, d’ailleurs, La Fontaine l’a mise en vers) : comme toutes les fables, elle commence par « Il était une fois » : « Il était une fois » donc, un homme comme tous les autres… sauf que, chez lui, tous les membres parlaient et discutaient entre eux ! Et ils n’avaient pas tous bon caractère, apparemment. Et, probablement, certains devaient avoir l’impression d’être moins bien considérés ou un peu exploités.
Un jour, au cours d’une discussion, les pieds et les mains se sont révoltés contre l’estomac : parce que lui, l’estomac, il se contente de manger et de boire ce que les autres membres lui fournissent… Tout le plaisir est pour lui ! Ce n’est pas lui qui se fatigue à travailler, à cultiver la vigne, à faire les courses, à couper la viande, à mâcher et j’en oublie. Alors on a décidé tout simplement de faire la grève. Désormais plus personne ne bouge : l’estomac verra bien ce qui lui arrive ! Et s’il meurt de faim, rira bien qui rira le dernier… On n’avait oublié qu’une chose : si l’estomac meurt de faim, il ne sera pas le seul. Ce corps-là, comme tous les autres, faisait un tout, et tout le monde a besoin de tout le monde !
Saint Paul a donc repris dans le capital culturel de son temps un discours très facile à comprendre. Et, pour le cas où malgré tout, on ne comprendrait pas, il s’est donné la peine d’expliquer lui-même sa parabole du corps et des membres. Et pour lui, la morale de cette histoire, c’est : nos diversités sont notre chance, à condition d’en faire les instruments de l’unité.
Un des points marquants de ce développement de Saint Paul, c’est que, pas un instant, il ne parle en termes de hiérarchie ou de supériorité ! Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions bien humaines, tout cela ne compte plus : désormais une seule chose compte, notre Baptême dans l’unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d’infériorité. Les vues de Dieu sont tout autres : « Parmi vous il ne doit pas en être ainsi » disait Jésus à ses apôtres. Mais, avouons-le, ne plus penser en termes de supériorité, de hiérarchie, d’avancement, d’honneur, c’est bien difficile.
Paul, au contraire, insiste sur le respect dû à tous : simplement, parce que la plus haute dignité, la seule qui compte, c’est d’être un membre, quel qu’il soit, de l’unique corps du Christ. Le respect, au sens étymologique, c’est une affaire de regard : quelquefois les gens qui ne nous paraissent pas importants, nous ne les voyons même pas, notre regard ne s’attarde pas sur eux ! À  l’inverse, il nous est arrivé à tous de mesurer notre peu d’importance aux yeux de quelqu’un d’autre : son regard glisse sur nous comme si nous n’existions pas ! Il semble bien, tout compte fait, que saint Paul ici nous donne une formidable leçon de respect : respect des diversités, d’une part, et respect de la dignité de chacun quelle que soit sa fonction.
——————————
C’est Isaïe qui a cette phrase superbe : « Comme ils sont beaux les pieds des messagers des bonnes nouvelles ! » Peut-être pourrions-nous nous en inspirer ? Il est vrai qu’il suffit d’un petit effort pour découvrir ce que chacun de nous apporte d’original dans la vie de nos familles, de nos entreprises ou de nos groupes de toutes sortes. Certains d’entre nous sont les têtes pensantes, les chercheurs, les inventeurs, les organisateurs… Il y a ceux qui « ont du nez » comme on dit… il y a les clairvoyants… ceux qui ont le don de la parole et ceux qui sont meilleurs à l’écrit… il y a… et la liste pourrait s’allonger indéfiniment. Ceux d’entre nous qui ont eu la chance de vivre des expériences de réunions réussies, de collaborations fructueuses ne peuvent plus s’en passer. Et si notre lecture du deuxième dimanche (le début du chapitre 12) sonnait plutôt comme un plaidoyer pour la diversité, le développement d’aujourd’hui nous offre le deuxième volet.


ÉVANGILE – selon saint Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21


1, 1 Beaucoup ont entrepris de composer un récit
des événements qui se sont accomplis parmi nous,
2 d’après ce que nous ont transmis
ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires
et serviteurs de la Parole.
3 C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi,
après avoir recueilli avec précision des informations
concernant tout ce qui s’est passé depuis le début,
d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi,
4 afin que tu te rendes bien compte
de la solidité des enseignements que tu as entendus.

En ce temps-là,
4, 14 lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit,
revint en Galilée,
sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans les synagogues,
et tout le monde faisait son éloge.
16 Il vint à Nazareth où il avait été élevé.
Selon son habitude,
il entra dans la synagogue le jour du sabbat,
et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui remit le livre du prophète Isaïe.
Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
18 L’Esprit du Seigneur est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération,
et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue,
remettre en liberté les opprimés,
19 annoncer une année favorable
accordée par le Seigneur.
20 Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit.
Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il se mit à leur dire :
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture,
que vous venez d’entendre. »


Nous savons très peu de choses sur la manière dont les évangiles ont été écrits, et en particulier leur date : mais de ce que nous venons de lire, nous pouvons déduire quelques précisions ; il y a eu certainement une prédication orale avant que les évangiles soient écrits puisque Luc dit à Théophile qu’il veut lui permettre de vérifier « la solidité des enseignements qu’il a reçus. » Luc reconnaît également ne pas avoir été un témoin oculaire des événements ; il n’a pu que s’informer auprès des témoins oculaires, ce qui suppose qu’ils sont encore vivants quand il écrit. On peut donc supposer que la prédication de la Résurrection du Christ a commencé dès la Pentecôte et que l’évangile de Luc a été mis par écrit plus tard, mais avant la mort des derniers témoins oculaires, ce qui donne une date limite vers 80 – 90 de notre ère.
Le récit que nous lisons aujourd’hui se situe après le baptême de Jésus et le récit de ses tentations au désert. Apparemment, tout va pour le mieux pour le nouveau prédicateur ; je vous rappelle la phrase de Luc : « Lorsque Jésus, avec la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues des Juifs, et tout le monde faisait son éloge. » Tout s’annonçait bien ce matin-là : Jésus est un bon Juif comme les autres : il rentre de voyage, et comme tout bon Juif, le samedi matin venu, il va à l’office à la synagogue.
Rien d’étonnant non plus à ce qu’on lui confie une lecture, puisque tout fidèle a le droit de lire les Écritures. La célébration à la synagogue se déroule donc tout à fait normalement… jusqu’au moment où Jésus lit la lecture du jour qui se trouvait être ce texte bien connu du prophète Isaïe et, dans le grand silence fervent qui suit la lecture, il affirme tranquillement une énormité : « Cette parole que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Il y a certainement eu un temps de silence, le temps qu’on ait compris ce qu’il veut dire. Tous, dans la synagogue, s’attendaient bien à ce que Jésus fasse un commentaire, puisque c’était la coutume, mais pas celui-là !
Nous avons du mal à imaginer l’audace que représente cette affirmation si tranquille de Jésus ; car, pour tous ses contemporains, ce texte vénérable du prophète Isaïe concernait le Messie. Seul le Roi-Messie, quand il viendrait, pourrait se permettre de dire : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction… » Car, dès le début de la monarchie, le rituel du sacre des rois a comporté un rite d’onction d’huile. Cette onction était le signe que Dieu lui-même inspirait le roi en permanence pour qu’il soit capable d’accomplir sa mission de sauver le peuple. On disait alors que le roi était « mashiah », un mot hébreu qui signifie tout simplement « frotté d’huile ». C’est ce mot « mashiah » qui se traduit « messie » en français, « christos » en grec. À l’époque de Jésus, il n’y avait plus de roi sur le trône de Jérusalem mais on attendait que Dieu envoie enfin le roi idéal qui apporterait à son peuple la liberté, la justice et la paix. En particulier, dans la Palestine alors occupée par les Romains, on attendait celui qui nous délivrerait de l’occupation romaine.
Clairement, Jésus de Nazareth, le fils du charpentier, ne pouvait prétendre être ce Roi-Messie qu’on attendait. Soyons francs, Jésus n’a pas fini d’étonner ses contemporains : il est bien le Messie qu’on attendait, mais tellement différent de ce qu’on attendait ! Luc, pour aider ses lecteurs, a bien pris soin dès le début de son livre, de leur dire d’entrée de jeu qu’il s’est informé soigneusement de tout depuis les origines ; et, d’autre part, il a souligné en introduction à ce passage que Jésus était accompagné de la puissance de l’Esprit, ce qui était bien la caractéristique du Messie. Mais c’est Luc, le Chrétien, qui l’affirme, les habitants de Nazareth, eux, ne savent pas que, réellement, l’Esprit du Seigneur repose sur Jésus.
Dernière remarque sur cet évangile : la citation d’Isaïe que Jésus reprend à son compte sonne comme un véritable discours-programme : « L’Esprit du Seigneur est sur moi… Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » Voilà l’œuvre de l’Esprit à travers ceux qu’il a consacrés. Nous qui cherchons quelquefois des critères de discernement, nous voilà servis ; car ce qui est dit du Christ est valable pour tous les confirmés que nous sommes, à notre humble mesure, bien sûr.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 3e dimanche du temps ordinaire (24 janvier 2016)

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11 janvier 2016 1 11 /01 /janvier /2016 21:37

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Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 16 janvier 2016).

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PREMIÈRE LECTURE – Isaïe 62, 1-5


1 Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas,
et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse
que sa justice ne paraisse dans la clarté,
et son salut comme une torche qui brûle.
2 Et les nations verront ta justice ;
tous les rois verront ta gloire.
On te nommera d’un nom nouveau,
que la bouche du SEIGNEUR dictera.
3 Tu seras une couronne brillante dans la main du SEIGNEUR,
un diadème royal entre les doigts de ton Dieu.
4 On ne te dira plus « Délaissée ! »,
À  ton pays, nul ne dira « Désolation ! »
Toi, tu seras appelée « Ma Préférence ! »
cette terre se nommera « L’épousée ».
Car le SEIGNEUR t’a préférée,
et cette terre deviendra « L’Epousée ».
5 Comme un jeune homme épouse une vierge,
ton Bâtisseur t’épousera.
Comme la jeune mariée fait la joie de son mari,
tu seras la joie de ton Dieu.


Le prophète Isaïe ne manquait pas d’audace ! À  deux reprises, dans ces quelques versets, il a employé le mot « désir » (au sens de désir amoureux) pour traduire les sentiments de Dieu à l’égard de son peuple. Les mots « ma préférée » et « préférence » sont trop faibles ; il faudrait traduire : On ne t’appellera plus « la délaissée », on n’appellera plus ta contrée « terre déserte », mais on te nommera « ma désirée » (littéralement mon désir est en toi), on nommera ta contrée « mon épouse », car le SEIGNEUR met en toi son désir et ta contrée aura un époux.
Car ce que nous avons entendu ici est une véritable déclaration d’amour ! Un fiancé n’en dirait pas davantage à sa bien-aimée. Tu seras ma préférée, mon épouse… Tu seras belle comme une couronne, comme un diadème d’or entre mes mains… tu seras ma joie… Et pour cette déclaration, vous avez remarqué la beauté du vocabulaire, la poésie qui émane de ce texte. On y retrouve le parallélisme des phrases, si caractéristique des psaumes. « Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas / pour Sion je ne prendrai pas de repos… Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du SEIGNEUR / (tu seras) un diadème royal dans la main de ton Dieu… on te nommera « ma préférée » / on nommera ta contrée « mon épouse ».
Cinq siècles avant Jésus-Christ, déjà, le prophète Isaïe allait donc jusque-là ! Car on pourrait vraiment appeler ce texte le « poème d’amour de Dieu ». Et Isaïe n’est pas le premier à avoir cette audace.
Il est vrai qu’au tout début de la Révélation biblique, les premiers textes de l’Ancien Testament n’emploient pas du tout ce langage. Pourtant, si Dieu aime l’humanité d’un tel amour, c’était déjà vrai dès l’origine. Mais c’était l’humanité qui n’était pas prête à entendre. La Révélation de Dieu comme Époux, tout comme celle de Dieu-Père n’a pu se faire qu’après des siècles d’histoire biblique.
Au début de l’Alliance entre Dieu et son peuple, cette notion aurait été trop ambiguë. Les autres peuples ne concevaient que trop facilement leurs dieux à l’image des hommes et de leurs histoires de famille ; dans une première étape de la Révélation, il fallait donc déjà découvrir le Dieu tout-Autre que l’homme et entrer dans son Alliance.
C’est le prophète Osée, au huitième siècle av. J.-C., qui, le premier, a comparé le peuple d’Israël à une épouse ; et il traitait d’adultères les infidélités du peuple, c’est-à-dire ses retombées dans l’idolâtrie. À  sa suite Jérémie, Ézéchiel, le deuxième Isaïe et le troisième Isaïe (celui que nous lisons aujourd’hui) ont développé ce thème des noces entre Dieu et son peuple ; et on retrouve chez eux tout le vocabulaire des fiançailles et des noces : les noms tendres, la robe nuptiale, la couronne de mariée, la fidélité, mais aussi la jalousie, l’adultère, les retrouvailles. En voici quelques extraits, par exemple chez Osée : « tu m’appelleras mon mari… je te fiancerai à moi pour toujours… dans l’amour, la tendresse, la fidélité. » (Os 2,18.21). Et chez le deuxième Isaïe « Ton époux sera ton Créateur… Répudie-t-on la femme de sa jeunesse ?… dans mon amour éternel, j’ai pitié de toi. » (Is 54, 5…8). Le texte le plus impressionnant sur ce sujet, c’est évidemment le Cantique des Cantiques : il se présente comme un long dialogue amoureux, composé de sept poèmes ; pour être franc, nulle part les deux amoureux ne sont identifiés ; mais les Juifs le comprennent comme une parabole de l’amour de Dieu pour l’humanité ; la preuve, c’est qu’ils le lisent tout spécialement pendant la célébration de la Pâque, qui est pour eux la grande fête de l’Alliance de Dieu avec son peuple, et, à travers son peuple, avec toute l’humanité.
Pour revenir au texte d’aujourd’hui, l’un des passe-temps préférés, apparemment, du bien-aimé est de donner des noms nouveaux à sa bien-aimée. Vous savez l’importance du Nom dans les relations humaines : quelqu’un ou quelque chose que je ne sais pas nommer n’existe pas pour moi… Savoir nommer quelqu’un, c’est déjà le connaître ; et quand notre relation avec une personne s’approfondit, il n’est pas rare que nous éprouvions le besoin de lui donner un surnom, parfois connu de nous seuls. Dans la vie des couples, ou des familles, les diminutifs et les surnoms tiennent une grande place. Quand nous choisissons le prénom d’un enfant, par exemple, c’est très révélateur : nous faisons porter sur lui beaucoup d’espoirs ; souvent même, si on y regarde bien, c’est tout un programme.
La Bible traduit cette expérience fondamentale de la vie humaine ; et le nom y a une très grande importance ; il dit le mystère de la personne, son être profond, sa vocation, sa mission : très souvent, on nous indique le sens du nom des personnages principaux. Par exemple, l’ange annonçant la naissance de Jésus précise aussitôt que ce nom veut dire : « Dieu sauve » ; c’est-à-dire que cet enfant qui porte ce nom-là sauvera l’humanité au nom de Dieu. Et parfois Dieu donne un nom nouveau à quelqu’un en même temps qu’il lui confie une mission nouvelle : Abram devient Abraham, Saraï devient Sara, Jacob devient Israël et Simon devient Pierre.
Ici donc, c’est Dieu qui donne des noms nouveaux à Jérusalem : la « délaissée » devient la « Préférée », le pays de « désolation » devient « L’épousée » ; effectivement, le peuple juif pouvait avoir l’impression d’être délaissé par Dieu. Ce chapitre 62 d’Isaïe a été écrit dans le contexte du retour d’Exil. On est rentré de l’Exil (à Babylone) en 538 et le Temple n’a commencé à être reconstruit qu’en 521 : c’est dans ce délai que la morosité s’installe et l’impression de délaissement. Si Dieu s’occupait de nous, pense-t-on, les choses iraient mieux et plus vite (il nous arrive bien de dire exactement la même chose : « s’il y avait un Bon Dieu, ces choses-là n’arriveraient pas » …). C’est pour combattre cette désespérance qu’Isaïe, inspiré par Dieu, ose ce texte magnifique : non, Dieu n’a pas oublié son peuple et sa ville de prédilection ; et dans peu de temps cela se saura ! « Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu. »


PSAUME – 95  (96), 1-2a, 2b-3. 7-8a, 9a-10


1 Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
chantez au SEIGNEUR, terre entière,
2 chantez au SEIGNEUR et bénissez son Nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
3 racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

7 Rendez au SEIGNEUR, familles des peuples,
rendez au SEIGNEUR, la gloire et la puissance,
8 rendez au SEIGNEUR la gloire de son Nom.

9 Adorez le SEIGNEUR, éblouissant de sainteté.
10 Allez dire aux nations : le SEIGNEUR est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.


Il n’est question, ici, que de la gloire de Dieu, son salut, ses merveilles, sa puissance : « Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau… chantez au SEIGNEUR et bénissez son Nom ! De jour en jour, proclamez son salut… » Rien d’étonnant, ici : cette invitation à chanter la gloire de Dieu est une chose habituelle en Israël où l’on ne cesse de « faire mémoire », comme on dit, de l’œuvre de Dieu, au long des siècles, pour libérer son peuple de tout ce qui peut entraver son bonheur.
Oui, « de jour en jour, Israël proclame son salut »… de jour en jour Israël fait mémoire de l’œuvre de Dieu, de ses merveilles, c’est-à-dire son œuvre incessante de libération… de jour en jour Israël témoigne que Dieu l’a libéré de l’Égypte d’abord, puis de toutes les sortes d’esclavage : et le plus terrible des esclavages, c’est de se tromper de Dieu, c’est de mettre sa confiance dans de fausses valeurs, des faux dieux qui ne peuvent que décevoir, des idoles…

Parce qu’Israël a cette chance immense, cet honneur inouï, ce bonheur de savoir et d’être chargé de dire que « le SEIGNEUR notre Dieu, l’Éternel, est le seul Dieu, est le Dieu UN » (comme le dit la profession de foi juive, le « shema Israël ») et que la foi en lui est le seul chemin de bonheur pour l’homme. Voilà le message qu’Israël lance au monde : « Allez dire aux nations : Le SEIGNEUR est roi !… »
Je reprends l’expression : « Allez dire aux nations ». Les « nations », en langage biblique, c’est l’ensemble des autres peuples, ceux que l’on appelle les goyîm, c’est-à-dire le reste de l’humanité, les « incirconcis » comme disait saint Paul. Arrêtons-nous d’abord sur ce mot « gôyîm ». Selon les textes, ce mot semble chargé de plusieurs sens contradictoires : dans certains textes, il est carrément péjoratif ; le livre du Deutéronome, par exemple, parle des « abominations des nations ». Mais c’est parce qu’il vise leur polythéisme, leurs pratiques religieuses en général, et les sacrifices humains en particulier. À  la première étape de la pédagogie biblique où il s’agit pour le peuple élu de s’attacher à Dieu sans partage, de découvrir le vrai visage du Dieu unique, il faut se garder de tout contact avec les « nations » : elles resteront longtemps un risque de contagion de l’idolâtrie. Et l’histoire d’Israël a prouvé maintes fois que ce risque est réel ! De plus, dans la mentalité de l’époque, où les divinités étaient censées faire la guerre aux côtés de leurs peuples, on n’aurait pas pu imaginer un Dieu qui prenne le parti de tous les belligérants à la fois !
Mais, dans ce psaume, au contraire, le mot « nations » n’est plus péjoratif : les « nations » ce sont tous ceux qui ne font pas partie du peuple d’Israël et auxquels la Bonne Nouvelle du salut de Dieu est également destinée, tout autant qu’au peuple élu. Bien sûr, si ce psaume peut parler d’une manière aussi positive, cela veut dire qu’il aurait été composé relativement tardivement, probablement après l’Exil à Babylone. Puisque l’auteur peut imaginer qu’un jour, les peuples autres qu’Israël bénéficieront eux aussi du salut de Dieu.
Car c’est pendant la période de déportation de la population de Jérusalem à Babylone que les hommes de la Bible ont définitivement compris que Dieu est réellement unique, qu’il est le Dieu de tout l’univers et de toute l’humanité et que, par conséquent, son salut, son œuvre, ses merveilles ne sont pas réservés à Israël.
Mais, pour en arriver là, il a fallu tout un long et patient travail de la pédagogie de Dieu pour amener les membres du peuple élu à ouvrir leur cœur, à accepter que leur Dieu soit aussi le Dieu de tous les hommes, aussi occupé (si j’ose dire) à faire le bonheur des autres que le leur. Et le peuple élu a compris peu à peu qu’il est le frère aîné, pas le fils unique : son rôle était justement d’ouvrir la voie à ses cadets, dans la longue marche de l’humanité à la rencontre de son Dieu. Un jour viendra où tous les peuples sans exception reconnaîtront Dieu comme le seul Dieu. L’humanité tout entière mettra sa confiance en lui seul : le psaume tout entier a cette dimension universelle. Ce jour-là, enfin, s’accomplira la promesse faite à Abraham : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ».
Les versets que nous lisons aujourd’hui sont pleins de cet espoir que les « nations » vont entendre la Bonne Nouvelle : « Rendez au SEIGNEUR, familles des peuples, rendez au SEIGNEUR, la gloire et la puissance, rendez au SEIGNEUR la gloire de son Nom. »
Les derniers versets, eux, sont comme une sorte d’anticipation de la fin des temps. Ce jour-là, c’est la Création tout entière qui chantera la gloire de Dieu : « Joie au ciel ! Exulte la terre ! Les masses de la mer mugissent, la campagne tout entière est en fête. Les arbres des forêts dansent de joie devant la face du SEIGNEUR ». Vous avez déjà vu des arbres danser ? Et bien oui, ce jour-là ils danseront ! Et la mer mugira, et la campagne tout entière sera en fête ! C’est nous qui sommes aveugles de n’avoir pas encore reconnu notre Dieu !
Bien sûr, si on y réfléchit, c’est normal ! Les mers sont moins bêtes que les hommes ! Elles, elles savent qui les a faites, qui est leur créateur ! Elles mugissent pour Lui, elles l’acclament à leur manière. Les arbres des forêts sont moins bêtes que les hommes : ils savent reconnaître leur créateur : parmi des tas d’idoles, de faux dieux, pour eux, il n’y a pas d’erreur possible, les arbres ne s’y laissent pas prendre.
Mais revenons sur terre ! Je disais que ce psaume anticipe ! Tout cela est encore du domaine du rêve : pour l’instant, la Bonne Nouvelle n’a pas encore pénétré toutes les nations. En attendant, on est dans le présent ! Et le présent n’est pas si facile ; il faut tenir bon dans la foi et il faut témoigner de cette foi à la face des nations. Tenir bon dans la foi, c’est un choix à refaire sans cesse : l’une des strophes que nous ne lisons pas ce dimanche en porte la trace : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, redoutable au-dessus de tous les dieux : néant, tous les dieux des nations ! » Si on affirme que les dieux des nations ne sont que néant, c’est qu’il faut encore et toujours s’en persuader, refuser de retomber dans l’idolâtrie. Combat jamais complètement gagné.
Tout bien réfléchi, ce psaume n’est-il pas terriblement d’actualité ?
 

DEUXIÈME LECTURE – Première lettre de saint Paul aux Corinthiens, 12, 4 – 11


Frères,
4 les dons de la grâce sont variés,
mais c’est le même Esprit.
5 Les services sont variés,
mais c’est le même Seigneur.
6 Les activités sont variées,
mais c’est le même Dieu
qui agit en tout et en tous.
7 À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit
en vue du bien.
8 À  celui-ci est donnée, par l’Esprit,
une parole de sagesse ;
à un autre, une parole de connaissance
selon le même Esprit ;
9 un autre reçoit, dans le même Esprit,
un don de foi ;
un autre encore, dans l’unique Esprit,
des dons de guérison ;
10 à un autre est donné d’opérer des miracles,
à un autre de prophétiser,
à un autre de discerner les inspirations ;
à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ;
à l’autre de les interpréter.
11 Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit :
il distribue ses dons, comme il le veut,
à chacun en particulier.


La lettre aux Corinthiens date de vingt siècles et elle n’a pas pris une ride ! Au contraire, elle est complètement d’actualité : comment faire pour rester Chrétiens dans un monde qui a des valeurs tout autres ? Comment trier, dans les idées qui circulent, celles qui sont compatibles avec la foi chrétienne ? Comment cohabiter avec des non-Chrétiens sans manquer à la charité ? Mais aussi sans y perdre notre âme, comme on dit ? Le monde tout autour parle de sexe et d’argent… Comment l’évangéliser ? C’étaient les questions des Chrétiens de Corinthe convertis de fraîche date dans un monde majoritairement païen ; ce sont les nôtres, aujourd’hui, Chrétiens de souche ou non, mais dans une société qui ne privilégie plus les valeurs chrétiennes.
Les réponses de Paul nous concernent donc presque toutes. Il parle des divisions dans la communauté, des problèmes de la vie conjugale, notamment quand les deux époux ne partagent pas la même foi, du cap à tenir au milieu de tous les marchands d’idées nouvelles : sur tous ces points, il remet les choses à leur place. Mais comme toujours, quand il parle de choses très concrètes, il rappelle d’abord le fondement des choses, qui est notre Baptême : comme disait Jean-Baptiste, par le Baptême, nous avons été plongés dans le feu de l’Esprit (Mt 3, 11), et désormais c’est l’Esprit qui se réfracte à travers nous selon nos propres diversités. Paul ne dit pas autre chose : « Celui qui agit en tout cela, c’est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté. »
À  Corinthe, comme dans tout le monde hellénistique, on adorait l’intelligence, on rêvait de découvrir la sagesse, on parlait partout de philosophie. À  ces gens qui rêvaient de découvrir la sagesse par eux-mêmes et par la rigueur de leurs raisonnements, Paul répond : la vraie sagesse, la seule connaissance qui compte, n’est pas au bout de nos discours : elle est un don de Dieu. « À  celui-ci est donné, grâce à l’Esprit, le langage de la sagesse de Dieu ; à un autre, toujours par l’Esprit, le langage de la connaissance de Dieu. » Il n’y a pas de quoi s’enorgueillir, tout est cadeau. Le mot « don » revient sept fois ! Dans la Bible, ce n’est pas nouveau ! Ici, Paul ne fait que reprendre en termes chrétiens ce que son peuple avait découvert depuis longtemps, à savoir que seul Dieu connaît et peut faire découvrir la vraie sagesse. La nouveauté du discours de Paul est ailleurs : elle consiste à parler de l’Esprit comme d’une Personne.
Plus profondément, Paul se démarque totalement par rapport aux recherches philosophiques des uns et des autres : il ne propose pas une nouvelle école de philosophie, une de plus… Il annonce Quelqu’un. Car les dons qui sont ainsi distribués aux membres de la communauté chrétienne ne sont pas de l’ordre du pouvoir ni du savoir, ils sont une présence intérieure : le nom de l’Esprit est cité huit fois dans ce passage. Finalement, ce texte est adressé aux Corinthiens, mais il ne parle pas d’eux, il parle exclusivement de l’Esprit à l’œuvre dans la communauté chrétienne ; et qui, patiemment, inlassablement, nous tourne vers notre Père (il nous souffle de dire « Abba » – Père) et il nous tourne vers nos frères.
Pour que les choses soient bien claires, Paul précise : « Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous ». On sait que les Corinthiens étaient avides de phénomènes spirituels extraordinaires, mais saint Paul leur rappelle l’unique objectif : c’est le bien de tous. Car l’objectif de l’Esprit, ce n’est rien d’autre puisqu’il est l’Amour personnifié. Et alors, dans ses mains, si j’ose dire, nous devenons des instruments d’une infinie variété par la grâce de celui qui est le Dieu Un : « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. »
Telle est la merveille de nos diversités : elles nous rendent capables, chacun à sa façon, de manifester l’Amour de Dieu. Une des leçons de ce texte de saint Paul est certainement d’apprendre à nous réjouir de nos différences. Elles sont les multiples facettes de ce que l’Amour nous rend capables de faire selon l’originalité de chacun. Réjouissons-nous donc de la variété des races, des couleurs, des langues, des dons, des arts, des inventions… C’est ce qui fait la richesse de l’Église et du monde à condition de les vivre dans l’amour.
C’est comme un orchestre : une même inspiration… des expressions différentes et complémentaires, des instruments différents et voilà une symphonie… une symphonie à condition de jouer tous dans la même tonalité… c’est quand nous ne jouons pas tous dans le même ton qu’il y a une cacophonie ! La symphonie dont il est question ici c’est le chant d’amour que l’Église est chargée de chanter au monde : disons « l’hymne à l’Amour » comme on dit « l’hymne à la joie » de Beethoven. Notre complémentarité dans l’Église n’est pas une affaire de rôles, de fonctions, pour que l’Église vive avec un organigramme bien en place… C’est beaucoup plus grave et plus beau que cela : il s’agit de la mission confiée à l’Église de révéler l’Amour de Dieu : c’est notre seule raison d’être.


ÉVANGILE – selon saint Jean 2, 1 – 11


En ce temps-là,
1 il y eut un mariage à Cana de Galilée.
La mère de Jésus était là.
2 Jésus aussi avait été invité au mariage
avec ses disciples
3 Or, on manqua de vin ;
la mère de Jésus lui dit :
« Ils n’ont pas de vin. »
4 Jésus lui répond :
« Femme, que me veux-tu ?
Mon Heure n’est pas encore venue. »
5 Sa mère dit à ceux qui servaient :
« Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
6 Or, il y avait là six jarres de pierre
pour les purifications rituelles des Juifs ;
chacune contenait deux à trois mesures (c’est-à-dire environ cent litres).
7 Jésus dit à ceux qui servaient :
« Remplissez d’eau les jarres. »
Et ils les remplirent jusqu’au bord.
8 Il leur dit :
« Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. »
Ils lui en portèrent.
9 Et celui-ci goûta l’eau changée en vin.
Il ne savait pas d’où venait ce vin,
mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau.
10 Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit :
« Tout le monde sert le bon vin en premier,
et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon.
Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
11 Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit.
C’était à Cana de Galilée.
Il manifesta sa gloire,
et ses disciples crurent en lui.


Il faut nous habituer à la manière d’écrire de Jean l’évangéliste ! C’est entre les lignes que les choses importantes sont dites ! Pour lui, ce premier « signe » (comme il dit) de Jésus à Cana est très important : il évoque à lui tout seul le grand mystère du projet de Dieu sur l’humanité, mystère de Création, mystère d’Alliance, mystère de Noces. Ce que nous appelons le Prologue, chez Jean, c’est-à-dire le tout début de son premier chapitre, était une grande méditation sur ce mystère ; le texte qui nous rapporte le miracle de Cana est exactement la même méditation, mais sur le mode du récit, cette fois. Comme si ces deux textes, au début de l’évangile, devaient nous introduire à la compréhension de tout ce qui va suivre. Je vous propose donc de lire le récit des noces de Cana à la lumière du Prologue.
Qu’y a-t-il eu entre les deux ? Des événements qui composent ce que l’on appelle la « semaine inaugurale » de la vie publique de Jésus. Elle commence auprès de Jean-Baptiste au bord du Jourdain où des Pharisiens sont venus l’interroger sur sa mission ; et déjà Jean-Baptiste annonçait la venue de Jésus ; le lendemain, Jean-Baptiste a la joie de voir Jésus lui-même venir vers lui et il reconnaît en lui « le Fils de Dieu, celui qui baptise dans l’Esprit Saint ». Le lendemain encore, (et c’est Jean qui donne la précision comme s’il disait « il y eut un soir, il y eut un matin »), nouvelle rencontre au bord de l’eau : cette fois, ce sont deux disciples de Jean-Baptiste qui se détachent de son groupe pour suivre Jésus et celui-ci les invite à passer la soirée auprès de lui. Le jour suivant, Jésus part en Galilée accompagné déjà de quelques disciples. Et c’est en Galilée, trois jours plus tard, qu’a lieu le miracle de Cana : Jean commence son récit des noces de Cana en disant « le troisième jour1, il y eut un mariage à Cana en Galilée » ; on est, bien sûr, tentés de faire le compte de tous ces jours depuis le début : cela donne « le septième jour » ; l’évocation d’une semaine, d’un « septième jour », dans un évangile, ce n’est évidemment pas anodin. Le « septième jour » renvoie toujours à l’achèvement de la Création.
Comme le mot « commencement », d’ailleurs, que l’évangéliste emploie à la fin de son récit : « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. » Dans le Prologue, Jean affirmait « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. » Nous voici dans le cadre des sept jours de la Création. L’épisode des noces de Cana, un septième jour, lui fait donc un lointain écho : car, en réalité, à Cana, Jésus ne se contente pas de multiplier le vin, il le crée ; comme au commencement de toutes choses, le Verbe était tourné vers Dieu pour créer le monde, une nouvelle étape s’inaugure à Cana : la création nouvelle a commencé.
Et il s’agit d’une noce ! On pourrait continuer le parallèle : au sixième jour, Dieu avait achevé son œuvre par la création du couple humain à son image ; au septième jour de la nouvelle création, Jésus participe à un repas de noces. Manière de dire que le projet créateur de Dieu est en définitive un projet d’alliance, un projet de noce. (Nous comprenons mieux alors pourquoi nous avons lu en première lecture ce texte du troisième Isaïe dans lequel Dieu disait à son peuple : je t’aime d’amour et je t’épouse ; Is 62) Les Pères de l’Église ne se sont pas privés de voir dans le miracle de Cana la réalisation de la promesse de Dieu : la fête des noces de Dieu avec l’humanité débute là.
C’est pour cela que le mot « Heure » chez Jean est si important : il s’agit de l’Heure où le projet de Dieu a été définitivement accompli en Jésus-Christ. C’est bien à cela que Jésus pense quand il dit à Marie : « Femme, que me veux-tu ? Mon Heure n’est pas encore venue. » Visiblement ses préoccupations sont au-delà du problème matériel du manque de vin : il ne perd pas de vue sa mission qui est d’accomplir les noces de Dieu avec l’humanité.
Mais la première phrase (« Femme, que me veux-tu ? ») reste surprenante et on a beaucoup épilogué ; en réalité, dans le texte grec, c’est « qu’y a-t-il pour toi et pour moi ? » autrement dit : « tu ne peux pas comprendre ». Jésus affronte là, seul, la grande question de sa mission : pour accomplir cette mission, concrètement, que doit-il faire ? Doit-il créer du vin ? Et ainsi manifester qu’il est le Fils de Dieu ?
On a peut-être ici, dans l’évangile de Jean, un écho du récit des Tentations dans les Évangiles synoptiques ; ce qui expliquerait, d’ailleurs, la sécheresse apparente de la phrase de Jésus à sa mère ; au désert, dans l’épisode des Tentations, la question qui s’est posée à Jésus était « qu’est-ce, au juste, être Fils de Dieu ? » et le Tentateur lui avait susurré « si tu es vraiment le Fils de Dieu, maintenant que tu as faim, ordonne que ces pierres deviennent du pain ». On remarquera une chose : quand il est seul au désert, Jésus refuse de faire les miracles que lui suggère le Tentateur, car il en serait le seul bénéficiaire. À Cana, au contraire, Jésus multiplie le vin de la fête pour la joie des convives. Ce qui revient à dire que le Fils de Dieu ne fait de miracles que pour le bonheur des hommes.
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Note
1 – Le « Troisième jour » : à elle toute seule, cette précision est certainement un message ; là encore il ne s’agit pas d’une notation anecdotique pour remplir un journal de bord, mais d’une méditation théologique : la mémoire des disciples est à jamais marquée par un certain troisième jour, celui de la Résurrection. Elle nous renvoie donc à l’autre bout, si j’ose dire, de la vie publique de Jésus, à la Passion, la mort et la Résurrection du Christ. Manière pour Jean de nous dire : c’est là et là seulement, que l’Alliance de Dieu avec l’humanité sera définitivement scellée, ses noces célébrées. D’ailleurs la dernière phrase « Il manifesta sa gloire » est aussi une allusion à la Résurrection. Dans le Prologue, encore, Jean disait « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire… » C’est à Cana, justement, que les disciples ont vu la gloire de Jésus pour la première fois. En attendant la manifestation définitive de la gloire de Dieu sur le visage du Christ, mort et ressuscité.

Compléments
Saint Jean précise que Cana est en Galilée ; ce qui élargit considérablement la perspective : car la Galilée, traditionnellement, c’est le pays des païens, un carrefour de peuples ; Isaïe l’appelait le « pays de l’ombre, la Galilée des nations » : Dieu donc épouse l’humanité tout entière et pas seulement quelques privilégiés.
– « Femme que me veux-tu ? » Ne cherchons pas à minimiser l’indéniable vivacité de cette réaction du Fils envers sa mère. En hébreu, cette phrase marque généralement une divergence de vues, parfois même une hostilité (Jg 11, 12 ; Mc 1, 24 ; 2 S 16, 10 ; 2 S 19, 23) ; reconnaissons qu’il s’agit ici de cas extrêmes ; la réflexion de Jésus s’apparente peut-être davantage à celle de la veuve de Sarepta face à Élie au moment de la mort de son fils (1 R 17, 18) : elle considère la présence du prophète comme une intervention inopportune. Mais la difficulté persiste : Jésus, le doux et humble de cœur, manquerait-il de respect envers sa mère ? En réalité, peut-être y a-t-il ici l’aveu implicite d’un véritable affrontement intérieur pour le Fils au sujet de sa mission. Lui qui ne s’autorisait pas à accomplir des miracles pour son seul bénéfice (changer des pierres en pain), devait-il ici transformer l’eau en vin ? Ici, on touche à la profondeur du mystère du Christ, mystère dont lui-même a progressivement pris conscience : pleinement homme, il a dû grandir peu à peu comme chacun de nous dans la découverte de sa mission.
– Les cuves d’eau de Cana sont en pierre et Jean le précise intentionnellement : les poteries de terre cuite étaient employées pour l’eau potable, les cuves de pierre pour l’eau des ablutions rituelles. C’est cette eau-là, eau symbolique de l’Alliance, qui est devenue vin des noces.
– Les disciples ne découvriront le miracle qu’après coup ; mais les seuls qui sont réellement dans la confidence, et saint Jean le souligne, ce sont les serviteurs (verset 9) : ils le savaient dans leur chair, si j’ose dire, parce que ce sont eux qui sont allés puiser l’eau, qui l’ont transportée, et tout cela dans une obéissance aveugle, sans comprendre peut-être à quoi allait servir cette eau. Mais, bien sûr, nous ne sommes pas surpris outre mesure que des pauvres soient les premiers au courant du projet de Dieu !

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 2e dimanche du temps ordinaire (17 janvier 2016)

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4 janvier 2016 1 04 /01 /janvier /2016 21:52

 Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 9 janvier 2016).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

PREMIÈRE LECTURE – Isaïe 40, 1-5. 9-11


1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2 Parlez au cœur de Jérusalem.
Proclamez que son service est accompli,
que son crime est expié,
qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR
le double pour toutes ses fautes.
3 Une voix proclame :
« Dans le désert, préparez le chemin du SEIGNEUR ;
tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu.
4 Que tout ravin soit comblé,
toute montagne et toute colline abaissées !
Que les escarpements se changent en plaine.
et les sommets en large vallée !
5 Alors se révèlera la gloire du SEIGNEUR
et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé. »
9 Monte sur une haute montagne,
toi qui portes la bonne nouvelle à Sion.
Élève la voix avec force,
toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem.
Élève la voix, ne crains pas.
Dis aux villes de Juda :
« Voici votre Dieu. »
10 Voici le SEIGNEUR Dieu !
Il vient avec puissance ;
son bras lui soumet tout.
Voici le fruit de son travail avec lui,
et devant lui, son ouvrage.
11 Comme un berger, il conduit son troupeau :
son bras rassemble les agneaux,
il les porte sur son cœur,
il mène brebis qui allaitent.


C’est ici que commence l’un des plus beaux passages du Livre d’Isaïe ; on l’appelle le « Livret de la Consolation d’Israël » car ses premiers mots sont « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ». Cette phrase, à elle toute seule, est déjà une Bonne Nouvelle extraordinaire, presque inespérée, pour qui sait l’entendre ! Car les expressions « mon peuple »… « votre Dieu » sont le rappel de l’Alliance (un peu comme dans un couple, un surnom affectueux redit au moment d’un désaccord, vient rassurer sur la tendresse encore présente).
Or c’était la grande question des exilés. Pendant l’Exil à Babylone, c’est-à-dire entre 587 et 538 avant J.-C. on pouvait se le demander : Dieu n’aurait-il pas abandonné son peuple, n’aurait-il pas renoncé à son Alliance…? Il pourrait bien s’être enfin lassé des infidélités répétées à tous les niveaux. Tout l’objectif de ce Livret de la Consolation d’Isaïe est de dire qu’il n’en est rien. Dieu affirme encore « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu », ce qui était la devise ou plutôt l’idéal de l’Alliance.
Je prends tout simplement le texte dans l’ordre : « Parlez au cœur de Jérusalem et proclamez que son service est accompli » dit Isaïe ; cela veut dire que la servitude à Babylone est finie ; c’est donc une annonce de la libération et du retour à Jérusalem.
« Que son crime est expié et qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR le double pour toutes ses fautes. » D’après la loi d’Israël, un voleur devait restituer le double des biens qu’il avait volés (par exemple deux bêtes pour une). Parler au passé de cette double punition, c’était donc une manière imagée de dire que la libération approchait puisque la peine était déjà purgée. Ce que le prophète, ici, appelle les « fautes » de Jérusalem, son « crime », ce sont tous les manquements à l’Alliance, les cultes idolâtres, les manquements au sabbat et aux autres prescriptions de la Loi, et surtout les nombreux manquements à la justice et, plus grave encore que tout le reste, le mépris des pauvres. Le peuple juif a toujours considéré l’Exil comme la conséquence de toutes ces infidélités. Car, à l’époque on pensait encore que Dieu nous punit de nos fautes.
« Une voix proclame » : nulle part, l’auteur de ce livret ne nous dit qui il est ; il se présente comme « la voix qui crie de la part de Dieu » ; nous l’appelons traditionnellement le « deuxième Isaïe ». « Une voix proclame : Préparez à travers le désert le chemin du SEIGNEUR ». Déjà une fois dans l’histoire d’Israël, Dieu a préparé dans le désert le chemin qui menait son peuple de l’esclavage à la liberté : traduisez de l’Égypte à la Terre promise ; eh bien, nous dit le prophète, puisque le Seigneur a su jadis arracher son peuple à l’oppression égyptienne, il saura aujourd’hui, de la même manière, l’arracher à l’oppression babylonienne.
« Tracez dans les terres arides une route aplanie pour notre Dieu. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux deviendront droits et les escarpements seront changés en plaine. » C’était l’un des plaisirs du vainqueur que d’astreindre les vaincus à faire d’énormes travaux de terrassement pour préparer une voie triomphale pour le retour du roi victorieux. Il y a pire : une fois par an, à Babylone, on célébrait la grande fête du dieu Mardouk, et, à cette occasion, les esclaves juifs devaient faire ces travaux de terrassement : combler les ravins… abaisser les collines et même les montagnes, de simples chemins tortueux faire d’amples avenues… pour préparer la voie triomphale par laquelle devait passer le cortège, roi et statues de l’idole en tête ! Pour ces Juifs croyants, c’était l’humiliation suprême et le déchirement intérieur. Alors Isaïe, chargé de leur annoncer la fin prochaine de leur esclavage à Babylone et le retour au pays leur dit : cette fois, c’est dans le désert qui sépare Babylone de Jérusalem que vous tracerez un chemin… Et ce ne sera pas pour une idole païenne, ce sera pour vous et votre Dieu en tête !
« Alors se révèlera la gloire du SEIGNEUR et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé. » : on pourrait traduire « Dieu sera enfin reconnu comme Dieu et tous verront que Dieu a tenu ses promesses. »
« Monte sur une haute montagne, toi qui portes la Bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la Bonne nouvelle à Jérusalem. » Au passage, vous avez remarqué le parallélisme de ces deux phrases : parallélisme parfait qui a simplement pour but de porter l’accent sur cette Bonne Nouvelle adressée à Sion ou Jérusalem, c’est la même chose : il s’agit évidemment du peuple et non de la ville. Le contenu de cette Bonne Nouvelle suit immédiatement : « Voici votre Dieu. Voici le SEIGNEUR Dieu : il vient avec puissance et son bras est victorieux. Le fruit de sa victoire l’accompagne et ses trophées le précèdent. »
« Comme un berger, il conduit son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, et il prend soin des brebis qui allaitent leurs petits. » Nous retrouvons ici chez Isaïe l’image chère à un autre prophète de la même époque, Ézéchiel.
La juxtaposition de ces deux images (un roi triomphant, un berger) surprend peut-être, mais l’idéal du roi en Israël comprenait bien ces deux aspects : le bon roi, c’est un berger plein de sollicitude pour son peuple, mais c’est aussi un roi triomphant des ennemis, pour protéger son peuple justement… Comme un berger utilise son bâton pour chasser les animaux qui menaceraient le troupeau.
Ce texte, dans son ensemble, résonnait donc comme une extraordinaire nouvelle aux oreilles des contemporains d’Isaïe, au sixième siècle av. J.-C. Et voilà que cinq ou six cents ans plus tard, lorsque Jean-Baptiste a vu Jésus de Nazareth s’approcher du Jourdain et demander le Baptême, il a entendu résonner en lui ces paroles d’Isaïe et il a été rempli d’une évidence aveuglante : le voilà celui qui rassemble définitivement le troupeau du Père… Le voilà celui qui va transformer les chemins tortueux des hommes en chemins de lumière… Le voilà celui qui vient redonner au peuple de Dieu sa dignité… Le voilà celui en qui se révèle la gloire (c’est-à-dire la présence) du SEIGNEUR. Fini le temps des prophètes, désormais Dieu lui-même est parmi nous !


PSAUME – 103 (104), 1c-3a. 3bc-4, 24-25. 27-28. 29-30


1 Revêtu de magnificence,
2 tu as pour manteau la lumière !
Comme une tenture, tu déploies les cieux,
3 tu élèves dans leurs eaux tes demeures.

Des nuées, tu te fais un char,
tu t’avances sur les ailes du vent ;
4 tu prends les vents pour messagers,
pour serviteurs, les flammes des éclairs.

24 Quelle profusion dans tes œuvres, SEIGNEUR !
Tout cela, ta sagesse l’a fait. La terre s’emplit de tes biens.
25 Voici l’immensité de la mer,
son grouillement innombrable d’animaux grands et petits.

27 Tous, ils comptent sur toi
pour recevoir leur nourriture en temps voulu.
28 Tu donnes, eux, ils ramassent ;
tu ouvres la main, ils sont comblés.

29 Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ;
tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre


Nous lisons ici des extraits du psaume 103/104 ; or, on peut les comparer avec une prière qui nous vient d’Égypte : il s’agit d’une hymne adressée au soleil par le roi Aménophis IV, l’époux de Néfertiti. On sait que ce Pharaon a consacré une bonne partie de ses énergies à l’instauration d’une religion nouvelle : il a remplacé le culte d’Amon (dont le clergé devenait beaucoup trop puissant à ses yeux) par celui du Dieu Aton, c’est-à-dire le soleil ; et, à cette occasion, il a pris un nouveau nom, Akhenaton. Sa prière a été retrouvée gravée sur un tombeau à Tell El-Amarna en Égypte (au bord du Nil).
La voici : « Tu te lèves beau dans l’horizon du ciel, Soleil vivant qui vis depuis l’origine. Tu resplendis dans l’horizon de l’Est, tu as rempli tout pays de ta beauté. Tu es beau, grand, brillant, tu t’élèves au-dessus de tout pays. Combien nombreuses sont tes œuvres, mystérieuses à nos yeux ! Seul dieu, tu n’as point de semblable, tu as créé la terre selon ton cœur. Les êtres se forment sous ta main comme tu les as voulus. Tu resplendis et ils vivent ; tu te couches et ils meurent. Toi, tu as la durée de la vie par toi-même, on vit de toi. Les yeux sont sur ta beauté jusqu’à ce que tu te caches, Et tout travail prend fin, quand tu te couches à l’Occident. »
On ne peut pas nier que cette hymne adressée en Égypte au dieu-soleil ressemble comme deux gouttes d’eau à notre psaume 103/104 composé en Israël ; or le texte égyptien est plus ancien, il date du quatorzième siècle, à une époque où les Hébreux étaient esclaves en Égypte. On peut donc supposer qu’ils ont eu l’occasion d’y entendre ce poème adressé au dieu-soleil ; ils l’auraient alors adapté et transformé à la lumière de leur nouvelle religion, celle du dieu qui les avait libérés d’Égypte, précisément.
J’ai dit « adapté et transformé » parce que si ces deux textes se ressemblent, ils diffèrent plus encore ! Et sur deux points : premièrement, le Dieu d’Israël est un Dieu personnel, qui a proposé une relation d’Alliance à son peuple. Un Dieu qui a un projet sur l’humanité, un Dieu qui veut l’homme libre.
Par exemple, le psaume commence et finit par l’acclamation « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme » qui est typique de l’Alliance du peuple d’Israël avec son Dieu. Car, une fois de plus, le nom employé pour désigner Dieu est le fameux nom de l’Alliance, le nom en quatre lettres YHVH qu’on ne prononce pas, mais qui rappelle la présence de Dieu auprès de son peuple pour toujours.
Deuxième différence : dans la pensée biblique, contrairement à la prière du pharaon Akhénaton, Dieu seul est Dieu, le soleil n’est qu’une créature dépourvue de toute volonté propre : dans d’autres versets de ce psaume, on affirme « Tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher. Tu fais descendre les ténèbres, la nuit vient. » En d’autres termes, si le soleil a un quelconque pouvoir, c’est Dieu et Dieu seul qui le lui a donné. Dans le même sens, nous avons déjà remarqué l’insistance du livre de la Genèse : pour bien mettre le soleil et la lune à leur place de créatures, le poème du premier chapitre ne dit même pas leurs noms : il se contente de les appeler « le grand luminaire et le petit luminaire », c’est-à-dire uniquement des instruments, en somme.
Revenons au psaume 103/104 : en Israël, donc, il était chanté à la louange du Dieu créateur, roi de toute la Création. C’est particulièrement net dans la phrase : « Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre » ; on pense évidemment au texte de la Genèse « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7).
Pour dire que Dieu est roi, on emploie le langage de la cour : « Revêtu de magnificence, tu as pour manteau la lumière ! », comme si Dieu avait un manteau de cour ! Ailleurs encore, le psalmiste s’écrie : « SEIGNEUR, mon Dieu, tu es si grand », acclamation royale traditionnelle en Israël où le mot « grand » est un mot du langage de cour.
Et voilà que la liturgie chrétienne nous propose ce psaume pour la fête du Baptême du Christ : rapprochement à première vue un peu surprenant… Quel lien y a-t-il entre l’acte créateur du Dieu de l’univers et une pratique religieuse d’un certain Jean le Baptiste, des millions d’années après, et à laquelle se soumet un fils de charpentier, Jésus de Nazareth ?
À moins que, justement, ce fils de charpentier soit venu pour « refaire le monde », comme on dit. Si ce psaume 103/104, une hymne au Dieu créateur, roi de la Création, nous est proposé pour fêter le Baptême de Jésus, c’est donc pour nous inviter à lire l’événement du Baptême du Christ sous deux aspects complémentaires ; d’une part, c’est lors de son Baptême que Jésus est proclamé roi de la Création : l’évangile de Luc raconte qu’une voix venue du ciel a proclamé exactement la formule qui était prononcée par le prêtre sur chaque nouveau roi le jour de son sacre : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. »
D’autre part, l’heure du Baptême du Christ est aussi l’heure de la nouvelle création ; rappelons-nous le poème du chapitre 1 de la Genèse qui disait « Le souffle de Dieu planait à la surface des eaux. » (Gn 1, 2). Or le Baptême du Christ se déroule au bord des eaux du Jourdain et saint Luc nous dit : « Jésus, baptisé, priait ; alors le ciel s’ouvrit ; l’
Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle comme une colombe. » Traduisez l’heure de la nouvelle création a sonné.


DEUXIÈME LECTURE – Lettre de saint Paul à Tite 2, 11 – 14 ; 3, 4 – 7


2, 11 La grâce de Dieu s’est manifestée
pour le salut de tous les hommes.
12 Elle qui nous apprend à renoncer à l’impiété
et aux convoitises de ce monde,
et à vivre dans le temps présent
de manière raisonnable, avec justice et piété,
13 attendant que se réalise la bienheureuse espérance :
la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ.
14 Car il s’est donné pour nous
afin de nous racheter de toutes nos fautes,
et de nous purifier
pour faire de nous son peuple,
un peuple ardent à faire le bien.

3, 4 Lorsque Dieu, notre Sauveur,
a manifesté sa bonté
et son amour pour les hommes ;
5 il nous a sauvés.
non pas à cause de la justice de nos propres actes,
mais par sa miséricorde.
Par le bain du baptême,
il nous a fait renaître
et nous a renouvelés
dans l’Esprit Saint.
6 Cet Esprit, Dieu l’a répandu
sur nous en abondance,
par Jésus-Christ notre Sauveur ;
7 afin que, rendus justes par sa grâce,
nous devenions en espérance
héritiers de la vie éternelle.


Les Crétois avaient très mauvaise réputation au temps de Paul ; c’est un poète local, Épiménide de Cnossos, au sixième siècle av. J.-C qui les traitait de « Crétois, perpétuels menteurs, bêtes méchantes, panses malfaisantes ». Et Paul, en le citant, le confirme en disant : « Ce témoignage est vrai » ! C’est pourtant de ces Crétois pleins de défauts que Paul a essayé de faire des Chrétiens. Apparemment, il a eu fort à faire.
Cette lettre à Tite contient donc les conseils du fondateur de la communauté à celui qui en est désormais le responsable.
Tout ce qui précède et ce qui suit cet ensemble consiste en recommandations extrêmement concrètes à l’intention des membres de la communauté, vieux et jeunes, hommes et femmes, maîtres et esclaves. Les responsables ne sont pas oubliés et si Paul insiste sur l’irréprochabilité qu’on doit exiger d’eux, il faut croire que cela n’allait pas de soi ! « Il faut que l’épiscope soit irréprochable en sa qualité d’intendant de Dieu : ni arrogant, ni buveur, ni batailleur, ni avide de gains honteux. Il doit être hospitalier, ami du bien, pondéré, juste, saint, maître de soi, fermement attaché à la Parole… » Une telle avalanche de conseils donne une idée des progrès qui restaient à faire : en général un bon pédagogue ne se hasarde pas à donner des conseils superflus…
Ce qui est très intéressant pour nous, c’est l’articulation entre tous ces conseils d’ordre moral et le passage qui nous intéresse aujourd’hui et qui est au contraire un exposé théologique sur le mystère de la foi ; mais justement, pour Paul, l’un découle de l’autre ; c’est notre Baptême qui fait de nous des hommes nouveaux. Paul vient de donner toute sa série de conseils et il les justifie par la seule raison que « la grâce de Dieu s’est manifestée », comme il dit.
Cela veut dire que la morale chrétienne s’enracine dans l’événement qui est la charnière de l’histoire du monde : la naissance du Christ. Quand Paul dit « la grâce de Dieu s’est manifestée », il faut traduire « Dieu s’est fait homme ». Et désormais, c’est notre manière d’être hommes qui est transformée : « Par le bain du Baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. » (3, 5). Désormais la face du monde est changée, et donc aussi notre comportement. Encore faut-il nous prêter à cette transformation. Et le monde attend de nous ce témoignage. Il ne s’agit pas de mérites à acquérir : « Il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde », mais de témoignage à porter. Le mystère de l’Incarnation va jusque-là. Dieu veut le salut de toute l’humanité, pas seulement le nôtre ! « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. » Mais il attend notre collaboration pour cela.
C’est donc la transformation de l’humanité tout entière qui est au programme, si l’on peut dire ; car le projet de Dieu, prévu de toute éternité, c’est de nous réunir tous autour de Jésus-Christ. Tellement serrés autour de lui que nous ne ferons qu’un avec lui. Réunir, c’est-à-dire surmonter nos divisions, nos rivalités, nos haines, pour faire de nous un seul homme ! Il y a encore du chemin à faire, c’est vrai ; tellement de chemin que les incroyants disent que « c’est une utopie » ; mais les croyants affirment « puisque c’est une promesse de Dieu, c’est une certitude ! » Paul dit bien : « Nous attendons le bonheur que nous espérons avoir quand se manifestera la gloire de Jésus-Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur. » « Nous attendons », cela veut dire « c’est certain, tôt ou tard, cela viendra. »
Au passage, nous reconnaissons là une phrase que le prêtre prononce à chaque Eucharistie, après le Notre Père : « Nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ notre Sauveur ». Comme bien souvent, ce ET signifie « c’est-à-dire ». Il faut entendre « Nous espérons le bonheur que tu promets QUI EST l’avènement de Jésus-Christ notre Sauveur ». Ce n’est pas une manière de nous voiler la face sur les lenteurs de cette transformation du monde, c’est un acte de foi : nous osons affirmer que l’amour du Christ aura le dernier mot.
Cette certitude, cette attente sont le moteur de toute liturgie : au cours de la célébration, les Chrétiens ne sont pas des gens tournés vers le passé mais déjà un seul homme debout tourné vers l’avenir. Quand viendra la fin du monde, le journaliste de service écrira : « Et ils se levèrent comme un seul homme. Et cet homme avait pour nom Jésus-Christ ».
—————————–
Note
1 – À propos de la naissance d’une communauté chrétienne en Crète, certains exégètes formulent l’hypothèse suivante : d’après les Actes des Apôtres, le bateau qui transportait Paul prisonnier en attente d’un jugement à Rome a fait escale dans un endroit appelé « Beaux Ports » au sud de l’île. Mais Luc ne parle pas de la naissance d’une communauté à cette occasion, et Tite ne faisait pas partie du voyage. On sait qu’après de nombreuses péripéties, ce voyage s’est terminé comme prévu à Rome où Paul a été emprisonné pendant deux ans dans des conditions très libérales : on pourrait parler plutôt de « résidence surveillée ». On suppose que cette captivité romaine s’est soldée par une remise en liberté. Paul aurait alors entrepris un quatrième voyage missionnaire, et c’est au cours de ce dernier voyage qu’il aurait évangélisé la Crète.
2 – Pour des raisons de style, de vocabulaire et même de vraisemblance chronologique, beaucoup de ceux qui connaissent bien les épîtres pauliniennes pensent que cette lettre à Tite (comme les deux lettres à Timothée, d’ailleurs) aurait été écrite seulement à la fin du premier siècle, c’est-à-dire trente ans environ après la mort de Paul, mais dans la fidélité à sa pensée et pour appuyer son œuvre. Quelle que soit l’époque à laquelle cette lettre a été rédigée, il faut croire que les difficultés des Crétois persistaient !
 

ÉVANGILE – selon saint Luc 3, 15 – 22


15 Le peuple venu auprès de Jean-Baptiste était en attente,
et tous se demandaient en eux-mêmes
si Jean n’était pas le Christ.
16 Jean s’adressa alors à tous :
« Moi, je vous baptise avec de l’eau ;
mais il vient, celui qui est plus fort que moi.
Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales.
Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »
21 Comme tout le peuple se faisait baptiser
et qu’après avoir été baptisé lui aussi,
Jésus priait,
le ciel s’ouvrit.
22 L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle,
comme une colombe.
descendit sur Jésus,
et il y eut une voix venant du ciel :
« Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. »


Les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) racontent l’événement du Baptême du Christ, chacun à leur manière. Jean, lui, ne le raconte pas, mais il y fait allusion. Luc a ses accents propres et ce sont eux que je vais essayer ici de mettre en lumière. Par exemple, son texte commence par « Comme tout le peuple se faisait baptiser » : Luc est le seul à mentionner que le peuple se faisait baptiser ; il est aussi le seul à mentionner la prière de Jésus : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et que Jésus priait » ; ce rapprochement est bien dans la manière de Luc : homme parmi les hommes, Jésus ne cesse pas d’être en même temps uni à son Père.
Luc veut tellement insister sur l’humanité de Jésus que, chez lui et lui seul, curieusement, le récit du Baptême est suivi immédiatement par une généalogie. Contrairement à la généalogie placée tout au début de l’évangile de Matthieu et qui part d’Abraham pour descendre jusqu’à Jésus en passant par David et par Joseph, la généalogie de Jésus chez Luc part de lui pour remonter à ses ancêtres ; il est (croyait-on, dit Luc) fils de Joseph, fils de David, fils d’Abraham… Mais Luc remonte encore bien plus haut : il nous dit que Jésus est « fils d’Adam, fils de Dieu ». Cela veut bien dire qu’au moment où il écrit son évangile, les premiers Chrétiens avaient découvert cette relation privilégiée de Jésus le Nazaréen avec Dieu : il était le Fils de Dieu au vrai sens du terme.
La suite n’est pas propre à Luc : Matthieu et Marc emploient à peu près les mêmes termes. Pendant que Jésus priait, « le ciel s’ouvrit » : en trois mots, un événement décisif ! La communication entre le ciel et la terre est rétablie ; la prière du peuple croyant vient d’être entendue ; depuis des siècles, c’était l’attente du peuple juif. « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais, tel que les montagnes soient secouées devant toi, tel un feu qui brûle des taillis, tel un feu qui fait bouillonner les eaux. » disait Isaïe (Is 63, 19 – 64, 1). Les eaux, nous y sommes, puisque ceci se passe au bord du Jourdain ; le feu, le voici : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu » disait Jean-Baptiste. Et Luc continue : « L’Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. » Ici l’Esprit n’est pas associé à la violence du feu, mais à la colombe, symbole de douceur et de fragilité. Ce n’est pas contradictoire : force et violence… douceur et fragilité, tel est l’amour, tel est l’Esprit.
Les quatre évangélistes citent cette manifestation de l’Esprit sous la forme d’une colombe : dans les trois évangiles synoptiques, les expressions sont tout à fait similaires : Matthieu et Marc disent que l’Esprit descend « comme une colombe », chez Luc « L’Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. » Dans l’évangile de Jean, c’est Jean-Baptiste qui, après coup, raconte la scène : « J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est lui qui m’a dit : Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Et moi, j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu. » (Jn 1, 32-34).
Cette représentation de la colombe est donc certainement très importante puisque les quatre évangélistes l’ont retenue. Que pouvait-elle évoquer pour eux ? Dans l’Ancien Testament, elle évoque d’abord la Création : le texte de la Genèse ne cite pas la colombe, il dit simplement « le souffle de Dieu planait sur la surface des eaux. » (Gn 1, 2). Mais dans la méditation juive, on avait appris à reconnaître dans ce souffle, l’Esprit même de Dieu ; et un commentaire rabbinique de la Genèse dit « L’Esprit de Dieu planait sur la face des eaux comme une colombe qui plane au-dessus de ses petits, mais ne les touche pas. » (Talmud de Babylone). Ensuite, la colombe évoquait l’Alliance entre Dieu et l’humanité, renouée après le Déluge ; on se souvient du lâcher de colombe de Noé : c’est elle qui a indiqué à Noé que le déluge était fini et que la vie pouvait reprendre. Mieux encore, l’amoureux du Cantique des Cantiques appelle sa bien-aimée « ma colombe au creux d’un rocher… ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite. » Or le peuple juif lit le Cantique des Cantiques comme la déclaration d’amour de Dieu à l’humanité.
Nous sommes donc bien à l’aube d’une ère nouvelle : nouvelle Création, nouvelle Alliance.
À  ce moment-là, nous dit Luc « Il y eut une voix venant du ciel : Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. » Il ne fait de doute pour personne que cette voix est la voix de Dieu lui-même : depuis bien longtemps, le peuple d’Israël n’avait plus de prophètes, mais les rabbins disaient que rien n’empêche Dieu de se révéler directement et que sa voix, venant des cieux, gémit comme une colombe. Or, cette phrase « Il y eut une voix venant du ciel : Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie » n’était pas nouvelle pour des oreilles juives : elle en était d’autant plus grave ; car c’était avec ces mots-là que les prophètes parlaient du Messie. À ce moment-là, Jean-Baptiste a compris : la colombe de l’Esprit désignait le Messie.
—————————-
Complément
Une question nous brûle les lèvres : pourquoi Jésus qui n’est pas pécheur demande-t-il le Baptême ? À quoi l’on peut répondre que c’est le contraire qui serait surprenant. Comment se désolidariserait-il du grand mouvement des foules avides de conversion qui se pressent autour du Baptiste ? D’autre part, Luc a certainement en tête une fois de plus les Chants du Serviteur du deuxième livre d’Isaïe : « Avec les pécheurs il s’est laissé recenser. » (Is 53, 12). Luc la cite lui-même d’ailleurs au cœur de la Passion (Lc 22, 37).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, Baptême du Seigneur (10 janvier 2016)

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28 décembre 2015 1 28 /12 /décembre /2015 23:29

 Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 2 janvier 2016).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

PREMIÈRE LECTURE – Isaïe 60, 1 – 6


1 Debout, Jérusalem, resplendis !
Elle est venue, ta lumière,
et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi.
2 Voici que les ténèbres couvrent la terre,
et la nuée obscure couvre les peuples.
Mais sur toi se lève le SEIGNEUR,
Sur toi sa gloire apparaît.
3 Les nations marcheront vers ta lumière,
et les rois, vers la clarté de ton aurore.
4 Lève les yeux alentour, et regarde :
tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ;
tes fils reviennent de loin,
et tes filles sont portées sur la hanche.
5 Alors tu verras, tu seras radieuse,
ton cœur frémira et se dilatera.
Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi,
vers toi viendront les richesses des nations.
6 En grand nombre, des chameaux t’envahiront,
de jeunes chameaux de Madiane et d’Epha.
Tous les gens de Saba viendront,
apportant l’or et l’encens ;
ils annonceront les exploits du SEIGNEUR.


Vous avez remarqué toutes les expressions de lumière, tout au long de ce passage : « Resplendis, elle est venue ta lumière… la gloire (le rayonnement) du SEIGNEUR s’est levée sur toi (comme le soleil se lève)… sur toi se lève le SEIGNEUR, sa gloire brille sur toi…ta lumière, la clarté de ton aurore…tu seras radieuse ».
On peut en déduire tout de suite que l’humeur générale était plutôt sombre ! Je ne dis pas que les prophètes cultivent le paradoxe ! Non ! Ils cultivent l’espérance.
Alors, pourquoi l’humeur générale était-elle sombre, pour commencer. Ensuite, quel argument le prophète avance-t-il pour inviter son peuple à l’espérance ?
Pour ce qui est de l’humeur, je vous rappelle le contexte : ce texte fait partie des derniers chapitres du livre d’Isaïe ; nous sommes dans les années 525-520 av. J.-C., c’est-à-dire une quinzaine ou une vingtaine d’années après le retour de l’exil à Babylone. Les déportés sont rentrés au pays, et on a cru que le bonheur allait s’installer. En réalité, ce fameux retour tant espéré n’a pas répondu à toutes les attentes.
D’abord, il y avait ceux qui étaient restés au pays et qui avaient vécu la période de guerre et d’occupation. Ensuite, il y avait ceux qui revenaient d’Exil et qui comptaient retrouver leur place et leurs biens. Or si l’Exil a duré cinquante ans, cela veut dire que ceux qui sont partis sont morts là-bas… et ceux qui revenaient étaient leurs enfants ou leurs petits-enfants … Cela ne devait pas simplifier les retrouvailles. D’autant plus que ceux qui rentraient ne pouvaient certainement pas prétendre récupérer l’héritage de leurs parents : les biens des absents, des exilés ont été occupés, c’est inévitable, puisque, encore une fois, l’Exil a duré cinquante ans !
Enfin, il y avait tous les étrangers qui s’étaient installés dans la ville de Jérusalem et dans tout le pays à la faveur de ce bouleversement et qui y avaient introduit d’autres coutumes, d’autres religions…

Tout ce monde n’était pas fait pour vivre ensemble…
La pomme de discorde, ce fut la reconstruction du Temple : car, dès le retour de l’exil, autorisé en 538 par le roi Cyrus, les premiers rentrés au pays (nous les appellerons la communauté du retour) avaient rétabli l’ancien autel du Temple de Jérusalem, et avaient recommencé à célébrer le culte comme par le passé ; et en même temps, ils entreprirent la reconstruction du Temple lui-même.
Mais voilà que des gens qu’ils considéraient comme hérétiques ont voulu s’en mêler ; c’étaient ceux qui avaient habité Jérusalem pendant l’Exil : mélange de juifs restés au pays et de populations étrangères, donc païennes, installées là par l’occupant ; il y avait eu inévitablement des mélanges entre ces deux types de population, et même des mariages, et tout ce monde avait pris des habitudes jugées hérétiques par les Juifs qui rentraient de l’Exil.
Alors la communauté du retour s’est resserrée et a refusé cette aide dangereuse pour la foi : le Temple du Dieu unique ne peut pas être construit par des gens qui, ensuite, voudront y célébrer d’autres cultes ! Comme on peut s’en douter, ce refus a été très mal pris et désormais ceux qui avaient été éconduits firent obstruction par tous les moyens. Finis les travaux, finis aussi les rêves de rebâtir le Temple !
Les années ont passé et on s’est installés dans le découragement.
Mais la morosité, l’abattement ne sont pas dignes du peuple porteur des promesses de Dieu. Alors, Isaïe et un autre prophète, Aggée, décident de réveiller leurs compatriotes : sur le thème : fini de se lamenter, mettons-nous au travail pour reconstruire le Temple de Jérusalem. Et cela nous vaut le texte d’aujourd’hui :
Connaissant le contexte difficile, ce langage presque triomphant nous surprend peut-être ; mais c’est un langage assez habituel chez les prophètes ; et nous savons bien que s’ils promettent tant la lumière, c’est parce qu’elle est encore loin d’être aveuglante… et que, moralement, on est dans la nuit. C’est pendant la nuit qu’on guette les signes du lever du jour ; et justement le rôle du prophète est de redonner courage, de rappeler la venue du jour. Un tel langage ne traduit donc pas l’euphorie du peuple, mais au contraire une grande morosité : c’est pour cela qu’il parle tant de lumière !
Pour relever le moral des troupes, nos deux prophètes n’ont qu’un argument, mais il est de taille : Jérusalem est la Ville Sainte, la ville choisie par Dieu, pour y faire demeurer le signe de sa Présence ; c’est parce que Dieu lui-même s’est engagé envers le roi Salomon en décidant « Ici sera Mon Nom », que le prophète Isaïe, des siècles plus tard, peut oser dire à ses compatriotes « Debout, Jérusalem ! Resplendis… »
Le message d’Isaïe aujourd’hui, c’est donc : « vous avez l’impression d’être dans le tunnel, mais au bout, il y a la lumière. Rappelez-vous la Promesse : le JOUR vient où tout le monde reconnaîtra en Jérusalem la Ville Sainte. » Conclusion : ne vous laissez pas abattre, mettez-vous au travail, consacrez toutes vos forces à reconstruire le Temple comme vous l’avez promis.
J’ajouterai trois remarques pour terminer : premièrement, une fois de plus, le prophète nous donne l’exemple : quand on est croyants, la lucidité ne parvient jamais à étouffer l’espérance.
Deuxièmement, la promesse ne vise pas un triomphe politique… Le triomphe qui est entrevu ici est celui de Dieu et de l’humanité qui sera un jour enfin réunie dans une harmonie parfaite dans la Cité Sainte ; reprenons les premiers versets : si Jérusalem resplendit, c’est de la lumière et de la gloire du SEIGNEUR : « Debout, Jérusalem ! Resplendis : elle est venue ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi… sur toi se lève le SEIGNEUR, et sa gloire brille sur toi… »
Troisièmement, quand Isaïe parlait de Jérusalem, déjà à son époque, ce nom désignait plus le peuple que la ville elle-même ; et l’on savait déjà que le projet de Dieu déborde toute ville, si grande ou belle soit-elle, et tout peuple, il concerne toute l’humanité.


PSAUME – 71 (72)


1 Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
2 Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

7 En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
8 Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

10 Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
11 Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

12 Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
13 Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.


Imaginons que nous sommes en train d’assister au sacre d’un nouveau roi. Les prêtres expriment à son sujet des prières qui sont tous les souhaits, j’aurais envie de dire tous les rêves que le peuple formule au début de chaque nouveau règne : vœux de grandeur politique pour le roi, mais surtout vœux de paix, de justice pour tous. Les « lendemains qui chantent », en quelque sorte ! C’est un thème qui n’est pas d’aujourd’hui… On en rêve depuis toujours ! Richesse et prospérité pour tous… Justice et Paix… Et cela pour tous… d’un bout de la terre à l’autre… Or le peuple élu a cet immense avantage de savoir que ce rêve des hommes coïncide avec le projet de Dieu lui-même.
La dernière strophe de ce psaume, elle, change de ton (malheureusement, elle ne fait pas partie de la liturgie de cette fête) : il n’est plus question du roi terrestre, il n’est question que de Dieu : « Béni soit le SEIGNEUR, le Dieu d’Israël, lui seul fait des merveilles ! Béni soit à jamais son nom glorieux, toute la terre soit remplie de sa gloire ! Amen ! Amen ! » C’est cette dernière strophe qui nous donne la clé de ce psaume : en fait, il a été composé et chanté après l’Exil à Babylone, (donc entre 500 et 100 av. J.-C.) c’est-à-dire à une époque où il n’y avait déjà plus de roi en Israël ; ce qui veut dire que ces vœux, ces prières ne concernent pas un roi en chair et en os… ils concernent le roi qu’on attend, que Dieu a promis, le roi-messie. Et puisqu’il s’agit d’une promesse de Dieu, on peut être certain qu’elle se réalisera.
La Bible tout entière est traversée par cette espérance indestructible : l’histoire humaine a un but, un sens ; et le mot « sens » veut dire deux choses : à la fois « signification » et « direction ». Dieu a un projet. Ce projet inspire toutes les lignes de la Bible, Ancien Testament et Nouveau Testament : il porte des noms différents selon les auteurs. Par exemple, c’est le JOUR de Dieu pour les prophètes, le Royaume des cieux pour saint Matthieu, le dessein bienveillant pour Saint Paul, mais c’est toujours du même projet qu’il s’agit. Comme un amoureux répète inlassablement des mots d’amour, Dieu propose inlassablement son projet de bonheur à l’humanité. Ce projet sera réalisé par le messie et c’est ce messie que les croyants appellent de tous leurs vœux lorsqu’ils chantent les psaumes au Temple de Jérusalem .
Ce psaume 71, particulièrement, est vraiment la description du roi idéal, celui qu’Israël attend depuis des siècles : quand Jésus naît, il y a 1 000 ans à peu près que le prophète Natan est allé trouver le roi David de la part de Dieu et lui a fait cette promesse dont parle notre psaume. Je vous redis les paroles du prophète Natan à David : « Quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, je maintiendrai après toi le lignage issu de tes entrailles et j’affermirai sa royauté… Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils… Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi, ton trône sera affermi à jamais » (2 S 7, 12 – 16).1
De siècle en siècle, cette promesse a été répétée, répercutée, précisée. La certitude de la fidélité de Dieu à ses promesses en a fait découvrir peu à peu toute la richesse et les conséquences ; si ce roi méritait vraiment le titre de fils de Dieu, alors il serait à l’image de Dieu, un roi de justice et de paix. À chaque sacre d’un nouveau roi, la promesse était redite sur lui et on se reprenait à rêver… Depuis David, on attendait, et le peuple juif attend toujours… et il faut bien reconnaître que le règne idéal n’a encore pas vu le jour sur notre terre. On finirait presque par croire que ce n’est qu’une utopie…
Mais les croyants savent qu’il ne s’agit pas d’une utopie : il s’agit d’une promesse de Dieu, donc d’une certitude. Et la Bible tout entière est traversée par cette certitude, cette espérance invincible : le projet de Dieu se réalisera, nous avançons lentement mais sûrement vers lui. C’est le miracle de la foi : devant cette promesse à chaque fois déçue, il y a deux attitudes possibles : le non-croyant dit « je vous l’avais bien dit, cela n’arrivera jamais » ; mais le croyant affirme tranquillement « patience, puisque Dieu l’a promis, il ne saurait se renier lui-même », comme dit saint Paul (1 Tm 2, 13).
Ce psaume dit bien quelques aspects de cette attente du roi idéal : par exemple « pouvoir » et « justice » seront enfin synonymes ; c’est déjà tout un programme : de nombreux pouvoirs humains tentent loyalement d’instaurer la justice et d’enrayer la misère mais n’y parviennent pas ; ailleurs, malheureusement, « pouvoir » rime parfois avec avantages de toute sorte et autres passe-droits ; parce que nous ne sommes que des hommes.
En Dieu seul le pouvoir n’est qu’amour : notre psaume le sait bien puisqu’il précise « Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice ».
Et alors puisque notre roi disposera de la puissance même de Dieu, une puissance qui n’est qu’amour et justice, il n’y aura plus de malheureux dans son royaume. « En ces jours-là fleurira la justice, grande paix jusqu’à la fin des lunes !… Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. »
Ce roi-là, on voudrait bien qu’il règne sur toute la planète ! C’est de bon cœur qu’on lui souhaite un royaume sans limite de temps ou d’espace ! « Qu’il règne jusqu’à la fin des lunes… » et « Qu’il domine de la mer à la mer et du Fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ». Pour l’instant, quand on chante ce psaume, les extrémités du monde connu, ce sont l’Arabie et l’Égypte et c’est pourquoi on cite les rois de Saba et de Seba : Saba, c’est au Sud de l’Arabie, Seba, c’est au Sud de l’Égypte… Quant à Tarsis, c’est un pays mythique, qui veut dire « le bout du monde ».
Aujourd’hui, le peuple juif chante ce psaume dans l’attente du roi-Messie2 ; nous, chrétiens, l’appliquons à Jésus-Christ et il nous semble que les mages venus d’Orient ont commencé à réaliser la promesse « Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents, les rois de Saba et de Seba feront leur offrande… Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront ».
————————-
Notes
1 – Quand le chant « Il est né le divin enfant » nous fait dire « Depuis plus de 4 000 ans nous le promettaient les prophètes », le compte n’est pas tout à fait exact, peut-être le nombre 4 000 n’a-t-il été retenu que pour les nécessités de la mélodie.
2 – De nos jours, encore, dans certaines synagogues, nos frères juifs disent leur impatience de voir arriver le Messie en récitant la profession de foi de Maïmonide, médecin et rabbin à Tolède en Espagne, au douzième siècle : « Je crois d’une foi parfaite en la venue du Messie, et même s’il tarde à venir, en dépit de tout cela, je l’attendrai jusqu’au jour où il viendra. »


DEUXIÈME LECTURE – Éphésiens 3 , 2…6


Frères,
2 vous avez appris, je pense,
en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous :
3 par révélation, il m’a fait connaître le mystère.
Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance
des hommes des générations passées,
comme il a été révélé maintenant
à ses saints Apôtres et aux prophètes,
dans l’Esprit.
Ce mystère,
c’est que toutes les nations sont associées au même héritage,
au même corps,
au partage de la même promesse,
dans le Christ Jésus,
par l’annonce de l’Évangile.


Ce passage est extrait de la lettre aux Éphésiens au chapitre 3 ; or c’est dans le premier chapitre de cette même lettre que Paul a employé sa fameuse expression « le dessein bienveillant de Dieu » ; ici, nous sommes tout à fait dans la même ligne ; je vous rappelle quelques mots du chapitre 1 : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ».
Dans le texte d’aujourd’hui, nous retrouvons ce mot de « mystère ». Le « mystère », chez saint Paul, ce n’est pas un secret que Dieu garderait jalousement pour lui ; au contraire, c’est son intimité dans laquelle il nous fait pénétrer. Paul nous dit ici : « Par révélation, Dieu m’a fait connaître le mystère du Christ » : ce mystère, c’est-à-dire son dessein bienveillant, Dieu le révèle progressivement ; tout au long de l’histoire biblique, on découvre toute la longue, lente, patiente pédagogie que Dieu a déployée pour faire entrer son peuple élu dans son mystère ; nous avons cette expérience qu’on ne peut pas, d’un coup, tout apprendre à un enfant : on l’enseigne patiemment au jour le jour et selon les circonstances ; on ne fait pas d’avance à un enfant des leçons théoriques sur la vie, la mort, le mariage, la famille… pas plus que sur les saisons ou les fleurs… l’enfant découvre la famille en vivant les bons et les mauvais jours d’une famille bien réelle ; il découvre les fleurs une à une, il traverse avec nous les saisons… quand la famille célèbre un mariage ou une naissance, quand elle traverse un deuil, alors l’enfant vit avec nous ces événements et, peu à peu, nous l’accompagnons dans sa découverte de la vie.
Dieu a déployé la même pédagogie d’accompagnement avec son peuple et s’est révélé à lui progressivement ; pour saint Paul, il est clair que cette révélation a franchi une étape décisive avec le Christ : l’histoire de l’humanité se divise nettement en deux périodes : avant le Christ et depuis le Christ. « Ce mystère1, n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. » À ce titre, on peut se réjouir que nos calendriers occidentaux décomptent les années en deux périodes, les années avant J.-C. et les années après J.-C.
Ce mystère, ici, Paul l’appelle simplement « le mystère du Christ », mais on sait ce qu’il entend par là : à savoir que le Christ est le centre du monde et de l’histoire, que l’univers entier sera un jour réuni en lui, comme les membres le sont à la tête ; d’ailleurs, dans la phrase « réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ », le mot grec que nous traduisons « chef » veut dire tête.
Il s’agit bien de « l’univers entier » et ici Paul précise : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus » ; on pourrait dire encore autrement : l’Héritage, c’est Jésus-Christ… la Promesse, c’est Jésus-Christ… le Corps, c’est Jésus-Christ… Le dessein bienveillant de Dieu, c’est que Jésus-Christ soit le centre du monde, que l’univers entier soit réuni en lui. Dans le Notre Père, quand nous disons « Que ta volonté soit faite », c’est de ce projet de Dieu que nous parlons et, peu à peu, à force de répéter cette phrase, nous nous imprégnons du désir de ce Jour où enfin ce projet sera totalement réalisé.
Donc le projet de Dieu concerne l’humanité tout entière, et non pas seulement les Juifs : c’est ce qu’on appelle l’universalisme du plan de Dieu. Cette dimension universelle du plan de Dieu fut l’objet d’une découverte progressive par les hommes de la Bible, mais à la fin de l’histoire biblique, c’était une conviction bien établie dans le peuple d’Israël, puisqu’on fait remonter à Abraham la promesse de la bénédiction de toute l’humanité : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12, 3). Et le passage d’Isaïe que nous lisons en première lecture de cette fête de l’Epiphanie est exactement dans cette ligne. Bien sûr, si un prophète comme Isaïe a cru bon d’y insister, c’est qu’on avait tendance à l’oublier.
De la même manière, au temps du Christ, si Paul précise : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus », c’est que cela n’allait pas de soi. Et là, nous avons un petit effort d’imagination à faire : nous ne sommes pas du tout dans la même situation que les contemporains de Paul ; pour nous, au vingt-et-unième siècle, c’est une évidence : beaucoup d’entre nous ne sont pas juifs d’origine et trouvent normal d’avoir part au salut apporté par le Messie ; pour un peu, même, après deux mille ans de Christianisme, nous aurions peut-être tendance à oublier qu’Israël reste le peuple élu parce que, comme dit ailleurs saint Paul, « Dieu ne peut pas se renier lui-même ». Aujourd’hui, nous avons un peu tendance à croire que nous sommes les seuls témoins de Dieu dans le monde.
Mais au temps du Christ, c’était la situation inverse : c’est le peuple juif qui, le premier, a reçu la révélation du Messie. Jésus est né au sein du peuple juif : c’était la logique du plan de Dieu et de l’élection d’Israël ; les Juifs étaient le peuple élu, ils étaient choisis par Dieu pour être les apôtres, les témoins et l’instrument du salut de toute l’humanité ; et on sait que les Juifs devenus chrétiens ont eu parfois du mal à tolérer l’admission d’anciens païens dans leurs communautés. Saint Paul vient leur dire « Attention… les païens, désormais, peuvent aussi être des apôtres et des témoins du salut »… Au fait, je remarque que Matthieu, dans l’évangile de la visite des mages, qui est lu également pour l’Épiphanie, nous dit exactement la même chose.
Les derniers mots de ce texte résonnent comme un appel : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus par l’annonce de l’évangile » : si je comprends bien, Dieu attend notre collaboration à son dessein bienveillant : les mages ont aperçu une étoile, pour laquelle ils se sont mis en route ; pour beaucoup de nos contemporains, il n’y aura pas d’étoile dans le ciel, mais il faudra des témoins de la Bonne Nouvelle.


ÉVANGILE – selon saint Matthieu 2, 1 – 12


1 Jésus était né à Bethléem en Judée,
au temps du roi Hérode le Grand.
Or, voici que des mages venus d’Orient
arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent :
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?
Nous avons vu son étoile à l’orient
et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
3 En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé,
et tout Jérusalem avec lui.
4 Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple,
pour leur demander où devait naître le Christ.
Ils lui répondirent :
5 « À Bethléem en Judée,
car voici ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda,
tu n’es certes pas le dernier
parmi les chefs-lieux de Juda,
car de toi sortira un chef,
qui sera le berger de mon peuple Israël. »
7 Alors Hérode convoqua les mages en secret
pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
8 Puis il les envoya à Bethléem, en leur disant :
« Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant.
Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer
pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
9 Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient
les précédait,
jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit
où se trouvait l’enfant.
10 Quand ils virent l’étoile,
ils se réjouirent d’une très grande joie.
11 Ils entrèrent dans la maison,
ils virent l’enfant avec Marie sa mère ;
et, tombant à ses pieds,
ils se prosternèrent devant lui.
Ils ouvrirent leur coffrets,
et lui offrirent leurs présents :
de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode,
ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.


On sait à quel point l’attente du Messie était vive au temps de Jésus. Tout le monde en parlait, tout le monde priait Dieu de hâter sa venue. La majorité des Juifs pensait que ce serait un roi : ce serait un descendant de David, il règnerait sur le trône de Jérusalem, il chasserait les Romains, et il établirait définitivement la paix, la justice et la fraternité en Israël ; et les plus optimistes allaient même jusqu’à dire que tout ce bonheur s’installerait dans le monde entier.
Dans ce sens, on citait plusieurs prophéties convergentes de l’Ancien Testament : d’abord celle de Balaam dans le Livre des Nombres. Je vous la rappelle : au moment où les tribus d’Israël s’approchaient de la terre promise sous la conduite de Moïse, et traversaient les plaines de Moab (aujourd’hui en Jordanie), le roi de Moab, Balaq, avait convoqué Balaam pour qu’il maudisse ces importuns ; mais, au lieu de maudire, Balaam, inspiré par Dieu avait prononcé des prophéties de bonheur et de gloire pour Israël ; et, en particulier, il avait osé dire : « Je le vois, je l’observe, de Jacob monte une étoile, d’Israël jaillit un sceptre … » (Nb 24, 17). Le roi de Moab avait été furieux, bien sûr, car, sur l’instant, il y avait entendu l’annonce de sa future défaite face à Israël ; mais en Israël, dans les siècles suivants, on se répétait soigneusement cette belle promesse ; et peu à peu on en était venu à penser que le règne du Messie serait signalé par l’apparition d’une étoile. C’est pour cela que le roi Hérode, consulté par les mages au sujet d’une étoile, prend l’affaire très au sérieux.
Autre prophétie concernant le Messie : celle de Michée : « Toi, Bethléem, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, c’est de toi que sortira le Messie » ; prophétie tout à fait dans la ligne de la promesse faite par Dieu à David : que sa dynastie ne s’éteindrait pas et qu’elle apporterait au pays le bonheur attendu.
Les mages n’en savent peut-être pas tant : ce sont des astrologues ; ils se sont mis en marche tout simplement parce qu’une nouvelle étoile s’est levée ; et, spontanément, en arrivant à Jérusalem, ils vont se renseigner auprès des autorités. Et c’est là, peut-être, la première surprise de ce récit de Matthieu : il y a d’un côté, les mages qui n’ont pas d’idées préconçues ; il sont à la recherche du Messie et ils finiront par le trouver. De l’autre, il y a ceux qui savent, qui peuvent citer les Écritures sans faute, mais qui ne bougeront pas le petit doigt ; ils ne feront même pas le déplacement de Jérusalem à Bethléem. Évidemment, ils ne rencontreront pas l’enfant de la crèche.
Quant à Hérode, c’est une autre histoire. Mettons-nous à sa place : il est le roi des Juifs, reconnu comme roi par le pouvoir romain, et lui seul… Il est assez fier de son titre et férocement jaloux de tout ce qui peut lui faire de l’ombre … Il a fait assassiner plusieurs membres de sa famille, y compris ses propres fils, il ne faut pas l’oublier. Car dès que quelqu’un devient un petit peu populaire… Hérode le fait tuer par jalousie. Et voilà qu’on lui rapporte une rumeur qui court dans la ville : des astrologues étrangers ont fait un long voyage jusqu’ici et il paraît qu’ils disent : « Nous avons vu se lever une étoile tout à fait exceptionnelle, nous savons qu’elle annonce la naissance d’un enfant-roi… tout aussi exceptionnel… Le vrai roi des juifs vient sûrement de naître » ! … On imagine un peu la fureur, l’extrême angoisse d’Hérode !
Donc, quand Saint Matthieu nous dit : « Hérode fut bouleversé et tout Jérusalem avec lui », c’est certainement une manière bien douce de dire les choses ! Évidemment, Hérode ne va pas montrer sa rage, il faut savoir manœuvrer : il a tout avantage à extorquer quelques renseignements sur cet enfant, ce rival potentiel… Alors il se renseigne :
D’abord sur le lieu : Matthieu nous dit qu’il a convoqué les chefs des prêtres et les scribes et qu’il leur a demandé où devait naître le Messie ; et c’est là qu’intervient la prophétie de Michée : le Messie naîtra à Bethléem.
Ensuite, Hérode se renseigne sur l’âge de l’enfant car il a déjà son idée derrière la tête pour s’en débarrasser ; il convoque les mages pour leur demander à quelle date au juste l’étoile est apparue. On ne connaît pas la réponse mais la suite nous la fait deviner : puisque, en prenant une grande marge, Hérode fera supprimer tous les enfants de moins de deux ans.
Très probablement, dans le récit de la venue des mages, Matthieu nous donne déjà un résumé de toute la vie de Jésus : dès le début, à Bethléem, il a rencontré l’hostilité et la colère des autorités politiques et religieuses. Jamais, ils ne l’ont reconnu comme le Messie, ils l’ont traité d’imposteur… Ils l’ont même supprimé, éliminé. Et pourtant, il était bien le Messie : tous ceux qui le cherchent peuvent, comme les mages, entrer dans le salut de Dieu.
————————-
Complément
Au passage, on notera que c’est l’un des rares indices que nous ayons de la date de naissance exacte de Jésus ! On connaît avec certitude la date de la mort d’Hérode le Grand : 4 avant J.-C. (il a vécu de 73 à 4 avant J.-C.)… or il a fait tuer tous les enfants de moins de 2 ans : c’est-à-dire des enfants nés entre 6 et 4 (avant J.-C.) ; donc Jésus est probablement né entre 6 et 4 ! Probablement en 6 ou 5… C’est quand au sixième siècle on a voulu – à juste titre – compter les années à partir de la naissance de Jésus, (et non plus à partir de la fondation de Rome) qu’il y a eu tout simplement une erreur de comptage.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, Épiphanie du Seigneur (3 janvier 2016)

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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 22:57

 Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 26 décembre 2015).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

PREMIÈRE LECTURE – Premier livre de Samuel, 1, 20… 28


Elcana s’unit à Anne, sa femme, et le SEIGNEUR se souvint d’elle.
20 Anne conçut et, le temps venu, elle enfanta un fils ;
elle lui donna le nom de Samuel (c’est-à-dire « Dieu exauce »)
car, disait-elle :
« Je l’ai demandé au SEIGNEUR ».
21 Elcana, son mari, monta au sanctuaire
avec toute sa famille
pour offrir au SEIGNEUR le sacrifice annuel
et s’acquitter du vœu pour la naissance de l’enfant.
22 Mais Anne n’y monta pas.
Elle dit à son mari :
« Quand l’enfant sera sevré,
je l’emmènerai : il sera présenté au SEIGNEUR ,
et il restera là pour toujours. »
24 Lorsque Samuel fut sevré,
Anne, sa mère, le conduisit à la maison du SEIGNEUR à Silo ;
l’enfant était encore tout jeune.
Anne avait pris avec elle un taureau de trois ans,
un sac de farine et une outre de vin.
25 On offrit le taureau en sacrifice,
et on amena l’enfant au prêtre Eli.
26 Anne lui dit alors :
« Écoute-moi, mon Seigneur, je t’en prie !
Aussi vrai que tu es vivant,
je suis cette femme qui se tenait ici près de toi
pour prier le SEIGNEUR .
27 C’est pour obtenir cet enfant que je priais,
et le SEIGNEUR me l’a donné en réponse à ma demande.
28 À mon tour, je le donne au SEIGNEUR pour qu’il en dispose.
Il demeurera à la disposition du SEIGNEUR
tous les jours de sa vie. »
Alors ils se prosternèrent devant le SEIGNEUR.


SAMUEL, L’ENFANT DU MIRACLE
Samuel, c’est l’enfant du miracle ! Nous sommes là dans une période de l’histoire d’Israël dont nous parlons malheureusement peu souvent ! Donc, je vous la rappelle : c’est la fin de la période des Juges : il n’y a pas encore de roi pour régner sur l’ensemble du peuple. Après la mort de Moïse et l’entrée dans la Terre Promise, vers 1 200 av. J.-C., les tribus se sont installées dans le pays et cette conquête progressive a duré environ cent cinquante ans. Pendant ce temps, il n’y avait pas encore d’administration centralisée ; les tribus étaient menées par des chefs qu’on appelle les « Juges » au sens de « gouverneurs » ; ils étaient à la fois chefs de guerre, chefs politiques et religieux, et ils réglaient les litiges.
Encore un mot sur cette période
: puisque nous sommes avant la période de la royauté, cela veut dire que ni Jérusalem ni son Temple n’existent encore ; l’arche d’Alliance qui avait suivi le peuple tout au long de l’Exode résidait dans un sanctuaire à Silo, au centre de la Palestine, à trente kilomètres au Nord de l’actuelle Jérusalem. Ce sanctuaire était gardé par un prêtre, Eli (qui n’a rien à voir avec le prophète du même nom qui a vécu plus tard au neuvième siècle). Parce que la ville de Silo abritait l’arche d’Alliance, elle était devenue un centre de pèlerinage annuel.
Or il y avait aux environs de Silo un homme qui s’appelait Elcana ; lequel avait deux femmes, Anne et Peninna. Anne était la femme préférée de son mari Elcana ; mais elle était stérile ; sa rivale Peninna, au contraire, avait des enfants dont elle était très fière et elle ne manquait pas une occasion d’insinuer que la stérilité d’Anne était une malédiction de Dieu. Le moment le plus dur de l’année était celui du pèlerinage à Silo ; Elcana s’y rendait avec ses deux femmes : et tout le monde pouvait constater la tristesse d’Anne comparée à l’épanouissement de Peninna, la mère comblée. Anne, alors, ressentait plus durement encore sa stérilité. Dans son chagrin, son humiliation, elle ne savait que pleurer et marmonner sa prière, toujours la même ; on ne comprenait pas ce qu’elle disait, mais on pouvait le deviner : « SEIGNEUR, je t’en supplie, donne-moi des enfants. » On voyait seulement ses lèvres trembler et elle n’avait pas fière allure… À tel point que le prêtre Eli qui était le gardien du sanctuaire de Silo a fini un jour par la rabrouer en croyant qu’elle était ivre. Exaspéré, il a essayé de la repousser en lui disant « Va-t’en ailleurs cuver ton vin ! »
Et c’est là que le miracle s’est produit ; car Dieu, lui, connaît le fond des cœurs : il a vu les larmes d’Anne, il a entendu sa prière ; quelques mois plus tard, un petit garçon est né ; Anne l’a appelé « Samuel », parce qu’un des sens possibles de ce nom c’est Dieu entend, Dieu exauce. Dans son chagrin, Anne avait fait un vœu : « SEIGNEUR tout-puissant, si tu daignes regarder la misère de ta servante, te souvenir de moi, ne pas oublier ta servante et donner à ta servante un garçon, je le donnerai au SEIGNEUR pour tous les jours de sa vie. » (1 S 1, 11). Notre texte d’aujourd’hui raconte l’accomplissement de ce vœu : dès que l’enfant est sevré, c’est-à-dire vers trois ans à l’époque, elle l’emmène au sanctuaire de Silo et le confie au prêtre Eli en lui disant : « Je suis cette femme qui se tenait ici près de toi en priant le SEIGNEUR. C’est pour obtenir cet enfant que je priais, et le SEIGNEUR me l’a donné en réponse à ma demande. À mon tour, je le donne au SEIGNEUR. Il demeurera donné au SEIGNEUR tous les jours de sa vie. » Samuel a donc grandi là, à Silo et c’est là qu’il a entendu l’appel de Dieu. Plus tard, il est devenu un grand serviteur d’Israël.

IL DEMEURERA À LA DISPOSITION DU SEIGNEUR
On peut se demander pourquoi ce texte nous est proposé à l’occasion de la fête de la sainte Famille ? Quel lien peut-il y avoir entre les deux enfants Jésus et Samuel, les deux mères Marie et Anne, les deux pères Joseph et Elcana ? Plus de mille ans les séparent.
On peut faire trois remarques : premièrement Dieu entend ; c’est le sens du nom Samuel : « Dieu entend, Dieu exauce » ; c’est aussi et surtout l’expérience religieuse fondamentale d’Israël ; les pauvres, les humiliés ont toute leur place dans la maison de Dieu ; c’est au creux même de son humiliation qu’Anne a crié vers le Seigneur et a été entendue ; relisez le cantique d’Anne, par exemple, après la naissance de Samuel ; il ressemble à s’y méprendre au Magnificat qui jaillira des lèvres d’une humble jeune fille du tout petit et méprisable village de Nazareth.
Deuxièmement, c’est à travers l’histoire des hommes, à travers des familles bien humaines que Dieu accomplit son projet : le mystère de l’Incarnation va jusque-là ; Dieu a la patience de nos maturations.
Troisièmement, nous sommes en présence de deux naissances miraculeuses : pour Jésus la naissance virginale par la puissance de l’Esprit. Pour Anne, une naissance inespérée… Et si nous cherchons à peine plus loin, nous retrouvons dans la Bible une longue lignée de naissances miraculeuses : Isaac, Samson, Samuel, Jean-Baptiste, Jésus ; rappelez-vous Isaac par exemple : Sara était la femme préférée d’Abraham ; stérile elle aussi, et sans cesse humiliée par sa rivale plus chanceuse, Agar, la mère d’Ismaël. Et Dieu avait eu pitié de Sara, Isaac était né.
Toutes ces naissances miraculeuses sont pour nous comme des rappels vivants : pour nous dire que tout enfant est un miracle, un don de Dieu. Il suffit d’avoir été père ou mère une fois pour savoir que la vie ne nous appartient pas : nous la transmettons ; mais il serait impropre de dire que nous la « donnons ». Dieu seul donne la vie : quelles que soient nos paternités, spirituelles ou charnelles, nous avons cette fierté de nous mettre à sa disposition, et de prêter nos corps, de prêter nos vies à son projet.


PSAUME – 83 (84), 2-3. 5-6. 9-10


2 De quel amour sont aimées tes demeures,
SEIGNEUR, Dieu de l’univers !
3 Mon âme s’épuise à désirer les parvis du SEIGNEUR ;
mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant !

5 Heureux les habitants de ta maison :
ils pourront te chanter encore !
6 Heureux les hommes dont tu es la force :
des chemins s’ouvrent dans leur cœur !

9 SEIGNEUR, Dieu de l’univers, entends ma prière ;
écoute, Dieu de Jacob.
10 Dieu, vois notre bouclier,
regarde le visage de ton messie.


UN PEUPLE EN MARCHE
En marche vers Jérusalem, le pèlerin peut dire en vérité, du fond de sa ferveur et de sa fatigue à la fois : « Mon âme s’épuise à désirer les parvis du SEIGNEUR ; mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant ! » La démarche du pèlerinage est peut-être indispensable à une vie de foi : nous l’oublions parfois. Là seulement, on fait l’expérience d’un peuple en marche vers son Dieu : à travers les difficultés de la route, on éprouve la fatigue du corps, la petitesse de l’âme. Et c’est seulement au creux de cette expérience de notre pauvreté fondamentale qu’on peut découvrir la merveille de l’expérience de la foi : c’est seulement quand nous acceptons de reconnaître que nos seules forces n’y suffiront pas qu’une autre force peut s’emparer de nous et nous donner de poursuivre la route jusqu’au bout. Mais pour cela, il faut que le pèlerin à bout de souffle se reconnaisse fragile et démuni.
Au cœur de nos vies, qui sont à leur manière un pèlerinage vers la Jérusalem céleste, nous faisons bien souvent cette expérience ; que de fois nous voudrions tout abandonner de nos petits efforts qui suffisent à nous décourager ; mais alors il suffit d’appeler au secours, de reconnaître notre impuissance et d’autres forces nous sont données, qui ne sont pas les nôtres, nous le savons bien. « Heureux les hommes dont tu es la force : des chemins s’ouvrent dans leur cœur ! » Dans le même sens, le prophète Jérémie disait : « Heureux l’homme qui compte sur le SEIGNEUR : le SEIGNEUR devient son assurance. » C’est bien le sens, il me semble de la fameuse phrase de saint Paul dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (2 Co 12, 10). Voilà qui devrait nous redonner du courage quand les choses nous paraissent un peu difficiles. En d’autres termes, il faut chercher la force là où elle se trouve, c’est-à-dire en Dieu. C’est peut-être cela la pauvreté de cœur, tout simplement.
Le pèlerin ne peut pas s’empêcher d’envier ceux qui sont déjà arrivés ! À commencer par les oiseaux ; des quantités d’oiseaux nichent effectivement sur l’esplanade du temple : quelle chance ont-ils, se dit le pèlerin ! L’un des versets de ce psaume le dit : « L’oiseau lui-même s’est trouvé une maison, et l’hirondelle un nid pour abriter sa couvée : tes autels, SEIGNEUR de l’univers, mon Roi et mon Dieu ! » Eux, ils sont arrivés !
Et ils n’auront pas à repartir, à affronter de nouveau la fatigue du chemin, mais surtout les difficultés du retour à la vie ordinaire : quand la merveilleuse expérience spirituelle qu’on vient de vivre se heurtera à la reprise du quotidien et à l’impossibilité de communiquer avec ceux qui sont restés sur place, dans tous les sens du terme. Et on vient à rêver de ne jamais repartir : « Heureux les habitants de ta maison : ils pourront te chanter encore ! » Il s’agit d’abord des lévites, dont la vie tout entière est consacrée au service du Temple de Jérusalem. Mais, avant même la construction du Temple, nous l’avons vu avec la première lecture, il existait des sanctuaires et les prêtres avaient ce privilège d’y demeurer : c’était le cas du prêtre Eli, et aussi de Samuel.

HEUREUX LES HABITANTS DE TA MAISON
Plus largement, les « habitants de la maison de Dieu », ce sont les membres du peuple élu : la reconnaissance émerveillée pour ce choix gratuit de Dieu en faveur de son peuple habite toute démarche de pèlerinage. C’est le peuple tout entier qui peut dire en vérité : « Mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant ! » Ou encore dans le psaume 62 (63) : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi. »
On sait aussi qu’en définitive, lorsque viendra le Messie, ce sont tous les hommes qui sont appelés à être les habitants de la maison de Dieu ; cette résonance messianique est présente ici aussi : dans la phrase « regarde le visage de ton messie », on rêve déjà de la dernière montée à Jérusalem, celle qu’ont annoncée les prophètes, celle qui verra l’humanité tout entière rassemblée dans la joie sur la montagne sainte, autour du Messie.
Dans les versets qui sont lus ce dimanche transparaissent plutôt la fatigue et la prière du pèlerin. Dans d’autres versets, se dit plus l’amour du Temple, l’amour de Jérusalem. Et aussi la joie profonde, la confiance qui habitent le croyant. À deux reprises, Dieu est appelé notre « bouclier », celui qui nous protège. Et nous avons pu noter au passage deux « béatitudes » : « Heureux les habitants de ta maison : ils pourront te chanter encore ! … Heureux les hommes dont tu es la force : des chemins s’ouvrent dans leur cœur ! » Le dernier verset est également une béatitude : « SEIGNEUR, Dieu de l’univers, heureux qui espère en toi », et un autre verset affirme : « Jamais il (Dieu) ne refuse le bonheur à ceux qui vont sans reproche. » C’est la chance des pauvres et des humbles, des fatigués (ceux que la langue hébraïque appelle « les dos courbés ») de découvrir la seule chose qui compte : à savoir que notre seul vrai bonheur est en Dieu.
Jésus le redira à sa manière dans ce que nous appelons « L’hymne de jubilation » (Mt 11, 25) : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange ; ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. »

DEUXIÈME LECTURE – Lettre de le première lettre de saint Jean 3, 1 – 2. 21-24


Bien-aimés,
1 voyez quel grand amour nous a donné le Père
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu
– et nous le sommes -.
Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas :
c’est qu’il n’a pas connu Dieu.
2 Bien-aimés,
dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
Nous le savons : quand cela sera manifesté,
nous lui serons semblables
car nous le verrons tel qu’il est.

21 Bien-aimés,
si notre cœur ne nous accuse pas,
nous avons de l’assurance devant Dieu.
22 Quoi que nous demandions à Dieu,
nous le recevons de lui,
parce que nous gardons ses commandements,
et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux.
23 Or, voici son commandement :
mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus-Christ,
et nous aimer les uns les autres
comme il nous l’a commandé.
24 Celui qui garde ses commandements
demeure en Dieu,
et Dieu en lui ;
et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous,
puisqu’il nous a donné part à son Esprit.


OUVRIR LES YEUX
« Bien-aimés, voyez… » : Jean nous invite à la contemplation ; parce que c’est la clé de notre vie de foi : savoir regarder ; toute l’histoire humaine est celle d’une éducation du regard de l’homme ; « ils ont des yeux pour voir et ne voient pas », c’est le drame de l’homme décrit par les prophètes. Et que faut-il voir au juste ? L’amour de Dieu pour l’humanité, son dessein bienveillant, comme dirait saint Paul ; saint Jean ne parle que de cela dans ce que nous venons d’entendre.
Je reprends ces deux points : la thématique du regard, et le projet de Dieu contemplé par Jean. Sur le premier point, le regard, ce thème du regard est développé dans toute la Bible ; et toujours dans le même sens : savoir regarder, ouvrir les yeux, c’est découvrir le vrai visage du Dieu d’amour ; à l’inverse, le regard peut être faussé ; je ne vous citerai qu’un texte.
Je veux parler de la fameuse histoire d’Adam et Êve dans le jardin d’Eden : c’est bien une affaire de regard
. Le texte est admirablement construit : il commence par planter le décor, un jardin avec des quantités d’arbres. « Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. » (au sens de « ce qui rend heureux ou malheureux »). Je note que l’arbre de vie est au milieu du jardin, mais que l’emplacement de l’autre arbre, celui de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux n’est pas précisé.
Puis Dieu permet de manger des fruits de tous les arbres du jardin, (y compris donc de l’arbre de vie) et il interdit un seul fruit, celui de l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux ». C’est alors que le serpent intervient pour poser une question apparemment innocente, de simple curiosité, à la femme. « Vraiment, vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » On note au passage l’ambiguïté de la question : cela peut vouloir dire : « vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin » ou bien « vous en mangerez certains et pas d’autres ».
À quoi elle répond : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas… » Elle est de bonne foi, certainement, mais, vous l’avez peut-être remarqué, le seul fait d’avoir prêté l’oreille à la voix du serpent, a déjà un peu faussé le regard de la femme. Puisque désormais c’est l’arbre litigieux qu’elle voit au milieu du jardin et non plus l’arbre de la vie, ce qui est juste le contraire de la vérité. Cela a l’air anodin, mais l’auteur le note exprès, évidemment : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas… »
Alors le serpent, pour séduire Êve, lui promet « non, vous ne mourrez pas (sous-entendu si vous mangez le fruit interdit), mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, possédant la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. » Et le texte continue, toujours sur cette thématique du regard : « Alors la femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. » Vous avez remarqué, en une seule phrase, l’accumulation des mots du vocabulaire du regard. Vous connaissez la suite : la femme prend un fruit, le donne à l’homme et ils en mangent tous les deux ; alors le texte note : « leurs yeux à tous deux s’ouvrirent… » mais pour voir quoi ? « et ils virent qu’ils étaient nus » ; non, ils ne sont pas devenus comme des dieux, comme le Menteur le leur avait prédit, ils ont seulement commencé à vivre douloureusement leur nudité, c’est-à-dire leur pauvreté fondamentale.

« VOYEZ COMME IL EST GRAND, L’AMOUR DE VOTRE PÈRE »
Vous vous demandez quel lien je vois entre ce premier texte de la Bible et celui de saint Jean que nous lisons aujourd’hui ? Tout simplement le récit sur Adam et Êve a toujours été considéré comme donnant la clé du malheur de l’humanité : et Jean, au contraire, nous dit « voyez », c’est-à-dire « sachez voir, apprenez à regarder ». Non, Dieu en donnant un interdit à l’homme n’était pas jaloux de l’homme, il n’y a que des langues de vipère pour insinuer une telle monstruosité. C’est bien le thème majeur de saint Jean : « Dieu est amour » et la vraie vie, pour l’homme, c’est de ne jamais en douter. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent » dit Jésus, dans l’évangile de Jean.
Dans notre texte d’aujourd’hui, Jean nous dit à sa manière cette réalité que nous devons apprendre à regarder : « Voyez comme il est grand, l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » ; et il continue : « – et nous le sommes- » ; c’est déjà devenu une réalité par notre baptême qui nous a greffés sur Jésus-Christ, qui a fait de nous ses membres.
Comme dit encore Jean dans le prologue de son évangile : « À ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12). Ceux-là, dès maintenant, sont conduits par l’Esprit de Dieu et cet esprit leur apprend à traiter Dieu comme leur Père
. « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’esprit de son Fils qui crie Abba, Père ! » (Ga 4, 4). C’est cela le sens de l’expression « connaître le Père » chez saint Jean ; c’est le reconnaître comme notre Père, plein de tendresse et de miséricorde, comme disait déjà l’Ancien Testament.
En attendant, il y a ceux qui ont cru en Jésus-Christ et ceux qui, encore, s’y refusent. Car tout ceci apparaît lumineux pour les croyants ; mais c’est totalement incompréhensible et, pire, incroyable ou dérisoire, voire même scandaleux pour les non-croyants ; c’est un thème habituel chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » au sens de « reconnu ». « Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : puisqu’il n’a pas découvert Dieu. » Traduisez : parce qu’il n’a pas encore eu le bonheur d’ouvrir les yeux. À ceux qui ne le connaissent pas encore, c’est-à-dire qui ne voient pas encore en lui leur Père, il nous appartient de le révéler par notre parole et par nos actes. Alors, quand le Fils de Dieu paraîtra, l’humanité tout entière sera transformée à son image. On comprend pourquoi Jésus disait à la Samaritaine « Si tu savais le don de Dieu ! »
 

ÉVANGILE – selon saint Luc 2, 41 -52


41 Chaque année,
les parents de Jésus se rendaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
42 Quand il eut douze ans,
ils montèrent en pèlerinage suivant la coutume.
43 À la fin de la fête, comme ils s’en retournaient,
le jeune Jésus resta à Jérusalem
à l’insu de ses parents.
44 Pensant qu’il était dans le convoi des pèlerins,
ils firent une journée de chemin
avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.
45 Ne le trouvant pas,
ils retournèrent à Jérusalem en continuant à le chercher.
46 C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple,
assis au milieu des docteurs de la Loi :
il les écoutait et leur posait des questions,
47 et tous ceux qui l’entendaient
s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses.
48 En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement,
et sa mère lui dit :
« Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ?
Vois comme ton père et moi nous avons souffert en te cherchant ! »
49 Il leur dit :
« Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ?
Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
50 Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.
51 Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth,
et il leur était soumis.
Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements.
52 Quant à Jésus,
il grandissait en sagesse, en taille et en grâce
devant Dieu et devant les hommes.


JÉSUS AU TEMPLE DE JÉRUSALEM
« Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » : c’est une phrase de Jean dans le prologue de son évangile ; il semble bien que le récit que nous lisons ici chez Luc en soit une illustration. Car ce récit nous présente à la fois une manifestation du mystère de Jésus et l’incompréhension de ses plus proches. Que cette famille se soit rendue à Jérusalem pour la Pâque, rien d’étonnant. Que cela ait duré huit jours, rien d’étonnant non plus : les deux fêtes réunies de la Pâque et des Azymes qui n’en faisaient déjà plus qu’une duraient effectivement huit jours.

Mais c’est la suite qui est étonnante : le jeune garçon reste au Temple sans se soucier, apparemment, de prévenir ses parents ; eux quittent Jérusalem avec tout le groupe, comme chaque année, sans vérifier qu’il est bien du voyage. Cette séparation durera trois jours, chiffre que Luc précise, bien sûr, intentionnellement. Quand ils se retrouvent tous les trois, ils ne sont pas encore sur la même longueur d’ondes : le reproche affectueux de Marie, encore tout émue de l’angoisse de ces trois jours se heurte à l’étonnement tout aussi sincère de son fils : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C’est chez mon Père que je dois être. »
La manifestation du mystère de Jésus réside, bien sûr, dans l’émerveillement de tous et particulièrement des docteurs de la Loi devant la lumière qui l’habite de toute évidence. Elle réside aussi dans la mention des trois jours qui, tout au long de la Bible, sont le délai habituel pour rencontrer Dieu. Trois jours ce sera le délai entre la mise au tombeau et la Résurrection, c’est-à-dire la victoire plénière de la vie. La manifestation du mystère de Jésus réside enfin dans cette phrase étonnante dans la bouche de ce garçon de douze ans, accompagné de ses deux parents bien humains : « C’est chez mon Père que je dois être. » : là il s’affirme clairement comme le Fils de Dieu ; à l’Annonciation, l’Ange Gabriel l’avait déjà présenté comme le « Fils du Très-Haut », mais ceci pouvait être entendu seulement comme le titre du Messie ; cette fois, la révélation franchit une étape : le titre de fils appliqué à Jésus n’est pas seulement un titre royal, il dit le mystère de la filiation divine de Jésus. Pas étonnant que ce ne soit pas tout de suite compréhensible ! Et ce n’est pas fini : Jésus, aujourd’hui, dit « Je suis chez mon Père »… Plus tard il dira « Qui m’a vu a vu le Père ».
Ce n’est pas compréhensible, effectivement, même pour ses parents : et Jésus ose leur dire « Ne le saviez-vous pas ? » Même des croyants aussi profonds et fervents que Joseph et Marie sont surpris, désarçonnés par les mystères de Dieu. Cela devrait nous rassurer. Ne nous étonnons pas de comprendre si peu de choses nous-mêmes ! Aurions-nous oublié la phrase d’Isaïe ? « Vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins – oracle du SEIGNEUR. C’est que les cieux sont hauts par rapport à la terre : ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins, et mes pensées, par rapport à vos pensées. » (Is 55, 8-9).
L’évangile nous suggère que Marie, elle-même, ne comprend pas tout tout de suite : elle retient tout et s’interroge, et elle cherche à comprendre. « Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. » Après la visite des bergers à la grotte de Bethléem, nous lisions déjà : « Quant à Marie, elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. » (Lc 2, 19). Luc nous donne là un exemple à suivre : accepter de ne pas tout comprendre tout de suite, mais laisser se creuser en nous la méditation. Pas plus que la nôtre, la foi de Marie n’est un chemin semé de roses !

LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION
Et tout ceci se passe dans le Temple de Jérusalem ; Luc attache beaucoup d’importance au Temple, qui était pour les Juifs le signe de la présence de Dieu au milieu de son peuple. Mais, pour les Chrétiens, on le sait, c’est désormais le corps du Christ lui-même qui est le vrai Temple de Dieu, le lieu par excellence de sa présence. Notre récit d’aujourd’hui est l’une des étapes de cette révélation ; Luc pense certainement ici à la prophétie de Malachie : « Subitement, il entrera dans son Temple, le maître que vous cherchez, l’Ange de l’Alliance que vous désirez ; le voici qui vient dit le Seigneur, le Tout-Puissant. » (Mal 3, 1).
La dernière phrase du récit de Luc donne à réfléchir : « Jésus grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes. » Cela veut dire que Jésus lui-même, comme tous les enfants du monde, a besoin de grandir ! Le mystère de l’Incarnation va jusque-là : ce qui signifie d’une part que Jésus est complètement homme, et d’autre part que Dieu a la patience de nos maturations : pour lui, mille ans sont comme un jour. (Ps 89/90).
Enfin, on peut être surpris d’une contradiction apparente : Jésus répond à ses parents « C’est chez mon Père que je dois être » pour aussitôt après retourner avec eux à Nazareth. Ce qui veut dire qu’il n’est pas resté dans le Temple de pierre ! Pas plus que Samuel, d’ailleurs (voir la première lecture) : pourtant consacré au Seigneur et amené au temple de Silo pour y demeurer toute sa vie, celui-ci a finalement servi le Seigneur, hors du temple, en prenant la direction de son peuple. C’est peut-être là aussi une leçon pour nous : « C’est chez mon Père que je dois être » veut dire une vie donnée au service des hommes, pas forcément dans l’enceinte du temple : pour le dire autrement, être chez le Père veut dire d’abord être au service de ses enfants.
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Complément
– L’évangile de Luc commence au Temple de Jérusalem avec l’annonce à Zacharie de la naissance de Jean-Baptiste (Jean signifie « Dieu a fait grâce ») ; c’est là que, le jour de la Présentation de Jésus, Syméon proclame que le salut de Dieu est arrivé ; c’est là enfin que se termine l’évangile de Luc : après leurs adieux au Christ ressuscité, les disciples, nous dit-il, retournent au Temple de Jérusalem.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, La sainte Famille (27 décembre 2015)

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