Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 novembre 2014 1 10 /11 /novembre /2014 18:48
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.(disponible seulement à compter du 15 novembre 2014).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
PREMIÈRE LECTURE – Livre des Proverbes 31, 10-31

10 La femme vaillante, qui donc peut la trouver ?
Elle est infiniment plus précieuse que les perles.
11 Son mari peut avoir confiance en elle :
au lieu de lui coûter, elle l’enrichira.
12 Tous les jours de sa vie,
elle lui épargne le malheur
et lui donne le bonheur.
13 Elle a fait provision de laine et de lin,
et ses mains travaillent avec entrain.
19 Sa main saisit la quenouille,
ses doigts dirigent le fuseau.
20 Ses doigts s’ouvrent en faveur du pauvre,
elle tend la main aux malheureux.
30 Décevante est la grâce, et vaine la beauté ;
la femme qui craint le SEIGNEUR
est seule digne de louange.
31 Reconnaissez les fruits de son travail :
sur la place publique, on fera l’éloge de son activité.


LE PORTRAIT DE LA FEMME IDEALE
Chose étonnante, ce que nous venons d’entendre, ce sont les derniers mots du livre des Proverbes : or c’est un éloge de la femme. Voilà qui prouve que les auteurs bibliques ne sont pas misogynes ! Et pourtant, nous n’avons eu qu’un extrait de ce long poème qui termine le livre ; si vous avez la curiosité de lire le texte en entier, c’est-à-dire l’intégralité des versets 10 à 31 du dernier chapitre des Proverbes, vous verrez que c’est en quelque sorte le portrait de la femme idéale ; l’expression « femme vaillante » du premier verset veut dire « femme de valeur » : celle qu’un homme doit épouser s’il veut être heureux. Or qu’a-t-elle d’extraordinaire ? Rien justement : elle est travailleuse, elle est fidèle et consacrée à son mari et à sa maison, sans oublier de tendre la main aux pauvres et aux malheureux ; c’est tout, mais voilà des valeurs sûres, nous dit l’auteur, le secret du bonheur. Il n’emploie pas l’expression « secret du bonheur », il appelle cela sagesse, mais c’est la même chose.
Et vous savez qu’en Israël, on est bien convaincu d’une chose : le secret du bonheur, Dieu seul peut nous l’enseigner, mais c’est fait de choses humbles et modestes de notre vie de tous les jours. Vous connaissez la célèbre phrase qui est dans ce même livre des Proverbes : « La crainte du SEIGNEUR est le commencement de la sagesse. » (Pr 9, 10). (La crainte au sens d’amour et de fidélité, tout simplement).
Il est intéressant de voir que le livre des Proverbes commence par neuf chapitres qui sont une invitation à cultiver cette vertu de la sagesse qui est l’art de diriger sa vie ; et, à l’autre extrémité de ce livre, se trouve ce poème à la gloire de la femme idéale : celle qui dirige bien sa vie, précisément. La leçon, c’est qu’une telle femme donne à son entourage la seule chose dont Dieu rêve pour l’humanité, à savoir le bonheur.
Alors, ce n’est pas un hasard, bien sûr, si ce poème se présente de manière particulière : car si vous vous reportez à ce passage dans votre Bible, vous verrez que ce poème est alphabétique ; nous avons déjà rencontré des psaumes alphabétiques ; c’est un procédé habituel : chaque verset commence par une lettre de l’alphabet dans l’ordre ; (en littérature, on appelle cela un acrostiche) ; mais il ne s’agit pas de technique, pas plus que dans les psaumes, il s’agit d’une affirmation de la foi ; la femme idéale, c’est celle qui s’est laissé imprégner par la sagesse de Dieu, elle est un reflet de la sagesse de Dieu ; et donc elle a tout compris, de A à Z.

LA BIBLE ET LES FEMMES
Le livre des Proverbes n’est pas le seul à tenir ce genre de discours très positif sur la gent féminine ; on pourrait citer des quantités d’autres phrases de la Bible qui font l’éloge des femmes, du moins de certaines. Il ne faut pas oublier que la Bible a, dès le début, une conception de la femme tout à fait originale ; à Babylone, par exemple, on pensait que la femme a été créée après l’homme (sous-entendu l’homme a pu fort bien se passer de femme) ; au contraire, le poème de la création (le premier chapitre de la Genèse) qui a été rédigé par les prêtres pendant l’Exil à Babylone, justement, affirme clairement : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa » (Gn 1, 27). (C’est-à-dire dès le début).
Et le deuxième récit de la création dans la Genèse, et qui est plus ancien, raconte de manière très imagée la création de la femme aussitôt après l’homme ; il la décrit soigneusement comme une égale, puisqu’elle est de la même nature que lui « os de ses os, chair de sa chair » (Gn 2, 18-24). Ils sont tellement égaux d’ailleurs, qu’ils portent le même nom : homme et femme, en français, ne sont pas de la même racine : mais, en hébreu, ils se disent ish au masculin, ishshah au féminin ; ce qui dit bien à la fois la similitude des deux et la particularité de chacun.
Et le texte va plus loin, puisqu’il précise bien que la femme est un cadeau fait à l’homme pour son bonheur : « Le SEIGNEUR Dieu dit : Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul (entendez il n’est pas heureux pour l’homme d’être seul), je veux lui faire une aide qui lui soit accordée » ; et le texte hébreu précise « qui soit pour lui comme son vis-à-vis » (Gn 2, 18) ; un vis-à-vis, c’est-à-dire un égal avec lequel on puisse dialoguer, dans un véritable face-à-face avec tout ce que cela comporte de révélation mutuelle, et de découverte de chacun dans le regard de l’autre.
La suite du texte biblique raconte la déchirure qui s’est introduite peu à peu dans des relations qui auraient dû être faites de confiance et de dialogue : le soupçon s’est installé entre l’humanité et son créateur ; et des relations faussées se sont peu à peu elles aussi instaurées entre l’homme et la femme : désormais tout repose non sur le dialogue, mais sur le pouvoir : qui se fait séduction d’un côté, domination de l’autre ; « Ton désir te poussera vers l’homme, dit Dieu, et lui te dominera » (Gn 3,16). Et quand le théologien biblique écrit ce texte vers l’an 1000 av.J.C., il y a des milliers d’années que l’expérience quotidienne vérifie cette analyse.

L’ALLIANCE DU COUPLE, IMAGE DE L’ALLIANCE DE DIEU
Et voilà que notre livre des Proverbes se prend de nouveau à rêver du couple idéal : ici l’homme peut se reposer entièrement sur sa compagne « son mari a confiance en elle… Elle lui épargne le malheur et lui donne le bonheur »… (v. 11… 12). L’auteur a même eu l’idée, l’audace devrais-je dire, de penser que le couple humain était lié par une véritable Alliance semblable à celle qui unit Dieu à Israël. Dans un autre passage du livre des Proverbes, on peut lire que rompre l’union conjugale c’est rompre du même coup l’Alliance avec Dieu (2, 17).
Je reviens à notre texte d’aujourd’hui : dans la conclusion de son livre, en somme, l’auteur veut mettre en valeur deux choses qui sont un peu les deux béatitudes de la femme : première béatitude « Heureuse es-tu, toi qui crains le SEIGNEUR » (traduisez « toi qui aimes le SEIGNEUR ») ; deuxième béatitude « Heureuse es-tu : avec tout ce travail humble, apparemment inutile, tu crées du bonheur ».
—————————————
Compléments
- Encore une remarque sur ce texte, mais cette fois, de vocabulaire : dans notre traduction liturgique, l’avant-dernier verset dit : « Décevante est la grâce, et vaine la beauté ; la femme qui craint le SEIGNEUR est seule digne de louange. » Nous retrouvons ce mot de « crainte » du SEIGNEUR que nous avons appris à lire de manière positive comme un amour filial. Mais ce que notre traduction ne rend pas très bien, c’est la première phrase : « Décevante est la grâce, et vaine la beauté » : le mot « vain » est exactement le même qui commence le livre de Qohélet : « Vanité des vanités, tout est vanité » ; en hébreu, cela se dit « buée » (« buée de buées… »). On ne sait pas trop dater ni le livre des Proverbes ni celui de Qohélet ; mais généralement, on émet l’hypothèse que ce passage précis des Proverbes serait du début du cinquième siècle av.J.C., donc dans les années 400 et Qohélet cent ou deux cents ans plus tard (quatrième ou troisième siècle). Il n’y a peut-être pas eu filiation entre les deux, mais à tout le moins parenté.
- Ce qui est étonnant, finalement, c’est que cette femme, présentée par le livre des Proverbes, ne fait rien d’extraordinaire ! Ses activités, telles qu’elles nous sont décrites ici, ressemblent à l’idée que nous nous faisons de la femme au foyer ; et on sait bien que ce n’est pas ce qui attire le plus en ce moment ; mais replaçons-nous dans le contexte historique : l’auteur ne prend pas parti pour ou contre la femme au foyer ; et d’ailleurs, qui dit « femme au foyer » ne dit pas femme cloîtrée, privée de toute vie sociale : dans d’autres versets de ce poème, il montre le rôle social qu’elle tient dans sa ville en participant entre autres à des activités commerciales et à des œuvres de charité. Grâce à sa liberté de mouvement et à sa disponibilité, elle est un maillon très important du tissu social.
- Voici quelques autres phrases de la Bible sur la femme : toujours dans le livre des Proverbes, par exemple : « Une femme de valeur est une couronne pour son mari. » (Pr 12) ; ou encore dans le livre de Ben Sirac : « Heureux celui qui vit avec une femme intelligente. » (Si 25, 8) … « Femme bonne fait un mari heureux et double le nombre de ses jours. Femme vaillante fait la joie de son mari qui passera dans la paix toutes ses années. » (Si 26,1). « Comme une lampe qui brille sur le chandelier sacré, tel apparaît un beau visage sur un corps bien planté. » (Si 26, 17). Et enfin, toujours dans le livre de Ben Sirac : « Celui qui acquiert une femme a le commencement de la fortune, une aide semblable à lui et une colonne d’appui. Là où il n’y a pas de clôture, le domaine est au pillage, là où il n’y a pas de femme, l’homme erre en se lamentant » (Si 36, 29-30 ). Et que dire du Cantique des Cantiques !


PSAUME – 127 (128) 1-6 – Psaume des montées

1 Heureux qui craint le SEIGNEUR
et marche selon ses voies !

2 Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !

3 Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plants d’olivier.

4 Voilà comment sera béni
l’homme qui craint le SEIGNEUR.
5 De Sion que le SEIGNEUR te bénisse !

Tu verras le bonheur de Jérusalem
tous les jours de ta vie.
6 Et tu verras les fils de tes fils
Paix sur Israël !


DIEU VEUT LE BONHEUR DE L’HOMME
Ce psaume est l’un des plus courts du psautier. Mais son contenu n’en est pas moins important. Car, après tout, il parle de la seule chose qui compte, le bonheur. On ne dira jamais assez que Dieu nous a créés pour nous rendre heureux ; cette évidence parcourt toute la Bible, ce qui était une audace par rapport aux pays voisins.
Moïse déjà l’avait compris, puisque quand il a voulu décider son beau-frère à le suivre pour lui servir de guide dans le désert du Sinaï, il lui a promis « Viens avec nous. Nous te ferons profiter du bonheur que le SEIGNEUR a promis à Israël. » (Nb 10, 29). Le psaume 34/35 met la même assurance dans la bouche de David : « Le SEIGNEUR a voulu le bonheur de son serviteur. » (Ps 34/35, 27). Mais, si on y réfléchit, c’était déjà vrai pour Abraham : les promesses de Dieu à Abraham représentaient très exactement le bonheur le plus désirable à son époque : une descendance et la prospérité. D’ailleurs, le mot « bénédiction » est bien synonyme de bonheur. « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ; » (Gn 12, 3) : cela signifie d’abord que toutes les nations de la terre ne trouveront pas de plus grand souhait à formuler que d’évoquer ta réussite ; elles se diront l’une à l’autre « puisses-tu prospérer comme le grand Abraham » ; plus tard, on comprendra que « toutes les nations de la terre accèderont par toi à la prospérité. » Que peut-on rêver de mieux ? Or c’est Dieu qui lui promet tout cela : dès leur première rencontre, c’est révélateur.
Et, plus tard, quand on méditera sur les mystères de la Création, on reconnaîtra que Dieu n’a prévu que des choses bonnes : le livre de la Genèse raconte que, quand Dieu, le sixième jour, embrassa du regard l’ensemble de son œuvre, « il vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. » (Gn 1, 31) ; et le mot hébreu, ici, suggère bien une idée de bonheur.

UNE LOI DICTEE POUR LE BONHEUR DE TOUS
Au long de l’histoire d’Israël, ce désir de Dieu de voir ses enfants heureux inspire toutes ses paroles et ses initiatives : par exemple il n’y a pas de commandement qui ne soit dicté par ce seul souci. Le livre du Deutéronome qui résume magnifiquement toute la méditation d’Israël sur les fondements de la Loi résonne de recommandations qui n’ont pas d’autre but que de procurer bonheur et longue vie au peuple tout entier : « Garde les lois et les commandements que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi… » (Dt 4, 40) ; ou encore : « Si seulement leur cœur était décidé à … observer tous les jours mes commandements, pour leur bonheur et celui de leurs fils à jamais ! » (Dt 5, 29). Et le fameux texte du « Shema Israël » (la profession de foi) est précédé par ce conseil : « Tu écouteras, Israël, et tu veilleras à mettre en pratique (les lois et les commandements que je te donne) : ainsi tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te l’a promis le SEIGNEUR, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait et de miel. » (Dt 6, 3).
Notre psaume répond en écho : « Heureux qui craint le SEIGNEUR et marche selon ses voies ! », craindre le SEIGNEUR, voulant exactement dire « marcher selon ses voies », c’est-à-dire obéir aux commandements qui n’ont été donnés que pour le bonheur de ceux qui les pratiquent.
Les mots « heureux », « bonheur » « béni » se répètent ; quant aux images, elles évoquent ce que l’on peut rêver de mieux : l’assurance de la subsistance, la paix dans la ville, la paix dans la maison, autour d’une belle famille, et la promesse d’une descendance. « De Sion, que le SEIGNEUR te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie, et tu verras les fils de tes fils ».

LE BONHEUR AU QUOTIDIEN
La leçon qui se dégage de tout cela, c’est l’intérêt que Dieu prend à notre vie quotidienne : c’est bien là, dans les réalités très concrètes que se joue notre bonheur. L’Ancien Testament disait déjà très fort que Dieu n’est pas à chercher à l’intérieur des murs de nos églises, mais dans toute notre vie de chaque jour. Il reste que nous sommes libres de nous écarter des chemins du SEIGNEUR, traduisez de transgresser les commandements et du coup de faire notre malheur.
Ce n’est pas par hasard, peut-être, que notre psaume reprend le vocabulaire et les images du livre de la Genèse. Après la faute, Dieu dit à Adam : « Le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie. »… Et à la femme : « C’est péniblement que tu enfanteras des fils. Ton désir te poussera vers ton homme et lui te dominera. » Ici, le livre de la Genèse ne fait que constater la spirale du mal qui s’instaure quand on a pris le mauvais chemin ; le jardin de délices s’est transformé en terre de discorde et de malheur. Ce texte du livre de la Genèse sonne comme une mise en garde : au contraire, le psaume qui parle de l’homme fidèle, celui qui craint le SEIGNEUR, lui promet réussite et bonheur familial : « Tu te nourriras du travail de tes mains » et « Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d’olivier. Voilà comment sera béni l’homme qui craint le SEIGNEUR ».
Dans notre première lecture de ce dimanche, le livre des Proverbes dit bien la même chose quand il fait l’éloge de la « femme qui craint le SEIGNEUR », et affirme qu’elle seule est « digne de louange ». En définitive, au long des siècles, notre conception du bonheur peut changer, mais une seule chose compte : ne jamais oublier que le seul but de Dieu est de voir tous ses enfants heureux.
—————————————–
Note : Pour la mise en œuvre liturgique de ce psaume au Temple de Jérusalem, voir le commentaire pour la fête de la Sainte Famille – Année A – tome 1 de « L’INTELLIGENCE DES ECRITURES »


DEUXIÈME LECTURE – 1 Thessaloniciens 5, 1-6

1 Frères,
au sujet de la venue du Seigneur,
il n’est pas nécessaire qu’on vous parle de délais ou de dates.
2 Vous savez très bien que le jour du Seigneur
viendra comme un voleur dans la nuit.
3 Quand les gens diront :
« Quelle paix ! quelle tranquillité ! »
c’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux,
comme les douleurs sur la femme enceinte :
ils ne pourront pas y échapper.
4 Mais vous, frères, comme vous n’êtes pas dans les ténèbres,
ce jour ne vous surprendra pas comme un voleur.
5 En effet, vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour ;
nous n’appartenons pas à la nuit et aux ténèbres.
6 Alors, ne restons pas endormis comme les autres,
mais soyons vigilants et restons sobres.


QUAND VIENDRA LE JOUR DU SEIGNEUR ?
Ce qui était le grand sujet de préoccupation des Thessaloniciens, au moment où Paul leur écrit cette première lettre, c’était la venue du Seigneur, ce qu’ils appelaient le « Jour du Seigneur ». Et ils vivaient dans cette attente, tout comme Paul lui-même vivait tendu de tout son être vers ce jour. Car le mot attente est ambigu peut-être pour nous ; il y a des attentes passives ; mais celle de Paul, celle des Thessaloniciens est une attente impatiente, j’aurais envie de dire fervente. On sent bien l’impatience des Chrétiens derrière la phrase de Paul : « Au sujet de la venue du Seigneur, il n’est pas nécessaire qu’on vous parle de délais ou de dates. » Et, dans sa deuxième lettre à cette communauté, Paul juge utile de préciser : « Au sujet de la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ et de notre rassemblement auprès de lui, n’allez pas trop vite perdre la tête ni vous effrayer à cause d’une révélation prophétique, d’un propos ou d’une lettre présentés comme venant de nous, et qui vous feraient croire que le jour du Seigneur est arrivé. » (2 Thes 2, 1). Chaque fois que des soi-disant prophètes parlent de fin du monde, il nous suffira de relire cette mise en garde de Paul. Je note au passage que Paul ne parle pas du « retour » du Seigneur, il parle de sa « venue ». Car il est invisible, oui, mais il n’est pas absent. Ainsi, on ne peut donc pas parler de « retour » comme s’il était absent.

LE GENRE APOCALYPTIQUE, UN GENRE LITTERAIRE
Pour en parler, Paul emploie tout un vocabulaire et même un genre littéraire un peu surprenant pour nous, mais très familier à ses lecteurs du premier siècle ; c’est ce qu’on appelle le « genre apocalyptique » (c’est-à-dire de dévoilement de la face cachée des choses) ; quand on parle de « voleur dans la nuit », quand on évoque les « douleurs de la femme enceinte », de « catastrophe qui s’abat sur vous » tout cela sur fond d’opposition entre lumière et ténèbres, vous avez toute chance d’être en présence d’un texte apocalyptique. Jésus a employé des expressions tout à fait semblables parce que ce genre littéraire était florissant à son époque ; une époque où justement, l’attente du Messie et de la venue du Royaume de Dieu était très vive.
L’objectif de ce genre de discours est double : premièrement, conforter la foi des lecteurs pour que rien ne les décourage, quelle que soit la longueur de l’attente ; deuxièmement, les encourager à avoir de l’audace dans le témoignage de leur foi à la face du monde, quelle que soit la dureté du temps présent, et même en cas de persécution.
Mais pourquoi personne ne peut-il connaître à l’avance le moment de la venue du Seigneur ? Il y a au moins deux raisons :
Première raison, le temps appartient à Dieu : le prophète Daniel disait « Que le nom de Dieu soit béni, depuis toujours et à jamais ! Car la sagesse et la puissance lui appartiennent. C’est lui qui fait alterner les temps et les moments. » (Daniel 2, 21). Et Jésus lui-même reconnaissait ne pas le savoir : « Ce jour et cette heure, nul ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne, sinon le Père, et lui seul. » (Mt 24, 36). Soit dit en passant, Jésus nous donne là une formidable leçon d’humilité : il accepte de ne pas savoir… il fait confiance à son Père ; même à l’heure extrême, celle de Gethsémani, alors que le combat entre la lumière et les ténèbres, entre l’amour et la haine est à son paroxysme, il fait confiance. Nous n’avons plus qu’à en faire autant !

LE DELAI DEPEND DE NOUS
Deuxième raison, Saint Pierre dit que ce temps dépend aussi de nous : « Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion. » (2 Pi 3, 8-9). Et un peu plus bas, il ajoute « Vous qui attendez et qui hâtez la venue du jour de Dieu… »
Voilà de quoi nous renvoyer à nos responsabilités : mystérieusement, nous collaborons à la venue du Jour de Dieu ; cela peut paraître audacieux ! Mais c’est pourtant ce que nous disent Paul et Pierre. C’est d’ailleurs cela qui fait la grandeur de nos vies : elles sont la matière première du Royaume. Dieu ne le réalise pas sans nous. Pure coïncidence, peut-être, mais c’est justement après cette deuxième lecture que nous allons entendre la parabole des Talents qui nous parlera de la confiance que Dieu nous fait pour bâtir son Royaume !

Jésus l’avait bien dit à ses disciples qui lui posaient la question : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? » Il leur avait répondu : « Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ; mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins… » (Ac 1, 6-7). Ce qui était une manière de leur dire leur responsabilité, mais également de bien situer leur action dans celle de l’Esprit. Comme dit la quatrième Prière Eucharistique, « L’Esprit poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification ».
Nous n’avons donc pas à nous soucier des temps et des moments, comme dit Jésus, ou des délais et des dates, comme dit Paul, il nous suffit d’essayer concrètement de faire avancer le Royaume, sûrs que nous avons reçu l’Esprit pour cela.
Je reviens sur l’expression « fils de la lumière » : « Vous frères… vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour … », nous dit Paul. Le jour du Seigneur, ce sera quand l’humanité tout entière sera fille de lumière.


ÉVANGILE – Matthieu 25, 14-30

Jésus parlait à ses disciples de sa venue ;
il disait cette parabole :
14 Un homme, qui partait en voyage,
appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
15 A l’un il donna une somme de cinq talents,
à un autre deux talents,
au troisième un seul,
à chacun selon ses capacités.
Puis il partit.
16 Aussitôt, celui qui avait reçu cinq talents
s’occupa de les faire valoir
et en gagna cinq autres.
17 De même, celui qui avait reçu deux talents
en gagna deux autres.
18 Mais celui qui n’en avait reçu qu’un
creusa la terre et enfouit l’argent de son maître.
19 Longtemps après, leur maître revient
et il leur demande des comptes
20 Celui qui avait reçu les cinq talents
s’avança en apportant cinq autres talents
et dit :
« SEIGNEUR,
tu m’as confié cinq talents ;
voilà, j’en ai gagné cinq autres.
21 – Très bien, serviteur bon et fidèle,
tu as été fidèle pour peu de choses,
je t’en confierai beaucoup ;
entre dans la joie de ton maître. »
22 Celui qui avait reçu deux talents s’avança ensuite
et dit :
« SEIGNEUR,
tu m’as confié deux talents ;
voilà, j’en ai gagné deux autres,
23 – Très bien, serviteur bon et fidèle,
tu as été fidèle pour peu de choses,
je t’en confierai beaucoup ;
entre dans la joie de ton maître. »
24 Celui qui avait reçu un seul talent s’avança ensuite
et dit :
« SEIGNEUR,
je savais que tu es un homme dur :
tu moissonnes là où tu n’as pas semé
tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain.
25 J’ai eu peur, et je suis allé enfouir ton talent dans la terre.
Le voici. Tu as ce qui t’appartient. »
26 Son maître lui répliqua :
« Serviteur mauvais et paresseux,
tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé,
que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu.
27 Alors, il fallait placer mon argent à la banque ;
et à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts.
28 Enlevez-lui donc son talent
et donnez-le à celui qui en a dix.
29 Car celui qui a
recevra encore,
et il sera dans l’abondance.
Mais celui qui n’a rien
se fera enlever même ce qu’il a.
30 Quant à ce serviteur bon à rien,
jetez-le dehors dans les ténèbres ;
là où il y aura des pleurs et des grincements de dents ! »


UNE AFFAIRE DE CONFIANCE
Il est intéressant de noter combien de fois revient le mot « confier » dans ce texte : « Un homme, qui partait en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens »… et à son retour, au moment des comptes, les deux premiers serviteurs lui disent « tu m’as confié cinq talents, (deux talents)… J’en ai gagné autant.. » et le maître leur répond « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ».
Quant au troisième serviteur, le maître lui avait fait confiance, à lui aussi, mais lui, en retour, il a eu peur de ce maître ; tout se joue sur ce malentendu, la confiance d’un côté, la méfiance, de l’autre.
Les trois serviteurs ont été traités de la même façon par le maître, « chacun selon ses capacités », et le maître ne demande qu’à faire confiance encore plus.
C’est certainement la première leçon de cette parabole ! Dieu nous fait confiance ; il nous associe à ses affaires, c’est-à-dire à son Royaume, chacun selon nos capacités ; cette expression « chacun selon ses capacités » est là pour nous rassurer. Il ne s’agit pas de nous culpabiliser de ce que nous n’avons pas su faire ; d’ailleurs, le maître n’entre pas dans le détail des comptes avec les deux premiers ; il constate qu’ils sont entrés dans son projet qui est la marche de ses affaires, et c’est de cela qu’il les félicite. C’est la seule chose qui nous est demandée, faire notre petit possible pour le Royaume et nous nous entendrons dire : « Rassure-toi, tu as fait ce que tu as pu… Entre dans la joie de ton maître ».

SAVOIR PRENDRE DES INITIATIVES
Cette confiance va loin : le maître attend que ses serviteurs prennent des initiatives, des risques même, pendant son absence. C’est bien ce qu’ont fait les deux premiers serviteurs : s’ils ont pu doubler la somme, c’est qu’ils ont osé risquer de perdre. Tandis que le troisième ne risquait pas de perdre quoi que ce soit ; c’est lui qui a été prudent, pas les autres ; et ce sont les autres qui sont félicités.
Félicités et encouragés à continuer : le même schéma se répète deux fois ; le maître confie, le serviteur en rendant ses comptes dit « tu m’as confié, voilà ce que j’ai fait » ; le maître félicite et dit « je t’en confierai encore » : on pourrait appeler cela « la spirale de la confiance ».

Reste une phrase très difficile dans ce texte : « Celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance. Mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a ». On en trouve une autre presque équivalente dans le livre des Proverbes : « Donne au sage, il deviendra plus sage, instruis le juste, il augmentera son acquis. » (Pr 9, 9). Prenons une comparaison : quand on a choisi la bonne direction, chaque minute, chaque pas nous rapproche du but ; mais quand on tourne le dos au but du voyage, chaque minute qui passe, chaque pas nous éloigne encore du but.

LE TALENT QUI NOUS EST CONFIE, C’EST LA PAROLE DE DIEU
Mais revenons aux deux premiers serviteurs puisque ce sont eux qui nous sont donnés en exemple : ils ont cru à la confiance qui leur était faite, et qui était énorme, puisque cinq talents, ou deux (ou même seulement un talent), ce sont des sommes absolument considérables et ils ont osé prendre des initiatives qui étaient risquées. Au moment où Jésus s’apprête à affronter la mort (puisque nous sommes à la fin de l’évangile de Matthieu, juste avant les Rameaux et la Passion) et à confier l’Église à ses disciples, la leçon est claire : même si son retour se fait attendre, les disciples de tous les temps auront à gérer le trésor de la Parole de Dieu : il faudra savoir prendre des initiatives pour qu’elle porte des fruits.
—————————————-
Compléments
Comme il le dit dans l’évangile de Jean : « Je vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous produisiez du fruit et que votre fruit demeure. » (Jn 15, 16). Et nous n’avons pas à avoir peur car « de crainte, il n’y en a pas dans l’amour. » (1 Jn 4, 18).
Face à cette confiance du maître, il y a deux attitudes : la première consiste à reconnaître la confiance qui est faite et s’employer à la mériter. C’est l’attitude des deux premiers : le même schéma se répète deux fois ; le maître confie, le serviteur en rendant ses comptes dit « tu m’as confié, voilà ce que j’ai fait » ; le maître félicite et dit « je t’en confierai encore » : on pourrait appeler cela « la spirale de la confiance ».
Le troisième serviteur adopte l’attitude inverse : le maître confie, mais le serviteur ne voit pas que c’est de la confiance ; il ne l’interprète pas comme cela puisqu’il a peur de ce maître qu’il considère comme exigeant. Il croit avoir tout compris, il a jaugé son patron et décidé qu’il ne méritait pas d’être servi. Or la méfiance de ce troisième serviteur est d’autant plus injuste que le maître a bien pris soin de proportionner l’effort demandé à chacun « selon ses capacités ». Et il rêvait de pouvoir dire à chacun : « Entre dans la joie de ton maître ».

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 33e dimanche du temps ordinaire (16 novembre 2014)

Partager cet article

Repost0
3 novembre 2014 1 03 /11 /novembre /2014 22:08
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Ezéchiel 47, 1… 12

Au cours d’une vision reçue du Seigneur,
1 l’homme qui me guidait me fit revenir à l’entrée du Temple,
et voici : sous le seuil du Temple,
de l’eau jaillissait en direction de l’orient,
puisque la façade du Temple était du côté de l’orient.
L’eau descendait du côté droit de la façade du Temple,
et passait au sud de l’autel.
2 L’homme me fit sortir par la porte du nord
et me fit faire le tour par l’extérieur,
jusqu’à la porte qui regarde vers l’orient,
et là encore, l’eau coulait du côté droit.
8 Il me dit :
« Cette eau coule vers la région de l’orient,
elle descend dans la vallée du Jourdain,
et se déverse dans la Mer Morte,
dont elle assainit les eaux.
9 En tout lieu où parviendra le torrent,
tous les animaux pourront vivre et foisonner.
Le poisson sera très abondant,
car cette eau assainit tout ce qu’elle pénètre,
et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent.
12 Au bord du torrent, sur les deux rives,
toutes sortes d’arbres fruitiers pousseront :
leur feuillage ne se flétrira pas
et leurs fruits ne manqueront pas.
Chaque mois, ils porteront des fruits nouveaux,
car cette eau vient du sanctuaire.
Les fruits seront une nourriture,
et les feuilles un remède. »


Avant de relire le récit de cette vision par Ezéchiel, il faut nous remettre en tête le plan du Temple qu’Ezéchiel a connu, c’est-à-dire celui de Salomon. C’est très différent de nos églises modernes : pour nous, une église, quel que soit son plan, c’est avant tout un bâtiment dans lequel tout converge vers l’autel.
Tandis qu’à Jérusalem, il s’agit d’abord d’une vaste esplanade découpée en plusieurs cours (qu’on appelait des parvis) : dans l’ordre, on traversait le parvis des païens, puis celui des femmes, puis celui des hommes. Ensuite, le Temple lui-même comportait trois parties : la première en plein air, sur laquelle se trouvait l’autel des holocaustes ; c’est ce qui, pour nous, est le plus surprenant, mais bien compréhensible si on se rappelle que les sacrifices consistaient à égorger ou à brûler des animaux. Enfin venait la Maison de Dieu elle-même, qui comprenait trois parties, le Vestibule, le Saint et le Saint des Saints.
Ensuite, il nous faut faire un effort pour imaginer ce que pouvait représenter le temple de Jérusalem pour le peuple d’Israël ; à la suite d’un vigoureux effort de réforme religieuse qui s’était étalé sur plusieurs siècles, le Temple de Jérusalem était devenu l’unique lieu de pèlerinage et de sacrifices ; il était donc vraiment le centre de la vie cultuelle d’Israël. Le jour où il s’écroulait, tout le système du culte s’écroulait ; la foi allait-elle s’écrouler avec ? Telle était la question !

SURVIVRE APRES LA DESTRUCTION DU TEMPLE
Or le Temple s’est écroulé : avec l’entrée des armées de Nabuchodonosor à Jérusalem en 587 av.J.C.
Le
prophète Ezéchiel, lui, a été emmené à Babylone, dès la première vague de déportations en 597 av.J.C. Il se retrouve au bord du fleuve Kebar, dans un village qui s’appelle Tel-Aviv.1
Pendant les vingt premières années de l’Exil, (dix ans avant la destruction de Jérusalem et du Temple, et dix ans à peu près ensuite) Ezéchiel a consacré toutes ses forces à maintenir l’
espérance de son peuple. Pour cela, il lui fallait se battre sur deux fronts : premièrement, il fallait bien survivre ; deuxièmement, il fallait maintenir intacte l’espérance du retour. Ces deux objectifs sont ceux d’Ezéchiel tout au long de son livre, et ce sont les deux axes de sa prédication ; comme il est prêtre, il les aborde le plus souvent en termes de culte et de rites ; plusieurs de ses visions (dont celle d’aujourd’hui) concernent en particulier le Temple.
Premièrement, il faut bien apprendre à survivre ! Or c’est la catastrophe, sur tous les plans ; on a tout perdu et le désespoir n’est pas loin. Évidemment, le rôle d’un prêtre, c’est de rappeler que, quelles que soient les apparences, on peut être sûr que Dieu n’a pas abandonné son peuple. On lui répond « mais le Temple de Jérusalem est détruit ; et tu sais mieux que personne, toi le prêtre, que la présence de Dieu habitait dans le Temple ». Ezéchiel sait qu’il va bien falloir apprendre à se passer de Temple ; alors, dans sa foi, il trouve la réponse : le Temple n’était pas le lieu de la présence de Dieu, il en était seulement le signe. Il leur dit en substance : « vous savez bien, mes frères, que la présence de Dieu n’est pas géographiquement limitée ; Salomon l’avait dit avant moi : « Les cieux eux-mêmes et les cieux des cieux ne peuvent te contenir ! Combien moins cette Maison que j’ai bâtie ! » (1 R8, 27).

DIEU EST AU MILIEU DE SON PEUPLE
Il en a la certitude, Dieu n’est pas resté au milieu des ruines de Jérusalem, il est au milieu de son peuple sur les rives du fleuve Kebar. Avant la construction du Temple, Dieu était déjà au milieu de son peuple ; après la destruction du Temple, il y est encore et tout autant. Si bien que, une fois de plus, au milieu même de son malheur, Israël a approfondi sa foi.
Deuxièmement, il fallait garder vive au cœur l’espérance du retour : parce que Dieu est fidèle, ses promesses sont toujours valables et c’est le moment ou jamais de se les rappeler ; et donc Ezéchiel imagine déjà le Temple de demain : c’est le sens de la vision qui nous est racontée aujourd’hui.
On se souvient que le Temple était construit sur la colline, au Nord de Jérusalem et était disposé selon un axe Ouest-Est. Pour les auditeurs d’Ezéchiel, la référence aux points cardinaux était donc très parlante : « sous le seuil du Temple, de l’eau jaillissait en direction de l’orient, puisque la façade du Temple était du côté de l’orient. L’eau descendait du côté droit de la façade du Temple, et passait au sud de l’autel. » Cette précision dans la description ne donnait que plus de crédibilité à la promesse contenue dans cette vision.
Car cette eau si abondante dont parle le prophète est en elle-même une promesse : la Mer Morte ne sera plus morte, toutes sortes de poissons foisonneront… Les détails qu’il donne font évidemment penser à la description du Paradis dans le livre de la Genèse : « Dieu dit que la terre se couvre d’arbres fruitiers qui, selon leur espèce, portent sur terre des fruits ayant en eux-mêmes leur semence…Que les eaux grouillent de bestioles vivantes et que l’oiseau vole au-dessus de la terre face au firmament du ciel… » (Gn 1).

LA MER MORTE NE SERA PLUS MORTE
En écho Ezéchiel voit déjà la vie qui apparaît en tout lieu où arrive le torrent issu du Temple reconstruit. Manière de dire à ses contemporains : « Le paradis n’est pas derrière nous, il est devant. Tous nos rêves d’abondance, d’harmonie seront comblés. Car Dieu ne nous a pas abandonnés, ses largesses ne sont pas épuisées. » Si les Juifs, quelques décennies plus tard, ont trouvé la force de reconstruire le temple, malgré toutes les difficultés, c’est peut-être bien à l’opiniâtre espérance d’Ezéchiel qu’ils le doivent.

—————————————-
Note
1- Est-ce en souvenir d’Ezéchiel et du magnifique sursaut d’espérance qu’il a incarné pour tout son peuple en exil que la capitale d’Israël aujourd’hui porter ce nom : Tel Aviv, colline du printemps ?

 


PSAUME – 45 (46)

2 Dieu est pour nous refuge et force,
secours dans la détresse, toujours offert.
3 Nous serons sans crainte si la terre est secouée,
si les montagnes s’effondrent au creux de la mer ;
4 ses flots peuvent mugir et s’enfler,
les montagnes trembler dans la tempête.

5 Le Fleuve, ses bras réjouissent la ville de Dieu,
la plus sainte des demeures du Très-Haut.
6 Dieu s’y tient : elle est inébranlable ;
quand renaît le matin, Dieu la secourt.
7 Des peuples mugissent, des règnes s’effondrent ;
quand sa voix retentit, la terre se défait.

8 R Il est avec nous, le SEIGNEUR de l’univers :
citadelle pour nous, le Dieu de Jacob !

9 Venez et voyez les actes du SEIGNEUR ;
comme il couvre de ruines la terre.
10 Il détruit la guerre jusqu’au bout du monde,
il casse les arcs, brise les lances, incendie les chars :
11 (Il dit) « Arrêtez ! Sachez que je suis Dieu.
Je domine les nations, je domine la terre. »

12 R Il est avec nous, le SEIGNEUR de l’univers :
citadelle pour nous, le Dieu de Jacob !


La liturgie prévue pour la fête de la Dédicace ne nous propose qu’un découpage du psaume 45/46. Mais je me suis permis de le transcrire en entier car c’est, me semble-t-il la condition pour comprendre de quoi il s’agit.
Il se présente comme un cantique de trois strophes coupées par deux refrains : « Il est avec nous, le SEIGNEUR de l’univers ; citadelle pour nous, le Dieu de Jacob ! »

DIEU, ROI DU MONDE
Des trois strophes, la première dit la maîtrise de Dieu sur les éléments cosmiques : la terre, la mer, les montagnes… La seconde parle de Jérusalem sans la nommer, « la ville de Dieu, la plus sainte des demeures du Très-Haut. ». La troisième strophe dit la maîtrise de Dieu sur les nations, ce qui en langage biblique veut dire tous les autres peuples, sur toute la terre : « Je domine les nations, je domine la terre. »
Quant au refrain, il sonne comme un cri de victoire, presque un cri de guerre : « Il est avec nous, le SEIGNEUR de l’univers : citadelle pour nous, le Dieu de Jacob ! » D’autant plus que le nom donné à Dieu ici (qui a été traduit par « Dieu de l’univers ») est en réalité « le SEIGNEUR Sabaoth » qui veut dire « Dieu des armées ». Au début de l’histoire biblique, c’était certainement un titre guerrier. On attendait de Dieu qu’il prenne la tête de nos armées. Et l’Arche d’Alliance, qui symbolisait la présence de Dieu au milieu des tribus d’Israël, était portée en avant des armées sur les champs de bataille.
Maintenant, certains préfèrent lire le nom « Sabaoth » qui veut dire « armées » au sens des armées du ciel, et c’est pour cela qu’actuellement on traduit « Dieu Sabaoth » par « Dieu de l’univers ».
Je reviens sur la deuxième strophe, celle du milieu, car elle est un peu surprenante : « Le Fleuve, ses bras réjouissent la ville de Dieu, la plus sainte des demeures du Très-Haut. Dieu s’y tient : elle est inébranlable ; quand renaît le matin, Dieu la secourt. » Manifestement, il s’agit de Jérusalem. On sait l’amour du peuple d’Israël pour Jérusalem ; et donc, comme dans tout amour on ne s’étonne pas d’entendre des formules hyperboliques pour parler de la ville qu’on appelle « sainte » non pas à cause de ses vertus, mais tout simplement parce qu’elle est la ville de Dieu.

UN FLEUVE A JERUSALEM ?
Mais la surprise est dans l’évocation d’un Fleuve : il n’y a pas le moindre fleuve à Jérusalem ! Du moins rien qui mérite ce nom. Au contraire, les rois ont dû faire des travaux considérables pour assurer l’approvisionnement en eau qui dépend d’une unique source, celle de Gihôn ; (la fameuse piscine de Siloé est l’un des nombreux aménagements dûs à ces travaux à partir de la source de Gihôn.)
Un peu plus loin, il y a une autre source, Aïn Roguel, mais elle non plus ne mérite pas le nom de fleuve.
Cela ne veut pas dire que notre psalmiste a perdu la tête, cela veut seulement dire qu’il pense à autre chose, il pense à plus tard. A-t-il en tête la prophétie d’Ezéchiel que nous lisons ce dimanche en première lecture ? La description d’un Fleuve immense et merveilleux qui irriguerait définitivement et miraculeusement toute la région jusqu’à la mer Morte qui deviendrait vivante.
On trouve une évocation analogue et qui ressemble très fort à notre psaume chez le prophète Joël : « Le SEIGNEUR rugit de Sion, de Jérusalem il donne de la voix ; alors les cieux et la terre sont ébranlés, mais le SEIGNEUR est un abri pour son peuple, un refuge pour les Israélites… Ce jour-là une source jaillira de la Maison du SEIGNEUR et elle arrosera la vallée des Acacias (en Moab). » (Jl 4, 16-18).
Évocation reprise beaucoup plus tard par le prophète Zacharie : « En ce jour-là des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer orientale, moitié vers la mer occidentale. Il en sera ainsi l’été comme l’hiver. Alors le SEIGNEUR se montrera le roi de toute la terre. En ce jour-là le SEIGNEUR sera unique et son nom unique. » (Za 14, 8).

L’ATTENTE DU JOUR DE DIEU
Elle est peut-être bien là la clé de ce psaume : toutes ses hyperboles sont l’anticipation de ce que la Bible appelle le « Jour de Dieu », le Jour de la victoire définitive de Dieu sur toutes les forces du Mal. D’où la tonalité guerrière dans les refrains, nous l’avons vu, mais aussi dans la dernière strophe : « Venez et voyez les actes du Seigneur ; comme il couvre de ruines la terre. Il détruit la guerre jusqu’au bout du monde, il casse les arcs, brise les lances, incendie les chars : (Il dit) « Arrêtez ! Sachez que je suis Dieu. Je domine les nations, je domine la terre. » Manière de dire « Dieu fait la guerre à la guerre ».
La domination de Dieu (ce que nous appelons le Règne de Dieu) sera enfin instaurée sur toute la terre, sur tous les peuples ; et surtout, surtout on verra la fin de toutes les guerres : c’est le rêve que caresse Israël depuis que sa cité sainte s’appelle « Jérusalem », ce qui veut dire « Ville de la Paix ».

————————————–
Complément
Pour certains commentateurs, le Fleuve évoqué à Jérusalem est la marée humaine qui traverse la ville lors des grandes processions.

DEUXIÈME LECTURE – première lettre de l’apôtre Paul aux Corinthiens 3, 9… 17

Frères,
9 vous êtes la maison que Dieu construit.
10 Comme un bon architecte,
avec la grâce que Dieu m’a donnée,
j’ai posé les fondations.
D’autres poursuivent la construction ;
mais que chacun prenne garde
à la façon dont il construit.
11 Les fondations, personne ne peut en poser d’autres
que celles qui existent déjà :
ces fondations, c’est Jésus-Christ.
16 N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu
et que l’Esprit habite en vous.
17 Si quelqu’un détruit le Temple de Dieu,
Dieu le détruira :
car le temple de Dieu est sacré,
et ce temple, c’est vous.


DIEU PARMI LES HOMMES
Les croyants de l’Ancien Testament appelaient de tous leurs vœux le jour béni où Dieu serait pour toujours au milieu de son peuple et instaurerait son règne de paix et de justice. Par exemple, le dernier mot du livre d’Ezéchiel disait cette certitude : il imaginait le nouveau nom donné à Jérusalem « À partir de ce jour, le nom de la ville sera : le SEIGNEUR est là ». (Ez 48, 35).
Mais personne n’aurait pu imaginer jusqu’où irait cette présence de Dieu : jusqu’à venir, homme, parmi les hommes. D’où l’émerveillement des auteurs du Nouveau Testament : Jean, par exemple, qui dit « Et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, (c’est-à-dire sa présence)… » (Jn 1, 14) ou encore : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de Vie… nous vous l’annonçons. » (1 Jn 1, 1-2).
Saint Paul fait partie de ceux qui relisent inlassablement l’Ancien Testament pour y découvrir comment ce mystère de l’Incarnation y est enraciné. Pour lui, il est évident que Jésus est celui vers qui tout convergeait dès l’origine ; pour lui, Jésus-Christ est vraiment, et depuis toujours, le centre du projet de Dieu. Ce projet que « Dieu avait d’avance arrêté en lui-même », comme il le décrit dans la lettre aux Éphésiens. Dieu a longuement, patiemment préparé son peuple, et quand les temps furent accomplis, il a mis à exécution son projet. Le signe de sa présence au milieu de son peuple n’a plus été un lieu, Jérusalem, et une construction de bois doré ou de pierres, le Temple, mais un homme, Jésus de Nazareth, et à sa suite tous ceux qui ont été greffés sur lui par le Baptême.
Plusieurs scènes d’évangile expriment ce mystère, chacune à sa manière : que ce soit la Présentation de Jésus au Temple, chez Luc, ou la déchirure du voile du Temple au moment de la mort du Christ (chez les trois évangiles synoptiques) ou (chez Jean) l’épisode du coup de lance du soldat et l’eau sortit du côté de Jésus comme Ezéchiel la voyait sortir du Temple nouveau ; ou enfin (et c’est l’évangile de cette fête de la Dédicace) l’épisode de la purification du Temple, (un épisode que les quatre évangiles rapportent.) Sans parler de la lettre aux Hébreux dont c’est le thème majeur. Donc il est clair pour tous les apôtres de la première génération chrétienne que le signe de la présence de Dieu au milieu des hommes est le Christ lui-même.

LE NOUVEAU SIGNE DE LA PRESENCE DE DIEU
Mais une fois Jésus mort et ressuscité, et donc devenu invisible aux yeux des hommes où est le signe de la présence de Dieu ? Paul répond tout simplement : « En vous mes frères ! » « N’oubliez pas que vous êtes le Temple de Dieu et que l’Esprit habite en vous. » Vous individuellement et vous collectivement. Car le texte que nous venons d’entendre doit être compris à ces deux niveaux : le niveau personnel et le niveau ecclésial.
Au niveau ecclésial d’abord : Paul développe ce thème dans la lettre aux Éphésiens : « Vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondation les apôtres et les prophètes, et Jésus Christ lui-même comme pierre maîtresse. C’est en lui que toute construction s’ajuste et s’élève pour former un temple saint dans le Seigneur. C’est en lui que, vous aussi, vous êtes ensemble intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit. » (Ep 2, 20 – 22).
Si la communauté chrétienne est le nouveau temple de Dieu, on voit l’importance de la qualité du signe qu’elle représente ! Elle peut être pour ses contemporains un obstacle à la manifestation de Dieu comme elle peut être le signe que Dieu attend : d’où la mise en garde de Paul tout aussi utile pour nous aujourd’hui que pour les Corinthiens ! « Que chacun prenne garde à la façon dont il construit. » Un peu plus loin, dans cette même lettre, Paul précise quel doit être le critère de toutes nos actions : « (parmi vous) Que tout se fasse pour l’édification commune. » (1 Co 14, 26). Je remarque, une fois de plus, combien Pierre est proche de Paul : « Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, entrez dans la construction de la Maison habitée par l’Esprit, pour constituer une sainte communauté sacerdotale, pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ. » (1 Pi 2, 5).

UN ÉDIFICE EN CONSTRUCTION
Le nouveau Temple de Dieu n’est donc pas un édifice immobile, fût-ce la plus belle des cathédrales… mais comme le disait le cardinal Daniélou « un Temple se dilatant sans cesse dans une croissance infinie » (Daniélou, « le signe du Temple »). (Il parlait d’une « vision vertigineuse d’univers spirituels en expansion… »).
Au niveau personnel, chacun de nous, de façon inouïe, est élevé à la dignité de « porteur de l’Esprit » si l’on peut dire : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint Esprit qui est en vous et qui vous vient de Dieu et que vous ne vous appartenez pas ? » (1 Co 6, 19). Le rite de l’onction avec le saint Chrême lors du Baptême, comme le rite de l’encensement du corps du défunt, aux funérailles, traduisent cette présence de l’Esprit de Dieu dans un corps humain.
Ce mystère est trop extraordinaire, trop beau, trop grave pour être méprisé ; alors Paul ajoute : « Si quelqu’un détruit le Temple de Dieu, Dieu le détruira : car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous. » Paul ne précise pas qui peut être ce quelqu’un qui chercherait à détruire le temple de Dieu, ce Temple que nous sommes ; en tout cas, ce qui est clair, c’est que ceux qui nous voudraient du mal n’ont qu’à bien se tenir ! Je crois qu’il faut entendre là un écho de la promesse de Jésus à Pierre : « Les forces de l’enfer (entendez les forces du mal) ne l’emporteront pas contre mon Église. »


ÉVANGILE – Jean 2, 13-22

13 Comme la Pâque des Juifs approchait,
Jésus monta à Jérusalem.
14 Il trouva installés dans le Temple
les marchands de bœufs, de brebis et de colombes,
et les changeurs.
15 Il fit un fouet avec des cordes,
et les chassa tous du Temple ainsi que leurs brebis et leurs bœufs ;
il jeta par terre la monnaie des changeurs,
renversa leurs comptoirs,
16 et dit aux marchands de colombes :
« Enlevez cela d’ici.
Ne faites pas de la Maison de mon Père
une maison de trafic. »
17 Les disciples se rappelèrent cette parole de l’Ecriture :
« l’amour de ta maison fera mon tourment. »
18 Les Juifs l’interpelèrent :
« Quel signe peux-tu nous donner
pour justifier ce que tu fais là ? »
19 Jésus leur répondit :
« Détruisez ce Temple,
et en trois jours je le relèverai. »
20 Les Juifs lui répliquèrent :
« Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple
et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
21 Mais le Temple dont il parlait, c’était son corps.
22 Aussi, quand il ressuscita d’entre les morts,
ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ;
ils crurent aux prophéties de l’Ecriture
et à la parole que Jésus avait dite.


DU COMMERCE SUR L’ESPLANADE
Transportons-nous à Jérusalem au temps de Jésus. Qu’il y ait des marchands de bestiaux et des changeurs de monnaie dans les environs du Temple, c’était bien normal et même indispensable : quand on vient en pèlerinage à Jérusalem, parfois de très loin, on s’attend bien à trouver sur place des bêtes à acheter pour les offrir en sacrifice. Quant aux changeurs de monnaie, on en a besoin aussi : on est sous occupation romaine, et les pièces utilisées en ville sont frappées à l’effigie de l’empereur ; mais du coup elles sont interdites au Temple ! Donc, en arrivant au Temple on change ce qu’il faut de monnaie romaine contre de la monnaie juive.
Mais ce qui choque Jésus, c’est que, au lieu de rester à l’extérieur, peu à peu les marchands s’étaient rapprochés du Temple au point de s’installer carrément sur l’esplanade, dans la première cour (j’ai trouvé cette explication dans les commentaires d’André Chouraqui).
Aux yeux de Jésus, on est en train de transformer insidieusement ce lieu de prière et d’étude des Écritures en « Maison de trafic ». D’où sa colère, car on ne peut pas avoir deux maîtres : Dieu et l’Argent
Il réagit exactement comme les prophètes : le reproche qu’il fait aux vendeurs (« Ne faites pas de la Maison de mon Père une maison de trafic ») rappelle une phrase de Jérémie qui, un jour de colère également, avait lancé : « Cette Maison sur laquelle mon Nom a été proclamé, la prenez-vous donc pour une caverne de bandits ? » (Jr 7, 11). Et le prophète Zacharie avait annoncé « Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du SEIGNEUR le tout-puissant en ce jour-là » (sous-entendu le jour de la venue du Messie – Za 14, 21).

DEUX RÉACTIONS OPPOSÉES
Face à lui, on réagit de deux manières différentes : d’un côté, il y a ses disciples, de l’autre ceux que Jean appelle « les Juifs ». En réalité, juifs, ils le sont tous, mais dans le langage de Jean, cela veut presque toujours dire « opposants ».
Ses disciples, ceux qui le connaissent déjà, qui ont assisté au miracle de Cana, qui ont commencé à croire en lui, se souviennent du psaume 68 / 69 qui disait : « le zèle de ta maison m’a dévoré ». C’est la plainte d’un croyant qui est persécuté à cause de sa foi : « Dieu d’Israël, c’est à cause de toi que je supporte l’insulte, que le déshonneur couvre mon visage, et que je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère. Oui, le zèle pour ta maison m’a dévoré ; ils t’insultent et leurs insultes retombent sur moi. » (Ps 68/69, 8-10). Le psaume, lui, parle au passé : « Le zèle pour ta maison m’a dévoré », alors que Jean reprend cette phrase au futur : « Le zèle de ta maison me dévorera ». Manière d’annoncer la persécution qui attend Jésus et qui commence déjà d’ailleurs ! Nous sommes encore au tout début de l’évangile de Jean, mais le procès de Jésus est déjà esquissé.
Les disciples donc reconnaissent dans l’attitude de Jésus un geste prophétique.
En revanche, les autres, ceux que Jean appelle « les Juifs » n’ont pas l’intention de s’en laisser remontrer : ce prétendu prophète ne va pas leur faire la leçon. Ils exigent une explication.

LE NOUVEAU TEMPLE
La réponse de Jésus ne peut pas les satisfaire : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai ». Pour l’instant, c’est le quiproquo total : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple, et toi, en trois jours, tu le relèverais » ; en bonne logique, on ne peut pas leur donner tort.
Et encore, quand ils comptent quarante-six ans, les Juifs ne parlent pas de la construction du Temple à partir de rien ! Ils parlent des travaux de restauration entrepris par Hérode. Ce Temple magnifique, désormais, respecté de tous, parce qu’il est le signe manifeste de la présence de Dieu au milieu de son peuple, ce Temple n’attend rien du charpentier de Nazareth. Avec son histoire de trois jours, il est un peu court…
Oui mais, ce n’est pas avec notre bonne logique à nous que l’on peut prétendre aborder les mystères de Dieu. Les disciples, non plus, n’ont pas tout compris tout de suite. Mais ils ont certainement été alertés par le chiffre de trois jours. Car, pour un Juif, habitué de l’Écriture, trois jours c’était un chiffre dont on parlait souvent : c’était habituellement le temps nécessaire pour se préparer à rencontrer Dieu.
Alors tout s’est éclairé pour eux quand est venu ce troisième jour de la Résurrection du Christ. « Quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ». Et c’est à ce moment-là qu’ils comprirent quelle révolution venait de s’opérer : désormais le signe de la Présence de Dieu parmi les hommes est le corps ressuscité du charpentier de Nazareth. « Pierre rejetée par les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. »

————————————————————————————————————————————–
Complément
Nous sommes au tout début de l’évangile de Jean, au chapitre 2 : dans le premier chapitre, le « Prologue » Jean a dressé comme en une sorte de vitrail tout le mystère de la personne du Christ : un mystère que certains ont accueilli dans un cœur ouvert et ils sont devenus ses disciples ; mais d’autres se sont fermés à cette révélation inouïe de Dieu dans un corps d’homme et ils sont peu à peu devenus ses ennemis. « Il était dans le monde et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu, Il est venu dans son propre bien et les siens ne l’ont pas accueilli. Mais, à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. » Cette distinction entre deux groupes (les disciples, et les « Juifs ») est l’un des grands clivages de l’évangile de Jean.

Partager cet article

Repost0
28 octobre 2014 2 28 /10 /octobre /2014 06:17
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Toutefois, étant actuellement en pélerinage à Međugorje (Médjugorje), j'ai des difficultés à introduire des liens ou des vidéos dans les articles du blog.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Job 19, 1. 23-27a

1 Job prit la parole et dit :
23 « Ah ! si seulement on écrivait mes paroles,
si on les gravait sur une stèle
24 avec un ciseau de fer et du plomb,
si on les sculptait dans le roc pour toujours !
25 Mais je sais, moi, que mon rédempteur est vivant,
que, le dernier, il se lèvera dans la poussière ;
26 et quand bien même on m’arracherait la peau,
de ma chair je verrai Dieu.
27 Je le verrai, moi en personne,
et si mes yeux le regardent, il ne sera plus un étranger. »


Les croyants face à la souffrance
Ce Monsieur Job qui parle ici, en réalité, c’est le peuple d’Israël qui affronte la question la plus difficile de nos existences, celle du mal, de la souffrance, quelle qu’elle soit, de la douleur, de la mort. A vrai dire, Monsieur Job n’a jamais existé, ou plutôt il existe à des milliards d’exemplaires : c’est vous c’est moi lorsque nous souffrons.
Le personnage de Job a été inventé par un auteur particulièrement courageux qui ose crier, se révolter même contre la souffrance, contre toute forme de souffrance.
Mais parce qu’il représente le peuple d’Israël, le personnage de Job est croyant, de cette foi indéracinable qui anime ce peuple depuis la découverte de Moïse au buisson ardent : lorsque Dieu lui a dit qu’il est proche de tout homme qui souffre. C’est cette foi qu’il affirme avec force dans le texte que nous venons d’entendre. Et cette profession de foi est si grave et importante à ses yeux qu’il voudrait que personne ne puisse l’effacer. « Ah ! si seulement on écrivait mes paroles, si on les gravait sur une stèle avec un ciseau de fer et du plomb, si on les sculptait dans le roc pour toujours ! » Ici Job fait allusion à la coutume de couler du plomb fondu dans les lettres gravées sur une pierre pour rendre l’inscription plus lisible.

Mon « libérateur » est vivant
Le mot « rédempteur » est, lui aussi, une référence aux coutumes des temps bibliques. Ce mot traduit un mot hébreu qui se dit « Go’el ». Le Go’el, c’est le plus proche parent, celui qui doit vous libérer quand votre situation de pauvreté a fait de vous l’esclave de votre créancier.
S’il arrive qu’un Israélite soit obligé de se vendre comme esclave pour payer ses dettes, son plus proche parent sera son « Go’el », son « Racheteur » ; on dit qu’il le « revendiquera », c’est-à-dire que, très concrètement, il remboursera le créancier pour obtenir la libération de son parent (Lv 25, 47-49). De la même manière, si un Israélite est obligé de vendre son patrimoine, le plus proche parent, le « Go’el » exercera un droit de préemption (Lv 25, 25). L’aspect financier est bien réel, sinon le créancier ne lâcherait pas prise, mais il est secondaire. L’aspect premier est celui de libération, c’est l’unique objectif de l’opération.
Cette institution traduit une très haute idée de ce que doit être la vie des membres du peuple élu : au nom du Dieu libérateur, et parce que le peuple de Dieu doit être fait d’hommes libres, un fils d’Israël ne peut pas tolérer de laisser ses proches réduits en esclavage.
Le peuple d’Israël a l’audace de penser que Dieu est son plus proche parent et son libérateur. Il lui applique donc le titre de Go’el. Dieu lui-même ne s’est-il pas à plusieurs reprises manifesté comme le libérateur d’Israël ? A commencer par la sortie d’Égypte. Et pendant l’Exil à Babylone, le prophète Isaïe a maintes fois soutenu l’espérance de ses compatriotes en leur promettant que Dieu interviendrait un jour pour les libérer. C’est dans de tels contextes que le vocabulaire de « revendication, rédemption, rachat » a été appliqué à Dieu. Il y avait là une formidable avancée théologique, puisque Dieu était ainsi présenté comme le plus proche parent de son peuple et le plus disposé à intervenir pour le libérer. Il fallait donc avoir déjà cheminé un certain nombre de siècles dans l’Alliance avec Dieu pour en arriver là !

Il se lèvera dans la poussière
Je continue le texte : « mon rédempteur est vivant, le dernier, il se lèvera dans la poussière ». Vous vous souvenez que, parmi les nombreux malheurs de Job, il est atteint d’une maladie de peau, incurable, et contagieuse, et que, pour éviter la contagion, il a été obligé de quitter sa maison et de se réfugier sur ce qu’on appellerait la déchetterie municipale. (On a l’habitude de représenter Job sur un tas de fumier.) Lorsque Job parle de la poussière, c’est à cela qu’il fait allusion. C’est à cause de cette maladie, qu’il voit sa peau partir en lambeaux, et qu’il dit : « quand bien même on m’arracherait la peau »

De ma chair je verrai Dieu
Et là, on atteint le sommet de ce texte. À l’époque où le livre de Job a été écrit, sur le sujet qui nous préoccupe, la foi d’Israël se déclinait en trois points :
Premièrement, Dieu est juste ; deuxièmement, la justice consiste à récompenser les bons et punir les méchants ; troisièmement, il n’y a rien après la mort. Pour le dire autrement, on ne croyait pas encore à la résurrection de la chair. Pour Job, alors, la conclusion s’impose :
Puisque Dieu est juste, et puisqu’il n’existe rien après la mort, c’est avant la mort de Job que justice sera faite. Et, pour l’instant, dans la pensée de Job, justice rime avec rétribution. Donc Dieu apparaîtra à Job avant sa mort et le rétablira dans ses biens et son bonheur. Sa peau part en lambeaux (à cause de sa maladie) soit, mais même sans la peau, c’est de son vivant (« dans sa chair ») que Job verra Dieu.
Cette phrase (De ma chair, je verrai Dieu) n’est donc pas une affirmation de la Résurrection. Mais c’est vraiment une extraordinaire profession de foi !
Aujourd’hui, nous qui croyons fermement à la Résurrection des morts, nous lisons ce passage du livre de Job dans les célébrations de funérailles ; car l’Esprit Saint a continué à souffler et, plusieurs siècles plus tard, le peuple d’Israël a finalement découvert la foi en la résurrection de la chair. Évidemment, le texte de Job n’en est que plus vrai !

—————————————

Compléments
- « De ma chair je verrai Dieu. Je le verrai, moi en personne… » À la fin du livre, Job dira effectivement « mes yeux t’ont vu » (Jb 42, 7).
- Le thème du Go’el dans l’Ancien Testament
En hébreu, le mot « Go’el » vient d’une racine (GA’AL) qui signifie « racheter, revendiquer », mais surtout « protéger, délivrer ».
On en trouve déjà une intuition chez Osée (Os 13, 14) puis avec force chez Jérémie : « Le Seigneur rachète Jacob, il le revendique, le délivrant de la main d’un plus fort » (Jr 31, 11). « Leur défenseur est fort, Le Seigneur le tout-puissant, c’est son nom. » (Jr 50, 34). Et on ne s’étonne pas de trouver ce thème généreusement développé par le Deuxième Isaïe pendant l’Exil à Babylone : les termes de la famille du mot « Go’el », absents des trente-neuf premiers chapitres se trouvent dix-sept fois dans les chapitres 40 à 55. Pour n’en retenir qu’une phrase : « Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. » (Is 43, 1).


PSAUME – 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8

2 Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

3 Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
4 Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

5 Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
6 Comme par un festin je serai rassasié :
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

7 Dans la nuit, je me souviens de toi
et je reste des heures à te parler.
8 Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.


« Je crie de joie à l’ombre de tes ailes »
« Je crie de joie à l’ombre de tes ailes » : c’est beau, mais c’est quand même étonnant ! En fait, il faut se transporter en pensée, à l’intérieur du Temple de Jérusalem (avant sa destruction, bien sûr, en 587 av.J.C. par Nabuchodonosor)… et supposer que nous sommes prêtre ou lévite. Là, dans le lieu le plus sacré, le « Saint des Saints », se trouvait l’Arche d’Alliance1 : un petit coffret de bois précieux, recouvert d’or, à l’intérieur comme à l’extérieur, qui abritait les tables de la Loi. Sur ce coffret, veillaient deux énormes statues de chérubins.
Les « Chérubins » n’ont pas été inventés par Israël : le mot vient de Mésopotamie. C’étaient des êtres célestes, à corps et pattes de lion, face d’homme, et surtout des ailes immenses. En Mésopotamie, ils étaient honorés comme des divinités… En Israël au contraire, on prend bien soin de montrer qu’ils ne sont que des créatures : ils sont représentés comme des protecteurs de l’Arche, mais leurs ailes déployées sont considérées comme le marchepied du trône de Dieu. Ici, un prêtre en prière dans le Temple, à l’ombre des ailes des chérubins se sent enveloppé de la tendresse de son Dieu depuis l’aube jusqu’à la nuit.2

Dans le Temple de Jérusalem
Les autres images de ce psaume sont toutes également empruntées au vocabulaire des lévites : « Je t’ai contemplé au sanctuaire » : ils étaient les seuls à pénétrer dans la partie sainte du Temple2… « toute ma vie, je vais te bénir » : effectivement toute leur vie était consacrée à la louange de Dieu… « lever les mains en invoquant ton nom » : là nous voyons le lévite en prière, les mains levées… « Comme par un festin je serai rassasié », c’est une allusion à certains sacrifices qui étaient suivis d’un repas de communion pour tous les assistants, et d’autre part, on sait que les lévites recevaient pour leur nourriture une part de la viande des sacrifices… « Dans la nuit, je me souviens de toi, je reste des heures à te parler » : lorsqu’ils étaient de service à Jérusalem, leur vie entière se déroulait dans l’enceinte du Temple.

Israël comme un lévite
En fait, ce psaume est une métaphore : ce lévite, c’est Israël tout entier qui, depuis l’aube de son histoire et jusqu’à la fin des temps, s’émerveille de l’intimité que Dieu lui propose : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube, mon âme a soif de toi… » Et quand il dit « dès l’aube », il veut dire depuis l’aube des temps : depuis toujours le peuple d’Israël est en quête de son Dieu. « Mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » : en Israël, ces expressions sont très réalistes : la terre désertique, assoiffée, qui n’attend que la pluie pour revivre, c’est une expérience habituelle, très suggestive.
Depuis l’aube de son histoire, Israël a soif de son Dieu, une soif d’autant plus grande qu’il a expérimenté la présence, l’intimité proposée par Dieu. La plus belle prière est certainement celle qui jaillit de notre pauvreté spirituelle, comme la plainte du déshydraté : « J’ai soif ».
« Je t’ai contemplé au sanctuaire » est une allusion aux manifestations de Dieu au Sinaï, le lieu sacré où le peuple a contemplé son Dieu qui lui offrait l’Alliance. « J’ai vu ta force et ta gloire », dans la mémoire d’Israël, cela évoque les prodiges de l’Exode pour libérer son peuple de l’esclavage en Égypte. Tout autant que la formule « Tu es venu à mon secours » : on n’oubliera jamais, de mémoire d’homme, en Israël, cette phrase de Dieu à Moïse : « Oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple en Égypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer. » (Ex 3, 7).

Dieu comme un aigle qui apprend à ses petits à voler
Quand on méditait sur cette libération apportée par Dieu, on comparait parfois celui-ci à un aigle apprenant à ses petits à voler : « Il est comme l’aigle qui encourage sa nichée : il plane au-dessus de ses petits, il déploie toute son envergure, il les prend et les porte sur ses ailes. » (Dt 32, 11). En écho on lit dans le livre de l’Exode, au moment de la célébration de l’Alliance : « Tu diras ceci à la maison de Jacob… Vous avez vu vous-mêmes comment je vous ai portés sur des ailes d’aigle et vous ai fait arriver jusqu’à moi. » (Ex 19, 4). Si bien que les ailes des chérubins dans le Temple prenaient encore une autre signification. Elles sont les ailes protectrices de celui qui apprend à Israël le chemin de la liberté.
Toutes ces évocations d’une vie d’Alliance, d’intimité sans ombre sont peut-être la preuve que ce psaume a été écrit dans une période moins lumineuse ! Où l’on a bien besoin de s’accrocher aux souvenirs du passé. Tout n’est pas si rose et les derniers versets (que la liturgie ne nous fait pas chanter), disent fortement, violemment même l’attente de la disparition du mal sur la terre, par exemple : « Ceux qui pourchassent mon âme, qu’ils descendent aux profondeurs de la terre »…
Israël attend la pleine réalisation des promesses de Dieu, les cieux nouveaux, la terre nouvelle, et la délivrance de tout mal et de toute persécution.
L’expression « je te cherche dès l’aube… mon âme a soif » dit bien que cette quête n’est pas encore comblée : Israël est le peuple de l’attente, de l’espérance : « Mon âme attend le Seigneur, plus sûrement qu’un veilleur3 n’attend l’aurore. » (Ps 129/130, 6).

—————————————-
Notes
1 – L’Arche d’Alliance est perdue depuis l’Exil à Babylone et personne ne sait ce qu’elle est devenue.
2 – En réalité, seul le grand-prêtre avait accès au Saint des Saints, une fois par an, le jour du Yom Kippour (le Grand Pardon). Le prêtre en prière, s’imagine être sous l’ombre de l’Arche.
3 – Quand Jésus parle de veille, de vigilance dans la parabole des vierges sages et des vierges folles, c’est à cela qu’il pense : une recherche permanente de Dieu.
Aujourd’hui à la suite du peuple juif, le peuple chrétien reprend à son compte cette prière, cette soif, cette attente : le psaume 62/63 fait partie de la prière des Heures du dimanche matin de la première semaine. Car dans la liturgie chrétienne, le dimanche, jour de la Résurrection du Christ, est le jour privilégié où nous célébrons la totalité du mystère de l’Alliance de Dieu avec son peuple, depuis l’aube de son histoire, dans l’attente de l’avènement définitif de son Royaume.
Attention, quand nous disons Arche aujourd’hui, nous risquons de penser à une œuvre architecturale imposante : les Parisiens penseront peut-être à ce qu’ils appellent la Grande Arche de la Défense… Pour Israël, c’est tout autre chose ! Il s’agit de ce qu’ils avaient de plus sacré1 :
Et donc, à un deuxième niveau, c’est l’expérience du peuple qui affleure dans ce psaume : par exemple « mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » est certainement une allusion au séjour dans le désert après la sortie d’Égypte et à l’expérience terrible de la soif à Massa et Meriba (Ex 17).


DEUXIÈME LECTURE – Romains 8, 18 – 23

Frères,
18 j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure
entre les souffrances du temps présent
et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous.
19 En effet, la création aspire de toutes ses forces
à voir cette révélation des fils de Dieu.
20 Car la création a été livrée au pouvoir du néant,
non parce qu’elle l’a voulu,
mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir.
Pourtant, elle a gardé l’espérance
21 d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage,
de la dégradation inévitable,
pour connaître la liberté,
la gloire des enfants de Dieu.
22 Nous le savons bien,
la création tout entière crie sa souffrance,
elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore.
23 Et elle n’est pas seule.
Nous aussi nous crions en nous-mêmes notre souffrance ;
nous avons commencé par recevoir le Saint Esprit,
mais nous attendons notre adoption
et la délivrance de notre corps.


Le projet éternel de Dieu
A l’occasion de la commémoration de tous les défunts, c’est-à-dire tous ceux qui sont déjà retournés vers le Père, nous sommes inévitablement confrontés à cette énigme de la mort. Alors l’Église nous propose de nous remettre en face du grand projet de Dieu : toute notre vie, y compris notre mort et celle de nos proches entre dans cette perspective du projet éternel de Dieu. Ce dessein bienveillant, Paul le décrit ici, dans la lettre aux Romains comme une naissance, celle de la Création nouvelle, de l’humanité nouvelle : « La Création tout entière gémit dans les douleurs d’un enfantement qui dure encore. » Je note au passage que cette image (métaphore) des douleurs de l’accouchement était utilisée déjà en Israël pour évoquer l’accomplissement progressif du projet de Dieu.
Cela veut dire, et le peuple d’Israël le savait déjà, que la Création n’est pas un événement du passé : elle est un projet en marche ; et l’attente, on le sait, est l’une des grandes caractéristiques de la religion juive. J’ai dit « l’attente » ; j’aurais dû dire « l’espérance ». Paul était tout entier habité par l’espérance de son peuple ; ses lettres en sont pleines. Mais depuis qu’il a rencontré Jésus ressuscité, son attente a pris un nouveau visage.

Depuis la Résurrection du Christ, la face du monde est changée
Car, de deux choses l’une : ou Christ est ressuscité ou il ne l’est pas !… S’il ne l’est pas, tout l’édifice de notre foi et de notre espérance1 s’écroule. S’il l’est, alors la face du monde est changée : la haine des hommes est vaincue, l’amour et la vie ont triomphé. Le Royaume de Dieu est déjà inauguré.
Depuis que Jésus est ressuscité, nous sommes déjà dans le monde nouveau, c’est-à-dire que nous avons le pouvoir de vivre comme des hommes nouveaux. Dans sa première lettre, Jean s’émerveille comme Paul : « Mes bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu’il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3, 2-3). Alors l’attente des Chrétiens, c’est que la Résurrection du Christ illumine l’humanité tout entière, comme une sorte de contagion. « C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » disait Jésus (Lc 12, 49).
Notre rôle à nous, maintenant, c’est de propager ce feu ; et pour cette mission, nous sommes assurés de la présence permanente de l’Esprit Saint à nos côtés : c’est lui qui souffle inlassablement sur le monde pour le tourner vers Dieu. « Nous avons commencé par recevoir le Saint Esprit, mais nous attendons notre adoption et la délivrance de notre corps » dit Paul.

Enfin libres de vivre en fils de Dieu
Malheureusement, en français, l’expression « délivrance de notre corps » est ambiguë : entendons-nous bien, ce n’est pas nous qui allons être délivrés de notre corps, c’est notre corps qui va être délivré ! Nous n’attendons pas d’être délivrés de notre corps, c’est notre corps, c’est-à-dire notre être tout entier, actuellement encore enchaîné, c’est-à-dire encore lié au péché, qui sera enfin libéré, libre de vivre en fils de Dieu.
La quatrième Prière Eucharistique a cette phrase superbe : « Il (Ton Fils) a envoyé d’auprès de toi, comme premier don fait aux croyants l’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification. » « Toute sanctification », c’est-à-dire toute transformation. Pour l’instant, la Création est encore « livrée au pouvoir du néant » : la formidable puissance qui anime la Création tout entière est trop souvent dirigée contre elle-même, elle est le théâtre de toutes sortes de violences. Et c’est pour cela que Paul parle des « souffrances du temps présent » : les progrès de l’humanité vers plus de vérité, de justice et de liberté se font dans l’ombre et dans l’effort, la fatigue, la douleur même parfois. Tous ceux qui ont consacré leur vie à une juste cause ont eu à souffrir.

Vers les cieux nouveaux et la terre nouvelle
Mais dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle que nous attendons, vers lesquels nous tendons, plutôt, la puissance qui habite la Création sera devenue passion de l’unité : « Nous attendons des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habitera. » (2 P 3, 13). Alors la Création sera « libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté ».
C’est là que la vie de ceux qui nous ont précédés prend sa vraie dimension. Car c’est grâce aux efforts humbles et patients de tous ceux qui s’y sont engagés que le grand projet de Dieu avance avec l’assistance de l’Esprit Saint. Une phrase du Père Teilhard de Chardin nous aide à méditer ce grand projet de Dieu dans lequel Jésus est bien la tête de l’humanité nouvelle, mais où chacun de nous, membre du Corps du Christ a sa place : « Dès l’origine des Choses un Avent de recueillement et de labeur a commencé… Et depuis que Jésus est né, qu’Il a fini de grandir, qu’Il est mort, tout a continué de se mouvoir, parce que le Christ n’a pas achevé de se former. Il n’a pas ramené à Lui les derniers plis de la Robe de chair et d’amour que lui forment ses fidèles … » (Ecrits de guerre – 1916).
—————————————-
Note
1 – L’espérance, c’est tout simplement la foi conjuguée au futur.

Compléments
- « Jésus proclamait l’évangile de Dieu et disait : le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’évangile. » C’est-à-dire « croyez à cette extraordinaire bonne nouvelle du projet de Dieu », « ce mystère tenu caché tout au long des âges et que Dieu a manifesté maintenant à ses saints », comme dit Paul ailleurs (Col 1, 26).

- Rm 8, 18 : « Frères, j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous. »
à rapprocher de Sg 3, 5 : « Ce qu’ils ont eu à souffrir était peu de chose auprès du bonheur dont ils seront comblés. »
- Rm 8, 23 : La traduction liturgique dit « Nous avons commencé par recevoir le Saint Esprit, mais nous attendons notre adoption » ; dans le texte originel, il y a le mot « prémices » : « Nous qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption. » Au sens biblique, les prémices étaient à la fois début et promesse de la récolte tout entière. Belle image pour dire que nous possédons déjà les arrhes du salut définitif ; « car l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). Et l’on peut entendre que c’est parce que nous possédons déjà les prémices, parce que nous sommes déjà animés par l’Esprit, que nous gémissons dans l’attente de notre transformation définitive.
- A propos de la Création : il semble bien que Paul parle de l’ensemble du cosmos, et pas seulement de nous. En cela, il ne fait que reprendre un thème familier aux hommes de la Bible, pour lesquels par exemple, la dysharmonie engendrée par le mauvais choix d’Adam entraîne le jardin tout entier, c’est-à-dire toute la création dans le chaos : « Le sol sera maudit à cause de toi. » (Gn 3, 17). A l’inverse, quand la justice habitera sur la terre, non seulement les hommes, mais aussi les animaux connaîtront la paix. Car l’homme fait partie du cosmos et ne se conçoit pas sans lui ; c’est l’un des sens de la magnifique « parabole » des animaux du prophète Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du SEIGNEUR, comme la mer que comblent les eaux. » (Is 11, 6-9). (Voir aussi Is 65, 17). La résurrection des fils d’Adam s’accompagnera d’un renouvellement de toutes choses.

Le projet de Dieu en gestation
- Imaginons la naissance d’une œuvre d’art, une immense sculpture de bronze, par exemple : j’ai en tête une grande croix de bronze offerte à une église de mon diocèse par un sculpteur tchèque ; aujourd’hui, elle est admirable, mais que de difficultés, petites et grandes, pour en arriver là ! Depuis le premier jour, l’artiste sait où il va et il sait qu’il lui faudra beaucoup de patience et de temps ; il faudra passer par bien des étapes, des débuts de réalisation, des échecs, peut-être… Dans bien des cas, il devra s’entourer de collaborateurs. Ceux-ci devront endurer les fatigues et les peines, les risques sans très bien savoir où ce travail parfois ingrat les mènera. Car seul l’artiste imagine déjà l’œuvre achevée ; et la beauté entrevue, comment la décrire, la faire partager à ses collaborateurs ? Ceux-ci devront faire preuve de beaucoup de confiance pour s’engager sur ce chantier.
On pourrait comparer le projet de Dieu à cette naissance d’une œuvre d’art : d’ailleurs Paul parle bien d’enfantement. Mais, par rapport aux collaborateurs habituels d’un artiste, nous avons un immense privilège : nous entrevoyons déjà l’œuvre achevée : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père. » (Jn 1, 14).


ÉVANGILE – Matthieu 11, 25 – 30

25 En ce temps-là,
Jésus prit la parole :
« Père, Seigneur du ciel et de la terre,
je proclame ta louange :
ce que tu as caché aux sages et aux savants,
tu l’as révélé aux tout-petits.
26 Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bonté.
27 Tout m’a été confié par mon Père ;
personne ne connaît le Fils, sinon le Père,
et personne ne connaît le Père, sinon le Fils
et celui à qui le Fils veut le révéler.
28 Venez à moi,
vous tous qui peinez sous le poids du fardeau,
et moi, je vous procurerai le repos.
29 Prenez sur vous mon joug,
devenez mes disciples,
car je suis doux et humble de cœur,
et vous trouverez le repos.
30 Oui, mon joug est facile à porter,
et mon fardeau léger. »


« Prenez sur vous mon joug »
« Prenez sur vous mon joug » dit Jésus ; là-bas on savait bien ce qu’est un joug : une pièce de bois, très lourde, très solide, qui attache deux animaux, deux bœufs normalement, pour labourer. Ils conjuguent leurs forces et le plus puissant des deux imprime son pas à l’attelage. Au sens figuré, « Prendre le joug » suggère donc que l’on s’attache à quelqu’un pour marcher du même pas, attelés à la même tâche.
Si bien que cette expression était devenue courante dans l’Ancien Testament et dans le Judaïsme pour évoquer l’Alliance entre Dieu et son peuple : lorsqu’on promettait de « Prendre le joug de la Torah » cela voulait dire s’engager à suivre la Loi de Dieu, s’atteler à Dieu, en quelque sorte ; étant entendu que toute la force de « l’attelage » ainsi composé vient de Dieu lui-même ! Pour un Juif, le service de la Torah n’est donc pas un fardeau trop lourd, c’est le chemin du vrai bonheur. On parlait même parfois de la « joie du joug ! »
Visiblement c’est bien de cela que Jésus parle, et il fait lui aussi le lien entre le joug de la Torah et le repos : « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples », c’est-à-dire pratiquez mes commandements « et vous trouverez le repos ».

« Mon joug est facile à porter »
Mais on sent bien également dans ces quelques lignes une pointe polémique : « Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Manière de dire : Mon joug à moi est facile à porter, ce n’est pas le cas de tout le monde. D’ailleurs, Jésus ne se prive pas de le dire : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau ».
Effectivement, certains Pharisiens, à force de scrupules, avaient transformé la pratique de la Loi de Dieu en un cortège d’obligations tatillonnes ; si bien qu’une majorité du peuple avait bien du mal à observer la totalité des commandements que les autorités religieuses leur imposaient et ils sentaient le mépris dont ils étaient l’objet.
Jésus propose donc à ses disciples de déposer ces fardeaux trop lourds : son joug à lui, c’est tout simplement la loi d’aimer, et c’est lui qui nous en donne la force.
Quant au repos, c’était également un mot familier aux auditeurs de Jésus ; par exemple, l’Ancien Testament présentait la Terre Promise comme le lieu du repos accordé par Dieu à son peuple. Et, en contrepoint, quand le peuple était infidèle à la loi, le psaume 94/95 exprimait la tristesse de Dieu : « J’ai dit : ce peuple a le cœur égaré, il n’a pas connu mes chemins… Jamais ils n’entreront dans mon repos. » Reprenant ce psaume, la lettre aux Hébreux annonce un nouveau jour où avec le Christ, nous entrerons avec assurance dans le repos de Dieu : « Empressez-vous donc d’entrer dans ce repos. » (He 4, 11).

« Moi, je vous procurerai le repos »
La chose très nouvelle dans ce discours, c’est que Jésus s’identifie à Dieu : lui seul peut se permettre de dire « Moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Les représentants de la religion ne pouvaient qu’être agacés par ces propos. En revanche, ceux qui « peinaient sous le poids du fardeau », pour reprendre l’expression de Jésus, étaient attirés par son attitude de respect et d’attention à chacun, lui qui était « doux et humble de cœur2». Ce sont eux qui, spontanément, ont compris que Dieu était là. On a là une application de la fameuse béatitude : « Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux ».
Alors Jésus s’émerveille : ces pauvres de cœur comprennent son message à une profondeur telle que cela ne peut venir que du Père : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bonté. » Jésus tiendra le même langage un peu plus tard, lorsque Pierre, un homme simple, lui aussi, lui aura déclaré : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, Jésus lui dira aussitôt : Heureux es-tu, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. » (Mt 16, 17).

Toute vraie sagesse vient de Dieu
Une fois de plus, Jésus est bien ici dans la droite ligne de l’Ancien Testament qui a toujours déclaré haut et fort que toute vraie sagesse, toute vraie intelligence ne peuvent venir que de Dieu ; c’est ce qu’exprime à sa manière la très belle image du livre de la Genèse : l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux n’est pas accessible à l’homme par ses seules forces. Le livre de Job le dit lui aussi dans un poème admirable consacré à la Sagesse : « La sagesse, où la trouver ? Où réside l’intelligence ? On en ignore le prix chez les hommes, et elle ne se trouve pas au pays des vivants… Dieu en a discerné le chemin, il a su, lui, où elle réside. » (Jb 28, 12… 23).
Chaque fois que Jésus est mis devant l’évidence de la foi, il manifeste sa joie et sa reconnaissance au Père3; l’évangile nous révèle ainsi ce qu’est la véritable prière d’action de grâce : bonheur filial émerveillé devant l’initiative de Dieu se révélant aux hommes. Ce dont Jésus s’émerveille aussi, c’est de l’intimité que lui offre son Père : il contemple la communion inouïe qui les unit : « Tout m’a été confié par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. »
—————————————–

Notes
1 – Ben Sirac reprend ce thème du joug de la Torah : « Tu trouveras en elle le repos, elle se changera pour toi en joie. Alors ses entraves seront pour toi une protection puissante et son carcan un vêtement glorieux. Son joug est une parure d’or, ses liens sont un ruban de pourpre violette. » (Si 6, 28-30). « Soumettez votre nuque à son joug et que votre âme reçoive l’instruction. » (Si 51, 26).
2 – « Doux et humble de cœur » : l’évangéliste, rapportant cette parole, y entendait certainement un écho de la prophétie de Zacharie sur le roi doux et humble monté sur un âne (Za 9, 9-10 ; cf la première lecture).
3 – Le passage parallèle à celui-ci dans l’évangile de Luc commence par ces mots : « A l’heure même (il s’agit du retour de mission des soixante-douze disciples), il exulta sous l’action de l’Esprit-Saint. » (Lc 10, 21).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, commémoration de tous les défunts fidèles (2 novembre 2014)

Partager cet article

Repost0
20 octobre 2014 1 20 /10 /octobre /2014 22:56
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Exode 22, 20 – 26

Quand Moïse transmettait au peuple
les lois du Seigneur, il disait :
20 « Tu ne maltraiteras point l’immigré qui réside chez toi,
tu ne l’opprimeras point,
car vous étiez vous-mêmes des immigrés en Égypte.
21 Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin.
22 Si tu les accables et qu’ils crient vers moi,
j’écouterai leur cri.
23 Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée :
vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins.
24 Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de mon peuple,
à un pauvre parmi tes frères,
tu n’agiras pas envers lui comme un usurier :
tu ne lui imposeras pas d’intérêts.
25 Si tu prends en gage le manteau de ton prochain,
tu le lui rendras avant le coucher du soleil.
26 C’est tout ce qu’il a pour se couvrir ;
c’est le manteau dont il s’enveloppe,
la seule couverture qu’il ait pour dormir;
S’il crie vers moi, je l’écouterai,
car moi, je suis compatissant ! »


Les lois dites ‘de Moïse’
Le livre de l’Exode contient plusieurs textes de loi qui sont tous attribués à Moïse : en réalité, Moïse en personne n’a promulgué qu’un premier ensemble de lois ; puis au long de la vie du peuple d’Israël, de nouvelles lois adaptées aux nouvelles conditions sociales ont vu le jour et ont été insérées dans le livre de l’Exode, à la suite des premières. Tout comme notre Code civil ou pénal est régulièrement modifié, complété et pourtant c’est le même livre et il continue à porter le même nom. Mais les lois nouvelles reflètent le contexte nouveau dans lequel elles ont été votées ; elles répondent à de nouvelles questions, de nouvelles formes de délits : toute loi est toujours de circonstance !
En fait, toutes les lois données par Moïse et par ses successeurs, à des époques différentes, dans des conditions de vie différentes, ont été rassemblées là à la suite du Décalogue (ou des Dix Paroles du Sinaï), parce qu’elles en étaient la suite logique, au long des siècles et de l’évolution historique d’Israël.

Quoi de neuf en Israël ?
Israël n’est ni le premier ni le seul peuple à avoir promulgué des lois ; on a retrouvé au Proche-Orient des codes de lois beaucoup plus anciens : à Ur par exemple, (la patrie d’Abraham), on connaît un code qui date de 2050 av.J.C. ; et le fameux code d’Hammourabi (qui se trouve au Musée du Louvre) remonte à environ 1750, toujours av.J.C. Ces codes ont des quantités de points communs1 : dans toutes les civilisations, la loi est faite pour protéger les faibles : rien d’étonnant donc à ce que la Loi d’Israël, comme les autres, défende les intérêts de la veuve, de l’orphelin, de l’immigré, de l’emprunteur. Mais ce qui est nouveau ici c’est le fondement de la Loi.

Au nom du Dieu libérateur
Le fondement de la Loi d’Israël, c’est la libération d’Égypte : ou, plus exactement, c’est la double expérience de l’esclavage en Égypte et de la libération par Dieu. Et parce que Dieu s’est révélé comme celui qui entend la plainte des humiliés, qui leur rend leur liberté et leur dignité, très logiquement, il continue à travers la Loi à prendre la défense des humiliés. Si bien que toutes les lois bibliques sont émaillées de rappels : rappel de la souffrance endurée quand on était esclaves, humiliés… rappels de l’œuvre de Dieu libérant son peuple. Par exemple, les premiers mots du Décalogue ne sont pas encore un commandement mais un rappel : « C’est moi le SEIGNEUR ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Ex 20, 2) ; ou encore « Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait à l’Égypte, comment je vous ai portés (comme) sur des ailes d’aigle et vous ai fait arriver jusqu’à moi » (Ex 19, 4).
Et si Dieu a libéré son peuple c’est parce qu’il a entendu le cri des malheureux : « Les fils d’Israël gémirent du fond de la servitude et crièrent. Leur appel monta vers Dieu du fond de la servitude. Dieu entendit leur plainte ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob… » (Ex 2, 23-24). De même dans l’épisode du buisson ardent : « Le SEIGNEUR dit : J’ai vu la misère de mon peuple en Égypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer » (Exode 3, 7).
Voilà le fondement de toute Loi en Israël : le Dieu qui entend le cri des malheureux, qui connaît leurs souffrances et donc prend leur défense. « Car moi, je suis compatissant » dit la dernière phrase de notre texte.1
Pour ce peuple qui a fait l’expérience de l’humiliation, il n’est pas difficile de se mettre à la place des humiliés : « Tu ne maltraiteras point l’immigré qui réside chez toi, tu ne l’opprimeras point, car vous étiez vous-mêmes des immigrés en Égypte. »2 Traduisez : parce que vous savez ce que c’est qu’être humilié, vous n’humilierez personne. Ce n’est pas affaire de raisonnement, de beaux sentiments, c’est affaire d’expérience, quelque chose comme « vous savez ce que c’est, alors mettez-vous à leur place ».
Petite précision au passage : l’immigré dont il s’agit ici, c’est l’étranger qui réside durablement dans le pays, qui s’y installe ; il ne s’agit pas de l’étranger de passage, du touriste, qui bénéficiait de l’hospitalité proverbiale en Orient.

La règle d’or : se mettre à la place
Les quelques commandements du texte d’aujourd’hui relèvent tous de la même logique : mettez-vous à la place du pauvre, de l’emprunteur, de la veuve, de l’orphelin ; ne les maltraitez pas, car Dieu entend leur cri ; nous sommes encore au tout début de la Révélation biblique (même si ces textes sont postérieurs à Moïse) mais déjà on sait que Dieu est concerné par la souffrance humaine, et qu’il vient au secours des pauvres et des humiliés.
Malheureusement, pour l’instant, il faut encore menacer pour que la loi soit respectée : « Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée ». Un jour viendra, nous le savons, où l’homme éduqué peu à peu par Dieu et par la Loi n’aura plus besoin de menaces, car il aura appris à voir en tout homme un frère.
————————————–
Notes
1 – Parmi les points communs les plus frappants, on remarque la formulation de type qu’on appelle « casuistique » : par exemple « Si tu prêtes de l’argent … » ou « Si tu prends en gage le manteau de quelqu’un… ». Mais ce qui est intéressant pour nous, ce sont les nouveautés que la Loi d’Israël apporte par rapport aux peuples voisins.
2 – Un peu plus loin, le même thème est repris : « Tu n’opprimeras pas l’émigré : vous connaissez vous-mêmes la vie de l’émigré, car vous avez été émigrés au pays d’Égypte » (Ex 23, 9).

Compléments
- Verset 26 : le mot « compatissant » n’est pas à entendre ici au sens latin (« compatir », en latin, signifie « souffrir avec »). En hébreu, le mot employé dans ce texte signifie « bienveillant », « ayant pitié ».
- Les lois nouvelles reflètent le contexte nouveau dans lequel elles ont été votées.
Prenons un exemple : supposons que vous soyez dans une galerie de tableaux et que vos yeux s’arrêtent sur une Annonciation ; si la Vierge est représentée en costume Renaissance, vous saurez que le peintre ne vivait certainement pas au temps de Jésus, au premier siècle en Palestine… de la même manière, des textes juridiques rédigés après l’installation en Palestine reflètent la société de leur temps et non plus le contexte sociologique de l’Exode. Par exemple, dans ce même chapitre 22, il y a un l’article qui prévoit le cas d’un « voleur surpris à percer le mur d’une maison » (Ex 22, 1) ; il ne date certainement pas des campements sous tente dans le désert du Sinaï ! C’est également le cas dans le texte de ce dimanche : si on s’intéresse au sort des émigrés, c’est que le peuple d’Israël est entré en Palestine, qu’il peut désormais la considérer comme sa terre et que des étrangers viennent à leur tour s’y installer. Toutes conditions, évidemment, non réunies dans le Sinaï pendant l’Exode. Autre chose est un peuple de pasteurs nomades, autre chose un peuple installé, sédentarisé.


PSAUME – 17 (18) 2-3, 4. 20, 47. 51ab

2 Je t’aime, SEIGNEUR, ma force :
3 SEIGNEUR, mon roc, ma forteresse,
Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite,
mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !

4 Louange à Dieu ! Quand je fais appel au SEIGNEUR,
je suis sauvé de tous mes ennemis.
20 Lui m’a dégagé, mis au large,
il m’a libéré, car il m’aime.

47 Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Rocher !
Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire.
51 Il donne à son roi de grandes victoires,
il se montre fidèle à son messie pour toujours.


Quand je fais appel au SEIGNEUR, je suis sauvé
Lorsque le peuple d’Israël veut rendre grâce à Dieu pour son soutien et sa sollicitude au long des siècles, il se compare au roi David, poursuivi par le roi Saül, ou bien affrontant le géant Goliath. Dans les deux cas, Le Seigneur a secouru son serviteur David. Je vous rappelle son histoire. Cela se passe un peu avant l’an mille avant J.C. A l’époque le roi légitime d’Israël, choisi par Dieu et consacré par l’onction d’huile du prophète Samuel, ce n’était pas David (pas encore), mais Saül, le premier roi d’Israël.
Mais celui-ci ne remplissait plus sa mission ; son règne, bien commencé, se terminait mal. Au lieu d’écouter le prophète, il avait sciemment transgressé ses ordres, et le prophète Samuel l’avait désavoué. C’est alors qu’il avait choisi David encore très jeune pour qu’il soit formé à la cour et qu’il succède plus tard à Saül. Saül est donc resté le roi en titre jusqu’à sa mort, mais il a dû supporter de voir grandir à la cour David, son rival de plus en plus populaire et à qui tout réussissait. Si bien qu’une haine farouche remplit peu à peu le cœur  de Saül et qu’il essaya, à plusieurs reprises, mais vainement, de se débarrasser de David. Une fois entre autres, Saül poursuivait David et c’est dans une caverne que David a trouvé refuge. D’où l’expression : « Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite… » Choisi, à sa grande surprise, pour être le futur roi, David savait qu’il pouvait compter sur la protection de Dieu : « Quand je fais appel au SEIGNEUR, je suis sauvé de tous mes ennemis. » Ou encore : « Dieu, mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !… Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire. Il donne à son roi de grandes victoires »

David et Goliath
Vous vous rappelez également la lutte entre David et Goliath : David armé d’une simple fronde affrontait le géant équipé de pied en cap et armé jusqu’aux dents ; vexé de l’accoutrement excessivement simple de son rival, Goliath lui avait dit : « Suis-je un chien pour que tu viennes à moi armé de bâtons ?…Viens ici que je donne ta chair aux oiseaux et aux bêtes des champs ». Et David lui avait répondu : « Toi, tu viens à moi armé d’une épée, d’une lance et d’un javelot ; moi, je viens à toi, armé du nom du SEIGNEUR le Tout-Puissant, le Dieu des armées d’Israël que tu as défié. Aujourd’hui même le SEIGNEUR te remettra entre mes mains… et toute la terre saura qu’il y a un Dieu pour Israël. Et toute cette assemblée le saura : ce n’est ni par l’épée, ni par la lance que le SEIGNEUR donne la victoire, mais le SEIGNEUR est le maître de la guerre et il vous livrera entre nos mains » (1S 17, 43-47).

Le rocher d’Israël
Le peuple d’Israël tout entier, lui aussi, peut dire ces versets en toute vérité : « SEIGNEUR, mon roc… Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite… Lui m’a dégagé, mis au large, il m’a libéré car il m’aime. Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Rocher ! … » Tout d’abord, bien avant David, on avait expérimenté qu’une caverne dans un rocher peut être un lieu d’asile ; le livre des Juges en donne des exemples ; dire que Dieu est notre Rocher, c’est donc d’abord dire qu’il est notre secours, notre appui le plus sûr. Par exemple, on trouve dans le Deutéronome le fameux cantique de Moïse au Rocher d’Israël : « Reconnaissez la grandeur de notre Dieu, Lui le Rocher, son action est parfaite, tous ses cheminements sont judicieux ; c’est le Dieu fidèle, il n’y a pas en lui d’injustice, il est juste et droit » (Dt 32, 3-4). A une époque où on pense que chaque peuple a son dieu protecteur, on admet bien que les autres peuples puissent avoir leur rocher, mais il ne vaut quand même pas celui d’Israël ; on trouve dans le même cantique cette phrase superbe : « Le Rocher de nos ennemis n’est pas comme notre Rocher » (Dt 32, 31).

Le Rocher de Massa et Meriba
Moïse, quand il parle de rocher, lui donne certainement encore un autre sens ; on a là évidemment un écho de la libération d’ÉgypteLe SEIGNEUR m’a libéré car il m’aime ») et aussi de l’Exode, la longue marche au Sinaï ; tout au long de ce périple éprouvant, dans la chaleur, la faim, la soif, parmi les scorpions et les serpents brûlants, la présence de Dieu, sa sollicitude ont été le secours du peuple ; une sollicitude qui est allée jusqu’à faire couler l’eau du Rocher : c’est le célèbre passage de Massa et Meriba ; là où on a eu tellement soif qu’on a eu peur d’en mourir et qu’on a accusé Moïse de vouloir la mort du peuple… L’histoire de cette révolte hante la mémoire d’Israël car elle est typique des doutes qui assaillent le croyant ; mais ici, ce n’est pas la révolte qui est évoquée, c’est la bonté de Dieu qui répond à la révolte par un don plus grand encore : « Là-bas, le peuple eut soif ; le peuple murmura contre Moïse : Pourquoi donc, dit-il, nous as-tu fait monter d’Égypte ? Pour me laisser mourir de soif, moi, mes fils et mes troupeaux ? Alors Moïse cria au SEIGNEUR : Que dois-je faire pour ce peuple ? Encore un peu, ils vont me lapider. » Et Dieu répondit « Tu frapperas le Rocher, il en sortira de l’eau et le peuple boira » (Ex 17, 3-6).
Quand le peuple d’Israël chante ce psaume, il rappelle donc cette présence fidèle depuis toujours à ses côtés de Celui dont le Nom même est « Je suis avec vous » ; mais ce rappel est aussi la source de son espérance ; car tout comme David, ce peuple attend la réalisation des promesses du Dieu fidèle, la venue du Messie qui libèrera définitivement l’humanité. « Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Rocher ! Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire. Il donne à son roi de grandes victoires, il se montre fidèle à son Messie pour toujours ».
—————————————
Complément
Le deuxième livre de Samuel dit que David a chanté ce psaume pour remercier Dieu de l’avoir délivré de tous ses ennemis, à commencer par Saül ; et si vous avez la curiosité de consulter ce deuxième livre de Samuel au chapitre 22, vous y retrouverez le texte de ce psaume 17/18 presque à l’identique. Cela ne prouve pas que, historiquement, David a dit textuellement ces paroles-là, mais que le rédacteur final du livre de Samuel a pensé que ce psaume s’appliquait particulièrement bien à David.


DEUXIÈME LECTURE – 1 Thessaloniciens 1, 5c – 10

Frères,
5 vous savez comment nous nous sommes comportés chez vous
pour votre bien.
6 Et vous, vous avez commencé à nous imiter, nous et le Seigneur,
en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves
avec la joie de l’Esprit Saint.
7 Ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants
de Macédoine et de toute la Grèce.
8 Et ce n’est pas seulement en Macédoine et dans toute la Grèce
qu’à partir de chez vous la parole du Seigneur a retenti,
mais la nouvelle de votre foi en Dieu s’est si bien répandue partout
que nous n’avons plus rien à en dire.
9 En effet, quand les gens parlent de nous,
ils racontent l’accueil que vous nous avez fait ;
ils disent comment vous vous êtes convertis à Dieu
en vous détournant des idoles,
afin de servir le Dieu vivant et véritable,
10 et afin d’attendre des cieux son Fils
qu’il a ressuscité d’entre les morts,
Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient.


Partout où il passe, Paul entend parler du rayonnement de la jeune communauté de Thessalonique ; il en déduit que sa prédication a porté son fruit. La Parole accueillie par les Thessaloniciens dans la joie les a transformés en profondeur et, du coup, ils sont devenus un modèle pour les autres… comme une traînée de poudre.

Dans un monde hostile
Pourtant les conditions de leur conversion n’étaient pas faciles : puisque Paul précise qu’ils ont accueilli la Parole « au milieu de bien des épreuves ». Paul fait allusion ici à l’hostilité de certains Juifs à la prédication chrétienne ; Paul, lui-même, Silvain et Timothée ont essuyé les premiers ce refus de l’Évangile par ceux à qui il était destiné en priorité ; maintenant, c’est la nouvelle communauté chrétienne de Thessalonique qui relève le flambeau et qui rencontre à son tour la persécution ; mais elle tient bon comme l’ont fait avant elle le Christ lui-même puis ses apôtres ; c’est le sens de la phrase « Vous avez commencé à nous imiter, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves avec la joie de l’Esprit Saint ». Apparemment, la joie est un élément important de l’accueil de la Parole !… cette joie intérieure qui est la signature de l’Esprit Saint.

Tourner le dos aux idoles
« Vous vous êtes convertis à Dieu en vous détournant des idoles » ; évidemment, on se demande de quelles « idoles » il s’agit… cela peut vouloir dire soit divinité païenne, soit (pour des Juifs) une fausse image de Dieu. Or la communauté chrétienne naissante de Thessalonique était très mélangée : d’après les Actes des Apôtres « certains des Juifs se laissèrent convaincre et furent gagnés par Paul et Silas, ainsi qu’une multitude de Grecs adorateurs de Dieu et bon nombre de femmes de la haute société. » (Ac 17, 4).
Avant leur adhésion au Christianisme, ces divers groupes ne pratiquaient pas la même religion ; on n’a aucune précision sur la pratique religieuse des femmes dont Paul parle ici, et il y avait peut-être parmi elles et parmi les Grecs, des gens qui pratiquaient le culte des divinités païennes ; (on sait qu’au moins vingt divinités païennes différentes étaient vénérées à Thessalonique : on en a retrouvé des traces sur des colonnes) ; mais les Juifs et les Grecs réputés « adorateurs de Dieu » ne vénéraient certainement pas des idoles au sens strict : au contraire ils vénéraient le même Dieu que Paul, le Dieu vivant d’Israël. Seulement, on pouvait adorer le Dieu d’Israël et avoir quand même besoin de se convertir : Paul en savait quelque chose ! Lui aussi était adorateur du vrai Dieu, Juif convaincu et c’est au nom même de ses convictions et de l’idée qu’il se faisait de Dieu qu’il avait commencé par persécuter les Chrétiens ; maintenant, il était passé de l’autre côté de la barrière, si on peut dire, et donc il comprenait très bien ce qui se passait. Face à la prédication chrétienne, certains adoptaient l’attitude de Paul, avant sa conversion, d’autres suivaient le Paul du chemin de Damas. La distance entre les deux, c’est l’abandon de ses idées toutes faites sur Dieu, ses idoles, et la découverte du vrai Dieu tel qu’il s’est manifesté en Jésus-Christ.

Tournés vers Dieu comme le Christ
Ici, Paul emploie une expression superbe : « Vous vous êtes convertis à Dieu », littéralement « vous vous êtes tournés vers Dieu » ; en grec ce sont les mots mêmes que saint Jean emploie pour parler de la relation de dialogue sans ombre, de communion, qui unit le Père et le Fils : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1). Parce qu’ils ont accepté d’ouvrir leur cœur à la Parole de l’apôtre, les Thessaloniciens ont reçu la grâce de la conversion, du retournement. Désormais, eux aussi, comme le Christ, ils sont tournés vers Dieu et cela leur a donné tous les courages pour tenir bon malgré la persécution. Comme dit saint Jean, encore, dans le Prologue, « A ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).
Désormais, ils sont à l’abri de « la colère qui vient », dit saint Paul. La « colère de Dieu », c’est une expression classique pour évoquer la fin des temps. Pour les croyants, ce n’est plus une inquiétude, au contraire. Ce sera le jour de la délivrance, où Dieu supprimera tout ce qui fait du mal à l’homme. Et Paul lui-même, dit un peu plus loin, dans cette même lettre « Dieu ne nous a pas destinés à subir sa colère, mais à posséder le salut par Notre Seigneur Jésus-Christ » (1 Thess 5, 9).

L’impatience des croyants
Désormais, en Jésus-Christ, on ne craint plus le jugement de Dieu, au contraire on est impatient de voir s’accomplir pleinement le projet de Dieu ; il y a là, c’est très net dans tout le Nouveau Testament, et en particulier chez saint Paul, un élément très important de la foi chrétienne, l’attente ; non pas une attente passive, comme sur le quai de la gare, mais une attente fervente, ardente, passionnée ; celle qui nous fait dire chaque jour avec impatience « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »… et cette volonté, nous le savons bien, et c’est pour cela que nous la voulons si fort aussi, c’est que la Bonne Nouvelle de l’amour soit proclamée et vécue partout et par tous.
—————————————-
Compléments
- Dès l’Ancien Testament, on avait compris que la colère de Dieu ne vise pas l’homme lui-même ; elle vise le mal qui abîme l’homme. Mais Jésus-Christ est celui qui instaure définitivement le règne de l’amour sur la terre ; celui qui croit en Jésus-Christ vit dans l’amour et triomphe du mal et de la mort à son tour. Encore une phrase de l’évangile de Jean : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. » (Jn 5, 24).


ÉVANGILE – Matthieu 22, 34 – 40

34 Les pharisiens,
apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens,
se réunirent,
35 et l’un d’eux, un docteur de la Loi, lui posa une question
pour le mettre à l’épreuve :
36 « Maître, dans la Loi,
quel est le grand commandement ? »
37 Jésus lui répondit :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur,
de toute ton âme et de tout ton esprit.
38 Voilà le grand, le premier commandement.
39 Et voici le second, qui lui est semblable :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 Tout ce qu’il y a dans l’Écriture,
- dans la Loi et les Prophètes, -
dépend de ces deux commandements. »


« Maître, dans la Loi, quel est LE grand commandement ? »
« Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Les Pharisiens posent à Jésus une question qui pour eux était classique. On sait que la loi comporte six cent treize commandements ; et ils avaient l’habitude de discuter à longueur de temps pour savoir quel commandement était le plus important ; quand un conflit de devoirs se présentait, il fallait bien hiérarchiser les divers commandements.
La réponse de Jésus va les surprendre en les emmenant bien au-delà du terrain juridique.
Le contexte, ici, est important : nous sommes, chez saint Matthieu, dans la dernière étape de la vie terrestre de Jésus, entre son entrée triomphale à Jérusalem et sa Passion. Les discussions se succèdent entre celui que la foule a reconnu comme le Messie et les autorités religieuses, qui, croient-elles, ont, seules, autorité pour reconnaître le véritable Messie. Jésus a raconté trois paraboles (celle des deux fils, celle des vignerons homicides et enfin celle du banquet nuptial et de la robe de noces). C’est le tour des autorités religieuses, maintenant, de lui poser trois questions, dans l’intention de le prendre au piège : celle sur l’impôt à payer à César, celle sur la résurrection des morts et enfin, celle d’aujourd’hui : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »

Non pas un commandement mais deux !
On interroge Jésus sur la Loi, il puise sa réponse dans la Loi ; mais il refuse d’établir une hiérarchie entre les six cent-treize commandements de la Loi : il cite deux commandements tous deux inscrits dans la Loi d’Israël et il les place au même niveau : Tu aimeras le Seigneur, tu aimeras ton prochain.
« Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » : c’est dans le Livre du Deutéronome au chapitre 6, cela fait partie de la profession de foi juive, le Shema Israël ;
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même », c’est dans le livre du Lévitique (Lv 19, 18).
Et il dit « ces deux-là donnent sens à tous les autres » : « Tout ce qu’il y a dans l’Écriture – dans la Loi et les Prophètes – dépend de ces deux commandements ».
Il est vrai que la Loi, mais aussi les Prophètes liaient déjà très fort ces deux commandements ; pour la Loi, il suffit de relire le Décalogue, ce que nous appelons les dix commandements : les commandements concernant la conduite envers Dieu sont immédiatement suivis des commandements concernant la conduite envers les autres. Et l’ensemble de la Loi, nous l’avons revu avec le texte du livre de l’Exode qui nous est proposé en première lecture, quand elle dictait la conduite envers les autres, spécialement envers les pauvres, les veuves, les orphelins, les immigrés, le faisait au nom du Dieu de l’Alliance, ce Dieu que l’on devait aimer de tout son cœur et de toute son âme…
Quant aux Prophètes, ils n’avaient fait que rappeler ce lien entre les deux commandements : Isaïe, par exemple : « Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref, que vous mettiez en pièces tous les jougs ! » (Is 58, 6). Ou encore Michée : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que le respect du droit, l’amour de la fidélité, la vigilance dans ta marche avec Dieu » (Mi 6, 8).
En résumé, dans la Loi comme chez les Prophètes, la grande leçon c’était « si vous voulez être les fils du Dieu qui vous a libérés, soyez des libérateurs à votre tour ». Ce qui veut dire que l’expression « tu aimeras » engage une conduite concrète, beaucoup plus qu’un sentiment.

Sortir du légalisme
Ce faisant, Jésus invite ses interlocuteurs à sortir de l’esprit légaliste : il les appelle à une conversion radicale : avec Dieu on n’est pas dans le domaine du calcul, de ce qu’il faut faire pour être en règle ; on est sous la seule loi de l’amour. Saint Paul, l’ancien Pharisien scrupuleux, qui a fait l’expérience de cette conversion, dira dans la lettre aux Romains « Vous n’êtes plus sous la loi mais sous la grâce » (Rm 6, 14). Et si l’on entre dans la logique de l’amour, ces deux commandements sont semblables, dit Jésus, ils sont de même nature ; bien sûr, car il n’y a pas deux sortes d’amour ! Celui dont on aimerait Dieu et celui dont on aimerait nos frères ; le second est la vérification du premier ; comme dit saint Jean : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4, 20).
Jésus met en garde les Pharisiens : il y a des manières d’appliquer la loi qui la trahissent ; elle a été donnée par Dieu pour être un chemin de liberté et de vie, mais on peut très bien en faire un esclavage et même parfois un chemin de mort : par exemple quand le commandement du repos sabbatique vous conduit à laisser à l’abandon un malade ou un mourant, la loi qui dicte le service du frère est trahie.
Donc, ce que Jésus cherche à faire comprendre aux Pharisiens, c’est qu’ils risquent, au nom même de la Loi, d’oublier le commandement de l’amour.
Il est certain que c’est un thème cher à Saint Matthieu : lui, le seul des évangélistes à citer deux fois la phrase du prophète Osée « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices » (Osée 6, 6)1 ; lui aussi, le seul à rapporter la parabole du jugement dernier « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).
—————————————
Note
1 – Matthieu cite cette phrase du prophète Osée une première fois dans le récit de sa vocation (Mt 9, 13) ; la deuxième fois, c’est précisément à l’occasion d’une controverse de Jésus avec les Pharisiens sur une question similaire à celle de ce dimanche. Il s’agit de l’épisode des épis arrachés dans un champ de blé par les disciples un jour de sabbat. Les Pharisiens reprochent à Jésus ce manquement : « Vois tes disciples qui font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat. » Jésus leur répond : « Si vous aviez compris ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice, vous n’auriez pas condamné ces hommes. » (Mt 12, 1-8).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 30e dimanche du temps ordinaire (26 octobre 2014)

Partager cet article

Repost0
13 octobre 2014 1 13 /10 /octobre /2014 21:51
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Une fois n'est pas coutume, je permets, à la fin du texte de Marie-Noëlle Thabut, de contester une partie de son commentaire de l'Évangile.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Isaïe 45 , 1… 6

1 Parole du SEIGNEUR au roi Cyrus,
qu’il a consacré, qu’il a pris par la main,
pour lui soumettre les nations et désarmer les rois,
pour lui ouvrir les portes à deux battants,
car aucune porte ne restera fermée :
4 « A cause de mon serviteur Jacob et d’Israël mon élu,
je t’ai appelé par ton nom,
je t’ai décerné un titre,
alors que tu ne me connaissais pas.
5 Je suis le SEIGNEUR, il n’y en a pas d’autre :
en dehors de moi, il n’y a pas de Dieu.
Je t’ai rendu puissant,
alors que tu ne me connaissais pas,
6 pour que l’on sache, de l’Orient à l’Occident,
qu’il n’y a rien en dehors de moi. »


Parole du SEIGNEUR au roi Cyrus
Quand Isaïe écrit ce texte, les Juifs sont en exil à Babylone depuis presque cinquante ans ; depuis que, en 587, les armées de Nabuchodonosor ont conquis Jérusalem, pillé et dévasté le Temple et emmené comme prisonniers de guerre les survivants encore valides. Et voici que, de toute la région, parviennent les bruits des conquêtes du nouveau maître du monde, Cyrus, le roi de Perse. Or, curieusement, ces bruits sont une bonne nouvelle pour les Juifs déportés à Babylone : tout le monde sait que bientôt toute la région appartiendra à ce nouvel empereur Cyrus à qui rien ne résiste.
Tout le monde sait aussi, car c’est assez inhabituel pour impressionner les foules, que contrairement à tous les autres souverains du temps, celui-là pratique une politique humanitaire : il laisse la vie sauve aux vaincus, ne dévaste pas, ne pille pas, ne déplace pas les populations ; dans tous les pays qu’il conquiert, il rencontre des populations déplacées par les vainqueurs : (c’est le cas des Juifs exilés à Babylone par Nabuchodonosor) ; à chaque fois, il les renvoie dans leur pays, leur rend les biens volés par les conquérants précédents et leur donne même les moyens de reconstruire leur pays. Sans doute a-t-il compris qu’un empereur a tout intérêt à être le maître de peuples heureux.
C’est dans ce contexte qu’Isaïe prononce cette prophétie qui sonne comme une extraordinaire profession de foi : il commence par dire « Parole du SEIGNEUR au roi Cyrus » : en réalité, il ne parle pas directement à Cyrus lui-même qui ne lira jamais le livre d’un obscur prophète juif : plus vraisemblablement, le message d’Isaïe est adressé aux exilés pour leur redonner espoir, un espoir qui repose sur deux convictions :

Dieu reste fidèle à son Alliance
Première conviction, Dieu reste fidèle à son Alliance, il n’abandonne pas son peuple élu : c’est le sens de l’expression « A cause de mon serviteur Jacob et d’Israël mon élu ». N’oublions pas que cette phrase est prononcée au moment même où on aurait toutes les raisons d’en douter. Si Israël peut être tombé aussi bas, avoir tout perdu, non seulement son indépendance politique, mais pire sa liberté, sa terre, son Temple, son roi… on peut quand même se demander si Dieu n’a pas abandonné son peuple… et certains se le demandent. C’est pour eux justement que le prophète Isaïe proclame de toutes ses forces « Jacob est toujours le serviteur de Dieu, Israël est toujours son élu ».

Dieu reste le maître des événements
Deuxième conviction, Dieu reste le maître des événements : « Je suis le SEIGNEUR, il n’y en a pas d’autre : en dehors de moi, il n’y a pas de Dieu ». Traduisez Cyrus, lui-même, le grand roi païen, est dans sa main : les expressions « consacrer », « donner un titre », « prendre par la main », « ouvrir les portes à deux battants » sont des allusions aux rites du sacre des rois : effectivement, le jour de son sacre, le nouveau roi recevait le nom de fils de Dieu, puis l’onction d’huile ; désormais il était dans la main de Dieu ; pour entrer dans la salle du trône, les portes s’ouvraient, symbole de toutes les portes des villes ennemies qui cèderaient bientôt devant lui. Isaïe multiplie les allusions au sacre des rois d’Israël comme si Dieu lui-même avait choisi et sacré Cyrus comme roi à son service. Mais c’est Dieu qui garde l’initiative.

Dieu, le seul Seigneur
Ce texte n’est donc pas, malgré les apparences, une hymne à la gloire du roi Cyrus. On pourrait dire, au contraire, qu’il le remet à sa place ! Car la tentation d’idolâtrie était réelle en milieu babylonien. Et ce même chapitre 45 d’Isaïe comporte d’autres vigoureuses mises en garde contre l’idolâtrie et l’affirmation répétée que Dieu est Unique. C’est donc précisément au moment où Cyrus vole de victoires en victoires qu’Isaïe rappelle au peuple juif que Dieu est le seul Seigneur véritable ; Cyrus lui-même est dans sa main : Dieu saura faire tourner le succès de ce roi païen au profit de son peuple élu. Et ce roi païen ne saura même pas lui-même qu’il sert bien involontairement les projets de Dieu ; Isaïe insiste bien : « A cause de mon serviteur Jacob et d’Israël mon élu, je t’ai appelé par ton nom, je t’ai décerné un titre, alors que tu ne me connaissais pas… Je t’ai rendu puissant alors que tu ne me connaissais pas ». A la limite la phrase est écrite de telle manière que le peuple élu semble le plus important, lui qui est pourtant dans une situation apparemment désespérée.
Mais c’est cela la foi du prophète justement : l’espoir qui repose sur ces deux convictions peut se traduire : « Puisque Dieu reste le maître et qu’il ne vous oublie pas, alors gardez courage ! De cette domination, de cette botte étrangère, Dieu saura faire sortir du bien. Aucun pouvoir humain, si grand soit-il, ne résiste à Dieu ».
On connaît la suite : l’avenir a donné raison à Isaïe ; Cyrus a effectivement conquis Babylone en 539. Il a autorisé les Juifs, dès 538, à rentrer à Jérusalem, en leur rendant les biens volés par Nabuchodonosor et en leur donnant une subvention pour reconstruire le Temple de Jérusalem.
Dernière remarque : Cyrus est appelé « messie » parce qu’il a été choisi par Dieu pour libérer son peuple. Il n’est pourtant ni roi, ni prêtre, ni prophète en Israël, mais le plus important c’est l’œuvre qu’il accomplit. On peut en déduire que chaque fois que quelqu’un agit dans le sens d’une libération véritable des hommes, il accomplit l’œuvre de Dieu.
————————————
Compléments à Isaïe 45
On ne peut quand même pas dire que l’histoire se répète toujours ! Un prophète juif a pu aller jusqu’à dire qu’un roi d’Iran était le Messie ! Les temps ont bien changé…
Bien sûr, parmi les auditeurs d’Isaïe, certains ont trouvé qu’il poussait l’audace un peu loin. Cela nous vaut une superbe réplique du prophète (quelques lignes plus bas dans ce même chapitre 45) : c’est Dieu qui parle « Au sujet de l’œuvre réalisée par mes mains, est-ce que vous me donneriez des ordres par hasard ? » (Is 45, 11).
Insistance sur « Je suis le SEIGNEUR, il n’y a pas d’autre dieu que moi » = preuve des innombrables tentations de fausses pistes = d’une grande actualité


PSAUME – 95 (96)

1 Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
chantez au SEIGNEUR, terre entière,
2 chantez au SEIGNEUR et bénissez son nom !

De jour en jour proclamez son salut,
3 racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations, ses merveilles !

4 Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué,
redoutable au-dessus de tous les dieux :
5 néant tous les dieux des nations !

Lui, le SEIGNEUR, a fait les cieux :
6 devant lui, splendeur et majesté,
dans son sanctuaire, puissance et beauté.

7 Rendez au SEIGNEUR, familles des peuples,
rendez au SEIGNEUR la gloire et la puissance,
8 rendez au SEIGNEUR la gloire de son nom.

Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis,
9 adorez le SEIGNEUR, éblouissant de sainteté :
tremblez devant lui, terre entière.

10 Allez dire aux nations : « Le SEIGNEUR est roi ! »
le monde, inébranlable, tient bon.
Il gouverne les peuples avec droiture.

11 Joie au ciel ! Exulte la terre !
Les masses de la mer mugissent,
12 la campagne tout entière est en fête.

Les arbres des forêts dansent de joie
13 devant la face du SEIGNEUR, car il vient,
car il vient pour juger la terre.

Il jugera le monde avec justice,
et les peuples selon sa vérité !


Je me suis permis de lire le Psaume de ce dimanche en entier. Une espèce de frémissement, d’exaltation court sous tous ces versets. Pourquoi est-on tout vibrants ? C’est la foi qui fait vibrer ce peuple, ou plutôt c’est l’espérance… qui est la joie de la foi… l’espérance qui permet d’affirmer avec certitude ce qu’on ne possède pas encore.

Comme si c’était déjà la fin du monde
Car on est en pleine anticipation : le psaume nous transporte déjà à la fin du monde, en ce jour béni où tous les peuples sans exception reconnaîtront Dieu comme le seul Dieu. Le jour, où enfin l’humanité tout entière aura mis sa confiance en lui seul. Imaginons un peu cette scène que nous décrit le psaume : nous sommes à Jérusalem … et plus précisément dans le Temple ; tous les peuples, toutes les nations, toutes les races se pressent aux abords du Temple, l’esplanade grouille de monde, les marches du parvis du Temple sont noires de monde, la ville de Jérusalem n’y suffit pas… aussi loin que porte le regard, les foules affluent… il en vient de partout, il en vient du bout du monde. Et toute cette foule immense chante à pleine gorge, c’est une symphonie ; que chantent-ils ? « Dieu règne ! » C’est une clameur immense, superbe, gigantesque… Une clameur qui ressemble à l’ovation qu’on faisait à chaque nouveau roi le jour de son sacre, mais cette fois, ce n’est pas le peuple d’Israël qui acclame un roi de la terre, c’est l’humanité tout entière qui acclame le roi du monde : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, redoutable » (toutes ces expressions sont empruntées au vocabulaire de cour).

Quand le monde entier entre dans la fête
En fait, c’est beaucoup plus encore que l’humanité : la terre elle-même en tremble. Et voilà que les mers aussi entrent dans la symphonie : on dirait qu’elles mugissent. Et les campagnes entrent dans la fête, les arbres dansent. A-t-on déjà vu des arbres danser ? Et bien oui, ce jour-là ils dansent !
Bien sûr, si on y réfléchit, c’est normal ! Les mers sont moins bêtes que les hommes ! Elles, elles savent qui les a faites, qui est leur Créateur ! Elles mugissent pour Lui, elles l’acclament à leur manière. Les arbres des forêts, eux aussi, sont moins bêtes que les hommes : ils savent reconnaître leur Créateur : parmi des tas d’idoles, de faux dieux, pas d’erreur possible, les arbres ne s’y laissent pas prendre.
Les hommes, eux, se sont laissé berner longtemps… Il suffit de se rappeler l’insistance d’Isaïe dans notre première lecture de ce vingt-neuvième dimanche pour dire « Je suis le SEIGNEUR, il n’y en a pas d’autre ; en-dehors de moi, il n’y a pas de Dieu ». Ce qui prouve que, du temps d’Isaïe, l’idolâtrie, sous une forme ou sous une autre n’était pas loin ! On entend ici cette même pointe contre l’idolâtrie : « néant les dieux des nations ». Il est incroyable que les hommes aient mis si longtemps à reconnaître leur Créateur, leur Père… qu’il ait fallu leur redire cent fois cette évidence que le Seigneur est « redoutable au-dessus de tous les dieux » ; que « c’est LUI, le Seigneur, (sous-entendu « et personne d’autre ») qui a fait les cieux ».
Mais cette fois c’est arrivé ! Et on vient à Jérusalem pour acclamer Dieu parce qu’enfin on a entendu la bonne nouvelle ; et si on a pu l’entendre c’est parce qu’elle était clamée à nos oreilles depuis des siècles ! Oui, « de jour en jour, Israël avait proclamé son salut »… de jour en jour Israël avait raconté l’œuvre de Dieu, ses merveilles, traduisez son œuvre incessante de libération de jour en jour Israël avait témoigné que Dieu l’avait libéré de l’Egypte d’abord, puis de toutes les sortes d’esclavage : et le plus terrible des esclavages, c’est de se tromper de Dieu, c’est de mettre sa confiance dans de fausses valeurs, des faux dieux qui ne peuvent que décevoir, des idoles…

La vocation des croyants
Israël a cette chance immense, cet honneur inouï, ce bonheur de savoir et d’être chargé de dire que le Seigneur notre Dieu, l’Eternel est le seul Dieu, est le Dieu UN ; comme le dit la profession de foi juive, le « Shema Israël » : « Ecoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN ». C’est le mystère de la vocation d’Israël dont on n’a pas fini de s’émerveiller ; comme le dit le livre du Deutéronome : « A toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre que lui. » Mais le peuple choisi n’a jamais oublié que s’il lui a été donné de voir, c’est pour qu’il le fasse savoir.
Et alors, enfin, la bonne nouvelle a été entendue jusqu’aux extrémités de la terre… et tous se pressent pour entrer dans la Maison de leur Père.

Revenons sur terre
Nous sommes là en pleine anticipation ! En attendant que ce rêve se réalise, le peuple d’Israël fait retentir ce psaume pour renouveler sa foi et son espérance, pour puiser la force de faire entendre la bonne nouvelle dont il est chargé.


DEUXIÈME LECTURE – 1 Thessaloniciens 1, 1 – 5

1 Nous, Paul, Silvain et Timothée,
nous nous adressons à vous,
l’Église de Thessalonique qui est en Dieu le Père
et en Jésus Christ le Seigneur :
que la grâce et la paix soient avec vous.
2 A tout instant, nous rendons grâce à Dieu à cause de vous tous,
en faisant mention de vous dans nos prières.
3 Sans cesse nous nous souvenons
que votre foi est active,
que votre charité se donne de la peine,
que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ,
en présence de Dieu notre Père.
4 Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu,
vous avez été choisis par lui.
5 En effet, notre annonce de l’Évangile chez vous
n’a pas été simple parole,
mais puissance, action de l’Esprit Saint, certitude absolue.


Le premier écrit chrétien
Voilà le premier écrit chrétien ! Nous avons tellement l’habitude de voir les évangiles figurer en tête du Nouveau Testament que nous risquons d’oublier qu’ils sont postérieurs aux lettres de Paul. La Première lettre aux Thessaloniciens date d’une vingtaine d’années seulement après la Résurrection du Christ ; et on a donc là les premières affirmations de la prédication chrétienne. C’est la première fois qu’on essaie de formuler par écrit cette découverte inouïe du mystère de Jésus-Christ. Nous sommes vers l’année 50 et, déjà, l’évangile est annoncé très loin de Jérusalem ! Thessalonique est en Europe, au Nord de la Grèce, dans cette région qu’on appelle la Macédoine ; mais avant d’arriver jusque-là, Paul a déjà eu le temps de fonder des communautés dans tout le Sud, le centre et même la côte Ouest de la Turquie.

Saint Paul en Macédoine au nord de la Grèce
C’est par les Actes des Apôtres qu’on sait comment les choses se sont passées ; Paul était en mission sur la côte ouest de la Turquie, quand une nuit, il a eu une vision : un Macédonien le suppliait de venir chez eux : « Passe en Macédoine, viens à notre secours ». Et Luc qui était du voyage raconte : « A la suite de cette vision, nous avons immédiatement cherché à partir pour la Macédoine, car nous étions convaincus que Dieu venait de nous appeler à y annoncer la Bonne Nouvelle » (Ac 16,10). Voilà donc nos missionnaires (Paul, Luc et Silas) sur la côte grecque ; la ville de Philippes est leur première étape (nous lisions ces temps-ci la lettre aux Philippiens) et vous savez que cela a failli très mal se terminer : d’abord bien accueillis, ils ont bientôt été accusés de troubler l’ordre public, battus et jetés en prison ; un providentiel tremblement de terre est passé par là et, finalement, on les a libérés en les priant de quitter la ville.
C’est de là qu’ils sont passés à Thessalonique. Dès leur arrivée, Paul s’est adressé aux Juifs pendant l’office du samedi matin à la synagogue, et cela trois samedis de suite. D’après les Actes des Apôtres, sa prédication était toujours la même : « A partir des Écritures, il expliquait et établissait que le Messie devait souffrir, ressusciter des morts et, disait-il, ce Messie c’est ce Jésus que je vous annonce ». Le texte ajoute « Certains des Juifs se laissèrent convaincre… ainsi qu’une multitude de Grecs adorateurs de Dieu et bon nombre de femmes de la haute société ».
Nous savons donc déjà de quoi est composée la communauté de Thessalonique à laquelle s’adresse cette lettre. Mais, comme d’habitude, Paul n’a pas suscité que de l’enthousiasme : toujours d’après les Actes, « Les Juifs, furieux, recrutèrent des vauriens qui traînaient dans les rues, ameutèrent la foule et semèrent le désordre dans la ville » (Ac 17, 5), si bien que très vite il a paru plus prudent que Paul et Silas quittent la ville.
Paul a donc quitté cette nouvelle communauté trop vite et est resté un moment inquiet à son sujet ; quand il écrit cette lettre que nous débutons aujourd’hui, il vient enfin d’être rassuré par Silas et Timothée qui étaient restés derrière lui en Macédoine et qui lui en rapportent d’excellentes nouvelles. Cela explique le ton particulièrement joyeux de ce début de lettre : c’est le soulagement qui suit l’inquiétude.
« Nous, Paul, Silvain (autre nom de Silas), et Timothée, nous nous adressons à vous, l’Église de Thessalonique qui est en Dieu le Père et en Jésus-Christ le Seigneur : que la grâce et la paix soient avec vous. A tout instant, nous rendons grâce à Dieu à cause de vous tous ». Dès cette première phrase, on est surpris de la solennité de cette salutation : cette communauté est toute petite, et il l’appelle pompeusement « l’Église de Thessalonique qui est en Dieu le Père et en Jésus-Christ le Seigneur ». Ce respect immense de Paul pour les communautés chrétiennes, même modestes, est caractéristique de toutes ses lettres. Et c’est certainement cela qui motive l’action de grâce et même la jubilation qui est elle aussi un trait dominant de tous ses débuts de lettres, même quand il n’a pas que des compliments à faire à ses correspondants. Quels que soient leurs défauts, leurs imperfections, il voit d’abord en eux l’action de Dieu.
Ces quelques lignes contiennent déjà d’énormes affirmations théologiques ; j’en vois au moins deux :

Dieu Un en Trois Personnes
Premièrement, ce texte est trinitaire ; le mot « Trinité » n’y est pas bien sûr, on ne l’emploiera que plus tard ; mais Jésus est appelé « Seigneur », titre réservé à Dieu dans l’Ancien Testament, et l’action de grâce est adressée aux trois Personnes : « Nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en Notre Seigneur Jésus-Christ, en présence de Dieu notre Père… En effet, notre annonce de l’Évangile chez vous n’a pas été simple parole, mais puissance, action de l’Esprit Saint… ».

L’action de l’Esprit Saint
Deuxièmement, c’est Paul qui a prêché mais c’est l’Esprit Saint qui a agi ; voilà qui met toute prédication à sa place : quand les croyants (que ce soit Israël, les disciples de Jésus ou les Thessaloniciens), se montrent disponibles à la Parole et se laissent transformer par elle, c’est à l’Esprit de Dieu que nous le devons.


ÉVANGILE – Matthieu 22, 15 – 21

15 Les pharisiens se concertèrent
pour voir comment prendre en faute Jésus
en le faisant parler.
16 Ils lui envoient des partisans d’Hérode :
« Maître, lui disent-ils, nous le savons :
tu es toujours vrai
et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ;
tu ne te laisses influencer par personne,
car tu ne fais pas de différence entre les gens.
17 Donne-nous ton avis :
Est-il permis, oui ou non,
de payer l’impôt à l’empereur ? »
18 Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta :
« Hypocrites !
Pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ?
19 Montrez-moi la monnaie de l’impôt. »
Ils lui présentèrent une pièce d’argent.
20 Il leur dit :
Cette effigie et cette légende,
de qui sont-elles ?
21 De l’empereur César », répondirent-ils.
Alors il leur dit :
« Rendez donc à César ce qui est à César,
et à Dieu ce qui est à Dieu. »


Une question-piège
« Est-il permis de payer l’impôt à l’empereur ? » Jésus répond en traitant les questionneurs « d’hypocrites » ! Pourquoi « hypocrites » ? Parce que cette soi-disant question n’en est pas une… Hypocrites pour deux raisons : hypocrites, premièrement, parce que cette question, il y a longtemps qu’ils l’ont résolue. A Jérusalem, où se passe la scène, il n’est pas question de faire autrement, sauf à se mettre hors-la-loi, ce qu’ils n’ont pas l’intention de faire, ni les uns ni les autres, qu’ils soient Pharisiens ou partisans d’Hérode. Payer l’impôt à l’empereur, « Rendre à César ce qui est à César », ils le font et Jésus ne leur donne pas tort.
Mais hypocrites, aussi, deuxièmement, parce qu’ils ne posent pas une question, ils tendent un piège, ils cherchent à prendre Jésus en faute… » Et le ton faussement respectueux qui précède la question force encore le trait : « Maître, lui disent-ils, nous le savons, tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ». Toutes ces amabilités ne sont qu’un préambule pour une question-piège1 ; et ce piège-là, logiquement, Jésus ne devrait pas s’en sortir ; de deux choses l’une : ou bien il incite ses compatriotes à refuser l’impôt prélevé au profit de l’occupant romain et il sera facile de le dénoncer aux autorités, comme résistant ou même comme révolutionnaire et il sera condamné…
ou bien il conseille de payer l’impôt et on pourra le discréditer aux yeux du peuple comme collaborateur, ce qui va bien dans le sens de ses mauvaises fréquentations… mais pire, il perd toute chance d’être reconnu comme le Messie ; car le Messie attendu doit être un roi indépendant et souverain sur le trône de Jérusalem, ce qui passe forcément par une révolte contre l’occupant romain. Et puisqu’il a prétendu être le Messie, aux yeux du peuple et des autorités religieuses, il méritera la mort, ce n’est qu’un imposteur et un blasphémateur.
Le piège est bien verrouillé ; de toute manière il est perdu et c’est bien cela qu’on cherche : la première occasion sera la bonne pour le faire mourir ; la Passion se profile déjà à l’horizon, nous sommes dans les tout derniers moments à Jérusalem. Dans sa réponse, Jésus montre bien qu’il a compris : « Hypocrites ! Pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? » Il n’est pas dupe du piège qu’on lui tend…
Pourtant il est interdit de penser qu’il pourrait chercher à embarrasser ses interlocuteurs ; Jésus n’a jamais cherché à mettre quiconque dans l’embarras ou à tendre un piège à quelqu’un ; ce serait indigne du Dieu dont la lumière éclaire les bons et les méchants.
Jésus ne répond donc pas au piège par un autre piège. Il traite la question comme une question et il y répond vraiment. Sa réponse tient en trois points : « Rendez à César ce qui est à César » … « Ne rendez à César que ce qui est à César » … « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».

« Rendez à César ce qui est à César »
Premièrement, « Rendez à César ce qui est à César », y compris en payant l’impôt. C’est tout simplement reconnaître que César est actuellement le détenteur du pouvoir, ce qui est la pure vérité. Rien à voir avec de la servile collaboration ; au contraire, c’est accepter une situation de fait ; dans la perspective de l’Ancien Testament on considère que tout pouvoir vient de Dieu ; Jésus lui-même, au cours de sa Passion, dira à Pilate : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir, s’il ne t’avait été donné d’en-haut » (Jean 19, 11). D’autre part, et Isaïe nous l’a rappelé dans notre première lecture de ce dimanche, en parlant du roi Cyrus, Dieu peut faire tourner toute royauté humaine au bien de son peuple… or nos pharisiens connaissent mieux que nous le texte d’Isaïe sur Cyrus ; ils savent donc très bien que tout pouvoir, même païen, est dans la main de Dieu. Notons quand même en passant que le César du moment s’appelait en réalité « Tibère ». (Le nom « César » était devenu un titre).

« Ne rendez à César que ce qui est à César »
Deuxièmement, « Ne rendez à César que ce qui est à César » : quand César (c’est-à-dire l’empereur romain) exige l’impôt, il est dans son droit, mais quand il exige d’être appelé Seigneur, quand il exige qu’on lui rende un culte, il vous expose à l’idolâtrie ; et là, il ne faut pas transiger. A l’époque où Matthieu écrit son Évangile, cette hypothèse était une réalité. De nombreux martyrs ont payé de leur vie ce refus de rendre un culte à l’empereur romain.

« Rendez à Dieu ce qui est à Dieu »
Troisièmement, « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ». La vraie question est là : Êtes-vous sûrs de rendre à Dieu ce qui est à Dieu ? En l’occurrence, il s’agit de reconnaître en Jésus celui qui vient de Dieu, celui qui « est à Dieu ».
Sans vouloir tirer de ce texte une théorie du pouvoir politique que, manifestement, Jésus n’a pas voulu y mettre, parce qu’il ne s’est pas placé sur ce terrain-là, on peut retenir de cet évangile une fois de plus une étonnante leçon de liberté. César n’est que César ; les rois de la terre ne sont en réalité que des roitelets. Leur royauté est passagère et le royaume de Dieu est d’un tout autre ordre : c’est au sein même des royaumes de la terre que toute œuvre d’amour et de fraternité fait grandir le seul vrai royaume, le Royaume de Dieu.
—————————————-
Note
1 Question-piège, oui, mais tous les compliments que ses adversaires viennent de lui adresser pour se moquer sont profondément vrais : « Maître, tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne, tu ne fais pas de différence entre les gens ». Très certainement, l’évangéliste rapporte avec bonheur ces compliments qu’il estime bien mérités.

 

Ce que je conteste ici, c’est une partie de l’interprétation faite par Marie-Noëlle Thabut de “Rendez à César ce qui est à César”. Je ne suis pas d’accord avec elle lorsqu’elle écrit : “Premièrement, « Rendez à César ce qui est à César », y compris en payant l’impôt. “ Contrairement à elle, je crois que le Christ ne répond pas à la question qui lui est posée, mais à une autre question. Au lieu de se placer du point de vue du contribuable, il se place du point de vue de César et invite celui-ci à rendre l’argent des impôts, qui est de l’argent volé, c’est à dire de l’argent pris par force ou sous la menace de la force armée. L’argent des impôts n’appartient pas à César (Tibère), mais à chaque contribuable. D’ailleurs,
- Marie-Noëlle Thabut, dans son commentaire de la première lecture (Isaïe 45, 1;4-6), écrit à propos de Cyrus et des populations vaincues : “…à chaque fois, il les renvoie dans leur pays, leur rend les biens volés par les conquérants précédents…”.  N’est-ce pas parce qu’elle considère que l’argent pris aux populations vaincues (ce qui est le cas du tribut réclamé par César) est du vol ?
- S’il était clair que Jésus invite à payer l’impôt à César, cela signifierait qu’il est tombé dans le piège tendu par les questionneurs. Je cite Marie-Noëlle Thabut : ou bien il conseille de payer l’impôt et on pourra le discréditer aux yeux du peuple comme collaborateur, ce qui va bien dans le sens de ses mauvaises fréquentations… mais pire, il perd toute chance d’être reconnu comme le Messie ; car le Messie attendu doit être un roi indépendant et souverain sur le trône de Jérusalem, ce qui passe forcément par une révolte contre l’occupant romain. Et puisqu’il a prétendu être le Messie, aux yeux du peuple et des autorités religieuses, il méritera la mort, ce n’est qu’un imposteur et un blasphémateur.” Au lieu de cela, “À ces mots, ils furent tout étonnés. Ils le laissèrent donc et s’en allèrent” (Mt 22,22).
- d’après saint Luc, lorsque Pilate interroge la foule pour obtenir un motif de condamnation, il lui est répondu “… il empêche de payer le tribut à César…” (Lc 23,2) !

Je suis donc plutôt d’accord avec ce qu’écrivait Louis Even le 15 décembre 1960.

Un des sens de “Rendez à Dieu ce qui est à Dieu”, en plus de ce qu’indique Marie-Noëlle Thabut, est, à mon avis, le rappel que tout ce que nous disons nous appartenir appartient en réalité à Dieu, qui nous en a confié la gestion.
Ce matin, 19 octobre 2014, j'ai entendu du Père Alain Le Saux, dans ma paroisse, un commentaire qui m'a fort intéressé. Pour lui, "Rendez à Dieu ce qui est à Dieu" nous renvoie à la Génèse ("Dieu créa l'homme à son image"). Ce serait une invitation que nous adresse Jésus à rendre à Dieu son image, la vraie, pas la fausse que nous présentons de Lui.

Dernier point : pourquoi Jésus demande-t-il à voir la monnaie des impôts ? À mon avis, pour deux raisons au moins : amener ses interlocuteurs à montrer qu’ils possèdent et utilisent de la monnaie romaine (ce qui était mal vu des juifs et expliquait la présence de changeurs à l’entrée du Temple) et, surtout, rappeler que César ne doit pas être divinisé, idolâtré (on pouvait faire des images de César, mais pas de Dieu).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 29e dimanche du temps ordinaire (19 octobre 2014)

Partager cet article

Repost0
6 octobre 2014 1 06 /10 /octobre /2014 22:34
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Isaïe 25, 6-9

Ce jour-là,
6 le SEIGNEUR, Dieu de l’univers,
préparera pour tous les peuples, sur sa montagne,
un festin de viandes grasses et de vins capiteux,
un festin de viandes succulentes et de vins décantés.
7 Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples
et le linceul qui couvrait toutes les nations.
8 Il détruira la mort pour toujours.
Le SEIGNEUR essuiera les larmes sur tous les visages,
et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple ;
c’est lui qui l’a promis.
9 Et ce jour-là, on dira :
« Voici notre Dieu,
en lui nous espérions, et il nous a sauvés ;
c’est lui le SEIGNEUR, en lui nous espérions ;
exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »


Un festin
Un festin : c’est l’image que le prophète Isaïe a choisie pour décrire l’aboutissement du projet de Dieu. Ce projet, nous le savons bien, c’est une humanité enfin unie, enfin pacifiée : s’asseoir à la même table, partager le même repas, faire la fête ensemble, c’est bien une image de paix. « Ce jour-là, le SEIGNEUR, Dieu de l’univers, préparera pour tous les peuples sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés ».
Bien sûr, cette évocation est d’ordre poétique, symbolique : Isaïe ne cherche pas à décrire de façon réaliste ce qui se passera concrètement. Il veut nous dire « finies les guerres, les souffrances, les injustices », et il écrit « tous les peuples seront à la fête ». Et si ce chapitre a été écrit, comme on le croit, pendant ou après l’Exil à Babylone, on comprend que le rêve de fête se traduise par des images d’opulence.
On ne sait pas exactement quand ce texte a pu être écrit, mais il est clair que c’est dans une période difficile ! Si le prophète juge utile de proclamer « En ce jour-là, on dira « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, il nous a sauvés », il faut se dire qu’il cherche à remonter le moral de ses compatriotes ! Et il faut traduire : « Allez mes frères, dites-vous que dans quelque temps, vous ne regretterez pas d’avoir fait confiance… et je vais vous dire la fin de l’histoire : nous marchons lentement mais sûrement vers le jour de la paix définitive ; vous allez pouvoir redresser la tête ».

Un festin pour tous les peuples
Je note que les promesses du salut ne sont pas réservées au seul peuple d’Israël : le festin préparé sur la montagne est pour tous les peuples : « Ce jour-là, le SEIGNEUR, Dieu de l’univers, préparera pour tous les peuples sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples. » Cette prise de conscience de l’universalisme du projet de Dieu a été tardive en Israël, mais ici c’est très clair.

C’est lui qui l’a promis
Et la seule vraie bonne raison d’y croire, c’est qu’il s’agit d’une promesse de Dieu : « c’est lui qui l’a promis », dit Isaïe. La voilà la phrase centrale du texte, pour le prophète, celle qui justifie son optimisme à toute épreuve. Le prophète est quelqu’un qui sait, qui a expérimenté l’œuvre incessante de Dieu pour libérer son peuple. On ne peut pas être prophète (ou simplement témoin de la foi) si on n’a pas, d’une manière ou d’une autre, fait l’expérience personnelle ou collective de l’œuvre de Dieu.
Or le peuple d’Israël prend bien soin de ressourcer perpétuellement sa foi dans la mémoire de l’œuvre de Dieu. Et c’est parce qu’il ne l’oublie jamais qu’il peut traverser les heures d’épreuve. Comme Dieu a libéré son peuple des chaînes de l’Egypte, il continue au long des siècles à le libérer ; or les pires chaînes de l’homme, c’est l’incapacité à vivre en paix, à pratiquer la justice, à demeurer dans l’Alliance de Dieu. Si Dieu pousse son œuvre jusqu’au bout (et Isaïe ne doute pas qu’il le fera), viendra le jour où tous les peuples vivront en paix et dans la fidélité à l’Alliance. Car « c’est lui (le SEIGNEUR) qui l’a promis »…

Il détruira la mort pour toujours
Reste une phrase difficile : « Il détruira la mort pour toujours » ; difficile… précisément parce qu’elle semble trop claire ! « Il détruira la mort pour toujours » : quand nous lisons cette phrase aujourd’hui, nous sommes tentés de la lire à la lumière de notre foi chrétienne du vingt-et-unième siècle et donc de prêter au prophète des pensées qui n’étaient pas les siennes. Dieu seul sait, évidemment, ce qu’Isaïe avait dans la tête, mais très certainement ce n’est pas encore ici une affirmation de la Résurrection au sens chrétien du terme ; le peuple d’Israël a peu à peu découvert, dès avant le Christ, la foi en la résurrection de la chair, mais très tardivement, bien après que le livre d’Isaïe a été définitivement mis par écrit.
De quelle mort parle Isaïe ? Parle-t-il de mort physique ou de mort spirituelle ? De mort individuelle ou de mort collective, c’est-à-dire la disparition du peuple d’Israël ?
Pour l’homme de la Bible, la mort biologique individuelle fait partie de l’horizon ; elle est prévue, inéluctable, mais pas triste quand elle intervient normalement au soir d’une longue vie comblée. Pour l’individu, la seule mort que l’on craint c’est la disparition prématurée d’êtres jeunes ou la mort brutale, à la guerre par exemple. Isaïe évoque peut-être cela ici. Cela voudrait dire alors : il n’y aura plus jamais de mort brutale ou de mort prématurée. Le troisième Isaïe dit exactement cela.
Peut-être pense-t-il également à la mort spirituelle, car, parfois dans la Bible, on parle de mort et de vie dans un sens qui n’est pas biologique : pour le croyant de cette époque-là, vivre pleinement, c’est vivre sur la terre en Alliance avec Dieu (aujourd’hui on dirait en communion avec Dieu). Et ce qui est appelé mort, c’est la rupture d’Alliance avec Dieu. Et donc, ce qu’Isaïe entrevoit, c’est le Jour où on vivra en paix avec Dieu et avec soi-même ; les forces de mort seront détruites, la haine, l’injustice, la guerre.
Troisième hypothèse, peut-être Isaïe, ici, ne parle-t-il pas d’abord des individus, il parle du peuple dont la déchéance présente ressemble à une mort programmée. Grâce à sa foi dans les promesses de Dieu, Isaïe sait que ce peuple renaîtra.
Depuis la Résurrection du Christ, en tout cas, la mort biologique a changé de visage. Il ne nous est pas interdit de penser : « Isaïe ne croyait pas si bien dire ! »
—————————————-
Compléments à Isaïe 25
- Ce texte fait partie de ce qu’on appelle « L’Apocalypse d’Isaïe » (chap. 24-27). Quatre chapitres qui sont comme une vision de la fin du monde. Par avance, le prophète nous « dévoile » (c’est le sens du mot Apocalypse) les événements de la fin de l’histoire. D’ailleurs le chapitre 25, dont est tiré le passage d’aujourd’hui commence par une action de grâce : « SEIGNEUR, tu es mon Dieu, je t’exalte et je célèbre ton Nom, car tu as réalisé des projets merveilleux, conçus depuis longtemps, constants et immuables (25, 1). Là, le prophète parle au passé, comme si nous étions déjà parvenus à la fin de l’histoire et, comme s’il se retournait en arrière, il dit « Tu as réalisé des projets merveilleux, conçus depuis longtemps, constants et immuables ».
- « Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples » (verset 7) : le voile qui est traduit ici « voile de deuil » pourrait se traduire également le « voile d’ignorance » (celui qui empêche de voir et de comprendre). cf Is 29, 10-12 ; 2 Co 3, 12-18.
- « Sur sa montagne » : l’expression désigne Jérusalem. Puisqu’il n’entrevoit pas encore d’horizon autre que terrestre, on ne s’étonne pas qu’Isaïe situe l’avenir à Jérusalem, puisque c’est le lieu de la Présence de Dieu au milieu de son peuple.


PSAUME – 22 (23)

1 Le SEIGNEUR est mon berger :
je ne manque de rien.
2 Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
3 et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

4 Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.

5 Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

6 Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du SEIGNEUR
pour la durée de mes jours.


Le SEIGNEUR est mon berger
Ce psaume 22/23 (que nous connaissons bien pour avoir chanté « Le SEIGNEUR est mon berger, rien ne saurait me manquer »), ce psaume a un petit air bucolique tout à fait trompeur ! En fait, en quelques lignes, puisque nous venons de l’entendre tout entier, il aborde tous les aspects de notre vie ; contrairement aux apparences, il ne s’agit pas du tout d’une promenade champêtre ; il s’agit de la vie et de la mort ; de la peur des ennemis et de la foi en Dieu plus forte que toutes les menaces. Et il est très suggestif d’entendre ce psaume, en écho à la première lecture de ce vingt-huitième dimanche, première lecture tirée du livre d’Isaïe.
Ce psaume ne parle que de la vie dans l’Alliance avec Dieu, et nous avons vu avec Isaïe que seule cette vie mérite le nom de « Vie » ; toute situation de rupture avec Dieu s’appelle « Mort » quand on est croyant.

J’habiterai la Maison du Seigneur
La Maison du Seigneur, c’est le Temple de Jérusalem. Une seule catégorie de personnes pouvait dire en vérité : « J’habiterai la Maison du Seigneur tous les jours de ma vie », c’étaient les lévites.
Vous connaissez l’institution des lévites ; d’après le livre de la Genèse, Lévi est l’un des douze fils de Jacob, ces douze fils qui ont donné leurs noms aux douze tribus d’Israël ; mais la tribu de Lévi a depuis le début une place à part : au moment du partage de la terre promise entre les tribus, cette tribu n’a pas eu de territoire, pour être entièrement vouée au service du culte. On dit que c’est Dieu lui-même qui est leur héritage.
Les lévites vivaient dispersés dans les villes des autres tribus, vivant des dîmes qui leur étaient versées et ils montaient chaque année à Jérusalem pour y assurer leur service à tour de rôle. A Jérusalem, ils étaient consacrés au service du Temple et le gardaient nuit et jour.

Ce psaume évoque donc la joie qui habite le lévite dont la vie tout entière est consacrée à Dieu : « Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ; j’habiterai la maison du SEIGNEUR pour la durée de mes jours ». Mais, en réalité, si on parle du lévite, c’est pour mieux exprimer l’expérience du peuple tout entier.

Le peuple d’Israël comme un lévite
Comme le lévite a un sort particulier au sein du peuple d’Israël, de la même manière, Israël a un sort particulier au milieu des nations. C’est le mystère du choix de Dieu qui a élu ce peuple précis, sans autre raison apparente que sa souveraine liberté : chaque génération s’émerveille à son tour de ce choix, de cette Alliance proposée. Vous connaissez cette phrase du Deutéronome : « Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur terre, interroge d’un bout à l’autre du monde ; est-il rien arrivé d’aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ?… A toi, il t’a été donné de voir… » (Dt 4, 32).
A ce peuple choisi librement par Dieu, il a été donné d’entrer le premier dans l’intimité de Dieu, bien sûr pas pour en jouir égoïstement, mais pour ouvrir la porte aux autres. En définitive, comme Isaïe nous l’a rappelé, c’est l’humanité tout entière qui entrera dans l’intimité de Dieu. Nous le lisons dans la première lecture de ce dimanche : le festin sur la montagne de Dieu est préparé pour tous les peuples.
Ce festin dont parle Isaïe, on en avait déjà un avant-goût dans les repas de communion qui suivaient les sacrifices d’action de grâce au temple de Jérusalem : ce repas prenait les allures d’une joyeuse festivité entre amis avec une « coupe débordante » dans l’odeur des « parfums » (v. 5) : « Tu prépares la table pour moi… Tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante ».

Le peuple d’Israël comme une brebis
Il reste que, pour l’instant, historiquement, quand on chante ce psaume au Temple de Jérusalem, ce n’est encore qu’un avant-goût du bonheur promis pour la fin des temps. Il faut encore affronter bien des épreuves. Au sein de ces épreuves, il n’y a pas d’autre refuge que la confiance. Alors, on recourt à une autre image : Israël est comparé à une brebis : son berger c’est Dieu ; on retrouve là un thème habituel dans la Bible : dans le langage de cour du Proche-Orient, les rois étaient couramment appelés les bergers du peuple ; le prophète Ezéchiel a repris cette image : il parlait des « bergers » d’Israël, et tout le monde comprenait qu’il s’agissait des rois.
Or, depuis les rois Saül et David, le peuple a eu de multiples bergers dont bien peu ont été de bons bergers selon les vues de Dieu. Lui seul mérite vraiment le nom de berger attentif aux besoins véritables de son troupeau. « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles », là où rien ne manque.

Au milieu des difficultés du monde
Même quand il « traverse les ravins de la mort », comme dit le psaume, le peuple d’Israël sait que le Seigneur, comme un berger, le « mène vers des eaux tranquilles et le fait revivre ». Car il y a bien d’autres dangers sur le long chemin de l’histoire, ce sont les multiples ennemis… mais quoi qu’il arrive, il ne craint rien. Dieu est avec lui : « Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure… tu prépares la table pour moi devant mes ennemis » (v. 5).
Cette tranquille assurance du croyant s’appuie sur toute son expérience de la sollicitude de Dieu pour son peuple depuis tant de siècles. Les jours de découragement, il répète les paroles d’Isaïe : « Ce jour-là (sous-entendu à la fin des temps) on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés » (Is 25, 9).
————————————

Note sur Psaume 22/23
- Les lévites : Un des modèles de vie en communion avec Dieu, dans l’Ancien Testament, c’était le lévite. On disait que c’est Dieu lui-même qui est leur héritage : image que nous connaissons bien car elle a été reprise dans un autre psaume : « Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ! » (Ps 15/16).
Nous connaissons mieux, peut-être, le psaume 15/16 sous la forme qu’il a prise dans un negro spiritual : « Tu es, Seigneur, le lot de mon coeur, tu es mon héritage : en toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, toi mon seul partage ».


DEUXIÈME LECTURE – Lettre de Paul aux Philippiens 4, 12-14. 19-20

Frères,
12 je sais vivre de peu,
je sais aussi avoir tout ce qu’il me faut.
Etre rassasié et avoir faim,
avoir tout ce qu’il me faut et manquer de tout,
j’ai appris cela de toutes les façons.
13 Je peux tout supporter
avec celui qui me donne la force.
14 Cependant, vous avez bien fait de m’aider tous ensemble
quand j’étais dans la gêne.
19 Et mon Dieu subviendra magnifiquement à tous vos besoins
selon sa richesse
dans le Christ Jésus.
20 Gloire à Dieu notre Père
pour les siècles des siècles. Amen.


C’est depuis sa prison, probablement à Ephèse, vers l’an 50, que Paul écrit aux Chrétiens de Philippes ; ils viennent de lui envoyer une aide financière par l’intermédiaire d’un certain Épaphrodite ; et Paul les en remercie ; cela nous vaut une superbe réflexion sur l’usage des biens de ce monde : « Je sais vivre de peu, je sais aussi avoir tout ce qu’il me faut. Etre rassasié et avoir faim, avoir tout ce qu’il me faut et manquer de tout… » Et Paul parle d’expérience puisqu’il ajoute : « J’ai appris cela de toutes les façons ». Et il fait même ici allusion à un vrai problème d’argent « Vous avez bien fait de m’aider tous ensemble quand j’étais dans la gêne ».
Il y a là une leçon de liberté par rapport aux biens matériels. Ce n’est pas de la philosophie, ce n’est pas du stoïcisme, puisqu’il ajoute « Je peux tout supporter avec celui qui me donne la force (sous-entendu le Christ) ».
En même temps, Paul n’a ni fausse honte pour accepter une aide bienvenue, ni fausse pudeur pour parler d’argent. La vraie liberté par rapport à l’argent ne consiste pas à faire semblant de ne pas en avoir besoin ou envie ; il serait indécent vis-à-vis de tous les pauvres de la terre d’afficher de l’indifférence pour les biens matériels, quand on a la chance de ne pas en manquer.
Si on regarde bien, la Bible propose tout un enseignement sur l’usage des richesses. On peut retenir trois points principaux : Premièrement, les richesses sont une chance, elles méritent bien leur nom de « richesses ». Deuxièmement, elles peuvent aussi devenir un risque, une « pauvreté ». Troisièmement, contrairement aux apparences, nous ne sommes pas propriétaires de nos richesses, nous en sommes intendants.

Les richesses sont une chance
Premièrement, les richesses sont une chance, elles méritent bien leur nom de « richesses ». Aucun auteur biblique n’a jamais dit que les richesses étaient mauvaises en elles-mêmes : bien au contraire puisque la prospérité est reconnue comme un don de Dieu. Comme le dit Qohélet (l’Ecclésiaste) : « Tout homme à qui Dieu donne richesse et ressources et à qui il a laissé la faculté d’en manger, d’en prendre sa part et de jouir de son travail, c’est là un don de Dieu » (Qo 5, 18).

Les richesses sont aussi un risque
Deuxièmement, elles peuvent aussi devenir un risque, une « pauvreté »… et cela de deux manières : d’abord la richesse amassée pour elle-même devient un esclavage. « Nul ne peut avoir deux maîtres », on le sait bien. Et si la Bible fustige ceux qui accumulent des biens matériels, c’est d’abord parce qu’ils y perdent leur liberté. Par exemple, le livre du Deutéronome dit du roi : « Il ne devra pas posséder un grand nombre de chevaux… il ne devra pas non plus avoir un grand nombre de femmes et dévoyer son cœur. Quant à l’argent et à l’or, il ne devra pas en avoir trop. » (Dt 17, 16-17). C’est Salomon qui est visé, lui, dont le livre des Rois racontait « Le roi Salomon fit qu’à Jérusalem l’argent était aussi abondant que les pierres et les cèdres aussi nombreux que les sycomores du Bas Pays » (1 Rois 10, 27). On trouve chez tous les prophètes une croisade contre l’accumulation des richesses quand elles deviennent un but en elles-mêmes.
D’autre part, la richesse accumulée par les uns engendre la pauvreté des autres et cela on le sait bien. Il suffit de lire les diatribes du prophète Amos par exemple : « Ecoutez ceci, vous qui vous acharnez sur le pauvre pour anéantir les humbles du pays… » (Am 8, 5) ou celles d’Isaïe « Malheur ! Ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu’à prendre toute la place et à demeurer seuls au milieu du pays » (Is 5, 8).

Nous sommes seulement intendants de nos richesses
Enfin, troisièmement, contrairement aux apparences, nous ne sommes pas propriétaires de nos richesses, nous en sommes intendants pour nous-mêmes et pour les autres. C’est le sens du geste d’offrande que nous faisons à chaque célébration de l’Eucharistie : nous apportons le pain et le vin qui symbolisent toutes les richesses de la terre et tout le travail humain : nous ne les donnons pas à Dieu… au contraire, nous reconnaissons qu’ils lui appartiennent déjà et qu’il nous les a confiés pour le bonheur de tous les hommes : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes… » Peu à peu, ce geste répété nous fait entrevoir le mystère du plan de Dieu : ces biens reconnus comme ne nous appartenant pas, nous pourrons les partager et c’est ainsi que pourra s’instaurer le royaume de justice.
Dans la Lettre à Timothée, Paul fait en quelque sorte la synthèse de tout cet enseignement biblique : « Aux riches de ce monde-ci, ordonne de ne pas mettre leur espoir dans une richesse incertaine, mais en Dieu, lui qui nous dispense tous les biens en abondance, pour que nous en jouissions. Qu’ils fassent le bien, s’enrichissent de belles œuvres, donnent avec largesse, partagent avec les autres. Ainsi amasseront-ils pour eux-mêmes un beau et solide trésor pour l’avenir afin d’obtenir la vie véritable » (1 Tm 6, 17).
Au fond, il nous est simplement demandé d’être des serviteurs fidèles et avisés, comme dit Saint Matthieu : « Quel est donc le serviteur fidèle et avisé que le maître a établi sur les gens de sa maison pour leur donner la nourriture en temps voulu ? Heureux ce serviteur que ce maître trouvera en train de faire ce travail. En vérité je vous le déclare, il l’établira sur tous ses biens » (Mt 24, 45).
—————————————

Compléments à Phi 4
- On trouve chez tous les prophètes une croisade contre l’accumulation des richesses, par exemple Zacharie : « Tyr s’est construit une forteresse, elle a accumulé de l’argent, épais comme la poussière et de l’or comme la boue des rues, mais voici que le Seigneur s’en emparera, il abattra son rempart dans la mer, et elle-même, le feu la dévorera » (Za 9, 3-4).
- « Ce que vous avez en trop compensera ce qu’ils ont en moins, pour qu’un jour ce qu’ils auront en trop compense ce que vous aurez en moins » : peut-être est-ce cela que Jésus appelle « se faire des amis avec les richesses d’iniquité » ? Vous connaissez sa fameuse phrase : « Faites-vous des amis avec l’argent trompeur pour qu’une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles » (Luc 16, 9).
- Enfin saint Paul lui-même précise bien qu’il nous est demandé de partager, mais non pas de nous ruiner ! Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il écrit : « Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, mais de rétablir l’égalité. En cette occasion, ce que vous avez en trop compensera ce qu’ils ont en moins, pour qu’un jour ce qu’ils auront en trop compense ce que vous aurez en moins : cela fera l’égalité » (2 Co 8, 13-14).


ÉVANGILE – Matthieu 22, 1-14

1 Jésus disait en paraboles :
2 « Le Royaume des cieux est comparable
à un roi qui célébrait les noces de son fils.
3 Il envoya ses serviteurs pour appeler à la noce les invités,
mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
4 Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités :
Voilà : mon repas est prêt,
mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ;
tout est prêt : venez au repas de noce.
5 Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent,
l’un à son champ, l’autre à son commerce :
6 Les autres empoignèrent les serviteurs,
les maltraitèrent et les tuèrent.
7 Le roi se mit en colère,
il envoya ses troupes,
fit périr les meurtriers
et brûla leur ville.
8 Alors il dit à ses serviteurs :
Le repas de noce est prêt,
mais les invités n’en étaient pas dignes.
9 Allez donc aux croisées des chemins :
tous ceux que vous rencontrerez,
invitez-les au repas de noce.
10 Les serviteurs allèrent sur les chemins,
rassemblèrent tous ceux qu’ils rencontrèrent,
les mauvais comme les bons,
et la salle de noce fut remplie de convives.
11 Le roi entra pour voir les convives.
Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce,
12 et lui dit :
Mon ami, comment es-tu entré ici,
sans avoir le vêtement de noce ?
L’autre garda le silence.
13 Alors le roi dit aux serviteurs :
Jetez-le, pieds et poings liés,
dehors dans les ténèbres ;
là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
14 Certes, la multitude des hommes est appelée,
mais les élus sont peu nombreux. »


Voici deux paraboles qui se suivent et ne se ressemblent pas ! Celle de l’invitation au repas de noce et celle du renvoi de l’homme qui ne portait pas la robe de noce. Certains pensent que ces deux paraboles n’étaient pas liées à l’origine : il serait contradictoire d’exiger une tenue de cérémonie de quelqu’un qu’on a ramassé sur la route ; mais si Matthieu les juxtapose volontairement c’est qu’il y a un enseignement à tirer de ce rapprochement. Prenons-les l’une après l’autre.

L’Alliance entre Dieu et l’humanité ressemble à des noces
« Un roi célébrait les noces de son fils »… et ce n’est pas n’importe quel roi, puisque, d’entrée de jeu, nous sommes prévenus, il s’agit du « Royaume des cieux » : cette seule expression nous suggère donc irrésistiblement qu’il s’agit de l’Alliance entre Dieu et l’humanité, Alliance qui s’accomplit en Jésus-Christ ; lui-même dans les évangiles se présente comme l’époux. Et d’ailleurs le mot « noce » revient sept fois dans cette parabole.
Cette symbolique des noces n’est pas très habituelle dans notre langage chrétien aujourd’hui et pourtant c’est dans ces termes-là que les textes tardifs de la Bible parlent du projet de Dieu sur l’humanité. Depuis les dernières prophéties d’Isaïe jusqu’à l’Apocalypse, en passant par le Cantique des Cantiques, et les livres de Sagesse, pour n’en citer que quelques-uns, l’amour de Dieu pour l’humanité est décrit en termes d’amour conjugal. Et c’est bien pour cela que saint Paul dit que le mariage est « la meilleure image de la relation de Dieu avec l’humanité ».

Le peuple juif premier invité
Mais dans l’Ancien Testament, il était clair que cette annonce et l’accomplissement du salut universel de l’humanité passaient par Israël ; le peuple élu était en mission pour toute l’humanité ; c’est dans ce sens qu’on a appris à lire la phrase de Dieu à Abraham « en toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12, 3). Pour reprendre la comparaison de la noce, on dira que les Juifs étaient les premiers invités à la noce ; et le maître comptait sur eux pour élargir ensuite l’invitation et faire entrer derrière eux toute l’humanité.
Mais on sait la suite : la grande majorité des Juifs a refusé de reconnaître en Jésus le Messie. Dans la parabole, ils sont représentés par ces invités qui refusent de venir à la noce et vont jusqu’à maltraiter les serviteurs qui venaient les chercher. Que va-t-il se passer ? Dans la parabole, les serviteurs remplissent la salle de convives invités à la dernière minute. Dans la lettre aux Romains, Paul commente en disant que ce refus d’Israël, non seulement ne va pas faire obstacle à la noce, mais va même favoriser l’entrée de tous les peuples dans la salle du festin. « Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils rencontrèrent, les mauvais comme les bons, et la salle des noces fut remplie de convives ».

La robe de noces
Passons à la deuxième parabole : un homme, invité de la dernière heure, entre sans habit de noce ; il est bien incapable de répondre à la question « Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ? » Alors il est chassé. Cela ne signifie certainement pas qu’il lui fallait satisfaire à une exigence de comportement, que le vêtement de noce pourrait symboliser un mérite quelconque… Dès qu’on parle de « mérite » on dénature la grâce de Dieu, qui, par définition, est gratuite ! Avec Dieu, il n’y a pas de conditions à remplir. La première parabole dit bien que tous ont pu rentrer, les mauvais comme les bons.
Alors, que peut signifier cette deuxième parabole ? Regardons la multitude qui entre dans la salle du festin des noces. Bons ou mauvais, tous ont été invités, tous ont accepté et ont revêtu la robe nuptiale : dans le vocabulaire du Nouveau Testament, on le sait, cette robe nuptiale, c’est celle des baptisés ; nous savons bien que ce que nous appelons aujourd’hui une « robe de baptême » est en réalité une « robe de mariée » ! La deuxième parabole concerne donc les baptisés : ce sont eux qui sont entrés dans la salle des noces. Mais l’habit ne fait pas le moine, on le sait. Ce que Jésus rappelle ici, ce sont les exigences qui découlent de notre Baptême. Comme il le dit lui-même « Il ne suffit pas de dire : Seigneur, Seigneur ! pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 7, 22).
———————————————————————————————————————————–
Complément sur Mt 22
- Les premiers invités ayant décliné l’invitation, ce sont d’autres qui sont entrés : historiquement, c’est ce qui s’est passé : dans les Actes des Apôtres, on voit se répéter plusieurs fois le même scénario : chaque fois qu’il aborde une nouvelle ville, Paul se rend d’abord à la synagogue et commence par annoncer aux Juifs que Jésus est le Messie attendu ; certains le croient et deviennent chrétiens ; mais quand le succès de Paul commence à sortir des limites de la synagogue, et que des païens deviennent chrétiens à leur tour, ceux des Juifs qui ne se sont pas laissé convaincre prennent peur et chassent Paul. C’est exactement ce qui s’est passé à Antioche de Pisidie : « C’est à vous d’abord que devait être adressée la Parole de Dieu ! Puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous nous tournons vers les païens. » (Ac 13, 46).
A Iconium, à Thessalonique, il s’est passé la même chose (Ac 14, 1) ; et c’est parce que les apôtres étaient chassés de ville en ville que l’Évangile s’est répandu de ville en ville. Une des leçons de la première parabole est alors que le refus d’Israël ne fait pas définitivement obstacle au projet de Dieu. De la même manière que les prostituées et les publicains ont pris la place des autorités religieuses du temps de Jésus, de la même manière, quelques années plus tard, au moment où Matthieu écrivait son Évangile, les païens sont entrés en masse dans l’Église grâce au refus des Juifs. D’un mal Dieu fait toujours sortir un bien.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 28e dimanche du temps ordinaire (12 octobre 2014)

Partager cet article

Repost0
29 septembre 2014 1 29 /09 /septembre /2014 21:39
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Isaïe 5 , 1 – 7

1 Je chanterai pour mon ami
le chant du bien-aimé à sa vigne.
Mon ami avait une vigne
sur un coteau plantureux.
2 Il en retourna la terre et en retira les pierres,
pour y mettre un plant de qualité.
Au milieu, il bâtit une tour de garde
et creusa aussi un pressoir.
Il en attendait de beaux raisins,
mais elle en donna de mauvais.
3 Et maintenant, habitants de Jérusalem, hommes de Juda,
soyez donc juges entre moi et ma vigne !
4 Pouvais-je faire pour ma vigne
plus que je n’ai fait ?
J’attendais de beaux raisins,
pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ?
5 Eh bien, je vais vous apprendre
ce que je vais faire de ma vigne :
enlever sa clôture
pour qu’elle soit dévorée par les animaux,
ouvrir une brèche dans son mur
pour qu’elle soit piétinée.
6 J’en ferai une pente désolée ;
elle ne sera ni taillée ni sarclée,
il y poussera des épines et des ronces ;
J’interdirai aux nuages
d’y faire tomber la pluie.
7 La vigne du Seigneur de l’univers,
c’est la maison d’Israël.
Le plant qu’il chérissait,
ce sont les hommes de Juda.
Il en attendait le droit,
et voici l’iniquité ;
il en attendait la justice,
et voici les cris de détresse.


Une chanson de vendanges devenue chant de noces
Cela commence comme une chanson de vendanges : « Je chanterai pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne. Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il en retourna la terre et en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. »
La vigne, en Israël, est chose précieuse ! Et tout le monde sait quels soins patients et attentifs elle requiert de la part du vigneron. Si bien qu’une chanson de vendanges vantant la sollicitude du vigneron était devenue une chanson de noces : on invitait le jeune époux à prodiguer autant de soins à son épouse.

Les noces, image de l’Alliance de Dieu avec son peuple
Le prophète Isaïe, à son tour, reprend la même chanson, mais cette fois pour parler de l’Alliance entre Dieu et Israël. De la chanson de vendanges devenue chant de noces, il a tiré une véritable parabole. Ses auditeurs ne s’y tromperont donc pas, il ne s’agit pas d’une simple chanson de vendanges, ni même de fête de mariage !
D’ailleurs, c’est le prophète lui-même qui déchiffre la parabole. « La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda ». Quant aux fruits, Isaïe est tout aussi clair : le bon raisin attendu, c’est le droit et la justice ; le mauvais raisin, c’est ce qu’il appelle « l’iniquité, et les cris de détresse ».

Les mauvais fruits de cette vigne
Dans la suite de ce chapitre, il précise ses reproches : « Malheur ! Ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu’à prendre toute la place et à demeurer seuls au milieu du pays »… C’est la recherche égoïste de l’argent et de la propriété qui est visée ici. Et cette insouciance des riches pour le malheur des pauvres qui caractérise souvent les périodes prospères : « Levés de bon matin, ils courent après les boissons fortes, et jusque tard dans la soirée, ils s’échauffent avec le vin. La harpe et la lyre, le tambourin et la flûte accompagnent leurs beuveries, mais ils ne regardent pas ce que fait le Seigneur et ne voient pas ce que ses mains accomplissent » (Is 5, 8-12).
Il y a pire encore, c’est la perversion de la justice : « Malheur ! Ils déclarent BIEN le mal et MAL le bien. Ils font de l’obscurité la lumière et de la lumière l’obscurité. Ils font passer pour amer ce qui est doux et pour doux ce qui est amer… Ils justifient le coupable pour un présent (autrement dit, les juges se font acheter) et ils refusent à l’innocent sa justification » (Is 5, 20).
Que fait le vigneron mal récompensé de ses efforts ? Il finit par admettre que la terre est trop mauvaise et il abandonne l’entreprise. Le beau carré bien ordonnancé sera vite redevenu un terrain vague où pousseront des épines et des ronces, comme dit Isaïe.
C’est toujours la même leçon : dès qu’on s’éloigne de la fidélité aux commandements, on fait fausse route et le peuple créé pour que tous ses membres soient heureux et libres, devient le règne de tous les égoïsmes et de tous les vices ; et cela se termine toujours mal. Tout comme un beau carré de vigne laissé à l’abandon devient la proie des bêtes sauvages.

La colère du vigneron
Ce qui est troublant, une fois de plus, dans ce message du prophète c’est qu’Isaïe attribue à Dieu lui-même l’exercice du châtiment : le vigneron de la parabole d’Isaïe ne se contente pas de laisser faire le cours des choses ; c’est lui-même qui enlève la clôture et ouvre une brèche dans le mur pour que la vigne soit piétinée et dévorée par les animaux…
En réalité, comme dimanche dernier, avec le prophète Ezéchiel, nous sommes à une étape de la pédagogie de Dieu. Avec Isaïe, nous sommes même avant Ezéchiel, donc à une époque où l’on dit volontiers que Dieu punit nos mauvaises actions ; à une époque surtout où on n’est pas débarrassé de l’idolâtrie : et donc pour le prophète, il s’agit avant tout d’affirmer qu’il n’existe qu’une puissance au monde ; aucune autre divinité n’est à craindre. Dans tout ce qui nous arrive, c’est vers le Dieu d’Israël qu’il faut se tourner. Lui, le Saint d’Israël, est totalement étranger à toutes les bassesses et les injustices des hommes. Ceux-ci n’ont donc aucune chance de survie s’ils ne changent pas de vie.
Là Isaïe fait la grosse voix, pourrait-on dire, mais n’oublions pas que le même Isaïe, plus tard, quand il faudra remonter le moral des troupes, reprendra son chant de la vigne avec d’autres couplets : « Ce jour-là chantez la vigne délicieuse. Moi, le SEIGNEUR, j’en suis le gardien, à intervalles réguliers je l’arrose. De peur qu’on y fasse irruption, je la garde nuit et jour. Je ne suis plus en colère… » (Is 27, 2-4a).
Notre chance à nous, deux mille cinq cents ans plus tard, c’est de savoir que Dieu n’est jamais en colère !

————————————
Compléments
- A propos de la vigne : entendons-nous bien, quand on pense à la vigne, il ne s’agit pas d’un seul pied, mais d’un carré de vigne : ce qui veut dire déjà un lopin de terre bien à soi. Puisqu’elle exige des soins constants, elle signifie culture, installation ; tout le monde se souvient de Noé, le premier vigneron. La vigne est le premier arbre cultivé, premier signe de civilisation après le déluge : Gn 9, 20-22 ; cela veut dire aussi période de paix, où l’on est assuré de pouvoir travailler sa terre encore le lendemain.
Pendant toute la traversée du désert, évidemment, il ne sera plus question de vigne et c’est l’un des reproches que l’on fait à Moïse, justement, quand on perd le moral : « Pourquoi nous avez-vous fait monter d’Égypte et nous avez-vous amenés en ce triste lieu ? Ce n’est pas un lieu pour les semailles ni pour le figuier, la vigne ou le grenadier ; il n’y a même pas d’eau à boire » (Nb 20, 5).
À l’inverse, lorsque Moïse organisa une première mission de reconnaissance dans la terre de Canaan que Dieu lui avait promise, les explorateurs furent aussitôt impressionnés par la richesse des vignobles ; c’était la saison des premiers raisins. « Ils arrivèrent jusqu’à la vallée d’Eshkol (au Nord d’Hébron) où ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin qu’ils portèrent à deux au moyen d’une perche. Ils y prirent aussi des grenades et des figues ». (Nb 13, 23). Désormais, quand on veut parler d’une période de bonheur et de prospérité, on dit « Juda et Israël habitèrent en paix, chacun sous sa vigne et sous son figuier, pendant toute la vie du roi Salomon » (1 R 5, 5 ). De même, quand on parle du règne de Dieu dans l’avenir, le règne de la paix et de la justice, on dit : « On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. Ils demeureront chacun sous sa vigne et sous son figuier » (Mi 4, 4).
- Isaïe 5, 6 : épines et ronces : « Il adviendra, en ce jour-là, que tout lieu où il y avait mille ceps de vigne, valant mille pièces d’argent, deviendra épines et ronces. On y viendra avec des flèches et un arc, car tout le pays deviendra épines et ronces ». (Isaïe 7, 23-24). On ne peut pas s’empêcher de penser aux épines et aux chardons qui envahissent le sol après la faute d’Adam. (Gn 3, 18).
- En Israël, la métaphore de la vigne va très loin : le pressoir est présenté comme une image du jugement.

PSAUME – 79 (80), 9-10, 13-14, 15-16a, 19-20

9 La vigne que tu as prise à l’Égypte,
tu la replantes en chassant des nations.
10 Tu déblaies le sol devant elle,
tu l’enracines pour qu’elle emplisse le pays.

13 Pourquoi as-tu percé sa clôture ?
Tous les passants y grappillent en chemin ;
14 le sanglier des forêts la ravage
et les bêtes des champs la broutent;

15 Dieu de l’univers, reviens !
Du haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-là,
16 celle qu’a plantée ta main puissante.

19 Jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !
20 Dieu de l’univers, fais-nous revenir ;
que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés !


La vigne de Dieu c’est Israël
Pour qui a entendu le chant de la vigne d’Isaïe, dans la première lecture de ce vingt-septième dimanche, ce psaume en est l’écho parfait. Le thème est le même : Israël est comparé à une vigne dont Dieu est le vigneron. Celui-ci a fait pour sa vigne tout ce qu’un vigneron peut faire ; il l’a soignée, protégée, gardée… hélas, la vigne n’a rien donné : « Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il en retourna la terre et en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais » (Is 5, 1-2).
On connaît la fin de la chanson : le vigneron se met en colère : « Je vais vous apprendre ce que je vais faire de ma vigne : enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie » (Is 5, 5-6).

L’histoire de cette vigne, c’est l’histoire d’Israël
Visiblement la métaphore de la vigne était parfaitement comprise quand on chantait ce psaume au Temple de Jérusalem, car les malheurs d’Israël sont exprimés avec les mêmes images. Par exemple, on dit à Dieu : « Pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des forêts la ravage et les bêtes des champs la broutent ». Traduisez, nous sommes en période d’occupation étrangère ; les bêtes féroces, ce sont les ennemis du moment. Dans un autre verset, on dit encore « La voici détruite, incendiée » et aussi : « Tu fais de nous la cible des voisins : nos ennemis ont vraiment de quoi rire ! »
De quels ennemis s’agit-il précisément ? On ne peut pas le dire. Malheureusement, toutes les guerres et toutes les occupations étrangères, où que ce soit à la surface du globe, apportent avec elles le même cortège d’atrocités et de malheur ; une autre phrase dit encore : « Vas-tu longtemps encore opposer ta colère aux prières de ton peuple, le nourrir du pain de ses larmes, l’abreuver de larmes sans mesure ? » Cela ne suffit pas pour situer les circonstances concrètes qui ont inspiré cette supplication ; il est donc impossible de savoir quand ce psaume a été écrit ; est-ce au moment où la grande puissance assyrienne envahissait toute la région, en commençant par le royaume du Nord ? Cela nous reporterait bien avant l’Exil à Babylone, entre le neuvième et le septième siècles av.J.C. (puisque la capitale du royaume du Nord, Samarie, a été écrasée en 721). Est-ce bien plus tard, après la prise de Jérusalem par Babylone, c’est-à-dire au sixième siècle ? Et il y a encore d’autres hypothèses possibles. De toutes manières, quelles que soient les circonstances concrètes dans lesquelles est né ce psaume, le peuple d’Israël a pu le redire à nouveau à plusieurs reprises. (Et, aujourd’hui, à la surface du globe, nous connaissons plusieurs peuples qui pourraient le réinventer pour leur propre compte).

La composition très soignée de ce psaume
Lorsqu’on lit ce psaume en entier, il se présente comme un cantique composé de quatre couplets et quatre refrains ; les couplets disent l’histoire d’Israël : vigne choisie par Dieu, et prise à l’Egypte ; autrement dit le peuple que Dieu s’est choisi, qu’il a rassemblé, libéré de l’esclavage en Egypte et fait entrer dans la Terre Promise : « La vigne que tu as prise à l’Égypte, tu la replantes en chassant des nations. Tu déblaies le sol devant elle, tu l’enracines pour qu’elle emplisse le pays »… Et maintenant c’est la désolation, le pain des larmes.
Le refrain c’est la phrase : « Dieu de l’univers, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés ». L’expression « fais-nous revenir » est typique des célébrations pénitentielles : le mot « revenir » signifie « se convertir », faire demi-tour. Car on sait bien que si la vigne a donné de mauvais fruits, ce n’est pas de la faute du vigneron ; les prophètes l’avaient assez dit, Isaïe entre autres ! Les bons fruits que Dieu attendait, c’étaient le droit et la justice ; comme le dit Michée dans une phrase superbe : « On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que de respecter le droit, aimer la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu » (Mi 6, 8).
Ils avaient beau être prévenus, les croyants, libérés par le Dieu qui veut l’homme libre, ils ont pourtant écrasé le pauvre et réduit le frère à l’esclavage. Ils n’ont pas cultivé la justice, ils ont cultivé la richesse égoïste.

Dieu de l’univers, reviens !… Fais-nous revenir
Le refrain est donc une demande de pardon. Ce qui est remarquable, c’est que la formule oscille entre « Dieu de l’univers, reviens ! » et « Dieu de l’univers, fais-nous revenir ! » Quand on supplie Dieu de revenir en disant « Dieu, reviens », on sous-entend « reviens nous sauver » : évidemment, on sait bien qu’il ne s’est pas éloigné ; mais c’est un appel au secours ; la deuxième formule « Dieu de l’univers, fais-nous revenir » dit bien que la conversion est à la fois œuvre de Dieu et œuvre de l’homme, c’est le demi-tour de l’homme retourné par l’Esprit de Dieu.
—————————————-
Notes sur le Psaume 79/80
- On peut être heurté dans ce psaume par l’image qu’il nous donne d’un Dieu qui punit : ici, comme dans le texte d’Isaïe, c’est bien le vigneron qui a volontairement livré la vigne aux bêtes sauvages. Mais il faut se rappeler que la découverte de Dieu est progressive au long de l’histoire biblique et que ce psaume reflète l’état de la réflexion théologique à l’époque où il a été écrit : à cette époque-là, on considère que tout vient de Dieu : si on lui attribue le bonheur, il faut bien lui attribuer aussi le malheur ; ce n’est que très tardivement dans l’histoire de l’Ancien Testament que cette conception sera abandonnée.
- Le milieu du livre de Job reflète un état plus tardif de la réflexion d’Israël et l’abandon de la logique de punition (nos malheurs seraient des châtiments) ; mais on n’a pas encore, même à cette étape, abandonné l’idée que Dieu commande tous nos bonheurs et tous nos malheurs. C’est ce qui est affirmé dans le Prologue mais que la suite du livre ne dément pas : « Le SEIGNEUR a donné, le SEIGNEUR a ôté ; que le nom du SEIGNEUR soit béni ! (Job 1, 21)… Nous acceptons le bonheur comme un don de Dieu. Et le malheur, pourquoi ne l’accepterions-nous pas aussi ? » (Job 2, 10).
- Il a fallu encore bien des siècles pour découvrir que Dieu respecte tellement la liberté humaine qu’il ne tire pas toutes les ficelles de l’histoire !


DEUXIÈME LECTURE – Philippiens 4 , 6 – 9

Frères,
6 ne soyez inquiets de rien,
mais, en toute circonstance,
dans l’action de grâce priez et suppliez
pour faire connaître à Dieu vos demandes.
7 Et la paix de Dieu,
qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer,
gardera votre coeur et votre intelligence dans le Christ Jésus.
8 Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble,
tout ce qui est juste et pur,
tout ce qui est digne d’être aimé et honoré
tout ce qui s’appelle vertu
et qui mérite des éloges,
tout cela, prenez-le à votre compte.
9 Ce que vous avez appris et reçu,
ce que vous avez vu et entendu de moi,
mettez-le en pratique.
Et le Dieu de la paix sera avec vous.


Parce que le Seigneur est proche
« Ne soyez inquiets de rien », dit Paul et nous avons envie de lui répondre que ce n’est pas toujours facile ! Mais il faut relire le verset précédent : « Le Seigneur est proche ». Voilà pour Paul la meilleure, et même la seule raison de rester sereins, quoi qu’il arrive. Derrière cette petite phrase (« Le Seigneur est proche »), il me semble qu’on peut entendre deux choses.
Le Seigneur du buisson ardent
Premièrement, le Seigneur est proche de nous, cela on le sait depuis bien longtemps en Israël, depuis l’épisode du buisson ardent : Dieu est proche de nous parce qu’il nous aime.

Le Royaume de Dieu est déjà inauguré
Deuxièmement, le Seigneur est proche parce que les temps sont accomplis, parce que le Royaume de Dieu est déjà inauguré et que nous sommes dans les derniers temps ; on connaît cette autre phrase de Paul, empruntée au vocabulaire nautique : « Le temps a cargué ses voiles » : comme un bateau près d’entrer au port replie ses voiles (c’est le sens du mot « carguer »), de la même façon, l’histoire humaine est tout près du port.
Etre croyant c’est être tendu vers cet accomplissement de l’histoire ; non seulement le Royaume s’est approché de nous en Jésus-Christ, (parce que le Royaume c’est Jésus-Christ présent en tous) mais mieux encore, il nous attire comme un aimant.
Le reste du texte en découle : puisque le Seigneur est proche, nous ne sommes inquiétés par rien ; on croit entendre ici l’écho de cette superbe leçon sur la prière chez saint Matthieu : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ?… Ne vous inquiétez pas en disant : Qu’allons-nous manger ?
Qu’allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ? Tout cela les païens le recherchent sans répit -, il sait bien, votre Père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas pour le lendemain : le lendemain s’inquiètera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 25-34 ).

« Ne soyez inquiets de rien »
Ce n’est pas de l’insouciance, c’est de la confiance, de la sérénité. « Ne soyez inquiets de rien »… puisque tout est déjà donné, il n’y a qu’à puiser : nous n’avons qu’à nous laisser emporter dans le torrent de la grâce. Prier, au fond, c’est se plonger dans le don de Dieu.
Alors nous comprenons pourquoi, dans la prière, supplication et action de grâce sont toujours liées ; c’est une caractéristique de la prière juive qui dit toujours en même temps « Tu es béni, Seigneur, toi qui nous donnes… s’il te plaît, donne-nous ». C’est logique d’ailleurs : si l’on prie Dieu c’est parce qu’on sait qu’il peut et qu’il veut notre bonheur… et qu’il y travaille sans cesse. Lui demander quelque chose, c’est, implicitement au moins, lui rendre grâce. C’est très exactement ce que dit Paul : « Frères, ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, dans l’action de grâce, priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes ».
Mais, comme disait Jésus, « il ne suffit pas de dire Seigneur, Seigneur, il faut encore faire la volonté du Père ». Paul fait la même recommandation : « tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur… mettez-le en pratique ». Il attache certainement une grande importance à cette pratique d’une vie droite puisqu’il la met exactement en parallèle avec la prière. Il commence par parler de la prière et il conclut « la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer, gardera votre coeur et votre intelligence dans le Christ Jésus. » Puis il parle du comportement des Chrétiens pour terminer par la phrase « le Dieu de la paix sera avec vous ». Il me semble que ce parallélisme, certainement voulu, signifie qu’aux yeux de Paul, prière rime avec vie communautaire. En cela, d’ailleurs, il ne fait que reprendre la prédication des prophètes de l’Ancien Testament.

Prière rime avec vie communautaire
Pour revenir au Nouveau Testament, vous connaissez la phrase de Jésus dans l’évangile de Marc : « Quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez… » (Mc 11, 25) ; et saint Pierre fait les mêmes rapprochements : « La fin de toutes choses est proche. Montrez donc de la sagesse et soyez sobres afin de pouvoir prier. Ayez avant tout un amour constant les uns pour les autres » (1 Pi 4, 7-8).
A en croire Paul, la paix est donc au bout de ce chemin où vie de prière et valeurs communautaires marchent de pair : « Ne soyez inquiets de rien… dans l’action de grâce, priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes… et la paix de Dieu gardera votre coeur et votre intelligence »… « tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur… mettez-le en pratique et le Dieu de la paix sera avec vous ».
Si nous prenons au sérieux cette insistance des Écritures sur le lien nécessaire entre la prière et l’amour fraternel, il y a là sans aucun doute une leçon pour nous : non seulement nos inquiétudes nous font oublier que Dieu nous aime, mais elles nous ferment le coeur… Si nous nous préoccupions moins de notre pain du lendemain, il y aurait du pain aujourd’hui pour beaucoup d’autres.


ÉVANGILE – Matthieu 21, 33 – 43

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux pharisiens :
33 « Ecoutez cette parabole :
Un homme était propriétaire d’un domaine ;
il planta une vigne,
l’entoura d’une clôture,
y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde.
Puis il la donna en fermage à des vignerons,
et partit en voyage.
34 Quand arriva le moment de la vendange
il envoya ses serviteurs auprès des vignerons
pour se faire remettre le produit de la vigne.
35 Mais les vignerons se saisirent des serviteurs,
frappèrent l’un,
tuèrent l’autre,
lapidèrent le troisième.
36 De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs
plus nombreux que les premiers ;
mais ils furent traités de la même façon.
37 Finalement, il leur envoya son fils,
en se disant :
Ils respecteront mon fils.
38 Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux :
Voici l’héritier :
allons-y ! tuons-le,
nous aurons l’héritage !
39 Ils se saisirent de lui,
le jetèrent hors de la vigne
et le tuèrent.
40 Eh bien, quand le maître de la vigne viendra,
que fera-t-il à ces vignerons ? »
41 On lui répond :
« Ces misérables, il les fera périr misérablement.
Il donnera la vigne en fermage à d’autres vignerons,
qui en remettront le produit en temps voulu ».
42 Jésus leur dit :
« N’avez-vous jamais lu dans les Écritures :
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre angulaire.
C’est là l’œuvre du Seigneur,
une merveille sous nos yeux !
43 Aussi, je vous le dis :
Le Royaume de Dieu vous sera enlevé
pour être donné à un peuple
qui lui fera produire son fruit. »


La parabole de la vigne
On reconnaît tout de suite dans cette parabole de Jésus les emprunts qu’il fait au chant de la vigne du prophète Isaïe : « Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde ». Le propriétaire entoure sa vigne des mêmes soins que le vigneron d’Isaïe ; mais les similitudes s’arrêtent là. Dans l’évangile, la parabole prend un tour nouveau et propose donc une leçon nouvelle.1
Chez Isaïe, le propriétaire est en même temps le vigneron ; la vigne représente le peuple d’Israël, une vigne entourée de soins, mais décevante et qui ne donnait que des mauvais fruits.
Dans la parabole de Jésus, le propriétaire n’est pas le vigneron, il n’exploite pas directement sa vigne, il la confie à d’autres vignerons ; écoutons saint Matthieu : « Il la donna en fermage à des vignerons et partit en voyage ».

Qui est la vigne ? Et qui sont les vignerons ?
Quant à savoir qui est la vigne, et qui sont les vignerons, ce n’est pas clair. De deux choses l’une : première hypothèse, la vigne représente Israël, comme chez Isaïe, et les vignerons sont les chefs des prêtres et les pharisiens. Ils avaient la charge de la vigne, le peuple d’Israël, et ils l’ont mal guidé puisqu’ils ont maltraité tous les prophètes et, en définitive, ils sont en train de rejeter le Fils Bien-Aimé du Père.
Deuxième hypothèse, la vigne représente le Royaume de Dieu et les vignerons, c’est le peuple d’Israël tout entier, qui en avait reçu la charge. C’est cette deuxième hypothèse qui est probablement la bonne,1 puisque Jésus termine en disant : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit ».

Le Royaume de Dieu vous sera enlevé
La dernière phrase de Jésus est terrible : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit ». Faut-il en conclure que le peuple d’Israël serait rejeté ? Grave question qui a empoisonné le dialogue entre Juifs et Chrétiens depuis vingt siècles  et à laquelle s’affrontait déjà douloureusement saint Paul, le Juif, dans la lettre aux Romains. Sa conclusion était que, de manière mystérieuse, mais de manière certaine, Israël reste le peuple élu au service du monde parce que « Dieu ne peut pas se renier lui-même ».
D’autre part, il ne faut pas oublier qu’une parabole n’est jamais un verdict, mais un appel à la conversion ; il est vrai que d’une parabole à l’autre, dans cette dernière étape de la vie de Jésus, le ton monte, mais c’est parce que l’urgence de la reconnaissance du Messie se fait pressante. Nous sommes à la veille de la Passion. Il ne faut jamais perdre de vue que le souhait constant de Jésus est de sauver les hommes, non de les condamner ; et que, s’il guérit les aveugles de naissance, il désire plus encore guérir ses compatriotes de leur aveuglement. On a donc là une ultime tentative de Jésus pour alerter les pharisiens ; ses paroles sont sévères, mais elles ne constituent pas un jugement définitif.
Il ne s’agit en aucun cas d’un jugement sans appel du peuple juif dans son ensemble ni même de ses chefs ; ce serait contraire à tout l’évangile. D’ailleurs l’annonce la plus importante ce n’est pas que le Royaume leur soit enlevé : ce qui compte c’est que, malgré les obstacles dressés par les hommes, le Royaume produise son fruit. Ce n’est pas le vigneron qui compte, c’est le raisin.

La pierre rejetée par les bâtisseurs
Mais surtout c’est le commentaire de Jésus qui nous donne la clé de la parabole : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire. C’est là l’œuvre du SEIGNEUR, une merveille sous nos yeux ! » Dieu est un habitué de ces renversements de situation. Déjà, au livre de la Genèse, les fils de Jacob avaient dit à propos de leur frère Joseph « voilà le Bien-Aimé, tuons-le »… ils n’imaginaient pas que celui qu’ils voulaient supprimer était celui qui allait les sauver, eux et tout le peuple (Gn 37, 20). D’une certaine manière, Jésus annonce ici sa Résurrection : lui, la pierre rejetée deviendra la clé de voûte de l’édifice ; traduisez le nouveau peuple, ce seront tous ceux qui se rassembleront autour de lui, quelle que soit leur origine. Et nul n’en est exclu : tous les vignerons sont englobés dans la phrase de Jésus sur la croix « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
———————————————————————————————————————————
Note
1 – Cela veut dire que Jésus a bien repris le thème de la parabole de la vigne chez Isaïe, mais en a modifié le symbolisme, ce qui est une manière très habituelle chez les auteurs bibliques. Il suffit de voir comment les métaphores bibliques (comme celle de la pierre angulaire, par exemple) évoluent d’un auteur à l’autre.

Compléments
- Le jugement que Jérémie portait déjà sur le peuple d’Israël peut nous éclairer : « Quand j’ai fait sortir vos pères du pays d’Égypte… je ne leur ai demandé que ceci : « Écoutez ma voix, et je deviendrai Dieu pour vous, et vous, vous deviendrez un peuple pour moi, suivez bien la route que je vous trace et vous serez heureux. Mais ils n’ont pas écouté ; mais ils n’ont pas tendu l’oreille, ils ont agi à leur guise dans leur entêtement exécrable, ils m’ont tourné le dos, au lieu de tourner vers moi leur visage… Depuis que leurs pères sortirent du pays d’Égypte jusqu’à ce jour, je n’ai cessé de leur envoyer tous mes serviteurs les prophètes, chaque jour, inlassablement. Mais ils ne m’ont pas écouté ; mais ils n’ont pas tendu l’oreille : ils ont raidi leur nuque, ils ont été plus méchants que leurs pères » (Jr 7, 22-28).
- Ensuite, Matthieu écrit son Évangile à la fin du premier siècle, à une époque où le refus des Juifs de reconnaître le Messie a favorisé l’entrée des païens dans l’Église ; il n’est donc pas étonnant de trouver dans des textes de cette période une pointe polémique contre ceux qui ont poussé le peuple juif à refuser le Christ.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 27e dimanche du temps ordinaire (5 octobre 2014)

Partager cet article

Repost0
23 septembre 2014 2 23 /09 /septembre /2014 05:57
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Ézéchiel 18, 25 – 28

Parole du SEIGNEUR tout-puissant
Je ne désire pas la mort du méchant,
25 et pourtant vous dites :
« La conduite du SEIGNEUR est étrange. »
Écoutez donc, fils d’Israël :
est-ce ma conduite qui est étrange ?
N’est-ce pas plutôt la vôtre ?
26 Si le juste se détourne de sa justice,
se pervertit, et meurt dans cet état,
c’est à cause de sa perversité qu’il mourra.
27 Mais si le méchant se détourne de sa méchanceté
pour pratiquer le droit et la justice,
il sauvera sa vie.
28 Parce qu’il a ouvert les yeux,
parce qu’il s’est détourné de ses fautes,
il ne mourra pas, il vivra.


Pour comprendre cette prédication d’Ézéchiel, il faut se rappeler le contexte : Ézéchiel fait partie des habitants de Jérusalem déportés à Babylone par les armées de Nabuchodonosor, en 597 av.J.C.. C’est la catastrophe : on a vécu toutes les atrocités d’une guerre, et maintenant, à Babylone, loin du pays, la fameuse Terre Promise, qui devait ruisseler de lait et de miel, disait-on… loin de Jérusalem détruite, loin du Temple saccagé, la population décimée, on a tout perdu.

La tentation est grande de se révolter contre Dieu ; les exilés se plaignent et disent « La conduite du SEIGNEUR est étrange », ce qui signifie en clair : « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu pour mériter une telle punition ? »
Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?

Car, à l’époque, on est convaincu qu’il y a un lien entre notre comportement bon ou mauvais et les événements de notre vie, heureux ou malheureux. Les bons sont toujours récompensés, les méchants sont toujours punis. Donc, s’il nous arrive un malheur, c’est parce que nous avons commis une faute.

Or cette génération dans la tourmente n’est pas pire que les précédentes. Et elle a quand même bien l’impression qu’elle paie tout le poids du passé, les fautes accumulées des générations précédentes, comme si le vase de la colère de Dieu avait tout d’un coup débordé. Et on se met à répandre le dicton : « Les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils en ont été agacées » (Ez 18, 2). Traduisez : notre génération paie pour toutes celles qui l’ont précédée.

Voilà dans quel contexte Ézéchiel prend la parole. Et il nous offre ici toute une méditation sur la justice de Dieu.

Qu’est-ce que la justice de Dieu ?

Cette question de la justice de Dieu a habité la réflexion du peuple d’Israël tout au long de son histoire. Et la réponse a varié au cours du temps. La prédication d’Ézéchiel que nous lisons aujourd’hui se situe donc à un moment précis de ce long cheminement. Et elle va constituer une étape importante dans ce déroulement.

Comme tous ses contemporains, Ézéchiel raisonne dans une logique de récompense / punition, ce que l’on appelle « la logique de rétribution ». Et sur ce point précis, il n’apporte rien de neuf. Toute faute reçoit un châtiment : telle est, croit-on, la justice de Dieu.

En revanche, il apporte du nouveau au sujet de ce fameux dicton sur les raisins verts. « Les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils en ont été agacées » (Ez 18, 2). C’est-à-dire que notre génération paie pour toutes celles qui l’ont précédée.

Personne n’est jamais puni pour la faute d’un autre.

La nouveauté apportée par Ézéchiel consiste à dire : le dicton sur les raisins verts est faux. On ne paie pas les fautes de ceux qui nous ont précédés. Au contraire, chacun est rétribué pour sa propre conduite. Quelques lignes avant le texte d’aujourd’hui, Dieu a fait dire par son prophète : « Par ma vie, dit Dieu, vous ne répèterez plus ce dicton en Israël ». Et Ézéchiel développe tout un raisonnement pour bien préciser que la justice est individuelle et non pas collective.

« Si le méchant se détourne de sa méchanceté, s’il se met à pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu’il a ouvert les yeux, parce qu’il s’est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra ». Donc personne n’est jamais puni pour la faute d’un autre.

Une étape mais seulement une étape.

C’est évidemment une étape très importante dans la découverte de la justice de Dieu, mais ce n’est qu’une étape. Plus tard, en particulier avec le livre de Job (dans la partie centrale du livre), on reconnaîtra que la justice de Dieu n’est pas une affaire de rétribution : qu’il n’y a pas de mesure automatique entre nos actions, bonnes ou mauvaises, et ce qui nous arrive de bon ou de mauvais… que les bons ne sont pas forcément récompensés et les méchants punis. On découvrira qu’on ne paie jamais rien, ni pour d’autres, ni pour soi-même… parce que Dieu ne punit jamais.

Plus tard encore, on découvrira que Dieu n’est pas la cause directe de tout ce qui nous arrive. Pour l’instant, avec Ézéchiel, on cesse d’accuser Dieu de nous faire payer les fautes de nos parents. C’est déjà un grand pas.

Un avenir est toujours possible.

Ce texte d’Ézéchiel nous apporte une autre bonne nouvelle : un avenir est toujours possible ; rien n’est jamais définitivement joué. Cette leçon-là est capitale !… Pour nous encore aujourd’hui, d’ailleurs. Car effectivement, tant qu’on croit que tout est joué d’avance, on est tenté de s’abandonner au désespoir ; or Ézéchiel, comme tout bon prophète, n’a pas de pire ennemi que le découragement. C’est pourquoi il faut prendre au sérieux cette phrase : « Si le méchant se détourne de sa méchanceté, s’il se met à pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu’il a ouvert les yeux, parce qu’il s’est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra ». Il est toujours temps de changer de conduite ou de chemin, pour reprendre une image biblique. Se convertir, étymologiquement, en hébreu, cela veut dire « faire demi-tour ».
Il est toujours temps de se convertir.

Au passage, Ézéchiel lance donc un vibrant appel à la conversion. Et, tout compte fait, c’est bien simple, puisque le prophète juge notre conversion à notre conduite à l’égard des autres : d’après lui, pour le méchant, se détourner de sa méchanceté, c’est se mettre à pratiquer le droit et la justice.

Et le sort des justes ?

« Si le juste se détourne de sa justice… il mourra à cause de sa perversité. » Mais cela ne doit pas nous inquiéter, aucun de nous n’est concerné, car aucun de nous n’oserait se prétendre juste !
—————————————–
Compléments au texte d’Ézéchiel.

- Entre nous, il faut bien reconnaître que, même aujourd’hui, au vingt-et-unième siècle, cette phrase « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu pour mériter une telle punition ? » nous vient spontanément à la bouche quand le malheur nous arrive. On se rappelle l’histoire de l’aveugle-né chez saint Jean : en le voyant, les disciples de Jésus lui ont posé la question classique : « Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » (Jn 9), en d’autres termes « À qui la faute ? ».

- Vie et mort en langage biblique : le texte d’Ézéchiel peut se lire à un deuxième niveau, si on se souvient que, pour les prophètes, quand ils parlent de vie ou de mort, ils parlent de vie spirituelle et de mort spirituelle.

Dans ce chapitre 18, Ézéchiel parle beaucoup de vie et de mort. Mais il vise autre chose que la vie et la mort physiques. Les exilés, d’ailleurs, parlaient de leur exil comme d’une situation de mort ; ils disaient : « Nos révoltes et nos péchés sont sur nous, nous pourrissons à cause d’eux, comment pourrons-nous vivre ? » (Ez 33, 11). A leurs yeux, privés de tout ce qui faisait leur vie et en particulier la pratique de leur foi, l’exil était une situation de non-vie, une espèce de mort larvée… Ézéchiel ne leur promet pas tout de suite le retour, mais il leur dit : « La vraie vie, c’est l’intimité avec Dieu » et cela, c’est possible partout. « Convertissez-vous et vivez ! » Cela veut dire que, même dans le malheur, vivre au plein sens du terme, c’est-à-dire en union avec Dieu, est toujours possible.


PSAUME – 24 (25) 4 – 9

4 SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
5 Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

6 Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
7 Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse,
dans ton amour, ne m’oublie pas.

8 Il est droit, il est bon, le SEIGNEUR,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
9 Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.


Le thème du chemin.
Vous avez entendu les mots « voies », « route », « chemin », et le verbe « dirige-moi ». « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauveLe SEIGNEUR montre aux pécheurs le chemin. Sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin ».

Ce thème du chemin est typique des psaumes pénitentiels : la Loi de Dieu, (les commandements), est considérée comme le code de la route en quelque sorte ; c’est un pécheur qui parle dans ce psaume, un pécheur qui est conscient de s’être égaré, d’avoir pris un sens interdit ; et il demande à être remis sur le droit chemin. On sait que se « convertir » en hébreu, se dit « faire demi-tour ».

Il n’est jamais trop tard pour faire demi-tour.
Il n’est jamais trop tard pour faire demi-tour : dans la première lecture de ce dimanche, Ézéchiel affirmait qu’un avenir est toujours possible, on n’est jamais définitivement condamné. C’est pour cela qu’il est toujours temps de dire à Dieu « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route ». Il suffit de croire en la miséricorde de Dieu : « Le SEIGNEUR montre aux pécheurs le chemin, Il enseigne aux humbles son chemin »… sous-entendu c’est la seule chose qui nous est demandée, non pas la vertu, mais l’humilité.

Le mot « humbles », ici, traduit le mot hébreu « anavim » très fréquent dans la Bible : il s’agit de ceux que nous appelons les « pauvres de cœur », c’est-à-dire tous ceux qui se reconnaissent démunis, pauvres, impuissants ; on les appelle parfois « les dos courbés ». C’est chacun de nous, quand nous en sommes réduits à prier en disant seulement « prends pitié ». Ici la supplication est une demande de conversion : « SEIGNEUR, enseigne-moi tes chemins ».

C’est le peuple tout entier qui parle ici.
Le pécheur qui parle ici n’est pas tout seul : il s’agit du peuple tout entier ; ce psaume 24/25 a été certainement composé pour des célébrations pénitentielles au Temple de Jérusalem : mais, là encore, son rapprochement avec le texte d’Ézéchiel proposé pour ce vingt-sixième dimanche va nous permettre de mieux comprendre un aspect de la prière juive. C’est cette imbrication permanente du « Je » et du « Nous ».
Comme tous les psaumes, celui-ci parle à la première personne du singulier, « JE », mais il faut l’entendre comme un JE collectif, au nom du peuple tout entier. Il n’y a pas moins individualiste que le peuple de la Bible ! Et d’ailleurs, si vous avez la curiosité de lire ce psaume en entier, vous verrez qu’après avoir parlé tout le temps à la première personne du singulier, termine en disant « Libère Israël, ô mon Dieu, de toutes ses angoisses ».

Parce qu’on a un sens très fort de la solidarité qui unit tous les membres d’une même famille, d’une même tribu, dans l’espace et dans le temps, on trouve normal d’invoquer le Dieu des pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob… A travers les générations, une véritable solidarité unit le patriarche à ses lointains descendants, et réciproquement. On trouve donc parfaitement normal aussi que l’Alliance conclue avec Noé, avec Abraham, avec Moïse concerne leurs descendants, le peuple tout entier.

Aujourd’hui, nous mettons plutôt l’accent sur l’individu, la dimension du bonheur personnel ; au point que notre société en arrive à donner parfois l’impression d’être polarisée sur la défense des droits individuels, au détriment des valeurs communautaires. Au début de l’histoire biblique, au contraire, tout était centré sur le peuple : ce n’est que progressivement qu’on a découvert l’importance de l’individu.
Donner sa place à l’individu sans nier la communauté.

C’est certainement l’une des réussites de la pensée biblique que d’avoir su donner sa place à l’individu sans nier la communauté. C’est ainsi par exemple que le livre du Deutéronome et les textes prophétiques mêlent souvent le « tu » et le « vous » : « Voici le commandement, les lois et les coutumes que le SEIGNEUR votre Dieu a ordonné de vous apprendre à mettre en pratique dans le pays où vous allez passer pour en prendre possession, afin que tu craignes le SEIGNEUR ton Dieu, toi, ton fils et ton petit-fils, en gardant tous les jours de ta vie toutes ses lois et ses commandements que je te donne, pour que tes jours se prolongent. » (Dt 6, 1).

Il y a là un moyen saisissant de dire à quel point notre destin personnel est lié à celui de la communauté. Nous sommes profondément solidaires les uns des autres, nous le savons bien ; et les progrès des communications, la mondialisation de l’économie, dont on parle tant, nous le prouvent tous les jours. Pour autant, nous ne sommes pas fondus dans un grand tout et chacun de nous garde une marge de liberté et de responsabilité.

Pour revenir au psaume 24/25, ce pécheur à la fois humble et confiant, c’est donc inséparablement, chacun de nous, individuellement, ET la communauté croyante tout entière.

La mémoire de Dieu est sélective.
Dernière remarque : le psaume présente une série de variations sur le thème du souvenir et de l’oubli. « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse… Oublie les révoltes… Ne m’oublie pas ». C’est à la fois de l’audace et de l’humilité ! Au fond, on prie Dieu d’avoir une mémoire sélective : « Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse » et au contraire « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse, ton amour qui est de toujours ». C’est l’audace que permet l’Alliance avec le Dieu de tendresse et de fidélité, lent à la colère et plein d’amour ». Décidément on n’avait pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Père !
—————————————-
Complément au psaume 24/25

L’alternance du « tu » et du « vous » est surprenante. Or il ne s’agit certainement pas d’un défaut de style, surtout dans ce texte, l’un des plus vénérables de l’Ancien Testament, puisqu’il est l’introduction du fameux « Shema Israël » (« Ecoute Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le Seigneur UN »).

On sait que plusieurs textes du livre du Deutéronome ont été composés par juxtaposition de passages d’origines différentes ; on pourrait penser que c’est le cas ici : des phrases écrites en « tu » auraient été juxtaposées avec des phrases rédigées en « vous ». C’est possible, mais si c’est le cas, il reste que le rédacteur final n’a pas cherché à harmoniser le texte.


DEUXIÈME LECTURE – Philippiens 2, 1 – 11

Frères,
1 s’il est vrai que dans le Christ on se réconforte les uns les autres,
si l’on s’encourage dans l’amour,
si l’on est en communion dans l’Esprit,
si l’on a de la tendresse et de la pitié,
2 alors, pour que ma joie soit complète,
ayez les mêmes dispositions,
le même amour,
les mêmes sentiments ;
recherchez l’unité.
3 Ne soyez jamais intrigants ni vantards,
mais ayez assez d’humilité
pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes.
4 Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de lui-même,
mais aussi des autres.
5 Ayez entre vous les dispositions
que l’on doit avoir dans le Christ Jésus :
6 lui qui était dans la condition de Dieu,
il n’a pas jugé bon de revendiquer
son droit d’être traité à l’égal de Dieu ;
7 mais au contraire, il se dépouilla lui-même
en prenant la condition de serviteur.
Devenu semblable aux hommes
et reconnu comme un homme à son comportement,
8 il s’est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu’à mourir,
et à mourir sur une croix.
9 C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout ;
il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms,
10 afin qu’au nom de Jésus,
aux cieux, sur terre et dans l’abîme,
tout être vivant tombe à genoux,
11 et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est le Seigneur »,
pour la gloire de Dieu le Père.


Pour la fête de la Croix glorieuse, nous avons lu la deuxième partie de ce texte qui est une contemplation du mystère du Christ : « Lui qui était de condition divine n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ». Aujourd’hui, je m’attache à la première partie : Paul nous dit comment on vit « dans le Christ ».

Vivre « dans le Christ ».
Il emploie deux fois cette formule, au début et à la fin de ce passage : au début « s’il est vrai que dans le Christ … » et à la fin « Ayez entre vous les dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus » ; et entre les deux, il dresse toute une énumération de ces dispositions. Cette formule « Dans le Christ » doit certainement être prise dans un sens très fort : depuis notre Baptême, nous appartenons au Christ, nous faisons partie de lui en quelque sorte ; et cette nouvelle identité qui est commune à tous les baptisés surmonte toutes nos diversités ; désormais, nous portons le même nom de famille : ce nom, c’est « CHRETIEN ». Et quand nous rencontrons des Chrétiens, dorénavant, c’est ce sentiment de commune appartenance qui surpasse (ou devrait surpasser) tous les autres.

Un sentiment d’appartenance commune.
Cela ressemble à ces grandes réunions de famille, où nous savons que chacun de ceux que nous rencontrons est d’abord un cousin ; dans tout rassemblement où l’on peut éprouver le même sentiment d’appartenance commune, on a une idée de ce que Paul veut dire ici. Et c’est ce sentiment très fort qui nous inspire les dispositions dont parle Paul ; réconfort, amour, communion, tendresse, pitié : au passage, on peut noter que ce sont tous les attributs de Dieu dans l’Ancien Testament.

Ce mystère d’amour et de communion, nous y avons été plongés au jour de notre Baptême : il reste à le vivre au quotidien : « Pour que ma joie soit complète, dit Paul, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments… » Un peu comme s’il nous disait « Faites honneur à votre famille, au Nom que vous portez ».

Estimez les autres supérieurs à vous-mêmes.
Cela va loin : « Estimez les autres supérieurs à vous-mêmes ». Curieuse phrase : est-ce que chacun de nous doit systématiquement se dévaloriser ? Sûrement pas : le but n’est certainement pas de faire des comparaisons de supériorité ou d’infériorité, c’est totalement contraire à la Bonne Nouvelle d’un Royaume qui ignore toute comptabilité ! Le but n’est pas non plus de se regarder soi-même, fût-ce pour s’humilier ; le but, au contraire, c’est de regarder l’autre avec comme une sorte d’a priori, un regard systématiquement admiratif. Et de regarder en lui, non pas ce qu’il a, mais ce qu’il est. Les différences physiques, culturelles, sociales, crèvent les yeux. Mais tout cela n’est que de l’avoir.

Ne pas regarder l’avoir, regarder l’être.
Or Paul a bien introduit son propos par l’expression « dans le Christ », ce qui veut dire qu’il ne se situe pas dans le domaine de l’avoir, mais de l’être : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. » (Ga 3, 27). Ce que Paul nous dit, c’est « chaque fois que vous rencontrez un autre baptisé, ne regardez que ce qu’il est » ; il est membre du Corps du Christ … lui aussi contribue à sa façon à la construction du Royaume… il est, lui aussi, le Temple de l’Esprit, il a sa vocation propre, différente de la mienne, indispensable au plan de Dieu, et sans mon admiration, sans mes encouragements, il ne pourra pas la remplir.
Or la seule chose qui compte, c’est la mission de chacun et de la communauté tout entière : pour sa mission, mon voisin est meilleur que moi, il est même le seul capable ; pour cette mission, il est rempli de l’Esprit de Dieu, c’est-à-dire d’une capacité d’amour infinie ; tout cela vaut bien que je l’admire. Dans le texte de dimanche dernier, Paul disait aux Philippiens « Quant à vous, menez une vie digne de l’évangile » ; aujourd’hui, il vient de nous dire ce qu’est une vie digne de notre vocation chrétienne. Ce sont là des conseils que Paul donne à des chrétiens, des baptisés ; mais il va de soi que nous devrions porter ce même regard positif sur tout homme …

Dernière remarque : ce texte de Paul dit bien à la fois que le Royaume est déjà là ET en même temps qu’il nous reste à y collaborer, par toute notre vie quotidienne : déjà, le dessein de Dieu de réunir « dans le Christ » l’humanité tout entière est accompli en Jésus-Christ et en chacun de nous qui sommes greffés sur lui par notre Baptême ; et en même temps il s’accomplit au quotidien dans la mesure où nous laissons cette réalité intime de notre appartenance au Christ transfigurer nos relations avec les autres, baptisés ou non.

—————————————-
Compléments sur Philippiens.

Il est rare que nous entendions ce texte en entier ; chaque année, aux Rameaux (et à la fête de la Croix glorieuse), nous lisons la deuxième partie, qui est une contemplation du mystère du Christ, mais la première partie nous est moins familière ; pour autant il faut bien lire ces deux parties ensemble, car elles sont très liées. Première partie, Paul nous dit comment on vit « dans le Christ », comme il dit ; deuxième partie, il contemple la vie du Christ lui-même. (Pour la deuxième partie, se reporter au commentaire du dimanche des Rameaux, « L’intelligence des Écritures » tome 1).

On retrouve ici un écho de la formule que nous connaissons bien, et qui se trouve dans la deuxième lettre aux Corinthiens « La grâce de Jésus-Christ notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit-Saint soient avec vous tous » (2 Co 13, 13). (C’est aussi la formule liturgique du début de l’Eucharistie).


ÉVANGILE – Matthieu 21, 28 – 32

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux anciens :
28 « Que pensez-vous de ceci ?
Un homme avait deux fils.
Il vint trouver le premier et lui dit :
« Mon enfant, va travailler aujourd’hui à ma vigne. »
29 Il répondit : « Je ne veux pas. »
Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla.
30 Abordant le second, le père lui dit la même chose.
Celui-ci répondit : « Oui, Seigneur ! »
et il n’y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté du Père ? »
Ils lui répondent : « Le premier ».
Jésus leur dit :
« Amen, je vous le déclare :
les publicains et les prostituées
vous précèdent dans le royaume de Dieu.
32 Car Jean Baptiste est venu à vous, vivant selon la justice,
et vous n’avez pas cru à sa parole ;
tandis que les publicains et les prostituées y ont cru.
Mais vous, même après avoir vu cela,
vous ne vous êtes pas repentis
pour croire à sa parole. »


Lequel des deux a fait la volonté du Père ?
« Lequel des deux a fait la volonté du Père ? » Apparemment, la question est simple, trop simple. Comme dimanche dernier, avec la parabole des ouvriers de la onzième heure, nous sommes dans une vigne ; des deux fils sollicités d’y aller, le premier refuse et finit quand même par s’y rendre ; le deuxième s’empresse de dire oui… et n’en fait rien. Et Jésus pose une question apparemment trop simple aux chefs des prêtres et aux anciens : « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? »

Jésus leur pose cette question, ce n’est évidemment pas pour le plaisir de jouer à qui trouvera la bonne réponse ! C’est pour leur ouvrir les yeux. Car sans la moindre transition il leur dit : vous, chefs des prêtres et anciens, c’est-à-dire ce qu’il y a de mieux intentionné au monde, vous êtes comme le deuxième fils : il dit « Oui, oui, papa », mais il ne va pas à la vigne. Tandis que vous voyez, il y a des gens beaucoup moins recommandables, mais qui sont plus prêts que vous à écouter la parole du Père.

Quelle était la volonté du Père ?
La volonté du Père c’était que son peuple, à commencer par les autorités religieuses, accueille son Envoyé, son Messie, Jésus. Tout le drame de la Passion est là : les plus fervents en Israël, ceux qui attendaient avec impatience la venue du Messie et priaient Dieu tous les jours de hâter sa venue, sont ceux qui ont refusé de le reconnaître.

Le secret des publicains et les prostituées.
Les publicains et les prostituées sont des pécheurs publics, c’est entendu ; et ce n’est pas de cela que Jésus les complimente ; ils sont comme le premier fils ; ils ont commencé par refuser de travailler à la vigne ; jusque-là rien d’admirable ! Seulement voilà : Jean-Baptiste les a touchés, et ils ont écouté sa parole. Ce n’est pas parce qu’ils sont pécheurs qu’ils entrent dans le Royaume ; mais parce qu’ils ont cru à la parole du Baptiste. Tandis que vous, les professionnels de la religion, vous avez refusé de croire la parole du Baptiste.

Ici, Jésus fait probablement référence à ce qui s’est passé le jour des Rameaux : au début de ce chapitre 21, Matthieu a raconté l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et les foules ont reconnu en lui le Messie. Elles ont lancé pour lui l’acclamation réservée au roi descendant de David : « Hosanna au fils de David ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux ! » 1 Mais cet accueil que lui ont réservé les petites gens ne s’est pas répété chez les prêtres et les anciens ; bien au contraire. Peu après, alors qu’il enseignait dans le Temple, ils sont venus lui demander : « En vertu de quelle autorité te permets-tu d’enseigner ? Qui t’a donné cette autorité ? » Sous-entendu : qui t’envoie ? Dieu ? ou toi-même, plutôt ?

Comme souvent, Jésus n’a pas répondu directement : il voulait que ses interlocuteurs trouvent tout seuls ; et donc il leur a renvoyé une autre question, mais qui avait trait à Jean-Baptiste, celle-là. « Le Baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? » Et eux n’ont pas osé répondre, de peur de se déjuger eux-mêmes, eux qui avaient préféré ignorer Jean-Baptiste. Alors Jésus leur propose cette parabole des deux fils pour aider leur prise de conscience ; c’est comme un ultime appel qu’il leur adresse. Jésus n’a pas de préférence pour les uns ou pour les autres. Il veut le salut de tous et s’il semble parfois malmener certains de ses interlocuteurs, c’est que le temps presse.

Le péché de suffisance.
Mais au fait, que disait Jean-Baptiste ? Il disait « Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient ? Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion ; et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham ». C’était peut-être bien là le problème des autorités religieuses : une espèce de suffisance qui permet de ne pas se remettre en question. Alors que les publicains et les prostituées, parce qu’ils se savaient pécheurs et qu’ils avaient très vif le sentiment de leur indignité, de leur pauvreté, avaient les oreilles et le cœur plus prêts à s’ouvrir.

La difficulté, justement, pour les chefs des prêtres et les anciens, c’était d’ajouter foi à la parole de Jean-Baptiste, puis de Jésus, c’est-à-dire deux individus sans légitimité, à leurs yeux.

Et c’est bien là le fond du problème : dans cette expression « à leurs yeux ». Cela veut dire que, pour eux, la cause est entendue, ils savent ce qu’il en est des choses de Dieu et ils ne peuvent plus voir autre chose que leurs propres certitudes.

Si Jésus propose une parabole à ses interlocuteurs, c’est pour les amener à ouvrir les yeux justement ; or le temps presse de plus en plus puisque nous sommes déjà à la veille de la Passion. Cette parabole des deux fils va encore plus loin que celle que nous entendions la semaine dernière, celle des ouvriers de la onzième heure ; dans la parabole des ouvriers de la onzième heure, Jésus disait à ses interlocuteurs : vous vous considérez comme des ouvriers de la première heure et vous me trouvez bien indulgent pour les retardataires… Dans la parabole des deux fils, il va jusqu’à remettre en cause leur attitude religieuse : êtes-vous sûrs seulement d’être allés travailler à ma vigne ?

Etes-vous vraiment soucieux de vous conformer à la volonté du Père ?
————————————–

Note.

1 – L’acclamation « Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! » est une citation du Psaume 117/118, 26

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 26e dimanche du temps ordinaire (28 septembre 2014)

Partager cet article

Repost0
15 septembre 2014 1 15 /09 /septembre /2014 21:31
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Isaïe 55, 6 – 9

6 Cherchez le SEIGNEUR tant qu’il se laisse trouver.
Invoquez-le tant qu’il est proche.
7 Que le méchant abandonne son chemin,
et l’homme pervers, ses pensées !
Qu’il revienne vers le SEIGNEUR qui aura pitié de lui,
vers notre Dieu, qui est riche en pardon.
8 Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
et mes chemins ne sont pas vos chemins,
déclare le SEIGNEUR.
9 Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,
autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres,
et mes pensées, au-dessus de vos pensées.


« Cherchez le SEIGNEUR tant qu’il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu’il est proche » : cela ne veut pas dire « Dépêchez-vous, il pourrait s’éloigner ! » Voilà, je crois, le contresens à ne pas faire ! Il n’existe pas de temps où Dieu ne se laisse pas trouver, il n’existe pas de temps où Dieu ne serait pas proche ! Il faut comprendre (et c’est le texte de la Traduction Œcuménique de la Bible, la TOB), « Cherchez le SEIGNEUR puisqu’il se laisse trouver. Invoquez-le puisqu’il est proche ». C’est toujours nous qui nous éloignons de Dieu. Et il est vrai que, dans notre liberté, nous nous éloignons parfois tellement de lui que nous perdons jusqu’au goût de le chercher.

Il faut bien voir dans quel esprit ces lignes sont écrites : Isaïe s’adresse ici à des gens complètement découragés ; en Exil à Babylone, dans des conditions extrêmement dures, le peuple d’Israël est tenté de croire que Dieu l’a abandonné. Et il en vient à se demander s’il est encore possible d’oser espérer le pardon de Dieu et la restauration du peuple élu. Ce doute et ce soupçon, il faut résolument leur tourner le dos ; ce sont, dit le prophète, des pensées méchantes, perverses. Elles nous trompent sur Dieu et nous éloignent de lui. La pensée perverse, précisément, ce serait de croire que Dieu pourrait n’être pas proche, que Dieu pourrait être inaccessible, que Dieu pourrait ne pas pardonner. Voilà déjà certainement une leçon très importante de ce texte. Ce n’est pas parce que Dieu semble silencieux qu’il est absent ou lointain.

On a là, comme très souvent dans la Bible, le thème du chemin : douter de Dieu, l’imaginer méchant, dur, vengeur, c’est prendre le chemin à l’envers, c’est nous éloigner de lui de plus en plus ; et du coup, puisque nous ne croyons pas à sa tendresse et à sa sollicitude, c’est nous en priver nous-mêmes ; l’adolescent soupçonneux ne profite plus des marques de tendresse que ses parents lui donnent pourtant ; il ne les voit plus puisqu’il leur tourne le dos. Isaïe dit : retournez-vous, revenez vers Dieu, vous redécouvrirez que Dieu a pitié de vous et qu’il est riche en pardon.

Cette découverte du Dieu de tendresse et de pardon est très présente dans l’Ancien Testament, bien avant la venue de Jésus sur la terre. Il suffit de relire les prophètes ; Osée, par exemple, a su trouver des phrases magnifiques pour dire les pensées de Dieu : « Mon cœur est bouleversé en moi, dit Dieu, en même temps ma pitié s’est émue. Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère… Car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi, je suis saint. » (Osée 11, 8-9). En langage biblique, le mot « saint » veut dire le Tout-Autre. Et c’est en cela que Dieu est le Tout-Autre, le Saint : Il est miséricorde, et Pitié et Pardon.

Ou encore Jérémie : « Moi, je sais les projets que j’ai formés à votre sujet – oracle du SEIGNEUR – projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance ». (Jr 29, 11) Et bien sûr, on pense à cette phrase magnifique de l’évangile : « Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45).

Il y a aussi ce merveilleux dialogue dans le livre de Jonas ; Jonas prend très mal l’indulgence de Dieu pour ces affreux Ninivites, l’ennemi héréditaire d’Israël : et il reproche à Dieu d’être trop bon « Je savais bien moi, que tu es un Dieu bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et plein de fidélité » (Jonas 4, 2). Et Dieu se défend en disant « Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne savent même pas choisir entre le bonheur et le malheur ? » (Jonas 4,11).

La Bible, dès l’Ancien Testament, est donc pleine de cette révélation du pardon de Dieu… à partir du moment où on l’a découvert, on ne voit plus que cela. A l’inverse, chaque fois que nous ne trouvons pas dans la Parole de Dieu cette annonce de la miséricorde et du pardon de Dieu toujours offert, c’est que nous n’avons pas compris le texte ! Le peuple d’Israël a eu le privilège de faire cette double découverte extraordinaire : Dieu est à la fois le Tout-Autre, le Saint et aussi le Tout-Proche, le « Dieu de tendresse et de pitié » révélé à Moïse (Exode 34, 6).

Isaïe ramasse cette découverte dans cette phrase superbe : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Cette distance infinie qui sépare le ciel de la terre est une image très parlante pour nous dire que Dieu, décidément, est le Tout-Autre. En même temps, il est le Tout-Proche, celui qui est « riche en pardon ».

Et je crois même qu’il faut aller plus loin : c’est précisément cette richesse de pardon qui constitue la distance infinie dont parle Isaïe et qui nous sépare de Dieu, autant que le ciel est séparé de la terre. Notre texte dit bien : « Notre Dieu est riche en pardon »… « CAR vos pensées ne sont pas mes pensées … » Tout tient dans cette petite conjonction « Car » ; mais, malheureusement, elle risque de passer inaperçue. Ce qu’Isaïe nous dit là, c’est que nous ne sommes pas sur le même registre que Dieu : Lui qui est l’amour même, Il est sur le registre de la gratuité, on dit « la grâce », le registre du pardon sans conditions. Nous, nous sommes sur le registre du calcul, du donnant-donnant. Nous voulons que les bons soient récompensés et les méchants punis. Nous parlons de « gagner » notre ciel ; nous calculons nos mérites ; ou bien nous disons « je ne mérite pas » sans nous apercevoir qu’en disant cela, nous nous permettons de calculer à sa place ! Dieu, lui, ne nous demande pas de mériter quoi que ce soit ! Il dit seulement : « Que le méchant abandonne ses chemins, et l’homme pervers ses pensées. Qu’il revienne vers notre Dieu qui est riche en pardon. CAR vos pensées ne sont pas mes pensées… » Il nous propose de vivre tout simplement une relation d’amour, donc gratuite, par définition. Il n’y a pas de banque ni de chéquier dans le royaume de l’amour, nous le savons bien.

Dernière remarque : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » ; cette distance infinie qui nous sépare de Dieu explique la faiblesse de notre langage sur Lui ! Du coup, cette phrase devrait être pour nous une invitation à l’humilité et à la tolérance : humilité quand nous osons parler de Dieu, tolérance pour la façon dont les autres parlent de Lui : qui d’entre nous peut prétendre sonder les pensées de Dieu ?
—————————————-
Complément

- Il y a encore cette phrase magnifique dans le livre des Chroniques : « Si mon peuple s’humilie, s’il prie, cherche ma face et revient de ses voies mauvaises, moi, j’écouterai des cieux, je pardonnerai son péché et je guérirai son pays ». (2 Ch 7, 14). Malheureusement, tant qu’on n’a pas découvert que Dieu est toujours et seulement Amour et Pardon, on risque encore de lire à l’envers des phrases comme celle-ci : comme si Dieu mettait une condition à son pardon : « Si mon peuple s’humilie »… En réalité, c’est nous qui mettons une condition : comment recevoir le pardon si nous ne le désirons pas ?


PSAUME – 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18

2 Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
3 Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué :
à sa grandeur, il n’est pas de limite.

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
9 la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

17 Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
18 Il est proche de ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.


On ne pouvait pas trouver mieux que ce psaume 144/145 pour faire écho à la première lecture de ce dimanche ! Le prophète Isaïe résumait en quelques versets toute la foi d’Israël : la découverte d’un Dieu plein de pitié, riche en pardon et qui appelle son peuple en lui disant « reviens vers moi ». Ce psaume est la réponse du peuple qui revient à son Dieu : « Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais » ; c’est vraiment le cantique de la foi retrouvée.

Nous avons déjà rencontré ce psaume et admiré sa composition : si vous vous reportez à votre Bible, vous verrez qu’il est ce qu’on appelle un psaume « alphabétique » ; nous savons donc d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de Aleph à Tav) baigne dans l’Alliance, dans la tendresse de Dieu. Deuxième remarque quant à la forme : le parallélisme d’une ligne à l’autre de chaque verset est particulièrement accentué : cela vaudrait la peine de le lire à deux voix ou deux chœurs alternés.

Si on regarde d’un peu plus près les six versets précis qui ont été retenus aujourd’hui, on remarquera deux choses : premièrement on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis ; et, deuxièmement ils entrent en résonance parfaite avec les autres lectures de ce dimanche.

Je prends un exemple : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, dit le psaume ; à sa grandeur, il n’est pas de limite. » Et Isaïe, dans la première lecture, avec ses mots à lui, nous dit également cette grandeur de Dieu : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Mais Isaïe nous entraîne dans une voie imprévue et nous risquons d’être surpris : car la grandeur de ce roi n’est pas ce que nous croyons parfois, elle ne ressemble en rien aux fausses gloires et aux fausses grandeurs de la terre. C’est uniquement la grandeur de l’amour. Je résume sa prédication : « Que le méchant revienne vers Dieu qui est riche en pardon… CAR mes pensées ne sont pas vos pensées… » Il semble bien qu’aux yeux du prophète, la grandeur de Dieu réside précisément dans son pardon.

Et vous vous souvenez que nous avons lu il y a quelques semaines (seizième dimanche) un passage du livre de la Sagesse qui faisait écho à Isaïe : « Seigneur, tu prends soin de toute chose… ta domination sur toute chose te rend patient envers toute chose… L’homme dont la puissance est discutée fait montre de sa force, mais toi, Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence. » (Sg 12).

Soyons francs, cette chanson-là n’est pas souvent celle des médias modernes ; et, pourtant, chacun de nous, dans l’intime de sa conscience, sait que c’est la vérité. La seule vraie grandeur d’un être humain, c’est sa capacité d’aimer. Après tout, ce n’est pas étonnant si nous sommes à l’image de Dieu !

Autre consonance entre le psaume et la lecture d’Isaïe, l’amour et le pardon de Dieu pour tous les êtres sans exception. « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres. » dit le psaume. Et Isaïe insistait sur ce pardon qui semble bien être la caractéristique de Dieu      : « Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme pervers, ses pensées ! Qu’il revienne vers le SEIGNEUR qui aura pitié de lui, vers notre Dieu, qui est riche en pardon. » Mais, là encore, Isaïe nous entraîne plus loin que nous ne voudrions aller, peut-être : nous voulons bien entendre ici l’assurance que nos faiblesses, nos péchés seront pardonnés. Mais, au nom de ce que nous appelons la justice, il nous semble impensable que tous les grands pécheurs de tous les temps reçoivent le pardon de Dieu tout comme nous !

Et pourtant, si nous prenons au sérieux la prédication d’Isaïe, il va falloir convertir notre conception de la justice, tout simplement ! A vrai dire, Isaïe avait prévu notre difficulté à entendre ce genre de vérité, car il avait pris la précaution de préciser que ce qu’il annonçait ne représentait pas sa pensée à lui, mais qu’il s’agissait réellement d’une parole de Dieu. Il disait « Vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le SEIGNEUR ».

Et, d’ailleurs, l’évangile de ce dimanche va nous encourager à changer de logique !

Il s’agit de ce que nous appelons la parabole des ouvriers de la onzième heure. Le verset du psaume parle de la justice de Dieu, précisément ; il dit « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait » ; la parabole, quant à elle, nous racontera l’histoire d’un chef d’entreprise donnant à tous ses serviteurs le même salaire, quelle que soit leur ancienneté dans la maison ou leur nombre d’heures de travail ; cela bien sûr au grand scandale de ceux qui ont fait le plus grand nombre d’heures. Le message de Jésus, ici, est très clair : « Ne vous y trompez pas » ; la plus grande justice au monde n’est pas celle de la balance, elle est celle de l’amour ; si vous aimez vos frères autant que vous-mêmes, vous vous réjouirez de mes largesses à leur égard.

Pour terminer, je m’arrête sur le dernier verset du psaume : « Le SEIGNEUR est proche de ceux qui l’invoquent, de tous ceux qui l’invoquent en vérité ». Ici peut-être, il y a une lecture perverse à éviter : le psalmiste ne dit pas que Dieu n’est proche que de ceux qui l’invoquent ! Mais Dieu respecte trop notre liberté pour forcer notre porte.


DEUXIÈME LECTURE – Philippiens 1, 20c-24. 27a

Frères,
20 soit que je vive, soit que je meure,
la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps.
21 En effet, pour moi vivre, c’est le Christ,
et mourir est un avantage.
22 Mais si, en vivant en ce monde,
j’arrive à faire un travail utile,
je ne sais plus comment choisir.
23 Je me sens pris entre les deux :
je voudrais bien partir
pour être avec le Christ,
car c’est bien cela le meilleur ;
24 mais, à cause de vous, demeurer en ce monde
est encore plus nécessaire.
27 Quant à vous,
menez une vie digne de l’Évangile du Christ.


Il est toujours émouvant de lire la lettre aux Philippiens : elle est pleine à la fois de la passion de Paul pour sa mission d’apôtre, de sa passion pour le Christ, et aussi de son affection toute simple et fraternelle pour ceux qu’il a connus là-bas ; cela nous vaut des développements théologiques qui volent très haut, comme on dit, et des confidences tout humaines d’un homme comme les autres à ses amis.

« Soit que je vive, soit que je meure » : Paul est en prison, c’est clair, d’après le reste de l’épître, mais on ne sait pas où ; à Rome, peut-être puisque, d’après cette lettre, il est visiblement en attente de jugement ; mais il a connu d’autres emprisonnements, une nuit à Philippes même, deux nuits à Jérusalem, une longue durée à Ephèse, probablement, sans compter deux années à Césarée maritime et au moins autant à Rome. En tout cas, lorsqu’il écrit cette lettre aux Philippiens, son procès est visiblement commencé et il sait très bien qu’il risque la mort. « Soit que je vive, soit que je meure, la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps » : le mot « corps » ici veut dire la personne tout entière. S’il est libéré, il pourra continuer sa mission d’évangélisation, et même son temps de captivité et son procès lui auront permis de témoigner du Christ au tribunal. Il a écrit quelques versets plus tôt : « Dans tout le prétoire, et partout ailleurs, il est maintenant bien connu que je suis en captivité pour le Christ. Et la plupart des frères, encouragés dans le Seigneur par ma captivité, redoublent d’audace pour annoncer sans peur la Parole. » Mieux, il s’est réjoui de ce que certains, moins bien intentionnés, aient profité de sa mise à l’ombre pour se poser en apôtres, à sa place. Qu’importe, pense Paul, de toutes manières, le Christ est annoncé.

S’il est condamné à mort, son martyre, affronté dans la joie, constituera un témoignage suprême de la foi des Chrétiens en la Résurrection.


On est toujours extrêmement étonnés de l’assurance dont faisaient preuve les premiers Chrétiens face au martyre. Alors que les persécuteurs espéraient étouffer la religion chrétienne naissante, cette assurance a été l’occasion de nombreuses conversions. Ce qui veut dire que, quoi qu’il arrive, tout contribuera au progrès de l’Évangile et c’est la seule chose qui compte pour Paul. Cela ne nous étonne pas de la part d’un apôtre… Le critère de l’apôtre, justement, c’est qu’il n’a qu’un objectif, prêcher l’Évangile ! Quant à nous, même si nous ne connaissons pas des circonstances aussi extraordinaires, nous pouvons retenir que notre vie concrète peut contribuer à exalter le Christ (c’est-à-dire à manifester sa grandeur) dans toutes les situations.

Paul continue : « Pour moi, vivre, c’est le Christ, et mourir est un avantage ». On pourrait traduire « Pour moi, vivre pleinement, c’est vivre en Christ » ou encore « ma raison de vivre, c’est le Christ » sous-entendu ma vie ne s’épanouira pleinement que dans la rencontre définitive, donc mourir est un avantage. « Je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c’est bien cela le meilleur » dit-il un peu plus loin. On retrouve là un écho de cette solidarité intime qui nous unit au Christ et que Paul exprime si souvent dans ses écrits ; son thème majeur, c’est justement que notre destinée est de ne faire qu’un en Jésus-Christ. Par exemple « Il a plu à Dieu de faire habiter en Lui toute la plénitude et de tout réconcilier par Lui et pour Lui » (Col 1,19) ; ou encore dans la lettre aux Ephésiens, ce texte qui donne la clé de tout : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté… réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ » (Ep 1,9-10).

Au passage, on peut noter que pour Paul, la mort nous permet d’être aussitôt pleinement unis au Christ ; il a l’air de n’envisager aucun délai ; voici ce qu’il dit dans la lettre aux Corinthiens « Nous sommes pleins de confiance, tout en sachant que demeurer dans ce corps, c’est vivre en exil loin du Seigneur ; car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous sommes pleins de confiance et nous préférons quitter la demeure de ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur. » (2 Co 5, 6-8).

Pour autant, Paul ne veut pas « abandonner le bateau », comme on dit ; et littéralement, il avoue être écartelé ; « mourir est un avantage, mais si en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c’est bien cela le meilleur, mais à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire ». Cela ne veut certainement pas dire qu’il se considère comme indispensable, parce qu’il sait bien que c’est le Christ qui agit dans le cœur des fidèles … mais il souhaite ardemment être là où il doit être. A vrai dire, ce dilemme n’est pas à proprement parler un cas de conscience, car ce n’est pas lui qui décidera de son sort, il le sait bien.

Mais son raisonnement est un modèle d’abnégation au vrai sens du terme, en ce sens que son seul souci reste la mission auprès de ceux qui lui ont été confiés.

Pour terminer, il revient à eux « Quant à vous, menez une vie digne de l’Évangile ». C’est tout un programme ! Mais je crois qu’il y a là beaucoup plus qu’une leçon de morale : Paul veut nous dire par là que la seule manière d’être digne de l’Évangile, c’est de le prendre au sérieux et de l’annoncer ! Car cette recommandation « menez une vie digne de l’Évangile » vient à la suite de ce que j’ai appelé son « dilemme » : « Si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ… mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. » Et aussitôt il ajoute : « Quant à vous, menez une vie digne de l’Évangile du Christ. »

Si je comprends bien, à ses yeux, mener une vie digne de l’Évangile, c’est tout simplement consacrer nos vies à l’évangélisation. Voilà qui interroge un certain nombre de nos préoccupations !


ÉVANGILE – Matthieu 20, 1 – 16a

Jésus disait cette parabole :
1 « Le Royaume des cieux est comparable
au maître d’un domaine qui sortit au petit jour
afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.
2 Il se mit d’accord avec eux sur un salaire d’une pièce d’argent pour la journée,
et il les envoya à sa vigne.
3 Sorti vers neuf heures,
il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans travail.
4 Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne,
et je vous donnerai ce qui est juste.
5 Ils y allèrent.
Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même.
6 Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit :
Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée sans rien faire ?
7 Ils lui répondirent : Parce que personne ne nous a embauchés.
Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne.
8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant :
Appelle les ouvriers et distribue le salaire,
en commençant par les derniers pour finir par les premiers.
9 Ceux qui n’avaient commencé qu’à cinq heures s’avancèrent
et reçurent chacun une pièce d’argent.
10 Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage,
mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’argent.
11 En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine :
12 Ces derniers venus n’ont fait qu’une heure,
et tu les traites comme nous,
qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !
13 Mais le maître répondit à l’un d’entre eux :
Mon ami, je ne te fais aucun tort.
N’as-tu pas été d’accord avec moi
pour une pièce d’argent ?
14 Prends ce qui te revient,
et va-t-en.
Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi :
15 n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ?
Vas-tu regarder avec un œil mauvais
parce que moi, je suis bon ?
16 Ainsi les derniers seront premiers,
et les premiers seront derniers. »


Imaginez un patron d’entreprise qui emploierait des méthodes pareilles ! Il aurait certainement une bonne partie de ses ouvriers en grève dès le deuxième matin ! Mais Jésus a bien dit qu’il ne parlait pas d’une entreprise comme les autres puisqu’il a introduit sa parabole en disant : « Le Royaume des cieux est comparable au maître d’un domaine… » : d’entrée de jeu, nous savons qu’il est question du Royaume des cieux ; et nous savons bien, Isaïe nous l’a rappelé, que « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées… »

Et donc, dans cette vigne très particulière, il y a des ouvriers embauchés à toute heure du jour… Apparemment, le travail ne manque pas. Mais la pointe de la parabole n’est pas là : comme toujours, il faut chercher d’abord ce que ce texte dit sur Dieu. « Moi, je suis bon » dit Dieu ; « Vas-tu regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ? » Dieu est bon, et d’une bonté qui ne fait pas de comptes. Cela veut dire que sa bonté surpasse tout, y compris le fait que nous ne la méritons pas ; cela veut dire qu’il faut que nous abandonnions une fois pour toutes notre logique de comptables : dans le Royaume des cieux, il n’y a pas de machine à calculer les mérites… Elle est là, peut-être, la conversion qui nous est demandée ; cette logique de comptables, nous avons bien du mal à nous en défaire : nos efforts, nos sacrifices, nos souffrances, nous voudrions toujours les comptabiliser pour nous rassurer ; cela nous donne, pensons-nous, des droits sur le Royaume, sur l’amour de Dieu…

A l’inverse, il nous paraîtrait juste que Dieu ne traite quand même pas tout le monde de la même manière : « Tu les traites comme nous ! », reprochent les ouvriers de la première heure, sous-entendu nous méritons mieux. Et justement, Jésus veut nous faire sortir de cette logique du mérite : l’amour ne compte pas. L’amour ne s’achète pas, il est donné. Cette leçon-là, pourtant, n’était pas nouvelle ; allez lire le psaume 126/127 : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort »… Il n’est pas question de mérites là-dedans ; pire, le même psaume affirme : « En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur… » autrement dit : ne calcule pas tes mérites et tes heures supplémentaires, Dieu te comble au-delà de tout. Le psaume d’aujourd’hui nous faisait chanter « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies »… visiblement ce n’est pas une justice calculée comme nous l’entendons ! La justice de Dieu, c’est d’aimer, sans distinction, tous ses enfants également, c’est-à-dire infiniment, sans mesure.
Pour rester dans l’Ancien Testament, Jonas lui aussi, trouvait scandaleux que Dieu pardonne si facilement à ces mécréants de Ninivites : le peuple élu s’efforçait laborieusement depuis si longtemps d’être fidèle à la loi ; ces affreux païens n’avaient eu qu’un geste à esquisser pour être pardonnés. Dès l’Ancien Testament, donc, on savait bien qu’il y a des derniers qui deviennent premiers. De la même manière, au temps de Matthieu, l’arrivée massive d’anciens païens dans les communautés chrétiennes faisait murmurer ceux qui venaient du Judaïsme et se savaient les héritiers d’une longue lignée de fidèles. Et Jésus lui-même a rencontré l’hostilité des croyants de longue date quand il a côtoyé amicalement des publicains et des pécheurs.

Jusque sur la croix, nous en connaissons au moins un qui était « dernier » et qui est devenu « premier », c’est le bon larron…Voilà bien un ouvrier de la dernière heure. (C’est dans l’évangile de Luc et non de Matthieu, mais la leçon est bien la même !) C’est à la dernière minute seulement que le bon larron crucifié en même temps que Jésus, enfin, se tourne vers lui ; et là, il a suffi d’une parole de vérité dans sa bouche et il s’est entendu dire ce dont nous rêvons tous pour notre dernière heure « Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le Paradis ».

Mais si on veut bien regarder la vérité en face, elle devrait nous faire plutôt plaisir, cette parabole… Qui d’entre nous peut se vanter d’être un ouvrier de la première heure ? Qui que nous soyons, nous ne sommes tous que des ouvriers de la onzième heure ! C’est lorsque nous l’oublions que notre regard devient mauvais. « Vas-tu regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ? » Les ouvriers de la première heure récriminent contre le maître de maison dont ils ne comprennent pas la logique ; Jonas récriminait contre Dieu qui pardonnait trop facilement à ces pécheurs de Ninivites ; les Pharisiens récriminaient contre Jésus, trop accueillant aux gens de mauvaise vie ; le fils aîné murmurait contre le père trop accueillant pour le fils prodigue… Quand la logique de Dieu est trop différente de la nôtre, la tentation qui nous prend est de contester.

C’est le moment ou jamais de nous rappeler la phrase d’Isaïe dans la première lecture : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, dit Dieu… Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées au-dessus de vos pensées. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, 25e dimanche du temps ordinaire (21 septembre 2014)

Partager cet article

Repost0
8 septembre 2014 1 08 /09 /septembre /2014 23:56
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Nombres 21, 4 – 9

 

4 Au cours de sa marche à travers le désert,
le peuple d’Israël, à bout de courage,
5 récrimina contre Dieu et contre Moïse :
« Pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ?
Etait-ce pour nous faire mourir dans le désert,
où il n’y a ni pain ni eau ?
Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! »
6 Alors le SEIGNEUR envoya contre le peuple
des serpents à la morsure brûlante,
et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël.
7 Le peuple vint vers Moïse et lui dit :
« Nous avons péché,
en récriminant contre le SEIGNEUR et contre toi.
Intercède auprès du Seigneur
pour qu’il éloigne de nous les serpents. »
8 Moïse intercéda pour le peuple,
et le SEIGNEUR dit à Moïse :
« Fais-toi un serpent,
et dresse-le au sommet d’un mât :
tous ceux qui auront été mordus,
qu’ils le regardent et ils vivront ! »
9 Moïse fit un serpent de bronze
et le dressa au sommet d’un mât.
Quand un homme était mordu par un serpent,
et qu’il regardait vers le serpent de bronze,
il conservait la vie !


Le Livre de l’Exode et celui des Nombres racontent plusieurs épisodes assez semblables : le peuple arraché à l’Égypte et à l’esclavage par Moïse est en marche vers la Terre Promise ; mais une fois passée l’exaltation de la libération et du miracle de la Mer Rouge, il faut bien affronter le quotidien dans le désert ; (nos voyages modernes en autocars touristiques dans le Sinaï n’ont qu’un très lointain rapport avec cette laborieuse traversée, il faut bien le dire !) Le désert, par définition, est un lieu totalement inhospitalier et il faudrait une foi bien accrochée dans son guide pour le suivre sans états d’âme ! Tout le problème est là ; ils étaient esclaves en Égypte, ce qui veut dire qu’ils étaient sédentaires, donc probablement pas du tout entraînés à la longue marche à pied pour la plupart ; et puis, un maître d’esclaves, les nourrit au moins un minimum, pour qu’ils aient assez de forces pour travailler ; les Hébreux ne mouraient donc pas de faim là-bas ; de loin, les oignons d’Égypte apparaissent comme un luxe ! Dans le désert, c’est fini ! Il va falloir se débrouiller avec les moyens du bord ; et ceux-ci ont dû se montrer plus d’une fois terriblement décevants !

Les mauvais jours, inévitablement, on s’est demandé pourquoi on était là ; on imagine sans peine les crises de découragement chaque fois qu’on a eu faim, soif, ou simplement peur : peur de ne jamais arriver, peur des affrontements avec d’autres tribus nomades, peur aussi d’affronter des animaux du désert pas tous inoffensifs. Ce Moïse, pensait-on, n’avait pas bien calculé les risques… Il y avait la manne, pourtant, mais à la longue, on finissait par s’en lasser.

L’épisode du serpent de bronze se situe l’un de ces mauvais jours : on pourrait raconter le drame en quatre actes ; acte 1, le texte nous dit « Le peuple était à bout de courage et se mit à récriminer contre Dieu et Moïse : pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Etait-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! » Acte 2, « Alors le SEIGNEUR envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante (autrement dit venimeux) et beaucoup moururent » ; acte 3, le peuple se repent : « Nous avons péché contre le SEIGNEUR et contre toi. S’il te plaît, intercède pour nous, que le Seigneur éloigne ces serpents ». Acte 4, Dieu donne à Moïse cette consigne qui nous étonne un peu : fabrique un serpent (la tradition dit qu’il était de bronze), fixe-le au sommet d’une perche ; tous ceux qui auront été mordus n’auront qu’à le regarder, ils seront guéris. »

Évidemment, aujourd’hui, nous ne dirions pas que les serpents sont une punition ; cette séquence : le peuple se conduit mal, donc Dieu punit, alors le peuple se repent, et Dieu passe l’éponge, nous paraît un peu surprenante ; nous avons eu plus de trois mille ans pour découvrir que les choses sont moins simples ; mais, à l’époque, c’est tout spontanément qu’on a dit « Dieu nous punit » ; justement, il est très intéressant de voir comment Moïse s’y prend ; il n’entre pas dans la discussion « est-ce que, oui ou non, les serpents sont une punition de Dieu ? » Et d’ailleurs, quand on rencontre quelqu’un qui est dans la maladie ou le deuil, s’il est convaincu que tout cela vient de Dieu, la première urgence n’est peut-être pas de le dissuader.

L’objectif de Moïse, c’est de convertir ce peuple toujours soupçonneux, toujours méfiant à une attitude de foi, c’est-à-dire de confiance, quelles que soient les difficultés rencontrées. Plus que tous les serpents du monde, c’est le manque de foi qui ralentit ce peuple dans sa marche vers la liberté ; car Moïse a bien entendu : il ne s’agit pas d’une simple crise de découragement ; la phrase « pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Etait-ce pour nous faire mourir dans le désert ? » est une véritable mise en cause de Dieu et de Moïse, le même soupçon qui revient toujours (comme à Massa et Meriba) : quelque chose comme « au fond, Dieu et toi, Moïse, vous dites que vous voulez nous sauver, mais en réalité, vous voulez notre mort ».

Or Moïse sait déjà que la vraie vie, c’est de connaître Dieu, c’est-à-dire de lui faire confiance à tout moment. Alors il va prouver à ce peuple encore et toujours soupçonneux que Dieu ne demande qu’à le sauver. Pour éduquer son peuple à cette attitude de foi, Moïse s’appuie sur une pratique qui existait déjà ; la coutume d’adorer un dieu guérisseur existait bien avant lui : ce dieu était représenté par un serpent de bronze enroulé autour d’une perche ; nos caducées en sont peut-être la trace. C’était ni plus ni moins une pratique magique : il suffit de regarder un objet magique, un fétiche et tout s’arrange ; ce que va faire Moïse consiste à transformer ce qui était jusqu’ici un acte magique en acte de foi ; une fois de plus, comme il l’a fait pour des quantités de rites, il ne brusque pas le peuple, il ne part pas en guerre contre leurs coutumes ; il leur dit « faites bien tout comme vous avez l’habitude de faire, mais moi je vais vous dire ce que cela signifie. Faites-vous un serpent, et regardez-le : (en langage biblique, « regarder » veut dire « adorer ») ; mais sachez que celui qui vous guérit, c’est le Seigneur, ce n’est pas le serpent ; ne vous trompez pas de dieu, il n’existe qu’un seul Dieu, celui qui vous a libérés d’Égypte. Quand vous regardez le serpent, que votre adoration s’adresse au Dieu de l’Alliance et à personne d’autre, surtout pas à un objet sorti de vos mains ».

Quand le Livre de la Sagesse, des siècles plus tard, médite cet événement, c’est comme cela qu’il l’interprète : « Quiconque se retournait était sauvé, non par l’objet regardé, mais par toi, le Sauveur de tous ». (Sg 16, 7).
—————————————-
Compléments

- Soit dit en passant, la lutte contre l’idolâtrie, la magie et toutes les pratiques de divination remplit toute l’histoire biblique ; et d’ailleurs, on peut parfois se demander si nous en sommes complètement sortis ? Car chassez le naturel, il revient au galop ! Ce serpent de bronze qui devait conduire le peuple à la vraie foi est redevenu un objet magique ; c’est pour cette raison que, plus tard, le roi Ezéchias le supprimera définitivement : « Ezéchias fit disparaître les hauts lieux, brisa les stèles, coupa le poteau sacré, et mit en pièces le serpent de bronze que Moïse avait fait, car les fils d’Israël avaient brûlé de l’encens devant lui jusqu’à cette époque ». (2 R 18, 4).


PSAUME – 77 (78) , 3-4, 34 – 39

 

3 Nous avons entendu et nous savons
ce que nos pères nous ont raconté :
4 et nous redirons à l’âge qui vient
les titres de gloire du SEIGNEUR.

34 Quand Dieu les frappait, ils le cherchaient,
ils revenaient et se tournaient vers lui :
35 ils se souvenaient que Dieu est leur rocher
et le Dieu Très-Haut, leur rédempteur.

36 Mais de leur bouche ils le trompaient,
de leur langue ils lui mentaient.
37 Leur cœur n’était pas constant envers lui ;
ils n’étaient pas fidèles à son alliance.

38 Et lui, miséricordieux,
au lieu de détruire, il pardonnait.
39 Il se rappelait : ils ne sont que chair,
un souffle qui s’en va sans retour.


Le psaume 77/78 est bien plus long que ce que nous venons d’entendre, mais nous en avons ici un bon résumé : c’est toute l’histoire d’Israël qui est là, une histoire qui s’écrit entre deux acteurs, au long des siècles, dans la succession des générations. Le Dieu fidèle face à un peuple qui se reconnaît inconstant.

Inconstant parce qu’oublieux : Israël est très conscient de l’importance du souvenir ; « Nous avons entendu ce que nos pères nous ont raconté, nous le redirons à l’âge qui vient ». Pour que la foi se transmette, hier comme aujourd’hui, il faut trois conditions : premièrement, quelqu’un a vécu un événement de salut, une expérience de salut, et peut dire « Dieu m’a sauvé » ; deuxièmement, il partage son expérience, il témoigne ; troisièmement, sa communauté se souvient, garde ce témoignage. On pourrait dire que la foi est une expérience de salut partagée en communauté. Cela suppose donc une vie de communauté… (et c’est là peut-être que le bât nous blesse ?)

Le peuple juif sait depuis toujours que la foi n’est pas un bagage intellectuel, mais une expérience commune : l’expérience des dons et des pardons de Dieu. Ce psaume exprime tout cela : il rappelle en soixante-douze versets son expérience de salut ; la grande expérience qui a fondé la foi d’Israël c’est celle de la libération d’Égypte, c’est pour cela que ce psaume est émaillé d’allusions à l’Exode dans le Sinaï. Et les pères ont raconté cette expérience à leurs fils qui l’ont à leur tour racontée à leurs fils et ainsi de suite. Encore faut-il que les fils veuillent bien écouter et adhérer : notre traduction « nous avons entendu » est trop faible, elle ne rend pas la force de l’expression biblique ; « écouter », « entendre », dans la Bible, c’est adhérer de tout son cœur à la Parole de Dieu. Évidemment, si une génération néglige son devoir de transmission, la chaîne est rompue.

Les pères ont bien été obligés également d’avouer à leurs fils qu’ils avaient souvent récriminé contre Dieu ; malgré toutes ses actions répétées de salut à l’égard de son peuple, Dieu n’avait bien souvent rencontré que de l’ingratitude. Après chaque intervention de Dieu, on commence, bien sûr, par chanter, danser, s’extasier ; et puis les jours passent et on oublie ; et si une nouvelle difficulté survient, on trouve que ce Dieu est bien absent ou inactif. Et à ce moment-là, on est tenté d’aller chercher du secours auprès d’autres dieux, comme par exemple le veau d’or.

C’est de cela que parle le psaume quand il accuse le peuple d’infidélités, d’inconstance. « De leur bouche, ils le trompaient, de leur langue ils lui mentaient, leur cœur n’était pas constant envers lui, ils n’étaient pas fidèles à son Alliance. » Ce qui est visé, ici, c’est l’idolâtrie qui a été la cible de tous les prophètes.

Pourquoi ? On peut être sûr que si les prophètes s’attaquent si violemment à l’idolâtrie, c’est parce que celle-ci fait le malheur de l’humanité. Parce que tant que l’humanité n’aura pas découvert Dieu, non pas tel que nous l’imaginons, je devrais dire tel que nous le caricaturons, mais tel qu’Il est, elle ne pourra pas progresser dans sa marche vers le bonheur.

Toute idole nous fait reculer sur le chemin de la liberté ; c’est même cela la définition d’une idole : ce qui nous empêche d’être libres ; quand Marx disait « La religion est l’opium du peuple », il disait crûment quel pouvoir, je devrais dire quelle dictature, quelle manipulation, une religion quelle qu’elle soit, peut exercer sur l’humanité. La superstition, le fétichisme, la sorcellerie nous empêchent d’être libres et d’apprendre à exercer librement nos responsabilités, parce qu’ils nous font vivre dans un régime de peur. Tout culte d’idole, qu’elle soit de bois ou de plâtre (on voit encore au vingt-et-unième siècle des processions de ce genre !), nous détourne du Dieu vivant et vrai : or seule la vérité peut faire de nous des hommes libres ; le culte excessif d’une personne ou d’une idéologie, fait aussi de nous des esclaves : il suffit de penser à tous les intégrismes, les fanatismes qui nous défigurent. L’argent, lui aussi peut fort bien devenir une idole…

Dans d’autres versets qui ne font pas partie de la liturgie de ce dimanche, le psaume a une image très parlante, celle d’un arc faussé : le cœur d’Israël devrait être comme un arc tendu vers son Dieu, mais il est faussé ; je prends un exemple : un adolescent (ou une adolescente) oublie parfois toute l’affection dont il a été l’objet, les sourires que ses parents lui ont prodigués, la patience, les veilles, les soins de toute sorte, les fatigues… et de la meilleure foi du monde, il (ou elle) peut dire « moi, mes parents ne m’ont jamais aimé »… de toute évidence, son regard est faussé et son discours aussi !

Mais c’est au sein de cette ingratitude même qu’Israël a fait la plus belle expérience, celle du pardon de Dieu. Le psaume le dit bien : « Leur cœur n’était pas constant envers lui ; ils n’étaient pas fidèles à son alliance. Et lui, miséricordieux, au lieu de détruire, il pardonnait. Il se rappelait : ils ne sont que chair, un souffle qui s’en va sans retour. » Cette description de ce qu’on pourrait appeler la douce pitié de Dieu prouve que ce psaume a été écrit à une époque où la Révélation du Dieu d’amour avait déjà profondément pénétré la foi d’Israël.

En revanche, vous avez peut-être été choqués par la mention des châtiments attribués à Dieu : « Quand Dieu les frappait, ils le cherchaient, ils revenaient et se tournaient vers lui. » A l’époque où ce psaume a été composé, on attribuait encore généralement à Dieu la responsabilité de tous les événements heureux ou malheureux. Nous savons aujourd’hui que nos malheurs ne sont jamais des châtiments de Dieu (même si cette explication nous tente encore parfois parce que nous n’en avons pas d’autre) ; mais il nous reste encore du chemin à faire pour être définitivement en paix avec lui. Quand la guerre à l’idolâtrie et à tous les esclavages de toute sorte sera définitivement gagnée, nous serons enfin des êtres libres et responsables et nous pourrons marcher main dans la main avec notre Dieu.
—————————————-
Complément

- La grande assemblée de Sichem organisée par Josué avait ce but : rafraîchir la mémoire de ce peuple sujet de tant de sollicitude, mais qui a si souvent tendance à l’oublier (Jos 24 : voir au vingtième dimanche ordinaire B) : après avoir rappelé aux tribus rassemblées toute l’œuvre de Dieu depuis Abraham, il leur a dit : « Choisissez maintenant qui vous voulez servir : soit le SEIGNEUR, soit une idole. » Et les tribus ont fait le bon choix ce jour-là, quitte à l’oublier bien vite !

- La transmission de la foi est ainsi comme une course de relais : « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu », disait saint Paul aux Corinthiens (1 Co 11, 23).

- La liturgie est le lieu privilégié de ce témoignage et de ce « rafraîchissement de la mémoire » : mémoire au sens de gratitude née de l’expérience


DEUXIÈME LECTURE – Philippiens 2, 6 – 11

 

6 Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu,
n’a pas jugé bon de revendiquer
son droit d’être traité à l’égal de Dieu.
7 Mais au contraire, il se dépouilla lui-même
en prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
8 Reconnu comme un homme à son comportement,
il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant
jusqu’à mourir et à mourir sur une croix.
9 C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout.
Il lui a conféré le Nom
qui surpasse tous les noms
10 afin qu’au nom de Jésus,
aux cieux, sur terre et dans l’abîme,
tout être vivant tombe à genoux.
11 Et que toute langue proclame :
« Jésus-Christ est le Seigneur »
pour la gloire de Dieu le Père.


Nous lisons ce passage de saint Paul chaque année pour la fête des Rameaux, cette fois-ci c’est pour la fête de la Croix Glorieuse : ce qui veut bien dire que ces deux célébrations ont un point commun : qui est le lien très étroit entre la souffrance du Christ et sa gloire, ou si vous préférez entre l’abaissement de la croix et l’exaltation de la résurrection.

Paul fait très clairement ce rapprochement : « le Christ s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir et à mourir sur une croix… C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout. » « C’est pourquoi » dit bien qu’il y a un lien très fort ; le problème est de savoir comment. Une chose est sûre : il ne faut à aucun prix lire ces phrases de Paul en termes de récompense : comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Or, presque inévitablement, nous faisons cette lecture-là, c’est notre tendance immédiate, spontanée ; j’ai dit « tendance », je devrais dire tentation, parce que c’est complètement contraire à toute la Révélation. Dieu est amour, nous le disons très facilement, mais nous n’en tirons pas toujours les conséquences ! L’amour ne connaît pas les calculs, le donnant-donnant, ou alors ce n’est pas de l’amour ; même nous, humains qui ne savons pas très bien aimer, nous savons cela, que l’amour est gratuit !

Et donc, toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, est contraire à la « grâce » de Dieu… Curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; à la fois nous parlons sur tous les tons de la « grâce » de Dieu, et en même temps, nous en parlons en termes que j’appellerais « arithmétiques », nous sommes toujours tentés de parler de mérites. La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont peu à peu découvert. La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Chaque fois que nous parlons en termes de donnant-donnant, nous défigurons Dieu. Et donc, si comme nous dit Paul, Jésus a beaucoup souffert puis a été glorifié, ce n’est pas parce qu’en souffrant il aurait accumulé suffisamment de mérites pour acquérir le droit d’être récompensé.

Donc, je crois que, pour être fidèle à ce texte, il faut le lire en termes de gratuité. Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Une évidence qui est sous-jacente à toutes ses lettres, parce qu’il l’a expérimentée lui-même. C’est une évidence telle qu’il ne la reprécise pas.

Je reprends le texte : « Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu » ; il est clair que Paul fait ici allusion à quelqu’un d’autre qui a revendiqué d’être traité à l’égal de Dieu ; évidemment c’est à Adam et Ève qu’il pense ; très certainement, Paul nous offre ici un commentaire du récit de l’épisode du Paradis terrestre : le tentateur avait dit « vous serez comme des dieux », et il avait expliqué que pour le devenir, il suffit de désobéir à Dieu ; ce qu’ils ont fait ; Ève a tendu la main vers le fruit défendu, elle l’a saisi, le grec dit « elle l’a revendiqué ». Mais, parce qu’elle traite les dons de Dieu comme des proies à saisir, elle s’en exclut elle-même. Le récit de la Genèse dit de manière imagée que l’arbre de la vie lui devient désormais inaccessible. Jésus, au contraire, ne considère pas les dons de Dieu comme des proies à saisir, il fait confiance à son Père pour les lui donner, en temps voulu. Jésus-Christ n’a été qu’accueil (ce que saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été qu’accueil du don de Dieu et non revendication, il a pu se laisser combler par son Père, parce qu’il était complètement offert, disponible au don de Dieu.

Revenons à cette phrase : « lui qui était de condition divine n’a pas jugé bon de revendiquer » : ne lisons surtout pas « bien qu’il soit de condition divine… » ; c’est justement parce qu’il est de condition divine, il sait ce que c’est que l’amour gratuit : il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu… Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau : parce que le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est vraiment cela, nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait, en un mot nous traiter comme des dieux : ce projet est absolument gratuit, ce qui évidemment n’a rien d’étonnant, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, j’ai envie de dire tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire.

Etre traité à l’égal de Dieu, c’est donc bien ce que Dieu compte faire ! Et c’est bien cela qui est donné à Jésus en définitive. Paul nous dit qu’il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : le nom de « Seigneur » : c’est le nom de Dieu ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs. Quand Paul dit : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »… il fait allusion à une phrase du prophète Isaïe : « Devant moi tout genou fléchira et toute langue prêtera serment » ( Is 45, 23 ).

L’hymne se termine par « toute langue proclame Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père » : en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, en acceptant de mourir pour révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »… puisque Dieu, c’est l’amour.


ÉVANGILE – Jean 3, 13 – 17

 

13 Nul n’est monté au ciel
sinon celui qui est descendu du ciel,
le Fils de l’homme.
14 De même que le serpent de bronze
fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,
15 afin que tout homme qui croit
obtienne par lui la vie éternelle.
16 Car Dieu a tant aimé le monde
qu’il a donné son Fils unique :
ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas,
mais il obtiendra la vie éternelle.
17 Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde
non pas pour juger le monde,
mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.


Première surprise de ce texte : visiblement, il est question de la Croix du Christ, et Jésus emploie pour en parler un langage extrêmement positif, on pourrait dire « glorieux » : d’une part, il emploie le mot « élevé » ; « il faut que le Fils de l’Homme soit élevé » ; et, d’autre part, cette croix qui est d’abord à nos yeux un instrument de supplice, de douleur, doit nous est présentée comme une preuve de l’amour de Dieu : « Dieu a tant aimé le monde ». Comment l’instrument de torture d’un innocent peut-il être glorieux ?

Deuxième surprise, c’est le rapprochement avec le serpent de bronze ; si Jésus emploie cette image du serpent de bronze, c’est qu’elle était très connue de ses interlocuteurs ; mais l’ennui, c’est que cet épisode nous est à peu près inconnu, et de toute façon pas très compréhensible, parce que très loin de notre culture actuelle.

Je vous rappelle donc très rapidement l’épisode du serpent de bronze ; (que ceux qui ont lu le commentaire de la première lecture ne m’en veuillent pas) ; cela se passe dans le désert du Sinaï pendant l’Exode à la suite de Moïse. Les Hébreux sont assaillis par des serpents venimeux, et comme ils n’ont pas la conscience très tranquille, (parce qu’une fois de plus ils ont « récriminé », comme dit souvent le livre de l’Exode) ils sont convaincus que c’est une punition du Dieu de Moïse ; ils vont donc supplier Moïse d’intercéder pour eux : « Le peuple vint trouver Moïse en disant : Nous avons péché en critiquant le SEIGNEUR et en te critiquant ; intercède auprès du SEIGNEUR pour qu’il éloigne de nous les serpents ! »

Le texte raconte que Moïse intercéda pour le peuple et le Seigneur lui dit : Fais faire un serpent brûlant (c’est-à-dire venimeux) et fixe-le à une hampe : quiconque aura été mordu et le regardera aura la vie sauve. Moïse fit un serpent d’airain et le fixa à une hampe ; et lorsqu’un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent d’airain et il avait la vie sauve. (Nb 21, 7 – 9).

A première vue, nous sommes en pleine magie, en fait, c’est juste le contraire. Je m’explique : la coutume d’adorer un dieu guérisseur existait bien avant Moïse : ce dieu était représenté par un serpent de bronze enroulé autour d’une perche ; une fois de plus, comme il l’a fait pour des quantités de rites, Moïse ne brusque pas le peuple, il ne part pas en guerre contre leurs coutumes ; il leur dit « faites bien tout comme vous avez l’habitude de faire, mais ne vous trompez pas de dieu : il n’existe qu’un seul Dieu, celui qui vous a libérés d’Égypte. Faites-vous un serpent, et regardez-le : (en langage biblique, « regarder » veut dire « adorer ») ; mais sachez que celui qui vous guérit, c’est le Seigneur, ce n’est pas le serpent. Quand vous regardez le serpent, que votre adoration s’adresse au Dieu de l’Alliance et à personne d’autre, surtout pas à un objet sorti de vos mains ». Moïse a donc transformé ce qui était jusqu’ici un acte magique en acte de foi.

Jésus reprend cet exemple à son propre compte : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’Homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle ».

De la même manière que, dans le désert, il suffisait de lever les yeux avec foi vers le Dieu de l’Alliance pour être guéri physiquement, désormais, il suffit de lever les yeux avec foi vers le Christ en croix pour obtenir la guérison intérieure.

Comme souvent dans l’évangile de Jean revient le thème de la foi : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. »
Mais en même temps que Jésus fait un rapprochement entre le serpent de bronze élevé dans le désert et sa propre élévation sur la croix, il manifeste le saut formidable entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Jésus accomplit, certes, mais tout en lui prend une nouvelle dimension.

D’abord, dans le désert, seul le peuple de l’Alliance était concerné ; désormais, en lui, c’est tout homme, c’est le monde entier, qui est invité à croire pour vivre. Deux fois Jésus répète « Tout homme qui croit en lui obtiendra la vie éternelle ».

Ensuite, il ne s’agit plus de guérison extérieure, il s’agit désormais de la conversion de l’homme en profondeur ; au moment de la crucifixion du Christ, Jean écrit : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37), c’est une phrase du prophète Zacharie ; je vous la rappelle, parce qu’elle nous dit bien en quoi consiste cette transformation de l’homme, ce salut que Jésus nous apporte : « Ce jour-là, je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem, un esprit de bonne volonté et de supplication. Alors ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé » (Za 12, 10). L’esprit de bonne volonté et de supplication, c’est tout le contraire des récriminations du désert, c’est l’homme enfin convaincu de l’amour de Dieu pour lui.

Il y a donc deux manières de regarder la croix du Christ : elle est, c’est vrai, la preuve de la haine et de la cruauté de l’homme, mais elle est bien plus encore l’emblème de la douceur et du pardon du Christ : il accepte de la subir pour nous montrer jusqu’où va l’amour de Dieu pour l’humanité. La croix, c’est le lieu même de la manifestation de l’amour de Dieu : « Qui m’a vu a vu le Père » avait dit Jésus à l’apôtre Philippe. Sur le Christ en croix, nous lisons la tendresse de Dieu, quelle que soit la haine des hommes. C’est pour cela qu’on peut dire que la croix est glorieuse : parce qu’elle est le lieu où se manifeste l’amour parfait, c’est-à-dire Dieu lui-même.

Que voyons-nous en effet quand nous nous tournons vers la croix ? Un Dieu assez grand pour accepter de se faire tout petit, assez grand pour continuer sa vie parmi les hommes malgré les incompréhensions et la haine, assez grand pour ne pas fuir devant ses bourreaux, assez grand pour pardonner du haut de la Croix, justement. Ceux qui acceptent de plier le genou devant cette grandeur-là sont pour toujours transformés.
————————————–
Complément

- Voir Jn 1, 12 : « Ceux qui croient en son nom, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, La Croix glorieuse (14 septembre 2014)

Partager cet article

Repost0