Je suis, chaque
dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.
Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en
-
donnant des explications historiques ;
-
donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "sacrifier", "corps", "agneau de Dieu", "racheté", "sang", " ; je consacre une page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
-
décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.
Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus importants ou enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)
Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.
PREMIERE LECTURE - Premier Livre de Samuel 3, 3b-10. 19
3 Le jeune Samuel couchait dans le temple du SEIGNEUR,où se trouvait l'arche de Dieu.
4 Le SEIGNEUR appela Samuel, qui répondit :
« Me voici ! »
5 Il courut vers le prêtre Eli, et il dit :
« Tu m'as appelé, me voici. »
Eli répondit :
« Je ne t'ai pas appelé. Retourne te coucher. »
L'enfant alla se coucher.
6 De nouveau, le SEIGNEUR appela Samuel.
Et Samuel se leva. Il alla auprès d'Eli, et il dit :
« Tu m'as appelé, me voici. »
Eli répondit :
« Je ne t'ai pas appelé, mon fils. Retourne te coucher. »
7 Samuel ne connaissait pas encore le SEIGNEUR,
et la parole du SEIGNEUR ne lui avait pas encore été révélée.
8 Une troisième fois, le SEIGNEUR appela Samuel.
Celui-ci se leva. Il alla auprès d'Eli, et il dit :
« Tu m'as appelé, me voici. »
Alors Eli comprit que c'était le SEIGNEUR qui appelait l'enfant,
9 et il lui dit :
« Retourne te coucher,
et si l'on t'appelle, tu diras :
Parle, SEIGNEUR, ton serviteur écoute. »
Samuel retourna se coucher.
10 Le SEIGNEUR vint se placer près de lui
et il appela comme les autres fois :
« Samuel ! Samuel ! »
et Samuel répondit :
« Parle, ton serviteur écoute. »
19 Samuel grandit.
Le SEIGNEUR était avec lui,
et aucune de ses paroles ne demeura sans effet.
Où est Silo ? Ce n'est plus aujourd'hui qu'un petit hameau à une trentaine de kilomètres au Nord de Jérusalem ; mais ce fut un lieu de rassemblement important pour les tribus d'Israël pendant toute une période. Qui dit lieu de rassemblement à cette époque-là dit surtout lieu de culte : et c'est dans ce sanctuaire de Silo qu'un petit garçon, Samuel, reçoit vers 1050 av.J.C. sa vocation de prophète. A partir de là, il deviendra l'une des figures les plus marquantes de l'histoire d'Israël, le dernier des Juges. A tel point que plus tard, Jérémie l'a comparé à Moïse lui-même (Jr 15, 1) et le psaume 98/99 en fait autant : « Moïse et Aaron et Samuel faisaient appel au SEIGNEUR et il leur répondait » (Ps 98/99, 6).
Comme Moïse également, Samuel a été visiblement un chef à la fois spirituel et politique : on le voit exerçant une fonction de prêtre, chargé d'offrir les sacrifices, mais aussi rendant la justice ; c'est lui encore qui sera chargé de couronner les deux premiers rois d'Israël, Saül et David ; à ce titre, il a vécu lui-même et fait vivre au peuple d'Israël un véritable tournant de son histoire ; il joue sûrement (aussi) un rôle important à la cour : on le voit transmettre aux rois les décisions de Dieu, et dans ces occasions, il est présenté comme un véritable prophète.
Les deux phrases qui encadrent le récit de la vocation de Samuel insistent justement sur ce point ; les voici : le début du chapitre 3 précise : « La parole du SEIGNEUR était rare en ces jours-là, la vision n'était pas chose courante. » (1 S 3, 1). Et à la fin du récit, l'auteur conclut : « Samuel grandit. Le SEIGNEUR était avec lui et ne laissa sans effet aucune de ses paroles. Tout Israël, de Dan à Béer-Shéva, sut que Samuel était accrédité comme prophète du SEIGNEUR. Le SEIGNEUR continua d'apparaître à Silo. Le SEIGNEUR, en effet, se révélait à Samuel, à Silo, par la parole du SEIGNEUR, et la parole du SEIGNEUR s'adressait à tout Israël. » (1 S 3, 21s).
Une telle insistance laisse penser que ce texte a été écrit à une époque où il était urgent de mettre le peuple en garde contre les faux prophètes, ceux qui se désignaient eux-mêmes au lieu de répondre à un appel de Dieu. Un vrai prophète, au contraire, c'est quelqu'un comme Samuel qui transmet au peuple toute la parole du Seigneur et seulement la parole du Seigneur. Peut-être l'auteur veut-il également raffermir la foi du peuple à une période difficile : en rappelant que même quand le Seigneur est silencieux, il ne nous oublie pas et son appel résonne... manière de dire : « La parole du SEIGNEUR était rare en ces jours-là, la vision n'était pas chose courante », eh bien justement c'est à ce moment de silence apparent que Dieu a appelé l'un de vos plus grands prophètes.
Enfin, bien sûr, ce récit nous propose un exemple pour le temps présent ; le récit de la vocation de Samuel est un modèle de réponse à l'appel de Dieu, un modèle d'acceptation d'une vocation prophétique. Voici donc quelques remarques sur la vocation de Samuel et à travers elle sur toute vocation prophétique ; on peut noter trois points :
Sur l'appel, d'abord : Samuel n'est encore qu'un enfant ; pas besoin d'être âgé, fort, puissant, compétent ! On retrouve une fois de plus le paradoxe habituel : c'est dans la faiblesse humaine que Dieu se manifeste. Alors que Jérémie disait : « Ah, SEIGNEUR Dieu, je ne saurais parler, je suis trop jeune ! » Dieu lui a répondu : « Ne dis pas je suis trop jeune !... N'aie peur de personne, car je suis avec toi pour te libérer » (Jr 1, 7). A propos de l'appel encore, ce n'est pas Samuel qui a compris le premier qu'il était appelé par Dieu ; c'est le prêtre Eli. Il a su au bon moment aider Samuel à discerner la voix de Dieu. Là aussi sans aucun doute, l'auteur de ce texte propose un exemple à suivre : Eli s'efface ; il n'interfère pas dans ce qu'il reconnaît comme une initiative de Dieu ; il éclaire l'enfant et lui permet de répondre à l'appel.
Sur la réponse enfin : elle est bien simple ! « Me voici » répété quatre fois et enfin « Parle, SEIGNEUR, ton serviteur écoute ». Elle est le reflet de la totale disponibilité, la seule chose que Dieu recherche pour poursuivre son projet d'alliance avec l'humanité. La dernière phrase de ce texte est encore une leçon pour chacun d'entre nous. « Samuel grandit, le SEIGNEUR était avec lui, et aucune de ses paroles ne demeura sans effet. » Dans le cadre de notre vocation propre, nous sommes assurés à chaque instant de la présence et de la force de Dieu.
Enfin, il est vrai, et c'est presque une vérité de La Palice, que Samuel a pu répondre à l'appel parce qu'il l'a entendu ! Et il l'a entendu parce qu'il était dans le sanctuaire : Anne, sa mère, l'y avait conduit et Eli prenait soin de lui. Peut-être faut-il se donner et donner à ceux dont nous avons la charge des occasions de franchir les portes des sanctuaires pour y entendre l'appel de Dieu ?
PSAUME 39 (40), 2.4 7-11
2 D'un grand espoir, j'espérais le SEIGNEUR,Il s'est penché vers moi
4 Dans ma bouche il a mis un chant nouveau
une louange à notre Dieu.
7 Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice
tu as ouvert mes oreilles
tu ne demandais ni holocauste ni victime
8 alors j'ai dit : « Voici, je viens. »
Dans le livre est écrit pour moi
9 ce que tu veux que je fasse.
Mon Dieu, voilà ce que j'aime :
Ta Loi me tient aux entrailles.
10 Vois, je ne retiens pas mes lèvres ,
SEIGNEUR, tu le sais.
11 J'ai dit ton amour et ta vérité
A la grande assemblée.
Il a fallu toute une pédagogie des prophètes pour faire évoluer la pratique sacrificielle. Toute la Bible est l'histoire d'un long apprentissage et, avec ce psaume 39/40, nous sommes à la phase finale de cette lente transformation des relations entre Israël et son Dieu.
Je reprends rapidement cette histoire des sacrifices en Israël : elle se développe en même temps que progresse la connaissance de Dieu. C'est logique : « sacrifier », (« sacrum facere » en latin) signifie « faire du sacré », entrer en contact ou mieux en communion avec Dieu. Tout dépend évidemment de l'idée qu'on se fait de Dieu. Donc au fur et à mesure qu'on découvre le vrai visage de Dieu, la pratique sacrificielle va changer.
Je commence par le début : Première chose à retenir : ce n'est pas Israël qui a inventé la démarche du Sacrifice ou de l'offrande : (il y en a chez les autres peuples du Moyen Orient bien avant que le peuple hébreu ne mérite le nom de peuple).
Deuxième constatation lorsqu'on s'intéresse à la pratique sacrificielle d'Israël : il y a toujours eu des offrandes et des sacrifices en Israël tout au long de l'histoire biblique. Il y a une très grande variété de sacrifices mais tous sont un moyen de communiquer avec Dieu.
Troisième point : les sacrifices pratiqués par le peuple élu ressemblent à ceux de leurs voisins... oui, mais à une exception près et une exception qui est colossale : la spécificité des sacrifices en Israël, c'est que, dès le début de l'histoire biblique, les sacrifices humains sont strictement interdits. Il y en a eu ; c'est vrai. Et même si il y en a eu peu, on ne peut pas nier qu'il y a eu des sacrifices humains en Israël. Cela ne prouve pas que cela était permis et approuvé ! Au contraire, c'est une constante dans la Bible : les sacrifices humains sont de tout temps considérés comme une horreur ; Jérémie dit de la part de Dieu : « Cela, je n'en ai jamais eu idée! » et un peu plus loin : « Cela je ne l'ai jamais demandé et je n'ai jamais eu l'idée de faire commettre une telle horreur... » (Jr 7, 31 ; 19, 6 ; 32, 35). Et le fameux récit du sacrifice d'Abraham, ce que les Juifs appellent « la ligature d'Isaac » est lu justement comme la preuve que, depuis le début de l'Alliance entre Dieu et ce peuple qu'il s'est choisi, les sacrifices humains sont strictement interdits. Justement, Abraham va découvrir que « sacrifier » (« faire sacré ») ne veut pas dire « tuer » ! Il a offert son fils, il ne l'a pas tué.
Si on y réfléchit, c'est tout ce qu'il y a de plus logique ! Dieu est le Dieu de la vie : impensable que pour nous rapprocher de Lui, il faille donner la mort ! Cette interdiction des sacrifices humains sera la première insistance de la religion de l'Alliance. On continuera à pratiquer seulement des sacrifices d'animaux. Puis peu à peu, on va assister au long des siècles à une véritable transformation, on pourrait dire une conversion du sacrifice. Cette conversion va porter sur deux points :
Sur le sens des sacrifices d'abord, sur la matière des sacrifices ensuite :
Premièrement, donc, la conversion va porter sur le sens des sacrifices : dans la Bible, au fur et à mesure que l'on découvre Dieu, les sacrifices vont évoluer. En fait, on pourrait dire : « Dis-moi tes sacrifices, je te dirai quel est ton Dieu ». Notre Dieu est-il un Dieu qu'il faut apprivoiser ? Dont il faut obtenir les bonnes grâces ? Auprès duquel il faut acquérir des mérites ? Un Dieu courroucé qu'il faut apaiser ? Un Dieu qui exige des morts ? Alors nos sacrifices seront faits dans cet esprit là, ce seront des rites magiques pour acheter Dieu en quelque sorte. Ou bien notre Dieu est-il un Dieu qui nous aime le premier... un Dieu dont le dessein n'est que bienveillant... dont la grâce est acquise d'avance, parce qu'il n'est que Grâce... le Dieu de l'Amour et de la Vie. Et alors nos sacrifices seront tout autres. Ils seront des gestes d'amour et de reconnaissance. Les rites ne seront plus des gestes magiques mais des signes de l'Alliance conclue avec Dieu.
Toute la Bible est l'histoire de ce lent apprentissage pour passer de la première image de Dieu à la seconde. C'est nous qui avons besoin d'être apprivoisés, qui avons besoin de découvrir que tout est « cadeau », qui avons besoin d'apprendre à dire simplement « MERCI » (Ce que la Bible appellera plus tard le « sacrifice des lèvres »). Toute la pédagogie biblique vise à nous faire quitter la logique du « donnant-donnant », du calcul, des mérites, pour entrer dans la logique de la grâce, du don gratuit. Et notre apprentissage n'est jamais fini.
Deuxièmement, la conversion va aussi porter sur la matière des sacrifices : les prophètes ont joué un grand rôle dans ce lent apprentissage du peuple élu. Ils lui ont fait découvrir peu à peu le véritable sacrifice que Dieu attend : accomplir des sacrifices au sens de « sacrum-facere » : « faire sacré », c'est tout à fait bien à condition de ne pas se tromper sur ce que Dieu attend de nous ! Tout se passe comme si les prophètes nous disaient : « tu veux entrer en relation avec Dieu...? Fort bien ! ... à condition de ne pas te tromper de Dieu ! »
C'est peut-être une phrase du prophète Osée (au huitième siècle) qui résume le plus parfaitement cette prédication des prophètes : « C'est l'amour que je veux et non les sacrifices » (Os 6, 6). On découvre peu à peu que le véritable « sacrifice », « faire sacré » consiste non plus à tuer mais à faire vivre. Dieu est le Dieu des vivants : donner la mort ne peut pas être la meilleure façon de nous rapprocher de Lui ! Faire vivre nos frères, voilà la seule manière de nous rapprocher de Lui.
Et l'ultime étape de cette pédagogie des prophètes nous présentera l'idéal du sacrifice : c'est le service de nos frères. Nous trouvons cela dans les quatre Chants du Serviteur qui sont inclus dans le deuxième livre d'Isaïe. L'idéal du Serviteur qui est l'idéal du sacrifice, c'est « une vie donnée pour faire vivre ».
Le psaume 39/40 résume donc admirablement la découverte biblique sur le Sacrifice : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, Tu as ouvert mes oreilles, tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j'ai dit : « Voici, je viens. » sous-entendu pour me mettre à ton service.
********************
Complément
« Tu as ouvert mes oreilles » (verset 7) : depuis l'aube de l'humanité, Dieu « ouvre l'oreille » de l'homme pour entamer avec lui le dialogue de l'amour ; le psaume 39/40 reflète le long apprentissage du peuple élu pour entrer dans ce dialogue : dans l'Alliance du Sinaï, les sacrifices d'animaux symbolisaient la volonté du peuple d'appartenir à Dieu ; dans l'Alliance Nouvelle, l'appartenance est totale : le dialogue est réalisé ; « Tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j'ai dit voici, je viens ». Offrandes et sacrifices sont « spirituels » comme dira Saint Paul ; alors, le chant nouveau jaillit du coeur de l'homme : « J'ai dit ton amour et ta vérité à la grande assemblée ».
DEUXIEME LECTURE : Première Lettre aux Corinthiens 6, 13... 20
Frères,13 Notre corps n'est pas fait pour l'impureté,
il est pour le Seigneur Jésus,
et le Seigneur est pour le corps.
14 Et Dieu, qui a ressuscité le Seigneur,
nous ressuscitera aussi, par sa puissance.
15 Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ?
17 Celui qui s'unit au Seigneur
n'est plus qu'un seul esprit avec lui.
18 Fuyez l'impureté.
Tous les péchés que l'homme peut commettre
sont extérieurs à son corps ;
mais l'impureté
est un péché contre le corps lui-même.
19 Ne le savez-vous pas ?
Votre corps est le temple de l'Esprit Saint,
qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ;
vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes,
20 car le Seigneur vous a achetés très cher.
Rendez gloire à Dieu dans votre corps.
Pour se justifier, certains prétendaient que la sexualité est un besoin naturel au même titre que la nourriture et que nos choix n'engagent à rien : il faut manger pour vivre, et nous sommes libres de manger comme nous voulons. De la même manière, notre vie sexuelle ne regarde que nous ; chacun de nous peut bien se conduire dans ce domaine comme il veut, tout est permis.
Paul donne donc ici une leçon de morale ; ce qui est très intéressant, c'est de voir les arguments qu'il emploie : il ne se place pas sur le terrain du permis et du défendu : plus profondément, il nous dit : soyez cohérents avec votre Baptême ; il y a une logique chrétienne. Il y a des comportements indignes d'un Chrétien. Probablement employait-il souvent l'expression « tout est permis », mais certains Chrétiens de Corinthe la répétaient à tort et à travers.
« Tout est permis », disait Paul, sous-entendu : puisque l'Esprit de Dieu est en vous depuis votre Baptême, vous n'avez même plus besoin qu'on vous impose une loi de l'extérieur ; vous pouvez déterminer librement votre conduite : si elle est inspirée par l'Esprit de Dieu, elle est forcément conforme à la Loi de Dieu. Mais visiblement, certains Corinthiens employaient l'expression « Tout est permis » pour justifier leur vie de débauche. Alors Paul a commencé son discours par une phrase qu'il leur laisse un peu comme une règle de vie ou comme un slogan, si vous voulez : « Tout m'est permis, mais tout ne me convient pas ». C'est le verset qui précède tout juste notre passage d'aujourd'hui. « Tout m'est permis, mais tout ne me convient pas » : bien sûr, tout le monde sait bien que la véritable liberté ne consiste pas à faire n'importe quoi.
Puis Paul donne ses arguments :
Un : d'abord, on ne peut pas comparer l'alimentation et la vie sexuelle : la nourriture est une affaire de survie biologique ; tandis que la vie sexuelle engage notre être tout entier ; quand Paul emploie le mot « corps », il n'oppose pas le corps et l'âme, comme nous le faisons parfois ; pour lui, le corps c'est notre être tout entier dans sa vie affective, sociale, relationnelle ; car c'est bien par notre corps que nous entrons en relation avec les autres. La nourriture disparaîtra, la vie biologique cessera, mais notre vie affective, sociale, relationnelle a une dimension d'éternité ; la preuve, c'est que nous ressusciterons : « Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera aussi, par sa puissance ».
Vous voyez qu'il n'y a pas chez Paul une dépréciation de la sexualité ! Puisqu'au contraire, il dit qu'elle nous engage tout entiers et pour toujours, jusque dans l'éternité !
Deuxième argument : la sexualité est une véritable union intime de votre être tout entier avec une autre personne, or, depuis votre Baptême, vous êtes intimement liés à Jésus-Christ. Vous ne vous appartenez plus ! Le nom « Chrétiens » le dit bien d'ailleurs : Chrétien, cela veut dire « du Christ » ! Pour exprimer cette vérité de manière forte, Paul va jusqu'à dire : « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? » (Les formules interrogatives, et en particulier celle-ci « Ne savez-vous pas ? » sont des manières pour Paul d'appuyer des vérités qu'il juge essentielles.) Un peu plus loin il reprend la même idée sous une autre forme : « Vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes ».
Peut-être Paul a-t-il découvert cette vérité sur le chemin de Damas ? La phrase de Jésus « Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? » lui a révélé le lien très intime qui existe entre chaque Chrétien et le Christ lui-même.
Autre expression très forte : « Ne le savez-vous pas ? Votre corps est le temple de l'Esprit Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu. » Pour comprendre la force de cette affirmation « votre corps est le temple de l'Esprit Saint », il suffit de se rappeler combien, dans le monde antique, on avait le plus profond respect pour les temples, considérés comme des lieux sacrés ; pour un Juif comme Paul, le Temple de Jérusalem était le lieu privilégié de la Présence de Dieu ; et pour le dire, on disait que la Gloire de Dieu (entendez le rayonnement de sa Présence) résidait dans le Temple. Alors, on comprend la dernière phrase : « Rendez gloire à Dieu dans votre corps » ; cela veut dire, et c'est inouï, fantastique, que notre personne, que notre vie concrète est un reflet de la présence de Dieu.
Paul présente donc ici aux Corinthiens une magnifique théologie du corps humain : membre du corps du Christ, temple de l'Esprit Saint, rayonnement de la présence de Dieu, destiné à la résurrection ; nous sommes tout cela ! (En tout cas, c'est notre vocation).
Reste une phrase difficile : « Le Seigneur vous a achetés très cher ». Bien sûr, il ne s'agit pas d'un prix d'argent ! Et on ne voit pas d'ailleurs à qui Dieu devrait payer quelque chose ! Paul fait allusion ici à toute l'oeuvre de Dieu pour sauver l'humanité : depuis l'aube de l'humanité, il a déployé toute sa patience et son amour pour accompagner l'humanité dans sa marche vers la liberté et la solidarité. Et le dernier acte de cette oeuvre de salut, c'est l'envoi du Fils Unique. C'est dire à quel point nous sommes précieux aux yeux de Dieu !
C'est pour cette raison que Saint Léon au cinquième siècle osait dire : « Chrétien, rappelle-toi à quel chef tu appartiens et de quel corps tu es membre... Chrétien, prends conscience de ta dignité... »
******
Complément
« Le Seigneur vous a achetés très cher » : nous savons d'expérience parfois combien nous a coûté d'efforts, de patience, d'insomnies et de larmes la guérison d'un être aimé... ou combien coûte à certains la victoire sur le tabac, l'alcool, ou tout autre lien qui retenait prisonnier ; on dira aussi que quelqu'un a payé de sa vie tel ou tel acte de courage... Quand Saint Paul dit « Le Seigneur vous a achetés très cher », c'est de cet ordre-là : ce n'est pas du commerce ; mais Dieu a tout mis en oeuvre pour restaurer notre liberté.
EVANGILE - Jean 1, 35 - 42
35 Jean Baptiste se trouvait avec deux de ses disciples.36 Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit :
« Voici l'Agneau de Dieu. »
37 Les deux disciples entendirent cette parole,
et ils suivirent Jésus.
38 Celui-ci se retourna, vit qu'ils le suivaient,
et leur dit :
« Que cherchez-vous ? »
Ils lui répondirent :
« Rabbi (c'est-à-dire : Maître), où demeures-tu ? »
39 Il leur dit :
« Venez, et vous verrez. »
Ils l'accompagnèrent,
ils virent où il demeurait,
et ils restèrent auprès de lui ce jour-là.
C'était vers quatre heures du soir.
40 André, le frère de Simon-Pierre, était l'un des deux disciples
qui avaient entendu Jean Baptiste et qui avaient suivi Jésus.
41 Il trouve d'abord son frère Simon et lui dit :
« Nous avons trouvé le Messie » (autrement dit : « le Christ »).
42 André amena son frère à Jésus.
Jésus posa son regard sur lui et dit :
« Tu es Simon, fils de Jean ; tu t'appelleras Képha »,
(ce qui veut dire : « pierre »).
Jean-Baptiste prêche aux abords du Jourdain, et ce jour-là il est accompagné de deux de ses disciples, André, et un autre, dont nous ne saurons pas le nom :
certains pensent qu'il s'agit peut-être de l'apôtre Jean lui-même ; voyant Jésus, Jean-Baptiste dit à ses
disciples : « Voici l'Agneau de Dieu » et
il n'en faut pas plus pour que les deux disciples quittent leur maître, Jean-Baptiste, pour se mettre à suivre
Jésus.
Saint Jean raconte : « Les deux disciples
entendirent cette parole, et ils suivirent Jésus ». On peut en déduire que l'expression « Agneau de Dieu » était habituelle.
Je m'arrête donc sur ce titre « d'agneau de Dieu » appliqué à Jésus : pour des hommes qui connaissaient bien l'Ancien Testament, ce qui est le cas des disciples de Jean-Baptiste, l'expression « agneau de Dieu » pouvait évoquer quatre images très différentes.
Premièrement, on pouvait penser à l'agneau pascal : le rite de la Pâque, chaque année, rappelait au peuple que Dieu l'avait libéré ; la nuit de la sortie d'Egypte, Moïse avait fait pratiquer par le peuple le rite traditionnel de l'agneau égorgé, mais il avait insisté : «
Désormais, chaque année, ce rite vous
rappellera que Dieu est passé parmi vous pour vous libérer. Le sang de l'agneau signe votre libération. »
Deuxièmement, le mot « agneau » faisait penser au Messie dont avait parlé le prophète Isaïe : il l'appelait le Serviteur de Dieu et il le
comparait à un agneau : « Brutalisé, il s'humilie ; il n'ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l'abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent : elle est muette ; lui n'ouvre pas
la bouche. » (Is 53, 7).
D'après Isaïe, le Serviteur de Dieu, le Messie subissait la persécution et la mort (c'est pour cela que le
prophète parlait d'abattoir), mais
ensuite il était reconnu comme le sauveur de toute l'humanité :
Isaïe disait : « Voici que mon serviteur triomphera, il sera haut placé, élevé, exalté à l'extrême. » (Is 52, 13)
Troisièmement, l'évocation d'un agneau, cela faisait penser à Isaac, le fils tendrement aimé d'Abraham. Or Abraham avait cru un moment que Dieu exigeait la mort d'Isaac en sacrifice. Et il était
prêt à accomplir ce geste que nous trouvons horrible, parce qu'à son époque, d'autres religions le demandaient. Et, quand Isaac avait posé à son père la question « mais où est donc l'agneau pour
l'holocauste ? », Abraham avait répondu : « C'est Dieu qui pourvoiera à l'agneau pour l'holocauste, mon fils ». Et, Abraham ne croyait pas si bien dire : car au moment où il allait offrir son
fils, Dieu avait arrêté son geste, comme chacun sait, en lui disant « ne porte pas la main sur l'enfant ». Et il avait lui-même désigné à Abraham un animal pour le sacrifice. Et depuis ce
jour-là, en Israël, on a toujours su que Dieu ne veut à aucun prix voir couler le sang des hommes.
Enfin, quatrièmement, en entendant Jean-Baptiste parler d'un agneau, les disciples ont peut-être pensé à Moïse ; car les commentaires juifs de
l'Exode comparaient Moïse à un agneau : ils imaginaient une balance : sur l'un des deux plateaux, il y avait toutes les forces de l'Egypte rassemblées : Pharaon, ses chars, ses armées, ses
chevaux, ses cavaliers. Sur l'autre plateau, Moïse représenté sous la forme d'un petit agneau. Eh bien, face à la puissance des Pharaons, c'étaient la faiblesse et l'innocence qui l'avaient
emporté.
Nous ne savons évidemment pas ce que Jean-Baptiste avait en vue lorsqu'il a comparé Jésus à un agneau ; mais, lorsque, bien longtemps après, l'évangéliste Jean rapporte la scène, il nous invite à
rassembler toutes ces images différentes ; à ces yeux, c'est l'ensemble de ces quatre images qui dessine le portrait du Messie. Tout d'abord, il est le véritable « agneau pascal », car
il libère l'humanité du pire esclavage, celui du péché. Il ôte le péché du monde, ce qui pourrait se traduire « il répand l'amour
sur le monde », il réconcilie l'humanité avec Dieu.
Deuxième facette de sa personne, il mérite bien le titre de Serviteur de Dieu puisqu'il accomplit la mission fixée au Messie, celle d'apporter le salut
à l'humanité ; et comme le serviteur souffrant décrit par Isaïe, il a connu l'horreur et la persécution (c'est la croix) puis la gloire (et c'est la Résurrection).
Troisièmement, Saint Jean nous invite à voir en Jésus un nouvel Isaac. Lui aussi est un fils tendrement aimé totalement offert et disponible à la volonté du Père. Comme le dit la lettre aux
Hébreux (en reprenant le psaume 39/40 : « En entrant dans le monde, le Christ dit : « Tu ne voulais ni offrandes ni sacrifices... alors je t'ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire
ta volonté. »
Enfin, quatrièmement, vous vous souvenez que la petitesse de Moïse face aux forces de Pharaon était comparée à celle d'un agneau. Et, grâce à Dieu, le petit avait réussi à conquérir sa liberté et
celle de son peuple. L'image s'applique tout aussi bien à Jésus, le « doux et humble de coeur », comme il le disait lui-même.
Les événements de la vie, la mort et la Résurrection du Christ accompliront donc encore mieux que
Jean-Baptiste ne pouvait l'entrevoir ce mystère de l'agneau victime et pourtant triomphant ; Saint Pierre
justement dans sa première lettre, y reviendra : « Ce n'est point par des choses périssables, argent ou or, que vous avez été rachetés (c'est-à-dire libérés) de la vaine manière de vivre héritée de vos pères, mais par le sang précieux, comme d'un agneau sans défaut et
sans tache, celui du Christ... » (1 P 1, 18 - 19). Et ici, comme on le sait, « sang » veut dire « vie offerte ».
*****
Complément
On sait à quel point l'image de l'agneau était importante dans la méditation de Jean, l'auteur de l'Apocalypse.