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26 août 2023 6 26 /08 /août /2023 15:02
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  22, 19-23

     Parole du SEIGNEUR adressée à Shebna le gouverneur :
19 « Je vais te chasser de ton poste,
     t'expulser de ta place.
20 Et, ce jour-là, j'appellerai mon serviteur,
     Éliakim, fils de Helcias.
21 Je le revêtirai de ta tunique,
     je le ceindrai de ton écharpe,
     je lui remettrai tes pouvoirs :
     il sera un père pour les habitants de Jérusalem
     et pour la maison de Juda.
22 Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David :
     s'il ouvre, personne ne fermera,
     s'il ferme, personne n'ouvrira.
23 Je le planterai comme une cheville dans un endroit solide ;
     il sera un trône de gloire pour la maison de son père. »
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REMANIEMENT MINISTÉRIEL À LA COUR DE JÉRUSALEM

Aujourd’hui, on parlerait de remaniement ministériel. Nous sommes à la cour de Jérusalem sous le règne d’Ézéchias, c’est-à-dire vers 700 av. J.-C. Ézéchias est le fils d’Achaz, c’est lui dont le prophète Isaïe avait annoncé la naissance en disant : « Voici que la jeune femme (le grec dit « vierge ») est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel » (Is 7,14).

Shebna (dont il est question aujourd’hui) fut donc gouverneur du palais de Jérusalem au cours du règne d’Ézéchias (716 – 687). Le poste de gouverneur du palais était certainement important puisqu’il y avait un véritable rituel d’intronisation au moment de la nomination : on en devine des bribes à travers le texte d’aujourd’hui. En particulier, le gouverneur recevait une tunique et une écharpe 1 qui étaient les insignes de sa fonction. Concrètement, parmi les attributions du gouverneur de Jérusalem, figurait le « pouvoir des clés ». Au moment de la remise solennelle des clés du palais royal, il recevait pleins pouvoirs sur les entrées au palais (et donc sur la possibilité d’être mis en présence du roi) et l’on disait sur lui la formule rituelle : « Je mets sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. » (Is 22,22). C’était donc un symbole d’autorité sur le royaume et la marque d’une très grande  confiance de la part du roi.

Mais Shebna s’est mal comporté : en relisant un peu plus largement le contexte qui entoure le passage retenu pour aujourd’hui, on s’aperçoit que le prophète Isaïe (de la part de Dieu, bien sûr), lui fait deux reproches. D’une part, il est de très mauvais conseil pour le roi : la confiance marquée par celui-ci l’autorisait très certainement à prendre position sur les affaires politiques ; et on devine que Shebna faisait partie du clan pro-égyptien.

Je m’explique : le père d’Ézéchias, le roi Achaz, avait dû accepter la tutelle de l’empire assyrien ; le prophète ne l’avait pas souhaitée mais il estimait que la faiblesse du royaume de Jérusalem interdisait toute révolte. Ézéchias, au contraire, tout au long de son règne, cherchera à recouvrer son indépendance, quitte à s’allier avec l’Égypte. Mais cela lui coûtera très cher, à lui et à son peuple ; car chaque tentative de révolte contre le suzerain assyrien, chaque marque d’insoumission est durement réprimée. En 701, effectivement, l’empereur assyrien Sennachérib envahit toute la région, mata très durement les insoumis, annexa purement et simplement la plupart des villes qui composaient le royaume de Jérusalem, aggrava considérablement les conditions financières de sa tutelle et Ézéchias fut bien obligé de se soumettre définitivement.

Les conseils d’alliance avec l’Égypte prodigués par Shebna à Ézéchias étaient donc fort mal inspirés. C’est le premier reproche que lui faisait Isaïe. Il y en avait visiblement un second ; toujours entre les lignes, on devine que Shebna se préoccupait de ses propres intérêts et non de ceux du peuple de Dieu. Or, il lui avait été clairement précisé le jour de sa prise de fonction qu’il devait être « un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda ».

La décision du prophète Isaïe est donc prise : il annonce à Shebna sa destitution et son remplacement par un nouveau gouverneur du palais, Élyakim, un véritable serviteur du peuple. Dans les versets qui précèdent notre texte d’aujourd’hui, Isaïe n’y va pas par quatre chemins : « Voici que le SEIGNEUR va te rejeter, il va te rejeter, grand homme, t’empaqueter comme un paquet, t’enrouler, t’envoyer rouler comme une boule vers un pays aux vastes étendues. C’est là-bas que tu vas mourir, là-bas, dans tes chars prestigieux, toi, le déshonneur de la maison de ton maître. » (Is 22,17-18). (Les chars, « déshonneur d’Ézéchias », sont une allusion à la politique pro-égyptienne prônée par Shebna, à la fureur d’Isaïe). En réalité, il semble que Shebna ait échappé à de trop rudes sanctions puisqu’on le retrouvera quelque temps plus tard comme secrétaire du roi aux côtés du nouveau gouverneur, Élyakim.

Ce texte a probablement été composé pour nous délivrer plusieurs messages :

UN SEUL OBJECTIF, LE SERVICE DU PEUPLE

Premièrement, on peut s’étonner que la Bible, livre dans lequel nous cherchons fondamentalement un langage théologique, une révélation sur Dieu, se complaise à tant de récits historiques, plus ou moins touffus d’ailleurs et aux intrigues de palais, dont celle de Shevna et Éliakim par exemple. Première leçon, Dieu n’est pas à chercher ailleurs que dans le creux même de notre vie ; et rien dans nos vies n’est trop insignifiant à ses yeux ; il se révèle au jour le jour dans notre histoire. C’est là qu’il nous faut apprendre à lire sa présence et son action.

Deuxièmement, nous découvrons le rôle des prophètes : tout d’abord, on devine que le roi était assez docile à ses conseils pour qu’Isaïe puisse se permettre d’intervenir dans les histoires du palais. Et on ne peut qu’admirer la véhémence du prophète, tout occupé, lui, des véritables intérêts du peuple de Dieu. C’est peut-être l’une des caractéristiques d’un véritable prophète.

 Troisièmement, la grande, l’unique préoccupation de Dieu et qui doit être celle de ses serviteurs est le service du peuple : dans la Bible, on ne manque jamais une occasion de rappeler aux responsables que la seule raison d’être de tout pouvoir (celui du roi ou du gouverneur) est l’intérêt du peuple. À tel point que, dès que l’avenir de son peuple est gravement en jeu, Dieu intervient ! Ici, par exemple, Dieu ne laissera pas son roi privé trop longtemps des collaborations indispensables. Et Dieu s’engage à ses côtés pour cette mission : « Je le planterai comme une cheville dans un endroit solide ; il sera un trône de gloire pour la maison de son père. »

Dernière remarque : pour les auteurs du Nouveau Testament, il ne fait pas de doute que Jésus-Christ  est le vrai maître des clés ;  (c'est lui qui, réellement, nous « met en présence du Roi » !) L’Apocalypse, en particulier, en parle à plusieurs reprises ; dans la lettre à Philadelphie, par exemple : « Ainsi parle le Saint, le Vrai, celui qui détient la clé de David, celui qui ouvre - et nul ne fermera -, celui qui ferme - et nul ne peut ouvrir. » (Ap 3,7). L’auteur de l’Apocalypse, ici, a littéralement décalqué la phrase rituelle de l’Ancien Testament.
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Note

1-On pense au pallium de l’Archevêque

Complément

Sur le pouvoir des clés : on lit une autre allusion au pouvoir des clés détenu par le Ressuscité dans la grande vision du premier chapitre de l’Apocalypse : « Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. » (Ap 1,18). C’est bien Jésus, triomphant de la mort, qui est annoncé là : l’image des clés ici nous suggère qu’il a pouvoir d’enfermer les puissances de mort. Ce pouvoir d’ouvrir et de fermer n’a donc rien d’inquiétant : de toute évidence, après tous les siècles de découverte du Dieu d’amour et de pardon, nous savons bien que Jésus ne fermera jamais la porte à l’un de ses frères ; sa phrase « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » est là pour en témoigner. En revanche, c’est au mal qu’il ferme la porte. (cf également Mt 16,19 ;  l’évangile de ce jour).
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PSAUME  137 (138), 1-3. 6.8

1   De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce,
     tu as entendu les paroles de ma bouche.
     Je te chante en présence des anges,
2   vers ton temple sacré, je me prosterne.

     Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
     car tu élèves au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
3   Le jour où tu répondis à mon appel,
     tu fis grandir en mon âme la force.

6   Si haut que soit le SEIGNEUR, il voit le plus humble ;
     de loin, il reconnaît l’orgueilleux ;
8   SEIGNEUR, éternel est ton amour :
     n'arrête pas l'œuvre de tes mains.
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LA PRIÈRE DU PAUVRE TRAVERSE LES NUÉES 

Ce psaume est très court, puisque nous venons de l’entendre presque en entier, mais chacun de ses vers, chacun de ses mots est chargé de toute une histoire ; cette histoire, toujours la même, bien sûr, que nous retrouvons dans tous les psaumes, celle de l’Alliance entre Dieu et Israël. C’est Israël qui a été le peuple choisi par Dieu pour être son confident, son prophète.

Confident de Dieu, il a eu cette révélation que Dieu est Amour ; prophète de Dieu, il est chargé de le dire au monde entier. C’est, je crois, exactement le sens de ce psaume 137/138. Encore une fois c’est Israël tout entier qui parle : le  « je » est un sujet collectif comme dans tous les psaumes.

Je le reprends tout simplement dans l’ordre : et vous verrez qu’il est moins limpide qu’il ne paraît ; d’autant plus que la traduction ne simplifie pas toujours les choses. Notre liturgie a choisi le texte grec, mais le psaume a été originellement écrit en hébreu, il ne faut pas l’oublier. Or le texte primitif hébreu et sa traduction en grec sont par moments assez différents.

Comme un certain nombre de psaumes, celui-ci commence par les deux mots « de David » qui ne nous ont pas été répétés et pour cause parce que personne ne sait très bien ce qu’ils veulent dire au juste ; je crois qu’on pourrait traduire « à la manière de David ». En tout cas, il y a fort peu de chances que ce psaume ait été composé par David, mais que David ait eu le cœur plein d’action de grâce, c’est certain.

Je reprends le premier verset : « De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce » : le texte hébreu ne dit pas la raison de cette action de grâce, sans doute est-elle évidente ; mais le texte grec explicite : « Je te rends grâce car tu as entendu les paroles de ma bouche ». N’est-ce pas justement la caractéristique du croyant que d’être assuré en toutes circonstances que Dieu entend ses cris ? Pour le peuple d’Israël, c’est une conviction bien ancrée depuis l’épisode du buisson ardent. Ce jour-là, Dieu avait dit à Moïse : « J’ai vu, oui, j’ai vu la souffrance de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. » (Ex 3,7). Dieu sait, Dieu entend, Dieu connaît nos difficultés, nos souffrances et il nous donne la force de tenir debout, de ne pas nous laisser submerger par le mal. « Si haut que soit le SEIGNEUR, il voit le plus humble » avons-nous entendu dans ce psaume. Beaucoup plus tard, Ben Sirac le Sage écrira : « La prière du pauvre traverse les nuées » (35,21). Sous-entendu, elle atteint Dieu. Et, plus tard encore, un autre fils d’Israël dira : « (Père), Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours » ; vous avez reconnu la prière de Jésus lorsqu’il se rendit devant le tombeau de Lazare (Jn 11,42).

UN PSAUME À CHANTER DANS TOUTES LES LANGUES

Je continue le psaume : « Je te chante en présence des anges » : là encore une difficulté, ou au moins une différence entre les deux textes hébreu et grec : le mot traduit ici par « anges » était en hébreu « Élohim » qui veut dire « les dieux » ; voilà donc deux formulations franchement différentes ! Dans ces cas-là, il ne faut pas jouer une traduction contre l’autre : les deux sont inspirées, les deux doivent nous inspirer ; « Je te chante en présence des anges », c’est la phrase du croyant déjà transporté dans la liturgie céleste où les serviteurs de Dieu chantent sans fin « Saint ! Saint ! Saint, le SEIGNEUR Dieu de l’univers ! » (Vous avez reconnu là le chant des séraphins au cours de la grande vision d’Isaïe qui détermina sa vocation ; Is 6,3). L’autre traduction possible, « Je te chante devant les Élohîm », est la profession de foi d’Israël : Dieu seul est Dieu, les Élohîm, c’est-à-dire les idoles, les dieux des autres peuples ne sont que néant.

Et si vous avez la curiosité de poursuivre la recherche, vous verrez que le texte syriaque (araméen), lui, a traduit « rois », ce qui veut dire encore autre chose : « je te chante en présence des rois », cette fois c’est l’engagement missionnaire qui est dit : Israël n’oublie pas sa vocation de témoin au milieu des nations. Tous ces sens s’ajoutent les uns aux autres car cette parole de Dieu est vivante dans le cœur de ceux qui la scrutent de génération en génération.

« Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité » : l’expression « ton amour et ta vérité » est l’une des formules préférées pour rappeler l’Alliance de Dieu et son œuvre en faveur de son peuple ; voilà encore un écho de l’événement de l’Exode, car c’est la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse au Sinaï :

« (Je suis) le SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité ». (Ex 34,6). Cette expression « amour et vérité » est devenue très habituelle dans la religion juive.  Elle rappelle à tous la fidélité absolue de Dieu à l’Alliance qu’il a lui-même proposée à son peuple au Sinaï.

A la fin du psaume, nous retrouverons ce thème de l’amour  de Dieu : « éternel est ton amour » ; c’est encore une autre manière de dire la fidélité de Dieu. On retrouve cette formule dans plusieurs psaumes, en particulier, c’est le refrain du psaume 135 (136).

Et le psaume se termine par une demande : « n’arrête pas l’œuvre de tes mains », ce qui veut dire « continue malgré nos infidélités répétées » ; il faut lire ensemble les deux phrases « SEIGNEUR, éternel est ton amour : n’arrête pas l’œuvre de tes mains. » C’est parce que l’amour de Dieu est éternel que nous savons qu’il n’arrêtera pas « l’œuvre de ses mains ».
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LECTURE  DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS  11, 33 - 36

33 Quelle profondeur dans la richesse,
     la sagesse et la connaissance de Dieu !
     Ses décisions sont insondables,
     ses chemins sont impénétrables !
34 Qui a connu la pensée du Seigneur ?
     Qui a été son conseiller ?
35 Qui lui a donné en premier
     et mériterait de recevoir en retour ?
36 Car tout est de lui, et par lui, et pour lui.
     À lui la gloire pour l'éternité ! Amen.
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UN DÉCHIREMENT AU SEIN DU PEUPLE JUIF

Ces lignes clôturent une méditation de Paul sur une situation historique et religieuse à proprement parler bouleversante : depuis plusieurs siècles, le peuple d’Israël se savait et se sentait messager du seul et unique vrai Dieu dans un monde où l’idolâtrie apparaissait comme la relation normale entre l’homme et le divin. Toute l’histoire de ce peuple était celle de l’Alliance que Dieu avait scellée avec lui au cours des événements de l’Exode : d’une troupe de fuyards évadés de l’Égypte, pays de leur servitude, Dieu avait fait un peuple libre ; il lui avait donné des règles de vie, et lui avait promis une fidélité sans faille et un avenir resplendissant : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme tu as vu le SEIGNEUR ton Dieu le faire pour toi en Égypte ? Il t’a été donné de voir tout cela pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu, il n’y en a pas d’autre. (Dt 4,32-35).

Les prophètes avaient de siècle en siècle, et surtout aux pires moments, rappelé à Israël qu’il était le peuple élu et qu’il pouvait compter sur la solidité du pacte que Dieu avait fait avec lui et sur le lumineux avenir qu’il lui avait promis : « Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » (Is 49,6).

Et voilà que tout avait basculé : la naissance de la communauté chrétienne a représenté pour Israël un déchirement de toutes les certitudes : au sein même du peuple juif et émanant de lui est né un nouveau groupe de croyants, les fidèles de Jésus ; Paul est l’un d’eux : il est à la charnière de ces deux communautés, la juive et la chrétienne ; lui-même au début a ressenti comme une trahison de la cause juive la fidélité des disciples de Jésus à leur maître ; devenu chrétien à son tour, il éprouve au plus profond de son cœur un nouveau déchirement. Nous avons lu depuis deux dimanches la souffrance qu’il éprouve et les questions qu’il se pose : le peuple élu va-t-il être écarté ? L’Alliance entre Dieu et Israël peut-elle être rompue au bénéfice d’un autre peuple ?

Pour méditer sur ce problème, Paul, en bon Juif qu’il est toujours, fait appel à toutes les ressources de l’Écriture, ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament. Il y trouve plusieurs motifs d’espérance.
Tout d’abord, Dieu est fidèle à son Alliance, aucun Juif ne saurait en douter. Comme dit le livre du Deutéronome,  « C’est par amour pour vous, et pour tenir le serment fait à vos pères, que le SEIGNEUR vous a fait sortir par la force de sa main, et vous a rachetés de la maison d’esclavage et de la main de Pharaon, roi d’Égypte. » (Dt 7, 8). Le « Dieu d’amour et de vérité » (au sens de fidélité) tel qu’il s’est révélé lui-même ne saurait se renier.

Les prophètes avaient été jusqu’à comparer cette alliance entre Dieu et son peuple à un lien d’amour tel que celui des fiançailles ou du mariage. Dans un moment de grande infidélité du peuple, Osée affirmait que Dieu déployait toutes les ressources de son amour pour ramener la fiancée infidèle : « Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l’entraîner jusqu’au désert et je lui parlerai cœur à cœur... Là, elle me répondra comme au temps de sa jeunesse. » (Osée 2,16…17).

L’ALLIANCE NE PEUT ÊTRE ROMPUE

Et vous vous souvenez des promesses du prophète Isaïe qui comparait l’amour de Dieu pour Israël à celui d’un époux qu’aucune infidélité ne peut lasser : nous les avions lues à propos de cette même lettre aux Romains, pour le dix-neuvième dimanche (Is 54,6-7.10). Par exemple : « Même si les montagnes s’écartaient, si les collines s’ébranlaient, ma fidélité ne s’écarterait pas de toi, mon alliance de paix ne serait pas ébranlée,– dit le SEIGNEUR, qui te montre sa tendresse. » (Is 54,10). C’est pour cela que Paul a pu affirmer un peu plus tôt : « Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance  » (Rm 11,29). C’était notre lecture de dimanche dernier. 

Deuxième motif d’espérance, Dieu sait tirer le bien de tous les événements, même du mal. Paul l’a affirmé un peu plus haut, dans cette même lettre aux Romains : « Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (Rm 8,28). Or ce peuple continue à croire en Dieu, Paul en est sûr. Dans un premier temps, c’est le refus des Juifs devant l’évangile qui est devenu, grâce à Dieu, la chance des païens qui ont été accueillis dans l’Église du Christ. Seul un petit nombre de Juifs, un Reste d’Israël, pour parler comme l’Ancien Testament, y est entré aussi. Dans un deuxième temps, c’est ce Reste d’Israël qui sauvera l’ensemble du peuple qui n’a jamais cessé d’être le peuple de l’Alliance.

Comment cela se fera-t-il ? Paul n’en sait rien, mais cet avenir lui apparaît absolument certain. Devant cette certitude, il tombe en admiration : « Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la connaissance de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! » Humblement, il retrouve les versets des contemplatifs de l’Ancien Testament : l’auteur du psaume 138/139, par exemple, qui chantait : « Savoir prodigieux qui me dépasse, hauteur que je ne puis atteindre... que tes pensées sont pour moi difficiles, Dieu, que leur somme est imposante ! » (Ps 138/139,6.17). Ou le livre de la Sagesse : « Qu’ils sont grands, tes jugements, et difficiles à faire comprendre ! » (Sg 17,1).

Quand il s’exclame : « Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? », il cite en fait les propos du prophète Isaïe : « Qui a mesuré l’esprit du SEIGNEUR ? Qui l’a conseillé pour l’instruire ? De qui a-t-il pris conseil pour discerner, pour apprendre les chemins du jugement, pour acquérir le savoir et s’instruire des voies de l’intelligence ? » (Is 40,13-14 1). Quant au verset : « Qui lui a donné en premier et mériterait de recevoir en retour ? », il l’emprunte au livre de Job : « Qui m’a donné d’avance, que je doive le payer de retour ? » (Jb 41,3).

Rappel salutaire pour les chrétiens auxquels il s’adresse, qui sont majoritairement de culture grecque et donc amoureux de la philosophie : elle était à leurs yeux la plus haute vertu. Manière aussi de ramener ses lecteurs à une saine humilité : les Juifs les précèdent sur le chemin de la Sagesse. La découverte de la Sagesse de Dieu, c’est à Israël que les chrétiens la doivent. Et dans cette foi même qu’il a héritée du Judaïsme, Paul ne perd pas espoir : les desseins de Dieu sont impénétrables : il saura sauver son Alliance.
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Note

1 – Paul cite les paroles d’Isaïe non pas d’après l’original hébreu (d’où la différence avec nos traductions d’Isaïe, qui sont faites à partir du texte hébreu) mais d’après la traduction grecque, la Septante.

Complément

La doxologie qui termine chacune de nos prières eucharistiques « Par lui, avec lui et en lui tout honneur et toute gloire » ressemble à la finale du texte de Paul (verset 36).
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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  16, 13 - 20

     En ce temps-là,
13 Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe,
     demandait à ses disciples :
     « Au dire des gens, qui est le Fils de l'homme ? »
14 Ils répondirent :
     « Pour les uns, Jean le Baptiste ;
     pour d'autres, Élie ;
     pour d'autres encore, Jérémie ou l'un des prophètes. »
15 Jésus leur demanda :
     « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
16 Alors Simon-Pierre prit la parole et dit :
     « Tu es le Christ,
     le Fils du Dieu vivant ! »
17 Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit :
     « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas :
     ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela,
     mais mon Père qui est aux cieux.
18 Et moi, je te le déclare :
     Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ;
     et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle.
19 Je te donnerai les clés du Royaume des cieux :
     tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux,
     et tout ce que tu auras délié sur la terre
     sera délié dans les cieux. »
20 Alors, il ordonna aux disciples
     de ne dire à personne que c’était lui le Christ.
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POUR VOUS, QUI SUIS-JE ?

Très certainement, aux yeux de Matthieu, cet épisode de Césarée constitue un tournant dans la vie de Jésus ; car c’est juste après ce récit qu’il ajoute « À partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. » L’expression « À partir de ce moment » veut bien dire qu’une étape est franchie.

Une étape est franchie, certainement, mais en même temps, et c’est ce qui est le plus surprenant dans ce passage, rien n’est dit de neuf ! Jésus s’attribue le titre de Fils de l’homme, ce qu’il a déjà fait neuf fois dans l’évangile de Matthieu ; et Pierre lui attribue celui de Fils de Dieu, et il n’est pas non plus le premier à le faire ! 

Premier titre, le « Fils de l’homme » : une expression sortie tout droit du livre de Daniel, au chapitre 7 : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » (Dn 7,13-14). Quelques versets plus loin, Daniel précise que ce Fils d’homme n’est pas un individu solitaire, mais un peuple : « Mais ce sont les saints du Très-Haut qui recevront la royauté et la posséderont pour toute l’éternité … La royauté, la domination et la puissance de tous les royaumes de la terre, sont données au peuple des saints du Très-Haut. Sa royauté est une royauté éternelle, et tous les empires le serviront et lui obéiront. » (Dn 7,18.27). Quand Jésus s’applique à lui-même ce titre de Fils de l’homme, il se présente donc comme celui qui prend la tête du peuple de Dieu.

Le deuxième titre qui lui est donné ici, c’est celui de « Fils de Dieu ». En langage du temps, c’était exactement synonyme de « Messie-Roi ». Vous vous rappelez qu’à la fin de l’épisode de la marche sur les eaux, ceux qui étaient dans la barque s’étaient prosternés devant Jésus et lui avaient dit : « Vraiment, tu es Fils de Dieu. » Ce jour-là, les disciples ont reconnu en lui le Messie qu’ils attendaient 1 ; mais cela ne veut pas dire qu’ils ont parfaitement compris la mission de ce Messie : c’est la puissance de Jésus sur la mer qui les a impressionnés. Il leur reste toute une étape à franchir pour découvrir qui est réellement Jésus.

LA PROFESSION DE FOI DE PIERRE À CÉSARÉE

À Césarée, ce qui est nouveau, c’est que Pierre ne dit pas cela devant une manifestation de puissance de Jésus : au contraire, dans les versets qui précèdent la profession de foi de Pierre, Jésus vient de refuser de donner un signe convaincant aux Pharisiens et aux Sadducéens qui le lui demandaient. Maintenant, une étape est franchie, Pierre est en marche vers la foi.  « Heureux es-tu, Simon, fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela (c’est-à-dire tu ne l’as pas trouvé tout seul), mais mon Père qui est aux cieux. »

Ce qui est nouveau aussi, à Césarée, ce n’est pas l’usage de l’un ou l’autre des deux titres de Jésus, c’est leur jonction. « Qui est le Fils de l’homme ? » demande Jésus et Pierre répond « Il est le Fils de Dieu ». Jésus fera le même rapprochement au moment de son interrogatoire par le Grand Prêtre : celui-ci lui demande « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu. » Et Jésus répond : « C’est toi-même qui l’as dit ! En tout cas, je vous le déclare : désormais vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant et venir sur les nuées du ciel. » (Mt 26,63). Jésus parle bien de puissance, mais à ce moment précis, bien sûr, on ne peut plus se tromper : Dieu se révèle non comme un Dieu de puissance et de majesté, mais comme l’amour livré aux mains des hommes.

Dès que Pierre a découvert qui est Jésus, celui-ci aussitôt l’envoie en mission pour l’Église : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église » ; cette Église qui sera son corps et constituera avec lui le Christ total, le peuple des saints du Très-Haut dont parlait le prophète Daniel. Et sur quoi le Christ construit-il son Église ? Sur la personne d’un homme dont la seule vertu est d’avoir écouté ce que le Père lui a révélé. Cela veut bien dire que le seul pilier de l’Église, c’est la foi en Jésus-Christ.

Et Jésus ajoute : « Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux » : c’est ce que l’on appelle « le pouvoir des clés ». Cela ne veut pas dire que Pierre et ses successeurs sont désormais tout-puissants ! Cela veut dire que Dieu promet de s’engager auprès d’eux. Pour nous, il nous faut et il nous suffit d’être en communion avec notre Église pour être en communion avec Dieu. Si l’on se souvient de la première lecture, cela veut dire aussi que la mission de l’Église est d’introduire les hommes auprès du Père.

Dernier motif pour nous rassurer : Jésus dit « JE bâtirai mon Église » : c’est lui, Jésus, qui bâtit son Église. Nous ne sommes pas chargés de bâtir son Église, mais simplement, d’écouter ce que le Dieu vivant veut bien nous révéler. Et, parce que c’est le Christ ressuscité, Fils du Dieu vivant, qui bâtit, nous pouvons en être certains, « La puissance de la Mort ne l’emportera pas ».
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Note

1-En donnant à Jésus le titre de Fils de Dieu, Pierre reconnaissait en lui le Messie, mais, pour autant il n’a pas encore deviné la véritable identité de Jésus, réellement Fils de Dieu fait homme. Pour cela, il faudra la Pentecôte et le don de l’Esprit Saint.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 27 08 2023, 21e dimanche du temps ordinaire A

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17 août 2023 4 17 /08 /août /2023 17:32
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE D’ISAÏE  56,1.6-7

1   Ainsi parle le SEIGNEUR.
     Observez le droit,
     pratiquez la justice.
     Car mon salut approche, il vient,
     et ma justice va se révéler.
6   Les étrangers qui se sont attachés au SEIGNEUR
     pour l’honorer, pour aimer son nom
     pour devenir ses serviteurs,
     tous ceux qui observent le sabbat sans le profaner
     et tiennent fermement à mon alliance,
7   je les conduirai à ma montagne sainte,
     je les comblerai de joie dans ma maison de prière,
     leurs holocaustes et leurs sacrifices
     seront agréés sur mon autel,
     car ma maison s’appellera
     « Maison de prière pour tous les peuples. »
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ISAÏE PARTISAN DE L’OUVERTURE AUX ÉTRANGERS

Il est intéressant de voir à quel point les lectures de ce dimanche se rejoignent : la question, au fond, est toujours la même : jusqu’où nos communautés doivent-elles accepter de s’ouvrir aux étrangers ? Ce qui revient à nous demander si Dieu a des préférences ou s’il aime tous les hommes ?

Évidemment, entre la prédication d’Isaïe (notre première lecture), la lettre de Paul aux chrétiens de Rome et l’évangile de Matthieu, le contexte historique et les circonstances concrètes sont bien différents, mais l’annonce de la miséricorde de Dieu résonne avec la même intensité.

Commençons par Isaïe : il s’agit ici de celui que l’on appelle habituellement le « Troisième Isaïe », un auteur qui écrit dans les premières décennies qui ont suivi l’Exil, donc à la fin du sixième siècle, vraisemblablement, ou au début du cinquième siècle avant J.-C. Nous avons eu souvent l’occasion de voir que la réadaptation n’a pas été simple ; au bout de cinquante ans d’absence, on ne retrouve pas tout comme on l’a laissé ; et comment faire pour cohabiter avec les étrangers qui ont occupé la place entre temps ? Problème plus épineux encore : parmi ces étrangers qui s’étaient installés à Jérusalem à la faveur de l’Exil, il y avait des nouveaux pratiquants, si l’on peut dire ; pendant l’Exil, ils étaient venus dans les synagogues : fallait-il continuer à les accueillir ? La question était justifiée car, jusqu’ici, la doctrine de l’élection marquait une nette séparation entre le peuple élu et les autres. Or, par leur naissance, les étrangers ne font pas partie du peuple élu et donc de la religion juive. Les plus scrupuleux parmi ceux qui rentraient pouvaient bien avoir une tendance à l’élitisme ou à l’exclusive, dans un souci de fidélité. D’autres Juifs étaient partisans d’une ouverture à certaines conditions.

Réciproquement, les étrangers qui frappaient à la porte des synagogues s’inquiétaient du retour des exilés et ils ne craignaient qu’une chose maintenant, c’est d’être mis dehors par ceux qui revenaient d’Exil. Ils se disaient entre eux : « le SEIGNEUR va certainement me séparer de son peuple. » (sous-entendu, on va m’exclure).

Il y avait donc deux camps dans le peuple juif, en quelque sorte : les tenants de l’ouverture aux étrangers et les tenants de la ligne dure, on dirait aujourd’hui « identitaire ». Des deux côtés, probablement, on est venu trouver le prophète ; et celui-ci édicte donc ici de la part de Dieu une règle pratique ; elle n’est probablement pas du goût de tout le monde, puisqu’il prend bien soin de faire précéder son texte de la mention « Ainsi parle le SEIGNEUR » et il ira jusqu’à la répéter trois fois dans la formulation de la décision, dont nous ne lisons qu’un extrait ici ; effectivement, la décision qu’il prône est celle de l’ouverture : ceux qui veulent de bonne foi entrer dans la communauté juive, acceptez-les. Dans les lignes précédentes, on peut lire : « L’étranger qui s’est attaché au SEIGNEUR, qu’il n’aille pas dire : ‘Le SEIGNEUR va sûrement m’exclure de son peuple.’ » (Is 56,3).

LES CONDITIONS DE L’OUVERTURE

Et, dans notre texte d’aujourd’hui, il développe : « Les étrangers qui se sont attachés au SEIGNEUR pour l’honorer, pour aimer son nom, pour devenir ses serviteurs, tous ceux qui observent le sabbat sans le profaner et tiennent ferme à mon alliance, je les conduirai à ma montagne sainte, je les comblerai de joie dans ma maison de prière, leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel. » (6-7) 1.

Au passage, le prophète a quand même clairement indiqué les conditions de l’ouverture : garder les sabbats, pratiquer l’alliance, faire ce qui plaît au Seigneur. Mais l’ouverture est bel et bien là et marque une étape très importante dans la découverte de l’universalisme du projet de Dieu.

L’insistance sur la pratique du sabbat « sans le profaner » est très révélatrice : pendant l’exil, la pratique du sabbat a été un élément très important de la sauvegarde de la vie communautaire et de l’identité juive. Il ne faudrait pas qu’une trop grande ouverture entraîne une perte d’identité ; toutes les religions se heurtent à la difficulté de conjuguer ouverture et maintien des traditions, tolérance et fidélité.

Le prophète n’en reste pas là ; au-delà de la règle pratique, il ouvre sur une annonce prophétique du projet de Dieu, ou plutôt, il replace la règle pratique dans la perspective du projet de Dieu : « Ainsi parle le SEIGNEUR : Observez le droit, pratiquez la justice, car mon salut approche, il vient, et ma justice va se révéler. » L’annonce de la venue prochaine du salut de Dieu remplissait déjà les chapitres précédents (du Deuxième Isaïe), ainsi que la condition de l’accueil du salut de Dieu : « Observez le droit, pratiquez la justice. » Déjà aussi, on mentionnait les peuples étrangers, les « nations », mais il semble bien qu’ils n’étaient encore que témoins de l’œuvre de Dieu en faveur du peuple élu. Je vous lis quelques phrases du Deuxième Isaïe : « Alors se révélera la gloire du SEIGNEUR, et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé. » (Is 40,5) ; « Ma justice, je l’ai fait approcher : elle n’est pas loin, et mon salut tardera pas. Je mettrai le salut en Sion, et en Israël ma splendeur. » (Is 46,13).

Avec le texte d’aujourd’hui, semble-t-il, un pas est franchi : quiconque observe le droit et pratique la justice (v. 1) est désormais admis dans la Maison de Dieu. Voici le texte du verset 2 que la liturgie ne nous fait pas lire ce dimanche : « Heureux l’homme (c’est-à-dire tout homme) qui agit ainsi, le fils d’homme qui s’y tient fermement ; il observe le sabbat sans le profaner, et se garde de toute mauvaise action. » Et le prophète conclut « Car ma maison s’appellera Maison de prière pour tous les peuples. »
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Note

1 – Ces étrangers qui se sont intégrés complètement à la religion juive au point d’en adopter toutes les pratiques, on les appellera plus tard les « prosélytes ».
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PSAUME  66 (67),2-3,5,7-8

2   Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
     que son visage s’illumine pour nous :
3   et ton chemin sera connu sur la terre,
     ton salut, parmi toutes les nations.

5   Que les nations chantent leur joie,
     car tu gouvernes le monde avec justice ;
     tu gouvernes les peuples avec droiture
     sur la terre, tu conduis les nations.

7   La terre a donné son fruit :
     Dieu, notre Dieu, nous bénit.
8   Que Dieu nous bénisse,
     et que la terre tout entière l’adore !
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QUE DIEU NOUS PRENNE EN GRÂCE ET NOUS BÉNISSE

Essayons d’imaginer le cadre : nous assistons à une grande célébration au Temple de Jérusalem : à la fin de la cérémonie, les prêtres bénissent l’assemblée. Et le peuple répond : « Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble ! » (verset 4). Cette même réponse sera répétée par l’assemblée au verset 6. Ce psaume se présente donc comme une alternance : les phrases des prêtres et les réponses de l’Assemblée. Les phrases des prêtres elles-mêmes s’adressent tantôt à l’assemblée, tantôt à Dieu : cela nous désoriente toujours un peu, mais c’est très habituel dans la Bible.

La première phrase de bénédiction des prêtres reprend exactement un texte très célèbre du livre des Nombres : « Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde ! Que le SEIGNEUR fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le SEIGNEUR tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !... » (Nb 6, 24-26). Vous avez reconnu ce texte : c’est la première lecture du 1er janvier de chaque année. Pour un 1er janvier, jour des vœux, c’est le texte idéal ! On ne peut pas formuler de plus beaux vœux de bonheur.

Et au fond, une bénédiction, c’est cela, des vœux de bonheur ! Comme des « vœux de bonheur », effectivement, les bénédictions sont toujours des formules au subjonctif : « Que Dieu vous bénisse, que Dieu vous garde ... » ; cela me rappelle toujours une petite histoire qu’une jeune femme que je connais m’a racontée : elle était malade, à l’hôpital ; le dimanche, quand un prêtre ami est venu lui apporter la communion, il a accompli le rite comme il est prévu et, donc, à la fin il lui a dit : « que Dieu vous bénisse » et elle, sans réfléchir et sans se contenir (mais, à l’hôpital, on a des excuses !) a répondu en riant : « mais qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse d’autre ! » Bienheureuse spontanéité : notre petite dame a fait ce jour-là une grande découverte : c’est vrai : Dieu ne sait que nous bénir, que nous aimer, que nous combler à chaque instant. Et quand le prêtre (que ce soit au temple de Jérusalem ou à l’hôpital, ou dans nos églises), quand le prêtre dit « que Dieu vous bénisse », cela ne veut évidemment  pas dire que Dieu pourrait ne pas nous bénir ! Le souhait est de notre côté si j’ose dire : ce qui est souhaité c’est que nous entrions dans cette bénédiction de Dieu sans cesse offerte...

Ou bien, quand le prêtre dit « Le Seigneur soit avec vous », c’est la même chose : le Seigneur EST toujours avec nous... mais ce subjonctif  « SOIT » dit notre liberté : c’est nous qui ne sommes pas toujours avec lui. On peut en dire autant de la phrase « Que Dieu vous pardonne » ; Dieu pardonne sans cesse : à nous d’accueillir le pardon, d’entrer dans la réconciliation qu’il nous propose.

DIEU POURRAIT-IL NE PAS NOUS BÉNIR ?

Nous savons bien que, du côté de Dieu, les vœux de bonheur à notre égard sont permanents. Vous connaissez la phrase de Jérémie : « Moi, je connais les pensées que je forme à votre sujet – oracle du SEIGNEUR -, pensées de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29,11). Nous savons bien que Dieu est Amour. Toutes les pensées qu’il a sur nous, si j’ose dire, ne sont que des vœux de bonheur.

Autre piste pour comprendre ce qu’est une bénédiction au sens biblique : je reviens au texte du livre des Nombres que nous lisions tout à l’heure et qui ressemble si fort à notre psaume d’aujourd’hui : « Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde... » ; la première phrase du même texte disait :  « le SEIGNEUR parla à Moïse. Il dit : ‘Parle à Aaron et à ses fils. Tu leur diras : Voici comment vous bénirez les fils d’Israël’ » et la dernière phrase : « Ils invoqueront ainsi mon nom sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai. » Quand les prêtres bénissent Israël de la part de Dieu, la Bible dit : « ils invoquent le NOM de Dieu sur les fils d’Israël », et même pour être plus fidèle encore, au texte biblique, il faudrait dire « ils METTENT le NOM de Dieu sur les fils d’Israël ». Cette expression  « Mettre le NOM de Dieu sur les fils d’Israël » est aussi pour nous une définition du mot « bénédiction ». On sait bien que, dans la Bible, le nom, c’est la personne. Donc, être « mis sous le nom de Dieu », c’est être placé sous sa présence, sous sa protection, entrer dans sa présence, sa lumière, son amour. Encore une fois, tout cela nous est offert à chaque instant. Mais encore faut-il que nous y consentions. C’est pour cela que toute formule de bénédiction prévoit toujours la réponse des fidèles. Quand le prêtre nous bénit à la fin de la Messe, par exemple, nous répondons  « Amen », qui est l’expression de notre accord, notre consentement.

Dans ce psaume d’aujourd’hui, la réponse des fidèles, c’est ce refrain « Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble ! » Il y a là une superbe leçon d’universalisme ! Aussitôt qu’il entre dans la bénédiction de Dieu, le peuple élu  répercute en quelque sorte sur les autres la bénédiction qu’il accueille pour lui-même. Et le dernier verset est une synthèse de ces deux aspects : « Que Dieu nous bénisse (sous-entendu, nous son peuple choisi ) ET que la terre tout entière l’adore ». C’est dire que le peuple d’Israël n’oublie pas un instant sa vocation, sa mission au service de l’humanité tout entière. Il sait que de sa fidélité à la bénédiction reçue gratuitement, par choix de Dieu, dépend la découverte de l’amour et de la bénédiction de Dieu par l’humanité tout entière.
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LECTURE  DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS  11, 13-15.29-32

     Frères,
13 je vous le dis à vous, qui venez des nations païennes :
     dans la mesure où je suis moi-même apôtre des païens,
     j’honore mon ministère,
14 mais dans l’espoir de rendre jaloux mes frères selon la chair,
     et d’en sauver quelques-uns.
15 Si en effet le monde a été réconcilié avec Dieu
     quand ils ont été mis à l’écart,
     qu’arrivera-t-il quand ils seront réintégrés ?
     Ce sera la vie pour ceux qui étaient morts !
29 Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance.
30 Jadis, en effet, vous avez refusé de croire en Dieu,
     et maintenant, par suite de leur refus de croire,
     vous avez obtenu miséricorde ;
31 de même, maintenant, ce sont eux qui ont refusé de croire,
     par suite de la miséricorde que vous avez obtenue,
     mais c’est pour qu’ils obtiennent miséricorde, eux aussi.
32 Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes
     dans le refus de croire
     pour faire à tous miséricorde.
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LE GRAND TOURNANT D’ANTIOCHE DE PISIDIE

Aux yeux de Paul, avant sa vision sur le chemin de Damas, l’humanité comprenait deux groupes bien distincts : les Juifs et les non-Juifs, qu’on appelait les « nations » ou les « païens ». Les Juifs avaient une mission et une responsabilité auprès des païens : leur faire connaître le Dieu unique.

Lorsque Jésus ressuscité apparut à Paul, et se fit reconnaître par lui comme le Messie que le peuple d’Israël attendait, Paul comprit que la mission du peuple juif consistait désormais à faire connaître le Christ aux nations païennes. La première tâche de Paul était donc de faire connaître Jésus-Christ à ses frères juifs, et, dans un deuxième temps, les Juifs tous ensemble pourraient en témoigner auprès des non-Juifs.

Cela, c’était le rêve, mais la réalité fut tout-autre : on sait que les Juifs, dans leur grande majorité, ont refusé l’Évangile. D’après les Actes des Apôtres, c’est à Antioche de Pisidie que le problème éclata violemment pour la première fois. Très logiquement, dans un premier temps, Paul et Barnabé avaient commencé à prêcher au nom de Jésus de Nazareth au cours d’une réunion du shabbat, un samedi matin, à la synagogue. Ce jour-là, on les écouta avec intérêt (lui et Barnabé) et on leur demanda de revenir le samedi suivant. Mais, pendant la semaine, on a eu le temps de réfléchir et des clans se sont formés. Le samedi suivant, il y avait une foule nombreuse, paraît-il, mais bigarrée : des Juifs de souche dont certains étaient prêts à croire Paul et d’autres tout à fait hostiles ; mais aussi des non-Juifs, sympathisants de la religion juive, mais non circoncis ; c’étaient donc des païens (on les appelait généralement les « craignant Dieu »).

L’opposition est venue des Juifs de souche : « Le sabbat suivant, presque toute la ville se rassembla pour entendre la parole du Seigneur. Quand les Juifs virent les foules, ils s’enflammèrent de jalousie ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient. » (Ac 13,44). Paul pouvait parfaitement les comprendre, puisqu’il avait connu lui aussi une période de violente opposition à la communauté chrétienne récente, mais il avait à cœur désormais d’annoncer l’évangile de toute urgence. Il a donc décidé de passer outre l’opposition de ses frères juifs et de s’adresser désormais à toutes les bonnes volontés, qu’il s’agisse de Juifs ou de païens. Voici les paroles qu’il a adressées aux membres de la synagogue d’Antioche : « C’est à vous d’abord qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez, et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes. » (Ac 13,46). Même discours à Corinthe quelques années plus tard : « Quand Silas et Timothée furent arrivés de Macédoine, Paul se consacra entièrement à la Parole, attestant aux Juifs que le Christ, c’est Jésus. Devant leur opposition et leurs injures, Paul secoua ses vêtements et leur dit : ‘Que votre sang soit sur votre tête ! Moi, je n’ai rien à me reprocher. Désormais, j’irai vers les païens.’ » (Ac 18,5-6).

DIEU AURAIT-IL RENIÉ SON PEUPLE ?

On retrouve le récit d’autres événements semblables à Éphèse (Ac 19,9). On peut donc dire que si Paul a évangélisé les païens, c’est, en fait, parce que les Juifs, dans leur grande majorité, ont refusé l’Évangile. Et c’est pour cela qu’il écrit aux Romains, anciens païens : « Maintenant, par suite de leur refus de croire (des fils d’Israël), vous avez obtenu miséricorde. » C’est grâce au refus des Juifs de reconnaître en Jésus le Messie que les apôtres ont commencé à évangéliser des non-Juifs. Au passage, cela veut dire que les anciens païens n’ont aucun mérite à faire valoir, puisqu’ils sont en partie redevables de leur propre conversion à Israël lui-même et à son refus.

Mais, dans le plan de Dieu, que devient le peuple juif désormais ? Est-il perdu et en quelque sorte remplacé par les païens ? Pour Paul, il est évident que l’Alliance offerte par Dieu au Sinaï ne peut pas être reniée : « Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance. » C’est pour cela que Paul ne désespère pas de l’avenir d’Israël, bien au contraire : autrefois loin de Dieu, les païens ont maintenant obtenu miséricorde, et les Juifs, par la même occasion, se sont enfermés dans le refus. Mais, tôt ou tard, Israël, à son tour, découvrira avec émerveillement la miséricorde de Dieu. Et Paul a cette affirmation incroyablement audacieuse : « Dieu a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde. » Le mot « pour » ici, une fois de plus, ne veut pas dire un but, une finalité, mais une conséquence.

Ne nous trompons donc pas sur le sens de cet « enfermement » : il n’y a évidemment pas de calcul machiavélique de la part de Dieu : comme s’il avait voulu conduire tous les hommes au péché pour pouvoir leur pardonner à tous. Une telle interprétation serait en contradiction absolue avec l’enseignement de Paul, tout au long de cette lettre : mais, de même que Dieu donne toute sa grâce par amour, de même, dans son amour, il respecte notre liberté ; et lorsque notre liberté va jusqu’à refuser la grâce, il n’insiste pas. Mais, comme toujours, de tout mal, si nous le laissons faire, Dieu fait surgir du bien. La préposition « pour » ne veut pas dire que Dieu a dirigé tous les événements dans un but bien précis ; mais de nos erreurs même, Dieu fait surgir des conséquences bénéfiques : en définitive, Dieu a laissé les hommes s’enfermer dans leur refus et il en a fait surgir le salut de tous.

Essayons de résumer le raisonnement de Paul : « Grâce au refus des Juifs, les païens ont été évangélisés ; cet accueil des païens a exaspéré les Juifs et donc ils se sont enfermés dans leur refus d’un Messie qui ouvrait les portes à n’importe qui. Mais Dieu n’oublie pas son Alliance : il leur suffira d’ouvrir leurs cœurs pour être eux aussi accueillis dans l’Église du Christ. »
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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  15,21-28

     En ce temps-là, partant de Génésareth,
21 Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon.
22 Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, disait en criant :
     « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David !
     Ma fille est tourmentée par un démon. »
23 Mais il ne lui répondit pas un mot.
     Les disciples s’approchèrent pour lui demander :
     « Renvoie-la,
     car elle nous poursuit de ses cris ! »
24 Jésus répondit :
     « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. »
25 Mais elle vint se prosterner devant lui en disant :
     « Seigneur, viens à mon secours ! »
26 Il répondit :
     « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants
     et de le jeter aux petits chiens.
27 Elle reprit : « Oui, Seigneur,
     mais justement, les petits chiens mangent les miettes
     qui tombent de la table de leurs maîtres. »
28 Jésus répondit :
     « Femme, grande  est ta foi,
     que tout se passe pour toi comme tu le veux ! »
     Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.
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L’OPINIÂTRETÉ DE LA CANANÉENNE

Il est intéressant de voir que cette scène intervient tout de suite après un enseignement de Jésus à propos de la pureté ; on sait que dans le monde juif, la pureté n’est pas l’absence de péché, mais l’aptitude à s’approcher de Dieu. Les Pharisiens attachaient beaucoup d’importance aux règles de pureté, pour être dignes de prier et de se rendre au Temple. Jésus, lui, vient de dire que la pureté est d’abord affaire de cœur et d’intention. Au risque de scandaliser les Pharisiens, il a dit : « Ce qui sort de la bouche provient du cœur, et c’est cela qui rend l’homme impur. Car c’est du cœur, que proviennent les pensées mauvaises... C’est là cela qui rend l’homme impur, mais manger sans se laver les mains ne rend pas l’homme impur. » (Mt 15,18-20).

Or, c’est juste après cette controverse que Jésus décide de se rendre en territoire païen, là où justement, tout le monde est impur aux yeux des Juifs puisque personne ne respecte les règles de pureté de la loi juive. Cette Cananéenne, en particulier, qui vient à la rencontre de Jésus est une païenne ; pourtant, elle n’hésite pas à s’adresser à lui pour lui demander de guérir sa fille : » Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. » Sans doute a-t-elle eu vent de la réputation de guérisseur de Jésus.

Curieusement, celui-ci ne répond pas ; ce qui incite ses disciples à intervenir : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ». Cela fait penser à la parabole de l’ami importun rapportée par saint Luc : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : “Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir.” Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : “Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose.” Eh bien ! je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. » (Lc 11,5-8). Il semble bien que par cette parabole Jésus recommande la persévérance dans la prière. La parabole de la veuve opiniâtre et du juge inique (au chapitre 18 de Luc) va dans le même sens et saint Luc précise que Jésus a raconté cette parabole pour dire à ses disciples « la nécessité de toujours prier sans se décourager » (Lc 18,1). C’est exactement ce que fait la Cananéenne et elle importune les disciples qui supplient Jésus d’intervenir. Ce à quoi il leur répond que cette femme est une étrangère, une Cananéenne : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël. »

En disant cela, il se situe résolument dans la perspective du projet de Dieu dont la première étape concerne le peuple d’Israël. Il avait déjà pris position très clairement de la même manière lorsqu’il avait envoyé ses apôtres en mission ; Matthieu raconte : « Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : ‘Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël.’ » (Mt 10,5-6). 

On sait qu’au début de son activité missionnaire, saint Paul, lui aussi, s’était d’abord adressé prioritairement aux Juifs ; c’est ce que l’on pourrait appeler la « logique de l’élection » : Dieu a choisi le peuple d’Israël pour se révéler à lui, à charge pour le peuple élu de relayer cette révélation auprès des autres peuples. Saint Paul, résolument, respectait ce choix. Et seulement dans un deuxième temps, après son échec auprès de la majorité des Juifs, Paul s’est tourné vers les païens. C’était exactement le thème de notre deuxième lecture de ce dimanche.

Il semble bien que Jésus, ici, se situe également dans cette logique de l’élection. C’est au peuple d’Israël et à lui seul qu’il est envoyé pour annoncer la venue du royaume de Dieu et en donner des signes par sa parole et par ses actes. 

LA FOI, SEULE CONDITION DU SALUT

Mais une autre question se pose ici : comment répondre aux étrangers, aux païens qui souhaitent rejoindre le peuple élu ? Peuvent-ils se frayer un chemin vers le salut ? Et, si oui, à quelles conditions ? Cette même question habitait déjà nos deux premières lectures. Vers 500 avant J.-C., Isaïe répondait : oui, des étrangers peuvent être admis dans la maison de Dieu et donc dans la communauté juive, à condition de s’attacher au Dieu d’Israël et de respecter la loi juive.

Jésus, lui, va encore plus loin. Il commence par justifier son refus d’intervenir : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Mais il finit par agir en faveur de la Cananéenne ; et pourquoi change-t-il d’avis ? Parce qu’elle a la foi, dit-il : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! »

Je ferai trois remarques : premièrement, Jésus dit que la Cananéenne a la foi simplement parce qu’elle s’obstine à lui faire confiance ; elle ne se laisse pas rebuter, au contraire, elle insiste : « les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » La foi n’est-ce pas cela : s’obstiner à faire confiance ?

Deuxième remarque : Jésus n’exige de la Cananéenne aucune des pratiques de la religion juive : seulement la foi. C’est très exactement la position que Paul prendra plus tard lorsqu’il évangélisera les païens. On peut penser que la question de l’admission des non-Juifs dans les communautés chrétiennes se posait encore au moment où Matthieu rédige son évangile. Et l’attitude de Jésus envers la Cananéenne a été comprise alors comme un modèle d’accueil des païens, au nom de leur foi.

Enfin, il est évident que l’opiniâtreté de la maman était guidée par son amour pour sa fille. Peut-être aurons-nous l’opiniâtreté suffisante pour demander et obtenir le salut du monde... quand nous l’aimerons assez ?
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Complément

Pourquoi la Cananéenne appelle-t-elle Jésus, fils de David, et quel sens ce titre a-t-il dans sa bouche ? Nous ne le saurons pas ; mais c’est bien en tant que berger d’Israël (messie, descendant de David) qu’il se place quand il dit à ses disciples : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël ».

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 20 08 2023, 20e dimanche du temps ordinaire A

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7 août 2023 1 07 /08 /août /2023 23:23
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU PREMIER LIVRE DES ROIS  19, 9a.11-13a

     En ces jours-là,
     lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb, la montagne de Dieu,
9   il entra dans une caverne et y passa la nuit.
11 Le SEIGNEUR dit :
     « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le SEIGNEUR,
     car il va passer. »
     À l’approche du SEIGNEUR,
     il y eut un ouragan, si fort et si violent
     qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers,
     mais le SEIGNEUR n’était pas dans l’ouragan ;
     et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre,
     mais le SEIGNEUR n’était pas dans le tremblement de terre ;
12 et après ce tremblement de terre, un feu,
     mais le SEIGNEUR n’était pas dans ce feu,
     et, après ce feu, le murmure d’une brise légère.
13 Aussitôt qu’il l’entendit,
     Élie se couvrit le visage avec son manteau,
     il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.
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ALORS SE LEVA LE PROPHÈTE ÉLIE, BRÛLANT COMME UNE TORCHE

Ce récit est celui de la grande découverte d’Élie, le jour où il a compris qu’il s’était lourdement trompé sur Dieu. Je m’explique : Tout avait commencé par l’idolâtrie de la reine Jézabel : nous sommes à Samarie (capitale du royaume du Nord) au 9e siècle av. J.-C. Le roi Achab (qui a régné à Samarie de 875 à 853) avait épousé une princesse païenne, Jézabel, fille du roi de Sidon. Celle-ci, comme tout son peuple, pratiquait le culte des Baals : en entrant à la cour de Samarie, elle aurait dû abandonner sa religion, car le roi d’Israël se devait de proscrire de son royaume toute idolâtrie ; car l’Alliance avec le Dieu UN, était exclusive de toute autre ; c’était le sens du tout premier commandement donné par Dieu au Sinaï :  « Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. » (Ex 20,2).

Mais, bien au contraire, Jézabel avait introduit à la cour de Samarie de nombreux prêtres de Baal : quatre cents prêtres de ce culte idolâtre paradaient au palais et prétendaient désormais que Baal est le vrai Dieu de la fertilité, de la pluie, de la foudre et du vent. Quant au roi Achab, trop faible, il laissait faire ! C’était la honte pour le prophète et les fidèles du Seigneur.

Alors Élie s’était dressé pour défendre l’honneur de son Dieu, face à la paganisation croissante. Dressé avec tant de vigueur que le livre de Ben Sirac a pu dire de lui : « Le prophète Élie surgit comme un feu, sa parole brûlait comme une torche. » (Si 48,1). Il s’était fait le champion de l’Alliance : d’emblée, il s’était situé comme le représentant du Dieu d’Israël combien plus puissant que Baal. Alors, inexorablement, les relations entre le prophète et la reine étaient devenues un concours de puissance entre le Dieu d’Israël et le Baal de Jézabel : « Mon Dieu à moi est le plus fort » était leur refrain commun.

Élie s’était ainsi placé sur le terrain même de l’idole des Cananéens : d’après lui, seul, le Dieu d’Israël pouvait annoncer la sécheresse et la famine. Qui donc a le pouvoir de donner ou de retenir la pluie ? On va voir ce qu’on va voir. On connaît la suite : une longue période de sécheresse annoncée par Élie jusqu’au jour où Dieu lui demanda de prévenir le roi qu’il allait envoyer la pluie. Or Élie fit du zèle, pourrait-on dire, ce jour-là : au lieu de se contenter de faire ce que Dieu lui avait demandé, c’est-à-dire de porter au roi la bonne nouvelle, il décida d’en profiter pour faire un grand coup d’éclat en l’honneur de son Dieu. Pour que l’on sache bien que le Dieu d’Israël seul maîtrise les éléments, il organisa une sorte de joute entre les prophètes de Baal d’un côté et lui tout seul de l’autre.

C’est le fameux épisode du sacrifice du mont Carmel : on construisit deux autels, un pour Baal, l’autre pour le Dieu d’Israël. Sur chacun des deux autels, on prépara un taureau pour le sacrifice. Et l’on convint que le dieu qui répondrait aux prières par le feu du ciel serait bien évidemment le vrai Dieu.

Alors les prêtres de Baal se mirent en prière les premiers. Mais ils eurent beau implorer toute une journée leur dieu d’envoyer son feu sur leur bûcher, il ne se passa rien. Élie ne leur épargna pas les moqueries et les conseils de crier plus fort, mais rien n’y fit.

Le soir venu, à son tour, Élie se mit à prier le Dieu d’Israël, et aussitôt, le bûcher s’embrasa ainsi que le sacrifice préparé par son prophète. Celui-ci avait donc gagné la première manche devant le peuple d’Israël tout entier, médusé ; et sur sa lancée, Élie avait massacré tous les prêtres de Baal ; mais notons bien que, cela, Dieu ne le lui avait pas demandé !

La reine Jézabel n’était pas présente à l’événement, mais lorsque le roi lui raconta l’histoire, elle entra dans une grande fureur et jura de tuer Élie. Il s’enfuit donc, descendit dans le royaume du Sud, puis dans le désert du Sinaï. Dans sa fuite, il en arrivait à désirer la mort : « Maintenant, SEIGNEUR, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » (1 R 19,4).

LA GRANDE DÉCOUVERTE D’ÉLIE

Cette phrase « je ne vaux pas mieux que mes pères » était le début de sa conversion : il était en train de prendre conscience qu’il s’était trompé de Dieu et qu’il n’avait pas hésité à utiliser le violence pour des motifs religieux…que, lui aussi, comme ses pères avait exigé que Dieu opère des prodiges. Il lui restait à découvrir que la puissance de Dieu est faite de douceur, celle qui « ne crie pas, ne hausse pas le ton, ne fait pas entendre sa voix au-dehors, ne brise pas le roseau qui fléchit, n’éteint pas la mèche qui faiblit » comme dit le prophète Isaïe (Is 42,2-3). Au bout d’une marche de quarante jours et quarante nuits, au mont Horeb (autre nom du mont Sinaï), Dieu l’attendait 1 : il aura fallu tout ce long chemin à Élie pour s’apercevoir qu’il n’avait pas choisi le bon terrain et que peut-être lui-même se trompait de Dieu : comme ses adversaires, il imaginait un Dieu de puissance.

Mais Dieu ne l’a pas abandonné pour autant, au contraire, il l’a accompagné dans sa longue marche et, peu à peu l’a converti jusqu’à se révéler à lui dans la vision émouvante du mont Horeb (1 R 19,12) ; dernière préparation à la rencontre, la question du Seigneur à Élie réfugié dans une caverne : « Que fais-tu là, Élie ? » Il répondit : « J’éprouve une ardeur jalouse pour toi, SEIGNEUR, Dieu de l’univers. Les fils d’Israël ont abandonné ton Alliance, renversé tes autels, et tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis le seul à être resté et ils cherchent à prendre ma vie. » (1 R 19,9-10).

Puis vient cette étonnante manifestation de Dieu : il n’est ni dans l’ouragan, ni dans le feu ni dans le tremblement de terre, mais dans le murmure d’une brise légère. Et encore, notre traduction est-elle trop forte si j’ose dire. En hébreu, c’est, littéralement « le son d’un silence en poussière » : un silence, c’est l’absence de son, précisément ! Et que dire d’une poussière de silence ? C’est dire que nous sommes en présence d’un Dieu de douceur, bien loin du vacarme auquel Élie s’attendait peut-être. Mais non, Dieu n’est ni dans l’ouragan, ni dans le feu ni dans le tremblement de terre, mais dans le son du silence.

On est bien loin de la démonstration de puissance qui avait accompagné une autre manifestation de Dieu, quelques siècles plus tôt, sur cette même montagne (Ex 19) 2. Au temps de Moïse, le peuple n’était pas encore prêt à mettre sa confiance en un Dieu qui n’aurait pas déployé les forces des éléments déchaînés. À l’époque d’Élie, l’heure est venue pour une nouvelle étape de la Révélation.

C’est l’honneur et la gloire du peuple élu d’avoir livré au monde cette révélation dont ils ont été les premiers bénéficiaires, avec Élie. C’est dire aussi à quelle douceur nous devons tendre si nous voulons être à l’image de notre Père du ciel !
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Notes

1 – D’après notre traduction liturgique « Élie entra dans une caverne et y passa la nuit », comme s’il s’agissait d’une caverne ordinaire, parmi d’autres. Mais le texte hébreu précise : « Il arriva là, à la caverne et y passa la nuit ». Il s’agit d’une certaine caverne déjà connue, celle où Moïse, bien avant lui, avait eu la révélation du « SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » (Ex 34,6).

2 – « Il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne, et une puissante sonnerie de cor… La montagne du Sinaï était toute fumante, car le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; la fumée montait, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait violemment. La sonnerie du cor était de plus en plus puissante. Moïse parlait, et la voix de Dieu lui répondait. » (Ex 19,16… 19).

  • Complément

On ne peut pas ignorer qu’Élie n’est pas devenu un doux pour autant ! Il suffit de relire le premier chapitre du deuxième livre des Rois. Même un très grand prophète ne se convertit pas en un jour !
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PSAUME  84 ( 85 ), 9-10, 11-12, 13-14

9   J’écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ?
     Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
10 Son salut est proche de ceux qui le craignent,
     et la gloire habitera notre terre.

11 Amour et vérité se rencontrent,
     justice et paix s’embrassent ;
12 la vérité germera de la terre
     et du ciel se penchera la justice.

13 Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits,
     et notre terre donnera son fruit.
14 La justice marchera devant lui,
     et ses pas traceront le chemin.
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AU RETOUR DE L’EXIL

Le psaume 84 (85) a été écrit après le retour d’Exil du peuple d’Israël : ce retour tant attendu, tant espéré. Ce devait être un merveilleux recommencement : c’était le retour au pays, d’abord, mais aussi le début d’une nouvelle vie... Dieu effaçait le passé, on repartait à neuf... Du moins, l’espérait-on. Mais la réalité est moins rose. D’abord, on a beau prendre de « bonnes résolutions », rêver de repartir à zéro (nous en savons tous quelque chose !), on se retrouve toujours à peu près pareils... et c’est très décevant. Les manquements à la Loi, les infidélités à l’Alliance ont recommencé, inévitablement.

Ensuite, il faut dire que l’Exil à Babylone a duré, à peu de chose près, cinquante ans (de 587 à 538 av.J.) ; ce sont des hommes et des femmes valides, d’âge mûr pour la plupart, qui ont été déportés et qui ont survécu à la marche forcée à travers le désert qui sépare Israël de Babylone... Cela veut dire que cinquante ans après, au moment du retour, beaucoup d’entre eux sont morts ; ceux qui rentrent au pays sont, soit des jeunes partis en 587, mais dont la mémoire du pays est lointaine, évidemment, ou bien des jeunes nés pendant l’Exil. C’est donc une nouvelle génération, pour une bonne part, qui prend le chemin du retour. Cela ne veut pas dire qu’ils ne seraient ni très fervents, ni très croyants, ni très catéchisés... Leurs parents ont eu à cœur de leur transmettre la foi des ancêtres ; ils sont impatients de rentrer au pays tant aimé de leurs parents, ils sont impatients de reconstruire le Temple et de recommencer une nouvelle vie. Mais au pays, justement, ils sont, pour la plupart des inconnus, et, évidemment, ils ne reçoivent pas l’accueil dont ils avaient rêvé ; par exemple, on sait que la reconstruction du Temple s’est heurtée sur place à de farouches oppositions.

Dans le début de notre psaume d’aujourd’hui, on ressent bien ce mélange de sentiments ; voici des versets qui ne font pas partie de la liturgie de ce dimanche, mais qui expliquent bien le contexte : le retour d’Exil est une chose acquise : « Tu as aimé, SEIGNEUR, cette terre, tu as fait revenir les déportés de Jacob ; tu as ôté le péché de ton peuple, tu as couvert toute sa faute ; tu as mis fin à toutes tes colères, tu es revenu de ta grande fureur. » (v.2-4). Mais, pour autant, puisque les choses vont mal encore, on se demande si Dieu ne serait pas encore en colère : « Seras-tu toujours irrité contre nous, maintiendras-tu ta colère d’âge en âge ? » (v.6). Alors on supplie : « Fais-nous voir, SEIGNEUR, ton amour, que nous soit donné ton salut. » (v.8).

RETOUR AU PAYS, MAIS SURTOUT RETOUR VERS DIEU

Et on demande la grâce de la conversion définitive : « Fais-nous revenir, Dieu notre salut » (v.5) ; toute la première partie du psaume joue sur le verbe « revenir » : « revenir » au sens de rentrer au pays après l’exil, c’est chose faite ; « revenir » au sens de « revenir à Dieu », « se convertir »; c’est plus difficile encore ! Et on sait bien que la force, l’élan de la conversion est une grâce, un don de Dieu. Une conversion qui exige un engagement du croyant : « J’écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ? » « Écouter », en langage biblique, c’est précisément l’attitude résolue du croyant, tourné vers son Dieu, prêt à obéir aux commandements, parce qu’il y reconnaît le seul chemin de bonheur tracé pour lui par son Dieu. « Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles »  ; mais le compositeur de ce psaume est réaliste ! Il ajoute « Qu’ils (les fidèles) ne reviennent jamais à leur folie ! » (9c).

La fin de ce psaume est un chant de confiance superbe, en quelque sorte « le chant de la confiance revenue », la certitude que le projet de Dieu, le projet de paix pour tous les peuples avance irrésistiblement vers son accomplissement. « La gloire (c’est-à-dire le rayonnement de la Présence de Dieu) habitera notre terre (10)... La justice marchera devant lui et ses pas traceront le chemin. (14)... Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent (11). Le psalmiste, ici, est-il bien réaliste ? Il parle comme si l’harmonie régnait déjà sur la terre ; pourtant, il n’est pas dupe, il n’est pas dans le rêve ! Il anticipe seulement ! Il entrevoit le Jour qui vient, celui où, après tant de combats et de douleurs inutiles, et de haines imbéciles, enfin, les hommes seront frères !

Pour les chrétiens, ce Jour est là, il s’est levé lorsque Jésus-Christ s’est relevé d’entre les morts, et, à leur tour, les chrétiens ont chanté ce psaume, et pour eux, désormais, à la lumière du Christ, il a trouvé tout son  sens. Le psaume disait : » Son salut est proche de ceux qui l’aiment » (10) et justement le nom de Jésus veut dire « Dieu-salut » ou « Dieu sauve » ; le psaume disait : « La vérité germera de la terre » ; Jésus lui-même a dit « Je suis la Vérité » et le mot « germe », ne l’oublions pas, était l’un des noms du Messie dans l’Ancien Testament ; le psaume disait « La gloire habitera notre terre », et saint Jean, dans son Évangile dit « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père » (Jn 1,14) ; le psaume disait : « J’écoute, que dira le Seigneur Dieu ? » ; Jean appelle Jésus la Parole, le Verbe de Dieu ; le psaume disait : « Ce que Dieu dit, c’est la paix pour son peuple » ; lors de ses rencontres avec ses disciples, après sa Résurrection, la première phrase de Jésus pour eux sera « La paix soit avec vous » ; décidément, toute la Bible nous le dit, la paix, cette conquête apparemment impossible pour l’humanité, est pourtant notre avenir, à condition de ne pas oublier qu’elle est don de Dieu.
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Complément

Lorsque nous accomplissons à la Messe le geste de paix, nous proclamons qu’elle est l’œuvre de Jésus-Christ et nous nous engageons à y collaborer.
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LECTURE  DE LA LETTRE DE SAINT PAUL, APÔTRE AUX ROMAINS  9,1-5

     Frères,
1   c’est la vérité que je dis dans le Christ,
     je ne mens pas,
     ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint :
2   j’ai dans le cœur une grande tristesse,
     une douleur incessante.
3   Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race,
     je souhaiterais être anathème, séparé du Christ :
4   ils sont en effet israélites,
     Ils ont l’adoption, la gloire, les alliances,
     la législation, le culte, les promesses de Dieu ;
5   ils ont les patriarches,
     et c’est de leur race que le Christ est né,
     lui qui est au-dessus de tout,
     Dieu béni pour les siècles. Amen.
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DIEU AURAIT-IL ABANDONNÉ LE PEUPLE JUIF ?

Les huit premiers chapitres de la lettre aux Romains ont décrit, pas à pas, la démarche de la grâce, le déroulement du dessein d’amour de Dieu, depuis Adam et Abraham, jusqu’au Christ ressuscité des morts qui donne l’Esprit. Devant tout cela, Paul a dit son émerveillement, mais une grave question le préoccupe douloureusement : qu’en est-il désormais de la destinée du peuple Juif ?

Nous savons ce qui est lui arrivé à lui, Saül, ce juif fidèle à l’extrême, lorsque, sur la route de Damas, il a vu s’écrouler toutes ses certitudes... Il a compris, ce jour-là, que croire au Christ n’est pas un reniement de sa foi juive, bien au contraire, puisque Jésus accomplit en sa personne, par sa vie, sa mort et sa résurrection, le projet de Dieu annoncé dans les Écritures. Désormais ce sera l’essentiel de sa prédication : « Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Évangile, vous l’avez reçu ; c’est en lui que vous tenez bon, c’est par lui que vous serez sauvés. Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre, puis aux Douze…Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis. » (1 Co, 15,1... 9).

Et lorsqu’il aura à répondre au tribunal de son activité d’apôtre, après son arrestation par les autorités juives à Jérusalem, Paul déclarera : « Fort du secours que j’ai reçu de Dieu, j’ai tenu bon jusqu’à ce jour pour rendre témoignage devant petits et grands. Je n’ai rien dit en dehors de ce que les prophètes et Moïse avaient prédit. » (Ac 26,22).

Mais ses frères juifs, dans leur grande majorité, non seulement ne l’ont pas suivi, mais, pour beaucoup d’entre eux sont devenus ses pires persécuteurs. À la date à laquelle Paul rédige sa lettre aux Romains, on n’en est pas encore à la séparation officielle entre juifs et chrétiens, quand ceux-ci seront chassés des synagogues et qualifiés d’apostats dans la prière juive ; mais Paul souffre profondément de l’hostilité qu’il rencontre dans toutes les communautés juives où il tente d’annoncer la Bonne Nouvelle. Alors, il se pose la question : que devient la partie du peuple élu qui ne reconnaît pas Jésus comme le Messie ? Est-elle exclue de l’Alliance ? Si c’était le cas, cela voudrait dire que l’Alliance pouvait être rompue… Dieu aurait-il repris sa liberté ? Dieu n’était donc pas tenu par ses promesses ?

Mais si Dieu n’est pas tenu par ses promesses, les chrétiens non plus ne peuvent pas compter sur la fidélité de Dieu ?     

La réponse à cette question, Paul va la chercher logiquement dans l’Écriture et dans l’histoire d’Israël ; il énumère tous les privilèges du peuple choisi par Dieu, et qui sont les piliers de la foi d’Israël : « Ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né. »

Pour Paul, juif imprégné des Écritures, cette liste à elle seule évoque toute l’histoire du peuple choisi : on peut essayer d’imaginer à quels passages de l’Écriture Paul faisait référence.

NON, DIEU RESTE FIDÈLE CAR IL NE PEUT SE REJETER LUI-MÊME

Je reprends un à un chacun de ces éléments. En ce qui concerne l’adoption, Dieu lui-même avait recommandé à Moïse : « Tu diras au Pharaon : ainsi parle le SEIGNEUR : Mon fils premier-né, c’est Israël. » (Ex 4,22). Et Osée, méditant la longue aventure de l’Exode, disait en écho : « Oui, j’ai aimé Israël dès son enfance, et, pour le faire sortir d’Égypte, j’ai appelé mon fils. » (Os 11,1). Paul pensait peut-être également au Deutéronome : « Vous êtes des fils pour le SEIGNEUR votre Dieu » (Dt 14,1).

La gloire de Dieu, c’est le rayonnement de sa Présence : or Israël a bénéficié de plusieurs manifestations de Dieu. Ce fut le cas dans la grande manifestation (dans l’orage et le feu ; Ex 19) au mont Sinaï que j’ai rappelée à propos de la première lecture. Ce fut le cas également lorsque la Présence de Dieu se manifesta au-dessus de la Tente de la Rencontre qui venait d’être dressée pour abriter l’Arche d’Alliance : « La nuée couvrit la tente de la Rencontre et la gloire du SEIGNEUR remplit la demeure. » (Ex 40,34). Dieu gratifia encore Salomon d’une manifestation semblable au moment de la dédicace du Temple qui venait d’être construit (1 R 8,10-11). Et, dans le psaume de ce dimanche, nous avons chanté : « Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. » (Ps 84/85,10).

Autre privilège dont Israël pouvait être fier, cette Alliance reconduite d’âge en âge : tout avait commencé avec Abraham, puis Isaac, puis Jacob. Et au Sinaï, Dieu avait promis à son peuple : « Vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples. » (Ex 19,5). Et c’est bien envers le peuple et non pas seulement envers Moïse qu’il s’était engagé.

La loi donnée à ce moment-là par Dieu était comprise comme une preuve de sa sollicitude pour son peuple, de sa volonté de le faire grandir dans la paix et la liberté. Au pied du Sinaï, le peuple avait promis « Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique. » (Ex 19,8). Et si l’on pratiquait si volontiers le culte, c’est parce que toute célébration était vécue comme une rencontre entre Dieu et son peuple pour le renouvellement de cette Alliance. En attendant le jour béni où toutes les promesses de bonheur faites par Dieu seraient enfin accomplies avec la venue du Messie.

Et voilà que le Messie était venu… et que son peuple, dans sa grande majorité, l’avait méconnu, pire, éliminé. On comprend à quel point la question pouvait être douloureuse pour Paul, lui qui avait eu aussi sa période de refus. Mais c’est dans sa foi, et dans l’Écriture qu’il a trouvé la réponse. La longue énumération que nous venons de faire avec lui dicte la solution.

Non, il est impossible que Dieu oublie son peuple, lui-même l’a promis : « Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas. » (Is 49,15) ; « Même si les montagnes s’écartaient, si les collines s’ébranlaient, ma fidélité ne s’écarterait pas de toi, mon alliance de paix ne serait pas ébranlée,– dit le SEIGNEUR, qui te montre sa tendresse. » (Is 54,10).

Oui, c’est sûr, d’une manière mystérieuse pour nous, mais de manière certaine, Israël reste aujourd’hui encore, le peuple élu : l’argument décisif, Paul l’a écrit à Timothée, « Dieu reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même. » (2 Tm 2,13).
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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 14,22-33

     Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert,
22 Jésus obligea les disciples à monter dans la barque
     et à le précéder sur l’autre rive,
     pendant qu’il renverrait les foules.
23 Quand il les eut renvoyées,
     il gravit la montagne, à l’écart, pour prier.
     Le soir venu, il était là, seul.
24 La barque était déjà à une bonne distance de la terre,
     elle était battue par les vagues,
     car le vent était contraire.
25 Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux
     en marchant sur la mer.
26 En le voyant marcher sur la mer,
     les disciples furent bouleversés.
     Ils disaient : « C’est un fantôme. »
     Pris de peur, ils se mirent à crier.
27 Mais aussitôt Jésus leur parla :
     « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! »
28 Pierre prit alors la parole :
     « Seigneur, si c’est bien toi,
     ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. »
29 Jésus lui dit : « Viens ! »
     Pierre descendit de la barque,
     et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus.
30 Mais, voyant la force du vent, il eut peur
     et, comme il commençait à enfoncer, il cria :
     « Seigneur, sauve-moi! »
31 Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit,
     et lui dit :
     « Homme de peu de foi,
     pourquoi as-tu douté ? »
32 Et quand ils furent montés dans la barque,
     le vent tomba.
33 Alors ceux qui étaient dans la barque
     se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent :
     « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
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CONFIANCE ! C’EST MOI ; N’AYEZ PLUS PEUR ! 

Ceci se passe tout de suite après la multiplication des pains. Les disciples ont eu tout juste le temps de ramasser les douze corbeilles de ce qui restait, après que toute la foule ait été rassasiée. Et Jésus, nous dit Matthieu, les oblige aussitôt à quitter les lieux. On peut se demander pourquoi ; il y a peut-être deux raisons à cela : première raison, l’urgence de la mission. On se souvient d’une phrase rapportée par Marc : c’était après une longue journée à Capharnaüm et de nombreuses guérisons. Pierre et ses compagnons auraient bien retenu Jésus, mais il leur avait répondu : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile : car c’est pour cela que je suis sorti. » (Mc 1,39). En d’autres termes, il n’y a pas de temps à perdre.

Il y a plus grave, peut-être. Matthieu, dans l’épisode des tentations (Mt 4,1-11), nous dit bien que Jésus a dû résister à la tentation du succès. Quand le Tentateur lui avait suggéré de changer des pierres en pain pour assouvir sa propre faim, Jésus avait refusé. Ici, il venait de multiplier les pains, pour servir son peuple. Mais la deuxième tentation se profilait peut-être à l’horizon : « Jette-toi du haut du Temple » pour faire un grand coup d’éclat, avait suggéré le Tentateur (Mt 4). Et, là encore, Jésus avait su résister. Mais ici, au bord du lac, après l’impressionnant miracle des pains pour une foule nombreuse, peut-être Jésus a-t-il craint pour lui-même ou pour ses disciples le risque de céder au spectaculaire. 

Si c’est le cas, on comprend d’autant mieux le désir de Jésus de se ressourcer dans la prière. « Quand il eut renvoyé les foules, nous dit Matthieu, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. » Je crois que Jésus était en dialogue permanent avec son Père, mais, peut-être parfois ressentait-il le besoin de silence pour être plus disponible à l’Esprit qui lui soufflait la direction à prendre. 

Regardons ce qui se passe dans la barque, maintenant : « Elle était battue par les vagues,            paraît-il, car le vent était contraire ». Pierre et ses compagnons étaient des habitués du lac de Tibériade, il ne semble pas qu’ils aient été pris de panique devant le gros temps. Les choses ont changé quand ils ont vu quelqu’un s’approcher de la barque en marchant sur les vagues. Cette fois, ils ont eu peur, le prenant pour un fantôme, et ils se sont mis à crier. Alors a retenti cette voix bien connue, inimitable, comme toute voix amie, et elle disait « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Des mots déjà entendus, des mots d’apaisement. Toute peur cessante, Pierre s’est lancé : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Le même, qui avait peur, l’instant d’avant, est prêt à tout, parce qu’il a entendu la voix.

HOMME DE PEU DE FOI, POURQUOI AS-TU DOUTÉ ?

On connaît la suite : Jésus, répondant à l’élan de son disciple, a simplement dit « Viens » ; et Pierre, aussi incroyable que cela puisse paraître, Pierre a su marcher sur l’eau ! Pourquoi a-t-il regardé ailleurs ? Il a vu le vent et a pris peur. Alors, il a commencé à couler. Matthieu ne peut pas mieux décrire la condition de tout disciple : faite d’élans sincères et de fragilités. « L’esprit est ardent mais la chair est faible » disait Jésus (Mt 26,41). Pourtant, si Jésus a dit « Viens ! », c’est parce que cela était possible, avec son aide, bien sûr. Mais il ne fallait pas regarder ailleurs et s’inquiéter de la puissance du vent. Les disciples avaient déjà vécu l’épisode de la tempête apaisée, pourtant (Mt 8,23-27). Belle leçon, là encore : nous ne sommes jamais à l’abri d’une nouvelle reculade. Celui qui se croit le mieux assuré peut encore perdre pied, comme Pierre, ici.

Comme Pierre encore, quelques années plus tard, lors de la Passion : c’est lui qui aura le plus bel élan : « Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas. » (Mt 26,35). Et c’est le même, qui, cette nuit-là, précisément, reniera son Maître, par trois fois.

Revenons sur le lac : Pierre, donc, prend peur et s’enfonce. Son seul tort est d’avoir regardé ailleurs, le vent trop fort. S’il n’avait pas détaché les yeux de Jésus, il aurait pu se maintenir. Retenons la leçon, ne regardons pas ailleurs. Mais il a eu alors le seul bon réflexe, dans ces cas-là, il a appelé Jésus au secours : « Seigneur, sauve-moi ! » Nos fragilités ont ceci de bon qu’elles nous inspirent la prière à laquelle le Seigneur ne résiste jamais, l’appel au secours.

« Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit » : voilà Pierre en sûreté. Mais Jésus continue : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Pourquoi attendre de sentir la main de Jésus sur lui pour faire confiance ? Jésus n’était-il pas déjà avec eux ? N’avait-il pas dit lui-même « Viens » ? Pourquoi douter qu’il nous donnera les moyens d’y arriver ?

Alors Jésus et Pierre sont montés à bord et le vent est tombé. La paix revenue, tous se prosternent : dans la voix de Jésus, dans ses gestes, ils viennent de reconnaître celui qui apporte la paix au monde. « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »

Il y aura encore dans la vie des disciples, dans la nôtre, d’autres élans, d’autres reniements, mais il suffira alors de dire humblement « Seigneur, sauve-moi ! » pour que nous rencontrions sa main tendue.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 13 08 2023, 19e dimanche du temps ordinaire A

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1 août 2023 2 01 /08 /août /2023 23:10
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE DANIEL  7, 9-10.13-14 

     La nuit, au cours d'une vision,
9   moi, Daniel, je regardais :
     des trônes furent disposés,
     et un Vieillard prit place ;
     son habit était blanc comme la neige,
     et les cheveux de sa tête, comme de la laine immaculée ;
     son trône était fait de flammes de feu,
     avec des roues de feu ardent.
10 Un fleuve de feu coulait, qui jaillissait devant lui.
     Des milliers de milliers le servaient,
     des myriades de myriades se tenaient devant lui.
     Le tribunal prit place et l'on ouvrit des livres.   

13 Je regardais, au cours des visions de la nuit,
     et je voyais venir, avec les nuées du ciel,
     comme un Fils d'homme ;
     il parvint jusqu'au Vieillard,
     et on le fit avancer devant lui.
14 Et il lui fut donné
     domination, gloire et royauté ;
     tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues
     le servirent.
     Sa domination est une domination éternelle,
     qui ne passera pas,
     et sa royauté,
     une royauté qui ne sera pas détruite.
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LE COURONNEMENT DU FILS DE L’HOMME

Avant de parler des visions de Daniel, il faut se souvenir qu’elles sont écrites à un moment de l’histoire d’Israël particulièrement douloureux : pendant la persécution du roi grec Antiochus Épiphane, au deuxième siècle av. J.-C. Ces visions sont donc à recevoir comme un message de réconfort.

Daniel nous raconte deux visions ici : la première est celle du Vieillard sur son trône. Il est clair que ce Vieillard est Dieu lui-même ; le décor est grandiose : « Son trône était fait de flammes de feu, avec des roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait... » Il y a déjà là un message de victoire du prophète à l’adresse de ses contemporains persécutés : car ils sont des millions admis à servir le Vieillard, des centaines de millions qui « se tiennent devant » lui : traduisez, après l’horreur présente, vous avez déjà votre place au ciel ; le tribunal qui se met en place vous rendra justice : « Le tribunal prit place et l’on ouvrit des livres. »

La deuxième vision rapportée ici est celle du « Fils d’homme » ; arrêtons-nous sur cette expression : elle nous est familière parce que Jésus l’a beaucoup employée ; mais nous ne savons pas toujours qu’il l’empruntait au livre de Daniel ; et il est intéressant de voir comment Jésus l’a modifiée et complétée. Commençons par la vision de Daniel : un « Fils d’homme » est conduit jusqu’au Vieillard, sur les nuées du ciel. Il s’agit bien d’un homme : l’expression « fils de » est typique de l’hébreu, c’est une manière un peu emphatique de parler ; fils d’homme veut dire homme, tout simplement.

Cet homme, donc, vient sur les nuées du ciel (les nuées sont une image classique des apparitions de Dieu) et il accède jusqu’au trône de Dieu... Il faut en déduire que ce « Fils d’homme » qui fait bien partie du monde de l’homme est introduit dans le monde de Dieu. Et il reçoit domination, gloire et royauté sur tous peuples, nations et langues. Et cela pour toujours : » Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » Ce sont les exactement les termes que l’on employait à propos du Messie. C’est donc une véritable scène de couronnement que Daniel nous décrit là.

Notre lecture de ce dimanche s’arrête ici ; mais pour bien la comprendre, il faut lire la suite. Car Daniel poursuit le récit de sa vision : « Moi, Daniel, j’avais l’esprit angoissé, car les visions que j’avais me bouleversaient. Je m’approchai de l’un de ceux qui entouraient le Trône, et je l’interrogeai sur la vérité de tout cela. Il me répondit et me révéla l’interprétation… ‘Ce sont les saints du Très-Haut qui recevront la royauté et la posséderont pour toute l’éternité.’ » (versets 15…18). Et le même interprète céleste redit quelques versets plus loin : « La royauté, la domination et la puissance de tous les royaumes de la terre, sont données au peuple des saints du Très-Haut. Sa royauté est une royauté éternelle, et tous les empires le serviront et lui obéiront. » (verset 27). Cela veut dire que le Fils d’homme est en réalité le peuple des saints du Très-Haut. « Peuple des saints du Très-Haut », en langage biblique, cela veut dire Israël ou au moins, en temps de persécution, le petit noyau, le Reste fidèle, c’est-à-dire ceux qui restent fidèles à la foi juive, au risque du martyre pour certains, au cœur même de la persécution.

Le prophète leur dit ‘Vous êtes ce peuple des saints du Très-Haut qui va recevoir bientôt la royauté’. Cette vision résonne donc comme un message de réconfort : en clair, mes frères, pour l’instant, vous êtes écrasés, mais votre libération approche et elle sera définitive.

Et Daniel insiste : ce peuple des saints du Très-Haut recevra « une royauté éternelle et tous les empires le serviront et lui obéiront. »

LE FILS DE L’HOMME, UN PERSONNAGE COLLECTIF

Cette prédication du prophète Daniel a incontestablement encouragé ses frères à tenir bon, à garder l’espérance. Et l’on sait que, peu de temps après, les Juifs se sont révoltés contre Antiochus Épiphane et ils ont réussi à lui faire plier bagages. Et la paix est revenue. Mais on a continué à lire Daniel et à le lire, cette fois, comme une prophétie pour l’avenir. Et certains, parmi les Juifs, ont commencé à penser que le Messie, le roi idéal attendu pour la fin des temps ne serait pas un individu particulier, mais un peuple. À tel point que, à l’époque de la naissance de Jésus, si tout le monde en Israël attendait impatiemment le Messie, tout le monde ne l’imaginait pas de la même manière : certains attendaient un homme, d’autres attendaient un Messie collectif, qu’ils appelaient le petit Reste d’Israël (une expression qui remonte au prophète Amos), ou le Fils d’homme, précisément, en référence à cette parole du prophète Daniel.

Dans le cadre des Évangiles, maintenant, on peut remarquer trois choses : premièrement, Jésus dit  : « Fils de l’homme » au lieu de « Fils d’homme » ; deuxièmement, Jésus est bien le seul à employer cette expression « Fils de l’homme » ; troisièmement, Jésus modifie aussi en profondeur la représentation du Fils d’homme : chez Daniel, c’était une image de victoire, de royauté ; Jésus, lui, dit que le Fils de l’homme doit souffrir.

Premièrement, Jésus dit : « Fils de l’homme » au lieu de Fils d’homme ; fils d’homme voulait dire « un homme », mais « Fils de l’Homme » veut dire l’Humanité ; en s’appliquant ce titre à lui-même, Jésus se révèle donc comme le porteur du destin de l’humanité tout entière ; ce qui est une grande audace, certainement, aux yeux de ses contemporains ! Saint Paul veut dire la même chose quand il l’appelle le nouvel Adam.

Deuxièmement, on trouve l’expression « Fils de l’homme » plus de quatre-vingts fois dans les évangiles, mais curieusement, toujours dans la bouche de Jésus : il est le seul à l’employer, personne d’autre ne lui attribue ce titre, on peut se demander pourquoi ; car le livre de Daniel était bien connu. Mais justement, s’il était bien connu, on ne pouvait certainement pas reconnaître ce titre à Jésus : d’abord, parce que le Fils de l’homme vient sur les nuées du ciel ; or Jésus ne venait pas du ciel... il venait comme tout le monde d’une famille bien humaine, d’un petit village de rien du tout, Nazareth... D’autre part, on savait que le Fils de l’homme n’était pas un individu isolé, mais un peuple, ce que Daniel appelait « le peuple des saints du Très-Haut ». Les contemporains de Jésus n’étaient certainement pas tentés d’identifier Jésus de Nazareth, le fils du charpentier, avec « le peuple des saints du Très-Haut » !... et encore moins avec l’humanité tout entière.

Troisièmement, enfin, Jésus a apporté une modification de fond à la représentation classique du Fils de l’homme. Il reprend bien les termes du livre de Daniel (c’est-à-dire une image de victoire), « On verra le Fils de l’homme venir dans les nuées, avec grande puissance et avec gloire. » (Mc 13,26), mais il y ajoute tout un aspect de souffrance : (toujours chez Marc) « Il enseignait ses disciples en leur disant : Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront ... «  (Mc 9,31).

Après sa Résurrection, tout est devenu lumineux pour ses disciples : d’une part, il mérite bien ce titre de Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel, lui qui est à la fois homme et Dieu ; d’autre part, Jésus est le premier-né de l’humanité nouvelle, la Tête, et il fait de nous un seul Corps : à la fin de l’histoire, nous serons tellement unis que nous serons avec lui comme « un seul homme » !... Avec lui, greffés sur lui, nous serons « le peuple des saints du Très-Haut ».

Alors nous découvrons la merveille à laquelle nous osons à peine croire : le « dessein bienveillant » de Dieu est de faire de nous un peuple de rois ...! C’était cela son projet, dès le début, lorsqu’il créait l’humanité. Le livre de la Genèse le disait déjà :

« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu Il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la . » (Gn 1,27-28).
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PSAUME  96 (97), 1-2,4-5,6.9

1   Le SEIGNEUR est roi ! Exulte la terre !
     Joie pour les îles sans nombre !
2   Ténèbre et nuée l'entourent,
     Justice et droit sont l'appui de son trône.   

4   Quand ses éclairs illuminèrent le monde,
     la terre le vit et s'affola ;
5   les montagnes fondaient comme cire devant le SEIGNEUR,
     devant le maître de toute la terre.   

6   Les cieux ont proclamé sa justice,
     et tous les peuples ont vu sa gloire.
9   Tu es, SEIGNEUR, le Très-Haut sur toute la terre :
     tu domines de haut tous les dieux.
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UNE LUTTE PERMANENTE CONTRE L’IDOLÂTRIE

Bien sûr, aujourd’hui, à la lumière de la Résurrection du Christ, quand nous disons « le Seigneur est roi », nous le pensons de Jésus-Christ. Mais ce psaume a d’abord été composé pour célébrer le Dieu d’Israël ; pour le moment, commençons donc par le méditer tel qu’il a été composé. « Le SEIGNEUR est roi ! » Dès les premiers mots de ce psaume, nous savons qu’il a été écrit pour honorer Dieu comme le seul roi, le roi devant lequel tous les roitelets de la terre doivent courber la tête ! Dieu est le seul Dieu, le seul Seigneur, le seul roi... si les psaumes et toute la Bible y insistent tant, c’est que cela n’allait pas de soi ! La lutte contre l’idolâtrie a été le grand combat de la foi d’Israël. Nous lisons ici : « Tu domines de haut tous les dieux » et un autre verset dit : « À genoux devant lui, tous les dieux ! »

Entendons-nous bien : ces phrases ne sont pas une reconnaissance qu’il y aurait d’autres dieux mais inférieurs !...  « Écoute, Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le Seigneur UN », c’est le premier article du credo juif. Des phrases comme « à genoux devant lui, tous les dieux » ou « tu domines de haut tous les dieux » sont parfaitement claires dans la mentalité biblique : un seul être au monde mérite qu’on se mette à genoux devant lui, c’est Dieu, le Dieu d’Israël, le seul Dieu. Toutes les génuflexions qu’on peut faire devant d’autres que Dieu ne sont que de l’idolâtrie. C’est bien d’ailleurs pour cela que Jésus a été condamné et exécuté : il a osé se prétendre Dieu lui-même ; c’est donc un blasphémateur et tout blasphémateur doit être retranché du peuple élu ; élu précisément pour annoncer au monde le Dieu unique.

Il faut dire que tous les peuples alentour sont polythéistes. Même le Pharaon Akhénaton, vers 1350 av.J.C, n’était pas réellement monothéiste. Et tout au long de l’histoire biblique, le peuple élu a  été en permanence au contact de peuples polythéistes, idolâtres. Et sa foi a chancelé plus d’une fois... À ce moment-là les prophètes comparaient Israël à une épouse infidèle ; ils la traitaient d’adultère, de prostituée... Mais aussi et en même temps, chaque fois, ils assuraient le peuple élu du pardon de Dieu.

Une autre trace dans la Bible de cette lutte contre l’idolâtrie, ce sont toutes les ressources dont les écrivains disposent pour affirmer que Dieu est Unique. L’exemple le plus frappant en est peut-être le premier chapitre de toute la Bible, le premier récit de la Création dans le premier chapitre de la Genèse. Ce texte a été écrit par les prêtres pendant l’Exil à Babylone, donc au sixième siècle av. J.C. À cette époque-là, à Babylone, on croit que le ciel est peuplé de dieux, rivaux entre eux, d’ailleurs, et ceux qui ont décidé de fabriquer l’homme ont bien l’intention d’en faire leur esclave : le bonheur de l’homme est le dernier de leurs soucis. La Création a été faite à partir des restes du cadavre d’une déesse monstrueuse et l’homme lui-même est un mélange : il est mortel, mais il renferme une parcelle divine qui provient du cadavre d’un dieu mauvais.

« LE SEIGNEUR EST ROI ! EXULTE LA TERRE ! »

Les prêtres d’Israël vont donc se démarquer très fort de ces représentations qui sont aux antipodes du projet de Dieu. Pour commencer, on va répéter que la Création n’est que bonne : pas de mélange monstrueux à partir du cadavre d’un dieu mauvais vaincu ; c’est pourquoi, génialement, on a inséré ce refrain « et Dieu vit que cela était bon ». Ensuite, pour bien affirmer qu’il n’y a qu’un dieu, sans équivoque possible, pour qu’on ne soit pas tenté d’honorer le soleil comme un dieu, ou la lune comme une déesse, on ne va même pas les nommer ; le texte dit : « Dieu fit les deux grands luminaires : le plus grand luminaire pour commander au jour, le plus petit pour commander à la nuit » (Gn 1,16). Ils sont réduits à leur fonction utilitaire : deux ampoules en somme. Les voilà remis à leur place, si l’on peut dire ! Et enfin et surtout,  Dieu crée l’homme à son image et à sa ressemblance et il en fait le roi de la Création : l’homme à l’image de Dieu, il fallait bien une Révélation pour qu’on puisse oser y croire !

Ici, dans ce psaume, une autre façon de marquer la grandeur unique de Dieu consiste à décrire de grands bouleversements cosmiques lorsqu’il apparaît : feu, éclairs, nuage, ténèbre, tremblements de terre : « Quand ses éclairs illuminèrent le monde, la terre le vit et s’affola ; les montagnes fondaient comme cire devant le SEIGNEUR, devant le Maître de toute la terre... » ; chaque fois qu’on rencontre une description de ce genre, c’est un rappel de la grande rencontre de Moïse avec Dieu sur le mont Sinaï.

Enfin, encore une chose très intéressante dans ce psaume, la juxtaposition des deux parties de la première ligne : « Le SEIGNEUR est roi ! Exulte la terre ! »... Cela veut dire que la royauté de Dieu s’étend à toute la terre et cela pour le bonheur et l’exultation de toute la terre ! Une fois de plus, nous rencontrons cette note d’universalisme si importante dans la découverte biblique : « Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire. » Pourquoi est-ce dit au passé ? Parce que, déjà, les peuples ont pu voir les merveilles que Dieu a accomplies pour son peuple. Mais on attend le Jour où la terre tout entière reconnaîtra enfin vraiment la justice de Dieu. Alors on pourra vraiment chanter : « Joie pour les îles sans nombre !... Tous les peuples ont vu sa gloire. » Dans d’autres versets qui, malheureusement, n’ont pas été retenus pour cette fête, c’est la notion de l’élection d’Israël qui est une fois de plus elle aussi réaffirmée : « Pour Sion qui entend, grande joie ! Les villes de Juda exultent devant tes jugements, SEIGNEUR ! » (verset 8). Ces deux aspects : élection d’Israël, et salut de l’humanité tout entière sont toujours liés dans les textes bibliques ; autre dimension très présente, elle aussi, la joie : parce que le projet de Dieu sur l’humanité est un projet de joie. Rappelez-vous, quand il eut achevé la Création, « Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici c’était très bon ! » (Gn 1,31).
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Complément 

- Tout ceci ne paraît-il pas utopique lorsque l’actualité politique semble dénier tout espoir de paix et de joie ? C’est le moment ou jamais pour les croyants d’affirmer la volonté de Dieu de voir s’instaurer la paix et de croire contre toutes les apparences contraires que nous en avons les moyens...

Encore faudrait-il la désirer vraiment.
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE PIERRE  1,16-19

     Bien-aimés,
16 ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués
     que nous vous avons fait connaître la puissance
     et la venue de notre Seigneur Jésus Christ,
     mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur.
17 Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire
     quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait :
     Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie.
18 Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue
     quand nous étions avec lui sur la montagne sainte.
19 Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ;
     vous faites bien de fixer votre attention sur elle,
     comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur
     jusqu’à ce que paraisse le jour
     et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs.
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LES DERNIÈRES CONSIGNES DE PIERRE

La deuxième lettre de Pierre ressemble à un discours d'adieu : au moment de partir, celui qui s'en va rappelle les vérités fondamentales qui l'ont animé et donne des orientations pour l'avenir à ceux qui se sont rassemblés autour de son témoignage. Les versets qui nous sont proposés ici sont une introduction à l'ensemble de la lettre et en résument brièvement les principaux thèmes : premièrement, restez fermes dans la foi à Jésus-Christ, fils de Dieu ; deuxièmement, gardez-vous des faux prophètes. Tout ceci sans perdre de vue ce qui constitue l’horizon de la foi, à savoir l’espérance du retour du Christ.

Premièrement, restez fermes dans la foi à Jésus-Christ, fils de Dieu : au moment de la naissance de Jésus, il ne serait venu à l’idée de personne que Dieu pût avoir un Fils ; le Dieu unique était solitaire. Quand Jean-Baptiste entend la voix du ciel qui désigne Jésus comme Fils, il traduit certainement Messie ; car, traditionnellement, le roi d’Israël recevait le titre de Fils de Dieu le jour de son sacre, avec la formule « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » (Ps 2,7). Pour les Juifs croyants, se dire Fils de Dieu relevait soit du mensonge, soit de la prétention, voire du blasphème. C’est d’ailleurs l’un des motifs de la condamnation de Jésus (cf Mc 14,64). Peu à peu, beaucoup plus tard, en méditant le mystère du Christ à la lumière de la Résurrection, les apôtres ont découvert cette vérité inattendue : Jésus est vraiment le Fils de Dieu, il est Dieu. L’événement de la Transfiguration leur apparaît désormais en pleine lumière : le Christ a « reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en lui j’ai toute ma joie. » Or la gloire, dans tout l’Ancien Testament, est une prérogative de Dieu : par exemple dans les psaumes « Donnez (au sens de reconnaissez) au SEIGNEUR la gloire de son nom. » (Ps 28/29,2). Pourtant, d’après Matthieu et Marc, la voix venue du ciel n’a pas dit autre chose à la Transfiguration qu’au Baptême ; ce qui diffère, c’est la gloire, justement, dont est nimbé Jésus à la Transfiguration : il est seul, sur la montagne, entouré seulement des deux plus hautes figures de l’Ancien Testament ; au Baptême, il était noyé dans la foule, mêlé au peuple des pécheurs. C’est le même Jésus que les disciples ont peu à peu appris à connaître, fils d’homme, assurément, mais aussi Fils de Dieu.

LA RÉVÉLATION DU FILS SUR LA MONTAGNE SAINTE

Cette foi renouvelée n’est pourtant pas pour les disciples de Jésus une trahison de leur foi passée : aucun d’entre eux ne pense avoir changé de religion en reconnaissant en Jésus le Messie de Dieu tant attendu par leur peuple. Au contraire, en relisant les Écritures, ils découvrent que Jésus est bien celui qu’elles annonçaient. D’où la phrase de Pierre : « Ainsi se confirme pour nous la parole prophétique » et le conseil qu’il donne à ses lecteurs : « Vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur » ; belle image : dans les ténèbres de l’humanité qui attend son sauveur, brille déjà la lumière des prophètes. Désormais les chrétiens devront se remémorer sans cesse cette Parole qui annonçait Jésus.

Deuxièmement, dit Pierre, gardez-vous des faux prophètes. Visiblement, cette crainte n’était pas sans objet, car de nombreux passages du Nouveau Testament manifestent le même souci ; par exemple l’évangile de Matthieu : « Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous déguisés en brebis, alors qu’au-dedans ce sont des loups voraces. C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. » (Mt 7,15-16). Même chose apparemment dans l’entourage de Jean : « Bien-aimés, ne vous fiez pas à n’importe quelle inspiration, mais examinez les esprits pour voir s’ils sont de Dieu, car beaucoup de faux prophètes se sont répandus dans le monde. » (1 Jn 4,1) et de Paul : « L’Esprit dit clairement qu’aux derniers temps certains abandonneront la foi, pour s’attacher à des esprits trompeurs, à des doctrines démoniaques. » (1 Tm 4, 1)... « Un temps viendra où les gens ne supporteront plus l’enseignement de la saine doctrine ; mais, au gré de leurs caprices, ils iront se chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau. Ils refuseront d’entendre la vérité pour se tourner vers des récits mythologiques. » (2 Tm 4,3). Face à ces faux prophètes se dressent les témoins authentiques, ceux qui ont connu Jésus de Nazareth et ont, seuls, droit à la parole.

Cette préoccupation de l’authenticité du témoignage est constante chez les premiers apôtres en général et chez Pierre en particulier. D’où les conditions avancées pour le choix du remplaçant de Judas : « Il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous. Il faut donc que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de sa résurrection. » (Ac 1,21). D’où également ici l’insistance de Pierre sur sa propre présence au moment de la Transfiguration : « Nous avons été les témoins oculaires de sa grandeur... Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. » C’est parce qu’ils ont été témoins de la venue du Fils de Dieu parmi les hommes que ses apôtres peuvent désormais en toute assurance attendre sa venue à la fin des temps « jusqu’à ce que paraisse le Jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs ».
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   17,1-9

     En ce temps-là,
1   Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère,
     et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne.
2   Il fut transfiguré devant eux ;
     son visage devint brillant comme le soleil,
     et ses vêtements, blancs comme la lumière.
3   Voici que leur apparurent Moïse et Élie,
     qui s’entretenaient avec lui.
4   Pierre alors prit la parole et dit à Jésus :
     « Seigneur, il est bon que nous soyons ici !
     Si tu le veux,
     je vais dresser ici trois tentes,
     une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
5   Il parlait encore,
     lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre,
     et voici que, de la nuée, une voix disait :
     « Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
     en qui je trouve ma joie :
     écoutez-le ! »
6   Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre
     et furent saisis d’une grande crainte.
7   Jésus s’approcha, les toucha et leur dit :
     « Relevez-vous et soyez sans crainte ! »
8   Levant les yeux,
     ils ne virent plus personne,
     sinon lui, Jésus, seul.
9   En descendant de la montagne,
     Jésus leur donna cet ordre :
     « Ne parlez de cette vision à personne,
     avant que le Fils de l’homme
     soit ressuscité d’entre les morts. »
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MON FILS BIEN-AIMÉ, EN QUI JE TROUVE MA JOIE. ÉCOUTEZ-LE

« Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère » : nous sommes là une fois de plus devant le mystère des choix de Dieu : c’est à Pierre que Jésus a dit tout récemment, à Césarée : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la Puissance de la mort ne l'emportera pas sur elle » (Mt 16,18). Mais Pierre, investi de cette mission capitale, au vrai sens du terme, n’est pas seul pour autant avec Jésus, il est accompagné des deux frères, Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée. 

« Et Jésus les emmena à l’écart sur une haute montagne » : sur une haute montagne, Moïse avait eu la Révélation du Dieu de l’Alliance et avait reçu les tables de la Loi ; cette loi qui devait éduquer progressivement le peuple de l’Alliance à vivre dans l’amour de Dieu et des frères. Sur la même montagne, Élie avait eu la Révélation du Dieu de tendresse dans la brise légère... Moïse et Élie, les deux colonnes de l’Ancien Testament ...

Sur la haute montagne de la Transfiguration, Pierre, Jacques et Jean, les colonnes de l’Église, ont la Révélation du Dieu de tendresse incarné en Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie ». Et cette révélation leur est accordée pour affermir leur foi avant la tourmente de la Passion.

Pierre écrira plus tard : « Ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. » (2 P 1,16-18).

Cette expression « mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. Écoutez-le » désigne Jésus comme le Messie : pour des oreilles juives, cette simple phrase est une triple allusion à l’Ancien Testament ; car elle évoque trois textes très différents, mais qui étaient dans toutes les mémoires ; d’autant plus que l’attente était vive au moment de la venue de Jésus et que les hypothèses allaient bon train : on en a la preuve dans les nombreuses questions qui sont posées à Jésus dans les évangiles.

« Fils », c’était le titre qui était donné habituellement au roi et l’on attendait le Messie sous les traits d’un roi descendant de David, et qui régnerait enfin sur le trône de Jérusalem, qui n’avait plus de roi depuis bien longtemps. « Mon bien-aimé, en qui je trouve ma joie », évoquait un tout autre contexte : il s’agit des « Chants du Serviteur » du livre d’Isaïe ; c’était dire que Jésus est le Messie, non plus à la manière d’un roi, mais d’un Serviteur, au sens d’Isaïe (Is 42,1). « Écoutez-le », c’était encore autre chose, c’était dire que Jésus est le Messie-Prophète au sens où Moïse, dans le livre du Deutéronome, avait annoncé au peuple : « Au milieu de vous, parmi vos frères, le SEIGNEUR votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez. » (Dt 18,15).

LA RÉALISATION EST ENCORE PLUS BELLE QUE LA PROMESSE

« Dressons trois tentes » : cette phrase de Pierre suggère que l’épisode de la Transfiguration a peut-être eu lieu lors de la Fête des Tentes ou au moins dans l’ambiance de la fête des Tentes... cette fête était célébrée en mémoire de la traversée du désert pendant l’Exode, et de l’Alliance conclue avec Dieu dans la ferveur de ce que les prophètes appelleront plus tard les fiançailles du peuple avec le Dieu de tendresse et de fidélité ; pendant cette fête, on vivait sous des tentes pendant huit jours... Et on attendait, on implorait une nouvelle manifestation de Dieu qui se réaliserait par l’arrivée du Messie ; et pendant la durée de la fête, de nombreuses célébrations, de nombreux psaumes célébraient les promesses messianiques et imploraient Dieu de hâter sa venue.

Sur la montagne de la Transfiguration, les trois apôtres se trouvent tout d’un coup devant cette révélation du mystère de Jésus : rien d’étonnant qu’ils soient saisis de la crainte qui prend tout homme devant la manifestation du Dieu saint ; on n’est pas surpris non plus que Jésus les relève et les rassure : déjà l’Ancien Testament a révélé au peuple de l’Alliance que le Dieu très saint est le Dieu tout proche de l’homme et que la peur n’est pas de mise.

Mais cette révélation du mystère du Messie, sous tous ses aspects, n’est pas encore à la portée de tous ; Jésus leur donne l’ordre de ne rien raconter pour l’instant, « avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ». En disant cette dernière phrase, Jésus confirme cette révélation que les trois disciples viennent d’avoir ; il est vraiment le Messie que le prophète Daniel voyait sous les traits d’un homme, venant sur les nuées du ciel : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » (Dn 7,13-14). 

Au passage, n’oublions pas que le même Daniel présente le Fils de l’homme non pas comme un individu solitaire, mais comme un peuple, qu’il appelle « le peuple des saints du Très-Haut »

La réalisation est encore plus belle que la promesse : en Jésus, l’Homme-Dieu, c’est l’humanité tout entière qui recevra cette royauté éternelle et sera éternellement transfigurée. Mais Jésus a bien dit « Ne dites rien à personne avant la Résurrection... » C’est seulement après la résurrection de Jésus que les apôtres seront capables d’en être les témoins.
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Compléments

Verset 1 : Le texte grec commence par l’expression « Six jours après » : on suppose que cela veut dire « Six jours après le Yom Kippour », le jour du Grand Pardon. Ce qui invite à imaginer un lien avec la fête des Tentes (d’où la suggestion de Pierre : « faisons ici trois tentes »).

Verset 3 : Pourquoi Moïse et Élie ? Les deux mêmes qui ont eu la révélation du Père sur le Sinaï ont ici la révélation du Fils. La mosaïque de la basilique de la Transfiguration au monastère Sainte-Catherine dans le Sinaï confirme cette interprétation : dans cette mosaïque, Moïse est représenté déchaussé, ses sandales délacées à côté de lui : il s’est déchaussé comme devant le buisson ardent (Ex 3).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 6 08 2023, fête de la Transfiguration A

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24 juillet 2023 1 24 /07 /juillet /2023 00:14
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU PREMIER LIVRE DES ROIS  3, 5.7-12

     En ces jours-là,
5   à Gabaon, pendant la nuit,
     le SEIGNEUR apparut en songe à Salomon.
     Il lui dit :
     « Demande ce que je dois te donner. »
6   Salomon répondit :
7   « Ainsi donc, SEIGNEUR, mon Dieu,
     c'est toi qui m'as fait roi, moi, ton serviteur,
     à la place de David, mon père :
     or, je suis un tout jeune homme,
     ne sachant comment se comporter,
8   et me voilà au milieu du peuple que tu as élu ;
     c'est un peuple nombreux,
     si nombreux qu'on ne peut ni l'évaluer ni le compter.
9   Donne à ton serviteur un cœur attentif
     pour qu'il sache gouverner ton peuple
     et discerner le bien et le mal ;
     sans cela comment gouverner ton peuple qui est si important ? »
10 Cette demande de Salomon plut au Seigneur,
     qui lui dit :
11 « Puisque c'est cela que tu as demandé,
     et non pas de longs jours,
     ni la richesse,
     ni la mort de tes ennemis,
     mais puisque tu as demandé le discernement,
     l'art d'être attentif et de gouverner,
12 je fais ce que tu as demandé :
     je te donne un cœur intelligent et sage,
     tel que personne n'en a eu avant toi
     et que personne n'en aura après toi. »
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UNE PRIÈRE BIEN INSPIRÉE

Salomon fut le successeur de David sur le trône de Jérusalem à une époque où toutes les tribus d’Israël étaient réunies sous une même couronne. On situe le règne du premier roi, Saül, dans les années 1030 à 1010 av. J.-C. environ, celui de David de 1010 à 973 et celui de Salomon de 973 à 933.

Le texte du livre des Rois que nous lisons aujourd’hui nous rapporte la première grande cérémonie de son règne. Le roi, fraîchement couronné, s'est rendu en pèlerinage au sanctuaire de Gabaon, à quelques kilomètres de Jérusalem, pour y offrir un sacrifice (mille animaux précise le texte) ; et là, il prononce la fameuse prière qui est restée dans la mémoire d'Israël comme un modèle. Mais, pour comprendre les enjeux de ce texte, il faut en relire le contexte : car à ne lire que ces seules lignes, on risquerait d'orner Salomon de toutes les qualités ! La réalité est moins flatteuse : son accession au trône avait été émaillée de péripéties peu vertueuses, intrigues politiques et assassinats compris. Trois frères aînés au moins briguaient la place, car David avait plusieurs autres fils (nés de mères différentes) plus âgés que Salomon ; ses chances de parvenir au trône étaient donc des plus minimes. Les luttes fratricides des aînés se chargèrent de déblayer le terrain (1er livre des Rois) et sa mère, Bethsabée, fit le reste : au moment où Adonias, le survivant des trois aînés, savourait déjà sa victoire, elle s'arrangea pour le griller de vitesse. Salomon fut sacré en grande précipitation à la source de Gihôn.

Et le peuple, prêt à tout, acclama ce nouveau roi, comme il aurait acclamé l'autre. Salomon était parvenu à ses fins, il était sur le trône. Il ne restait plus qu'à liquider les opposants, ce qu'il fit sans tarder. Ce n'était donc pas apparemment un grand saint qui se présentait devant Dieu ! Et si sa sagesse est proverbiale, on voit qu'elle ne lui est pas venue tout de suite ! Elle fut pour lui un don de Dieu. (Celui qui écrit ce texte compte bien que nous retenions cette vérité élémentaire).

Salomon savait que, maintenant, il fallait régner, ce qui était bien difficile, et c'est là qu'il fit preuve d'un commencement de sagesse et de lucidité. Car ce jeune roi, et c'est là tout son mérite, avait compris au moins une chose, première leçon de ce texte, c'est que la sagesse est le bien le plus précieux du monde (Matthieu parlera de trésor et de perle ; cf l'évangile de ce dimanche Mt 13, 44-46) et que Dieu seul détient les clés de la vraie sagesse. Ainsi la prière de Salomon au sanctuaire de Gabaon est-elle un modèle d'humilité et de confiance : » Je suis un tout jeune homme, ne sachant comment se comporter… Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu'il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ; sans cela, comment gouverner ton peuple qui est si important ? »

AVIS À TOUS LES GOUVERNANTS

La deuxième leçon de ce passage concerne les rois d’abord mais aussi tous les détenteurs d’un pouvoir, quel qu’il soit : ce qui est remarquable dans la prière de Salomon, c’est que sa demande vise exclusivement le service du peuple. Il ne demande rien pour lui-même personnellement, il demande seulement les capacités nécessaires pour exercer la mission que Dieu lui a confiée. Le jeune roi prouve ici qu’il a parfaitement intégré l’idéal monarchique prescrit par Dieu à David (par l’intermédiaire du prophète Nathan) : en Israël, dès le tout début de la royauté, les prophètes les uns après les autres rappellent à tous les rois qu’ils ne doivent avoir qu’un souci en tête, à savoir le bonheur et la sécurité du peuple qui leur est confié.

La réponse de Dieu insiste sur ce désintéressement tout à fait remarquable de la prière de Salomon : « Puisque c’est cela que tu as demandé, et non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis (y a-t-il là une pointe d'ironie ? Dieu n'ignorait pas que Salomon s'en était fort bien occupé lui-même), mais puisque tu as demandé le discernement, l'art d'être attentif et de gouverner, je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage, tel que personne n'en a eu avant toi et que personne n'en aura après toi. » Voilà qui dépasse toutes les espérances du jeune roi. Et Dieu ne s'arrête pas là : la liturgie, malheureusement, ne nous fait pas entendre la suite qui est pourtant une bien belle leçon sur la générosité de Dieu : « De plus, je te donne même ce que tu n’as pas demandé, la richesse et la gloire, si bien que pendant toute ta vie tu n’auras pas d’égal parmi les rois. » (1 R 3,13).

Belle révélation pour nous : ce n'était pas un grand saint qui se présentait devant Dieu, mais parce qu'il a prié humblement, il a été comblé ; cela fait penser à un certain publicain de la parabole (Lc 18,9-14) ; enfin et surtout, nous découvrons une fois de plus, grâce à Salomon, que Dieu continue à donner et pardonner quel que soit notre passé, si peu vertueux soit-il. Ainsi vérifions-nous le sens du mot « pardon » : c’est le don qui passe par-dessus toutes les offenses.

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Compléments

1 - Lire la méditation puis la superbe prière que le livre de la Sagesse prête au roi Salomon : Sg 8,17-21 puis 9, 1-12. On sait que, malheureusement, vers la fin de sa vie, Salomon s’est écarté gravement de ce beau chemin de sagesse ; ses nombreuses femmes l’ont poussé à l’idolâtrie et il s’est laissé envahir par la mégalomanie du pouvoir. Il suffit de relire le résumé que Ben Sirac écrit de sa vie : Si 47,12-22.

2 - « De plus, je te donne même ce que tu n’as pas demandé, la richesse et la gloire, si bien que pendant toute ta vie tu n’auras pas d’égal parmi les rois. » : à rapprocher de Mt 6,33 : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et tout cela (le reste) vous sera donné par surcroît. »

3 - Pour une introduction au livre de la Sagesse et aux livres Deutérocanoniques, voir au seizième dimanche du temps ordinaire – A, le commentaire de la première lecture.
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PSAUME  118  (119

57 Mon partage, Seigneur, je l'ai dit,
       c'est d'observer tes paroles.
72   Mon bonheur, c'est la loi de ta bouche,
       plus qu'un monceau d'or ou d'argent.

76   Que j'aie pour consolation ton amour
       selon tes promesses à ton serviteur !
77   Que vienne à moi ta tendresse et je vivrai :
       ta loi fait mon plaisir.

127 Aussi j'aime tes volontés,
       plus que l'or le plus précieux.
128 Je me règle sur chacun de tes préceptes,
       je hais tout chemin de mensonge.

129 Quelle merveille, tes exigences,
       aussi mon âme les garde !
130 Déchiffrer ta parole illumine
       et les simples comprennent.
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LE SECRET DU BONHEUR EST BIEN SIMPLE

Dans la première lecture, nous avions vu que Salomon, tout au moins au début de son règne, avait tout compris : la vraie sagesse est le trésor le plus précieux, et elle ne peut venir que de Dieu. Dans ce psaume, c’est la même méditation qui continue : « Mon bonheur, c’est la loi de ta bouche, plus qu’un monceau d’or ou d’argent. »

Et le bonheur, d’après ce psaume, c’est donc tout simple ; la bonne route, pour un croyant, c’est tout simplement de suivre la Loi de Dieu. Le croyant connaît la douceur de vivre dans la fidélité aux commandements de Dieu, voilà ce que veut nous dire ce psaume : « Quelle merveille, tes exigences, aussi mon âme les garde ! »

Les quelques versets retenus aujourd’hui ne sont qu’une toute petite partie du psaume 118 (119 dans la Bible), l’équivalent d’une seule strophe. En réalité, il comporte 176 versets, c’est-à-dire 22 strophes de 8 versets. 22...8... ces chiffres ne sont pas dus au hasard.

Pourquoi 22 strophes ? Parce qu’il y a 22 lettres dans l’alphabet hébreu : chaque verset de chaque strophe commence par une même lettre et les strophes se suivent dans l’ordre de l’alphabet : en littérature, on parle « d’acrostiche », mais ici, il ne s’agit pas d’une prouesse littéraire, d’une performance ! Il s’agit d’une véritable profession de foi : ce psaume est un poème en l’honneur de la Loi, une méditation sur ce don de Dieu qu’est la Loi, les commandements, si vous préférez. D’ailleurs, plus que de psaume, on ferait mieux de parler de litanie ! Une litanie en l’honneur de la Loi ! Voilà qui nous est passablement étranger.

Car une des caractéristiques de la Bible, un peu étonnante pour nous, c’est le réel amour de la Loi qui habite le croyant biblique. Les commandements ne sont pas subis comme une domination que Dieu exercerait sur nous, mais des conseils, les seuls conseils valables pour mener une vie heureuse. « Aussi j’aime tes volontés, plus que l’or le plus précieux. Je me règle sur chacun de tes préceptes, je hais tout chemin de mensonge. » Quand l’homme biblique dit cette phrase, il la pense de tout son cœur.

Et, non seulement la Loi n’est pas subie comme une domination, mais elle est accueillie comme un cadeau que Dieu fait à son peuple, le mettant en garde contre toutes les fausses routes ; elle est l’expression de la sollicitude du Père pour ses enfants ; tout comme nous, parfois, nous mettons en garde un enfant, ou un ami, contre ce qui nous paraît être dangereux pour lui. On dit que Dieu « donne » sa Loi et elle est bien considérée comme un « cadeau ». Car Dieu ne s’est pas contenté de libérer son peuple de la servitude en Égypte ; laissé à lui-même, Israël risquait de retomber dans d’autres esclavages pires encore, peut-être. En donnant sa loi, Dieu donnait en quelque sorte le mode d’emploi de la liberté. La Loi est donc l’expression de l’amour de Dieu pour son peuple.

LA RÈGLE D’OR

Il faut dire une fois de plus qu’on n’a pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Amour et que finalement la Loi n’a pas d’autre but que de nous mener sur le chemin de l’amour. Toute la Bible est l’histoire de l’apprentissage du peuple élu à l’école de l’amour et de la vie fraternelle. Le livre du Deutéronome disait : « Écoute Israël : le SEIGNEUR notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras1 le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force ». (Dt 6,4). Et le livre du Lévitique enchaînait : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18). Voici le commentaire que les rabbins faisaient de ce verset : « Tu aimeras ton prochain, de sorte que ce que tu détestes pour toi-même, tu ne le lui feras pas à lui. » C’est ce que l’on appelait « la Règle d’or ». Et le célèbre rabbin Hillel qui a précédé Jésus de quelques dizaines d’années (il a vécu de -70 à + 10) commentait : « Ce que tu détestes pour toi-même, ne le fais pas à ton prochain : c’est là toute la Torah, le reste est explication. Va et étudie. » Il aimait dire également : « Ne juge pas ton prochain jusqu’à ce que tu sois à sa place ». Jésus était exactement dans la même ligne lorsqu’il disait que les deux commandements de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain étaient le résumé de la loi juive. Quant à la « Règle d’or », il la reprenait à son compte en disant : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi : voilà ce que disent la Loi et les Prophètes. » (Mt 7,12).

Pour revenir au psaume 118 (119), il ressemble bien à une sorte de litanie : après les trois premiers versets qui sont des affirmations sur le bonheur des hommes fidèles à la loi, les 173 autres versets s’adressent directement à Dieu dans un style tantôt contemplatif, tantôt suppliant du genre : « Ouvre mes yeux, que je contemple les merveilles de ta loi. » Et la litanie continue, répétant sans arrêt les mêmes formules ou presque : par exemple, en hébreu, dans toutes les strophes, reviennent huit mots2 toujours les mêmes pour décrire la loi. Seuls les amoureux osent ainsi se répéter sans risquer de se lasser.

Huit mots toujours les mêmes et aussi huit versets dans chacune des 22 strophes : le chiffre 8, lui non plus, n’est pas dû au hasard ; dans la Bible, c’est le chiffre de la nouvelle création : la première Création a été faite par Dieu en 7 jours, donc le huitième jour sera celui de la Création renouvelée, des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle », selon une autre expression biblique. Celle-ci pourra surgir enfin quand toute l’humanité vivra selon la loi de Dieu, c’est-à-dire dans l’amour puisque c’est la même chose !

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Note

1 - « Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » : tu aimeras, ici, veut dire « tu t’attacheras » au SEIGNEUR ton Dieu, à l’exclusion de tout autre. (Le livre du Deutéronome lutte encore contre l’idolâtrie).

2 - On trouvera dans le commentaire de ce même psaume pour le sixième dimanche du temps ordinaire – A, une étude de vocabulaire.
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LECTURE  DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   8,28-30

     Frères,
28 Nous le savons,
     quand les hommes aiment Dieu,
     lui-même fait tout contribuer à leur bien,
     puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour.
29 Ceux que, d’avance, il connaissait,
     il les a aussi destinés d’avance
     à être configurés à l'image de son Fils,
     pour que ce Fils soit le premier-né d'une multitude de frères.
30 Ceux qu'il avait destinés d’avance,
     il les a aussi appelés ;
     ceux qu'il a appelés,
     il en a fait des justes ;
     et ceux qu'il a rendus justes,
     il leur a donné sa gloire.
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DIEU PROPOSE, L’HOMME DISPOSE 

Depuis plusieurs semaines, nous lisons le chapitre 8 de la lettre aux Romains : saint Paul contemple toute l’histoire de l’humanité, il la décrit comme une longue marche vers un avenir magnifique. Un jour, nous serons semblables à Jésus-Christ, nous serons à son image et nous ne ferons plus qu’un en Lui. Voilà le projet de Dieu : « les hommes sont appelés selon le dessein de son amour » (v. 28).

Le meilleur commentaire du passage d’aujourd’hui se trouve chez Paul lui-même dans sa deuxième lettre aux Thessaloniciens : « À tout moment nous devons rendre grâce à Dieu à votre sujet, frères, vous qui êtes aimés du Seigneur, puisque Dieu vous a choisis en premier pour être sauvés par l’Esprit qui sanctifie et par la foi en la vérité. C’est à cela que Dieu vous a appelés par notre proclamation de l’Évangile, pour que vous entriez en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus Christ. » (2 Th 2,13-14). Tout est là, dans ces quelques lignes, de ce que nous avons lu ces derniers dimanches dans la lettre aux Romains : ce projet de Dieu qui débouche sur notre union à Jésus-Christ (ce qu’il appelle « posséder la gloire de notre Seigneur Jésus Chrit »), l’œuvre de l’Esprit sur laquelle Paul insiste beaucoup, et enfin notre propre participation sollicitée, mais libre, évidemment, à ce dessein de Dieu. Ailleurs, dans la première lettre aux Thessaloniciens, Paul dit plus simplement encore : « Dieu vous appelle à son Royaume et à sa gloire. » (1 Th 2,12).

Nous sommes donc en chemin vers cette transformation de tout notre être, ce façonnage, pourrait-on dire, qui nous modèlera à l’image de Jésus-Christ. Plus haut, dans la lettre aux Romains, Paul comparait ce processus de transformation à une naissance : « La création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore », disait-il (8,22). Ici l’image est plutôt celle de l’entrée dans une grande famille : Dieu nous a « destinés à être configurés à l'image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d'une multitude de frères. » (v. 29). Quelques lignes auparavant, sur le même registre, il avait employé à notre sujet l’expression : « enfants de Dieu ». Et il avait continué : « Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ » (8,17).

Pour entrer dans cette famille, la porte est ouverte à tous, mais nous restons libres. Dans le passage de la lettre aux Thessaloniciens que je lisais tout-à-l’heure, Paul emploie le mot « foi » : à l’appel de Dieu, sa proposition  de participer au grand projet, au « dessein de son amour », nous répondons par la foi, la confiance : « Dieu vous a choisis en premier pour être sauvés par l’Esprit qui sanctifie et par la foi en la vérité. » Nous disons volontiers « L’homme propose, Dieu dispose », mais il me semble que Paul nous dit juste l’inverse : « Dieu propose, l’homme dispose ».

Car Dieu ne nous impose pas son projet, il nous le propose ; c'est pourquoi, depuis les origines de la Révélation, on entend Dieu appeler l'homme et lui proposer son Alliance ; un peu comme si Dieu inlassablement répétait : ‘Aime-moi, fais-moi confiance, puisque je t'aime.’ Paul nous dit en quelque sorte, ‘Dieu ne vous force pas la main, mais si vous décidez de lui faire confiance, de le laisser mener votre vie, soyez bien certains qu’il fera progresser son dessein en vous et par vous.’

LE PROJET DE DIEU EST SUSPENDU À NOTRE LIBERTÉ

Dans le passage d’aujourd’hui de la lettre aux Romains, notre liberté d’adhérer ou non au projet de Dieu est dite également, mais autrement : « Quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (v. 28). Le mot choisi ici par Paul « aiment » dit la réponse libre de l’homme à la proposition, l’appel de Dieu. Ce n’est pas un sentiment, c’est un élan, c’est l’adhésion de la « foi ». Il est l’équivalent du mot « foi » dans la lettre aux Thessaloniciens.

Il reste que les formules de Paul peuvent prêter à confusion : ici, il dit : « quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour. » Mais alors on voit bien tout de suite l'objection qui pourrait jaillir : alors, pour ceux qui n'aiment pas Dieu, son plan d'amour n'existe-t-il pas ?

Bien sûr que si : croire que la bonté de Dieu est restreinte à quelques-uns serait une mauvaise lecture des paroles de Paul et de toute la Bible, la fameuse lecture du soupçon qui nous guette toujours. Le vrai croyant sait bien que le « dessein » de Dieu ne vise que notre bonheur ; il veut rassembler tous les hommes, et même l'univers entier, nous le savons bien. Mais nous restons libres de ne pas aimer Dieu.

Autre difficulté, Paul continue : « Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l'image de son Fils » ; et, à plusieurs reprises, il emploie cette expression « ceux que » : « Ceux qu'il avait destinés d’avance… ceux qu'il a appelés… ceux qu'il a rendus justes … ». N'imaginons pas qu'il y aurait les privilégiés, les chanceux et les autres. Dieu ne fait pas des choix comme les hommes peuvent en faire. Pour reprendre le vocabulaire de Paul, nous sommes tous « connus » de Dieu, « appelés, justifiés, introduits dans sa gloire », à condition de l’accepter, bien sûr.

L'expression « Ceux que, d’avance, il connaissait » n'est donc pas restrictive ; elle désigne sans limitation tous ceux qui acceptent d'entrer dans le projet de Dieu. Par ces formulations successives  « Ceux qu'il avait destinés d’avance... ceux qu'il a appelés... ceux qu'il a rendus justes... », Paul décrit tout simplement l'itinéraire de tous ceux qui veulent bien entrer dans ce merveilleux plan de salut. En premier lieu, Dieu a envoyé son Fils ; c'est lui qui est « le commencement, le premier-né d'entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. » (Col 1,18). Ainsi ceux qui répondent à l'amour de Dieu ressemblent à ce Fils qui a réalisé la volonté de salut du Père. « Ceux qu'il avait destinés d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu'il a rendus justes, il leur a donné sa gloire. » Manière de dire que cette rencontre les a mis en harmonie parfaite avec Dieu (justifiés), rendus participants de sa nature divine (sanctifiés), et d'ores et déjà accueillis dans sa gloire (glorifiés).

Pas étonnant que Paul écrive dans le verset qui suit immédiatement cette contemplation : « Que dire de plus ? »
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Complément

Les prophètes ont annoncé à plusieurs reprises que le projet de Dieu est pour tous les hommes ; Isaïe par exemple : « Le SEIGNEUR de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés… Et ce jour-là, on dira : ‘Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; c’est lui le SEIGNEUR, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés !’ » (Is 25,6... 9). Et ailleurs : « Ma maison s’appellera Maison de prière pour tous les peuples. » (Is 56,7 ; voir le commentaire de ce texte au vingtième dimanche du temps ordinaire – année A).

C’est bien ce que dit le texte de la lettre aux Éphésiens : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement ; réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et sur la terre. »ù (Ep 1,9-10). C'est exactement cela que Paul contemple ici.
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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT  MATTHIEU  13,44-52

     En ce temps-là,
     Jésus disait à la foule ces paraboles :
44 « Le royaume des Cieux est comparable
     à un trésor caché dans un champ ;
     l'homme qui l'a découvert le cache de nouveau.
     Dans sa joie, il va vendre tout ce qu'il possède,
     et il achète ce champ.
45 Ou encore :
     Le royaume des Cieux est comparable
     à un négociant qui recherche des perles fines.
46 Ayant trouvé une perle de grande valeur,
     il va vendre tout ce qu'il possède,
     et il achète la perle.
47 Le royaume des Cieux est encore comparable
     à un filet que l'on jette dans la mer,
     et qui ramène toutes sortes de poissons.
48 Quand il est plein, on le tire sur le rivage,
     on s'assied,
     on ramasse dans des paniers ce qui est bon,
     et on rejette ce qui ne vaut rien.
49 Ainsi en sera-t-il à la fin du monde :
     les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes
50 et les jetteront dans la fournaise :
     là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
51 Avez-vous compris tout cela ?
     Ils lui répondent « Oui ».
52 Jésus ajouta :
     « C'est pourquoi tout scribe
     devenu disciple du royaume des Cieux
     est comparable à un maître de maison
     qui tire de son trésor du neuf et de l'ancien. »
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LA COURSE AU TRÉSOR

Voici quatre petites paraboles que Jésus développe pour parler du royaume des Cieux ; mais en dehors de ce point commun, on se demande quel est le lien entre elles ? Les deux premières semblent assez facilement compréhensibles : qu’il s’agisse du trésor caché dans le champ ou de la perle rare, le bénéficiaire est prêt à sacrifier tout le reste et la joie qu’il en éprouve compense largement la perte du reste.

La troisième parabole raconte un retour de pêche : il y a du tri à faire dans le filet ; « on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien. » Et Jésus ajoute : « Ainsi en sera-t-il à la fin du monde, les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes ». À noter que Jésus a déjà développé cette même image du tri dans la parabole du bon grain et de l'ivraie ; et nous avions noté que bons et méchants ne sont pas deux catégories distinctes d’hommes mais des comportements.

Ce rappel du jugement comparé à un tri sans appel dit la gravité des enjeux. Nous retrouvons là, en définitive, un thème très fort de l’enseignement de Jésus : « Nul ne peut servir deux maîtres » ; ou encore l’image de la porte étroite ou celle de la maison bâtie sur le roc. Et ces choix que nous avons à faire sont d’une extrême gravité. La sévérité de l’image du jugement est là pour nous le rappeler. Cela nous fait penser à la toute première prédication de la vie publique de Jésus : « Convertissez-vous : car le royaume des Cieux est tout proche. » (Mt 4,17). Et au jeune homme riche de biens matériels et spirituels qui vient lui demander : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? », Jésus répond : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi ! » (Mt 19,16... 21). On connaît la suite : le jeune homme n’a pas compris le trésor que représentait cet appel de Jésus, il n’a pas, du coup, trouvé la force du renoncement et il s’en est retourné à sa vie ordinaire, tout triste.

On voit tout de suite, bien sûr, les exigences que Jésus pose ici pour notre vie de baptisés : à l’entendre, il n’y a pas de demi-mesure. Cela veut dire que tout, désormais, dans nos vies, se juge à la lumière du Royaume de Dieu. « Réintroduire dans nos pensées, nos jugements, nos comportements, une référence au Royaume de Dieu qui vient, disait Mgr Coffy, est aujourd’hui une tâche essentielle de l’Église. »

LES RENONCEMENTS NÉCESSAIRES

Ce sont ces trois premières paraboles qui permettent de comprendre la quatrième, car c’est là que Jésus voulait en venir : elle est précédée d’un court dialogue entre Jésus et ses disciples : « Avez-vous compris tout cela ? », leur demande-t-il et eux répondent Oui. Alors Jésus reprend : « C'est ainsi que tout scribe devenu disciple du royaume des Cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l'ancien. »

Les scribes étaient familiers des Écritures, c'est-à-dire de l'Ancien Testament, pétri de la foi et de l’espérance de leur peuple. Mais Jésus savait quel effort ils auraient à faire pour accueillir la nouveauté qu’il apportait par rapport à leurs idées préconçues et pour se mettre au diapason de Dieu ; il les met en garde d’une certaine manière : pour accueillir le Royaume, vous aurez vous aussi des renoncements à opérer. Vous allez devenir propriétaires d'un trésor fait de neuf et d'ancien. Il vous faudra savoir garder tous les acquis de l’Ancien Testament, tout son trésor de découverte du mystère de Dieu et, en même temps, vous préparer à accueillir la nouveauté révélée par Jésus-Christ.

Sur le rapport entre Ancien et Nouveau Testament, et notre trésor fait à la fois d’Ancien et de Nouveau, il faut relire cette phrase de Jésus :

« Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Mt 5,17). Nous savons combien les mystères révélés par Jésus s'enracinent dans la révélation de la première Alliance ; nous savons aussi que celle-ci trouve tout son son sens et son accomplissement en Jésus-Christ. Connaître l'Une et l'Autre, inséparablement, voilà le grand, l'unique trésor.

En y réfléchissant, on s’aperçoit que la vie de Paul est une illustration de ces quatre paraboles ; il suffit de relire les confidences qu’il fait aux Philippiens : après avoir énuméré ses titres de fierté en tant que Juif et Pharisien, il ajoute : « Tous ces avantages que j’avais, je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ. » (Ph 3,7-8).
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N.-B.

Tout ce passage est propre à Matthieu

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 30 07 2023, 17e dimanche du temps ordinaire A

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17 juillet 2023 1 17 /07 /juillet /2023 21:21
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE LA SAGESSE   12,13.16-19

13 Il n’y a pas d’autre dieu que toi,
     qui prenne soin de toute chose :
     tu montres ainsi que tes jugements ne sont pas injustes.
16 Ta force est à l’origine de ta justice,
     et ta domination sur toute chose
     te permet d’épargner toute chose.
17 Tu montres ta force
     si l’on ne croit pas à la plénitude de ta puissance,
     et ceux qui la bravent sciemment, tu les réprimes.
18 Mais toi qui disposes de la force,
     tu juges avec indulgence,
     tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement,
     car tu n’as qu’à vouloir pour exercer ta puissance.
19 Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple
     que le juste doit être humain ;
     à tes fils tu as donné une belle espérance :
     après la faute tu accordes la conversion.

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L’INDULGENCE DE DIEU…

Le « Livre de la Sagesse » a été écrit en grec par un juif d’Alexandrie, donc sur le sol grec, dans les toutes dernières décades avant la venue du Christ ; pourtant, comme tous les auteurs bibliques, l’auteur de ce livre veut transmettre à ses lecteurs la foi juive reçue de la tradition des pères ; mais la difficulté réside dans le fait que ses lecteurs sont insérés dans la culture grecque, ou plutôt ils en sont imprégnés. Or dans le monde grec, ce qu’on admire le plus, c’est l’intelligence, et en particulier la philosophie ; le mot même « philosophie » veut dire « l’amour de la sagesse » : ce sont tous les efforts de l’intelligence humaine pour atteindre les secrets de la connaissance. Or pour les juifs il ne fait pas de doute que Dieu seul les connaît : l’auteur du livre biblique de la sagesse, je devrais dire le prédicateur, va donc dire haut et fort à ses contemporains que la vraie sagesse, les secrets de la connaissance, Dieu seul les possède. Il a compris déjà ce que Jésus dira quelques dizaines d’années plus tard, à savoir que les secrets de Dieu ne sont pas à la portée des sages et des savants mais des humbles. Je fais allusion ici à cette phrase de Jésus que nous avons entendue récemment dans l’évangile de Matthieu (c’était au quatorzième dimanche) : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits. » (Mt 11,25).

Dans le passage que nous lisons aujourd’hui, il médite sur deux thèmes majeurs de la foi juive : la puissance de Dieu et la bonté de Dieu ; je commence par cette dernière, car l’auteur y insiste particulièrement. Je reprends ses termes ; d’après lui, Dieu « prend soin de toute chose », il « épargne toute chose », il « juge avec indulgence », il « nous gouverne avec beaucoup de ménagement », et enfin « après la faute il accorde la conversion ». Dans toutes ces affirmations, nous reconnaissons bien les acquis de la foi juive au terme de l’histoire biblique.

En même temps, le Dieu d’Israël est tout-puissant, cela ne fait aucun doute : « Il n'y a pas d’autre dieu que toi, Seigneur » ... « Il domine sur toute chose » ... « Il dispose de la force » ... « Il n’a qu'à vouloir pour exercer sa puissance ».

Mais ce qui est particulièrement intéressant dans le texte d’aujourd’hui, c’est que l’auteur fait un lien entre la bonté de Dieu et sa puissance : pour lui, c’est une évidence : si Dieu est aussi indulgent avec les hommes, c’est parce qu’il est tout-puissant : « Ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose ».

Ici il compare la puissance de Dieu et la volonté de puissance des hommes ; parce qu’ils ne possèdent pas la force en eux-mêmes, les hommes éprouvent le besoin d’en faire étalage : le verset 17 peut aussi se traduire : « Il fait montre de sa force, celui dont le pouvoir est mis en doute » (ce qui est un fait d’expérience). Dans la vie courante, il nous arrive de rencontrer ce qu’on appelle des « petits chefs » : ils prennent des airs importants, précisément parce que leur pouvoir est limité.

N’A D’ÉGALE QUE SA PUISSANCE

Dieu au contraire qui dispose de la puissance infinie ne montre que douceur et patience : il montre sa force, l'homme dont la puissance est discutée... Toi, (Seigneur), qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement, car tu n'as qu'à vouloir pour exercer ta puissance. »

Cette découverte d’un Dieu à la fois tout-puissant et bon est un acquis magnifique de la religion juive et il a fallu des siècles de pédagogie de Dieu pour en arriver là ; ce regard sur Dieu ne nous est absolument pas spontané : il semble même que le mystère d’un Dieu d’amour soit irrémédiablement inaccessible à notre intelligence. « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, – oracle du SEIGNEUR. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. » (Is 55,8-9).

Mais grâce à la Révélation patiente de Dieu par l’intermédiaire de ses prophètes, indiscutablement, au long des siècles, le regard des croyants sur Dieu s’est peu à peu transformé : on a appris que Dieu est tendresse et douceur et pardon. Ici, par exemple, nous avons entendu : « Après la faute, tu accordes la conversion. » On a appris également que sa puissance n’est pas tapageuse, qu’elle est celle, invincible, mais discrète du véritable amour. C’est bien la même découverte qu’avait faite le grand prophète Élie à l’Horeb : le Dieu tout-puissant n’est pas dans l’ouragan ni dans le feu, ni dans le tremblement de terre, mais dans le murmure de la brise légère.

Et ce n’est pas fini : notre texte de ce dimanche va encore plus loin ; car toute découverte du mystère de Dieu entraîne des exigences nouvelles pour l’homme si celui-ci prend au sérieux sa ressemblance avec Dieu. Du coup, et c’est le deuxième aspect de la foi d’Israël, le regard sur l’homme change, et avec le regard, l’idéal humain change : si Dieu n’est qu’amour et tendresse et s’il nous a créés à son image, la conséquence ne se fait pas attendre : il nous faut abandonner peu à peu toute idée de violence et de puissance. On en a l’écho dans notre texte d’aujourd’hui : « Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain. »

Jésus, à son tour, s’inscrivait bien dans la même ligne quand il disait à ses disciples : « Les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi. » (Mt 20,25-26). Pourquoi ? Parce que notre vocation est de ressembler chaque jour davantage à Celui qui « épargne toute chose. »
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Compléments

Pseudépigraphie

Les usages littéraires des temps bibliques n’étaient pas les nôtres : on n’hésitait pas à attribuer au grand roi Salomon, réputé pour son amour de la sagesse un livre écrit quelque 900 ans après sa mort par un auteur anonyme. Dans la Bible grecque, le livre dont nos lisons un extrait ce dimanche est intitulé « Livre de la Sagesse de Salomon » mais il ne doit rien au grand roi, sinon la reconnaissance que l’on doit à celui qui introduisit à la cour de Jérusalem ce souci de la recherche philosophique qu’il tenait probablement des Égyptiens. (L’une de ses épouses était une princesse égyptienne).

Les livres « deutérocanoniques »

Parce qu’il a été écrit tardivement, et en grec, à Alexandrie (en Égypte), le livre de la Sagesse fait partie des livres qu’on appelle « deutérocanoniques ».

Lorsqu’à la fin du premier siècle de notre ère, les Juifs ont souhaité fixer définitivement la liste des livres destinés à figurer dans la Bible, ils ont basé leur choix sur trois critères : le contenu du livre (sa conformité à la foi d’Israël), la langue de composition du livre (l’hébreu exclusivement) et le lieu de composition (la terre d’Israël exclusivement).

Le livre de la Sagesse (ainsi que quelques autres) ne répond pas aux deux derniers critères, puisqu’écrit en grec (et non en hébreu) à Alexandrie, en Égypte (et non sur la terre d’Israël). Il ne fait donc pas partie de la liste officielle hébraïque. En revanche, la communauté juive de langue grecque (qui comprenait toutes les communautés juives du bassin méditerranéen hors Israël) l’a inscrit dans sa liste en plus des livres reconnus dans la liste hébraïque. Ce sont les livres de cette seconde liste que l’on appelle « deutérocanoniques » (en grec « deutero » = deux ; « canon » = règle).

Liste des livres deutérocanoniques :

Esther (partie grecque) ; Judith ; Tobit ; 1 et 2 Maccabées ; Sagesse ; Siracide ; Baruch ; lettre de Jérémie.
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PSAUME 85 (86), 5-6, 9-10, 15-16a

5   Toi qui es bon et qui pardonnes,
     plein d'amour pour tous ceux qui t'appellent,
6   écoute ma prière, Seigneur,
     entends ma voix qui te supplie.

9   Toutes les nations que tu as faites
     viendront se prosterner devant toi,
10 car tu es grand et tu fais des merveilles,
     toi Dieu, le seul.

15 Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié,
     lent à la colère, plein d'amour et de vérité !
16 Regarde vers moi,
     prends pitié de moi.
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DIEU DE TENDRESSE ET DE PITIÉ

La première lecture de ce dimanche est extraite du livre de la Sagesse : l’auteur s’émerveille à la fois de la grandeur et de la tendresse de Dieu ; et il dit que l’une explique l’autre : si Dieu est indulgent avec l’homme, c’est précisément parce qu’il est tout-puissant. « Toi, Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence... Ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose. »

On retrouve bien ce double accent dans le psaume d’aujourd’hui : la première et la troisième strophes que nous avons entendues développent le thème de l’indulgence, la deuxième strophe dit la grandeur de Dieu. Je les reprends partiellement : première strophe sur l’indulgence de Dieu : « Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d'amour pour ceux qui t'appellent », troisième strophe sur le même ton : « Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de vérité » ; deuxième strophe sur la grandeur de Dieu : « Tu es grand et tu fais des merveilles, toi Dieu, le seul. »

Je les reprends maintenant une à une. Je commence par la troisième qui évoque d’emblée pour nous une phrase célèbre : « Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de vérité ! Regarde vers moi, prends pitié de moi. » La première phrase de cette strophe est l’une des grandes révélations de Dieu à Moïse au Sinaï. Je vous la rappelle : « Le SEIGNEUR passa devant Moïse et proclama : Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » (Ex 34,6). Or cette révélation de la miséricorde de Dieu intervenait au meilleur moment qui soit : c’était immédiatement après l’épisode du veau d’or ! Moïse était entré dans une grande colère et avait jeté par terre les tables de la Loi que Dieu venait de lui donner. C’est donc le signe de l’Alliance qui était détruit par Moïse lui-même, après que l’Alliance elle-même ait été profanée par le peuple qui s’était fabriqué une idole, le veau en or.

Dieu, lui, ne renie pas l’Alliance pour autant, il dit à Moïse : taille deux nouvelles plaques de pierre qui seront les tables de la Loi. J’écrirai sur ces nouvelles tables les mêmes paroles que sur les premières tables. Voilà bien une preuve de sa miséricorde. Et c’est à ce moment précis qu’il dit à Moïse cette phrase : « Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. »

Et comment Moïse a-t-il réagi ? Il a pris Dieu au mot, si j’ose dire : « Aussitôt Moïse s’inclina jusqu’à terre et se prosterna. Il dit : ‘S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne marcher au milieu de nous. Oui, c’est un peuple à la nuque raide ; mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage.’ » (Ex 34,8-9).

TOUTES LES NATIONS QUE TU AS FAITES VIENDRONT SE PROSTERNER DEVANT TOI

L’auteur de notre psaume réagit exactement comme Moïse : il rappelle la miséricorde de Dieu et il le prend au mot, c’est-à-dire qu’il le supplie : « Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de vérité ! Regarde vers moi, prends pitié de moi. » Au fond, dans toutes nos prières, nous faisons la même chose, nous prenons Dieu au mot. Nous nous souvenons de son projet de bonheur, de son dessein bienveillant pour l’humanité et nous le supplions de hâter son accomplissement. (voir la deuxième lecture de ce dimanche : Rm 8,26-27). Nous retrouvons exactement le même mouvement dans la première strophe que nous lisons aujourd’hui : le rappel de la miséricorde de Dieu précède et encourage la prière : « Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d'amour pour ceux qui t'appellent, écoute ma prière, Seigneur, entends ma voix qui te supplie. »

Vous allez voir que le parallèle entre notre psaume et le livre de l’Exode continue : jusqu’ici nous avons lu dans le livre de l’Exode la révélation de Dieu et la réponse de Moïse. Dieu dit qu’il est miséricordieux et bienveillant et Moïse répond : « tu nous pardonneras » ; je lis maintenant la phrase suivante de Dieu : » Voici que je vais conclure une alliance. Devant tout ton peuple, je vais faire des merveilles qui n’ont été créées nulle part, dans aucune nation. » En écho la deuxième strophe de notre psaume chante : « Tu es grand et tu fais des merveilles, toi Dieu, le seul ». On peut penser que l’auteur du psaume connaissait bien le livre de l’Exode puisqu’il reprend exactement le même vocabulaire.

Mais l’autre verset de cette même strophe nous offre une nouveauté par rapport au livre de l’Exode : parce qu’il est probablement plus tardif, le psaume aborde un autre aspect de la foi juive : au cours de l’Exil à Babylone, on a mieux pris conscience de l’universalisme du projet de Dieu et on a compris que toutes les nations sont appelées à le connaître. Or comment se convertiront-elles ? En découvrant l’œuvre de Dieu en faveur de son peuple. C’est une découverte tardive mais magnifique de la foi juive. Le peuple juif ne prétend pas convertir les autres peuples, mais il réalise que l’œuvre de Dieu en sa faveur devient le moyen de la conversion des autres peuples : s’ils ouvrent les yeux, ils sont amenés à reconnaître le Dieu d’Israël comme le sauveur et ils se tournent vers lui, condition nécessaire et suffisante pour être sauvés à leur tour.

Je vous lis cette strophe et je terminerai par elle : « Toutes  les nations  que  tu  as  faites viendront se prosterner devant toi, car tu es grand et tu fais des merveilles, toi Dieu, le seul. »
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   8, 26-27

     Frères,
26 l'Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse,
     car nous ne savons pas prier comme il faut.
     L'Esprit lui-même intercède pour nous
     par des gémissements inexprimables.
27 Et Dieu, qui scrute les cœurs,
     connaît les intentions de l'Esprit :
     puisque c’est selon Dieu
     que l'Esprit intercède pour les fidèles.
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L’ESPRIT VIENT AU SECOURS DE NOTRE FAIBLESSE

Vous avez entendu l’insistance de saint Paul sur le rôle de l’Esprit Saint ! Dans ce seul chapitre 8 de la lettre aux Romains, il le nomme 18 fois ! À l’entendre, notre vie de baptisés se déroule tout entière sous l’influence de l’Esprit Saint : si nous nous laissons faire, évidemment. Nous restons libres, nous ne le savons que trop bien. Mais Paul, rappelez-vous, a des formules très fortes. Par exemple, il a affirmé que « l’Esprit habite en nous » (8,9.11), (c’était il y a 15 jours pour le 14ème dimanche). La semaine dernière, pour le 15ème dimanche, il nous a parlé de ce grand projet de Dieu qui couvre toute l’histoire de l’humanité et qui ressemble à une naissance. Il nous disait : les douleurs de la mise au monde d’un nouveau-né ne sont pas rien, mais elles sont le prélude d’un grand bonheur. Je vous rappelle ce passage de la lettre de Paul : « J'estime qu'il n'y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous... Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d'un enfantement qui dure encore. »

Aujourd’hui, il nous parle de la prière : il nous dit que l’Esprit guide notre prière pour nous faire entrer dans ce fameux projet de Dieu. Le texte d’aujourd’hui est très court mais il met bien en valeur un rapprochement intéressant : d’une part, et c’est le dernier verset, « c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles », dit Paul. Et, d’autre part, il « vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. » Si je comprends bien, « prier comme il faut », c’est entrer dans la volonté de Dieu, « vouloir ce que Dieu veut » ; c’est regarder le monde au sens large, mais aussi notre entourage proche avec le regard de Dieu ; c’est nous réjouir quand nous voyons des signes même petits de l’avancement du Royaume de Dieu, des progrès de fraternité, de partage, de solidarité, de respect. C’est refuser de baisser les bras devant les lenteurs des progrès de l’humanité, puisque l’Esprit souffle sans arrêt, même si cela n’apparaît pas toujours en pleine lumière. C’est donc continuer, quoi qu’il arrive, à désirer de toutes nos forces la croissance du projet de Dieu.

On pense aussitôt au Notre Père : « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » Ces trois vœux que nous formons sont notre manière d’entrer dans les vues de Dieu. Nous comprenons du coup pourquoi nous ne savons pas prier comme il faut : comment saurions-nous nous hisser par nous-mêmes au niveau du projet de Dieu ? Il nous faut bien l’assistance de l’Esprit Saint pour éclairer notre prière. Au fond, c’est ce que Jésus lui-même avait promis à ses disciples le dernier soir : « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous. » (Jn 14,15).

QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE SUR LA TERRE COMME AU CIEL

Si je comprends bien, la prière commence peut-être tout simplement par appeler l’Esprit à notre secours. Car il connaît, lui, les secrets du projet de Dieu ; Paul le dit plus longuement dans la première lettre aux Corinthiens : « L’Esprit scrute le fond de toutes choses, même les profondeurs de Dieu. Qui donc, parmi les hommes, sait ce qu’il y a dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, personne ne connaît ce qu’il y a en Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. Or nous, ce n’est pas l’esprit du monde que nous avons reçu, mais l’Esprit qui vient de Dieu, et ainsi nous avons conscience des dons que Dieu nous a accordés. » (1 Co 2,10-12).

Le meilleur modèle pour notre prière, en définitive, est certainement Jésus lui-même, puisqu’il était en permanence conduit par l’Esprit Saint. Or tout au long de sa vie terrestre on peut voir à quel point sa prière et toutes ses paroles et ses gestes ont été sous le signe de l’accomplissement de la mission confiée par son Père : les évangiles sont parsemés d’épisodes où il se montre à l’écoute de la volonté du Père. J’en retiens quelques-uns ; cela commence dès son adolescence, d’après l’évangile de Luc : à sa maman qui s’inquiète de lui, l’enfant répond : « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » (Lc 2,49). Quelques années plus tard, avant de commencer ce que l’on appelle sa vie publique, il affronte le Tentateur au désert ; et ce qui fait la différence entre les deux protagonistes, justement, c’est la volonté ferme de Jésus de se maintenir dans l’obéissance à la Parole de son Père : à chaque sollicitation du diable, il répond par une parole de l’Écriture.

Quelques années plus tard, à la veille de sa mort, au cours de la longue prière qu’il développe devant ses disciples, et que Jean nous rapporte, on est frappé de cet ajustement du Christ à la volonté de son Père : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. » (Jn 14,10) ; « il faut que le monde sache que j’aime le Père, et que je fais comme le Père me l’a commandé. » (Jn 14,31). Et l’on connaît la prière qu’il prononcera quelques heures plus tard, au jardin de Gethsémani : « Père, non pas ce que, moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ! » (Mc 14,36). On comprend pourquoi l’auteur de la lettre aux Hébreux résume la vie de Jésus en une phrase : « En entrant dans le monde, le Christ dit… : Me voici, je suis venu pour faire ta volonté. » (He 10,5.9).

Une autre caractéristique de la prière de Jésus qui doit être le modèle de la nôtre, c’est l’action de grâce. Or sa joie éclate chaque fois qu’il voit des signes de l’accomplissement du projet de Dieu : par exemple, chaque fois qu’il constate la foi de ses interlocuteurs ; ou encore au retour des soixante-douze disciples qu’il avait envoyés en mission, Jésus laisse déborder sa joie ; Luc écrit : « À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : ‘Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance.’ » (Lc 10,21) Voilà qui devrait chasser nos craintes : tout-petits, nous le sommes ; mais ne nous attristons plus de notre faiblesse : elle est en nous la porte ouverte à l’Esprit Saint.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   13, 24-43

     En ce temps-là
24 Jésus proposa cette parabole à la foule :
     « Le Royaume des cieux est comparable
     à un homme qui a semé du bon grain dans son champ.
25 Or, pendant que les gens dormaient,
     son ennemi survint ;
     il sema de l'ivraie au milieu du blé
     et s'en alla.
26 Quand la tige poussa et produisit l'épi,
     alors l'ivraie apparut aussi.
27 Les serviteurs du maître vinrent lui dire :
     Seigneur, n'est-ce pas du bon grain
     que tu as semé dans ton champ ?
     d'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ?
28 Il leur dit :
     C'est un ennemi qui a fait cela.
     Les serviteurs lui disent :
     Veux-tu donc que nous allions l'enlever ?
29 Il répond :
     Non, en enlevant l'ivraie,
     vous risquez d’arracher le blé en même temps.
30 Laissez-les pousser ensemble jusqu'à la moisson ;
     et, au temps de la moisson,
     je dirai aux moissonneurs :
     Enlevez d'abord l'ivraie,
     liez-la en bottes pour la brûler ;
     quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier. »
31 Il leur proposa une autre parabole :
     « Le Royaume des cieux est comparable
     à une graine de moutarde
     qu'un homme a prise et qu’il a semée dans son champ.
32 C'est la plus petite de toutes les semences,
     mais, quand elle a poussé,
     elle dépasse les autres plantes potagères
     et devient un arbre,
     si bien que les oiseaux du ciel viennent
     et font leurs nids dans ses branches. »
33 Il leur dit une autre parabole :
     « Le Royaume des cieux est comparable
     au levain qu'une femme a pris et qu’elle a enfoui
     dans trois mesures de farine,
     jusqu'à ce que toute la pâte ait levé. »
34 Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles
     et il ne leur disait rien sans parabole,
35 accomplissant ainsi la parole du prophète :
     J’ouvrirai la bouche pour des paraboles,
     je publierai ce qui fut caché depuis la fondation du monde.
36 Alors, laissant les foules, il vint à la maison.
     Ses disciples s'approchèrent et lui dirent :
     « Explique-nous clairement la parabole de l'ivraie dans le champ. »
37 Il leur répondit :
     « Celui qui sème le bon grain, c'est le Fils de l'homme ;
38 le champ, c'est le monde ;
     le bon grain, ce sont les fils du Royaume ;
     l'ivraie, ce sont les fils du Mauvais.
39 L'ennemi qui l'a semée, c'est le diable ;
     la moisson, c'est la fin du monde ;
     les moissonneurs, ce sont les anges.
40 De même que l'on enlève l'ivraie
     pour la jeter au feu,
     ainsi en sera-t-il à la fin du monde.
41 Le Fils de l'homme enverra ses anges
     et ils enlèveront de son Royaume
     toutes les causes de chute
     et ceux qui font le mal,
42 ils les jetteront dans la fournaise :
     là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
43 Alors les justes resplendiront comme le soleil
     dans le Royaume de leur Père.
     Celui qui a des oreilles, qu'il entende ! »
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LA PATIENCE DE DIEU

Extraite de son contexte, on pourrait penser que la parabole de l’ivraie est un début de réponse au problème de l’origine du mal : ce n’est pas Dieu qui le crée tout comme ce n’est pas le maître de maison qui a semé l’ivraie : le récit de la création dans la Genèse y insistait déjà : alors que les autres religions considéraient que les divinités avaient créé le mal autant que le bien, l’auteur inspiré affirmait que tout ce que Dieu a fait était très bon ! (Gn 1,31). Jésus s’inscrit dans cette ligne, puisqu’il affirme que le maître de maison n’a semé que du bon grain.

Mais, si on replace la parabole de l’ivraie dans le contexte du chapitre 13 de saint Matthieu, il semble qu’elle parle d’autre chose. Car elle suit immédiatement la parabole du semeur et l’explication que Jésus en donne. La parabole du semeur que nous lisions dimanche dernier nous obligeait à admettre que les semailles ne sont pas forcément récompensées : pour le dire autrement, l’annonce de la Bonne Nouvelle ne rencontre pas toujours les oreilles attentives et les cœurs ouverts dont nous rêvons. La parabole de l’ivraie prend exactement la suite en posant la question : si l’on peut identifier les causes de nos échecs dans la mission d’évangélisation, ne peut-on pas prendre des mesures tout de suite ?

Nous nous retrouvons dans ce champ que son propriétaire a ensemencé. Le récit précédent insistait sur la qualité du terrain, plus ou moins favorable à une bonne récolte ; la présente parabole fait intervenir un ennemi qui sème nuitamment au milieu du blé une mauvaise herbe qui risque de l’étouffer.

Le traducteur l’appelle « ivraie », en grec c’est « zizanion » ; c’est de là, nous le savons, qu’est venue l’expression « semer la zizanie, la discorde ». Alors qu’il était bien difficile de changer la nature du terrain (dans la parabole du semeur), il paraît davantage possible d’intervenir pour supprimer le parasite. Mais l’histoire nous dit que le propriétaire s’y oppose : c’est au maître de la moisson, et à lui seul, qu’il revient de faire le tri quand il le jugera bon. Traduisez : c’est à Dieu et à personne d’autre qu’il revient de déraciner le mal « Toi, qui es-tu pour juger le serviteur d’un autre ? » dit Paul dans la lettre aux Romains (Rm 14,4).

Cela veut dire que Jésus nous invite à accepter comme notre condition de créatures ce mélange permanent de bien et de mal. Il vise peut-être ici la tentation d’élitisme qui prend certaines communautés ; certains pharisiens, par exemple, méprisaient parfois ceux qu’ils appelaient le petit peuple du pays, ceux qui avaient bien du mal à respecter toute la loi et les commandements ; d’autre part les zélotes partaient parfois en guerre contre ceux qu’ils considéraient comme trop tièdes ; on sait maintenant que ce fut l’origine de la révolte juive de 70 après J.-C. Or Matthieu est le seul des évangélistes à rapporter cette parabole, on peut en déduire que la communauté pour laquelle il écrivait avait particulièrement besoin d’entendre cette leçon-là.

JUSQU'À L’HEURE DE LA MOISSON

Un jour viendra pourtant où le maître de la moisson dira que l’heure a sonné de faire le tri. Jésus reprend là, dans l’explication qu’il donne à ses disciples, le style et l’imagerie traditionnelle du thème du jugement dans toute la Bible : il est toujours présenté comme une division en deux camps, les bons d’un côté, les mauvais de l’autre, mais personne ne s’y trompe : personne n’oserait se vanter d’être entièrement bon, personne non plus ne peut être accusé d’être entièrement mauvais ! La frontière qui sépare les bons des méchants passe en réalité en chacun de nous ! Nous sommes tous des êtres partagés. Quand Malachie oppose les humbles aux arrogants (Ml 3,191), quand les psaumes parlent des justes et des méchants (Ps 1), quand Jésus oppose bon grain et ivraie, nous sommes tous concernés : tous à la fois humbles et arrogants, justes et méchants, bon grain et ivraie ; nous retrouverons exactement la même opposition dans la parabole dite « du jugement dernier » également chez saint Matthieu (Mt 25, 31-46).

Mais alors comment comprendre concrètement, et comment concilier la brutalité promise aux méchants et la récompense promise aux bons, si nous sommes chacun les deux à la fois ? C’est Malachie qui nous donne la réponse : le soleil de justice fera germer tout ce qui est bon, le mal disparaîtra en un clin d’œil. Le psaume 1 dit la même chose avec une autre image : le bon grain sera moissonné, le mal sera tout simplement emporté par le vent. Jésus traduit : le maître de la moisson qui ne peut supporter de voir déraciner le moindre épi de blé avec l’ivraie (Mt 13, 29) ne condamnera pas en nous le bien avec le mal.

À l’histoire de l’ivraie, Jésus ajoute deux autres paraboles très courtes : la graine de moutarde et le levain ; elles apparaissent comme un contrepoint aux deux grandes paraboles précédentes qui décrivaient tous les obstacles à la croissance du Royaume ; elles disent au contraire sa puissance intérieure qui le fera aboutir infailliblement à son parfait déploiement : la graine de moutarde et le levain sont tous deux enfouis et disparaissent, la graine pour devenir elle-même le grand arbre, le levain, lui, au profit de la pâte qui lève grâce à lui.

Par là, Jésus nous invite à la confiance, à la patience et à l’humilité : remarquez la fragilité des commencements, la petitesse de la graine ou du levain comparée à la taille du résultat. Patience : la moisson viendra. Ce message de patience qui consonne si bien avec la première lecture nous suggère une nouvelle lecture de la parabole de l’ivraie : si Dieu se montre aussi patient, c’est peut-être parce qu’il ne faut pas risquer de perdre de bonnes gerbes en arrachant les mauvaises herbes (tout jardinier connaît ce risque). Mais c’est surtout parce qu’il ne désespère jamais de transformer l’ivraie de nos cœurs elle-même en bon grain !
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Note 

1 - Le prophète Malachie emploie l'image d'un soleil purificateur qui brûle tout ce qui est mauvais et fait germer tout ce qui est bon : « Voici que vient le jour du Seigneur, brûlant comme la fournaise. Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille. Le jour qui vient les consumera, – dit le SEIGNEUR de l’univers –, il ne leur laissera ni racine ni branche. Mais pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement. » (Ml 3,19-20). L'image de Malachie est très parlante : devant Dieu, soleil de justice, chaque personne humaine est là, avec ses grandeurs et ses misères, ses péchés et ses grâces : en la libérant de toutes les entraves du mal, Dieu permettra à tout ce qui est bon en elle de s'épanouir.

Compléments

1 – « Il ne leur disait rien sans parabole, accomplissant ainsi la parole du prophète : J’ouvrirai la bouche pour des paraboles, je publierai ce qui fut caché depuis la fondation du monde. » (versets 34-35). Il semble que Matthieu fasse référence ici au psaume 77 (78),2 : « J’ouvrirai la bouche pour une parabole, je publierai ce qui fut caché dès l’origine. »

2 - La « fournaise » (verset 42) : l’expression est tirée du livre de Daniel dans l’épisode des trois jeunes gens jetés dans la fournaise sur ordre du roi Nabuchodonosor (Dn 3,6).

3 - « Pleurs et grincements de dents » (même verset 42) : Matthieu reprend ici une expression classique dans la Bible pour dire la rage et le désespoir des impies devant le bonheur des justes. Exemple : « Contre toi ils ouvrent la bouche, tous tes ennemis, ils sifflent et grincent des dents. » (Lm 2,16). On trouve des formules similaires dans le livre de Job (Jb 16,9) et dans les Psaumes (Ps 35,16 ; Ps 37,12 ; Ps 112,10). On la trouve plusieurs fois chez Matthieu (Mt 8,12 ; 13,42.50 ; 22,13 ; 24,51 ; 25,30) et une fois chez Luc (Lc 13,28).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 23 07 2023, 16e dimanche du temps ordinaire A

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10 juillet 2023 1 10 /07 /juillet /2023 22:34
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  55,10-11

     Ainsi parle le SEIGNEUR
10 La pluie et la neige qui descendent des cieux
     n'y retournent pas sans avoir abreuvé la terre,
     sans l'avoir fécondée et l'avoir fait germer,
     donnant la semence au semeur
     et le pain à celui qui doit manger ;
11 ainsi ma parole, qui sort de ma bouche,
     ne me reviendra pas sans résultat,
     sans avoir fait ce qui me plaît,
     sans avoir accompli sa mission.
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COMME LA PLUIE BIENFAISANTE SUR UNE TERRE ASSOIFFÉE…

Comme le font souvent les prophètes, Isaïe emploie une image pour se faire comprendre. L’image ici est celle de la pluie et de la neige. À Babylone où il est en exil avec son peuple (au 6ème siècle av.J.C), on a l’expérience des bienfaits de la pluie : un pays gorgé de soleil, comme est Israël ou comme est Babylone, ne demande qu’à refleurir dès la première pluie : « La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger... »

Le prophète applique cette image d’efficacité à la Parole de Dieu : « Ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. »

Pourquoi insiste-t-il sur l’efficacité de la Parole de Dieu ? Pour deux raisons :

Première raison, il est en train d’annoncer la fin de l’Exil à Babylone, le retour à Jérusalem des déportés. Voilà cinquante ans que les habitants de Jérusalem sont déportés à Babylone ; eh bien, c’est fini, leur promet Isaïe de la part de Dieu, vous allez très bientôt être libérés, vous allez sortir d’ici.

Évidemment, pour oser croire à une telle promesse, à une libération attendue depuis si longtemps, il faut avoir confiance dans la parole de Dieu. C’est pour cela qu’Isaïe est si ferme : « ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. »

On ne s’étonne pas que de tels propos sur l’efficacité de la Parole de Dieu aient été prononcés toujours dans des moments difficiles de l’histoire du peuple d’Israël. C’est à ces moments-là qu’il faut se raccrocher à sa foi. Par exemple, dès le début du deuxième Isaïe, on trouve cette phrase : » Toute chair est comme l’herbe, toute sa grâce, comme la fleur des champs : l’herbe se dessèche et la fleur se fane... Oui, le peuple est comme l’herbe : l’herbe se dessèche et la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure pour toujours. » (Is 40,6... 8). Ou encore, le premier chapitre de la Genèse, ce long poème de la Création qui a été rédigé lui aussi pendant l’Exil à Babylone, répète à plusieurs reprises : « Dieu dit et cela fut ». On lit la même insistance chez le prophète Jérémie, qui prêche lui aussi en période d’inquiétude ; il dit de la part de Dieu : « Je veille sur ma parole pour l’accomplir. » (Jr 1,12). Au passage, vous savez que c’est le même mot en hébreu (« Davar ») qui signifie à la fois « parole » et « événement ».

La deuxième raison de l’insistance d’Isaïe sur l’efficacité de la Parole de Dieu, c’est sa volonté de lutter contre l’idolâtrie : car la tentation de perdre confiance en Dieu renaissait inévitablement pendant l’Exil ; voilà le raisonnement qu’on entendait parfois : puisque nous (les gens de Jérusalem), nous sommes vaincus, anéantis, nous ferions peut-être mieux de nous tourner vers les dieux des vainqueurs, les Babyloniens en l’occurrence. Eux au moins ils ont des dieux efficaces !

LA PAROLE DE DIEU ACCOMPLIT SON ŒUVRE

C’est bien chez le deuxième Isaïe, le prophète du temps de l’Exil, on ne s’en étonnera pas, qu’on trouve les paroles les plus cinglantes contre les idoles des autres nations : sur le thème : Notre Dieu n’est pas comme les idoles qui sont désespérément muettes et qui ne peuvent rien pour nous. Je vous en cite une phrase : « On a beau crier vers lui (le faux dieu), il ne répond pas, il ne sauve personne de la détresse. » (Is 46,7). Et si vous avez la curiosité de lire le chapitre 44 d’Isaïe, vous y trouverez tout un développement assez sarcastique sur les pauvres gens qui utilisent le même bois pour faire du feu et pour se fabriquer des statues ; et les malheureux attendent une aide de ces statues inertes qu’ils ont fabriquées eux-mêmes ! En écho, vous connaissez cette phrase du psaume 113 (115 dans la Bible) : « Notre Dieu, il est au ciel ; tout ce qu’il veut, il le fait. Leurs idoles : or et argent, ouvrage de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas, des narines et ne sentent pas. Leurs mains ne peuvent toucher, leurs pieds ne peuvent marcher, pas un son ne sort de leur gosier ! »

Je reviens au texte d’aujourd’hui : « Ma parole ne me reviendra pas sans avoir accompli sa mission. » Je m’arrête sur ce mot de mission : Isaïe avait compris une chose, c’est que la grande particularité de la parole de Dieu est d’être une parole de pardon et de réconciliation. Je vous lis les versets qui précèdent tout juste notre texte d’aujourd’hui : « Cherchez le SEIGNEUR tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le tant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées ! Qu’il revienne vers le SEIGNEUR qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu qui est riche en pardon. Car mes pensées ne sont pas vos pensées… » (Is 55,6-8). La mission dont il est question dans le passage d’aujourd’hui (« ma parole ne me reviendra pas sans avoir accompli sa mission ») est donc une mission d’annonce du pardon gratuit de Dieu, et de réconciliation de l’humanité avec lui :  Traduisez : Dieu finira bien par réconcilier l’humanité avec lui. Plus tard, saint Paul ne dira pas autre chose : « Dieu notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. » (1 Tm 2,4).

Même s’il faut pour cela envoyer le Verbe dans le monde : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le. » Les disciples, à leur tour, sont envoyés en ambassade de réconciliation : « Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné le ministère de la réconciliation. » (2 Co 5,18). Le Verbe fait chair n’est pas retourné vers le Père « sans résultat... sans avoir accompli sa mission » de réconciliation.

Comme le dit la lettre aux Hébreux : « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. Rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être, le Fils, qui porte l’univers par sa parole puissante, après avoir accompli la purification des péchés, s’est assis à la droite de la Majesté divine dans les hauteurs des cieux. » (He 1,1-3).
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PSAUME  64  ( 65 ), 10, 11, 12-13, 12b. 14

10 Tu visites la terre et tu l'abreuves,
     tu la combles de richesses :
     les ruisseaux de Dieu regorgent d'eau :
     tu prépares les moissons.

     Ainsi tu prépares la terre,
11 tu arroses les sillons ;
     tu aplanis le sol, tu le détrempes sous les pluies,
     tu bénis les semailles.

12 Tu couronnes une année de bienfaits ;
     sur ton passage ruisselle l'abondance.
13 Au désert les pâturages ruissellent,
     les collines débordent d'allégresse.

14 Les herbages se parent de troupeaux
     et les plaines se couvrent de blé.
     Tout exulte et chante !
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UN EX-VOTO EN FORME DE PSAUME

La liturgie de ce dimanche nous propose une partie seulement du psaume 64 : ce sont les versets 10 à 14 qui sont les derniers. Et ils sonnent comme une heureuse et tranquille contemplation de la nature. Mais il ne faut pas s’arrêter là, car, avant ceux-ci il y a neuf autres versets qui parlent de tout autre chose. Et ce sont ces neuf versets qui donnent la véritable dimension de ce psaume.

Je vous donne le premier verset : « Il est beau de te louer, Dieu, dans Sion, de tenir ses promesses envers toi, qui écoutes la prière. » (Au passage, Sion, c’est le deuxième nom de Jérusalem). De quelles promesses s’agit-il ? De celles que l’on a faites quand on était en exil à Babylone, au sixième siècle av.J.C. Là-bas, on avait fait un vœu : Si Dieu nous libère de cet exil forcé et nous ramène en Israël, alors on fera la fête au temple de Jérusalem. Ce psaume est donc ce qu’on appelle un ex-voto : il a été composé au retour d’Exil pour rendre grâce pour la libération accordée par Dieu. Vous voyez qu’on est loin d’un simple chant sur les bienfaits de la pluie et du retour des saisons !

Cette libération est vécue comme un pardon : à l’époque, l’Exil a été considéré comme un châtiment pour les fautes du peuple et de ses dirigeants ; le retour est accueilli comme un retour en grâce : Dieu efface notre passé de pécheurs. C’est le sens des versets suivants : « Nos fautes ont dominé sur nous ; toi, tu les pardonnes. » Au passage, il y a une phrase superbe que beaucoup d’entre nous connaissent car elle fait partie de la musique de certains requiems célèbres : « Jusqu’à toi vient toute chair avec son poids de péché » (« Ad te omnis caro veniet »).

C’est donc le peuple qui célèbre la fidélité de Dieu à son Alliance : « Heureux ton invité, ton élu : il habite ta demeure ! » Il faut entendre le poids de ces mots : « ton élu ». Sans aucun mérite de sa part, mais par pure grâce, par un choix délibéré de Dieu, ce petit peuple a été choisi, admis dans l’intimité de Dieu. C’est ce que l’on appelle « l’élection d’Israël ».

L’auteur du psaume propose ici une comparaison : au milieu du peuple d’Israël, il y avait une tribu privilégiée, celle des lévites ; elle avait une place à part, celle d’être consacrée au service exclusif de Dieu. Eh bien, la position du peuple élu au milieu des autres nations est comparable à celle des lévites au sein d’Israël. « Heureux ton invité, ton élu : il habite ta demeure ! Les biens de ta maison nous rassasient, les dons sacrés de ton temple ! »

DIEU, ESPOIR DES HORIZONS DE LA TERRE ET DES RIVES LOINTAINES 

Mais c’est également au cours de l’Exil à Babylone que l’on a pris conscience de la dimension universelle du projet de Dieu ; alors le peuple d’Israël a compris que son élection était en fait une mission, celle de messager auprès des autres nations ; quand les autres peuples verront que Dieu a sauvé Israël, ils auront la preuve que le Dieu d’Israël est le seul sauveur et ils se tourneront vers lui et alors ils possèderont la vraie joie, celle de connaître enfin Dieu. Cela nous vaut encore un autre verset magnifique : « Dieu notre sauveur » est « l’espoir des horizons de la terre et des rives lointaines ».

Avec le retour au pays, une vie nouvelle va commencer ; c’est une véritable re-création. C’est ce qui explique la fin du psaume : l’apparence bucolique des derniers versets (ceux qui ont été retenus par la liturgie) ne doit donc pas faire oublier le vrai thème de ce psaume qui est une action de grâce du peuple libéré. L’évocation des beautés de la nature n’est là que pour suggérer cette vie nouvelle : « Tu couronnes une année de bienfaits ; sur ton passage ruisselle l'abondance. »

Mieux même, la profusion des dons de Dieu dans la nature se prête admirablement bien à l’évocation des dons combien plus hauts et merveilleux, et plus encore de ses inlassables pardons. Ca r on a compris, déjà, que le jugement de Dieu est un jugement qui sauve. 

Je crois que maintenant nous sommes prêts à entendre ce psaume en entier :

« Il est beau de te louer, Dieu, dans Sion, de tenir ses promesses envers toi, qui écoutes la prière. Jusqu’à toi vient toute chair avec son poids de péché ; nos fautes ont dominé sur nous ; toi, tu les pardonnes. Heureux ton invité, ton élu : il habite ta demeure ! Les biens de ta maison nous rassasient, les dons sacrés de ton temple ! Ta justice nous répond par des prodiges, Dieu notre sauveur, espoir des horizons de la terre et des rives lointaines. Sa force enracine les montagnes, il s’entoure de puissance ; il apaise le vacarme des mers, le vacarme de leurs flots et la rumeur des peuples. Les habitants des bouts du monde sont pris d’effroi* à la vue de tes signes ; aux portes du Levant et du Couchant, tu fais jaillir des cris de joie. Tu visites la terre et tu l'abreuves, tu la combles de richesses : les ruisseaux de Dieu regorgent d'eau : tu prépares les moissons. Ainsi tu prépares la terre, tu arroses les sillons ; tu aplanis le sol, tu le détrempes sous les pluies, tu bénis les semailles. Tu couronnes une année de bienfaits ; sur ton passage ruisselle l'abondance. Au désert les pâturages ruissellent, les collines débordent d'allégresse. Sur ton passage ruisselle l'abondance : Les herbages se parent de troupeaux et les plaines se couvrent de blé. Tout exulte et chante ! »
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Note

* - « Effroi » ici ne veut pas dire épouvante : c’est un mot du vocabulaire de cour qui signifie que, désormais, Dieu est reconnu comme le grand roi sur toute la terre.
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   8, 18-23

     Frères,
18 j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure
     entre les souffrances du temps présent
     et la gloire qui va être révélée pour nous.
19   En effet la création attend avec impatience
     la révélation des fils de Dieu.
20 Car la création a été soumise au pouvoir du néant,
     non pas de son plein gré,
     mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir.
     Pourtant, elle a gardé l’espérance
21 d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation,
     pour connaître la liberté
     de la gloire donnée aux enfants de Dieu.
22 Nous le savons bien,
     la création tout entière gémit,
     elle passe par les douleurs d’un enfantement
     qui dure encore.
23 Et elle n’est pas seule.
     Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ;
     nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint,
     mais nous attendons notre adoption
     et la rédemption de notre corps.
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LA CRÉATION PASSE PAR LES DOULEURS D’UN ENFANTEMENT

« La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu ». Cela veut dire que la création n’est pas un événement du passé : elle est un projet en marche.

Je vous propose une comparaison : Imaginons la naissance d’une œuvre d’art, une immense sculpture de bronze, par exemple. J’ai en tête une grande croix de bronze offerte à une église de mon diocèse par un sculpteur tchèque ; aujourd’hui, elle est admirable, mais que de difficultés, petites et grandes, pour en arriver là !

Depuis le premier jour, l’artiste sait où il va et il sait qu’il lui faudra beaucoup de patience et de temps ; il faudra passer par bien des étapes, des débuts de réalisation, des échecs, peut-être... Dans bien des cas, il devra s’entourer de collaborateurs. Ceux-ci devront endurer les fatigues et les peines, les risques sans très bien savoir où ce travail parfois ingrat les mènera. Car seul l’artiste imagine déjà l’œuvre achevée ; et la beauté entrevue, comment la décrire, la faire partager à ses collaborateurs ? Ceux-ci devront faire preuve de beaucoup de confiance pour s’engager sur ce chantier.

On pourrait comparer le projet de Dieu à cette naissance d’une œuvre d’art : d’ailleurs Paul parle bien d’enfantement. Dieu seul, pour l’instant, peut décrire l’œuvre achevée ; qui est en train d’achever l’œuvre ? Nous, chacun, pour notre petite part, mais surtout l’Esprit qui souffle sur le monde pour le tourner vers Dieu. « Nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps. » : au sens biblique, notre corps, c’est notre être tout entier ; la rédemption de notre corps, cela veut dire que notre être tout entier, actuellement encore enchaîné, lié au péché, sera enfin libéré, libre de vivre en fils de Dieu.

La traduction liturgique dit « Nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption » et c’est déjà magnifique, mais il est bon de lire aussi d’autres traductions, tant la réalité qui nous est promise est de fait intraduisible ; ainsi la Traduction Œcuménique a-t-elle préservé le mot « prémices » : « Nous qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption... » Au sens biblique, les prémices, c’est la première gerbe de la récolte ou l’agneau premier-né du troupeau au printemps.  Ils étaient à la fois début et promesse de la récolte tout entière. Belle image pour dire que nous possédons déjà les arrhes du salut définitif ; « car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). Et c’est parce que nous possédons déjà les prémices, parce que nous sommes déjà animés par l’Esprit, que nous gémissons dans l’attente de notre transformation définitive.

L’ESPRIT SAINT CONTINUE SON ŒUVRE DANS LE MONDE

La quatrième Prière Eucharistique a cette phrase superbe : « Il (Ton Fils) a envoyé d’auprès de toi, Père, comme premier don fait aux croyants, l’Esprit Saint qui continue son œuvre dans le monde et achève toute sanctification. » « Toute sanctification », c’est-à-dire toute transformation. Pour l’instant, la création est encore « livrée au pouvoir du néant » : la formidable puissance qui anime la création tout entière est trop souvent dirigée contre elle-même, elle est le théâtre de toutes sortes de violences. Mais dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle que nous attendons, vers lesquels nous tendons, plutôt, cette puissance sera devenue passion de l’unité : « Ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice. » (2 P 3,13). Alors la création sera « libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté ».

Il semble bien que Paul parle de l’ensemble de la création et du cosmos, pas seulement de nous. En cela, il ne fait que reprendre un thème familier aux hommes de la Bible, pour lesquels par exemple, la dysharmonie engendrée par le mauvais choix d’Adam entraîne le jardin tout entier, c’est-à-dire toute la création dans le chaos : « Le sol sera maudit à cause de toi. » (Gn 3,17). À l’inverse, quand la justice habitera sur la terre, non seulement les hommes, mais aussi les animaux connaîtront la paix. Car l’homme fait partie du cosmos et ne se conçoit pas sans lui ; c’est, je crois, l’un des sens de la magnifique « parabole » des animaux du prophète Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du SEIGNEUR remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. » (Is 11,6-9). Comme le dit Paul ailleurs, dans la lettre aux Éphésiens : c’est « l’univers entier, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre » qui sera un jour réuni sous un seul chef (tête), Jésus-Christ. (Ep 1,9-10).

Je reprends ma comparaison de l’œuvre d’art : pour nous qui sommes engagés dans le projet de Dieu, nous avons un immense privilège par rapport aux collaborateurs habituels d’un artiste : nous entrevoyons déjà l’œuvre achevée : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » (Jn 1,14). En attendant, ce grand travail d’enfantement de l’humanité nouvelle se poursuit encore dans les douleurs et les gémissements. Raison de plus pour que les croyants trouvent l’audace d’annoncer dès à présent la gloire promise à toute la création.
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Complément

« La gloire qui va être révélée pour nous » : la résurrection des fils d’Adam s’accompagnera d’un renouvellement de toutes choses : « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu... Elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage... pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. » « Nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage (contrairement à Moïse ; Ex 34,30-35), nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit. » (2 Co 3,18).
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   13,1-23

1   Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison,
     et il était assis au bord de la mer.
2   Auprès de lui se rassemblèrent des foules si grandes
     qu’il monta dans une barque où il s’assit ;
     toute la foule se tenait sur le rivage.
3   Il leur dit beaucoup de choses en paraboles :
     « Voici que le semeur sortit pour semer.
4   Comme il semait,
     des grains sont tombés au bord du chemin,
     et les oiseaux sont venus tout manger.
5   D’autres sont tombés sur le sol pierreux,
     où ils n’avaient pas beaucoup de terre ;
     ils ont levé aussitôt,
     parce que la terre était peu profonde.
6   Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé
     et, faute de racines, ils ont séché.
7   D’autres sont tombés dans les ronces ;
     les ronces ont poussé et les ont étouffés.
8   D’autres sont tombés dans la bonne terre,
     et ils ont donné du fruit
     à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un.
9   Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »
10 Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent :
     « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? »
11 Il leur répondit :
     « À vous il est donné de connaître
     les mystères du royaume des Cieux,
     mais ce n’est pas donné à ceux-là.
12 À celui qui a, on donnera,
     et il sera dans l’abondance ;
     à celui qui n’a pas,
     on enlèvera même ce qu’il a.
13 Si je leur parle en paraboles,
     c’est parce qu’ils regardent sans regarder,
     et qu’ils écoutent sans écouter ni comprendre.
14 Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe :
     Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas.
     Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
15 Le cœur de ce peuple s’est alourdi :
     ils sont devenus durs d’oreille,
     ils se sont bouché les yeux,
     de peur que leurs yeux ne voient,
     que leurs oreilles n’entendent,
     que leur cœur ne comprenne,
     qu’ils ne se convertissent, –
     et moi, je les guérirai.
16 Mais vous, heureux vos yeux puisqu’ils voient,
     et vos oreilles puisqu’elles entendent !
17 Amen, je vous le dis :
     beaucoup de prophètes et de justes
     ont désiré voir ce que vous voyez,
     et ne l’ont pas vu,
     entendre ce que vous entendez,
     et ne l’ont pas entendu.
18 Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur.
19 Quand quelqu’un entend la parole du Royaume sans la comprendre,
     le Mauvais survient
     et s’empare de ce qui est semé dans son cœur :
     celui-là, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin.
20 Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux,
     c’est celui qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ;
21 mais il n’a pas de racines en lui,
     il est l’homme d’un moment :
     quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole,
     il trébuche aussitôt.
22 Celui qui a reçu la semence dans les ronces,
     c’est celui qui entend la Parole ;
     mais le souci du monde et la séduction de la richesse
     étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit.
23 Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre,
     c’est celui qui entend la Parole et la comprend :
     il porte du fruit
     à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. »
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À CELUI QUI A, ON DONNERA

La « parabole » est un genre littéraire de la tradition juive qui ressemble à ce que nous appelons une « fable » : son but est pédagogique ; il s’agit d’amener l’auditeur à changer de point de vue.1

Pourquoi donc Jésus parle-t-il en paraboles ? Les disciples ne manquent pas de lui poser la question. La réponse de Jésus tient en trois points : premièrement une distinction entre les disciples et les autres interlocuteurs de Jésus, deuxièmement un constat (les autres écoutent sans comprendre) et enfin, troisièmement, ce qui ressemble à un dicton « À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. »2

Je reprends ces trois points : premièrement la distinction entre les disciples et certains autres interlocuteurs de Jésus : « À vous, il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là. » Pour éclairer cette distinction, il faut remettre l’enseignement de Jésus dans son contexte : dans l’évangile de Matthieu, comme dans celui de Marc, cet enseignement en paraboles suit immédiatement le récit des polémiques avec les Pharisiens et avec ceux qui, comme eux, refuseront de reconnaître en Jésus le Messie de Dieu.

Deuxièmement, Jésus fait un constat : « Ils (ses opposants) regardent sans regarder, ils écoutent sans écouter ni comprendre. » Et il leur applique une phrase que le prophète Isaïe, des siècles plus tôt, disait de ses propres contemporains : « Le cœur de ce peuple s'est alourdi : ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouché les yeux… » (Isaïe 6,9-10)3. De nombreuses fois, Jésus a pu faire ce constat : plus les auditeurs s’enferment dans leurs propres certitudes, plus ils deviennent imperméables à la Parole de Dieu. Et c’est pour cela qu’il leur parle en paraboles : c’est une pédagogie pour essayer de toucher ces cœurs endurcis. C’est dire l’importance des dispositions du cœur pour comprendre les enseignements de Jésus.

Troisièmement, cette phrase qui ressemble à un dicton : « À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. » Voilà une formulation particulièrement abrupte du thème des deux voies, classique dans l’Ancien Testament. Je vous rappelle ce thème des deux voies : on peut comparer l’existence humaine à un chemin qui débouche sur une grande route perpendiculaire : quelle direction prendre ? À gauche ? Ou à droite ? Si nous prenons la bonne direction (la bonne « voie »), chaque pas que nous faisons dans ce sens nous rapproche du but : « Si tu donnes au sage, il devient plus sage ; si tu instruis le juste, il progresse encore. » (Pr 9,9). Si, par malheur, nous choisissons la mauvaise direction, chaque pas fait dans ce sens nous éloigne du but.

À VOUS IL EST DONNÉ DE CONNAÎTRE LES MYSTÈRES DU ROYAUME

Le choix est clair : ou bien écouter, entendre, ouvrir ses oreilles pour laisser la Parole nous instruire et nous transformer peu à peu ; ou refuser d’entendre au risque de devenir de plus en plus durs d’oreille : « Le cœur de ce peuple s’est alourdi, ils sont devenus durs d’oreille. » Alors que le seul désir de Dieu était de les guérir : « Et moi, je les guérirai. »

La parabole du semeur, ainsi que l’explication que Jésus en donne, apparaît alors plus clairement comme une illustration des obstacles que rencontre la prédication évangélique. Jésus est la parole de Dieu venue habiter parmi les hommes (Jn 1,14) ; il ne dit que la Parole du Père : « La parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. » (Jn 14,24). Mais sa parole trouve difficilement le terrain favorable dans lequel elle va pouvoir germer ; il y a d’abord les difficultés inhérentes à tout chemin de conversion (les exigences du Royaume sont sans cesse étouffées par les soucis du monde (cf Mt 6,25-34) ; mais il y a aussi, plus profondément les difficultés pour les contemporains de Jésus de lui faire confiance au point de le reconnaître comme le Messie : les disciples eux-mêmes ont achoppé sur cet enseignement ; saint Jean nous a rapporté leurs réactions au discours sur le pain de vie : « Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : ‘Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ?’…À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. Alors Jésus dit aux Douze : ‘Voulez-vous partir, vous aussi ?’ Simon-Pierre lui répondit : ‘Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.’ » (Jn 6,60... 68).

Je reviens à la parabole du semeur ; Jésus annonce qu’il y aura une récolte, (de cent, soixante ou trente pour un), et c’est certain, mais à quel prix ! Le règne de Dieu, il faut bien l’admettre, ne s’établira qu’au travers de nombreux échecs ; car entrer dans l’intelligence du Royaume ne peut être que l’effet d’un don de Dieu : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux... Heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent !... Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est celui qui entend la Parole et la comprend. » Cela suppose un cœur disponible, capable de recevoir de Dieu la lumière qui vient de Lui seul : cette disponibilité elle aussi doit être reçue comme un cadeau. Les Pharisiens et la foule n’y étaient pas encore prêts.
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Notes

  • Une parabole n’est pas une allégorie : chaque détail du conte ne prétend pas avoir une signification précise, c’est de l’ensemble de la comparaison que l’auditeur doit dégager une leçon bien concrète.
  • Jésus répétera cette formule dans la parabole des talents (Mt 25,29).
  • Paul faisait le même constat à Rome face à certains de ses interlocuteurs juifs qui refusaient sa prédication : il cite, lui aussi, la phrase d’Isaïe (Ac 28,26-27). Jean, dans son évangile, fait la même analyse (Jn 12,40).

Compléments  

          - Jésus pensait-il à Ézéchiel lorsqu’il disait : « Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c'est celui qui entend la Parole ; mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit. » (verset 22) ? Voici comment le SEIGNEUR prévenait son prophète des difficultés qui l’attendaient dans l’annonce de la Parole : « Et toi, fils d’homme, les fils de ton peuple discutent à ton sujet le long des murs et aux portes des maisons, se parlant l’un à l’autre, chacun à son frère. Ils disent : “Venez écouter quelle parole vient du SEIGNEUR !” Et ils vont vers toi comme se rassemble le peuple ; ils s’asseyent devant toi, eux, mon peuple ; ils écoutent tes paroles sans les mettre en pratique ; car leur bouche est pleine des passions qu’ils veulent assouvir, et leur cœur s’attache au profit. Te voilà pour eux comme un chant passionné, à la sonorité agréable, avec une belle musique. Ils écoutent tes paroles, mais personne ne les met en pratique. » (Ez 33,30-32).

          - On est frappé par les échecs répétés du semeur. S’agit-il de Jésus qui est « sorti » au sens de « s’est incarné » ? Oui, certainement : une fois encore, ses contemporains sont affrontés au mystère de l’échec partiel du Messie : et c’est ce qui fera la différence entre ceux qui accepteront d’entrer dans le mystère et ceux qui rejetteront le mystère du dessein de Dieu et donc Jésus lui-même.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 16 07 2023, 15e dimanche du temps ordinaire A

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3 juillet 2023 1 03 /07 /juillet /2023 23:27
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ZACHARIE 9, 9-10

     Ainsi parle le SEIGNEUR :
9   « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion !
     Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem !
     Voici ton roi qui vient à toi :
     il est juste et victorieux,
     pauvre et monté sur un âne,
     un ânon, le petit d’une ânesse.
10 Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre,
     et de Jérusalem les chevaux de combat ;
     il brisera l’arc de guerre,
     et il proclamera la paix aux nations.
     Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre,
     et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. »
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UN NOUVEAU PORTRAIT DU MESSIE

Première remarque : l’expression « fille de Sion » ou « fille de Jérusalem » ne désigne pas une personne précise, une certaine jeune fille ou jeune femme qui serait originaire de Jérusalem (Sion ou Jérusalem, c’est la même chose). Cette expression désigne la ville elle-même ; c’est exactement comme si le prophète disait : « Jérusalem, réjouis-toi ». Et pourquoi Jérusalem doit-elle se réjouir ? Cela m’amène à ma deuxième remarque : car, justement, l’heure n’est pas à la joie !

Deuxième remarque : le ton général de ces versets est triomphant ; mais nous savons bien que c’est toujours signe de période difficile : cette prédication de Zacharie a certainement été prononcée en temps de guerre : c’est ce qu’on appelle un oracle de consolation. Cela explique des phrases telles que « Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. » On situe généralement ce texte au début de la domination grecque (donc vers 330) après les conquêtes éclair d’Alexandre ; c’est un moment où, plus que jamais, il faut se raccrocher à l’espérance d’une intervention de Dieu.

Je reprends cette annonce de Zacharie : les termes qu’il emploie sont ceux qui désignaient habituellement le Messie. On attendait un roi qui apporterait la justice et la paix pour tous. C’est exactement ce que promet Zacharie : « Voici ton roi qui vient à toi ; il est juste et victorieux... Ce roi fera disparaître d'Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l'arc de guerre... Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre, et de l'Euphrate à l'autre bout du pays. » Jusqu’ici, il n’y a rien de particulièrement neuf dans les paroles de Zacharie ; d’autres paroles prophétiques ou des psaumes disaient déjà à peu près la même chose ; par exemple je vous rappelle quelques versets du psaume 71/72 : « Dieu confie au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. Qu’il gouverne ton peuple avec justice... Qu’il domine d’une mer à l’autre, et du Fleuve jusqu’au bout de la terre. » Ce qui est audacieux dans les paroles de Zacharie, c’est de proclamer ce message d’espérance à un moment précisément où on aurait de bonnes raisons de penser que tout espoir est perdu.

Mais j’ai laissé de côté jusqu’ici trois affirmations de Zacharie ; la première n’est pas exactement une nouveauté mais elle mérite d’être notée : « Il proclamera la paix aux nations ». C’est seulement depuis l’Exil à Babylone que le peuple juif a pris conscience que le projet de Dieu englobait l’humanité tout entière. Voici la deuxième : « Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat... ». Citer ensemble Éphraïm et Jérusalem, c’est une manière discrète d’annoncer la restauration et la réunification de l’antique royaume de David ; pour l’instant, quand ce texte est écrit, il n’en reste plus grand chose : le Nord (Éphraïm) comme le Sud (Jérusalem) qui avaient perdu depuis bien longtemps leur unité, ont perdu également toute souveraineté.

JÉSUS MESSIE À LA MANIÈRE DE ZACHARIE

Enfin, la troisième affirmation de Zacharie est véritablement une nouveauté : « (Voici ton roi qui vient à toi) pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. » Or l’âne était considéré comme une monture modeste : les conquérants d’Alexandre étaient autrement mieux montés. Et à Jérusalem même, le roi Salomon avait introduit le cheval comme monture de guerre et aussi de parade ; on lui a assez reproché ses goûts de grandeur. On n’avait pas l’habitude de voir un roi sur un âne*.

Isaïe, il est vrai, avait déjà entrevu un Messie humble : il annonçait un Serviteur de Dieu, humble et fidèle, qui accomplira l’œuvre de Dieu et n’hésitera pas à affronter la persécution ; il la subira, mais c’est dans sa souffrance même que son peuple trouvera le chemin de la paix et de la réconciliation avec Dieu. (C’était dans les chants du Serviteur : Is 50,6 ; 53,7).

Il faut noter que le Serviteur d’Isaïe ne porte absolument pas le titre de roi, mais il est néanmoins présenté comme un Messie, en ce sens, d’une part, qu’il accomplit bien l’œuvre du Messie attendu et, d’autre part, qu’il est rempli de l’Esprit de Dieu comme doit l’être le Messie. Au contraire, le Messie de Zacharie est d’emblée présenté comme un Roi : il représente donc l’attente traditionnelle du Messie-Roi ; mais la nouveauté du texte de Zacharie, c’est qu’il combine cette attente traditionnelle du Messie-Roi avec celle de l’humilité du Serviteur décrit par Isaïe : puisque son roi est humble : finis les rêves de grandeur, de guerre, de puissance ; une seule chose compte à ses yeux : instaurer la paix pour son peuple.

Les quatre récits de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem ressemblent très fort à la venue de ce roi monté sur un âne. Matthieu (Mt 21,5) et Jean (Jn 12,15) citent même expressément ce passage. Peut-être Jésus lui-même a-t-il cité ce texte aux disciples d’Emmaüs ? Puisque Luc nous dit qu’il a relu avec eux dans les Écritures tout ce qui le concernait (Lc 24,27). Or, de toute évidence, ce texte concerne bien le Messie, mais d’une manière nouvelle pour son époque.

Pourquoi les évangiles s’intéressent-ils tant à ce texte de Zacharie ? Parce que, dans un premier temps après la mort et la Résurrection de Jésus, les apôtres ont été confrontés à un mystère inexplicable : pour eux, qui étaient témoins de la Résurrection de Jésus, il ne faisait pas de doute que celui-ci était le Messie ; mais il était doux, humble et pacifique, c’est-à-dire bien différent du roi triomphant qu’ils imaginaient spontanément. C’est alors que ce texte de Zacharie (tout comme les chants du Serviteur d’Isaïe) leur est apparu comme un chemin pour entrer dans « l’intelligence des Écritures ».
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Note

* – Lors de son sacre, Salomon était monté sur la mule de son père, David (1 R 1,32), mais, plus tard, il ne s’en contentait plus.
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PSAUME 144 (145)

1   Je t'exalterai, mon Dieu, mon Roi,
     je bénirai ton nom toujours et à jamais !
2   Chaque jour je te bénirai,
     je louerai ton nom toujours et à jamais.

8   Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
     lent à la colère et plein d'amour :
9   la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
     sa tendresse pour toutes ses œuvres.

10 Que tes œuvres, SEIGNEUR, te rendent grâce
     et que tes fidèles te bénissent !
11 Ils diront la gloire de ton règne,
     ils parleront de tes exploits.

13 Le SEIGNEUR est vrai en tout ce qu'il dit,
     fidèle en tout ce qu'il fait.
14 Le SEIGNEUR soutient ceux qui tombent,
     il redresse tous les accablés.
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LA BONTÉ DU SEIGNEUR EST POUR TOUS

On sait bien que le psautier tout entier en hébreu s’appelle « louanges » ; mais ce psaume précis est l’unique du psautier à être intitulé « louange » : ce qui se justifie par le vocabulaire et le ton émerveillé des versets que nous venons d’entendre ; et le motif particulier de la louange, c’est la royauté du Dieu de l’Alliance ; à l’occasion d’une célébration de renouvellement de l’Alliance, Israël contemple le roi qui lui a accordé sa protection, gratuitement, sans mérite de sa part. On ne s’étonne donc pas de l’importance du vocabulaire royal : « Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi » ... et encore « tes fidèles diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits ».

Puisqu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance, il est ce qu’on appelle un psaume « alphabétique » : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de Aleph à Tav) baigne dans l’Alliance, dans la tendresse de Dieu. Deuxième remarque quant à la forme : le parallélisme d’une ligne à l’autre de chaque verset est particulièrement accentué : cela vaudrait la peine de le lire à deux voix ou deux chœurs alternés.

Comme toujours, ce parallélisme est instructif : par exemple, la juxtaposition des deux derniers versets que nous propose la liturgie de ce dimanche est surprenante à première vue : « Le SEIGNEUR est vrai en tout ce qu’il dit, fidèle en tout ce qu’il fait / Le SEIGNEUR soutient ceux qui tombent, il redresse tous les accablés. » Un peu plus loin, deux autres versets offrent exactement ce même parallélisme : « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait / Il est proche de ceux qui l’invoquent, de tous ceux qui l’invoquent en vérité. » Cela veut dire que la justice de Dieu, la vérité, la fidélité de Dieu ne sont rien d’autre que sa miséricorde ; cela veut dire encore que la plus grande justice au monde n’est pas celle de la balance, elle est celle de l’amour ! Cela veut dire enfin que si nous vivons « selon l’Esprit de Dieu » comme nous le recommande saint Paul, dans la lettre aux Romains (cf la deuxième lecture de ce dimanche), nous allons nous engager sur la voie de cette étrange justice qui est synonyme de miséricorde.

Car le Roi dont il est question ici n’est pas un roi comme ceux qu’on connaît sur la terre. C’est un roi à la fois tout-puissant et bon : il ne veut que notre bonheur... Voilà la découverte qu’Israël a faite au long de son histoire. Quand on parle de la puissance de ce roi pas comme les autres, on sait que sa puissance n’est qu’amour : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour* ». C’est le meilleur résumé qu’on puisse donner de toute la révélation biblique : et là Israël parle d’expérience : combien de fois, en particulier pendant l’Exil à Babylone, n’a-t-il pas invoqué son Dieu et supplié pour obtenir son pardon et son retour ?... Désormais, le peuple rassemblé dans le Temple reconstruit, chante de tout son cœur : « Que tes œuvres, SEIGNEUR, te rendent grâce et que tes fidèles te bénissent !... Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais ! Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais. »

CHAQUE JOUR JE TE BÉNIRAI

Et sa mission, il le sait, est de le chanter assez fort pour que tous le sachent : la richesse de pardon, la tendresse et la pitié du Seigneur, elles sont POUR TOUS ! « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse pour toutes ses œuvres ». Cette universalité du projet de Dieu, les hommes de l’Ancien Testament l’avaient peu à peu comprise : Dieu aime toute l’humanité et son projet d’amour, son « dessein bienveillant » concerne toute l’humanité et toute la création.

Pour nous chrétiens, qui avons relu la prophétie de Zacharie (dans la première lecture de ce dimanche), le chant de ce psaume est saisissant : Zacharie dessine le portrait du Messie à venir ; comme la majorité des Juifs, il le voit comme un roi, descendant de David ; mais ce roi, au lieu de chercher son propre intérêt et de satisfaire ses rêves de grandeur et de conquêtes, se consacrera exclusivement au service de son peuple : il fera taire définitivement les armes ; en cela, il sera vraiment le fidèle exécutant des projets de Dieu. Évidemment, Jésus de Nazareth, le doux et humble de cœur, répond bien au portrait de Zacharie. Plus saisissant encore, est le premier verset qui prend un relief nouveau, si l’on pense à Jésus : « Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi... » Car il est bien Dieu et roi, notre Messie.

Pour terminer, si l’on se rapporte au texte complet de ce psaume, on lui découvre une parenté très grande avec le Notre Père : par exemple, le Notre Père s’adresse à Dieu à la fois comme à un Père ET comme à un roi : un père qui est le Dieu de tendresse et de pitié dont parle ce psaume... un roi dont le seul objectif est le bonheur de tous les hommes. « Notre Père... donne-nous... pardonne-nous... délivre-nous du mal... »... que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ... » parce qu’on sait que sa volonté est, comme dit saint Paul, « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité ». (1 Tm 2,4).

On comprend que ce psaume 144/145 soit devenu la prière du matin du peuple qui le premier a appris à parler à Dieu comme à un père : pour le juif croyant, le matin (l’aube du jour neuf) évoque irrésistiblement l’aube du JOUR définitif, celui du monde à venir, celui de la création renouvelée... Si nous allons un peu plus loin dans la spiritualité juive, le Talmud (l’enseignement des rabbins des premiers siècles après J.-C.), affirme que celui qui récite ce psaume trois fois par jour, « peut être assuré d’être un fils du monde à venir ».
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Note

* - Nous retrouverons ce psaume dans la liturgie du dix-huitième dimanche ; nous nous attarderons alors sur le verset 8 : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour » qui est l’écho de la révélation de Dieu à Moïse au Sinaï (Ex 34,6). Le texte lui-même de l’Exode est lu pour la Fête de la sainte Trinité de l’année A.
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS 8, 9.11-13

     Frères,
9   vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
     mais sous celle de l’Esprit,
     puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
     Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ
     ne lui appartient pas.
11 Mais si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
     habite en vous,
     celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts
     donnera aussi la vie à vos corps mortels
     par son Esprit qui habite en vous.
12 Ainsi donc, frères, nous avons une dette,
     mais elle n’est pas envers la chair
     pour devoir vivre selon la chair.
13 Car si vous vivez selon la chair,
     vous allez mourir ;
     mais si, par l’Esprit,
     vous tuez les agissements de l’homme pécheur,
     vous vivrez.

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L’ESPRIT DE DIEU HABITE EN NOUS

La grosse difficulté de ce texte est dans le mot « chair » : chez saint Paul, il n’a pas le même sens que dans notre français courant du vingt-et-unième siècle. Nous, nous sommes tentés d’opposer deux composantes de l’être humain que nous appelons le corps et l’âme et nous risquons donc de faire un épouvantable contresens : quand Paul parle de chair et d’esprit, ce n’est pas du tout cela qu’il a en vue. Ce que saint Paul appelle « chair », ce n’est pas ce que nous appelons le corps ; ce que Paul appelle l’Esprit, ce n’est pas ce que nous appelons l’âme. D’ailleurs Paul précise plusieurs fois qu’il s’agit de l’Esprit de Dieu, ou encore il dit « l’Esprit du Christ ». Et encore, si on y regarde de plus près, il n’oppose pas deux mots « chair » et « Esprit », mais deux expressions « vivre selon la chair » et « vivre selon l’Esprit ». Pour lui, il faut choisir entre deux modes de vie ; ou pour le dire autrement, il faut choisir nos maîtres, ou notre ligne de conduite, si vous préférez.

Vivre « selon la chair », pour saint Paul, c’est vivre sans Dieu, vivre de nos seules forces, enfermé dans les limites de l’intelligence et des forces humaines ; évidemment, cela ne va pas loin ! Ou plutôt si, cela peut aller très loin, mais dans le mauvais sens. (Nous retrouvons, comme toujours chez Paul, le thème des deux voies). Car vivre sans Dieu finit toujours par vouloir dire vivre loin de Dieu, et d’un éloignement qui ne peut que s’aggraver. C’est ce que Paul a décrit dans les premiers chapitres de cette lettre aux Romains. Pour reprendre les images de la Genèse, vivre selon la chair, c’est vivre comme Adam : il veut devenir comme Dieu, mais sans l’aide de Dieu : il se trompe. Nous aussi, à nos heures, qui cherchons notre bonheur tout seuls, sans lui, ou même contre lui, sans nous apercevoir que c’est le meilleur moyen de faire notre malheur.

Au contraire, vivre « selon l’Esprit », c’est nous laisser guider par lui, et donc vivre de la force de Dieu : cela change tout ! Or la grande nouvelle de ce texte, c’est « L’Esprit de Dieu habite en vous » donc « vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous l’emprise de l’Esprit ». Le mot « habiter » revient trois fois dans le texte d’aujourd’hui, c’est dire l’importance que Paul y attache : or, celui qui habite la maison, c’est le maître, c’est lui qui dirige. Nous sommes donc devenus littéralement des maisons de l’Esprit : c’est lui qui commande désormais.

Encore faut-il savoir quelle place nous lui laissons dans notre maison ; car nous sommes libres d’ouvrir plus ou moins la porte. Dans de nombreux textes, Paul insiste sur notre liberté : « vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair » signifie que nous ne sommes plus esclaves des forces du mal, que nous avons désormais la force de faire triompher les vraies valeurs : l’amour, la paix, la vérité, la justice.

N’ÉTEIGNONS PAS L’ESPRIT

Nous en avons la force, mais nous n’y sommes pas obligés non plus : à chaque instant, le choix est à refaire. Plus nous laisserons de place à l’Esprit Saint dans notre maison (c’est-à-dire plus nous ferons ce qu’il nous souffle de faire dans la voie de l’amour, de la bienveillance, du pardon), plus nous serons des vivants.

Avant sa conversion, Paul appliquait des quantités de règles morales et religieuses avec beaucoup de fidélité mais l’Esprit du Christ n’habitait pas en lui ; il vivait encore « sous l’emprise de la chair ». Et cela pouvait l’amener à la violence et au meurtre, avec la meilleure foi du monde. Désormais, sa vie tout entière est inspirée par l’Esprit du Christ, jusqu’à pouvoir dire : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Nous aussi, depuis notre Baptême, nous pouvons laisser l’Esprit prendre possession de notre maison. Paul en déduit deux conséquences : premièrement, nous ressusciterons avec le Christ ; c’est une promesse pour le futur : l’Esprit exercera en nous sa puissance et réalisera en nous ce qu’il a réalisé en Jésus-Christ : « Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » Deuxièmement, dès maintenant, notre vie est transformée, comme l’a été celle de Paul, car, désormais, nous sommes « sous l’emprise de l’Esprit ». « Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez » annonçait le prophète Ézéchiel (37,14) ; Paul parle souvent de cette nouvelle vie spirituelle qui est la nôtre depuis notre Baptême : tout en demeurant encore dans notre corps mortel, nous pouvons déjà vivre de l’Esprit du Christ. C’est ce que saint Jean appelle la « vie éternelle ».

Concrètement, on voit bien ce que cela veut dire, il suffit de remplacer le mot « Esprit » par le mot « amour » : « vivre selon l’Esprit » c’est se laisser souffler par lui des paroles et des gestes d’amour. Quelques chapitres plus haut, Paul écrivait aux Romains : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » (Rm 5,5). Et dans la lettre aux Galates, il explique ce que sont les fruits de l’Esprit : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (Ga 5,22), en un mot l’amour décliné selon toutes les circonstances concrètes de nos vies. Paul, en cela, est bien l’héritier de toute la tradition des prophètes : tous affirment que notre relation à Dieu se vérifie dans la qualité de notre relation aux autres ; et dans les chants du Serviteur, en particulier, Isaïe affirme que vivre selon l’Esprit de Dieu, c’est aimer et servir nos frères. Comme dit saint Jean (1 Jn 3,14) : « Celui qui n’aime pas demeure dans la mort… Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie (la vraie vie s’entend), parce que nous aimons nos frères. »
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 11, 25 - 30

25 En ce temps-là,
     Jésus prit la parole et dit :
     « Père, Seigneur du ciel et de la terre,
     je proclame ta louange :
     ce que tu as caché aux sages et aux savants,
     tu l’as révélé aux tout-petits.
26 Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance.
27 Tout m’a été remis par mon Père ;
     personne ne connaît le Fils, sinon le Père,
     et personne ne connaît le Père, sinon le Fils,
     et celui à qui le Fils veut le révéler.
28 Venez à moi,
     vous tous qui peinez sous le poids du fardeau,
     et moi, je vous procurerai le repos.
29 Prenez sur vous mon joug,
     devenez mes disciples,
     car je suis doux et humble de cœur,
     et vous trouverez le repos pour votre âme.
30 Oui, mon joug est facile à porter,
     et mon fardeau, léger. »

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VENEZ À MOI, VOUS TOUS QUI PEINEZ SOUS LE POIDS DU FARDEAU

« Prenez sur vous mon joug » dit Jésus ; (nous avons déjà rencontré cette image dans un texte du livre de l’Exode que nous avons lu pour la fête de la Trinité) ; là-bas on savait bien ce qu’est un joug : une pièce de bois, très lourde, très solide, qui attache deux animaux, deux bœufs normalement, pour labourer. Ils conjuguent leurs forces et le plus puissant des deux imprime son pas à l’attelage. Au sens figuré, « Prendre le joug » suggère donc que l’on s’attache à quelqu’un pour marcher du même pas, attelés à la même tâche.

Si bien que cette expression était devenue courante dans l’Ancien Testament et dans le Judaïsme pour évoquer l’Alliance entre Dieu et son peuple : lorsqu’on promettait de « Prendre le joug de la Torah » cela voulait dire s’engager à suivre la Loi de Dieu, s’atteler à Dieu, en quelque sorte ; étant entendu que toute la force de « l’attelage » ainsi composé vient de Dieu lui-même ! Pour un Juif, le service de la Torah n’est donc pas un fardeau trop lourd, c’est le chemin du vrai bonheur ; Ben Sirac le Sage disait : « Tu trouveras en elle (dans la pratique de la Loi) ton repos, et elle deviendra ta joie. » (Si 6,28*). On parlait même parfois de la « joie du joug ! »

Visiblement c’est bien de cela que Jésus parle, et il fait lui aussi le lien entre le joug de la Torah et le repos : « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples », c’est-à-dire pratiquez mes commandements « et vous trouverez le repos pour votre âme ».

Mais on sent bien également dans ces quelques lignes une pointe polémique : « Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Manière de dire : Mon joug à moi est facile à porter, ce n’est pas le cas de tout le monde. D’ailleurs, Jésus ne se prive pas de le dire : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau ».

Effectivement, certains Pharisiens, à force de scrupules, avaient transformé la pratique de la Loi de Dieu en un cortège d’obligations tatillonnes ; c’est à leur propos que Jésus disait aux foules : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. » (Mt 23,2-4). D’autre part, une majorité du peuple avait bien du mal à observer la totalité des commandements que les autorités religieuses leur imposaient et ils sentaient le mépris dont ils étaient l’objet

Jésus propose donc à ses disciples de déposer ces fardeaux trop lourds : « Prenez sur vous mon joug... et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Son joug à lui, c’est tout simplement la loi d’aimer, et c’est lui qui nous en donne la force.

Quant au repos, c’était également un mot familier aux auditeurs de Jésus ; par exemple, l’Ancien Testament présentait la Terre Promise comme le lieu du repos accordé par Dieu à son peuple. Et, en contrepoint, quand le peuple était infidèle à la loi, le psaume 94/95 exprimait la tristesse de Dieu : « J’ai dit : ce peuple a le cœur égaré, il n’a pas connu mes chemins... Jamais ils n’entreront dans mon repos. » Reprenant ce psaume, la lettre aux Hébreux annonce un nouveau jour où avec le Christ, nous entrerons avec assurance dans le repos de Dieu : « Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos-là. » (He 4,11).

La chose très nouvelle dans ce discours, c’est que Jésus s’identifie à Dieu : lui seul peut se permettre de dire « Moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Les représentants de la religion ne pouvaient qu’être agacés par ces propos. En revanche, ceux qui « peinaient sous le poids du fardeau », pour reprendre l’expression de Jésus, étaient attirés par son attitude de respect et d’attention à chacun, lui qui était « doux et humble de cœur** ». Ce sont eux qui, spontanément, ont compris que Dieu était là. On a là une application de la fameuse béatitude : « Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux ».

Alors Jésus s’émerveille : ces pauvres de cœur comprennent son message à une profondeur telle que cela ne peut venir que du Père : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. » Jésus tiendra le même langage un peu plus tard, lorsque Pierre, un homme simple, lui aussi, lui aura déclaré : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », Jésus lui dira aussitôt : « Heureux es-tu, Simon, fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » (Mt 16,17). Une fois de plus, Jésus est bien ici dans la droite ligne de l’Ancien Testament qui a toujours déclaré haut et fort que toute vraie sagesse, toute vraie intelligence ne peuvent venir que de Dieu ; c’est ce qu’exprime à sa manière la très belle image du livre de la Genèse : l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux n’est pas accessible à l’homme par ses seules forces. Le livre de Job le dit lui aussi dans un poème admirable consacré à la Sagesse : « La Sagesse, où la trouver ? L’Intelligence, quel est son lieu ? L’homme n’en connaît pas la valeur, elle ne se trouve pas sur la terre des vivants… Dieu en a discerné le chemin ; il a su, lui, où elle était. » (Jb 28,12... 23). Le livre de Ben Sirac, lui, l’affirme dès son premier verset : « Toute sagesse vient du Seigneur » (Si 1,1).

Chaque fois que Jésus est mis devant l’évidence de la foi, il manifeste sa joie et sa reconnaissance au Père*** ; l’évangile nous révèle ainsi ce qu’est la véritable prière d’action de grâce : bonheur filial émerveillé devant l’initiative de Dieu se révélant aux hommes. Ce dont Jésus s’émerveille aussi, c’est de l’intimité que lui offre son Père : il contemple la communion inouïe qui les unit : « Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » Ici, l’évangile de Matthieu se rapproche des méditations de l’évangile de Jean : « Le Père et moi, nous sommes UN... Qui m’a vu a vu le Père. »
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Notes

* - « Tu trouveras en elle ton repos, et elle deviendra ta joie. Alors, ses entraves seront pour toi une puissante protection, et son carcan, un vêtement de gloire. Son joug est une parure d’or, ses liens sont un ruban de pourpre. » (Si 6,28-30). « Placez votre cou sous le joug, et recevez l’instruction. » (Si 51,26).

** - « Doux et humble de cœur » : l’évangéliste, rapportant cette parole, y entendait certainement un écho de la prophétie de Zacharie sur le roi doux et humble monté sur un âne (Za 9,9-10 ; cf. la première lecture).

*** - Le passage parallèle à celui-ci dans l’évangile de Luc commence par ces mots : « À l’heure même (il s’agit du retour de mission des soixante-douze disciples), Jésus exulta sous l’action de l’Esprit-Saint. » (Lc 10,21).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 09 07 2023, 14e dimanche du temps ordinaire A

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27 juin 2023 2 27 /06 /juin /2023 23:38
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU DEUXIÈME LIVRE DES ROIS  4, 8-11.14-16a

8   Un jour, le prophète Élisée passait à Sunam ;
     une femme riche de ce pays
     insista pour qu'il vienne manger chez elle.
     Depuis, chaque fois qu'il passait par là,
     il allait manger chez elle.
9   Elle dit à son mari :
     « Écoute, je sais que celui qui s'arrête toujours chez nous
     est un saint homme de Dieu.
10 Faisons-lui une petite chambre sur la terrasse ;
     nous y mettrons un lit, une table, un siège et une lampe,
     et quand il viendra chez nous, il pourra s'y retirer. »
11 Le jour où il revint,
     il se retira dans cette chambre pour y coucher.
14 Puis il dit à son serviteur :
     « Que peut-on faire pour cette femme ? »
     Le serviteur répondit :
     « Hélas, elle n'a pas de fils,
     et son mari est âgé. »
15 Élisée lui dit :
     « Appelle-la. »
     Le serviteur l'appela et elle se présenta à la porte.
16 Élisée lui dit :
     « À cette même époque,
     au temps fixé pour la naissance,
     tu tiendras un fils dans tes bras. »
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L’HISTOIRE D’UNE BELLE AMITIÉ HUMAINE

Cela se passe donc à Sunam, qui est un petit village du royaume du Nord ; Élisée est au début de sa carrière, vers 850 av. J.-C. Et il va s’instaurer entre l’homme de Dieu, Élisée, et cette famille, une relation forte et durable d’amitié. Évidemment, on peut se demander pourquoi les auteurs bibliques s’intéressent de si près à l’histoire d’une famille de Sunam ; ce n’est certainement pas uniquement pour l’anecdote. Aucun livre de la Bible n’est écrit dans le seul but de nous donner des connaissances historiques ! Les auteurs ont toujours un but théologique qui est de nous faire connaître et vivre la proposition d’Alliance de Dieu.

Et ce qui intéresse l’auteur du livre des Rois, ici, c’est qu’il voit dans la longue Alliance entre le prophète Élisée et la famille de Sunam une image de l’Alliance entre Dieu et le peuple d’Israël ; mais commençons par lire l’histoire de cette famille de Sunam et de son amitié avec le prophète Élisée.

Elle se déroule en quatre actes ; ce dimanche, nous lisons seulement le premier épisode. Le premier acte, c’est donc la promesse d’un enfant pour une femme stérile ; à vues humaines, il n’y avait certainement plus d’espoir de grossesse pour cette femme puisqu’elle ne prend pas la promesse au sérieux ; elle semble même reprocher au prophète de remuer le couteau dans la plaie en la berçant d’illusions ; nous avons entendu la promesse d’Élisée : « (L’an prochain), à cette même époque, tu tiendras un fils dans tes bras »... mais nous n’avons pas entendu la réponse de la Sunamite, la voici : » Non, mon seigneur, homme de Dieu, ne dis pas de mensonge à ta servante ». Ce qui prouve que, même si elle considère Élisée comme un homme de Dieu, elle n’est pas crédule pour autant.

Sa réaction fait irrésistiblement penser, bien sûr, à celle de Sara, la femme d’Abraham, au chêne de Mambré. Elle aussi stérile, recevant, elle aussi, une promesse de naissance, avait trouvé cette affirmation si saugrenue, vu son âge, qu’elle s’était mise à rire... Et son fils, Isaac, s’appelle justement « l’enfant du rire ». Notre Sunamite ne rit pas, mais elle ne prend pas plus au sérieux la promesse d’Élisée ; et elle lui rappelle gentiment que lui,  homme de Dieu, ne peut pas se permettre de mentir... Mais l’année suivante, le bébé était là.

Deuxième acte, quelques années passent, l’enfant grandit, mais un jour qu’il a accompagné son père aux champs pour la moisson, il est pris d’un violent mal de tête, peut-être une insolation, et quelques heures après, il meurt sur les genoux de sa maman. Elle ne perd pas la tête, elle dépose l’enfant sur le lit dans la chambre du prophète, là-haut sur la terrasse, et elle court le chercher dans sa maison. Elle ne prévient même pas son mari : inutile de l’affoler puisque, de toute manière, d’ici peu, l’enfant sera debout ! On a envie de dire « C’est beau la foi »... Elle se précipite donc chez Élisée ; et la première chose qu’elle lui dit, c’est : « Quand tu m’as promis cet enfant, je ne t’avais rien demandé, à tel point, rappelle-toi, que je ne pouvais pas y croire ; et je t’avais dit « Non, mon seigneur, homme de Dieu, ne dis pas de mensonge à ta servante ». Sous-entendu, « Tu ne m’as pas donné cet enfant, que je ne te demandais pas, pour me le reprendre ! »... Et vous connaissez la suite, Élisée ressuscite l’enfant (2 R 4,18-37).

Troisième acte, quelques années passent encore, et fidèle à cette amitié, Élisée va sauver, une fois de plus, la famille de la Sunamite ; il la prévient de la famine imminente :

« Élisée parla à la femme dont il avait fait revivre le fils et dit : ‘Lève-toi, pars, toi et ta famille, séjourne où tu pourras, car le SEIGNEUR a appelé la famine et même elle vient sur le pays pour sept ans ». (2 R 8,1). Et la suite nous apprend qu’elle écoute le conseil et s’exile pour sept ans au pays des Philistins.

Seulement voilà « qui va à la chasse perd sa place » ; quand la petite famille revient, ses biens, qui n’étaient pas minces, puisqu’on disait qu’elle était riche, sa maison et son champ ont été réquisitionnés par les officiers du roi (c’était la règle, d’ailleurs). C’est encore l’intervention d’Élisée qui la fait rentrer en possession de sa terre, et c’est le quatrième acte.

IMAGE DE LA LONGUE ALLIANCE ENTRE DIEU ET SON PEUPLE

Voici donc l’histoire d’Élisée et de la famille sunamite. Mais quelle leçon l’auteur biblique en tire-t-il à notre profit ? Je vous l’ai dit, il considère cette histoire comme symbolique de l’Alliance entre Dieu et son peuple, Israël ; le prophète étant l’image de Dieu. On peut relever au moins cinq traits : d’abord, la durée de cette histoire dit la fidélité de Dieu que même l’incrédulité ne rebute pas. Ensuite, la sollicitude sans faille de l’homme de Dieu pour son hôtesse dit la sollicitude constante de Dieu pour son peuple. Et cette sollicitude va jusqu’à vouloir habiter au milieu de son peuple, comme Élisée accepte de s’installer dans la chambre sur la terrasse ; (rappelez-vous toute l’histoire de la construction du Temple de Salomon : Dieu habite au milieu de son peuple). Plus tard, ce souci d’Élisée de redonner à la femme ses biens évoquent la promesse de Dieu de redonner à Israël sa terre ; or, vous savez qu’on pense généralement que le livre des Rois date de la période de l’Exil à Babylone : un moment où il est essentiel de relire l’histoire et de s’appuyer sur les promesses de Dieu. Enfin, la promesse de la naissance et la résurrection de l’enfant sont le signe que Dieu est le Dieu de la vie.

Quant à la femme, son attitude nous est donnée en modèle ; un modèle finalement bien simple à suivre : « accueillir le prophète en sa qualité de prophète », comme dira plus tard Jésus (Mt 10,41, notre évangile de ce dimanche) et faire une confiance si totale qu’on ose parler du fond de son cœur, y compris pour dire ses besoins et sa révolte. Heureuse la femme de Sunam qui a su reconnaître en Élisée un « saint homme de Dieu » ; mais au fait, nous savons désormais que Dieu habite le cœur de tout homme ; à nous de savoir l’y reconnaître et d’accueillir tout homme en conséquence.
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PSAUME  88 ( 89 )

2   L'amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante
     ta fidélité, je l'annonce d'âge en âge.
3   Je le dis : C'est un amour bâti pour toujours ;
     ta fidélité est plus stable que les cieux.

16 Heureux le peuple qui connaît l'ovation !
     SEIGNEUR, il marche à la lumière de ta face ;
17 tout le jour, à ton nom il danse de joie,
     fier de ton juste  pouvoir.

18 Tu es sa force éclatante ;
     ta grâce accroît notre vigueur.
19 Oui, notre roi est au SEIGNEUR ;
     notre bouclier, au Dieu saint d'Israël
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CE DONT IL NE FAUT JAMAIS DOUTER

La première lecture de ce dimanche nous faisait entendre le récit de la longue amitié qui s’était nouée au fil des ans entre une famille de Galilée et le prophète Élisée, l’homme de Dieu, comme on disait. À travers cette histoire d’une belle relation humaine, nous étions invités à méditer sur l’Alliance éternelle entre Dieu et son peuple, et plus largement, l’Alliance entre Dieu et l’humanité tout entière : « L’amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge. Je le dis : C’est un amour bâti pour toujours ; ta fidélité est plus stable que les cieux ».

Ceci dit, nous savons tous que cette merveilleuse histoire d’amour entre Dieu et les hommes ne ressemble pas toujours à un chemin parsemé de roses ! Nous avons entendu ici quelques versets seulement du psaume 88/89 (qui en comporte en fait cinquante-trois) et tout a l’air si simple ! Apparemment, c’est l’euphorie ; mais justement c’est cette facilité qui doit nous mettre la puce à l’oreille ; nous l’avons appris avec les prophètes : plus un passage parle de lumière, de victoire, plus on devine qu’il a été écrit en période sombre, en temps de défaite.

 Ici, les premiers mots du psaume, ce sont l’amour et la fidélité du Seigneur : autant dire tout de suite qu’il était urgent d’y croire si on ne voulait pas sombrer dans le découragement. Et si vous ne me croyez pas, allez voir dans vos bibles le verset 50 : » Où donc est, Seigneur, ton premier amour, celui que tu jurais à  David sur ta foi ? »  Ce qu’on semble affirmer si fort, dans les autres versets, en réalité, on craint bien de l’avoir perdu...

Deuxième remarque préliminaire : dans la Bible, l’ensemble des psaumes est composé de cinq livres dont chacun se termine par une formule de bénédiction ; ce psaume 88/89 est le dernier du troisième livre et son dernier verset est « Béni soit le SEIGNEUR pour toujours ! Amen ! Amen ! » Mais c’est l’ensemble de ce psaume qui a un caractère de conclusion ou plutôt de synthèse : écrit très probablement pendant l’Exil à Babylone, il brosse en fait la fresque de l’histoire d’Israël : les commencements de l’Alliance, les promesses faites à David, l’attente du Messie et maintenant l’Exil, c’est-à-dire l’écroulement : plus de roi à Jérusalem, plus d’héritier royal, donc pas de Messie... Dieu aurait-il oublié ses promesses ? » Où donc est, Seigneur, ton premier amour ? »

Ces deux remarques pour dire tout de suite qu’en chantant les quelques versets de ce dimanche, il ne faut pas oublier tout le reste du psaume, sous peine de le défigurer. Mais venons-en aux versets proposés pour la messe de ce treizième dimanche ; et puisqu’ils sont courts, profitons-en pour les regarder d’un peu plus près ; souvent, ces dernières semaines, nous nous sommes émerveillés de la richesse du contenu des psaumes et nous n’avons pas pris le temps de nous arrêter sur la forme ; pour changer, commençons par là.

La construction de la première strophe est très soignée : » L’amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge. Je le dis : C’est un amour bâti pour toujours ; ta fidélité est plus stable que les cieux ». Vous avez remarqué d’abord le parallélisme des versets, c’est-à-dire que la deuxième partie du verset (ce qu’on appelle le deuxième « stique ») est parallèle à la première : « L’amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge ». L’amour du SEIGNEUR / ta fidélité ... je le chante / je l’annonce ...  sans fin / d’âge en âge... Venons-en au deuxième verset : « Je le dis : c’est un amour bâti pour toujours ; ta fidélité est plus stable que les cieux » : on retrouve le même parallélisme : un amour / ta fidélité ... bâti / stable... Le dernier couple de mots « pour toujours / les cieux » vous surprend peut-être, mais il s’agit quand même d’un parallélisme, mais entre l’espace et le temps, cette fois. Nous sommes véritablement devant une construction très savante qui devrait nous pousser à soigner le chant des psaumes.

L’AMOUR DU SEIGNEUR POUR SON PEUPLE

Dans ces deux premiers versets nous avons déjà rencontré deux fois le couple de mots « amour » et « fidélité » ; si vous avez la curiosité de lire ce psaume 88/89 en entier, vous les retrouverez sept fois et ce chiffre sept n’est pas non plus le fruit du hasard. Et dans cette expression « amour et fidélité » vous avez reconnu la traduction qu’on a toujours faite de la Révélation que Moïse avait reçue du Seigneur au Sinaï  : » Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Exode 34,6).

Et quand le premier verset nous fait dire : « L’amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante » : le mot amour (dans le texte hébreu) signifie en fait « les gestes d’amour de Dieu » : Dieu n’aime pas seulement en paroles, mais « en actes et en vérité », comme dirait saint Jean.

C’est précisément en Exil que le peuple d’Israël se remémore plus que jamais tous les « gestes d’amour de Dieu » pour lui : car la tentation est trop forte de penser que Dieu aurait pu oublier son peuple. Et un noyau de croyants compose des hymnes qui rappellent à tout le peuple que Dieu n’a jamais cessé d’être le roi d’Israël. C’est le sens de cette dernière phrase curieuse : » Notre roi est au SEIGNEUR ; notre bouclier, au Dieu saint d’Israël » ; très difficile à traduire en français, et prononcée justement à un moment où il n’y a plus de roi en Israël, elle signifie en fait « notre roi, c’est le Seigneur, notre bouclier, c’est le Saint d’Israël ».

Et pour le dire encore mieux, on utilise un vocabulaire royal : « ovation... pouvoir... force... vigueur... bouclier... » Le mot « ovation », en particulier, désigne la « terouah », c’est-à-dire la grande acclamation pour le roi le jour de son sacre ; c’est une acclamation guerrière et plusieurs de ces mots (comme force... vigueur... bouclier) sont typiquement guerriers parce que, à cette époque, le roi est avant tout celui qui marche à la tête de ses armées.           

Mais on sait par la suite de ce psaume ce qu’il en est de ces accents victorieux : en voici les derniers versets en guise d’aperçu : « Rappelle-toi, Seigneur, tes serviteurs outragés... Oui, tes ennemis ont outragé, SEIGNEUR, poursuivi de leurs outrages ton Messie ». Raison de plus pour se répéter les promesses de Dieu.

 Décidément, ce psaume nous donne une leçon : c’est la nuit qu’il faut croire à la lumière.
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS  6, 3... 11

     Frères,
     ne le savez-vous pas ?
3   Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus,
     c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême.
4   Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort,
     nous avons été mis au tombeau avec lui,
     c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi,
     comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père,
     est ressuscité d’entre les morts.

8   Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ,
     nous croyons que nous vivrons aussi avec lui.
9   Nous le savons en effet :
     ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ;
     la mort n’a plus de pouvoir sur lui.
10 Car lui qui est mort,
     c'est au péché qu'il est mort une fois pour toutes ;
     lui qui est vivant,
     c'est pour Dieu qu'il est vivant.
11 De même, vous aussi,
     pensez que vous êtes morts au péché,
     mais vivants pour Dieu en Jésus Christ.

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UNE NOUVELLE MANIÈRE DE VIVRE

Ce texte de Paul est peut-être bien sa réponse à un reproche qu’on lui fait souvent. Je m’explique : le thème majeur de la lettre aux Romains pourrait se résumer ainsi : « Dieu nous sauve par pure grâce, qui que nous soyons ; il nous suffit d’accueillir ce salut dans la foi » ; cette insistance de Paul sur la gratuité du salut lui vaut une objection que nous entendons aussi parfois aujourd’hui, ici ou là : on lui dit : ‘À trop insister sur la gratuité du salut de Dieu, vous encouragez le péché’ (sous-entendu, alors on peut faire n’importe quoi, vous prêchez le laxisme). Paul s’en défend ici en disant : Ne me faites pas dire qu’il est sans importance de pécher sous prétexte qu’il y a la grâce de Dieu ; car désormais, le péché ne nous concerne plus ; depuis notre Baptême, nous sommes des créatures nouvelles sur lesquelles le péché n’a plus de prise. « Si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. » (2 Co 5,17).

Sa réponse à ses détracteurs n’est pas fondée sur des principes moraux, mais sur le mystère du salut. Il faut dire que Paul vit son Baptême avec une telle profondeur que nous avons un peu de mal à le suivre ! Quand Paul parle de création nouvelle, il parle d’expérience : sur le chemin de Damas, quand il s’est relevé, il était un autre homme ! Il était mort à tout ce qu’était sa vie antérieure, une certaine manière de voir, d’agir, de croire surtout.

C’est ce mot « mort » qui représente pour nous l’une des principales difficultés de ce texte, car il revient pratiquement à toutes les lignes, et il nous est bien difficile de lui donner un autre sens que celui de notre langage courant : la mort biologique qui attend tous les humains et qui nous fait si peur. Or Paul lui donne un tout autre sens dans ce texte qui se place à un niveau uniquement théologique : « Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême… nous sommes passés par la mort avec le Christ… lui qui est mort, c'est au péché qu'il est mort une fois pour toutes… De même, vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus Christ. »

Il s’agit d’un baptême, d’un passage, d’une mort au péché. Un autre texte de Paul peut nous donner la clé de ces mots ; il écrit dans sa première lettre aux Corinthiens : « Lors de la sortie d’Égypte, nos pères étaient tous sous la protection de la nuée, et tous ont passé à travers la mer. Tous, ils ont été unis à Moïse par un baptême dans la nuée et dans la mer. » (1 Co 10,1-2). Il s’agit là des événements fondateurs du peuple d’Israël : Dieu libère son peuple de l’esclavage et le fait naître à une nouvelle vie par son passage à travers les eaux. C’est cela que Paul appelle le Baptême d’Israël ; Moïse a rompu là l’engrenage d’une captivité de plus en plus impitoyable : travail forcé, meurtre des enfants, mauvaise foi de Pharaon. Le passage de la mer a consacré cette rupture, cette mort à l’esclavage.

De même, nous dit Paul, Jésus accomplit une rupture radicale : l’homme, dans sa révolte contre Dieu, est prisonnier de ses doutes, de ses soupçons, de ses refus d’aimer, en un mot prisonnier de son péché. L’engrenage de la haine et de la violence semble impitoyable.

VIVRE À LA MANIÈRE DE JÉSUS-CHRIST

 

Jésus, lui, se fait « obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Phi 2,8) ; sa confiance en Dieu (c’est le sens du mot « obéissance » chez Paul), son harmonie parfaite avec toute la volonté de son Père rompt le cercle infernal du péché des hommes. Ainsi, sa mort est un triomphe, l’acte victorieux du premier homme vraiment libre. « Car lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il est vivant. »

De quelle mort parle-t-il ? Paul nous dit « » Nous sommes passés par la mort avec le Christ », mais pourtant, nous nous sentons bien vivants, sinon nous ne serions pas là, vous et moi ! C’est donc qu’il ne s’agit pas de la mort biologique. Il emploie ici ce mot « mort » pour évoquer une rupture radicale avec le passé.

Quand Paul dit « nous sommes morts au péché », il veut dire que nous sommes morts à notre mauvaise manière de vivre. Désormais, nous vivons une vie nouvelle : nous avons abandonné les fausses valeurs du monde pour vivre à l’image de Jésus. Imiter Jésus, c’est sortir de l’engrenage de la haine et de la violence, du goût du pouvoir ou de l’argent. C’est le choisir, lui, comme notre seul maître et entrer dans une nouvelle manière de vivre faite d’amour et de service des frères. Et c’est notre baptême qui a inauguré pour nous ce changement radical d’orientation, le commencement de notre nouvelle vie. Paul envisage donc le baptême comme une véritable libération.

Alors Paul peut dire à ceux qui se sont attachés au Christ : « Vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus Christ. » Ailleurs, il dira que le baptisé est un « homme nouveau » : « Si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. Tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés avec lui par le Christ. » (2 Co 5,17-18).

Cette transformation est donc déjà chose faite, mais en même temps elle reste à faire : notre vie nouvelle est inaugurée par notre Baptême, à nous maintenant, d’y conformer tous nos comportements quotidiens. Paul répond donc ainsi aux objections qui lui étaient faites, de présenter un tableau un peu trop rose de la vie du chrétien : car sa conclusion représente une exigence formidable, finalement : « De même vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus Christ. »

Oui, entrer dans le salut est très simple, il suffit d’y croire, mais c’est très exigeant ! Car, désormais, nous nous devons de mener une vie nouvelle, conforme à l’Esprit du Christ.

La lettre aux Éphésiens le redit aux chrétiens : « Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, c’est-à-dire de l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur. Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité. » (Ep 4,22-24). Le secret pour nous laisser renouveler entièrement, comme dit l’apôtre, est bien simple : rester les yeux fixés sur la croix du Christ, lui qui nous donne l’exemple parfait de l’obéissance et de la douceur seules capables de casser l’enchaînement de la violence : « Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. » (Jn 15,4).
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  10, 37-42

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses Apôtres :
37 « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi
     n’est pas digne de moi ;
     celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi
     n’est pas digne de moi ;
38 celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas
     n’est pas digne de moi.
39 Qui a trouvé sa vie
     la perdra ;
     qui a perdu sa vie à cause de moi
     la trouvera.
40 Qui vous accueille
     m’accueille ;
     et qui m’accueille
     accueille Celui qui m’a envoyé.
41 Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète
     recevra une récompense de prophète ;
     qui accueille un homme juste en sa qualité de juste
     recevra une récompense de juste.
42 Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche,
     à l’un de ces petits en sa qualité de disciple,
     amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense. »

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CONSENTIR LES RENONCEMENTS NÉCESSAIRES

À première vue, ce texte est une succession de maximes dont on peut même se demander si Jésus les a toutes prononcées à la suite et on ne voit pas bien le lien entre elles. Mais à force de les lire et relire, on découvre au contraire qu’il s’agit d’un même appel, celui des choix nécessaires, des renoncements exigés par la fidélité à l’évangile. On savait déjà que l’évangile exigeait d’aimer : tout le discours sur la montagne l’a dit. Ici Jésus parle d’autres exigences.

Je prends le texte en suivant : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ». Il ne faut pas entendre le mot « aimer » au sens habituel des affections familiales ; Jésus ne nous dit pas de ne pas aimer notre prochain ; ce serait nouveau ! Mais on est dans un contexte de persécution : aussi bien quand Jésus parle, puisqu’il en mourra, que quand Matthieu écrit son évangile ; un peu plus haut, il a prévenu ses apôtres : « Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mettre à mort. » (Mt 10,21) ; et encore « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Oui, je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa propre maison. » (Mt 10,34-35 ; Michée 7,6).

Tous les temps de persécution provoquent des drames cornéliens : le choix se pose entre la fidélité ou la mort ; même en dehors d’un contexte de persécutions violentes, on sait bien que c’est en famille et avec les amis les plus proches qu’il est souvent le plus difficile de témoigner de ses convictions. Et parfois de véritables déchirures peuvent se produire dans le tissu familial.

« Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera ». « Prendre sa croix » : que pouvait signifier cette expression dans la bouche de Jésus à ce moment-là ? La crucifixion était un supplice courant qui sanctionnait tout manquement à l’ordre public. Le long des routes de l’Empire romain, il arrivait qu’on voie des crucifixions par centaines et même par milliers. Ce supplice infâmant inspirait l’horreur et exposait à l’opprobre des foules et à la risée des passants celui qui méritait d’être retranché du peuple. D’ailleurs, on le voit au moment de la condamnation du Christ, il n’était pas question de crucifier quelqu’un dans l’enceinte de la ville. Tout le monde connaissait la phrase du Deutéronome d’après laquelle tout condamné à mort au nom de la Loi était maudit de Dieu (Dt 21,22-23). Rappelez-vous encore le psaume 21/22 : « Je suis un ver, pas un homme, raillé par les gens, rejeté par le peuple. Tous ceux qui me voient me bafouent ; ils ricanent et hochent la tête ». (Ps 21/22,7-8).

Jésus exprime ici la conscience qu’il a de la persécution qui l’attend, lui et tous ceux qui prendront sa suite. Car, si les disciples vont au bout du témoignage, ils courront inévitablement le risque de se heurter aux autorités. Il leur faudra accepter d’être méconnus, humiliés. Il leur a bien dit : « Un serviteur n’est pas plus grand que son maître. Si l’on m’a persécuté, on vous persécutera, vous aussi. » (Jn 15,20).

LA SEULE RÉCOMPENSE QUI VAILLE

« Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé ». Il me semble que cette phrase vise à fortifier les apôtres, comme s’il leur disait : « Tenez bon. Tous ces risques courus pour l’Évangile vous rapprochent de moi et de mon Père ».

« Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ; qui accueille un homme juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste. Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense ».

À première vue, nous voilà en plein dans une optique de récompense, de donnant-donnant ; mais non, car nous ne sommes pas dans le domaine de l’avoir ; puisqu’en amour on ne compte pas. Ce que Dieu nous donne n’est pas quantifiable ; c’est du domaine de l’être. C’est la vie éternelle, c’est-à-dire la vie dans son intimité. Tous les saints témoignent d’une qualité de bonheur, pas d’une quantité de biens. Et même, humainement, ceux qui vivent une véritable relation d’amour, quelle qu’elle soit, savent que l’avoir compte peu en regard de la profondeur des sentiments, la communication entre les êtres. Jésus le dit lui-même un peu plus loin : « Celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle. » (Mt 19,29).

Saint Paul exprime cette expérience : « Mais tous ces avantages que j’avais, je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur… Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. » (Phi 3,7...12).

« Être saisi par le Christ » comme dit saint Paul, voilà l’enjeu, un enjeu vital. Et c’est cela, peut-être, le lien entre toutes ces phrases de Jésus : « Être saisi par le Christ » comme un feu intérieur qui inspire tous les renoncements exigés par la fidélité à l’évangile : le renoncement aux affections, à la considération, à l’avoir... On entend ici résonner les Béatitudes : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5,11-12).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 02 07 2023, 13e dimanche du temps ordinaire A

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19 juin 2023 1 19 /06 /juin /2023 15:02
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE JÉRÉMIE   20,10-13

     Moi Jérémie,
10 j’entends les calomnies de la foule :
     « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer,
     celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. »
     Tous mes amis guettent mes faux pas, ils disent :
     « Peut-être se laissera-t-il séduire...
     Nous réussirons,
     et nous prendrons sur lui notre revanche ! »
11 Mais le SEIGNEUR est avec moi, tel un guerrier redoutable :
     mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas.
     Leur défaite les couvrira de honte,
     d’une confusion éternelle, inoubliable.
12 SEIGNEUR de l’univers, toi qui scrutes l’homme juste,
     toi qui vois les reins et les cœurs,
     fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras,
     car c’est à toi que j’ai remis ma cause.
13 Chantez le SEIGNEUR, louez le SEIGNEUR :
     il a délivré le malheureux de la main des méchants.

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LES CONFIDENCES DE JÉRÉMIE 

Ce passage fait partie de ce qu’on appelle les « Confessions de Jérémie », on pourrait dire les « Confidences de Jérémie » ; là il dévoile le plus intime de lui-même : et les quelques lignes d’aujourd’hui nous résument bien ses sentiments ; sa vie est un continuel paradoxe : ce qui fait sa joie la plus profonde, sa raison de vivre, son assurance... est aussi la source de toutes ses souffrances ; c’est la Parole de Dieu. Elle n’est pas nommée ici mais elle est sous-entendue. C’est parce qu’il proclame la Parole de Dieu « à temps et à contre-temps » (comme dit saint Paul) qu’il est persécuté ; mais c’est cette même Parole qui lui donne la force de continuer.

On dit souvent que « Nul n’est prophète en son pays », cela s’applique parfaitement à Jérémie. Il a été un très grand prophète mais c’est seulement après sa mort qu’on s’en est aperçu. De son vivant, sa parole était trop dérangeante. Il précise lui-même très exactement la date de sa prédication : « De la treizième année du règne de Josias jusqu’à la déportation de Jérusalem », ce qui veut dire de 627 à 587 avant J.-C. Quarante années, au cours desquelles il a vu se succéder plusieurs rois à Jérusalem : mais bien peu l’ont écouté

Que lui reprochait-on ? Simplement d’avoir le courage de dire la vérité. Et la vérité n’était pas brillante : du haut en bas de l’échelle sociale, les infidélités à l’Alliance se multipliaient dans tous les domaines. Voici un exemple de sa prédication :

« Ils sont tous adultères, une bande de traîtres (9,1) ... « Du plus petit jusqu’au plus grand, ils sont tous assoiffés de profits ; du prophète jusqu’au prêtre, ils s’adonnent tous au mensonge. » (8,10). Traduisez : la corruption et l’amour de l’argent ont gangrené toute la société ; la religion n’est plus que de façade.

Comme on peut s’y attendre, ce genre de rappels à l’ordre n’est pas du goût de tout le monde. D’autant plus qu’il sait être cinglant : « Un Éthiopien peut-il changer de peau, une panthère, changer de pelage ? Et vous pourriez faire le bien, vous, les habitués du mal ? » (Jr 13,23). Où l’on voit qu’il a le sens des formules. Il passe donc une bonne partie de sa vie à hurler, provoquer, injurier. Il fait aussi quelquefois des choses étranges pour alerter le roi, la cour, les prêtres, tous les responsables qui entraînent le peuple vers sa ruine.

LE COURAGE DE LA VÉRITÉ

Sur le plan politique, il essaie d’ouvrir les yeux de ses compatriotes et ose prédire ce qui est l’évidence, à savoir que Nabuchodonosor ne fera bientôt qu’une bouchée de la ville de Jérusalem. Et, pour se faire comprendre, il accomplit un geste spectaculaire : il casse en public une cruche toute neuve sortant de la main du potier pour annoncer le sort qui attend Jérusalem : elle va être réduite en miettes (Jr 19,1-11).

Mais, au lieu de l’écouter, on l’accuse de complot avec l’ennemi : « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. » Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, on le sait bien.

En lisant le livre de Jérémie, on pense inévitablement à cette phrase du psaume 68/69 : « Le zèle de ta maison me dévorera » (que saint Jean a citée bien plus tard à propos de Jésus) ; elle résume tout-à-fait bien la vie de Jérémie ; mais rien ni personne n’a pu le détourner de sa mission. On peut se demander quel fut son secret : la conscience d’être en mission, tout simplement. Et les croyants savent que Dieu leur donnera toujours les forces nécessaires à l’accomplissement de celle qui est la leur. Il suffit d’aller à la source.

Le deuxième secret est là : Jérémie se savait trop petit pour la tâche, et ne cherchait donc pas ses forces en lui-même, mais en Dieu.

« Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » disait Paul (2 Co 12,10) : c’est-à-dire « lorsque j’expérimente et reconnais ma propre faiblesse, je vais chercher la force où elle se trouve, c’est-à-dire en Dieu ». De fait, Jérémie a expérimenté la présence de Dieu au cœur de toutes ses épreuves : « Je suis avec toi pour te délivrer », lui avait-il promis, au jour de sa vocation (Jr 1,19).

Reste cette prière étonnante du prophète : « SEIGNEUR, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras, car c’est à toi que j’ai remis ma cause. » Cela m’inspire trois remarques : premièrement, le désir de revanche est bien humain et le prophète reste un homme comme les autres ; sa mission particulière ne le rend pas insensible ou surhumain. Deuxièmement, il ne cherche pas à prendre sa revanche lui-même, il s’en décharge sur Dieu ; c’est déjà un progrès par rapport à la vengeance directe. L’idéal du pardon de toutes les offenses sans condition n’est apparu que plus tard en Israël, dans la prédication du deuxième Isaïe. Troisièmement, au-delà d’une revanche personnelle, ce qu’il appelle de tous ses vœux, c’est le triomphe de la vérité. Comme tout vrai prophète, il sait déjà que l’amour de Dieu sera plus fort que tout, et parviendra un jour à supprimer tout mal de la terre. C’est cela qu’il appelle la « revanche » de Dieu, le triomphe éternel de Dieu sur les forces du mal..
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PSAUME 68 (69)

8       C'est pour toi que j'endure l'insulte,
         que la honte me couvre le visage :
9       je suis un étranger pour mes frères,
         un inconnu pour les fils de ma mère.
10     L'amour de ta maison m'a perdu ;
         on t'insulte et l'insulte retombe sur moi

14     Et moi je te prie, SEIGNEUR :
         c'est l'heure de ta grâce ;
         dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi,
         par ta vérité sauve-moi.
17     Réponds-moi, SEIGNEUR,
         car il est bon, ton amour ;
         dans ta grande tendresse, regarde-moi.

33     Les pauvres l'ont vu, ils sont en fête :
         « Vie et joie à vous qui cherchez Dieu ! »
34     Car le SEIGNEUR écoute les humbles,
         il n'oublie pas les siens emprisonnés.
35     Que le ciel et la terre le célèbrent,
         les mers et tout leur peuplement !         
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L’AMOUR DE TA MAISON M’A PERDU

C’est bien parce que le psalmiste est convaincu que « Le SEIGNEUR écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés » qu’il ose dire tout ce qui précède. Car ce psaume est justement le cri de détresse d’un malheureux, d’un humilié, peut-être d’un emprisonné. Apparemment, il s’agit d’un croyant persécuté pour sa foi, puisqu’il dit : « C’est pour toi (sous-entendu toi-Dieu) que j’endure l’insulte, que la honte me couvre le visage… L’amour de ta maison m’a perdu ; on t’insulte et l’insulte retombe sur moi ».

La persécution est malheureusement une situation bien connue en Israël : d’une part, les prophètes ont tous été persécutés au sein même de leur peuple : ce fut le cas avec Jérémie (nous l’entendons dans la première lecture de ce dimanche), et on en dirait autant de tous les autres. D’autre part, et surtout, le peuple lui-même a été persécuté par les autres peuples. Si on y réfléchit, il n’est pas étonnant que le peuple choisi par Dieu pour être son prophète subisse le même sort que les prophètes individuels.

Mais pourquoi un prophète ne meurt-il presque jamais dans son lit ? Pourquoi faut-il qu’il subisse la honte et les insultes ? De la même manière Jésus dira : « Il fallait que le Fils de l’homme souffrît... » Pourquoi est-ce inévitable ? Tentons une réponse : on peut dire qu’un prophète est un peu l’interprète de Dieu (on dit qu’il est la « bouche de Dieu »), puisqu’il proclame sa Parole. Or on sait bien que « nos pensées ne sont pas les pensées de Dieu et que ses chemins ne sont pas nos chemins », et qu’il y a la même distance entre nos pensées et celles de Dieu qu’entre la terre et le ciel ! comme dit Isaïe (Is 55,8-9). Si donc le prophète se fait l’écho fidèle des pensées de Dieu, il est sans cesse en contradiction avec à peu près tout le monde ; il est condamné à être sans cesse à contre-courant. Sa parole, parfois sa simple présence, est un appel à la justice, à la sainteté (c’est-à-dire concrètement l’amour des frères), au partage, toutes choses dont nous n’avons guère envie. Écouter de belles paroles, c’est facile, mais les prophètes ne se contentent pas de dire de belles paroles, ils appellent à changer de vie, ce qui est autrement plus dérangeant. La prédication des véritables prophètes ressemble à un projecteur braqué sur les recoins de notre vie et tout spécialement sur notre attitude envers les autres. Dans bien des cas, nous préférons éteindre la lumière.

Par moments, cette hostilité submerge le prophète : Moïse a eu ses moments de découragement ; Élie a supplié de mourir ; Jérémie a regretté d’être né ; voici quelques lignes de lui qui éclairent la première lecture de ce dimanche : « Maudit soit le jour où je suis né ! Le jour où ma mère m’a enfanté, qu’il ne soit pas béni ! Maudit soit l’homme qui annonça à mon père cette nouvelle qui le combla de joie : « Il t’est né un fils, un garçon !... Maudit soit le jour qui ne m’a pas fait mourir dès le ventre : ma mère serait devenue mon tombeau, et son ventre me porterait toujours. Pourquoi donc suis-je sorti du ventre ? Pour voir peine et tourments, et mes jours s’achever dans la honte ? » (Jr 20,14…18). (Au passage, on ne peut que remarquer la parenté de ce texte avec le livre de Job ; ce qui n’a rien d’étonnant puisque le personnage de Job représente le peuple d’Israël dans ses moments de détresse).

Je reviens à notre psaume : celui qui parle se compare à un noyé qui est en train de perdre pied : il n’a plus la force de remonter ; je vous lis les premiers versets qui ne font pas partie de la liturgie de ce jour : « Sauve-moi, mon Dieu : les eaux montent jusqu’à ma gorge ! J’enfonce dans la vase du gouffre, rien qui me retienne ; je descends dans l’abîme des eaux, le flot m’engloutit ». (Là on croit entendre les paroles de Jonas).

LE SEIGNEUR ÉCOUTE LES HUMBLES, IL N'OUBLIE PAS LES SIENS EMPRISONNÉS

Mais même au fond du gouffre, un vrai prophète ne perd pas confiance : la Parole qui lui cause tant de malheurs est en même temps son soutien ; et notre psaume, après toute une série de lamentations se transforme en prière pour se terminer en action de grâce, déjà, car il est sûr, malgré tout, d’être exaucé. Commençons par la prière : « Et moi, je te prie, SEIGNEUR, c’est l’heure de ta grâce... Tire-moi de la boue, sinon je m’enfonce : que j’échappe à ceux qui me haïssent, à l’abîme des eaux. Que les flots ne me submergent pas, que le gouffre ne m’avale, que la gueule du puits ne se ferme pas sur moi ». Là on croirait entendre Jérémie en personne, lui qui a été jeté un jour dans un puits pour avoir tenu sur le Temple des propos qui n’ont pas plu : il a osé dire « Est-elle à vos yeux une caverne de bandits, cette Maison sur laquelle mon nom est invoqué ? » (Jr 7,11). 

Entre parenthèses, Jésus a tenu à son tour à peu près les mêmes propos en chassant les vendeurs du Temple et quand saint Jean raconte cet épisode, il cite justement une phrase de notre psaume d’aujourd’hui : « L’amour de de ta maison fera mon tourment. » (Jn 2,17).

Enfin ce psaume se termine par une prière d’action de grâce : c’est une donnée permanente de la prière juive que la supplication et l’action de grâce soient toujours étroitement mêlées. Ici, le psalmiste chante déjà victoire : non seulement lui-même sera sauvé, mais le peuple entendra enfin la voix de son Dieu et le bonheur pour tous pourra s’installer : « Je louerai le nom de Dieu par un cantique, je vais le magnifier, lui rendre grâce. Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! »
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   5,12-15

     Frères,
12 nous savons que par un seul homme,
     le péché est entré dans le monde,
     et que par le péché est venue la mort ;
     et ainsi, la mort est passée en tous les hommes,
     étant donné que tous ont péché.
13 Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde,
     mais le péché ne peut être imputé à personne
     tant qu’il n’y a pas de loi.
14 Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse,
     la mort a établi son règne,
     même sur ceux qui n’avaient pas péché
     par une transgression semblable à celle d’Adam.
     Or, Adam préfigure celui qui devait venir.
15 Mais il n'en va pas du don gratuit comme de la faute.
     En effet, si la mort a frappé la multitude
     par la faute d’un seul,
     combien plus la grâce de Dieu
     s’est-elle répandue en abondance sur la multitude,
     cette grâce qui est donnée en un seul homme,
     Jésus Christ.

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VIVRE À LA MANIÈRE D’ADAM OU À LA MANIÈRE DE JÉSUS-CHRIST

Paul aborde ici un thème sur lequel il revient souvent : c’est la comparaison entre Adam et Jésus-Christ. Et s’il les compare, c’est pour les opposer. Ce faisant, il n’oppose pas deux individus, mais deux types de comportement. Car Paul ne lit pas le récit de la Genèse comme un récit historique du passé, mais comme une méditation sur la situation humaine de tous les temps ; une méditation sous forme d’image, une sorte de parabole. Le comportement à la manière d’Adam conduit à la mort spirituelle ; le comportement à la manière de Jésus-Christ nous conduit à la vie. Précisons tout de suite que chez saint Paul, comme dans le livre de la Genèse, il s’agit bien de vie et de mort spirituelles, et non pas de vie et de mort biologiques ; quand saint Paul dit « par le péché est venue la mort », il parle de la mort spirituelle ; la mort biologique au terme d’une existence bien remplie ne posait pas de problème aux hommes de la Bible, elle leur paraissait normale.

Je reviens à Adam et Jésus-Christ ; entre ces deux comportements, où est la différence ? Le projet de Dieu, lui, ne change pas ; d’après le livre de la Genèse, Dieu a commandé à l’homme : « Remplissez la terre et soumettez-la. » (Gn 1,28). Le programme est tracé. Donc, quand l’humanité a des rêves fous de puissance, de bonheur, de maîtrise de l’univers, elle ne fait là que répondre à sa vocation ; si Dieu a insufflé ces aspirations en nous, c’est pour les combler ; seulement voilà, lui seul peut le faire.

Le livre de la Genèse, encore, le dit par une image : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec la poussière prise du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2,7). Vivant non pas seulement au sens biologique, mais vivant de la vie de Dieu : car je note que les animaux qui sont bien vivants, pourtant, n’ont pas en eux ce souffle de Dieu. Voilà le projet de Dieu : faire vivre les hommes de sa vie. Manière de dire que l’homme n’est « un être vivant », pour reprendre l’expression même de la Genèse, que tant qu’il reste suspendu au souffle de Dieu ; cette relation est donc vitale pour nous. Et c’est en vivant de la vie même de Dieu que l’humanité accède peu à peu au destin magnifique prévu pour elle. Quand le serpent tentateur suggère à la femme qu’elle et son mari pourraient « devenir comme des dieux », il ne fait que dire le vrai projet de Dieu. Souhaiter « devenir comme des dieux », ce n’est pas mal en soi : encore une fois, ce désir d’infini qui habite le cœur de l’homme est sain.

Là où le serpent trompe l’homme et la femme, c’est en leur faisant croire qu’ils vont y arriver par leurs propres forces, en désobéissant à Dieu, en chipant le fruit de l’arbre interdit. L’image du texte de la Genèse est très suggestive ; car, en désobéissant à Dieu, l’homme et la femme se détournent de lui et donc coupent eux-mêmes le lien vital qui les rattachait à lui. Désormais, privés du souffle vital de Dieu, ils ne seront plus des vivants spirituellement.

COMPORTEMENTS DE VIE ET COMPORTEMENTS DE MORT

Adam, c’est l’humanité qui cherche sa vie ailleurs qu’en Dieu : évidemment, c’est faire fausse route ! Au lieu de faire confiance à Dieu, l’homme se comporte comme un voleur, il cherche à saisir comme une proie les attributs de Dieu, mais ce faisant, il coupe lui-même la relation vitale qui le rattache à Dieu. C’est de cela qu’il est question quand on parle de « péché mortel » ou de « péché originel qui a entraîné la mort ».

À cette attitude folle, Paul oppose celle du Christ ; comme il le dit dans la lettre aux Philippiens : « Lui qui est de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu ». (Ph 2,6). L’amour de son Père, Jésus le reçoit ; ou, pour le dire autrement, il n’est qu’accueil pour l’amour du Père, il baigne dedans, si l’on peut dire, et c’est pour cela qu’on dit qu’il est sans péché. Comme dit saint Jean « il est plein de grâce et de vérité » (Jn 1,14). Et, grâce à lui, les Adam que nous sommes, nous pouvons être réintégrés dans l’amour du Père : nous retrouvons là, une fois de plus, ce mystère du Christ, l’Homme-Dieu, pleinement homme, pleinement Dieu. En lui, la relation d’amour est tissée entre Dieu et l’humanité. Il est à la fois Dieu qui attire l’humanité à lui (« Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » ; Jn 12,32) ... et en même temps l’Homme (au sens de l’Humanité) qui se laisse combler par Dieu.

Voilà donc les deux comportements que Paul oppose : ou bien nous acceptons de vivre suspendus au souffle de Dieu, et nous accueillons de lui la relation qui nous fait vivre et grandir spirituellement ; c’est la manière de Jésus-Christ ; ou bien nous voulons chercher notre bonheur en dehors de lui, (c’est ce que Paul appelle la manière d’Adam) et nous récoltons la mort spirituelle, puisque la vie n’est pas en notre pouvoir. Chercher notre bonheur en-dehors de Dieu, c’est un leurre, une folie.

Donc, quand Paul dit : « La grâce de Dieu s’est répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée1 en un seul homme, Jésus-Christ », il veut dire que Jésus-Christ a instauré entre Dieu et nous cette relation d’amour qui est vitale pour nous, et qui nous comble parce que nous sommes faits pour elle. Comme dit saint Augustin « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ». Saint Jean dit la même chose, mais autrement : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3). Or, en langage biblique, connaître et aimer c’est la même chose. La vie éternelle, celle qui est commencée depuis notre Baptême, c’est donc de vivre dans l’amour de Dieu, tout simplement, dans sa grâce qui nous environne à tout instant.

C’est bien le moment de chanter le psaume de ce dimanche : « Vie et joie à vous qui cherchez Dieu !
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Note

1 - « La grâce nous a été donnée » (verset 15) : la grâce n'est pas une chose, c'est une relation, la relation d'amour entre Dieu et l'humanité. Il est toujours très difficile de ne pas parler de la grâce comme d'un objet que l'on possède ; et il ne faudrait pas que l’expression « la grâce nous a été donnée » nous pousse à considérer justement la grâce comme un objet qu’on se transmettrait ; ce n’est certainement pas l’idée de Paul : grâce est synonyme d’amour de Dieu et nous savons bien qu’un amour n’est pas un objet, il est la relation qui unit les deux personnes qui s’aiment.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   10, 26-33

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses Apôtres :
26 « Ne craignez pas les hommes ;
     rien n’est voilé qui ne sera dévoilé,
     rien n’est caché qui ne sera connu.
27 Ce que je vous dis dans les ténèbres,
     dites-le en pleine lumière ;
     ce que vous entendez au creux de l’oreille,
     proclamez-le sur les toits.
28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps
     sans pouvoir tuer l’âme ;
     craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne
     l’âme aussi bien que le corps.
29 Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ?
     Or, pas un seul ne tombe à terre
     sans que votre Père le veuille.
30 Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés.
31 Soyez donc sans crainte :
     vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux.
32 Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes,
     moi aussi je me déclarerai pour lui
     devant mon Père qui est aux cieux.
33 Mais celui qui me reniera devant les hommes,
     moi aussi je le renierai
     devant mon Père qui est aux cieux. »

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VOUS SEREZ HAÏS DE TOUS À CAUSE DE MON NOM

Il suffit d’entendre l’insistance de Jésus à dire « Ne craignez pas » pour penser que les disciples avaient de bonnes raisons d’être inquiets ! Effectivement, après leur avoir annoncé qu’il les envoyait en mission (c’était notre évangile de dimanche dernier), il ne leur a pas caché que l’entreprise était risquée. Voici, chez saint Matthieu, les phrases qui précèdent notre évangile d’aujourd’hui : « Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups… Méfiez-vous des hommes : ils vous livreront aux tribunaux et vous flagelleront dans leurs synagogues. Vous serez conduits devant des gouverneurs et des rois à cause de moi… Vous serez détestés de tous à cause de mon nom. » Et c’est ici que commence notre texte d’aujourd’hui. Jésus poursuit en disant : » Ne les craignez pas... ».

Les apôtres sont donc prévenus et pourtant Jésus les invite à avoir l’audace de témoigner quand même. Son argument pour les encourager, c’est : la Vérité est irrésistible. Rien n’arrêtera la Révélation. « Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. »
Tout au long de l’Ancien Testament, Dieu découvre à l’homme ses secrets par la parole des prophètes et la réflexion des sages. Mais toutes ces choses « cachées depuis la fondation du monde » (Mt 13,35 ; Ps 77/78,2) ne deviennent lumineuses qu’au moment de la venue du Christ : c’est ce que dit Paul aux Corinthiens : « Jusqu’à ce jour, en effet, le même voile (qui cachait le visage de Moïse)* demeure quand on lit l’Ancien Testament ; il n’est pas retiré car c’est dans le Christ qu’il disparaît. » (2 Co 3,14). Dans le Christ apparaît en pleine lumière le dessein bienveillant de Dieu : « Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils sinon le Père, et personne ne connaît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler » (Mt 11,27).

Les disciples, témoins de cette levée du voile, ne peuvent que crier ce qu’ils ont vu, entendu, touché : « Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de Vie... nous vous l’annonçons à vous aussi... et nous écrivons cela afin que notre joie soit parfaite. » (1 Jn 1,1...4). Jean ici parle de la joie de l’apôtre qui se laisse porter par le dynamisme de la Révélation.

Mais comme Jésus le leur avait prédit, il leur a fallu surmonter la persécution, à commencer par celle de leurs frères juifs. Quand Matthieu écrit son évangile, la persécution des chrétiens par les Juifs est une réalité et l’évangile d’aujourd’hui a certainement pour but de fortifier leur détermination. À notre tour, si nous sommes croyants aujourd’hui, c’est bien parce qu’ils ont tenu bon et qu’ils ont surmonté leurs premières craintes.

RIEN NE POURRA NOUS SÉPARER DE L’AMOUR DE DIEU

Jésus leur avait dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la Géhenne l’âme aussi bien que le corps ». En disant « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps », Jésus envisage les périls corporels bien réels auxquels s’exposent les disciples. Ils risquent effectivement la mort : « Le frère livrera son frère à la mort, et le père, son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mettre à mort » (Mt 10,21). « L’heure vient où tous ceux qui vous tueront s’imagineront qu’ils rendent un culte à Dieu. » (Jn 16,2). Le « ne craignez pas » signifie sans doute : « N’ayez pas peur de rester fidèles même au risque de la mort », la mort biologique, s’entend.

La seule crainte autorisée, c’est de manquer à la mission qu’il nous a confiée d’annoncer l’évangile : « Craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la Géhenne l’âme aussi bien que le corps ». C’est-à-dire le Tentateur qui vous poussera à la désertion. Car le mot « périr » vise un autre danger bien plus grave, celui de la mort spirituelle, la rupture avec celui qui est le maître de notre destinée. Il est bien évident que Dieu veut nous garder de ce danger-là. Et, pour encourager ses disciples, Jésus les invite à la confiance ; il leur rappelle qu’ils sont sans cesse dans la main de Dieu : « Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. » Et il continue : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. »

Il s’agit de se déclarer publiquement et en actes, solidaires du Christ ; ne faire qu’un avec lui. Il ne s’agit pas d’un calcul, mais d’une relation d’amour : par notre baptême, nous avons été greffés sur Jésus-Christ, nous sommes inséparables de Lui ; et avec lui, nous demeurons dans l’intimité de la Trinité. Comme le dit saint Paul, « Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le  Christ Jésus notre Seigneur. » (Ro 8,39).

La deuxième phrase « Celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux » dit seulement que nous restons toujours libres de nous éloigner et de dire comme saint Pierre au moment de l’arrestation du Christ : « Je ne connais pas cet homme » (Mt 26,72). Mais nous savons bien que celui qui s’éloigne à la manière de Pierre peut toujours revenir ; et, comme à Pierre, le Christ lui dira simplement « M’aimes-tu ? » (Jn 21,15).
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Note

*Lorsque Moïse descendit du Sinaï, portant les tables de la Loi, après sa rencontre de quarante jours et quarante nuits avec Dieu, son visage rayonnait. Mais son éclat éblouissait les Israélites. Alors, il mit un voile sur son visage. (Ex 34,29-35).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 25 06 2023, 12e dimanche du temps ordinaire A

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