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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 09:52

Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Proverbes 31, 10... 31

10 La femme vaillante, qui donc peut la trouver ?
Elle est infiniment plus précieuse que les perles.
11 Son mari peut avoir confiance en elle :
au lieu de lui coûter, elle l'enrichira.
12 Tous les jours de sa vie,
elle lui épargne le malheur
et lui donne le bonheur.
13 Elle a fait provision de laine et de lin,
et ses mains travaillent avec entrain.
19 Sa main saisit la quenouille,
ses doigts dirigent le fuseau.
20 Ses doigts s'ouvrent en faveur du pauvre,
elle tend la main aux malheureux.
30 Décevante est la grâce, et vaine la beauté ;
la femme qui craint le SEIGNEUR
est seule digne de louange.
31 Reconnaissez les fruits de son travail :
sur la place publique, on fera l'éloge de son activité.

Chose étonnante, ce que nous venons d'entendre, ce sont les derniers mots du livre des Proverbes : or c'est un éloge de la femme. Voilà qui prouve que les auteurs bibliques ne sont pas misogynes ! Et pourtant, nous n'avons eu qu'un extrait de ce long poème qui termine le livre ; si vous avez la curiosité de lire le texte en entier, c'est-à-dire l'intégralité des versets 10 à 31 du dernier chapitre des Proverbes, vous verrez que c'est en quelque sorte le portrait de la femme idéale ; l'expression « femme vaillante » du premier verset veut dire « femme de valeur » : celle qu'un homme doit épouser s'il veut être heureux. Or qu'a-t-elle d'extraordinaire ? Rien justement : elle est travailleuse, elle est fidèle et consacrée à son mari et à sa maison, sans oublier de tendre la main aux pauvres et aux malheureux ; c'est tout, mais voilà des valeurs sûres, nous dit l'auteur, le secret du bonheur. Il n'emploie pas l'expression « secret du bonheur », il appelle cela sagesse, mais c'est la même chose.
Et vous savez qu'en Israël, on est bien convaincu d'une chose : le secret du bonheur, Dieu seul peut nous l'enseigner, mais c'est fait de choses humbles et modestes de notre vie de tous les jours. Vous connaissez la célèbre phrase qui est dans ce même livre des Proverbes : « La crainte du SEIGNEUR est le commencement de la sagesse. » (Pr 9, 10). (La crainte au sens d'amour et de fidélité, tout simplement).

Il est intéressant de voir que le livre des Proverbes commence par neuf chapitres qui sont une invitation à cultiver cette vertu de la sagesse qui est l'art de diriger sa vie ; et, à l'autre extrémité de ce livre, se trouve ce poème à la gloire de la femme idéale : celle qui dirige bien sa vie, précisément. La leçon, c'est qu'une telle femme donne à son entourage la seule chose dont Dieu rêve pour l'humanité, à savoir le bonheur.

Alors, ce n'est pas un hasard, bien sûr, si ce poème se présente de manière particulière : car si vous vous reportez à ce passage dans votre Bible, vous verrez que ce poème est alphabétique ; nous avons déjà rencontré des psaumes alphabétiques ; c'est un procédé habituel : chaque verset commence par une lettre de l'alphabet dans l'ordre ; (en littérature, on appelle cela un acrostiche) ; mais il ne s'agit pas de technique, pas plus que dans les psaumes, il s'agit d'une affirmation de la foi ; la femme idéale, c'est celle qui s'est laissé imprégner par la sagesse de Dieu, elle est un reflet de la sagesse de Dieu ; et donc elle a tout compris, de A à Z.
Le livre des Proverbes n'est pas le seul à tenir ce genre de discours très positif sur la gent féminine ; on pourrait citer des quantités d'autres phrases de la Bible qui font l'éloge des femmes, du moins de certaines. Il ne faut pas oublier que la Bible a, dès le début, une conception de la femme tout à fait originale ; à Babylone, par exemple, on pensait que la femme a été créée après l'homme (sous-entendu l'homme a pu fort bien se passer de femme) ; au contraire, le poème de la création (le premier chapitre de la Genèse) qui a été rédigé par les prêtres pendant l'Exil à Babylone, justement, affirme clairement : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa » (Gn 1, 27). (C'est-à-dire dès le début).

Et le deuxième récit de la création dans la Genèse, et qui est plus ancien, raconte de manière très imagée la création de la femme aussitôt après l'homme ; il la décrit soigneusement comme une égale, puisqu'elle est de la même nature que lui « os de ses os, chair de sa chair » (Gn 2, 18-24). Ils sont tellement égaux d'ailleurs, qu'ils portent le même nom : homme et femme, deux mots qui ne sont pas de la même racine en français, mais qui, en hébreu, se disent ish au masculin, ishshah au féminin ; ce qui dit bien à la fois la similitude des deux et la particularité de chacun.
Et le texte va plus loin, puisqu'il précise bien que la femme est un cadeau fait à l'homme pour son bonheur : « Le SEIGNEUR Dieu dit : Il n'est pas bon pour l'homme d'être seul (entendez il n'est pas heureux pour l'homme d'être seul), je veux lui faire une aide qui lui soit accordée » ; et le texte hébreu précise « qui soit pour lui comme son vis-à-vis » (Gn 2, 18) ; un vis-à-vis, c'est-à-dire un égal avec lequel on puisse dialoguer, dans un véritable face-à-face avec tout ce que cela comporte de révélation mutuelle, et de découverte de chacun dans le regard de l'autre.

La suite du texte biblique raconte la déchirure qui s'est introduite peu à peu dans des relations qui auraient dû être faites de confiance et de dialogue : le soupçon s'est installé entre l'humanité et son créateur ; et des relations faussées se sont peu à peu elles aussi instaurées entre l'homme et la femme : désormais tout repose non sur le dialogue, mais sur le pouvoir : qui se fait séduction d'un côté, domination de l'autre ; « Ton désir te poussera vers l'homme, dit Dieu, et lui te dominera » (Gn 3,16). Et quand le théologien biblique écrit ce texte vers l'an 1000 av.J.C., il y a des milliers d'années que l'expérience quotidienne vérifie cette analyse.
Et voilà que notre livre des Proverbes se prend de nouveau à rêver du couple idéal : ici l'homme peut se reposer entièrement sur sa compagne « son mari a confiance en elle... Elle lui épargne le malheur et lui donne le bonheur »... (v. 11... 12). L'auteur a même eu l'idée, l'audace devrais-je dire, de penser que le couple humain était lié par une véritable Alliance semblable à celle qui unit Dieu à Israël. Dans un autre passage du livre des Proverbes, on peut lire que la femme qui rompt l'union conjugale rompt du même coup l'Alliance avec Dieu (2, 17).
Je reviens à notre texte d'aujourd'hui : dans la conclusion de son livre, en somme, l'auteur veut mettre en valeur deux choses qui sont un peu les deux béatitudes de la femme : première béatitude « Heureuse es-tu, toi qui crains le SEIGNEUR » (traduisez « toi qui aimes le SEIGNEUR ») ; deuxième béatitude « Heureuse es-tu : avec tout ce travail humble, apparemment inutile, tu crées du bonheur ».

***

Compléments
- Encore une remarque sur ce texte, mais cette fois, de vocabulaire : dans notre traduction liturgique, l'avant-dernier verset dit : « Décevante est la grâce, et vaine la beauté ; la femme qui craint le SEIGNEUR est seule digne de louange. » Nous retrouvons ce mot de « crainte » du SEIGNEUR que nous avons appris à lire de manière positive comme un amour filial. Mais ce que notre traduction ne rend pas très bien, c'est la première phrase : « Décevante est la grâce, et vaine la beauté » : le mot « vain » est exactement le même qui commence le livre de Qohélet : « Vanité des vanités, tout est vanité » ; en hébreu, cela se dit « buée » (« buée de buées... »). On ne sait pas trop dater ni le livre des Proverbes ni celui de Qohélet ; mais généralement, on émet l'hypothèse que ce passage précis des Proverbes serait du début du cinquième siècle av.J.C., donc dans les années 400 et Qohélet cent ou deux cents ans plus tard (quatrième ou troisième siècle). Il n'y a peut-être pas eu filiation entre les deux, mais à tout le moins parenté.

- Ce qui est étonnant, finalement, c'est que cette femme, présentée par le livre des Proverbes, ne fait rien d'extraordinaire ! Ses activités, telles qu'elles nous sont décrites ici, ressemblent à l'idée que nous nous faisons de la femme au foyer ; et on sait bien que ce n'est pas ce qui attire le plus en ce moment ; mais replaçons-nous dans le contexte historique : l'auteur ne prend pas parti pour ou contre la femme au foyer ; et d'ailleurs, qui dit « femme au foyer » ne dit pas femme cloîtrée, privée de toute vie sociale : dans d'autres versets de ce poème, il montre le rôle social qu'elle tient dans sa ville en participant entre autres à des activités commerciales et à des oeuvres de charité. Grâce à sa liberté de mouvement et à sa disponibilité, elle est un maillon très important du tissu social.
- Voici quelques autres phrases de la Bible sur la femme : toujours dans le livre des Proverbes, par exemple : « Une femme de valeur est une couronne pour son mari. » (Pr 12) ; ou encore dans le livre de Ben Sirac : « Heureux celui qui vit avec une femme intelligente. » (Si 25, 8) ... « Femme bonne fait un mari heureux et double le nombre de ses jours. Femme vaillante fait la joie de son mari qui passera dans la paix toutes ses années. » (Si 26,1). « Comme une lampe qui brille sur le chandelier sacré, tel apparaît un beau visage sur un corps bien planté. » (Si 26, 17). Et enfin, toujours dans le livre de Ben Sirac : « Celui qui acquiert une femme a le commencement de la fortune, une aide semblable à lui et une colonne d'appui. Là où il n'y a pas de clôture, le domaine est au pillage, là où il n'y a pas de femme, l'homme erre en se lamentant » (Si 36, 29-30 ). Et que dire du Cantique des Cantiques !

 

PSAUME 127 (128), Psaume des Montées

1 Heureux qui craint le SEIGNEUR
et marche selon ses voies !

2 Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !

3 Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plants d'olivier.

4 Voilà comment sera béni
l'homme qui craint le SEIGNEUR.
5 De Sion que le SEIGNEUR te bénisse !

Tu verras le bonheur de Jérusalem
tous les jours de ta vie.
6 Et tu verras les fils de tes fils
Paix sur Israël !

Ce psaume est l'un des plus courts du psautier. Mais son contenu n'en est pas moins important. Car, après tout, il parle de la seule chose qui compte, le bonheur. On ne dira jamais assez que Dieu nous a créés pour nous rendre heureux ; cette évidence parcourt toute la Bible, ce qui était une audace par rapport aux pays voisins.
Moïse déjà l'avait compris, puisque quand il a voulu décider son beau-frère à le suivre pour lui servir de guide dans le désert du Sinaï, il lui a promis « Viens avec nous. Nous te ferons profiter du bonheur que le SEIGNEUR a promis à Israël. » (Nb 10, 29). Le psaume 34/35 met la même assurance dans la bouche de David : « Le SEIGNEUR a voulu le bonheur de son serviteur. » (Ps 34/35, 27). Mais, si on y réfléchit, c'était déjà vrai pour Abraham : les promesses de Dieu à Abraham représentaient très exactement le bonheur le plus désirable à son époque : une descendance et la prospérité. D'ailleurs, le mot « bénédiction » est bien synonyme de bonheur. « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ; » (Gn 12, 3) : cela signifie d'abord que toutes les nations de la terre ne trouveront pas de plus grand souhait à formuler que d'évoquer ta réussite ; elles se diront l'une à l'autre « puisses-tu prospérer comme le grand Abraham » ; plus tard, on comprendra que « toutes les nations de la terre accéderont par toi à la prospérité. » Que peut-on rêver de mieux ? Or c'est Dieu qui lui promet tout cela : dès leur première rencontre, c'est révélateur.

Et, plus tard, quand on méditera sur les mystères de la Création, on reconnaîtra que Dieu n'a prévu que des choses bonnes : le livre de la Genèse raconte que, quand Dieu, le sixième jour, embrassa du regard l'ensemble de son oeuvre, « il vit tout ce qu'il avait fait. Voilà, c'était très bon. » (Gn 1, 31) ; et le mot hébreu, ici, suggère bien une idée de bonheur.

Au long de l'histoire d'Israël, ce désir de Dieu de voir ses enfants heureux inspire toutes ses paroles et ses initiatives : par exemple il n'y a pas de commandement qui ne soit dicté par ce seul souci. Le livre du Deutéronome qui résume magnifiquement toute la méditation d'Israël sur les fondements de la Loi résonne de recommandations qui n'ont pas d'autre but que de procurer bonheur et longue vie au peuple tout entier : « Garde les lois et les commandements que je te donne aujourd'hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi... » (Dt 4, 40) ; ou encore : « Si seulement leur coeur était décidé à ... observer tous les jours mes commandements, pour leur bonheur et celui de leurs fils à jamais ! » (Dt 5, 29). Et le fameux texte du « Shema Israël » (la profession de foi) est précédé par ce conseil : « Tu écouteras, Israël, et tu veilleras à mettre en pratique (les lois et les commandements que je te donne) : ainsi tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te l'a promis le SEIGNEUR, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait et de miel. » (Dt 6, 3).

Notre psaume répond en écho : « Heureux qui craint le SEIGNEUR et marche selon ses voies ! », craindre le SEIGNEUR, voulant exactement dire « marcher selon ses voies », c'est-à-dire obéir aux commandements qui n'ont été donnés que pour le bonheur de ceux qui les pratiquent. Vous savez bien que c'est pour cela que plusieurs psaumes sont écrits selon des procédés alphabétiques, manière d'affirmer haut et fort que, de A à Z, Dieu fait tout pour notre bonheur, en particulier par le don de la Loi. Et le texte de notre première lecture de ce dimanche, extrait du livre des Proverbes, est lui aussi alphabétique. (Pour les procédés alphabétiques, voir supra le commentaire de la première lecture).

Ce psaume 127/128 est très court ; il n'a donc pas assez de versets pour employer toutes les lettres de l'alphabet comme débuts de phrase, mais son vocabulaire est éloquent ! Les mots « heureux », « bonheur » « béni » se répètent ; quant aux images, elles évoquent ce que l'on peut rêver de mieux : l'assurance de la subsistance, la paix dans la ville, la paix dans la maison, autour d'une belle famille, et la promesse d'une descendance. « De Sion, que le SEIGNEUR te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie, et tu verras les fils de tes fils ».
La leçon qui se dégage de tout cela, c'est l'intérêt que Dieu prend à notre vie quotidienne : c'est bien là, dans les réalités très concrètes que se joue notre bonheur. L'Ancien Testament disait déjà très fort que Dieu n'est pas à chercher à l'intérieur des murs de nos églises, mais dans toute notre vie de chaque jour. Il reste que nous sommes libres de nous écarter des chemins du SEIGNEUR, traduisez de transgresser les commandements et du coup de faire notre malheur.

Ce n'est pas par hasard, peut-être, que notre psaume reprend le vocabulaire et les images du livre de la Genèse. Après la faute, Dieu dit à Adam : « Le sol sera maudit à cause de toi. C'est dans la peine que tu t'en nourriras tous les jours de ta vie. »... Et à la femme : « C'est péniblement que tu enfanteras des fils. Ton désir te poussera vers ton homme et lui te dominera. » Ici, le livre de la Genèse ne fait que constater la spirale du mal qui s'instaure quand on a pris le mauvais chemin ; le jardin de délices s'est transformé en terre de discorde et de malheur. Ce texte du livre de la Genèse sonne comme une mise en garde : au contraire, le psaume qui parle de l'homme fidèle, celui qui craint le SEIGNEUR, lui promet réussite et bonheur familial : « Tu te nourriras du travail de tes mains » et « Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d'olivier. Voilà comment sera béni l'homme qui craint le SEIGNEUR ».
Dans notre première lecture de ce dimanche, le livre des Proverbes dit bien la même chose quand il fait l'éloge de la « femme qui craint le SEIGNEUR », et affirme qu'elle seule est « digne de louange ». En définitive, au long des siècles, notre conception du bonheur peut changer, mais une seule chose compte : ne jamais oublier que le seul but de Dieu est de voir tous ses enfants heureux.

***
Pour la mise en oeuvre liturgique de ce psaume au Temple de Jérusalem, voir le commentaire pour la fête de la Sainte Famille - Année A - tome 1 de « L'INTELLIGENCE DES ECRITURES »

 

DEUXIEME LECTURE - 1 Thessaloniciens 5, 1-6

Frères,
au sujet de la venue du Seigneur,
il n'est pas nécessaire qu'on vous parle de délais ou de dates.
2 Vous savez très bien que le jour du Seigneur
viendra comme un voleur dans la nuit.
3 Quand les gens diront :
« Quelle paix ! quelle tranquillité ! »
c'est alors que, tout à coup, la catastrophe s'abattra sur eux,
comme les douleurs sur la femme enceinte :
ils ne pourront pas y échapper.
4 Mais vous, frères, comme vous n'êtes pas dans les ténèbres,
ce jour ne vous surprendra pas comme un voleur.
5 En effet, vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour ;
nous n'appartenons pas à la nuit et aux ténèbres.
6 Alors, ne restons pas endormis comme les autres,
mais soyons vigilants et restons sobres.


Ce qui était le grand sujet de préoccupation des Thessaloniciens, au moment où Paul leur écrit cette première lettre, c'était la venue du Seigneur ; je note au passage que Paul ne parle pas du « retour » du Seigneur, il parle de sa « venue ». Car il est invisible, oui, mais il n'est pas absent. Ainsi, on ne peut donc pas parler de « retour » comme s'il était absent.

Les premiers Chrétiens, donc, parlaient plus volontiers de la venue du Seigneur ou du « Jour du Seigneur ». Et ils vivaient dans cette attente, tout comme Paul lui-même vivait tendu de tout son être vers ce jour. Car le mot attente est ambigu peut-être pour nous ; il y a des attentes passives ; mais celle de Paul, celle des Thessaloniciens est une attente impatiente, j'aurais envie de dire fervente. On sent bien l'impatience des Chrétiens derrière la phrase de Paul : « Au sujet de la venue du Seigneur, il n'est pas nécessaire qu'on vous parle de délais ou de dates. »

Pour en parler, Paul emploie tout un vocabulaire et même un genre littéraire un peu surprenant pour nous, mais très familier à ses lecteurs du premier siècle ; c'est ce qu'on appelle le « genre apocalyptique » (c'est-à-dire de dévoilement de la face cachée des choses) ; quand on parle de « voleur dans la nuit », quand on évoque les « douleurs de la femme enceinte », de « catastrophe qui s'abat sur vous » tout cela sur fond d'opposition entre lumière et ténèbres, vous avez toute chance d'être en présence d'un texte apocalyptique. Jésus a employé des expressions tout à fait semblables parce que ce genre littéraire était florissant à son époque ; une époque où justement, l'attente du Messie et de la venue du Royaume de Dieu était très vive.

L'objectif de ce genre de discours est double : premièrement, conforter la foi des lecteurs pour que rien ne les décourage, quelle que soit la longueur de l'attente ; deuxièmement, les encourager à avoir de l'audace dans le témoignage de leur foi à la face du monde, quelle que soit la dureté du temps présent, et même en cas de persécution.
Mais pourquoi personne ne peut-il connaître à l'avance le moment de la venue du Seigneur ? Il y a au moins deux raisons :
Première raison, le temps appartient à Dieu : le prophète Daniel disait « Que le nom de Dieu soit béni, depuis toujours et à jamais ! Car la sagesse et la puissance lui appartiennent. C'est lui qui fait alterner les temps et les moments. » (Daniel 2, 21). Et Jésus lui-même reconnaissait ne pas le savoir : « Ce jour et cette heure, nul ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne, sinon le Père, et lui seul. » (Mt 24, 36). Soit dit en passant, Jésus nous donne là une formidable leçon d'humilité : il accepte de ne pas savoir... il fait confiance à son Père ; même à l'heure extrême, celle de Gethsémani, alors que le combat entre la lumière et les ténèbres, entre l'amour et la haine est à son paroxysme, il fait confiance. Nous n'avons plus qu'à en faire autant !

Deuxième raison, Saint Pierre dit que ce temps dépend aussi de nous : « Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu'il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion. » (2 Pi 3, 8-9). Et un peu plus bas, il ajoute « Vous qui attendez et qui hâtez la venue du jour de Dieu... »

Voilà de quoi nous renvoyer à nos responsabilités : mystérieusement, nous collaborons à la venue du Jour de Dieu ; cela peut paraître audacieux ! Mais c'est pourtant ce que nous disent Paul et Pierre. C'est d'ailleurs cela qui fait la grandeur de nos vies : elles sont la matière première du Royaume. Dieu ne le réalise pas sans nous. Pure coïncidence, peut-être, mais c'est justement après cette deuxième lecture que nous allons entendre la parabole des Talents qui nous parlera de la confiance que Dieu nous fait pour bâtir son Royaume !

Jésus l'avait bien dit à ses disciples qui lui posaient la question : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? » Il leur avait répondu : « Vous n'avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ; mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins... » (Ac 1, 6-7). Ce qui était une manière de leur dire leur responsabilité, mais également de bien situer leur action dans celle de l'Esprit. Comme dit la quatrième Prière Eucharistique, « L'Esprit poursuit son oeuvre dans le monde et achève toute sanctification ».
Nous n'avons donc pas à nous soucier des temps et des moments, comme dit Jésus, ou des délais et des dates, comme dit Paul, il nous suffit d'essayer concrètement de faire avancer le Royaume, sûrs que nous avons reçu l'Esprit pour cela.

Il semble bien que certains des Chrétiens de Thessalonique, justement, se préoccupaient des délais : car, dans sa deuxième lettre à cette communauté, Paul juge utile de préciser : « Au sujet de la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ et de notre rassemblement auprès de lui, n'allez pas trop vite perdre la tête ni vous effrayer à cause d'une révélation prophétique, d'un propos ou d'une lettre présentés comme venant de nous, et qui vous feraient croire que le jour du Seigneur est arrivé. » (2 Thes 2, 1). Au moment où des soi-disant prophètes parlent de fin du monde, il nous est bon de réentendre cette mise en garde de Paul.
Je reviens sur l'expression « fils de la lumière » : « Vous frères... vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour ... », nous dit Paul. Le jour du Seigneur, ce sera quand l'humanité tout entière sera fille de lumière.

EVANGILE - Matthieu 25, 14-30

Jésus parlait à ses disciples de sa venue ;
il disait cette parabole :
14 Un homme, qui partait en voyage,
appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
15 A l'un il donna une somme de cinq talents,
à un autre deux talents,
au troisième un seul,
à chacun selon ses capacités.
Puis il partit.
16 Aussitôt, celui qui avait reçu cinq talents
s'occupa de les faire valoir
et en gagna cinq autres.
17 De même, celui qui avait reçu deux talents
en gagna deux autres.
18 Mais celui qui n'en avait reçu qu'un
creusa la terre et enfouit l'argent de son maître.
19 Longtemps après, leur maître revient
et il leur demande des comptes
20 Celui qui avait reçu les cinq talents
s'avança en apportant cinq autres talents
et dit :
« SEIGNEUR,
tu m'as confié cinq talents ;
voilà, j'en ai gagné cinq autres.
21 - Très bien, serviteur bon et fidèle,
tu as été fidèle pour peu de choses,
je t'en confierai beaucoup ;
entre dans la joie de ton maître. »
22 Celui qui avait reçu deux talents s'avança ensuite
et dit :
« SEIGNEUR,
tu m'as confié deux talents ;
voilà, j'en ai gagné deux autres,
23 - Très bien, serviteur bon et fidèle,
tu as été fidèle pour peu de choses,
je t'en confierai beaucoup ;
entre dans la joie de ton maître. »
24 Celui qui avait reçu un seul talent s'avança ensuite
et dit :
« SEIGNEUR,
je savais que tu es un homme dur :
tu moissonnes là où tu n'as pas semé
tu ramasses là où tu n'as pas répandu le grain.
25 J'ai eu peur, et je suis allé enfouir ton talent dans la terre.
Le voici. Tu as ce qui t'appartient. »
26 Son maître lui répliqua :
« Serviteur mauvais et paresseux,
tu savais que je moissonne là où je n'ai pas semé,
que je ramasse le grain là où je ne l'ai pas répandu.
27 Alors, il fallait placer mon argent à la banque ;
et à mon retour, je l'aurais retrouvé avec les intérêts.
28 Enlevez-lui donc son talent
et donnez-le à celui qui en a dix.
29 Car celui qui a
recevra encore,
et il sera dans l'abondance.
Mais celui qui n'a rien
se fera enlever même ce qu'il a.
30 Quant à ce serviteur bon à rien,
jetez-le dehors dans les ténèbres ;
là où il y aura des pleurs et des grincements de dents ! »

Si on en croit les apparences, le troisième serviteur n'a plus que ses yeux pour pleurer et pour regretter d'avoir mal jugé son maître. Qu'est-ce qui lui est reproché au juste ? D'avoir eu peur, tout simplement. « J'ai eu peur et je suis allé enfouir ton talent dans la terre ».

Pourtant, il n'a rien fait de mal ! « Il n'a pas tué, il n'a pas volé », comme dit la chanson ; il rend à son maître exactement la somme confiée... mais justement voilà le mot : c'était une somme « confiée » ; le maître lui avait fait confiance, et lui, en retour, il a eu peur de ce maître ; tout se joue sur ce malentendu, la confiance d'un côté, la méfiance, de l'autre. Il est intéressant de noter combien de fois revient le mot « confier » : « Un homme, qui partait en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens »... et à son retour, au moment des comptes, les deux premiers serviteurs lui disent « tu m'as confié cinq talents, (deux talents)... J'en ai gagné autant.. » et le maître leur répond « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t'en confierai beaucoup ».

Les trois serviteurs ont été traités de la même façon par le maître, « chacun selon ses capacités », et le maître ne demande qu'à faire confiance encore plus. C'est certainement la première leçon de cette parabole ! Dieu nous fait confiance ; il nous associe à ses affaires, c'est-à-dire à son Royaume, chacun selon nos capacités ; cette expression « chacun selon ses capacités » est là pour nous rassurer. Il ne s'agit pas de nous culpabiliser de ce que nous n'avons pas su faire ; d'ailleurs, le maître n'entre pas dans le détail des comptes avec les deux premiers ; il constate qu'ils sont entrés dans son projet qui est la marche de ses affaires, et c'est de cela qu'il les félicite. C'est la seule chose qui nous est demandée, faire notre petit possible pour le Royaume et nous nous entendrons dire : « Rassure-toi, tu as fait ce que tu as pu ».

Cette confiance va loin : le maître attend que ses serviteurs prennent des initiatives, des risques même, pendant son absence. C'est bien ce qu'ont fait les deux premiers serviteurs : s'ils ont pu doubler la somme, c'est qu'ils ont osé risquer de perdre. Tandis que le troisième ne risquait pas de perdre quoi que ce soit ; c'est lui qui a été prudent, pas les autres ; et ce sont les autres qui sont félicités. Face à cette confiance du maître, il y a deux attitudes : la première consiste à reconnaître la confiance qui est faite et s'employer à la mériter. C'est l'attitude des deux premiers : le même schéma se répète deux fois ; le maître confie, le serviteur en rendant ses comptes dit « tu m'as confié, voilà ce que j'ai fait » ; le maître félicite et dit « je t'en confierai encore » : on pourrait appeler cela « la spirale de la confiance ».

Le troisième serviteur adopte l'attitude inverse : le maître confie, mais le serviteur ne voit pas que c'est de la confiance ; il ne l'interprète pas comme cela puisqu'il a peur de ce maître qu'il considère comme exigeant. Il croit avoir tout compris, il a jaugé son patron et décidé qu'il ne méritait pas d'être servi. Or la méfiance de ce troisième serviteur est d'autant plus injuste que le maître a bien pris soin de proportionner l'effort demandé à chacun « selon ses capacités ». Et il rêvait de pouvoir dire à chacun : « Entre dans la joie de ton maître ».

Reste une phrase très difficile dans ce texte : « Celui qui a recevra encore, et il sera dans l'abondance. Mais celui qui n'a rien se fera enlever même ce qu'il a ». On en trouve une autre presque équivalente dans le livre des Proverbes : « Donne au sage, il deviendra plus sage, instruis le juste, il augmentera son acquis. » (Pr 9, 9). Prenons une comparaison : quand on a choisi la bonne direction, chaque minute, chaque pas nous rapproche du but ; mais quand on tourne le dos au but du voyage, chaque minute qui passe, chaque pas nous éloigne encore du but.

Mais revenons aux deux premiers serviteurs puisque ce sont eux qui nous sont donnés en exemple : ils ont cru à la confiance qui leur était faite, et qui était énorme, puisque cinq talents, ou deux (ou même seulement un talent), ce sont des sommes absolument considérables et ils ont osé prendre des initiatives qui étaient risquées. Au moment où Jésus s'apprête à affronter la mort et à confier l'Eglise à ses disciples, la leçon est claire : même si son retour se fait attendre, les disciples de tous les temps auront à gérer le trésor de la Parole de Dieu : il faudra savoir prendre des initiatives pour qu'elle porte des fruits. Comme il le dit dans l'évangile de Jean : « Je vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous produisiez du fruit et que votre fruit demeure. » (Jn 15, 16). Et nous n'avons pas à avoir peur car « de crainte, il n'y en a pas dans l'amour. » (1 Jn 4, 18).

 

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1 novembre 2011 2 01 /11 /novembre /2011 20:35

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Sagesse 6, 12 - 16

12 La Sagesse est resplendissante, elle est inaltérable.
Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l'aiment,
elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent.
13 Elle devance leurs désirs
en se montrant à eux la première.
14 Celui qui la cherche dès l'aurore ne se fatiguera pas :
il la trouvera assise à sa porte.
15 Ne plus penser qu'à elle prouve un parfait jugement,
et celui qui veille en son honneur
sera bientôt délivré du souci.
16 Elle va et vient pour rechercher ceux qui sont dignes d'elle ;
au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ;
chaque fois qu'ils pensent à elle,
elle vient à leur rencontre.

Avec Aragon, les amoureux chantent « Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre ? » : les croyants le chantent encore plus ; la foi est bien l'histoire d'une rencontre. Dans ce texte du livre de la Sagesse, comme dans toute la Bible, il s'agit de la foi d'Israël, de l'Alliance entre Dieu et son peuple. Car l'auteur du livre de la Sagesse est un croyant ! Je dis « l'auteur » à défaut de pouvoir être plus précise ! On ne sait pas qui il est : une seule chose est sûre : ce livre intitulé « Livre de la sagesse de Salomon » n'est très certainement pas du grand roi Salomon, le fils de David, qui a régné vers 950 av.J.C. Ce Livre a été écrit en grec (et non en hébreu) par un Juif anonyme, à Alexandrie en Egypte, environ cinquante ans seulement, peut-être moins, avant la naissance de Jésus-Christ. Le passage que la liturgie nous offre ici fait partie de tout un ensemble de recommandations aux rois ; évidemment, l'attribution du livre au roi dont la Sagesse était proverbiale donnait toute latitude à l'auteur pour donner des conseils.

Le chapitre 6 commence par : « Or donc, rois, écoutez et comprenez, laissez-vous instruire, vous dont la juridiction s'étend à toute la terre... C'est à vous, ô princes, que vont mes paroles, afin que vous appreniez la Sagesse et ne trébuchiez pas ». Son discours tient en trois points :

Premièrement, la Sagesse est la chose la plus précieuse du monde : et là, ce livre au titre trop sérieux révèle des envolées littéraires auxquelles on ne s'attendait pas : « La Sagesse est resplendissante, elle est inaltérable. » Ou encore : « Elle est un effluve de la puissance de Dieu, une pure irradiation de la gloire du Tout-Puissant... elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l'activité de Dieu et une image de sa bonté. » (Sg 4, 25-26). Elle est tellement précieuse qu'on la compare à la plus désirable des femmes : « Elle est plus radieuse que le soleil et surpasse toute constellation. Comparée à la lumière, sa supériorité éclate : la nuit succède à la lumière, mais le mal ne prévaut pas sur la Sagesse. » (Sg 7, 29-30). « C'est elle que j'ai aimée et recherchée dès ma jeunesse, j'ai cherché à en faire mon épouse et je suis devenu l'amant de sa beauté. » (Sg 8, 2).

Deuxièmement, la Sagesse est à notre portée, ou, plus exactement, elle se met à notre portée : « Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l'aiment... elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. » Au passage, il faut admirer ce style très balancé que nous trouvons si souvent dans la Bible, en particulier chez les prophètes et dans les psaumes. Mais surtout, il y a dans ces deux phrases parallèles une affirmation fondamentale : c'est qu'il n'y a pas de conditions pour rencontrer Dieu ; pas de conditions d'intelligence, de mérite ou de valeur personnelle... Jésus le redira sous une autre forme : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira... Quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira. » (Mt 7, 7-9).

Et l'auteur attribue au roi Salomon cette confidence : « J'ai prié et le discernement m'a été donné, j'ai imploré et l'esprit de la Sagesse est venu en moi. » (Sg 7,7). Il nous suffit de la désirer : la seule condition, évidemment, la chercher, la désirer ardemment : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube » dit le psaume. « Celui qui la cherche dès l'aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte » ; toujours cette affirmation qu'elle est tout près de nous, et qu'il nous suffit de la chercher... manière aussi de dire que nous sommes libres ; Dieu ne nous force jamais la main.

Troisièmement, non seulement, elle répond à notre attente, mais elle-même nous recherche, elle nous devance ! Et là, il faut quand même de l'audace... Pourtant, l'auteur le dit en toutes lettres : « Elle devance leurs désirs en se montrant à eux la première »... « Elle va et vient pour rechercher ceux qui sont dignes d'elle. » Dieu prend l'initiative de se révéler à l'homme ; car, on l'a deviné, la Sagesse n'est autre que Dieu lui-même inspirant notre conduite. Plus tard, Saint Paul dira de Jésus-Christ qu'il est la Sagesse de Dieu : « Il est Christ, Puissance de Dieu, Sagesse de Dieu » (1 Co 1, 24 - 30). « Elle va et vient pour rechercher ceux qui sont dignes d'elle » : de nous-mêmes, nous ne pourrions pas atteindre Dieu. Et la dignité dont il est question ici, c'est seulement ce désir de Dieu : la seule dignité qui nous est demandée, c'est d'avoir un coeur qui cherche Dieu.

Et voilà pourquoi il peut y avoir rencontre, Alliance : on sait bien que, pour qu'il y ait vraiment rencontre intime entre deux êtres, il faut que les deux le désirent ; et c'est ce que nous dit le passage d'aujourd'hui : Dieu est à la recherche de l'homme ; il faut et il suffit que l'homme soit à la recherche de Dieu : « Elle va et vient pour rechercher ceux qui sont dignes d'elle ; au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ; chaque fois qu'ils pensent à elle, elle vient à leur rencontre ».

On peut se poser la question : sur quels critères peut-on juger qu'un roi (ou quiconque) aura été sage ou non ? Voici ce qu'en dit Jérémie : « Que le sage ne se vante pas de sa sagesse, que le vaillant ne se vante pas de sa vaillance, que le riche ne se vante pas de sa richesse ! Mais qui veut se vanter, qu'il se vante de ceci : avoir de l'intelligence et me connaître, car je suis le SEIGNEUR qui exerce la bonté, le droit et la justice sur la terre. Oui, c'est cela qui me complaît, oracle du SEIGNEUR ! » (Jr 9, 22-23). Voilà donc les critères de la vraie sagesse : celle qui se traduit par la bonté, le droit, la justice.

Notre auteur dit quelque chose d'équivalent : « C'est lui (le Très-Haut) qui examinera vos actes... Si vous, les ministres de sa royauté n'avez pas jugé selon le droit, ni respecté la loi, ni agi selon la volonté de Dieu... (sous-entendu « il vous jugera ») » (Sg 6, 3-4). Décidément, où qu'on se tourne dans la Bible, cela revient toujours au même : la seule chose qui nous est demandée, c'est d'agir selon la volonté de Dieu : « Ce ne sont pas ceux qui disent 'Seigneur, Seigneur', mais ceux qui font la volonté de mon Père... » et le prophète Michée précise : « On t'a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR attend de toi : rien d'autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t'appliquer à marcher avec ton Dieu (d'autres traductions disent « la vigilance » dans la marche avec ton Dieu) (Mi 6, 8). Toutes les autres lectures de ce trente-deuxième dimanche nous parleront de cette vigilance.

 

PSAUME 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8

2 Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.
3 Je t'ai contemplé au sanctuaire,
j'ai vu ta force et ta gloire.
4 Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

5 Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
6 Comme par un festin je serai rassasié :
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

7 Dans la nuit, je me souviens de toi
et je reste des heures à te parler.
8 Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l'ombre de tes ailes.

« Je crie de joie à l'ombre de tes ailes » : c'est beau, mais c'est quand même étonnant ! En fait, il faut se transporter en pensée, à l'intérieur du Temple de Jérusalem (avant sa destruction, bien sûr, en 587 av.J.C. par Nabuchodonosor)... et supposer que nous sommes prêtres ou lévites. Là, dans le lieu le plus sacré, le « Saint des Saints », se trouvait l'Arche d'Alliance : attention, quand nous disons Arche aujourd'hui, nous risquons de penser à une oeuvre architecturale imposante : les Parisiens penseront peut-être à ce qu'ils appellent la Grande Arche de la Défense... Pour Israël, c'est tout autre chose ! Il s'agit de ce qu'ils avaient de plus sacré1 : un petit coffret de bois précieux, recouvert d'or, à l'intérieur comme à l'extérieur, qui abritait les tables de la Loi. Sur ce coffret, veillaient deux énormes statues de chérubins.

Les « Chérubins » n'ont pas été inventés par Israël : le mot vient de Mésopotamie. C'étaient des êtres célestes, à corps de lion, et face d'homme, et surtout des ailes immenses. En Mésopotamie, ils étaient honorés comme des divinités... En Israël au contraire, on prend bien soin de montrer qu'ils ne sont que des créatures : ils sont représentés comme des protecteurs de l'Arche, mais leurs ailes déployées sont considérées comme le marchepied du trône de Dieu. Ici, un prêtre en prière dans le Temple, à l'ombre des ailes des chérubins se sent enveloppé de la tendresse de son Dieu depuis l'aube jusqu'à la nuit.2

Les autres images de ce psaume sont toutes également empruntées au vocabulaire des lévites : « Je t'ai contemplé au sanctuaire » : ils étaient les seuls à pénétrer dans la partie sainte du Temple... « toute ma vie, je vais te bénir » : effectivement toute leur vie était consacrée à la louange de Dieu... « lever les mains en invoquant ton nom » : là nous voyons le lévite en prière, les mains levées... « Comme par un festin je serai rassasié », c'est une allusion à certains sacrifices qui étaient suivis d'un repas de communion pour tous les assistants, et d'autre part, on sait que les lévites recevaient pour leur nourriture une part de la viande des sacrifices... « Dans la nuit, je me souviens de toi, je reste des heures à te parler » : lorsqu'ils étaient de service à Jérusalem, leur vie entière se déroulait dans l'enceinte du Temple.

En fait, ce psaume est une métaphore : ce lévite, c'est Israël tout entier qui, depuis l'aube de son histoire et jusqu'à la fin des temps, s'émerveille de l'intimité que Dieu lui propose : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube, mon âme a soif de toi... » Et quand il dit « dès l'aube », il veut dire depuis l'aube des temps : depuis toujours le peuple d'Israël est en quête de son Dieu. « Mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » : en Israël, ces expressions sont très réalistes : la terre désertique, assoiffée, qui n'attend que la pluie pour revivre, c'est une expérience habituelle, très suggestive.

Depuis l'aube de son histoire, Israël a soif de son Dieu, une soif d'autant plus grande qu'il a expérimenté la présence, l'intimité proposée par Dieu. Et donc, à un deuxième niveau, c'est l'expérience du peuple qui affleure dans ce psaume : par exemple « mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » est certainement une allusion au séjour dans le désert après la sortie d'Egypte et à l'expérience terrible de la soif à Massa et Meriba (Ex 17). La plus belle prière est certainement celle qui jaillit de notre pauvreté spirituelle, comme la plainte du déshydraté : « J'ai soif ».

« Je t'ai contemplé au sanctuaire » est une allusion aux manifestations de Dieu au Sinaï, le lieu sacré où le peuple a contemplé son Dieu qui lui offrait l'Alliance. « J'ai vu ta force et ta gloire », dans la mémoire d'Israël, cela évoque les prodiges de l'Exode pour libérer son peuple de l'esclavage en Egypte. Tout autant que la formule « Tu es venu à mon secours » : on n'oubliera jamais, de mémoire d'homme, en Israël, cette phrase de Dieu à Moïse : « Oui, vraiment, j'ai vu la misère de mon peuple en Egypte et je l'ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer. » (Ex 3, 7).

Quand on méditait sur cette libération apportée par Dieu, on comparait parfois celui-ci à un aigle apprenant à ses petits à voler : « Il est comme l'aigle qui encourage sa nichée : il plane au-dessus de ses petits, il déploie toute son envergure, il les prend et les porte sur ses ailes. » (Dt 32, 11). En écho on lit dans le livre de l'Exode, au moment de la célébration de l'Alliance : « Tu diras ceci à la maison de Jacob... Vous avez vu vous-mêmes comment je vous ai portés sur des ailes d'aigle et vous ai fait arriver jusqu'à moi. » (Ex 19, 4). Si bien que les ailes des chérubins dans le Temple prenaient encore une autre signification. Elles sont les ailes protectrices de celui qui apprend à Israël le chemin de la liberté.

Toutes ces évocations d'une vie d'Alliance, d'intimité sans ombre sont peut-être la preuve que ce psaume a été écrit dans une période moins lumineuse ! Où l'on a bien besoin de s'accrocher aux souvenirs du passé. Tout n'est pas si rose et les derniers versets (que la liturgie ne nous fait pas chanter), disent fortement, violemment même l'attente de la disparition du mal sur la terre, par exemple : « Ceux qui pourchassent mon âme, qu'ils descendent aux profondeurs de la terre »... Israël attend la pleine réalisation des promesses de Dieu, les cieux nouveaux, la terre nouvelle, et la délivrance de tout mal et de toute persécution.

L'expression « je te cherche dès l'aube... mon âme a soif » dit aussi que cette quête n'est pas encore comblée : Israël est le peuple de l'attente, de l'espérance : « Mon âme attend le Seigneur, plus sûrement qu'un veilleur n'attend l'aurore. » (Ps 129/130, 6). Quand Jésus parle de veille, de vigilance dans la parabole des vierges sages et des vierges folles (qui sera notre évangile de ce trente-deuxième dimanche), c'est à cela qu'il pense : une recherche permanente de Dieu.

Aujourd'hui à la suite du peuple juif, le peuple chrétien reprend à son compte cette prière, cette soif, cette attente : le psaume 62/63 fait partie de la prière des Heures du dimanche matin de la première semaine. Car dans la liturgie chrétienne, le dimanche, jour de la Résurrection du Christ, est le jour privilégié où nous célébrons la totalité du mystère de l'Alliance de Dieu avec son peuple, depuis l'aube de son histoire, dans l'attente de l'avènement définitif de son Royaume.

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Note
1 - L'Arche d'Alliance est perdue depuis l'Exil à Babylone et personne ne sait ce qu'elle est devenue.
2 - En réalité, seul le grand-prêtre avait accès au Saint des Saints, une fois par an, le jour du Yom Kippour (le Grand Pardon). Le prêtre en prière, s'imagine être sous l'ombre de l'Arche.

DEUXIEME LECTURE - 1 Thessaloniciens 4, 13-18

13 Frères,
nous ne voulons pas vous laisser dans l'ignorance
au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ;
il ne faut pas que vous soyez abattus
comme les autres, qui n'ont pas d'espérance.
14 Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ;
de même, nous le croyons, ceux qui se sont endormis,
Dieu, à cause de Jésus, les emmènera avec son Fils.
15 Car, sur la parole du Seigneur, nous vous déclarons ceci :
nous les vivants,
nous qui sommes encore là pour attendre le retour du Seigneur,
nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis.
16 Au signal donné par la voix de l'archange, à l'appel de Dieu,
le Seigneur lui-même descendra du ciel,
et les morts unis au Christ ressusciteront d'abord.
17 Ensuite, nous les vivants,
nous qui sommes encore là,
nous serons emportés sur les nuées du ciel,
en même temps qu'eux,
à la rencontre du Seigneur.
Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur.
18 Retenez ce que je viens de dire,
et réconfortez-vous les uns les autres.

On se demande souvent ce que les Chrétiens ont de plus que les autres ; Saint Paul vient de nous donner une réponse : nous avons reçu en cadeau l'espérance ! D'après lui, c'est ce qui nous distingue : « Il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres qui n'ont pas d'espérance ». Une espérance qui ne repose ni sur des raisonnements, ni sur des convictions, ni sur de quelconques prédictions... mais sur un événement qui est le socle de notre foi : à savoir la Résurrection de Jésus-Christ.

Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul va jusqu'à dire : « Si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi votre foi. » (1 Co 15, 14). De deux choses l'une : ou bien Christ est ressuscité ou bien il ne l'est pas. S'il n'est pas ressuscité, alors notre foi est un château de cartes qui ne peut que s'écrouler. « Si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est illusoire... Dès lors, même ceux qui sont morts en Christ sont perdus. Si nous avons mis notre espérance en Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. » (1 Co 15, 17-19). Si c'est cela, nous avons été trompés et l'avenir est bouché.

Mais, bien sûr, Paul continue, toujours dans cette lettre aux Corinthiens : « Mais non : Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts. » (1 Co 15, 20). « Prémices », c'est-à-dire premier-né de l'humanité vivante. Paul fait allusion, ici, à la coutume de l'offrande des prémices dans l'Ancien Testament : lorsqu'on offrait à Dieu la première gerbe de la récolte, ou l'animal premier-né du troupeau, ces offrandes (ces « prémices ») représentaient la totalité de la récolte, l'ensemble du troupeau. De la même manière, Jésus ressuscité est « prémices » de toute l'humanité.

Et alors nous pouvons contempler ce projet de Dieu : le Dieu vivant a conçu un peuple de vivants ; et c'est pour cela que nous sommes le peuple de l'espérance ; rappelons-nous la discussion de Jésus avec les Sadducéens (Mt 22, 23s) : à l'époque du Christ, la foi en la Résurrection était un progrès tout récent de la théologie juive ; les Pharisiens y croyaient, mais pas encore les Sadducéens : ils donnaient pour argument la complexité des rapports dans l'au-delà pour une femme qui aurait eu sur terre successivement sept maris : « A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la femme, puisque tous l'ont eue pour femme ? » Jésus leur répond, d'abord, qu'il ne faut pas envisager la Résurrection comme une copie de notre vie sur la terre, la perspective de la mort en moins ; mais surtout, il affirme la Résurrection : « Pour ce qui est de la Résurrection des morts, n'avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite : 'Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob' ? Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants ».

Cette parole-là lui a permis, à lui, Jésus, le premier, d'affronter la mort. Quand il annonce sa Passion à ses disciples, il annonce toujours en même temps sa Résurrection (Mt 16, 16 par ex) ; cette parole-là doit nous permettre à notre tour d'affronter la vie sans angoisse excessive à la pensée de son terme inéluctable, et d'affronter la mort, le jour venu. Comme dit Paul encore : « J'estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la Création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu ... elle garde l'espérance, car elle aussi sera libérée de l'esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l'enfantement. » (Rm 8, 17-23).

Cet enfantement, c'est celui du dessein bienveillant de Dieu : s'il y a un moment où nous devons nous souvenir à tout prix que le dessein de Dieu est bienveillant, c'est quand nous envisageons notre mort ; et alors, il ne nous reste plus qu'à nous laisser faire puisque sa volonté est bonne pour nous : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l'univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. » (Ep 1, 9-10).

Ce projet de Dieu, c'est donc un peuple de vivants qui ne font qu'un en Jésus-Christ, comme un seul homme. Au fond, ce qui nous est le plus difficile à imaginer, c'est ce projet d'union : « Réunir l'univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ ». C'est certainement à cela que Paul pensait lorsqu'il écrivait : « Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ?... Oui, j'en ai l'assurance : ni la mort, ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l'avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rm 8, 35-39).

Rien ne pourra nous séparer de lui, rien, pas même la mort biologique : c'est pour cela que Paul emploie l'image du sommeil ; quelqu'un qui dort est bien vivant ! Et donc ceux qui nous ont quittés ne seront pas séparés du Christ. Comme dit Paul dans notre texte d'aujourd'hui : « Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur ». Voilà qui devrait nous permettre de nous réconforter mutuellement. Paul lui-même en a eu peut-être parfois besoin puisqu'il dit dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « C'est pourquoi nous ne perdons pas courage et même si, en nous, l'homme extérieur va vers sa ruine, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car nos détresses d'un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu'elles nous préparent. » (2 Co 4, 16-17) ; et dans la lettre aux Philippiens : « Notre cité à nous est dans les cieux, d'où nous attendons comme sauveur, le Seigneur Jésus-Christ, qui transfigurera notre corps humilié pour le rendre semblable à son corps de gloire, avec la force qui le rend capable aussi de tout soumettre à son pouvoir. » (Phi 3, 20-21).

Pour terminer, imaginons le dernier jour, celui que Jésus appelle « l'avènement du Fils de l'Homme » : le journaliste de service écrira « Ils se sont tous levés comme un seul homme » !

EVANGILE - Matthieu 25, 1 - 13

Jésus parlait à ses disciples de sa venue ;
il disait cette parabole :
1 « Le Royaume des cieux sera comparable
à dix jeunes filles invitées à des noces,
qui prirent leur lampe
et s'en allèrent à la rencontre de l'époux.
2 Cinq d'entre elles étaient insensées,
et cinq étaient prévoyantes :
3 les insensées avaient pris leur lampe sans emporter d'huile
4 tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leur lampe,
de l'huile en réserve.
5 Comme l'époux tardait,
elles s'assoupirent toutes et s'endormirent.
6 Au milieu de la nuit, un cri se fit entendre :
Voici l'époux ! Sortez à sa rencontre.
7 Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent
et préparèrent leur lampe.
8 Les insensées demandèrent aux prévoyantes :
Donnez-nous de votre huile,
car nos lampes s'éteignent.
9 Les prévoyantes leur répondirent :
Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous ;
allez plutôt vous en procurer chez les marchands.
10 Pendant qu'elles allaient en acheter,
l'époux arriva.
Celles qui étaient prêtes
entrèrent avec lui dans la salle des noces
et l'on ferma la porte.
11 Plus tard, les autres jeunes filles arrivent à leur tour et disent :
Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !
12 Il leur répondit :
Amen, je vous le dis :
je ne vous connais pas.
13 Veillez donc,
car vous ne savez ni le jour ni l'heure. »

« Le Royaume des cieux est semblable à dix jeunes filles invitées à des noces ... » Cette comparaison très positive avec des noces prouve bien que Jésus n'a pas imaginé cette parabole pour nous inquiéter ; il nous invite à nous transporter déjà au terme du voyage, quand le Royaume sera accompli et il nous dit « Ce sera comme un soir de noce » : d'entrée de jeu, on peut donc déjà déduire que même la dernière parole « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure » ne doit pas nous faire peur, ce n'est jamais le but de Jésus. A nous de déchiffrer ce qu'elle veut dire.

C'est une parabole, c'est-à-dire que c'est la leçon finale qui compte. Ce n'est pas une allégorie, il n'y a donc pas à chercher des correspondances entre chaque détail de l'histoire et des situations ou des personnes concrètes. Enfin, ne nous scandalisons pas de ces prévoyantes qui refusent de partager, ce n'est pas une parabole sur le partage.

Toutes ces précautions prises, il reste à découvrir ce que peut vouloir dire cette fameuse dernière phrase « Veillez donc ». Pour commencer, reprenons les éléments de la parabole : des noces, une invitation ; dix jeunes filles, cinq d'entre elles sont insensées, cinq sont prévoyantes ou avisées selon les traductions ; les prévoyantes ont de l'huile en réserve, les insensées ont pris leur lampe sans emporter d'huile... or il est vrai qu'une lampe à huile sans huile n'est plus une lampe à huile... C'est aussi insensé que de mettre une lampe sous le boisseau : « Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. » (Mt 5, 15).

L'époux tarde à venir et tout notre petit monde s'endort, les prévoyantes comme les autres : on peut noter au passage que ce sommeil ne leur est pas reproché, ce qui prouve que le mot de la fin « Veillez » n'interdit pas de dormir, ce qui est pour le moins paradoxal ! L'époux finit quand même par arriver et l'on connaît la suite : les prévoyantes entrent dans la salle de noces, les insensées se voient fermer la porte avec cette phrase dont on ne sait pas dire si elle est dure ou attristée « Je ne vous connais pas » leur dit l'époux. Et cette fameuse conclusion : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure. »

Chose curieuse, Jésus a déjà traité à peu près le même thème dans une autre parabole, celle des deux maisons : l'une est bâtie sur le roc, l'autre sur le sable. « La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé » : l'une des deux a résisté, l'autre s'est écroulée ; jusque-là rien de surprenant, on aurait pu s'en douter ; mais voici que Jésus s'explique : celui qui a bâti sur le roc, c'est « tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et les met en pratique... » ; que sont ces fameuses « paroles qu'il vient de dire » ? Nous sommes au chapitre 7 de Saint Matthieu ; quelques lignes auparavant, on a pu lire : « Il ne suffit pas de me dire 'Seigneur, Seigneur', pour entrer dans le royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon père qui est aux cieux. Beaucoup me diront en ce jour-là : 'Seigneur, Seigneur ! N'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? en ton nom que nous avons chassé les démons ? en ton nom que nous avons fait de nombreux miracles ?' Alors je leur déclarerai : 'Je ne vous ai jamais connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité. » (Mt 7, 21-27).

Et Jésus continue : « Ainsi tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et les met en pratique, peut être comparé à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc... ». Dans la parabole des deux maisons, le lien est donc clair : « Je ne vous connais pas, car vous commettez l'iniquité » ; en d'autres termes, « vous faites de très belles choses (prophéties, miracles...) mais vous n'aimez pas vos frères » ; ici, dans la parabole des dix vierges, cela revient au même : c'est « Je ne vous connais pas, vous n'êtes pas la lumière du monde... vous êtes appelées à l'être, mais il n'y a pas d'huile dans vos lampes ».

Les deux fois, Jésus emploie cette même formule « Je ne vous connais pas » : ce n'est pas un verdict sans appel, c'est un constat triste : « Je ne vous connais pas encore », « Vous n'êtes pas encore prêts pour le Royaume, vous n'êtes pas prêts pour les noces » ; il faut sans doute l'entendre au sens de « Je ne vous reconnais pas » : vous ne me ressemblez pas, vous n'êtes pas en communion avec moi.

Le rapprochement avec la parabole des deux maisons peut encore nous éclairer : celle-ci était la conclusion du discours sur la montagne dans lequel Jésus proclamait « Vous avez appris qu'il a été dit : 'Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi'. Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes...Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Mt 5, 43-48).

« Veiller », c'est donc vivre au jour le jour cette ressemblance avec le Père pour laquelle nous sommes faits : c'est aimer comme lui ; chose impossible, sommes-nous tentés de dire... heureusement cette ressemblance d'amour est cadeau ; comme nous l'ont dit les autres lectures de ce dimanche, il nous suffit de la désirer ; de le chercher, comme dit le psaume « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube » ; d'aller à la rencontre de cette Sagesse dont nous parlait la première lecture, celle qui se traduit par la bonté, le droit, la justice. Veiller, en fin de compte, c'est être toujours prêt à le recevoir. Cette rencontre de l'époux se fait non pas au bout du temps, à la fin de l'histoire terrestre de chacun, mais à chaque jour du temps ; c'est à chaque jour du temps qu'il nous modèle à son image.

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Compléments

Il y a plusieurs manières d'envisager le temps qui passe ; pour un Chrétien, elle ne peut être que positive : c'est le temps qui prépare la venue du Seigneur, « l'avènement du Fils de l'Homme ». Jean-Sébastien Bach a traité ce thème dans un choral intitulé « Le choral du veilleur » et qui est en fait une variation sur la parabole des vierges sages et des vierges folles ; il commence par un pas de danse très gai sur un registre un peu haut : vous les avez reconnues, ce sont les vierges folles ; puis, plus bas, intervient gravement la musique du cantique « Adoro te devote » : ce sont les vierges sages en train de méditer ; enfin au pédalier, s'installe un rythme régulier, appuyé, qui symbolise le temps qui s'écoule.

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25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 08:28

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Malachie 1, 14... 2, 1. 2b. 8-10

1, 14 Je suis le Grand Roi,
dit le SEIGNEUR de l'univers,
et mon Nom inspire la crainte parmi les nations.
2, 1 Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement :
2 Si vous n'écoutez pas,
si vous ne prenez pas à coeur de glorifier mon Nom,
- déclare le SEIGNEUR de l'univers, -
j'enverrai sur vous la malédiction,
je maudirai les bénédictions que vous prononcerez.
8 Vous vous êtes écartés de la route,
vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude,
vous avez perverti mon alliance avec vous,
déclare le SEIGNEUR de l'univers.
9 A mon tour je vous ai déconsidérés,
abaissés devant tout le peuple,
puisque vous n'avez pas suivi mes chemins,
mais agi avec partialité en accommodant la Loi.
10 Et nous, le peuple de Dieu,
n'avons-nous pas tous un seul Père ?
N'est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ?
Pourquoi nous trahir les uns les autres,
profanant ainsi l'alliance de nos pères ?

Malachie accumule les reproches : les prêtres et le peuple, tout le monde se fait rappeler à l'ordre. Les prêtres sont accusés de « pervertir l'alliance », les laïcs de la « profaner ». Chose intéressante, ce n'est pas le même mot : cela veut dire au moins que les responsabilités se situent à des niveaux différents.

Déjà, à entendre le ton violent de ce texte, on peut deviner un peu le contexte : nous sommes au cinquième siècle avant J.C. probablement vers 470 ; depuis le retour de l'Exil à Babylone, on assiste à un relâchement moral et religieux, c'est-à-dire tout le contraire de ce qu'on aurait imaginé ; de loin, en Exil, on avait imaginé ce retour : retour au pays, mais surtout retour à la vie de foi, de prière, et de fraternité qui était l'idéal de l'Alliance proposée par Dieu.

Dieu, lui, n'a pas changé, dit Malachie qui commence son livre par ces mots : « Je vous aime », dit le SEIGNEUR (Ml 1, 2) et par « Je suis Père » (Ml 1, 6). Sur cette base, le prophète rappelle au peuple d'Israël, prêtres et laïcs, les exigences de la fidélité à un tel amour. Les prêtres sont les serviteurs de la Parole : donc ils doivent l'annoncer sans la dénaturer ; leur fidélité à l'Alliance de Dieu se vérifie dans leur fidélité à annoncer cette parole... Et, si on en croit ce texte, les prêtres contemporains de Malachie méritaient un sévère rappel à l'ordre. Quant au peuple tout entier, c'est dans la qualité des relations mutuelles qu'il vit sa fidélité à l'amour paternel de Dieu. Il est très intéressant de voir comme dans un livre extrêmement court, Malachie dit les trois points les plus importants de la foi juive : 1) Dieu est Père, 2) il propose son Alliance, 3) cette Alliance se vit indissociablement dans le service de Dieu ET dans le service des frères. Tout cela, nous le trouvons ramassé dans le texte d'aujourd'hui.

Quelques mots, d'abord, sur cette formule un peu étonnante : « Je suis le Grand Roi, le SEIGNEUR de l'univers, et mon Nom inspire de la crainte parmi les nations ». « Le grand roi », c'est le titre que se faisaient donner les rois d'Assyrie, dans leurs heures de gloire (on en a des traces dans le livre des Rois) ; ne nous étonnons donc pas que le prophète l'applique à Dieu, pour bien affirmer qu'il n'y a qu'un grand roi véritable, le Dieu d'Israël. Mais, en fait, cette phrase est pleine d'ironie ; car c'est exactement ce que les prêtres faisaient chanter aux pèlerins à Jérusalem : des phrases comme « Le SEIGNEUR est roi à tout jamais » (Ps 9/10, 16), « Le SEIGNEUR, le tout-puissant, c'est lui le roi de gloire » (Ps 23/24, 10), « Le SEIGNEUR est le grand Dieu, le grand roi au-dessus de tous les dieux » (Ps 94/95, 3) étaient habituelles dans les psaumes. On trouve même des formules qui semblent être le modèle de Malachie : « Le SEIGNEUR, le Très-Haut, est terrible ; il est le grand roi sur toute la terre... Car le roi de toute la terre, c'est Dieu... Dieu règne sur les nations » (Ps 46/47, 3s) ou mieux encore : « Le SEIGNEUR est roi : Que les peuples tremblent !... Le SEIGNEUR est grand dans Sion et il domine tous les peuples : qu'ils célèbrent ton nom grand et terrible ! (Ps 98/99, 1s). En parodiant ces belles prières, Malachie insinue : c'est bien beau de faire chanter tous ces cantiques ; mais vous êtes les premiers, vous les prêtres, à trahir votre prétendu roi.

Or, de la part des prêtres, c'était particulièrement grave ; comme disait le livre du Deutéronome, la première fonction de la tribu de Lévi (c'est-à-dire les prêtres), c'était d'assurer la prédication et le culte. Voici comment la définissait le livre du Deutéronome : « Ils ont gardé ta parole, ils veillent sur ton Alliance, ils enseignent tes coutumes à Jacob, ta Loi à Israël ; ils présentent le parfum à tes narines (l'odeur des sacrifices), l'offrande totale sur ton autel » (Dt 33, 9-10). Tout cela, c'était le programme, si l'on peut dire... mais qui d'entre nous peut se vanter d'être fidèle en tout point à sa mission ? Et, si on en croit ce texte, les prêtres contemporains de Malachie, particulièrement, méritaient un sévère rappel à l'ordre.

Plus leur mission était noble et haute, plus ils étaient coupables ; dans d'autres versets qui ne font pas partie de la lecture liturgique de ce dimanche, Malachie rappelle la grandeur des débuts du sacerdoce avec Moïse et Aaron ; la confiance de Dieu reposait sur eux : « Mon alliance avec la tribu de Lévi était vie et paix, car je les lui accordais ainsi que la crainte pour qu'il me révère. Devant mon nom il était frappé de saisissement. Sa bouche donnait un enseignement véridique et nulle imposture ne se trouvait sur ses lèvres. Dans l'intégrité et la droiture, il marchait avec moi, détournant beaucoup d'hommes de la perversion. En effet, les lèvres du prêtre gardent la connaissance et de sa bouche on recherche l'instruction, car il est messager du SEIGNEUR le tout-puissant » (Ml 2, 5-7).

Mais qui dit mission dit responsabilité ; c'est à ceux à qui on a fait le plus confiance qu'on fera les plus durs reproches ! C'est pourquoi Malachie continue : « Vous, au contraire, vous vous êtes écartés du chemin... » Alors il ne faut pas s'étonner des conséquences : Malachie constate que le clergé a perdu toute influence et toute considération ; à ceux qui s'en étonnent, il donne l'explication : votre attitude défigure l'image de Dieu, ne vous étonnez pas que le peuple se détourne de cette caricature. D'où cette phrase terrible : « Je vous ai déconsidérés, abaissés devant tout le peuple ».

On retrouve dans ce livre de Malachie des échos du livre du Deutéronome (dont on sait bien que certaines parties sont très tardives) ; c'est bien en tout cas le même courant théologique qui s'exprime : « Si tu ne veilles pas à mettre en pratique toutes les paroles de cette Loi, celles qui sont écrites dans ce livre, en craignant ce Nom glorieux et redoutable, « Le SEIGNEUR ton Dieu », alors le SEIGNEUR te frappera, toi et ta descendance, de blessures prodigieuses... » (Dt 28, 58-59).

Et Malachie n'est pas le seul à le dire ! Par exemple Osée : « Puisque tu as repoussé la connaissance, je te repousserai et tu ne seras plus mon prêtre » (Os 4, 5) ; et plus tard Jérémie : « Ceux qui détiennent les directives divines ne me connaissent pas » (Jr 2, 8). L'accusation de Jérémie va plus loin « On trouvera toujours des directives divines chez les prêtres » (sous-entendu pour n'importe quel projet, même infâme) : cela veut dire que leur autorité sert à justifier n'importe quoi !

Voilà pour les prêtres, au tour des laïcs maintenant ! Malachie est moins violent mais tout aussi clair : quand nous nous maltraitons mutuellement, nous profanons l'Alliance ; son argument est tout simple (d'une « simplicité biblique », dirait-on) : « N'est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? » L'unique fondement de la morale est là, dans le projet du Dieu Créateur : il est notre Père, donc nous sommes tous frères ; il y a là toute la Loi et les prophètes.

 

PSAUME 130 (131) - Psaume des montées

1 SEIGNEUR, je n'ai pas le coeur fier
ni le regard ambitieux ;
je ne poursuis ni grands desseins,
ni merveilles qui me dépassent.

2 Non, je tiens mon âme
égale et silencieuse ;
mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère.

3 Attends le SEIGNEUR, Israël,
maintenant à jamais.

Chose curieuse : d'habitude, le psaume est complètement en harmonie avec la première lecture, et souvent on peut se dire « Il en est l'écho le plus fidèle ». Aujourd'hui, c'est le contraire : la parole du prophète Malachie était violente, sévère... Il fustigeait les prêtres aussi bien que le peuple qui trahissaient l'idéal de l'Alliance ; en réponse, le psaume est plein de douceur ; ce contraste est certainement voulu et l'on peut parier qu'il comporte la plus grande leçon à retenir de la liturgie de ce trente-et-unième dimanche !

Nous pouvons entrer dans ce psaume par la dernière phrase : comme souvent, elle donne la clé de ce qui précède : « Attends le SEIGNEUR, Israël, maintenant et à jamais ». Attends, c'est-à-dire, en langage biblique, espère, Chouraqui traduit « souhaite ». Ce qui signifie non pas une attente passive, comme on attend patiemment le train qui viendra à son heure... mais l'attente du croyant, l'attente active, impatiente, ardente de la réalisation des promesses de Dieu. Pour Israël, ce mot « attendre » vise toujours la venue du Messie au Jour qu'on appelle le « Jour » de Dieu. C'est cette attente, cette espérance qui colore le présent : tout au long de l'histoire biblique, le peuple d'Israël vit debout, tourné vers l'avenir ; « Mon âme attend le Seigneur, plus qu'un veilleur n'attend l'aurore », dit le psaume 129/130. C'est cette foi indéracinable dans les promesses de Dieu qui nourrit son espérance et lui permet d'affronter le présent, quel qu'il soit. Il ne s'agit pas de s'endormir aujourd'hui, en attendant demain : il s'agit de vivre de toutes ses forces l'aujourd'hui de Dieu qui inlassablement fait surgir son projet, étape par étape.

Mais ce n'est quand même pas toujours évident de garder confiance. Le peuple d'Israël en sait quelque chose. Alors le poète prend une comparaison, pour le moins audacieuse ; il avait sûrement sous les yeux une maman et son bébé : le petit enfant, dans les bras de sa maman, joue contre joue, tout tranquille. Nous avons tous vu ce spectacle merveilleux d'un bébé qui pleure, et tout d'un coup, c'est magique : sa maman le prend dans les bras et le voilà apaisé ! C'est exactement cette image-là que le psaume 130/131 nous propose ; ici, le petit enfant dont il s'agit, c'est le peuple d'Israël et la maman, c'est Dieu lui-même... il faut oser quand même ! Et si cet enfant-là s'apaise, c'est parce qu'il sait que le projet de Dieu, son Royaume de bonheur arrive. Il faut seulement savoir attendre.

Soyons clairs : le texte biblique ne dit pas une seule fois que Dieu est féminin : quand on lui donne un titre pris dans le vocabulaire de la famille, c'est toujours celui de Père, jamais celui de mère. Donc, ne faisons pas dire au texte ce qu'il ne dit pas ! Son message, c'est « l'attitude d'Israël doit être empreinte de confiance paisible » et l'image que vous en connaissez et qui s'en rapproche le plus, c'est celle du nourrisson dans les bras maternels. Par exemple, on connaît cette phrase d'Isaïe : « La femme oublie-t-elle son nourrisson, oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l'enfant de sa chair ? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t'oublierai pas » (Is 49, 15).

La différence, c'est que le nourrisson n'a pas d'effort à faire pour trouver la paix dans les bras de sa maman ; pour Israël, au contraire, il y faut un effort constant, répété ; en hébreu, l'expression « je tiens mon âme égale et silencieuse » traduit un effort résolu pour apaiser les mouvements d'angoisse. Evidemment, si le psalmiste a eu besoin d'inventer cette comparaison rassurante, c'est justement parce que cela n'allait pas de soi.

Pour en arriver à cet abandon humblement accepté, (le mot « abandon » le dit bien), il a fallu renoncer à tout rêve de grandeur : « SEIGNEUR, je n'ai pas le coeur fier, ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent ». Ce psaume assez récent (il date probablement d'après l'Exil) traduit une nouvelle étape spirituelle en Israël : tout rêve de grandeur évanoui, on s'émerveille seulement d'être le peuple aimé de Dieu.

Pourtant, les rêves de grandeur, les « merveilles » de Dieu faisaient très normalement partie de la foi d'Israël : le mot « merveilles » évoque inévitablement les prodiges de l'Exode ; les « grands desseins », les heures de gloire, faisaient habituellement partie des promesses des prophètes. On se rappelle toutes les promesses concernant Jérusalem ; par exemple « Debout Jérusalem ! Resplendis ! Car voici ta lumière ; la gloire du SEIGNEUR sur toi s'est levée... Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton aurore. Porte tes regards aux alentours et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi... » (Is 60, 1-4). Comment entendre ces paroles sans rêver de jours glorieux plus beaux encore que le règne de Salomon dont la grandeur restait un modèle ?

En renonçant à tout rêve de grandeur et de domination politique, Israël découvre son nouveau rôle de témoin de Dieu au milieu des nations : non plus un Dieu de puissance et de gloire, mais un Dieu de tendresse. Dieu a lentement, patiemment mené son peuple jusqu'à cette ultime étape spirituelle : il a fallu des siècles pour découvrir son vrai visage. Tant qu'on imaginait un Dieu marchant à la tête des armées, on ne pouvait envisager son salut qu'en termes de victoires politiques et de domination universelle ; désormais, arrivés au bout de ce chemin spirituel, on attend bien le salut universel, mais, cette fois, c'est en termes de tendresse et de fraternité.

Et là on comprend mieux ce contraste que nous avons relevé plus haut entre la lecture de Malachie et ce psaume : le prophète se montre sévère et même violent envers des prédicateurs indignes de leur mission ; le psaume apporte une conclusion, un peu comme si l'on disait à ces prédicateurs : voilà les sentiments qui devraient vous habiter, quittez vos idées de grandeur et de domination, puisque nous sommes tous les enfants d'un même Père.

A son tour, Jésus s'inscrit dans cette même ligne : « Si vous ne devenez comme des petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux ».

DEUXIEME LECTURE - 1 Thessaloniciens 2, 7b...13

Frères,
7 avec vous nous avons été pleins de douceur,
comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons.
8 Ayant pour vous une telle affection,
nous voudrions vous donner non seulement l'Evangile de Dieu,
mais tout ce que nous sommes,
car vous nous êtes devenus très chers.
9 Vous vous rappelez, frères, nos peines et nos fatigues :
c'est en travaillant nuit et jour,
pour n'être à la charge d'aucun d'entre vous,
que nous vous avons annoncé l'Evangile de Dieu.
13 Et voici pourquoi nous ne cessons de rendre grâce à Dieu.
Quand vous avez reçu de notre bouche la parole de Dieu,
vous l'avez accueillie pour ce qu'elle est réellement :
non pas une parole d'hommes, mais la parole de Dieu
qui est à l'oeuvre en vous, les croyants.

« Frères, avec vous nous avons été pleins de douceur » : le mot grec qui a été traduit ici par « douceur » n'est employé que deux fois par Paul, la seconde dans la deuxième lettre à Timothée : « Le serviteur du Seigneur doit être doux envers tous » (2 Tim 2, 24). C'est une recommandation à ceux qui exercent l'autorité ; douceur ne signifie donc pas mièvrerie, on dit bien qu'elle est la vertu des forts. D'ailleurs l'image d'une mère qui entoure de soins ses nourrissons n'exclut pas la fermeté : une vraie mère sait faire preuve d'autorité au beau sens de ce mot qui veut dire « faire grandir ». Cette image de la mère, Paul, le Pharisien, connaisseur des Ecritures, l'a héritée de l'Ancien Testament : nous l'avons entendue par exemple dans le psaume 130/131, qui nous est également proposé ce dimanche ; mais elle se trouve aussi dans des paroles d'Isaïe : « Car ainsi parle le SEIGNEUR : voici que je vais faire arriver jusqu'à elle la paix comme un fleuve, et, comme un torrent débordant, la gloire des nations. Vous serez allaités, portés sur les hanches et cajolés sur les genoux. Il en ira comme d'un homme que sa mère réconforte ; c'est moi qui, ainsi, vous réconforterai, oui, dans Jérusalem, vous serez réconfortés (Is 66, 1.12-14).

Et comme une mère pleine d'affection, les apôtres ne délivrent pas seulement un message, ils se livrent eux-mêmes totalement : « Ayant pour vous une telle affection, nous voudrions vous donner non seulement l'Evangile de Dieu, mais tout ce que nous sommes ... » ; et si on regarde de près les mots employés par Paul, cette expression « tout ce que nous sommes » signifie « donner notre propre vie ». Pour que les Thessaloniciens ne soient pas privés de l'Evangile, Paul et ses compagnons étaient prêts à donner leur vie. Et ce n'est pas une image : on se souvient que la prédication de Paul, Silas et Timothée, dans toutes les villes où ils sont passés, et particulièrement à Thessalonique, a rencontré l'hostilité, la persécution et le risque de mort. C'est bien pour cela qu'ils ont dû quitter précipitamment cette jeune communauté et qu'ils sont allés porter l'Evangile ailleurs.

On ne peut qu'être frappé, dans un passage aussi court, de l'insistance de Paul sur les expressions « l'Evangile de Dieu » et « la Parole de Dieu » : « Nous voudrions vous donner l'Evangile de Dieu » (au verset 8), « Nous vous avons annoncé l'Evangile de Dieu » (verset 9), « Vous avez reçu de notre bouche la Parole de Dieu... non pas une parole d'hommes, mais la Parole de Dieu » (verset 13). De cette insistance de Paul, il semble qu'on peut retenir au moins trois choses :

Premièrement, l'urgence d'annoncer la Parole ; la Parole nous est confiée ; si nous ne la disons pas, qui la dira ? Dans la lettre aux Corinthiens, Paul parle d'une charge qui s'impose à lui : « Annoncer l'Evangile n'est pas pour moi un motif d'orgueil, c'est une nécessité qui s'impose à moi : malheur à moi si je n'annonce pas l'Evangile ! Si je le faisais de moi-même, j'aurais droit à un salaire ; mais si j'y suis contraint, c'est une charge qui m'est confiée. Quel est donc mon salaire ? C'est d'offrir gratuitement l'Evangile que j'annonce.. » (1 Co 9, 16-18). Paul dit ici exactement la même chose aux Thessaloniciens : « Vous vous rappelez nos peines et nos fatigues : c'est en travaillant nuit et jour pour n'être à la charge d'aucun d'entre vous, que nous vous avons annoncé l'Evangile de Dieu ».

Deuxièmement, cette parole annoncée par les apôtres n'est pas seulement parole d'hommes : « Quand vous avez reçu de notre bouche la Parole de Dieu, vous l'avez accueillie pour ce qu'elle est réellement : non pas une parole d'hommes mais la Parole de Dieu qui est à l'oeuvre en vous, les croyants. » L'apôtre du Nouveau Testament est ce qu'était le prophète dans l'Ancien Testament, c'est-à-dire la « bouche de Dieu » ; l'homme parle, mais c'est l'Esprit de Dieu qui se fait entendre à travers lui ; c'est dire à la fois la grandeur et les limites du rôle des prédicateurs : ils disent les paroles de la foi, mais la foi, c'est Dieu qui la donne.

« Ma parole et ma prédication, écrira Saint Paul aux Corinthiens, n'avaient rien des discours persuasifs de la sagesse, mais elles étaient une démonstration faite par la puissance de l'Esprit, afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu ». Rappelez-vous la phrase de Bernadette Soubirous, lorsqu'elle rapportait au curé de Lourdes plutôt sceptique les paroles de la « Dame » : « Elle ne m'a pas demandé de vous le faire croire, elle m'a demandé de vous le dire ». Il y a là un détachement et une humilité de l'apôtre ; cette parole lui appartient si peu, qu'il ne prétend pas en maîtriser les effets.

Troisièmement, parce qu'elle est accueillie et reconnue comme Parole de Dieu, cette parole est efficace et transforme le coeur et la vie des croyants. Mais cela implique la liberté du cœur qui reçoit la Parole : « Par Jésus-Christ, nous avons reçu la grâce d'être apôtre pour conduire à l'obéissance de la foi, à la gloire de son nom, tous les peuples païens » (Rm 1, 5). On sait bien ce que veut dire le mot « obéissance » pour Paul : obéir (ob-audire en latin) c'est mettre son oreille devant la parole, c'est écouter avec confiance parce qu'on a reconnu une parole d'amour. L'apôtre ne peut conduire ses auditeurs que jusqu'à l'écoute de la Parole ; et c'est là que leur liberté entre en jeu ; dans une deuxième étape, dans leur coeur, l'écoute de la parole peut se faire « obéissance de la foi » c'est-à-dire écoute confiante et libre soumission. Alors tout s'éclaire et la vie prend sens ; d'expérience, on le sait bien : chaque fois qu'on essaie de découvrir un peu mieux la Parole de Dieu, c'est notre acte de foi préalable qui nous permet de déchiffrer un peu le mystère du dessein bienveillant de Dieu. C'est peut-être cela la bonne terre dont parle la Parabole du semeur.

Finalement, la convergence des textes de ce dimanche est très grande : après les reproches que le prophète Malachie adressait aux prêtres du peuple d'Israël, Paul, dans sa lettre à l'Eglise de Thessalonique, apparaît comme le modèle du pasteur : porteur d'une parole qui n'est pas la sienne, mais celle de Dieu, il ne vit que pour la donner en nourriture à la communauté des disciples. Une tendresse maternelle l'unit à cette communauté, peines et fatigues ne comptent plus pour lui : il s'est complètement oublié lui-même. Sa plus grande joie est de constater que les Thessaloniciens ont découvert à travers son message la Parole qui les fait vivre.

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Complément

Ce passage mérite d'être lu dans son contexte. Voici les versets précédents : Paul y dresse la liste des tentations auxquelles lui et ses compagnons n'ont pas succombé : « Jamais nous n'avons eu de paroles flatteuses, vous le savez, jamais d'arrière-pensée de profit, Dieu en est témoin, et jamais nous n'avons recherché d'honneur auprès des hommes, ni chez vous, ni chez d'autres, alors que nous aurions pu nous imposer en qualité d'apôtres du Christ. Au contraire, au milieu de vous, nous avons été pleins de douceur, comme une mère entoure de soins ses nourrissons. » (1 Thess 1, 5-7).

EVANGILE - Matthieu 23, 1 - 12

1 Jésus déclara à la foule et à ses disciples :
2 « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse.
3 Pratiquez donc et observez tout ce qu'ils peuvent vous dire.
Mais n'agissez pas d'après leurs actes, car ils disent et ne font pas.
4 Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens ;
mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
5 Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes :
ils portent sur eux des phylactères très larges
et des franges très longues ;
6 ils aiment les places d'honneur dans les repas,
les premiers rangs dans les synagogues,
7 les salutations sur les places publiques,
ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
8 Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi,
car vous n'avez qu'un seul enseignant,
et vous êtes tous frères.
9 Ne donnez à personne sur terre le nom de Père,
car vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux.
10 Ne vous faites pas non plus appeler maîtres,
car vous n'avez qu'un seul maître, le Christ.
11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
12 Qui s'élèvera sera abaissé,
qui s'abaissera sera élevé. »

 

On pourrait appeler ce texte « les pièges de l'autorité » ou « conseils aux autorités », si vous préférez ; qu'il s'agisse des parents, des autorités religieuses (dans n'importe quelle religion, d'ailleurs) ou des autorités politiques, ou autres, les pièges ou les travers sont les mêmes. Ici, Jésus les a tous rassemblés en un seul portrait qui devient, du coup, caricatural. Bien évidemment, aucun Pharisien ne répondait à ce portrait-robot ; au contraire, les Pharisiens, dans leur ensemble, étaient des gens très respectables, soucieux d'être fidèles à l'Alliance de Dieu ; et l'exemple de Paul, le Pharisien qui pouvait se vanter d'observer scrupuleusement la Loi (Phi 3, 6b) est là pour le prouver ; mais l'important était la leçon que Jésus voulait dégager pour ses interlocuteurs, qui étaient, d'après ce texte, « la foule et les disciples ». Car, après ce portrait, Jésus va dire « Pour vous » : pour vous, ne tombez pas dans ces pièges, dans ces travers que je viens de décrire.

Premier piège : « ils disent et ne font pas » ; deuxième piège : pratiquer l'autorité comme une domination et non comme un service ; troisième piège : vouloir paraître ; quatrième piège : se croire important ! Avoir le goût des honneurs. On voit bien tout de suite que ce sont des travers communs à beaucoup de gens investis d'une charge quelle qu'elle soit !

Premier piège, « ils disent et ne font pas » : « Les scribes et les Pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Pratiquez donc et observez tout ce qu'ils peuvent vous dire. Mais n'agissez pas d'après leurs actes, car ils disent et ne font pas ». Ce travers est tellement humain que de nombreux commentaires juifs de la Bible insistaient sur l'importance de pratiquer ce qu'on enseigne : « Apprendre, garder et faire, il n'y a rien au-dessus » (« sifré », commentaire rabbinique sur le Deutéronome) ; « Celui qui apprend pour ne pas pratiquer, il vaudrait mieux pour lui qu'il ne fût pas créé » (idem sur le Lévitique) ; « C'est pour cela qu'a été donnée la Tora : pour apprendre, pour enseigner, pour garder et pour accomplir » (idem sur les Nombres) ; un autre commentaire rabbinique (Yebamot) disait : « Belles sont les paroles dans la bouche de qui les pratique, beau celui qui les enseigne et beau celui qui les pratique ». Jésus en dira autant : « Celui qui mettra en pratique les commandements et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux » (Mt 5, 19). « Il ne suffit pas de me dire Seigneur, Seigneur, pour entrer dans le royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux » ( Mt 7, 21).

Deuxième piège, pratiquer l'autorité comme une domination et non comme un service : « Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. » L'avoir, le savoir, le pouvoir, peuvent être prétexte à domination ou à supériorité ; alors que cela peut aussi bien être vécu comme un merveilleux moyen de servir les autres : encore ne faudrait-il jamais oublier que tout ce que nous possédons nous est seulement confié comme une responsabilité à exercer au bénéfice de tous. Il y a pire encore, c'est d'asseoir son autorité sur un soi-disant « droit divin » : les religions n'y échappent pas toujours, les pouvoirs politiques non plus ; et c'est la source de combien de conflits sanglants.

Troisième piège, vouloir paraître : « Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes : ils portent sur eux des phylactères1 très larges, des franges très longues ». Qui n'est jamais tombé dans ce travers d'aimer paraître, d'attirer sur soi la considération et l'intérêt ? Et pourtant, peu importe le nom du prédicateur (ou du théologien, ou du bibliste) : pourvu que, à travers ses paroles, l'auditoire ait entendu la Parole de Dieu.

Quatrième piège, se croire important, avoir le goût des honneurs : « Ils aiment les places d'honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues, les salutations sur les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi ». Pourtant, les titres, les décorations gardent un sens : mais ce n'est pas la personne titrée ou décorée qui est en jeu, ce sont plus profondément les valeurs qu'elle représente. Il faut être très humble pour porter sans ridicule les honneurs dûs à son rang.

Après cette énumération, le texte se retourne : « Pour vous » dit Jésus ; c'est la clé de ce texte qui nous invite à un nouveau mode de vie et de relation. Matthieu le rapporte un peu plus haut : « Vous le savez, les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu'un veut être grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur, et si quelqu'un veut être le premier parmi vous, qu'il soit votre esclave. C'est ainsi que le Fils de l'Homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mt 20, 25 - 28).

« Ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, ne vous faites pas appeler Père, ne vous faites pas non plus appeler maîtres ». « Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? » dit Paul : tout maître est d'abord un écolier. Tout enseignant est d'abord un serviteur, et même doublement serviteur : serviteur de la vérité, serviteur de ses élèves, de leur cheminement, de leur maturation. Voici, encore une fois, dans les paroles de Jésus, un appel à la liberté : que ceux qui portent un titre ne prennent pas les honneurs pour eux et se comportent en serviteurs ; que ceux qui n'en portent pas ne tombent pas dans la servilité ou la courtisanerie !

« Ne donnez à personne sur terre le nom de Père, car vous n'avez qu'un Père, celui qui est aux cieux ». On peut, bien sûr, continuer à employer les titres de père et de maître, mais en leur donnant leur vrai sens et pas davantage ! « Abbé » venait de « Abba » ; « Père », « Pope », « Pape » sonnent comme « Papa » : au fond, c'est la même chose ! Ceux à qui nous donnons ces noms-là sont parmi nous le rappel vivant que nous n'avons qu'un seul et unique « Père » qui est dans les cieux.

Jésus termine en disant : « Qui s'élèvera sera abaissé, qui s'abaissera sera élevé ». Nous ne sommes pas dans le registre de la récompense ou de la punition. Il ne s'agit pas non plus de prendre plaisir à s'humilier. Beaucoup plus profondément, il y a là une des grandes lois de la vie : la force de l'humilité. Dans le mot « humilité », il y a « humus » (terre). Le secret c'est d'être assez lucide pour se reconnaître petit, à ras de terre ; et alors on est tout étonné de se nourrir des richesses de nos frères et de la grâce de Dieu.

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Note

1 - Les phylactères (tefilines en hébreu) sont ces deux petits cubes de cuir noir que les Juifs portaient l'un sur le front, l'autre sur le bras gauche à hauteur du cœur. Ils contiennent quatre passages de la Torah : Ex 13, 1-10 ; Ex 13, 11-16 ; Dt 6, 4-9 ; Dt 11, 13-21.

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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 07:54

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Exode 22, 20 - 26

Quand Moïse transmettait au peuple
les lois du Seigneur, il disait :
20 « Tu ne maltraiteras point l'immigré qui réside chez toi,
tu ne l'opprimeras point,
car vous étiez vous-mêmes des immigrés en Egypte.
21 Vous n'accablerez pas la veuve et l'orphelin.
22 Si tu les accables et qu'ils crient vers moi,
j'écouterai leur cri.
23 Ma colère s'enflammera et je vous ferai périr par l'épée :
vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins.
24 Si tu prêtes de l'argent à quelqu'un de mon peuple,
à un pauvre parmi tes frères,
tu n'agiras pas envers lui comme un usurier :
tu ne lui imposeras pas d'intérêts.
25 Si tu prends en gage le manteau de ton prochain,
tu le lui rendras avant le coucher du soleil.
26 C'est tout ce qu'il a pour se couvrir ;
c'est le manteau dont il s'enveloppe,
la seule couverture qu'il ait pour dormir;
S'il crie vers moi, je l'écouterai,
car moi, je suis compatissant ! »

 

 

Le livre de l'Exode contient plusieurs textes de lois qui sont tous attribués à Moïse : en réalité, Moïse en personne n'a promulgué qu'un premier ensemble de lois ; puis au long de la vie du peuple d'Israël, de nouvelles lois adaptées aux nouvelles conditions sociales ont vu le jour et ont été insérées dans le livre de l'Exode, à la suite des premières. Tout comme notre Code civil ou pénal est régulièrement modifié, complété et pourtant c'est le même livre et il continue à porter le même nom. Mais les lois nouvelles reflètent le contexte nouveau dans lequel elles ont été votées ; elles répondent à de nouvelles questions, de nouvelles formes de délits : toute loi est toujours de circonstance !
Prenons un exemple : supposons que vous soyez dans une galerie de tableaux et que vos yeux s'arrêtent sur une Annonciation ; si la Vierge est représentée en costume Renaissance, vous saurez que le peintre ne vivait certainement pas au temps de Jésus, au premier siècle en Palestine... de la même manière, des textes juridiques rédigés après l'installation en Palestine reflètent la société de leur temps et non plus le contexte sociologique de l'Exode. Par exemple, dans ce même chapitre 22, il y a l'article qui prévoit le cas d'un « voleur surpris à percer le mur d'une maison » (Ex 22, 1) ; il ne date certainement pas des campements sous tente dans le désert du Sinaï ! C'est également le cas dans le texte de ce dimanche : si on s'intéresse au sort des émigrés, c'est que le peuple d'Israël est entré en Palestine, qu'il peut désormais la considérer comme sa terre et que des étrangers viennent à leur tour s'y installer. Toutes conditions, évidemment, non réunies dans le Sinaï pendant l'Exode. Autre chose est un peuple de pasteurs nomades, autre chose un peuple installé, sédentarisé.

En fait, toutes les lois données par Moïse et par ses successeurs, à des époques différentes, dans des conditions de vie différentes, ont été rassemblées là à la suite du Décalogue (ou des Dix Paroles du Sinaï), parce qu'elles en étaient la suite logique, au long des siècles et de l'évolution historique d'Israël.
Deuxième remarque : Israël n'est ni le premier ni le seul peuple à avoir promulgué des lois ; on a retrouvé au Proche-Orient des codes de lois beaucoup plus anciens : à Ur par exemple, (la patrie d'Abraham), on connaît un code qui date de 2050 av.J.C. ; et le fameux code d'Hammourabi (qui se trouve au Musée du Louvre) remonte à environ 1750, toujours av.J.C. Ces codes ont des quantités de points communs, y compris une formulation de type qu'on appelle « casuistique » : par exemple « Si tu prêtes de l'argent ... » ou « Si tu prends en gage le manteau de quelqu'un... ». Mais ce qui est intéressant pour nous, ce sont les nouveautés que la Loi d'Israël apporte par rapport aux peuples voisins.

Dans toutes les civilisations, la loi est faite pour protéger les faibles : rien d'étonnant donc à ce que la Loi d'Israël, comme les autres, défende les intérêts de la veuve, de l'orphelin, de l'immigré, de l'emprunteur. Mais ce qui est nouveau ici c'est le fondement de la Loi.
Le fondement de la Loi d'Israël, c'est la libération d'Egypte : ou, plus exactement, c'est la double expérience de l'esclavage en Egypte et de la libération par Dieu. Et parce que Dieu s'est révélé comme celui qui entend la plainte des humiliés, qui leur rend leur liberté et leur dignité, très logiquement, il continue à travers la Loi à prendre la défense des humiliés. Si bien que toutes les lois bibliques sont émaillées de rappels : rappel de la souffrance endurée quand on était esclaves, humiliés... rappels de l'oeuvre de Dieu libérant son peuple. Par exemple, les premiers mots du Décalogue ne sont pas encore un commandement mais un rappel : « C'est moi le SEIGNEUR ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude » (Ex 20, 2) ; ou encore « Vous avez vu vous-mêmes ce que j'ai fait à l'Egypte, comment je vous ai portés (comme) sur des ailes d'aigle et vous ai fait arriver jusqu'à moi » (Ex 19, 4).

Et si Dieu a libéré son peuple c'est parce qu'il a entendu le cri des malheureux : « Les fils d'Israël gémirent du fond de la servitude et crièrent. Leur appel monta vers Dieu du fond de la servitude. Dieu entendit leur plainte ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob... » (Ex 2, 23-24). De même dans l'épisode du buisson ardent : « Le SEIGNEUR dit : J'ai vu la misère de mon peuple en Egypte et je l'ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer » (Exode 3, 7).
Voilà le fondement de toute Loi en Israël : le Dieu qui entend le cri des malheureux, qui connaît leurs souffrances et donc prend leur défense. « Car moi, je suis compatissant » dit la dernière phrase de notre texte. [1]
Pour ce peuple qui a fait l'expérience de l'humiliation, il n'est pas difficile de se mettre à la place des humiliés : « Tu ne maltraiteras point l'immigré qui réside chez toi, tu ne l'opprimeras point, car vous étiez vous-mêmes des immigrés en Egypte ». C'est le texte d'aujourd'hui ; un peu plus loin, le même thème est repris : « Tu n'opprimeras pas l'émigré : vous connaissez vous-mêmes la vie de l'émigré, car vous avez été émigrés au pays d'Egypte » (Ex 23, 9). Traduisez : parce que vous savez ce que c'est qu'être humilié, vous n'humilierez personne. Ce n'est pas affaire de raisonnement, de beaux sentiments, c'est affaire d'expérience, quelque chose comme « vous savez ce que c'est, alors mettez-vous à leur place ».

Petite précision au passage : l'immigré dont il s'agit ici, c'est l'étranger qui réside durablement dans le pays, qui s'y installe ; il ne s'agit pas de l'étranger de passage, du touriste, qui bénéficiait de l'hospitalité proverbiale en Orient.
Les quelques commandements du texte d'aujourd'hui relèvent tous de la même logique : mettez-vous à la place du pauvre, de l'emprunteur, de la veuve, de l'orphelin ; ne les maltraitez pas, car Dieu entend leur cri ; nous sommes encore au tout début de la Révélation biblique (même si ces textes sont postérieurs à Moïse) mais déjà on sait que Dieu est concerné par la souffrance humaine, et qu'il vient au secours des pauvres et des humiliés.

Malheureusement, pour l'instant, il faut encore menacer pour que la loi soit respectée : « Ma colère s'enflammera et je vous ferai périr par l'épée ». Un jour viendra, nous le savons, où l'homme éduqué peu à peu par Dieu et par la Loi n'aura plus besoin de menaces, car il aura appris à voir en tout homme un frère.
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Note
1 - Le mot « compatissant » n'est pas à entendre ici au sens latin (« compatir », en latin, signifie « souffrir avec »). En hébreu, le mot employé dans ce texte signifie « bienveillant », « ayant pitié ».

 

 

 

 

PSAUME 17 (18) 2-3, 4. 20, 47. 51ab

2 Je t'aime, SEIGNEUR, ma force :
3 SEIGNEUR, mon roc, ma forteresse,
Dieu mon libérateur, le rocher qui m'abrite,
mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !

4 Louange à Dieu ! Quand je fais appel au SEIGNEUR,
je suis sauvé de tous mes ennemis.
20 Lui m'a dégagé, mis au large,
il m'a libéré, car il m'aime.

47 Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Rocher !
Qu'il triomphe, le Dieu de ma victoire.
51 Il donne à son roi de grandes victoires,
il se montre fidèle à son messie pour toujours.

 

 

Le deuxième livre de Samuel dit que David a chanté ce psaume [1] pour remercier Dieu de l'avoir délivré de tous ses ennemis, à commencer par Saül ; et si vous avez la curiosité de consulter ce deuxième livre de Samuel au chapitre 22, vous y retrouverez le texte de ce psaume 17/18 presque à l'identique ; je vous rappelle l'histoire telle qu'elle est racontée dans les deux livres de Samuel : à l'époque le roi légitime d'Israël, choisi par Dieu et consacré par l'onction d'huile du prophète Samuel, ce n'était pas David (pas encore), mais Saül, le premier roi d'Israël.

Mais celui-ci ne remplissait plus sa mission ; son règne, bien commencé, se terminait mal. Au lieu d'écouter le prophète, il avait sciemment transgressé ses ordres, et le prophète Samuel l'avait désavoué. C'est alors qu'il avait choisi David encore très jeune pour qu'il soit formé à la cour et qu'il succède plus tard à Saül. Celui-ci est donc resté le roi en titre jusqu'à sa mort, mais il a dû supporter de voir grandir à la cour David, son rival de plus en plus populaire et à qui tout réussissait. Si bien qu'une haine farouche remplit peu à peu le coeur de Saül et qu'il essaya, à plusieurs reprises, mais vainement, de se débarrasser de David. Une fois entre autres, Saül poursuivait David et c'est dans une caverne que David a trouvé refuge. D'où l'expression : « Dieu mon libérateur, le rocher qui m'abrite... » Choisi, à sa grande surprise, pour être le futur roi, David savait qu'il pouvait compter sur la protection de Dieu : « Quand je fais appel au SEIGNEUR, je suis sauvé de tous mes ennemis. »

Ou encore : « Dieu, mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !... Qu'il triomphe, le Dieu de ma victoire. Il donne à son roi de grandes victoires ». Cela nous rappelle par exemple l'épisode de la lutte entre David et Goliath : David armé d'une simple fronde affrontait le géant équipé de pied en cap et armé jusqu'aux dents ; vexé de l'accoutrement excessivement simple de son rival, Goliath lui avait dit : « Suis-je un chien pour que tu viennes à moi armé de bâtons ?...Viens ici que je donne ta chair aux oiseaux et aux bêtes des champs ». Et David lui avait répondu : « Toi, tu viens à moi armé d'une épée, d'une lance et d'un javelot ; moi, je viens à toi, armé du nom du SEIGNEUR le Tout-Puissant, le Dieu des lignes (armées) d'Israël que tu as défié. Aujourd'hui même le SEIGNEUR te remettra entre mes mains... et toute la terre saura qu'il y a un Dieu pour Israël. Et toute cette assemblée le saura : ce n'est ni par l'épée, ni par la lance que le SEIGNEUR donne la victoire, mais le SEIGNEUR est le maître de la guerre et il vous livrera entre nos mains » (1S 17, 43-47).

Quant au peuple d'Israël tout entier, son expérience, là aussi très concrète, affleure à toutes les lignes de ce psaume ; celui-ci est beaucoup plus long que les quelques versets qui ont été retenus pour la liturgie de ce trentième dimanche, mais déjà dans les seuls versets retenus ici, il y a des échos extrêmement riches de l'expérience d'Israël : « SEIGNEUR, mon roc... Dieu mon libérateur, le rocher qui m'abrite... Lui m'a dégagé, mis au large, il m'a libéré car il m'aime. Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Rocher ! ... » Tout d'abord, bien avant David, on avait expérimenté qu'une caverne dans un rocher peut être un lieu d'asile ; le livre des Juges en donne des exemples ; dire que Dieu est notre Rocher, c'est donc d'abord dire qu'il est notre secours, notre appui le plus sûr. Par exemple, on trouve dans le Deutéronome le fameux cantique de Moïse au Rocher d'Israël : « Reconnaissez la grandeur de notre Dieu, Lui le Rocher, son action est parfaite, tous ses cheminements sont judicieux ; c'est le Dieu fidèle, il n'y a pas en lui d'injustice, il est juste et droit » (Dt 32, 3-4). A une époque où on pense que chaque peuple a son dieu protecteur, on admet bien que les autres peuples puissent avoir leur rocher, mais il ne vaut quand même pas celui d'Israël ; on trouve dans le même cantique cette phrase superbe : « Le Rocher de nos ennemis n'est pas comme notre Rocher » (Dt 32, 31).

Moïse, quand il parle de rocher, lui donne certainement encore un autre sens ; on a là évidemment un écho de la libération d'Egypte (« Le SEIGNEUR m'a libéré car il m'aime ») et aussi de l'Exode, la longue marche au Sinaï ; tout au long de ce périple éprouvant, dans la chaleur, la faim, la soif, parmi les scorpions et les serpents brûlants, la présence de Dieu, sa sollicitude ont été le secours du peuple ; une sollicitude qui est allée jusqu'à faire couler l'eau du Rocher : c'est le célèbre passage de Massa et Meriba ; là où on a eu tellement soif qu'on a eu peur d'en mourir et qu'on a accusé Moïse de vouloir la mort du peuple... L'histoire de cette révolte hante la mémoire d'Israël car elle est typique des doutes qui assaillent le croyant ; mais ici, ce n'est pas la révolte qui est évoquée, c'est la bonté de Dieu qui répond à la révolte par un don plus grand encore : « Là-bas, le peuple eut soif ; le peuple murmura contre Moïse : Pourquoi donc, dit-il, nous as-tu fait monter d'Egypte ? Pour me laisser mourir de soif, moi, mes fils et mes troupeaux ? Alors Moïse cria au SEIGNEUR : Que dois-je faire pour ce peuple ? Encore un peu, ils vont me lapider. » Et Dieu répondit « Tu frapperas le Rocher, il en sortira de l'eau et le peuple boira » (Ex 17, 3-6).

Quand le peuple d'Israël chante ce psaume, il rappelle donc cette présence fidèle depuis toujours à ses côtés de Celui dont le Nom même est « Je suis avec vous » ; mais ce rappel est aussi la source de son espérance ; car tout comme David, ce peuple attend la réalisation des promesses du Dieu fidèle, la venue du Messie qui libèrera définitivement l'humanité. « Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Rocher ! Qu'il triomphe, le Dieu de ma victoire. Il donne à son roi de grandes victoires, il se montre fidèle à son Messie pour toujours ».

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Note
1 - Cela ne prouve pas que, historiquement, David a dit textuellement ces paroles-là, mais que le rédacteur final du livre de Samuel a pensé que ce psaume s'appliquait particulièrement bien à David.

 

 

 

 

DEUXIEME LECTURE - 1 Thessaloniciens 1, 5c - 10

Frères,
5 vous savez comment nous nous sommes comportés chez vous
pour votre bien.
6 Et vous, vous avez commencé à nous imiter, nous et le Seigneur,
en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves
avec la joie de l'Esprit Saint.
7 Ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants
de Macédoine et de toute la Grèce.
8 Et ce n'est pas seulement en Macédoine et dans toute la Grèce
qu'à partir de chez vous la parole du Seigneur a retenti,
mais la nouvelle de votre foi en Dieu s'est si bien répandue partout
que nous n'avons plus rien à en dire.
9 En effet, quand les gens parlent de nous,
ils racontent l'accueil que vous nous avez fait ;
ils disent comment vous vous êtes convertis à Dieu
en vous détournant des idoles,
afin de servir le Dieu vivant et véritable,
10 et afin d'attendre des cieux son Fils
qu'il a ressuscité d'entre les morts,
Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient.

 

 

Partout où il passe, Paul entend parler du rayonnement de la jeune communauté de Thessalonique ; il en déduit que sa prédication a porté son fruit. La Parole accueillie par les Thessaloniciens dans la joie les a transformés en profondeur et, du coup, ils sont devenus un modèle pour les autres ... comme une traînée de poudre.
Pourtant les conditions de leur conversion n'étaient pas faciles : puisque Paul précise qu'ils ont accueilli la Parole « au milieu de bien des épreuves ». Paul fait allusion ici à l'hostilité de certains Juifs à la prédication chrétienne ; Paul, lui-même, Silvain et Timothée ont essuyé les premiers ce refus de l'Evangile par ceux à qui il était destiné en priorité ; maintenant, c'est la nouvelle communauté chrétienne de Thessalonique qui relève le flambeau et qui rencontre à son tour la persécution ; mais elle tient bon comme l'ont fait avant elle le Christ lui-même puis ses apôtres ; c'est le sens de la phrase « Vous avez commencé à nous imiter, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves avec la joie de l'Esprit Saint ». Apparemment, la joie est un élément important de l'accueil de la Parole !... cette joie intérieure qui est la signature de l'Esprit Saint.

« Vous vous êtes convertis à Dieu en vous détournant des idoles » ; évidemment, on se demande de quelles « idoles » il s'agit... cela peut vouloir dire soit divinité païenne, soit (pour des Juifs) une fausse image de Dieu. Or la communauté chrétienne naissante de Thessalonique était très mélangée : d'après les Actes des Apôtres « certains des Juifs se laissèrent convaincre et furent gagnés par Paul et Silas, ainsi qu'une multitude de Grecs adorateurs de Dieu et bon nombre de femmes de la haute société. » (Ac 17, 4).

Avant leur adhésion au Christianisme, ces divers groupes ne pratiquaient pas la même religion ; on n'a aucune précision sur la pratique religieuse des femmes dont Paul parle ici, et il y avait peut-être parmi elles et parmi les Grecs, des gens qui pratiquaient le culte des divinités païennes ; (on sait qu'au moins vingt divinités païennes différentes étaient vénérées à Thessalonique : on en a retrouvé des traces sur des colonnes) ; mais les Juifs et les Grecs réputés « adorateurs de Dieu » ne vénéraient certainement pas des idoles au sens strict : au contraire ils vénéraient le même Dieu que Paul, le Dieu vivant d'Israël. Seulement, on pouvait adorer le Dieu d'Israël et avoir quand même besoin de se convertir : Paul en savait quelque chose ! Lui aussi était adorateur du vrai Dieu, Juif convaincu et c'est au nom même de ses convictions et de l'idée qu'il se faisait de Dieu qu'il avait commencé par persécuter les Chrétiens ; maintenant, il était passé de l'autre côté de la barrière, si on peut dire, et donc il comprenait très bien ce qui se passait. Face à la prédication chrétienne, certains adoptaient l'attitude de Paul, avant sa conversion, d'autres suivaient le Paul du chemin de Damas. La distance entre les deux, c'est l'abandon de ses idées toutes faites sur Dieu, ses idoles, et la découverte du vrai Dieu tel qu'il s'est manifesté en Jésus-Christ.

Ici, Paul emploie une expression superbe : « Vous vous êtes convertis à Dieu », littéralement « vous vous êtes tournés vers Dieu » ; en grec ce sont les mots mêmes que Saint Jean emploie pour parler de la relation de dialogue sans ombre, de communion, qui unit le Père et le Fils : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1). Parce qu'ils ont accepté d'ouvrir leur coeur à la Parole de l'apôtre, les Thessaloniciens ont reçu la grâce de la conversion, du retournement. Désormais, eux aussi, comme le Christ, ils sont tournés vers Dieu et cela leur a donné tous les courages. Comme dit Saint Jean, encore, dans le Prologue, « A ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).

Une fois de plus, on peut penser que Saint Paul avait en mémoire les chants du Serviteur du prophète Isaïe quand il écrivait ces lignes : « Le SEIGNEUR Dieu m'a donné une langue de disciple ; pour que je sache soulager l'affaibli, il fait surgir une parole. Matin après matin, il me fait dresser l'oreille, pour que j'écoute comme les disciples ; le SEIGNEUR Dieu m'a ouvert l'oreille. Et moi, je ne me suis pas cabré, je ne me suis pas rejeté en arrière. J'ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe ; je n'ai pas caché mon visage face aux outrages et aux crachats. C'est que le SEIGNEUR Dieu me vient en aide... » (Is 50, 4-7).
Saint Paul reconnaît dans ses disciples de Thessalonique la même attitude : ils ont accueilli la Parole et ont puisé en elle la force de tenir bon malgré la persécution parce que le Seigneur Dieu leur venait en aide. Désormais, ils sont à l'abri de « la colère qui vient », car, comme dit encore Saint Jean, « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n'est pas jugé (Jn 3, 17). Et Paul lui-même, dit un peu plus loin, dans cette même lettre « Dieu ne nous a pas destinés à subir sa colère, mais à posséder le salut par Notre Seigneur Jésus-Christ » (1 Thess 5, 9). La « colère de Dieu », c'est une expression classique pour évoquer la fin des temps. Ce sera le jour de la délivrance, où Dieu supprimera tout ce qui fait du mal à l'homme.

Désormais, en Jésus-Christ, on ne craint plus le jugement de Dieu, au contraire on est impatient de voir s'accomplir pleinement le projet de Dieu ; il y a là, c'est très net dans tout le Nouveau Testament, et en particulier chez Saint Paul, un élément très important de la foi chrétienne, l'attente ; non pas une attente passive, comme sur le quai de la gare, mais une attente fervente, ardente, passionnée ; celle qui nous fait dire chaque jour avec impatience « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »... et cette volonté, nous le savons bien, et c'est pour cela que nous la voulons si fort aussi, c'est que la Bonne Nouvelle de l'amour soit proclamée et vécue partout et par tous.

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Compléments
Dès l'Ancien Testament, on avait compris que la colère de Dieu ne vise pas l'homme lui-même ; elle vise le mal qui abîme l'homme. Mais Jésus-Christ est celui qui instaure définitivement le règne de l'amour sur la terre ; celui qui croit en Jésus-Christ vit dans l'amour et triomphe du mal et de la mort à son tour. Encore une phrase de l'évangile de Jean : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. » (Jn 5, 24).

 

 

 

 

EVANGILE Matthieu 22, 34 - 40

Les pharisiens,
apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens,
se réunirent,
et l'un d'eux, un docteur de la Loi, lui posa une question
pour le mettre à l'épreuve :
« Maître, dans la Loi,
quel est le grand commandement ? »
Jésus lui répondit :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton coeur,
de toute ton âme et de tout ton esprit.
38 Voilà le grand, le premier commandement.
39 Et voici le second, qui lui est semblable :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Tout ce qu'il y a dans l'Ecriture,
- dans la Loi et les Prophètes, -
dépend de ces deux commandements. »

 

 

Apparemment, il n'y a rien de nouveau dans la réponse de Jésus aux Pharisiens : eux-mêmes auraient fort bien pu répondre à la question tout seuls, car on connaissait parfaitement ces deux commandements tous deux inscrits dans la Loi d'Israël : Tu aimeras le Seigneur, tu aimeras ton prochain.
- « Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit » : c'est dans le Livre du Deutéronome au chapitre 6, cela fait partie de la profession de foi juive, le Shema Israël ;
- « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », c'est dans le livre du Lévitique (Lv 19, 18).
Mais alors, pourquoi la question des Pharisiens et cette réponse de Jésus sont-elles présentées par Saint Matthieu comme un épisode important de la polémique entre Jésus et les Pharisiens ?
Le contexte, ici, est important : nous sommes toujours, chez Saint Matthieu, dans la dernière étape de la vie terrestre de Jésus, entre son entrée triomphale à Jérusalem et sa Passion. Les discussions se succèdent entre celui que la foule a reconnu comme le Messie et les autorités religieuses, qui, croient-elles, ont, seules, autorité pour reconnaître le véritable Messie. Jésus a raconté trois paraboles (celle des deux fils, celle des vignerons homicides et enfin celle du banquet nuptial et de la robe de noces). C'est le tour des autorités religieuses, maintenant, de lui poser trois questions, dans l'intention de le prendre au piège : celle sur l'impôt à payer à César, celle sur la résurrection des morts et enfin, celle d'aujourd'hui : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »
On interroge Jésus sur la Loi, il répond par deux phrases de la Loi ; mais il n'établit pas une hiérarchie entre les six cent-treize commandements de la Loi, ni même entre ces deux-là qui sont semblables, à ses yeux ; il dit « ces deux-là donnent sens à tous les autres » : « Tout ce qu'il y a dans l'Ecriture - dans la Loi et les Prophètes - dépend de ces deux commandements ».
Il est vrai que la Loi, mais aussi les Prophètes liaient très fort ces deux commandements ; pour la Loi, il suffit de relire le Décalogue, ce que nous appelons les dix commandements : les commandements concernant la conduite envers Dieu sont immédiatement suivis des commandements concernant la conduite envers les autres. Et l'ensemble de la Loi, nous l'avons revu avec le texte du livre de l'Exode qui nous est proposé en première lecture, quand elle dictait la conduite envers les autres, spécialement envers les pauvres, les veuves, les orphelins, les immigrés, le faisait au nom du Dieu de l'Alliance, ce Dieu que l'on devait aimer de tout son coeur et de toute son âme...
Quant aux Prophètes, ils n'avaient fait que rappeler ce lien entre les deux commandements : Isaïe, par exemple : « Le jeûne que je préfère, n'est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref, que vous mettiez en pièces tous les jougs ! » (Is 58, 6) ou encore Michée : « On t'a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d'autre que le respect du droit, l'amour de la fidélité, la vigilance dans ta marche avec Dieu » (Mi 6, 8).
En résumé, dans la Loi comme chez les Prophètes, la grande leçon c'était « si vous voulez être les fils du Dieu qui vous a libérés, soyez des libérateurs à votre tour ». Ce qui veut dire que l'expression « tu aimeras » engage une conduite concrète, beaucoup plus qu'un sentiment.
Sur tous ces points, les Pharisiens étaient certainement d'accord, et là se repose la question du début : pourquoi y avait-il matière à polémique ? On peut imaginer deux raisons :
Premièrement, Jésus invite ses interlocuteurs à sortir de l'esprit légaliste : les Pharisiens discutaient à longueur de temps pour savoir quel commandement était le plus important ; quand un conflit de devoirs se présentait, il fallait bien hiérarchiser les divers commandements ; et leur question porte bien là-dessus : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Jésus les appelle à une conversion radicale : avec Dieu on n'est pas dans le domaine du calcul, de ce qu'il faut faire pour être en règle ; on est sous la seule loi de l'amour. Saint Paul, l'ancien Pharisien scrupuleux, qui a fait l'expérience de cette conversion, dira dans la lettre aux Romains « Vous n'êtes plus sous la loi mais sous la grâce » (Rm 6, 14). Et si l'on entre dans la logique de l'amour, ces deux commandements sont semblables, dit Jésus, ils sont de même nature ; bien sûr, car il n'y a pas deux sortes d'amour ! Celui dont on aimerait Dieu et celui dont on aimerait nos frères ; le second est la vérification du premier ; comme dit Saint Jean : « Si quelqu'un dit : J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur. En effet, celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne peut pas aimer Dieu qu'il ne voit pas. » (1 Jn 4, 20).
Deuxièmement, Jésus met en garde les Pharisiens : il y a des manières d'appliquer la loi qui la trahissent ; elle a été donnée par Dieu pour être un chemin de liberté et de vie, mais on peut très bien en faire un esclavage et même parfois un chemin de mort : par exemple quand le commandement du repos sabbatique vous conduit à laisser à l'abandon un malade ou un mourant, la loi qui dicte le service du frère est trahie.
Donc, ce que Jésus cherche à faire comprendre aux Pharisiens, c'est qu'ils risquent, au nom même de la Loi, d'oublier le commandement de l'amour.
Il est certain que c'est un thème cher à Saint Matthieu : lui, le seul des évangélistes à citer deux fois la phrase du prophète Osée « C'est la miséricorde que je veux et non les sacrifices » (Osée 6, 6) [1] ; lui aussi, le seul à rapporter la parabole du jugement dernier « chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25, 40).

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Note
1 - Matthieu cite cette phrase du prophète Osée une première fois dans le récit de sa vocation (Mt 9, 13) ; la deuxième fois, c'est précisément à l'occasion d'une controverse de Jésus avec les Pharisiens sur une question similaire à celle de ce dimanche. Il s'agit de l'épisode des épis arrachés dans un champ de blé par les disciples un jour de sabbat. Les Pharisiens reprochent à Jésus ce manquement : « Vois tes disciples qui font ce qu'il n'est pas permis de faire le jour du sabbat. » Jésus leur répond : « Si vous aviez compris ce que signifie : C'est la miséricorde que je veux, non le sacrifice, vous n'auriez pas condamné ces hommes. » (Mt 12, 1-8).

 

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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 06:47

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 45 , 1 ...6

1 Parole du SEIGNEUR au roi Cyrus,
qu'il a consacré, qu'il a pris par la main,
pour lui soumettre les nations et désarmer les rois,
pour lui ouvrir les portes à deux battants,
car aucune porte ne restera fermée :
4 « A cause de mon serviteur Jacob et d'Israël mon élu,
je t'ai appelé par ton nom,
je t'ai décerné un titre,
alors que tu ne me connaissais pas.
5 Je suis le SEIGNEUR, il n'y en a pas d'autre :
en dehors de moi, il n'y a pas de Dieu.
Je t'ai rendu puissant,
alors que tu ne me connaissais pas,
6 pour que l'on sache, de l'Orient à l'Occident,
qu'il n'y a rien en dehors de moi. »

On ne peut quand même pas dire que l'histoire se répète toujours ! Un prophète juif a pu aller jusqu'à dire qu'un roi d'Iran était le Messie ! Les temps ont bien changé...

Quand Isaïe écrit ce texte, les Juifs sont en exil à Babylone depuis presque cinquante ans ; depuis que, en 587, les armées de Nabuchodonosor ont conquis Jérusalem, pillé et dévasté le Temple et emmené comme prisonniers de guerre les survivants encore valides. Et voici que, de toute la région, parviennent les bruits des conquêtes du nouveau maître du monde, Cyrus, le roi de Perse. Or, curieusement, ces bruits sont une bonne nouvelle pour les Juifs déportés à Babylone : tout le monde sait que bientôt toute la région appartiendra à ce nouvel empereur Cyrus à qui rien ne résiste ; tout le monde sait aussi, car c'est assez inhabituel pour impressionner les foules, que contrairement à tous les autres souverains du temps, celui-là pratique une politique humanitaire : il laisse la vie sauve aux vaincus, ne dévaste pas, ne pille pas, ne déplace pas les populations ; dans tous les pays qu'il conquiert, il rencontre des populations déplacées par les vainqueurs : (c'est le cas des Juifs exilés à Babylone par Nabuchodonosor) ; à chaque fois, il les renvoie dans leur pays, leur rend les biens volés par les conquérants précédents et leur donne même les moyens de reconstruire leur pays. Sans doute a-t-il compris qu'un empereur a tout intérêt à être le maître de peuples heureux.

C'est dans ce contexte qu'Isaïe prononce cette prophétie qui sonne comme une extraordinaire profession de foi : il commence par dire « Parole du SEIGNEUR au roi Cyrus » : en réalité, il ne parle pas directement à Cyrus lui-même qui ne lira jamais le livre d'un obscur prophète juif : plus vraisemblablement, le message d'Isaïe est adressé aux exilés pour leur redonner espoir, un espoir qui repose sur deux convictions :
Première conviction, Dieu reste fidèle à son Alliance, il n'abandonne pas son peuple élu : c'est le sens de l'expression « A cause de mon serviteur Jacob et d'Israël mon élu ». N'oublions pas que cette phrase est prononcée au moment même où on aurait toutes les raisons d'en douter. Si Israël peut être tombé aussi bas, avoir tout perdu, non seulement son indépendance politique, mais pire sa liberté, sa terre, son Temple, son roi... on peut quand même se demander si Dieu n'a pas abandonné son peuple... et certains se le demandent. C'est pour eux justement que le prophète Isaïe proclame de toutes ses forces « Jacob est toujours le serviteur de Dieu, Israël est toujours son élu »... il n'ajoute pas, mais Saint Paul le dira plus tard « Car Dieu ne peut pas se renier lui-même ». Voilà donc la première conviction d'Isaïe.

Deuxième conviction, Dieu reste le maître des événements : « Je suis le SEIGNEUR, il n'y en a pas d'autre : en dehors de moi, il n'y a pas de Dieu ». Traduisez Cyrus, lui-même, le grand roi païen, est dans sa main : les expressions « consacrer », « donner un titre », « prendre par la main », « ouvrir les portes à deux battants » sont des allusions aux rites du sacre des rois : effectivement, le jour de son sacre, le nouveau roi recevait le nom de fils de Dieu, puis l'onction d'huile ; désormais il était dans la main de Dieu ; pour entrer dans la salle du trône, les portes s'ouvraient, symbole de toutes les portes des villes ennemies qui céderaient bientôt devant lui. Isaïe multiplie les allusions au sacre des rois d'Israël comme si Dieu lui-même avait choisi et sacré Cyrus comme roi à son service. Mais c'est Dieu qui garde l'initiative.

Ce texte n'est donc pas, malgré les apparences, une hymne à la gloire du roi Cyrus. On pourrait dire, au contraire, qu'il le remet à sa place ! Car la tentation d'idolâtrie était réelle en milieu babylonien. Et ce même chapitre 45 d'Isaïe comporte d'autres vigoureuses mises en garde contre l'idolâtrie et l'affirmation répétée que Dieu est Unique. C'est donc précisément au moment où Cyrus vole de victoires en victoires qu'Isaïe rappelle au peuple juif que Dieu est le seul Seigneur véritable ; Cyrus lui-même est dans sa main : Dieu saura faire tourner le succès de ce roi païen au profit de son peuple élu. Et ce roi païen ne saura même pas lui-même qu'il sert bien involontairement les projets de Dieu ; Isaïe insiste bien : « A cause de mon serviteur Jacob et d'Israël mon élu, je t'ai appelé par ton nom, je t'ai décerné un titre, alors que tu ne me connaissais pas... Je t'ai rendu puissant alors que tu ne me connaissais pas ». A la limite la phrase est écrite de telle manière que le peuple élu semble le plus important, lui qui est pourtant dans une situation apparemment désespérée.

Mais c'est cela la foi du prophète justement : l'espoir qui repose sur ces deux convictions peut se traduire : « Puisque Dieu reste le maître et qu'il ne vous oublie pas, alors gardez courage ! De cette domination, de cette botte étrangère, Dieu saura faire sortir du bien. Aucun pouvoir humain, si grand soit-il, ne résiste à Dieu ». Plus tard, Saint Paul dira « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu », c'est-à-dire de ceux qui lui font confiance (Rm 8, 28). On connaît la suite : l'avenir a donné raison à Isaïe ; Cyrus a effectivement conquis Babylone en 539. Il a autorisé les Juifs, dès 538, à rentrer à Jérusalem, en leur rendant les biens volés par Nabuchodonosor et en leur donnant une subvention pour reconstruire le Temple de Jérusalem.

Dernière remarque : Cyrus est appelé « messie » parce qu'il a été choisi par Dieu pour libérer son peuple. Il n'est pourtant ni roi, ni prêtre, ni prophète en Israël, mais le plus important c'est l'oeuvre qu'il accomplit. On peut en déduire que chaque fois que quelqu'un agit dans le sens d'une libération véritable des hommes, il accomplit l'oeuvre de Dieu. Il y a là l'une des grandes révélations de la Bible. Evidemment, il faut s'entendre sur le mot « libération »...
Bien sûr, parmi les auditeurs d'Isaïe, certains ont trouvé qu'il poussait l'audace un peu loin. Cela nous vaut une superbe réplique du prophète (quelques lignes plus bas dans ce même chapitre 45) : c'est Dieu qui parle « Au sujet de l'oeuvre réalisée par mes mains, est-ce que vous me donneriez des ordres par hasard ? » (Is 45, 11).

PSAUME 95 (96)

Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
chantez au SEIGNEUR, terre entière,
2 chantez au SEIGNEUR et bénissez son nom !

De jour en jour proclamez son salut,
3 racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations, ses merveilles !

4 Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué,
redoutable au-dessus de tous les dieux :
5 néant tous les dieux des nations !

Lui, le SEIGNEUR, a fait les cieux :
6 devant lui, splendeur et majesté,
dans son sanctuaire, puissance et beauté.

7 Rendez au SEIGNEUR, familles des peuples,
rendez au SEIGNEUR la gloire et la puissance,
8 rendez au SEIGNEUR la gloire de son nom.

Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis,
9 adorez le SEIGNEUR, éblouissant de sainteté :
tremblez devant lui, terre entière.

10 Allez dire aux nations : « Le SEIGNEUR est roi ! »
le monde, inébranlable, tient bon.
Il gouverne les peuples avec droiture.

11 Joie au ciel ! Exulte la terre !
Les masses de la mer mugissent,
12 la campagne tout entière est en fête.

Les arbres des forêts dansent de joie
13 devant la face du SEIGNEUR, car il vient,
car il vient pour juger la terre.

Il jugera le monde avec justice,
et les peuples selon sa vérité !

C'est trop dommage de ne lire que quelques versets de ce merveilleux psaume 95/96 ; je l'ai donc transcrit en entier. Une espèce de frémissement, d'exaltation court sous tous ces versets. Pourquoi est-on tout vibrants ? Alors que, pourtant, on chante ce psaume dans le Temple de Jérusalem dans une période qui n'a rien d'exaltant ! Mais c'est la foi qui fait vibrer ce peuple, ou plutôt c'est l'espérance... qui est la joie de la foi... l'espérance qui permet d'affirmer avec certitude ce qu'on ne possède pas encore.

Car on est en pleine anticipation : le psaume nous transporte déjà à la fin du monde, en ce jour béni où tous les peuples sans exception reconnaîtront Dieu comme le seul Dieu. Le jour, où enfin l'humanité tout entière aura mis sa confiance en lui seul. Imaginons un peu cette scène que nous décrit le psaume : nous sommes à Jérusalem ... et plus précisément dans le Temple ; tous les peuples, toutes les nations, toutes les races se pressent aux abords du Temple, l'esplanade grouille de monde, les marches du parvis du Temple sont noires de monde, la ville de Jérusalem n'y suffit pas... aussi loin que porte le regard, les foules affluent... il en vient de partout, il en vient du bout du monde. Et toute cette foule immense chante à pleine gorge, c'est une symphonie ; que chantent-ils ? « Dieu règne ! » C'est une clameur immense, superbe, gigantesque... Une clameur qui ressemble à l'ovation qu'on faisait à chaque nouveau roi le jour de son sacre, mais cette fois, ce n'est pas le peuple d'Israël qui acclame un roi de la terre, c'est l'humanité tout entière qui acclame le roi du monde : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, redoutable » (toutes ces expressions sont empruntées au vocabulaire de cour).

En fait, c'est beaucoup plus encore que l'humanité : la terre elle-même en tremble. Et voilà que les mers aussi entrent dans la symphonie : on dirait qu'elles mugissent. Et les campagnes entrent dans la fête, les arbres dansent. A-t-on déjà vu des arbres danser ? Et bien oui, ce jour-là ils dansent ! Bien sûr, si on y réfléchit, c'est normal ! Les mers sont moins bêtes que les hommes ! Elles, elles savent qui les a faites, qui est leur Créateur ! Elles mugissent pour Lui, elles l'acclament à leur manière. Les arbres des forêts, eux aussi, sont moins bêtes que les hommes : ils savent reconnaître leur Créateur : parmi des tas d'idoles, de faux dieux, pas d'erreur possible, les arbres ne s'y laissent pas prendre.

Les hommes, eux, se sont laissé berner longtemps... Il suffit de se rappeler les prophéties d'Isaïe (et en particulier notre première lecture de ce vingt-neuvième dimanche) et l'insistance du prophète pour dire « Je suis le SEIGNEUR, il n'y en a pas d'autre ; en-dehors de moi, il n'y a pas de Dieu ». Ce qui prouve que, du temps d'Isaïe, l'idolâtrie, sous une forme ou sous une autre n'était pas loin ! On entend ici cette même pointe contre l'idolâtrie : « néant les dieux des nations ». Il est incroyable que les hommes aient mis si longtemps à reconnaître leur Céateur, leur Père... qu'il ait fallu leur redire cent fois cette évidence que le Seigneur est « redoutable au-dessus de tous les dieux » ; que « c'est LUI, le Seigneur, (sous-entendu « et personne d'autre ») qui a fait les cieux ».

Mais cette fois c'est arrivé ! Et on vient à Jérusalem pour acclamer Dieu parce qu'enfin on a entendu la bonne nouvelle ; et si on a pu l'entendre c'est parce qu'elle était clamée à nos oreilles depuis des siècles ! Oui, « de jour en jour, Israël avait proclamé son salut »... de jour en jour Israël avait raconté l'oeuvre de Dieu, ses merveilles, traduisez son oeuvre incessante de libération... de jour en jour Israël avait témoigné que Dieu l'avait libéré de l'Egypte d'abord, puis de toutes les sortes d'esclavage : et le plus terrible des esclavages, c'est de se tromper de Dieu, c'est de mettre sa confiance dans de fausses valeurs, des faux dieux qui ne peuvent que décevoir, des idoles...

Israël a cette chance immense, cet honneur inouï, ce bonheur de savoir et d'être chargé de dire que le Seigneur notre Dieu, l'Eternel est le seul Dieu, est le Dieu UN ; comme le dit la profession de foi juive, le « Shema Israël » : « Ecoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN ». C'est le mystère de la vocation d'Israël dont on n'a pas fini de s'émerveiller ; comme le dit le livre du Deutéronome : « A toi, il t'a été donné de voir, pour que tu saches que c'est le SEIGNEUR qui est Dieu : il n'y en a pas d'autre que lui. » Mais le peuple choisi n'a jamais oublié que s'il lui a été donné de voir, c'est pour qu'il le fasse savoir.

Et alors, enfin, la bonne nouvelle a été entendue jusqu'aux extrémités de la terre... et tous se pressent pour entrer dans la Maison de leur Père. Nous sommes là en pleine anticipation ! En attendant que ce rêve se réalise, le peuple d'Israël fait retentir ce psaume pour renouveler sa foi et son espérance, pour puiser la force de faire entendre la bonne nouvelle dont il est chargé.

DEUXIEME LECTURE - 1 Thessaloniciens 1, 1 - 5

1 Nous, Paul, Silvain et Timothée,
nous nous adressons à vous,
l'Eglise de Thessalonique qui est en Dieu le Père
et en Jésus Christ le Seigneur :
que la grâce et la paix soient avec vous.
2 A tout instant, nous rendons grâce à Dieu à cause de vous tous,
en faisant mention de vous dans nos prières.
3 Sans cesse nous nous souvenons
que votre foi est active,
que votre charité se donne de la peine,
que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ,
en présence de Dieu notre Père.
4 Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu,
vous avez été choisis par lui.
5 En effet, notre annonce de l'Evangile chez vous
n'a pas été simple parole,
mais puissance, action de l'Esprit Saint, certitude absolue.

Voilà le premier écrit chrétien ! Nous avons tellement l'habitude de voir les évangiles figurer en tête du Nouveau Testament que nous risquons d'oublier qu'ils sont postérieurs aux lettres de Paul. La Première lettre aux Thessaloniciens date d'une vingtaine d'années seulement après la Résurrection du Christ ; et on a donc là les premières affirmations de la prédication chrétienne. C'est la première fois qu'on essaie de formuler par écrit cette découverte inouïe du mystère de Jésus-Christ. Nous sommes vers l'année 50 et, déjà, l'évangile est annoncé très loin de Jérusalem ! Thessalonique est en Europe, au Nord de la Grèce, dans cette région qu'on appelle la Macédoine ; mais avant d'arriver jusque-là, Paul a déjà eu le temps de fonder des communautés dans tout le Sud, le centre et même la côte Ouest de la Turquie.

C'est par les Actes des Apôtres qu'on sait comment les choses se sont passées ; Paul était en mission sur la côte ouest de la Turquie, quand une nuit, il a eu une vision : un Macédonien le suppliait de venir chez eux : « Passe en Macédoine, viens à notre secours ». Et Luc qui était du voyage raconte : « A la suite de cette vision, nous avons immédiatement cherché à partir pour la Macédoine, car nous étions convaincus que Dieu venait de nous appeler à y annoncer la Bonne Nouvelle » (Ac 16,10). Voilà donc nos missionnaires (Paul, Luc et Silas) sur la côte grecque ; la ville de Philippes est leur première étape (nous lisions ces temps-ci la lettre aux Philippiens) et vous savez que cela a failli très mal se terminer : d'abord bien accueillis, ils ont bientôt été accusés de troubler l'ordre public, battus et jetés en prison ; un providentiel tremblement de terre est passé par là et, finalement, on les a libérés en les priant de quitter la ville.

C'est de là qu'ils sont passés à Thessalonique. Dès leur arrivée, Paul s'est adressé aux Juifs pendant l'office du samedi matin à la synagogue, et cela trois samedis de suite. D'après les Actes des Apôtres, sa prédication était toujours la même : « A partir des Ecritures, il expliquait et établissait que le Messie devait souffrir, ressusciter des morts et, disait-il, ce Messie c'est ce Jésus que je vous annonce ». Le texte ajoute « Certains des Juifs se laissèrent convaincre... ainsi qu'une multitude de Grecs adorateurs de Dieu et bon nombre de femmes de la haute société ».

Nous savons donc déjà de quoi est composée la communauté de Thessalonique à laquelle s'adresse cette lettre. Mais, comme d'habitude, Paul n'a pas suscité que de l'enthousiasme : toujours d'après les Actes, « Les Juifs, furieux, recrutèrent des vauriens qui traînaient dans les rues, ameutèrent la foule et semèrent le désordre dans la ville » (Ac 17, 5), si bien que très vite il a paru plus prudent que Paul et Silas quittent la ville. Paul a donc quitté cette nouvelle communauté trop vite et est resté un moment inquiet à son sujet ; quand il écrit cette lettre que nous débutons aujourd'hui, il vient enfin d'être rassuré par Silas et Timothée qui étaient restés derrière lui en Macédoine et qui lui en rapportent d'excellentes nouvelles. Cela explique le ton particulièrement joyeux de ce début de lettre : c'est le soulagement qui suit l'inquiétude.

« Nous, Paul, Silvain (autre nom de Silas), et Timothée, nous nous adressons à vous, l'Eglise de Thessalonique qui est en Dieu le Père et en Jésus-Christ le Seigneur : que la grâce et la paix soient avec vous. A tout instant, nous rendons grâce à Dieu à cause de vous tous ». Dès cette première phrase, on est surpris de la solennité de cette salutation : cette communauté est toute petite, et il l'appelle pompeusement « l'Eglise de Thessalonique qui est en Dieu le Père et en Jésus-Christ le Seigneur ». Ce respect immense de Paul pour les communautés chrétiennes, même modestes, est caractéristique de toutes ses lettres. Et c'est certainement cela qui motive l'action de grâce et même la jubilation qui est elle aussi un trait dominant de tous ses débuts de lettres, même quand il n'a pas que des compliments à faire à ses correspondants. Quels que soient leurs défauts, leurs imperfections, il voit d'abord en eux l'action de Dieu : « Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu, vous avez été choisis par lui. En effet, notre annonce de l'Evangile chez vous n'a pas été simple parole, mais puissance, action de l'Esprit Saint, certitude absolue ».

Ces quelques lignes contiennent déjà d'énormes affirmations théologiques ; j'en vois au moins trois : premièrement, ce texte est trinitaire ; le mot « trinité » n'y est pas bien sûr, on ne l'emploiera que plus tard ; mais Jésus est appelé « Seigneur », titre réservé à Dieu dans l'Ancien Testament, et l'action de grâce est adressée aux trois Personnes : « Nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en Notre Seigneur Jésus-Christ, en présence de Dieu notre Père... En effet, notre annonce de l'Evangile chez vous n'a pas été simple parole, mais puissance, action de l'Esprit Saint... ».
Deuxièmement, c'est l'action de l'Esprit Saint qui inspire et permet l'action des croyants : au passage, nous avons là une définition des trois vertus théologales : foi est synonyme d'action, espérance de fermeté, et charité d'engagement concret.

Troisièmement, et c'est une leçon pour tout missionnaire : c'est Paul qui a prêché mais il sait bien que c'est l'Esprit Saint qui a agi ; voilà qui met toute prédication à sa place. On retrouve ici, comme dans toute la Bible, le mystère des choix de Dieu : Paul dit à ses frères de Thessalonique : « Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu, vous avez été choisis par lui. » Tout comme Jésus disait à ses disciples : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis. », tout comme Moïse disait aux tribus qu'il emmenait à la conquête de la liberté : « Si le SEIGNEUR s'est attaché à vous et s'il vous a choisis, c'est que le SEIGNEUR vous aime et tient le serment fait à vos pères. » (Dt 7, 7-8). Manière de reconnaître que tout est cadeau : quand les croyants (que ce soit Israël, les disciples de Jésus ou les Thessaloniciens), se montrent disponibles à la Parole et se laissent transformer par elle, c'est à l'Esprit de Dieu que nous le devons.

EVANGILE Matthieu 22, 15 - 21

15 Les pharisiens se concertèrent
pour voir comment prendre en faute Jésus
en le faisant parler.
16 Ils lui envoient des partisans d'Hérode :
« Maître, lui disent-ils, nous le savons :
tu es toujours vrai
et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ;
tu ne te laisses influencer par personne,
car tu ne fais pas de différence entre les gens.
17 Donne-nous ton avis :
Est-il permis, oui ou non,
de payer l'impôt à l'empereur ? »
18 Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta :
« Hypocrites !
Pourquoi voulez-vous me mettre à l'épreuve ?
19 Montrez-moi la monnaie de l'impôt. »
Ils lui présentèrent une pièce d'argent.
20 Il leur dit :
Cette effigie et cette légende,
de qui sont-elles ?
De l'empereur César », répondirent-ils.
Alors il leur dit :
« Rendez donc à César ce qui est à César,
et à Dieu ce qui est à Dieu. »

« Est-il permis de payer l'impôt à l'empereur ? » Jésus répond en traitant les questionneurs « d'hypocrites » ! Pourquoi « hypocrites » ? Sinon parce que cette soi-disant question n'en est pas une... Hypocrites pour deux raisons : hypocrites, premièrement, parce que cette question, si par hasard ils se la sont posée un jour, il y a longtemps qu'ils l'ont résolue. A Jérusalem, où se passe la scène, il n'est pas question de faire autrement, sauf à se mettre hors-la-loi, ce qu'ils n'ont pas l'intention de faire, ni les uns ni les autres, qu'ils soient Pharisiens ou partisans d'Hérode. Payer l'impôt à l'empereur, « Rendre à César ce qui est à César », ils le font et Jésus ne leur donne pas tort.
Mais hypocrites, aussi, deuxièmement, parce qu'ils ne posent pas une question, ils tendent un piège ; Matthieu le précise, on pourrait même dire qu'il y insiste : « Les pharisiens se concertèrent pour voir comment prendre Jésus en faute... » Et le ton faussement respectueux qui précède la question force encore le trait : « Maître, lui disent-ils, nous le savons, tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne, car tu ne fais pas de différence entre les gens ». Toutes ces amabilités ne sont qu'un préambule pour une question-piège ; et ce piège-là, logiquement, Jésus ne devrait pas s'en sortir ; de deux choses l'une : ou bien il incite ses compatriotes à refuser l'impôt prélevé au profit de l'occupant romain et il sera facile de le dénoncer aux autorités, comme résistant ou même comme révolutionnaire et il sera condamné... ou bien il conseille de payer l'impôt et on pourra le discréditer aux yeux du peuple comme collaborateur, ce qui va bien dans le sens de ses mauvaises fréquentations... mais pire, il perd toute chance d'être reconnu comme le Messie ; car le Messie attendu doit être un roi indépendant et souverain sur le trône de Jérusalem, ce qui passe forcément par une révolte contre l'occupant romain. Et puisqu'il a prétendu être le Messie, aux yeux du peuple et des autorités religieuses, il méritera la mort, ce n'est qu'un imposteur et un blasphémateur.

Le piège est bien verrouillé ; de toute manière il est perdu et c'est bien cela qu'on cherche : la première occasion sera la bonne pour le faire mourir ; la Passion se profile déjà à l'horizon, nous sommes dans les tout derniers moments à Jérusalem. Dans sa réponse, Jésus montre bien qu'il a compris : « Hypocrites ! Pourquoi voulez-vous me mettre à l'épreuve ? » Il n'est pas dupe du piège qu'on lui tend... pourtant il est interdit de penser qu'il pourrait chercher à embarrasser ses interlocuteurs ; Jésus n'a jamais cherché à mettre quiconque dans l'embarras ou à tendre un piège à quelqu'un ; ce serait indigne du Dieu dont la lumière éclaire les bons et les méchants.
Et d'ailleurs tous les compliments que ses adversaires viennent de lui adresser pour se moquer sont profondément vrais : « Maître, tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne, tu ne fais pas de différence entre les gens ». Très certainement, l'évangéliste rapporte avec bonheur ces compliments qu'il estime bien mérités.

Jésus ne répond donc pas au piège par un autre piège. Il traite la question comme une question et il y répond vraiment. Sa réponse tient en trois points : « Rendez à César ce qui est à César » ... « Ne rendez à César que ce qui est à César » ... « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».

Premièrement, « Rendez à César ce qui est à César », y compris en payant l'impôt. C'est tout simplement reconnaître que César est actuellement le détenteur du pouvoir, ce qui est la pure vérité. Rien à voir avec de la servile collaboration ; au contraire, c'est accepter une situation de fait ; dans la perspective de l'Ancien Testament on considère que tout pouvoir vient de Dieu ; Jésus lui-même, au cours de sa Passion, dira à Pilate : « Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en-haut » (Jean 19, 11). D'autre part, et Isaïe nous l'a rappelé dans notre première lecture de ce dimanche, en parlant du roi Cyrus, Dieu peut faire tourner toute royauté humaine au bien de son peuple... or nos pharisiens connaissent mieux que nous le texte d'Isaïe sur Cyrus ; ils savent donc très bien que tout pouvoir, même païen, est dans la main de Dieu. Notons quand même en passant que le César du moment s'appelait en réalité « Tibère ». (Le nom « César » était devenu un titre).

Deuxièmement, « Ne rendez à César que ce qui est à César » : quand César (c'est-à-dire l'empereur romain) exige l'impôt, il est dans son droit, mais quand il exige d'être appelé Seigneur, quand il exige qu'on lui rende un culte, il vous expose à l'idolâtrie ; et là, il ne faut pas transiger. A l'époque où Matthieu écrit son Evangile, cette hypothèse était une réalité. De nombreux martyrs ont payé de leur vie ce refus de rendre un culte à l'empereur romain.

Troisièmement, « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ». La vraie question est là : Etes-vous sûrs de rendre à Dieu ce qui est à Dieu ? En l'occurrence, il s'agit de reconnaître en Jésus celui qui vient de Dieu, celui qui « est à Dieu ».
Sans vouloir tirer de ce texte une théorie du pouvoir politique que, manifestement, Jésus n'a pas voulu y mettre, parce qu'il ne s'est pas placé sur ce terrain-là, on peut retenir de cet évangile une fois de plus une étonnante leçon de liberté. César n'est que César ; les rois de la terre ne sont en réalité que des roitelets. Leur royauté est passagère et le royaume de Dieu est d'un tout autre ordre : c'est au sein même des royaumes de la terre que toute oeuvre d'amour et de fraternité fait grandir le seul vrai royaume, le Royaume de Dieu.

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7 octobre 2011 5 07 /10 /octobre /2011 11:34

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 25, 6-9

Ce jour-là,
6 le SEIGNEUR, Dieu de l'univers,
préparera pour tous les peuples, sur sa montagne,
un festin de viandes grasses et de vins capiteux,
un festin de viandes succulentes et de vins décantés.
7 Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples
et le linceul qui couvrait toutes les nations.
8 Il détruira la mort pour toujours.
Le SEIGNEUR essuiera les larmes sur tous les visages,
et par toute la terre il effacera l'humiliation de son peuple ;
c'est lui qui l'a promis.
9 Et ce jour-là, on dira :
« Voici notre Dieu,
en lui nous espérions, et il nous a sauvés ;
c'est lui le SEIGNEUR, en lui nous espérions ;
exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »
Ce texte fait partie de ce qu'on appelle « L'Apocalypse d'Isaïe » (chap. 24-27). Quatre chapitres qui sont comme une vision de la fin du monde. Par avance, le prophète nous « dévoile » (c'est le sens du mot Apocalypse) les événements de la fin de l'histoire. D'ailleurs le chapitre 25, dont est tiré le passage d'aujourd'hui commence par une action de grâce : « SEIGNEUR, tu es mon Dieu, je t'exalte et je célèbre ton Nom, car tu as réalisé des projets merveilleux, conçus depuis longtemps, constants et immuables (25, 1). Là, le prophète parle au passé, comme si nous étions déjà parvenus à la fin de l'histoire et, comme s'il se retournait en arrière, il dit « Tu as réalisé des projets merveilleux, conçus depuis longtemps, constants et immuables ».

Ces projets, nous le savons bien, c'est une humanité enfin unie, enfin pacifiée : s'asseoir à la même table, partager le même repas, faire la fête ensemble, c'est bien une image de paix. « Ce jour-là, le SEIGNEUR, Dieu de l'univers, préparera pour tous les peuples sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés ».

Bien sûr, cette évocation est d'ordre poétique, symbolique : Isaïe ne cherche pas à décrire de façon réaliste ce qui se passera concrètement. Il veut nous dire « finies les guerres, les souffrances, les injustices », et il écrit « tous les peuples seront à la fête ». Et si ce chapitre a été écrit, comme on le croit, pendant ou après l'Exil à Babylone, on comprend que le rêve de fête se traduise par des images d'opulence.

On ne sait pas exactement quand ce texte a pu être écrit, mais il est clair que c'est dans une période difficile ! Si le prophète juge utile de proclamer « En ce jour-là, on dira « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, il nous a sauvés », il faut se dire qu'il cherche à remonter le moral de ses compatriotes ! Et il faut traduire : « Allez mes frères, dites-vous que dans quelque temps, vous ne regretterez pas d'avoir fait confiance... et je vais vous dire la fin de l'histoire : nous marchons lentement mais sûrement vers le jour de la paix définitive ; vous allez pouvoir redresser la tête » : « Le SEIGNEUR essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l'humiliation de son peuple ; c'est lui qui l'a promis ».

La voilà la phrase centrale du texte, pour le prophète, celle qui justifie son optimisme à toute épreuve : « c'est lui (le SEIGNEUR) qui l'a promis ». Le prophète est quelqu'un qui sait, qui a expérimenté l'oeuvre incessante de Dieu pour libérer son peuple. On ne peut pas être prophète (ou simplement témoin de la foi) si on n'a pas, d'une manière ou d'une autre, fait l'expérience personnelle ou collective de l'oeuvre de Dieu.

Or le peuple d'Israël prend bien soin de ressourcer perpétuellement sa foi dans la mémoire de l'oeuvre de Dieu. Et c'est parce qu'il ne l'oublie jamais qu'il peut traverser les heures d'épreuve. Comme Dieu a libéré son peuple des chaînes de l'Egypte, il continue au long des siècles à le libérer ; or les pires chaînes de l'homme, c'est l'incapacité à vivre en paix, à pratiquer la justice, à demeurer dans l'Alliance de Dieu. Si Dieu pousse son oeuvre jusqu'au bout (et Isaïe ne doute pas qu'il le fera), viendra le jour où tous les peuples vivront en paix et dans la fidélité à l'Alliance. Car « c'est lui (le SEIGNEUR) qui l'a promis »...

Reste une phrase difficile : « Il détruira la mort pour toujours » ; difficile... précisément parce qu'elle semble trop claire ! « Il détruira la mort pour toujours » : quand nous lisons cette phrase aujourd'hui, nous sommes tentés de la lire à la lumière de notre foi chrétienne du vingt-et-unième siècle et donc de prêter à l'écrivain du sixième siècle avant J.C. des pensées qui n'étaient pas les siennes. Dieu seul sait, évidemment, ce qu'Isaïe avait dans la tête, mais très certainement ce n'est pas encore ici une affirmation de la Résurrection au sens chrétien du terme ; le peuple d'Israël a peu à peu découvert, dès avant le Christ, la foi en la résurrection de la chair, mais très tardivement, bien après que le livre d'Isaïe ait été définitivement mis par écrit.

De quelle mort parle Isaïe ? Parle-t-il de mort physique ou de mort spirituelle ? Pour l'homme de la Bible, la mort biologique individuelle fait partie de l'horizon ; elle est prévue, inéluctable, mais pas triste quand elle intervient normalement au soir d'une longue vie comblée. On n'entrevoit pas, on n'imagine pas un autre espace pour l'homme que l'espace terrestre. Pour l'individu, la seule mort que l'on craint c'est la disparition prématurée d'êtres jeunes ou la mort brutale, à la guerre par exemple. Isaïe évoque peut-être cela ici.

Peut-être pense-t-il également à la mort spirituelle, car, parfois dans la Bible, on parle de mort et de vie dans un sens qui n'est pas biologique : pour le croyant de cette époque-là, vivre pleinement, c'est vivre sur la terre en Alliance avec Dieu (aujourd'hui on dirait en communion avec Dieu). Et ce qui est appelé mort, c'est la rupture d'Alliance avec Dieu. Et donc, ce qu'Isaïe entrevoit, c'est le Jour où on vivra en paix avec Dieu et avec soi-même ; les forces de mort seront détruites, la haine, l'injustice, la guerre.

Enfin, en réalité, Isaïe, ici, ne parle pas d'abord des individus, il parle du peuple dont la déchéance présente ressemble à une mort programmée. Grâce à sa foi dans les promesses de Dieu, Isaïe sait que ce peuple renaîtra.
Puisqu'il n'entrevoit pas encore d'horizon autre que terrestre, on ne s'étonne pas qu'Isaïe situe l'avenir à Jérusalem, (c'est le sens de l'expression « sur sa montagne ») puisque c'est le lieu de la Présence de Dieu au milieu de son peuple. Mais les promesses du salut ne sont pas réservées au seul peuple d'Israël : le festin préparé sur la montagne est pour tous les peuples : « Ce jour-là, le SEIGNEUR, Dieu de l'univers, préparera pour tous les peuples sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples... Il détruira la mort pour toujours ».
Depuis la Résurrection du Christ, il ne nous est pas interdit de penser : « Isaïe ne croyait pas si bien dire ! »

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Complément
« Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples » (verset 7) : le voile qui est traduit ici « voile de deuil » pourrait se traduire également le « voile d'ignorance » (celui qui empêche de voir et de comprendre). cf Is 29, 10-12 ; 2 Co 3, 12-18.

PSAUME 22 (23)

1 Le SEIGNEUR est mon berger :
je ne manque de rien.
2 Sur des prés d'herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
3 et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l'honneur de son nom.


4 Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.

5 Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

6 Grâce et bonheur m'accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j'habiterai la maison du SEIGNEUR
pour la durée de mes jours.

Ce psaume 22/23 (que nous connaissons bien pour avoir chanté « Le SEIGNEUR est mon berger, rien ne saurait me manquer »), ce psaume a un petit air bucolique tout à fait trompeur ! En fait, en quelques lignes, puisque nous venons de l'entendre tout entier, il aborde tous les aspects de notre vie ; contrairement aux apparences, il ne s'agit pas du tout d'une promenade champêtre ; il s'agit de la vie et de la mort ; de la peur des ennemis et de la foi en Dieu plus forte que toutes les menaces. Et il est très suggestif d'entendre ce psaume, en écho à la première lecture de ce vingt-huitième dimanche, première lecture tirée du livre d'Isaïe.

Il ne parle que de la vie dans l'Alliance avec Dieu, et nous avons vu avec Isaïe que seule cette vie mérite le nom de « Vie » ; toute situation de rupture avec Dieu s'appelle « Mort » quand on est croyant.
Un des modèles de vie en communion avec Dieu, dans l'Ancien Testament, c'était le lévite ; vous connaissez l'institution des lévites ; d'après le livre de la Genèse, Lévi est l'un des douze fils de Jacob, ces douze fils qui ont donné leurs noms aux douze tribus d'Israël ; mais la tribu de Lévi a depuis le début une place à part : au moment du partage de la terre promise entre les tribus, cette tribu n'a pas eu de territoire, pour être entièrement vouée au service du culte. On dit que c'est Dieu lui-même qui est leur héritage : image que nous connaissons bien car elle a été reprise dans un autre psaume : « Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j'ai même le plus bel héritage ! » (Ps 15/16).[1]
Les lévites vivaient dispersés dans les villes des autres tribus, vivant des dîmes qui leur étaient versées et ils montaient chaque année à Jérusalem pour y assurer leur service à tour de rôle. A Jérusalem, ils étaient consacrés au service du Temple et le gardaient nuit et jour.

Ce psaume évoque donc la joie qui habite le lévite dont la vie tout entière est consacrée à Dieu : « Grâce et bonheur m'accompagnent tous les jours de ma vie ; j'habiterai la maison du SEIGNEUR pour la durée de mes jours ». Mais, en réalité, si on parle du lévite, c'est pour mieux exprimer l'expérience du peuple tout entier.

Comme le lévite a un sort particulier au sein du peuple d'Israël, de la même manière, Israël a un sort particulier au milieu des nations. C'est le mystère du choix de Dieu qui a élu ce peuple précis, sans autre raison apparente que sa souveraine liberté : chaque génération s'émerveille à son tour de ce choix, de cette Alliance proposée. Vous connaissez cette phrase du Deutéronome : « Interroge donc les jours du début, ceux d'avant toi, depuis le jour où Dieu créa l'humanité sur terre, interroge d'un bout à l'autre du monde ; est-il rien arrivé d'aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ?... A toi, il t'a été donné de voir... » (Dt 4, 32). A ce peuple choisi librement par Dieu, il a été donné d'entrer le premier dans l'intimité de Dieu, bien sûr pas pour en jouir égoïstement, mais pour ouvrir la porte aux autres. En définitive, comme Isaïe nous l'a rappelé, c'est l'humanité tout entière qui entrera dans l'intimité de Dieu. Nous l'avons lu dans la première lecture : le festin sur la montagne de Dieu est préparé pour tous les peuples.

Ce festin dont parle Isaïe, on en avait déjà un avant-goût dans les repas de communion qui suivaient les sacrifices d'action de grâce au temple de Jérusalem : ce repas prenait les allures d'une joyeuse festivité entre amis avec une « coupe débordante » dans l'odeur des « parfums » (v. 5) : « Tu prépares la table pour moi... Tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante ».

Il reste que, pour l'instant, historiquement, quand on chante ce psaume au Temple de Jérusalem, ce n'est encore qu'un avant-goût du bonheur promis pour la fin des temps. Il faut encore affronter bien des épreuves. Au sein de ces épreuves, il n'y a pas d'autre refuge que la confiance. Alors, on recourt à une autre image : Israël est comparé à une brebis : son berger c'est Dieu ; on retrouve là un thème habituel dans la Bible : dans le langage de cour du Proche-Orient, les rois étaient couramment appelés les bergers du peuple ; le prophète Ezéchiel a repris cette image : il parlait des « bergers » d'Israël, et tout le monde comprenait qu'il s'agissait des rois. Or, depuis les rois Saül et David, le peuple a eu de multiples bergers dont bien peu ont été de bons bergers selon les vues de Dieu. Lui seul mérite vraiment le nom de berger attentif aux besoins véritables de son troupeau. « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles », là où rien ne manque.

Même quand il « traverse les ravins de la mort », le peuple d'Israël sait que le Seigneur, comme un berger, le « mène vers des eaux tranquilles et le fait revivre ». Car il y a bien d'autres dangers sur le long chemin de l'histoire, ce sont les multiples ennemis... mais quoi qu'il arrive, il ne craint rien. Dieu est avec lui : « Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure... tu prépares la table pour moi devant mes ennemis » (v. 5).
Cette tranquille assurance du croyant s'appuie sur toute son expérience de la sollicitude de Dieu pour son peuple depuis tant de siècles. Les jours de découragement, il répète les paroles d'Isaïe : « Ce jour-là (sous-entendu à la fin des temps) on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés » (Is 25, 9).

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Note
1 - Nous connaissons mieux, peut-être, le psaume 15/16 sous la forme qu'il a prise dans un negro spiritual : « Tu es, Seigneur, le lot de mon coeur, tu es mon héritage : en toi, Seigneur, j'ai mis mon bonheur, toi mon seul partage ».

DEUXIEME LECTURE - Lettre de Paul aux Philippiens 4, 12-14. 19-20

Frères,
12 je sais vivre de peu,
je sais aussi avoir tout ce qu'il me faut.
Etre rassasié et avoir faim,
avoir tout ce qu'il me faut et manquer de tout,
j'ai appris cela de toutes les façons.
13 Je peux tout supporter
avec celui qui me donne la force.
14 Cependant, vous avez bien fait de m'aider tous ensemble
quand j'étais dans la gêne.
19 Et mon Dieu subviendra magnifiquement à tous vos besoins
selon sa richesse
dans le Christ Jésus.
20 Gloire à Dieu notre Père
pour les siècles des siècles. Amen.

C'est depuis sa prison, probablement à Ephèse, vers l'an 50, que Paul écrit aux Chrétiens de Philippes ; ils viennent de lui envoyer une aide financière par l'intermédiaire d'un certain Epaphrodite ; et Paul les en remercie ; cela nous vaut une superbe réflexion sur l'usage des biens de ce monde : « Je sais vivre de peu, je sais aussi avoir tout ce qu'il me faut. Etre rassasié et avoir faim, avoir tout ce qu'il me faut et manquer de tout... » Et Paul parle d'expérience puisqu'il ajoute : « J'ai appris cela de toutes les façons ». Et il fait même ici allusion à un vrai problème d'argent « Vous avez bien fait de m'aider tous ensemble quand j'étais dans la gêne ».

Il y a là une leçon de liberté par rapport aux biens matériels. Ce n'est pas de la philosophie, ce n'est pas du stoïcisme, puisqu'il ajoute « Je peux tout supporter avec celui qui me donne la force (sous-entendu le Christ) ».
En même temps, Paul n'a ni fausse honte pour accepter une aide bienvenue, ni fausse pudeur pour parler d'argent. La vraie liberté par rapport à l'argent ne consiste pas à faire semblant de ne pas en avoir besoin ou envie ; il serait indécent vis-à-vis de tous les pauvres de la terre d'afficher de l'indifférence pour les biens matériels, quand on a la chance de ne pas en manquer.

Si on regarde bien, la Bible propose tout un enseignement sur l'usage des richesses. On peut retenir trois points principaux : Premièrement, les richesses sont une bonne chose, elles méritent bien leur nom de « richesses ». Deuxièmement, elles peuvent aussi devenir une « pauvreté ». Troisièmement, contrairement aux apparences, nous ne sommes pas propriétaires de nos richesses, nous en sommes intendants.

Premièrement, les richesses sont une bonne chose, elles méritent bien leur nom de « richesses ». Aucun auteur biblique n'a jamais dit que les richesses étaient mauvaises en elles-mêmes : bien au contraire puisque la prospérité est reconnue comme un don de Dieu. Comme le dit Qohélet (l'Ecclésiaste) : « Tout homme à qui Dieu donne richesse et ressources et à qui il a laissé la faculté d'en manger, d'en prendre sa part et de jouir de son travail, c'est là un don de Dieu » (Qo 5, 18).

Deuxièmement, elles peuvent aussi devenir une « pauvreté »... et cela de deux manières : d'abord la richesse amassée pour elle-même devient un esclavage. « Nul ne peut avoir deux maîtres », on le sait bien. Et si la Bible fustige ceux qui accumulent des biens matériels, c'est d'abord parce qu'ils y perdent leur liberté. Par exemple, le livre du Deutéronome dit du roi : « Il ne devra pas posséder un grand nombre de chevaux... il ne devra pas non plus avoir un grand nombre de femmes et dévoyer son coeur. Quant à l'argent et à l'or, il ne devra pas en avoir trop. » (Dt 17, 16-17). C'est Salomon qui est visé, lui, dont le livre des Rois racontait « Le roi Salomon fit qu'à Jérusalem l'argent était aussi abondant que les pierres et les cèdres aussi nombreux que les sycomores du Bas Pays » (1 Rois 10, 27). On trouve chez tous les prophètes une croisade contre l'accumulation des richesses, par exemple Zacharie : « Tyr s'est construit une forteresse, elle a accumulé de l'argent, épais comme la poussière et de l'or comme la boue des rues, mais voici que le Seigneur s'en emparera, il abattra son rempart dans la mer, et elle-même, le feu la dévorera » (Za 9, 3-4).

D'autre part, la richesse accumulée par les uns engendre la pauvreté des autres et cela on le sait bien. Il suffit de lire les diatribes du prophète Amos par exemple : « Ecoutez ceci, vous qui vous acharnez sur le pauvre pour anéantir les humbles du pays... » (Am 8, 5) ou celles d'Isaïe « Malheur ! Ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu'à prendre toute la place et à demeurer seuls au milieu du pays » (Is 5, 8).

Enfin, troisièmement, contrairement aux apparences, nous ne sommes pas propriétaires de nos richesses, nous en sommes intendants pour nous-mêmes et pour les autres. C'est le sens du geste d'offrande que nous faisons à chaque célébration de l'Eucharistie : nous apportons le pain et le vin qui symbolisent toutes les richesses de la terre et tout le travail humain : nous ne les donnons pas à Dieu... au contraire, nous reconnaissons qu'ils lui appartiennent déjà et qu'il nous les a confiés pour le bonheur de tous les hommes : « Tu es béni, Dieu de l'univers, toi qui nous donnes... » Peu à peu, ce geste répété nous fait entrevoir le mystère du plan de Dieu : ces biens reconnus comme ne nous appartenant pas, nous pourrons les partager et c'est ainsi que pourra s'instaurer le royaume de justice.

Enfin Saint Paul lui-même précise bien qu'il nous est demandé de partager, mais non pas de nous ruiner ! Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il écrit : « Il ne s'agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, mais de rétablir l'égalité. En cette occasion, ce que vous avez en trop compensera ce qu'ils ont en moins, pour qu'un jour ce qu'ils auront en trop compense ce que vous aurez en moins : cela fera l'égalité » (2 Co 8, 13-14)...*
Dans la Lettre à Timothée, Paul fait en quelque sorte la synthèse de tout cet enseignement biblique : « Aux riches de ce monde-ci, ordonne de ne pas mettre leur espoir dans une richesse incertaine, mais en Dieu, lui qui nous dispense tous les biens en abondance, pour que nous en jouissions. Qu'ils fassent le bien, s'enrichissent de belles oeuvres, donnent avec largesse, partagent avec les autres. Ainsi amasseront-ils pour eux-mêmes un beau et solide trésor pour l'avenir afin d'obtenir la vie véritable » (1 Tm 6, 17).

Au fond, il nous est simplement demandé d'être des serviteurs fidèles et avisés, comme dit Saint Matthieu : « Quel est donc le serviteur fidèle et avisé que le maître a établi sur les gens de sa maison pour leur donner la nourriture en temps voulu ? Heureux ce serviteur que ce maître trouvera en train de faire ce travail. En vérité je vous le déclare, il l'établira sur tous ses biens » (Mt 24, 45).

****************
Complément
- « Ce que vous avez en trop compensera ce qu'ils ont en moins, pour qu'un jour ce qu'ils auront en trop compense ce que vous aurez en moins » : peut-être est-ce cela que Jésus appelle « se faire des amis avec les richesses d'iniquité » ? Vous connaissez sa fameuse phrase : « Faites-vous des amis avec l'argent trompeur pour qu'une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles » (Luc 16, 9).

EVANGILE Matthieu 22, 1-14

Jésus disait en paraboles :
2 « Le Royaume des cieux est comparable
à un roi qui célébrait les noces de son fils.
3 Il envoya ses serviteurs pour appeler à la noce les invités,
mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
4 Il envoya encore d'autres serviteurs dire aux invités :
Voilà : mon repas est prêt,
mes boeufs et mes bêtes grasses sont égorgés ;
tout est prêt : venez au repas de noce.
5 Mais ils n'en tinrent aucun compte et s'en allèrent,
l'un à son champ, l'autre à son commerce :
6 Les autres empoignèrent les serviteurs,
les maltraitèrent et les tuèrent.
7 Le roi se mit en colère,
il envoya ses troupes,
fit périr les meurtriers
et brûla leur ville.
8 Alors il dit à ses serviteurs :
Le repas de noce est prêt,
mais les invités n'en étaient pas dignes.
9 Allez donc aux croisées des chemins :
tous ceux que vous rencontrerez,
invitez-les au repas de noce.
10 Les serviteurs allèrent sur les chemins,
rassemblèrent tous ceux qu'ils rencontrèrent,
les mauvais comme les bons,
et la salle de noce fut remplie de convives.
11 Le roi entra pour voir les convives.
Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce,
12 et lui dit :
Mon ami, comment es-tu entré ici,
sans avoir le vêtement de noce ?
L'autre garda le silence.
13 Alors le roi dit aux serviteurs :
Jetez-le, pieds et poings liés,
dehors dans les ténèbres ;
là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
14 Certes, la multitude des hommes est appelée,
mais les élus sont peu nombreux. »

Voici deux paraboles qui se suivent et ne se ressemblent pas ! Celle de l'invitation au repas de noce et celle du renvoi de l'homme qui ne portait pas la robe de noce. Certains pensent que ces deux paraboles n'étaient pas liées à l'origine : il serait contradictoire d'exiger une tenue de cérémonie de quelqu'un qu'on a ramassé sur la route ; mais si Matthieu les juxtapose volontairement c'est qu'il y a un enseignement à tirer de ce rapprochement. Prenons-les l'une après l'autre.

« Un roi célébrait les noces de son fils »... et ce n'est pas n'importe quel roi, puisque, d'entrée de jeu, nous sommes prévenus, il s'agit du « Royaume des cieux » : cette seule expression nous suggère donc irrésistiblement qu'il s'agit de l'Alliance entre Dieu et l'humanité, Alliance qui s'accomplit en Jésus-Christ ; lui-même dans les évangiles se présente comme l'époux. Et d'ailleurs le mot « noce » revient sept fois dans cette parabole.
Cette symbolique des noces n'est pas très habituelle dans notre langage chrétien aujourd'hui et pourtant c'est dans ces termes-là que les textes tardifs de la Bible parlent du projet de Dieu sur l'humanité. Depuis les dernières prophéties d'Isaïe jusqu'à l'Apocalypse, en passant par le Cantique des Cantiques, et les livres de Sagesse, pour n'en citer que quelques-uns, l'amour de Dieu pour l'humanité est décrit en termes d'amour conjugal. Et c'est bien pour cela que, quand Saint Paul parle du mariage, il dit « c'est la meilleure image de la relation de Dieu avec l'humanité ».

Mais dans l'Ancien Testament, il était clair que cette annonce et l'accomplissement du salut universel de l'humanité passaient par Israël ; le peuple élu était en mission pour toute l'humanité ; c'est dans ce sens qu'on a appris à lire la phrase de Dieu à Abraham « en toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12, 3). Pour reprendre la comparaison de la noce, on dira que les Juifs étaient les premiers invités à la noce ; et le maître comptait sur eux pour élargir ensuite l'invitation et faire entrer derrière eux toute l'humanité.

Mais on sait la suite : la grande majorité des Juifs a refusé de reconnaître en Jésus le Messie. Dans la parabole, ils sont représentés par ces invités qui refusent de venir à la noce et vont jusqu'à maltraiter les serviteurs qui venaient les chercher. Que va-t-il se passer ? Dans la parabole, les serviteurs remplissent la salle de convives invités à la dernière minute. Dans la lettre aux Romains, Paul commente en disant que ce refus d'Israël, non seulement ne va pas faire obstacle à la noce, mais va même favoriser l'entrée de tous les peuples dans la salle du festin. « Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu'ils rencontrèrent, les mauvais comme les bons, et la salle des noces fut remplie de convives ».

Passons à la deuxième parabole : un homme, invité de la dernière heure, entre sans habit de noce ; il est bien incapable de répondre à la question « Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ? » Alors il est chassé. Cela ne signifie certainement pas qu'il lui fallait satisfaire à une exigence de comportement, que le vêtement de noce pourrait symboliser un mérite quelconque... Dès qu'on parle de « mérite » on dénature la grâce de Dieu, qui, par définition, est gratuite ! Avec Dieu, il n'y a pas de conditions à remplir. La première parabole dit bien que tous ont pu rentrer, les mauvais comme les bons.

Alors, que peut signifier cette deuxième parabole ? Regardons la multitude qui entre dans la salle du festin des noces. Bons ou mauvais, tous ont été invités, tous ont accepté et ont revêtu la robe nuptiale : dans le vocabulaire du Nouveau Testament, on le sait, cette robe nuptiale, c'est celle des baptisés ; nous savons bien que ce que nous appelons aujourd'hui une « robe de baptême » est en réalité une « robe de mariée » ! La deuxième parabole concerne donc les baptisés : ce sont eux qui sont entrés dans la salle des noces. Mais l'habit ne fait pas le moine, on le sait. Ce que Jésus rappelle ici, ce sont les exigences qui découlent de notre Baptême. Comme il le dit lui-même « Il ne suffit pas de dire : Seigneur, Seigneur ! pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 7, 22).

*****************************
Complément
- Les premiers invités ayant décliné l'invitation, ce sont d'autres qui sont entrés : historiquement, c'est ce qui s'est passé : dans les Actes des Apôtres, on voit se répéter plusieurs fois le même scénario : chaque fois qu'il aborde une nouvelle ville, Paul se rend d'abord à la synagogue et commence par annoncer aux Juifs que Jésus est le Messie attendu ; certains le croient et deviennent chrétiens ; mais quand le succès de Paul commence à sortir des limites de la synagogue, et que des païens deviennent chrétiens à leur tour, ceux des Juifs qui ne se sont pas laissé convaincre prennent peur et chassent Paul. C'est exactement ce qui s'est passé à Antioche de Pisidie : « C'est à vous d'abord que devait être adressée la Parole de Dieu ! Puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous nous tournons vers les païens. » (Ac 13, 46).
A Iconium, à Thessalonique, il s'est passé la même chose (Ac 14, 1) ; et c'est parce que les apôtres étaient chassés de ville en ville que l'Evangile s'est répandu de ville en ville. Une des leçons de la première parabole est alors que le refus d'Israël ne fait pas définitivement obstacle au projet de Dieu. De la même manière que les prostituées et les publicains ont pris la place des autorités religieuses du temps de Jésus, de la même manière, quelques années plus tard, au moment où Matthieu écrivait son Evangile, les païens sont entrés en masse dans l'Eglise grâce au refus des Juifs. D'un mal Dieu fait toujours sortir un bien.

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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 21:48

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 5 , 1 - 7

1 Je chanterai pour mon ami
le chant du bien-aimé à sa vigne.
Mon ami avait une vigne
sur un coteau plantureux.
2 Il en retourna la terre et en retira les pierres,
pour y mettre un plant de qualité.
Au milieu, il bâtit une tour de garde
et creusa aussi un pressoir.
Il en attendait de beaux raisins,
mais elle en donna de mauvais.
3 Et maintenant, habitants de Jérusalem, hommes de Juda,
soyez donc juges entre moi et ma vigne !
4 Pouvais-je faire pour ma vigne
plus que je n'ai fait ?
J'attendais de beaux raisins,
pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ?
5 Eh bien, je vais vous apprendre
ce que je vais faire de ma vigne :
enlever sa clôture
pour qu'elle soit dévorée par les animaux,
ouvrir une brèche dans son mur
pour qu'elle soit piétinée.
6 J'en ferai une pente désolée ;
elle ne sera ni taillée ni sarclée,
il y poussera des épines et des ronces ;
J'interdirai aux nuages
d'y faire tomber la pluie.
7 La vigne du Seigneur de l'univers,
c'est la maison d'Israël.
Le plant qu'il chérissait,
ce sont les hommes de Juda.
Il en attendait le droit,
et voici l'iniquité ;
il en attendait la justice,
et voici les cris de détresse.
Cela commence comme une chanson de vendanges : « Je chanterai pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne. Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il en retourna la terre et en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. »

La vigne, en Israël, est chose précieuse ! Entendons-nous bien, quand on pense à la vigne, il ne s'agit pas d'un seul pied, mais d'un carré de vigne : ce qui veut dire déjà un lopin de terre bien à soi. Puisqu'elle exige des soins constants, elle signifie culture, installation ; tout le monde se souvient de Noé, le premier vigneron. La vigne est le premier arbre cultivé, premier signe de civilisation après le déluge : Gn 9, 20-22 ; cela veut dire aussi période de paix, où l'on est assuré de pouvoir travailler sa terre encore le lendemain.

Pendant toute la traversée du désert, évidemment, il ne sera plus question de vigne et c'est l'un des reproches que l'on fait à Moïse, justement, quand on perd le moral : « Pourquoi nous avez-vous fait monter d'Egypte et nous avez-vous amenés en ce triste lieu ? Ce n'est pas un lieu pour les semailles ni pour le figuier, la vigne ou le grenadier ; il n'y a même pas d'eau à boire » (Nb 20, 5).

A l'inverse, lorsque Moïse organisa une première mission de reconnaissance dans la terre de Canaan que Dieu lui avait promise, les explorateurs furent aussitôt impressionnés par la richesse des vignobles ; c'était la saison des premiers raisins. « Ils arrivèrent jusqu'à la vallée d'Eshkol (au Nord d'Hébron) où ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin qu'ils portèrent à deux au moyen d'une perche. Ils y prirent aussi des grenades et des figues ». (Nb 13, 23). Désormais, quand on veut parler d'une période de bonheur et de prospérité, on dit « Juda et Israël habitèrent en paix, chacun sous sa vigne et sous son figuier, pendant toute la vie du roi Salomon » (1 R 5, 5 ). De même, quand on parle du règne de Dieu dans l'avenir, le règne de la paix et de la justice, on dit : « On ne brandira plus l'épée nation contre nation, on n'apprendra plus à se battre. Ils demeureront chacun sous sa vigne et sous son figuier » (Mi 4, 4).

Le prophète Isaïe a donc peut-être bien repris quelques phrases d'une mélodie connue pour amorcer son propos. Mais ses auditeurs ne s'y tromperont pas, il ne s'agit pas d'une simple chanson de vendanges ! Ce qu'il leur propose, c'est une véritable parabole et comme dans toute parabole, il faut aller jusqu'au bout pour en tirer la leçon ; ici d'ailleurs, c'est le prophète lui-même qui déchiffre la parabole. « La vigne du Seigneur de l'univers, c'est la maison d'Israël. Le plan qu'il chérissait, ce sont les hommes de Juda ». Quant aux fruits, Isaïe est tout aussi clair : le bon raisin attendu, c'est le droit et la justice ; le mauvais raisin, c'est ce qu'il appelle « l'iniquité, et les cris de détresse ». Dans la suite de ce chapitre, il précise ses reproches : « Malheur ! Ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu'à prendre toute la place et à demeurer seuls au milieu du pays »... C'est la recherche égoïste de l'argent et de la propriété qui est visée ici. Et cette insouciance des riches pour le malheur des pauvres qui caractérise souvent les périodes prospères : « Levés de bon matin, ils courent après les boissons fortes, et jusque tard dans la soirée, ils s'échauffent avec le vin. La harpe et la lyre, le tambourin et la flûte accompagnent leurs beuveries, mais ils ne regardent pas ce que fait le Seigneur et ne voient pas ce que ses mains accomplissent » (Is 5, 8-12).

Il y a pire encore, c'est la perversion de la justice : « Malheur ! Ils déclarent BIEN le mal et MAL le bien. Ils font de l'obscurité la lumière et de la lumière l'obscurité. Ils font passer pour amer ce qui est doux et pour doux ce qui est amer... Ils justifient le coupable pour un présent (autrement dit, les juges se font acheter) et ils refusent à l'innocent sa justification » (Is 5, 20).

Que fait le vigneron mal récompensé de ses efforts ? Il finit par admettre que la terre est trop mauvaise et il abandonne l'entreprise. Le beau carré bien ordonnancé sera vite redevenu un terrain vague où pousseront des épines et des ronces, comme dit Isaïe. Un peu plus loin, il reprend la même expression : « Il adviendra, en ce jour-là, que tout lieu où il y avait mille ceps de vigne, valant mille pièces d'argent, deviendra épines et ronces. On y viendra avec des flèches et un arc, car tout le pays deviendra épines et ronces ». (Isaïe 7, 23-24). Si bien qu'on ne peut pas s'empêcher de penser aux épines et aux chardons qui envahissent le sol après la faute d'Adam. (Gn 3, 18).
C'est toujours la même leçon : dès qu'on s'éloigne de la fidélité aux commandements, on fait fausse route et le peuple créé pour que tous ses membres soient heureux et libres, devient le règne de tous les égoïsmes et de tous les vices ; et cela se termine toujours mal. Tout comme un beau carré de vigne laissé à l'abandon devient la proie des bêtes sauvages.

Ce qui est troublant, une fois de plus, dans ce message du prophète c'est qu'Isaïe attribue à Dieu lui-même l'exercice du châtiment : le vigneron de la parabole d'Isaïe ne se contente pas de laisser faire le cours des choses ; c'est lui-même qui enlève la clôture et ouvre une brèche dans le mur pour que la vigne soit piétinée et dévorée par les animaux... En réalité, comme dimanche dernier, avec le prophète Ezéchiel, nous sommes à une étape de la pédagogie de Dieu. Avec Isaïe, nous sommes même avant Ezéchiel, donc à une époque où l'on dit volontiers que Dieu punit nos mauvaises actions ; à une époque surtout où on n'est pas débarrassé de l'idolâtrie : et donc pour le prophète, il s'agit avant tout d'affirmer qu'il n'existe qu'une puissance au monde ; aucune autre divinité n'est à craindre. Dans tout ce qui nous arrive, c'est vers le Dieu d'Israël qu'il faut se tourner. Lui, le Saint d'Israël, est totalement étranger à toutes les bassesses et les injustices des hommes. Ceux-ci n'ont donc aucune chance de survie s'ils ne changent pas de vie.

Là Isaïe fait la grosse voix, pourrait-on dire, mais n'oublions pas que le même Isaïe, plus tard, quand il faudra remonter le moral des troupes, reprendra son chant de la vigne avec d'autres couplets : « Ce jour-là chantez la vigne délicieuse. Moi, le SEIGNEUR, j'en suis le gardien, à intervalles réguliers je l'arrose. De peur qu'on y fasse irruption, je la garde nuit et jour. Je ne suis plus en colère... » (Is 27, 2-4a).
Notre chance à nous, deux mille cinq cents ans plus tard, c'est de savoir que Dieu n'est jamais en colère !

*****************
Complément
- En Israël, la métaphore de la vigne va très loin : le pressoir est présenté comme une image du jugement.

PSAUME 79 (80), 9-10, 13-14, 15-16a, 19-20

9 La vigne que tu as prise à l'Egypte,
tu la replantes en chassant des nations.
10 Tu déblaies le sol devant elle,
tu l'enracines pour qu'elle emplisse le pays.

13 Pourquoi as-tu percé sa clôture ?
Tous les passants y grapillent en chemin ;
14 le sanglier des forêts la ravage
et les bêtes des champs la broutent;

15 Dieu de l'univers, reviens !
Du haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-là,
16 celle qu'a plantée ta main puissante.

19 Jamais plus nous n'irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !
20 Dieu de l'univers, fais-nous revenir ;
que ton visage s'éclaire, et nous serons sauvés !

Pour qui a entendu le chant de la vigne d'Isaïe, dans la première lecture, ce psaume en est l'écho parfait ; le thème est le même : Israël est comparé à une vigne dont Dieu est le vigneron. Celui-ci a fait pour sa vigne tout ce qu'un vigneron peut faire ; il l'a soignée, protégée, gardée... hélas, la vigne n'a rien donné : « Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il en retourna la terre et en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais » (Is 5, 1-2).

On connaît la fin de la chanson : le vigneron se met en colère : « Je vais vous apprendre ce que je vais faire de ma vigne : enlever sa clôture pour qu'elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu'elle soit piétinée. J'en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j'interdirai aux nuages d'y faire tomber la pluie » (Is 5, 5-6).
Apparemment, si l'on en croit le psaume 79/80, le vigneron a mis ses menaces à exécution : visiblement aussi la métaphore de la vigne était parfaitement comprise quand on chantait ce psaume au Temple de Jérusalem, car les malheurs d'Israël sont exprimés avec les mêmes images. Par exemple, on dit à Dieu : « Pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des forêts la ravage et les bêtes des champs la broutent ». Traduisez, nous sommes en période d'occupation étrangère ; les bêtes féroces, ce sont les ennemis du moment. Dans un autre verset, on dit encore « La voici détruite, incendiée » et aussi : « Tu fais de nous la cible des voisins : nos ennemis ont vraiment de quoi rire ! »

De quels ennemis s'agit-il précisément ? On ne peut pas le dire. Malheureusement, toutes les guerres et toutes les occupations étrangères, où que ce soit à la surface du globe, apportent avec elles le même cortège d'atrocités et de malheur ; une autre phrase dit encore : « Vas-tu longtemps encore opposer ta colère aux prières de ton peuple, le nourrir du pain de ses larmes, l'abreuver de larmes sans mesure ? » Cela ne suffit pas pour situer les circonstances concrètes qui ont inspiré cette supplication ; il est donc impossible de savoir quand ce psaume a été écrit ; est-ce au moment où la grande puissance assyrienne envahissait toute la région, en commençant par le royaume du Nord ? Cela nous reporterait bien avant l'Exil à Babylone, entre le neuvième et le septième siècles av.J.C. (puisque la capitale du royaume du Nord, Samarie, a été écrasée en 721). Est-ce bien plus tard, après la prise de Jérusalem par Babylone, c'est-à-dire au sixième siècle ? Et il y a encore d'autres hypothèses possibles. De toutes manières, quelles que soient les circonstances concrètes dans lesquelles est né ce psaume, le peuple d'Israël a pu le redire à nouveau à plusieurs reprises. (Et, aujourd'hui, à la surface du globe, nous connaissons plusieurs peuples qui pourraient le réinventer pour leur propre compte).
Lorsqu'on lit ce psaume en entier, il se présente comme un cantique composé de quatre couplets et quatre refrains ; les couplets disent l'histoire d'Israël : vigne choisie par Dieu, et prise à l'Egypte ; autrement dit le peuple que Dieu s'est choisi, qu'il a rassemblé, libéré de l'esclavage en Egypte et fait entrer dans la Terre Promise : « La vigne que tu as prise à l'Egypte, tu la replantes en chassant des nations. Tu déblaies le sol devant elle, tu l'enracines pour qu'elle emplisse le pays »... Et maintenant c'est la désolation, le pain des larmes.

Le refrain c'est la phrase : « Dieu de l'univers, fais-nous revenir ; que ton visage s'éclaire et nous serons sauvés ». L'expression « fais-nous revenir » est typique des célébrations pénitentielles : le mot « revenir » signifie « se convertir », faire demi-tour. Car on sait bien que si la vigne a donné de mauvais fruits, ce n'est pas de la faute du vigneron ; les prophètes l'avaient assez dit, Isaïe entre autres ! Les bons fruits que Dieu attendait, c'était le droit et la justice ; comme le dit Michée dans une phrase superbe : « On t'a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR attend de toi : rien d'autre que de respecter le droit, aimer la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu » (Mi 6, 8). Ils avaient beau être prévenus, les croyants, libérés par le Dieu qui veut l'homme libre, ils ont pourtant écrasé le pauvre et réduit le frère à l'esclavage. Ils n'ont pas cultivé la justice, ils ont cultivé la richesse égoïste.
Le refrain est donc une demande de pardon. Ce qui est remarquable, c'est que la formule oscille entre « Dieu de l'univers, reviens ! » et « Dieu de l'univers, fais-nous revenir ! » Quand on supplie Dieu de revenir en disant « Dieu, reviens », on sous-entend « reviens nous sauver » : évidemment, on sait bien qu'il ne s'est pas éloigné ; mais c'est un appel au secours ; la deuxième formule « Dieu de l'univers, fais-nous revenir » dit bien que la conversion est à la fois oeuvre de Dieu et oeuvre de l'homme, c'est le demi-tour de l'homme retourné par l'Esprit de Dieu.

On peut être heurté dans ce psaume par l'image qu'il nous donne d'un Dieu qui punit : ici, comme dans le texte d'Isaïe, c'est bien le vigneron qui a volontairement livré la vigne aux bêtes sauvages. Mais il faut se rappeler que la découverte de Dieu est progressive au long de l'histoire biblique et que ce psaume reflète l'état de la réflexion théologique à l'époque où il a été écrit : à cette époque-là, on considère que tout vient de Dieu : si on lui attribue le bonheur, il faut bien lui attribuer aussi le malheur ; le livre de Job en est encore là : « Le SEIGNEUR a donné, le SEIGNEUR a ôté ; que le nom du SEIGNEUR soit béni ! (Job 1, 21)... Nous acceptons le bonheur comme un don de Dieu. Et le malheur, pourquoi ne l'accepterions-nous pas aussi ? » (Job 2, 10). Ce n'est que très tardivement dans l'histoire de l'Ancien Testament que cette conception sera abandonnée.1
Il a fallu encore bien des siècles pour découvrir que Dieu respecte tellement la liberté humaine qu'il ne tire pas toutes les ficelles de l'histoire !

*****
Note
1 - Le milieu du livre de Job reflète un état plus tardif de la réflexion d'Israël et l'abandon de la logique de punition (nos malheurs seraient des châtiments) ; mais on n'a pas encore, même à cette étape, abandonné l'idée que Dieu commande tous nos bonheurs et tous nos malheurs.

DEUXIEME LECTURE - Philippiens 4 , 6 - 9

Frères,
6 ne soyez inquiets de rien,
mais, en toute circonstance,
dans l'action de grâce priez et suppliez
pour faire connaître à Dieu vos demandes.
7 Et la paix de Dieu,
qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer,
gardera votre coeur et votre intelligence dans le Christ Jésus.
8 Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble,
tout ce qui est juste et pur,
tout ce qui est digne d'être aimé et honoré
tout ce qui s'appelle vertu
et qui mérite des éloges,
tout cela, prenez-le à votre compte.
9 Ce que vous avez appris et reçu,
ce que vous avez vu et entendu de moi,
mettez-le en pratique.
Et le Dieu de la paix sera avec vous.

« Ne soyez inquiets de rien », dit Paul et nous avons envie de lui répondre que ce n'est pas toujours facile ! Mais il faut relire le verset précédent : « Le Seigneur est proche ». Voilà pour Paul la meilleure, et même la seule raison de rester sereins, quoi qu'il arrive. Derrière cette petite phrase (« Le Seigneur est proche »), il me semble qu'on peut entendre deux choses. Premièrement, le Seigneur est proche de nous, cela on le sait depuis bien longtemps en Israël, depuis l'épisode du buisson ardent : Dieu est proche de nous parce qu'il nous aime.

Deuxièmement, le Seigneur est proche parce que les temps sont accomplis, parce que le Royaume de Dieu est déjà inauguré et que nous sommes dans les derniers temps ; on connaît cette autre phrase de Paul, empruntée au vocabulaire nautique : « Le temps a cargué ses voiles » : comme un bateau près d'entrer au port replie ses voiles (c'est le sens du mot « carguer »), de la même façon, l'histoire humaine est tout près du port. Pierre dit de la même manière « La fin de toutes choses est proche ».

Etre croyant c'est être tendu vers cet accomplissement de l'histoire ; non seulement le Royaume s'est approché de nous en Jésus-Christ, (parce que le Royaume c'est Jésus-Christ présent en tous) mais mieux encore, il nous attire comme un aimant. Rappelez-vous cette autre phrase de Paul : « Mon seul souci : oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant, je m'élance vers le but, en vue du prix attaché à l'appel d'en-haut que Dieu nous adresse en Jésus-Christ » (Phi 3, 13-14) ; et je crois bien que quand Paul dit « imitez-moi », c'est de cela qu'il parle ; il veut dire : courez avec moi vers le même but.
Le reste du texte en découle : puisque le Seigneur est proche, nous ne sommes inquiétés par rien ; « Notre cité à nous est dans les cieux, d'où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ » (Phi 3, 20). On croit entendre ici l'écho de cette parole si fréquente de Jésus « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? » Ou encore cette superbe leçon sur la prière chez Saint Matthieu : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ?... Ne vous inquiétez pas en disant : Qu'allons-nous manger ? Qu'allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ? Tout cela les païens le recherchent sans répit -, il sait bien, votre Père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez d'abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas pour le lendemain : le lendemain s'inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 25-34 ).
Ce n'est pas de l'insouciance, c'est de la confiance, de la sérénité. « Ne soyez inquiets de rien »... puisque tout est déjà donné, il n'y a qu'à puiser : nous n'avons qu'à nous laisser emporter dans le torrent de la grâce. « Je vous le déclare : tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez reçu et cela vous sera accordé » (Mc 11, 24) ; prier, au fond, c'est se plonger dans le don de Dieu.
Alors nous comprenons pourquoi, dans la prière, supplication et action de grâce sont toujours liées ; c'est une caractéristique de la prière juive qui dit toujours en même temps « Tu es béni, Seigneur, toi qui nous donnes... s'il te plaît, donne-nous ». C'est logique d'ailleurs : si l'on prie Dieu c'est parce qu'on sait qu'il peut et qu'il veut notre bonheur... et qu'il y travaille sans cesse. Lui demander quelque chose, c'est, implicitement au moins, lui rendre grâce. D'ailleurs, dans le début de cette lettre aux Philippiens, Paul nous en donne l'exemple : « Je rends grâces à mon Dieu chaque fois que j'évoque votre souvenir ; toujours, en chaque prière pour vous tous, c'est avec joie que je prie ... » (1, 3). Ici, il nous dit : « Frères, ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, dans l'action de grâce, priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes ».
Mais, comme disait Jésus, « il ne suffit pas de dire Seigneur, Seigneur, il faut encore faire la volonté du Père ». Paul fait la même recommandation : « tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur... mettez-le en pratique ». Il attache certainement une grande importance à cette pratique d'une vie droite puisqu'il la met exactement en parallèle avec la prière. Il commence par parler de la prière et il conclut « la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, gardera votre coeur et votre intelligence dans le Christ Jésus. » Puis il parle du comportement des Chrétiens pour terminer par la phrase « le Dieu de la paix sera avec vous ». Il me semble que ce parallélisme, certainement voulu, signifie qu'aux yeux de Paul, prière rime avec vie communautaire. En cela, d'ailleurs, il ne fait que reprendre la prédication des prophètes de l'Ancien Testament.
Pour revenir au Nouveau Testament, dans l'évangile de Marc, Jésus poursuit sa phrase sur la prière (citée plus haut) en la liant aussitôt à l'attitude envers les frères « quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez... » et Saint Pierre fait les mêmes rapprochements : « La fin de toutes choses est proche. Montrez donc de la sagesse et soyez sobres afin de pouvoir prier. Ayez avant tout un amour constant les uns pour les autres » (1 Pi 4, 7-8).

A en croire Paul, la paix est donc au bout de ce chemin où vie de prière et valeurs communautaires marchent de pair : « Ne soyez inquiets de rien... dans l'action de grâce, priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes... et la paix de Dieu gardera votre coeur et votre intelligence »... « tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur... mettez-le en pratique et le Dieu de la paix sera avec vous ».
Si nous prenons au sérieux cette insistance des Ecritures sur le lien nécessaire entre la prière et l'amour fraternel, il y a là sans aucun doute une leçon pour nous : non seulement nos inquiétudes nous font oublier que Dieu nous aime, mais elles nous ferment le coeur... Si nous nous préoccupions moins de notre pain du lendemain, il y aurait du pain aujourd'hui pour beaucoup d'autres.

EVANGILE Matthieu 21, 33 - 43

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux pharisiens :
33 « Ecoutez cette parabole :
Un homme était propriétaire d'un domaine ;
il planta une vigne,
l'entoura d'une clôture,
y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde.
Puis il la donna en fermage à des vignerons,
et partit en voyage.
34 Quand arriva le moment de la vendange
il envoya ses serviteurs auprès des vignerons
pour se faire remettre le produit de la vigne.
35 Mais les vignerons se saisirent des serviteurs,
frappèrent l'un,
tuèrent l'autre,
lapidèrent le troisième.
36 De nouveau, le propriétaire envoya d'autres serviteurs
plus nombreux que les premiers ;
mais ils furent traités de la même façon.
37 Finalement, il leur envoya son fils,
en se disant :
Ils respecteront mon fils.
38 Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux :
Voici l'héritier :
allons-y ! tuons-le,
nous aurons l'héritage !
39 Ils se saisirent de lui,
le jetèrent hors de la vigne
et le tuèrent.
40 Eh bien, quand le maître de la vigne viendra,
que fera-t-il à ces vignerons ? »
41 On lui répond :
« Ces misérables, il les fera périr misérablement.
Il donnera la vigne en fermage à d'autres vignerons,
qui en remettront le produit en temps voulu ».
42 Jésus leur dit :
« N'avez-vous jamais lu dans les Ecritures :
La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre angulaire.
C'est là l'oeuvre du Seigneur,
une merveille sous nos yeux !
43 Aussi, je vous le dis :
Le Royaume de Dieu vous sera enlevé
pour être donné à un peuple
qui lui fera produire son fruit. »

On reconnaît tout de suite dans cette parabole de Jésus les emprunts qu'il fait au chant de la vigne d'Isaïe : « Un homme était propriétaire d'un domaine ; il planta une vigne, l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde ». Le propriétaire entoure sa vigne des mêmes soins que le vigneron d'Isaïe ; mais les similitudes s'arrêtent là. Dans l'évangile, la parabole prend un tour nouveau et propose donc une leçon nouvelle.
Chez Isaïe, le propriétaire est en même temps le vigneron ; la vigne représente le peuple d'Israël, une vigne entourée de soins, mais décevante et qui ne donnait que des mauvais fruits.

Dans la parabole de Jésus, le propriétaire n'est pas le vigneron, il n'exploite pas directement sa vigne, il la confie à d'autres vignerons ; écoutons Saint Matthieu : « Il la donna en fermage à des vignerons et partit en voyage ». Quant à savoir qui est la vigne, et qui sont les vignerons, ce n'est pas clair. De deux choses l'une : première hypothèse, la vigne représente Israël, comme chez Isaïe, et les vignerons sont les chefs des prêtres et les pharisiens. Ils avaient la charge de la vigne, le peuple d'Israël, et ils l'ont mal guidé puisqu'ils ont maltraité tous les prophètes et, en définitive, ils sont en train de rejeter le Fils Bien-Aimé du Père.

Deuxième hypothèse, la vigne représente le Royaume de Dieu et les vignerons, c'est le peuple d'Israël tout entier, qui en avait reçu la charge. C'est cette deuxième hypothèse qui est probablement la bonne,1 puisque Jésus termine en disant : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit ». Le jugement que Jérémie portait déjà sur le peuple d'Israël peut d'ailleurs nous éclairer : « Quand j'ai fait sortir vos pères du pays d'Egypte... je ne leur ai demandé que ceci : « Ecoutez ma voix, et je deviendrai Dieu pour vous, et vous, vous deviendrez un peuple pour moi, suivez bien la route que je vous trace et vous serez heureux. Mais ils n'ont pas écouté ; mais ils n'ont pas tendu l'oreille, ils ont agi à leur guise dans leur entêtement exécrable, ils m'ont tourné le dos, au lieu de tourner vers moi leur visage... Depuis que leurs pères sortirent du pays d'Egypte jusqu'à ce jour, je n'ai cessé de leur envoyer tous mes serviteurs les prophètes, chaque jour, inlassablement. Mais ils ne m'ont pas écouté ; mais ils n'ont pas tendu l'oreille : ils ont raidi leur nuque, ils ont été plus méchants que leurs pères » (Jr 7, 22-28).

La dernière phrase de Jésus est terrible : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit ». Faut-il en conclure que le peuple d'Israël serait rejeté ? Grave question qui a empoisonné le dialogue entre Juifs et Chrétiens depuis vingt siècles ; et à laquelle s'affrontait déjà douloureusement Saint Paul, le Juif, dans la lettre aux Romains. Sa conclusion était que, de manière mystérieuse, mais de manière certaine, Israël reste le peuple élu au service du monde parce que « Dieu ne peut pas se renier lui-même ».

D'autre part, il ne faut pas oublier qu'une parabole n'est jamais un verdict, mais un appel à la conversion ; il est vrai que d'une parabole à l'autre, dans cette dernière étape de la vie de Jésus, le ton monte, mais c'est parce que l'urgence de la reconnaissance du Messie se fait pressante. Nous sommes à la veille de la Passion. Il ne faut jamais perdre de vue que le souhait constant de Jésus est de sauver les hommes, non de les condamner ; et que, s'il guérit les aveugles de naissance, il désire plus encore guérir ses compatriotes de leur aveuglement. On a donc là une ultime tentative de Jésus pour alerter les pharisiens ; ses paroles sont sévères, mais elles ne constituent pas un jugement définitif.

Ensuite, Matthieu écrit son Evangile à la fin du premier siècle, à une époque où le refus des Juifs de reconnaître le Messie a favorisé l'entrée des païens dans l'Eglise ; il n'est donc pas étonnant de trouver dans des textes de cette période une pointe polémique contre ceux qui ont poussé le peuple juif à refuser le Christ. Mais il ne s'agit en aucun cas d'un jugement sans appel du peuple juif dans son ensemble ni même de ses chefs ; ce serait contraire à tout l'évangile. D'ailleurs l'annonce la plus importante ce n'est pas que le Royaume leur soit enlevé : ce qui compte c'est que, malgré les obstacles dressés par les hommes, le Royaume produise son fruit. Ce n'est pas le vigneron qui compte, c'est le raisin.

Mais surtout c'est le commentaire de Jésus qui nous donne la clé de la parabole : « N'avez-vous jamais lu dans les Ecritures : « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire. C'est là l'oeuvre du SEIGNEUR, une merveille sous nos yeux ! » Dieu est un habitué de ces renversements de situation. Déjà, au livre de la Genèse, les fils de Jacob avaient dit à propos de leur frère Joseph « voilà le Bien-Aimé, tuons-le »... ils n'imaginaient pas que celui qu'ils voulaient supprimer était celui qui allait les sauver, eux et tout le peuple (Gn 37, 20). D'une certaine manière, Jésus annonce ici sa Résurrection : lui, la pierre rejetée deviendra la clé de voûte de l'édifice ; traduisez le nouveau peuple, ce seront tous ceux qui se rassembleront autour de lui, quelle que soit leur origine. Et nul n'en est exclu : tous les vignerons sont englobés dans la phrase de Jésus sur la croix « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font ».
****
Note
1 - Cela veut dire que Jésus a bien repris le thème de la parabole de la vigne chez Isaïe, mais en a modifié le symbolisme, ce qui est une manière très habituelle chez les auteurs bibliques. Il suffit de voir comment les métaphores bibliques (comme celle de la pierre angulaire, par exemple) évoluent d'un auteur à l'autre.

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20 septembre 2011 2 20 /09 /septembre /2011 07:43

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Ezéchiel 18, 25 - 28

Parole du SEIGNEUR tout-puissant
Je ne désire pas la mort du méchant,
25 et pourtant vous dites :
« La conduite du SEIGNEUR est étrange. »
Ecoutez donc, fils d'Israël :
est-ce ma conduite qui est étrange ?
N'est-ce pas plutôt la vôtre ?
26 Si le juste se détourne de sa justice,
se pervertit, et meurt dans cet état,
c'est à cause de sa perversité qu'il mourra.
27 Mais si le méchant se détourne de sa méchanceté
pour pratiquer le droit et la justice,
il sauvera sa vie.
28 Parce qu'il a ouvert les yeux,
parce qu'il s'est détourné de ses fautes,
il ne mourra pas, il vivra.

Pour comprendre cette prédication d'Ezéchiel, il faut se rappeler le contexte : Ezéchiel fait partie des habitants de Jérusalem déportés à Babylone par les armées de Nabuchodonosor, en 597 av.J.C. C'est la catastrophe : on a vécu toutes les atrocités d'une guerre, et maintenant, à Babylone, loin du pays, la fameuse Terre Promise, qui devait ruisseler de lait et de miel, disait-on... loin de Jérusalem détruite, loin du Temple saccagé, la population décimée, on a tout perdu.

La tentation est grande de se révolter contre Dieu ; les exilés se plaignent et disent « La conduite du SEIGNEUR est étrange », ce qui signifie en clair : « Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu pour mériter une telle punition ? »
Car, à l'époque, on est convaincu qu'il y a un lien entre notre comportement bon ou mauvais et les événements de notre vie, heureux ou malheureux. Les bons sont toujours récompensés, les méchants sont toujours punis. Or cette génération dans la tourmente n'est pas pire que les précédentes. Et on a quand même bien l'impression qu'on paie tout le poids du passé, les fautes accumulées des générations précédentes, comme si le vase de la colère de Dieu avait tout d'un coup débordé. Et on se met à répandre le dicton : « Les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils en ont été agacées » (Ez 18, 2). Traduisez : Dieu n'est pas juste, on ne voit pas pourquoi notre génération paie pour toutes celles qui l'ont précédée.

Voilà dans quel contexte Ezéchiel prend la parole. Et il nous offre ici toute une méditation sur la justice de Dieu. Elle tient en quatre points.

Premier point : le dicton sur les raisins verts est faux. Quelques lignes avant le texte d'aujourd'hui, Dieu a fait dire par son prophète : « Par ma vie, dit Dieu, vous ne répéterez plus ce dicton en Israël ». Au contraire, chacun est rétribué pour sa propre conduite. « Si le méchant se détourne de sa méchanceté, s'il se met à pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu'il a ouvert les yeux, parce qu'il s'est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra ». Evidemment, dans l'autre sens, « Si le juste se détourne de sa justice... il mourra à cause de sa perversité. » Mais cela ne doit pas nous inquiéter, aucun de nous n'est concerné, car aucun de nous n'oserait se prétendre juste ! Le premier point, c'est donc que personne n'est jamais puni pour la faute d'un autre.

C'est évidemment une étape très importante dans la découverte de la justice de Dieu, mais ce n'est qu'une étape : car Ezéchiel raisonne dans une logique de récompense / punition, ce que l'on appelle « la logique de rétribution ». Plus tard, en particulier avec le livre de Job (dans la partie centrale du livre), on reconnaîtra qu'il n'y a pas de mesure automatique entre nos actions, bonnes ou mauvaises, et ce qui nous arrive de bon ou de mauvais... que les bons ne sont pas forcément récompensés et les méchants punis. On découvrira qu'on ne paie jamais rien, ni pour d'autres, ni pour soi-même... parce que Dieu ne punit jamais.

Plus tard encore, on découvrira que Dieu n'est pas la cause directe de tout ce qui nous arrive. Pour l'instant, avec Ezéchiel, on cesse d'accuser Dieu de nous faire payer les fautes de nos parents. C'est déjà un grand pas.

Deuxième leçon de ce texte : un avenir est toujours possible ; rien n'est jamais définitivement joué. Cette leçon-là est capitale !... Pour nous encore aujourd'hui, d'ailleurs. Car effectivement, tant qu'on croit que tout est joué d'avance, on est tenté de s'abandonner au désespoir ; or Ezéchiel, comme tout bon prophète, n'a pas de pire ennemi que le découragement. C'est pourquoi il faut prendre au sérieux cette phrase : « si le méchant se détourne de sa méchanceté, s'il se met à pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu'il a ouvert les yeux, parce qu'il s'est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra ». Et dans tout ce chapitre 18, Ezéchiel revient plusieurs fois sur ce thème : il est toujours temps de changer de conduite ou de chemin, pour reprendre une image biblique. Se convertir, étymologiquement, en hébreu, cela veut dire « faire demi-tour ». Au passage, vous avez remarqué que la conversion se traduit immanquablement dans la conduite à l'égard des autres : pour le méchant, se détourner de sa méchanceté, c'est se mettre à pratiquer le droit et la justice.

La troisième leçon de ce texte découle directement de la précédente : c'est un appel à la conversion. Le dernier verset de ce chapitre d'Ezéchiel, c'est « Je ne prends pas plaisir à la mort de celui qui meurt... Revenez donc (dans le sens de « convertissez-vous » ) et vivez ! »

Quatrième leçon de ce texte : même dans le malheur, vivre au plein sens du terme, c'est-à-dire en union avec Dieu, est toujours possible. Ezéchiel parle beaucoup de vie et de mort. Mais il vise autre chose que la vie et la mort physiques. Les exilés, d'ailleurs, parlaient de leur exil comme d'une situation de mort ; ils disaient : « Nos révoltes et nos péchés sont sur nous, nous pourrissons à cause d'eux, comment pourrons-nous vivre ? » (Ez 33, 11). A leurs yeux, privés de tout ce qui faisait leur vie et en particulier la pratique de leur foi, l'exil était une situation de non-vie, une espèce de mort larvée... Ezéchiel ne leur promet pas tout de suite le retour, mais il leur dit : « La vraie vie, c'est l'intimité avec Dieu » et cela, c'est possible partout. « Convertissez-vous et vivez ! »

Quatre leçons donc dans ce texte, toutes éminemment positives. C'est à cela que l'on reconnaît les prophètes !

******
Complément
- Entre nous, il faut bien reconnaître que, même aujourd'hui, au vingt-et-unième siècle, cette phrase « Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu pour mériter une telle punition ? » nous vient spontanément à la bouche quand le malheur nous arrive. On se rappelle l'histoire de l'aveugle-né chez Saint Jean : en le voyant, les disciples de Jésus lui ont posé la question classique : « Qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » (Jn 9), en d'autres termes « A qui la faute ? ».

PSAUME 24 (25) 4 - 9

4 SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
5 Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

6 Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
7 Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse,
dans ton amour, ne m'oublie pas.

8 Il est droit, il est bon, le SEIGNEUR,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
9 Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

Un avenir est toujours possible, disait Ezéchiel dans la première lecture ; on peut toujours changer de conduite, on n'est jamais définitivement condamné. C'est pour cela qu'il est toujours temps de dire à Dieu « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route ».

C'est un pécheur qui parle, un pécheur qui désire changer de chemin, c'est-à-dire se convertir, un pécheur qui sait que c'est toujours possible parce qu'il est confiant dans la miséricorde de Dieu : « Le SEIGNEUR montre aux pécheurs le chemin, Il enseigne aux humbles son chemin »... sous-entendu c'est la seule chose qui nous est demandée, non pas la vertu, mais l'humilité. Le mot « humbles », ici, traduit le mot hébreu « anavim » très fréquent dans la Bible : il s'agit de ceux qu'on appelle aussi les « pauvres de Dieu » (ce que nous appelons les « pauvres de coeur »), c'est-à-dire tous ceux qui se reconnaissent démunis, pauvres, impuissants ; on dit aussi « les dos courbés ». C'est chacun de nous, quand nous en sommes réduits à prier en disant seulement « prends pitié » ; ici la supplication est une demande de conversion puisqu'il s'agit d'un pécheur conscient de ses égarements « SEIGNEUR, enseigne-moi tes chemins ».

Ce thème du chemin est typique des psaumes pénitentiels : la Loi de Dieu, (les commandements), est considérée comme le code de la route en quelque sorte ; ce pécheur qui demande pardon, est conscient de s'être égaré, d'avoir pris un sens interdit ; et il demande à être remis sur le droit chemin. On sait que se « convertir » en hébreu, se dit « faire demi-tour ». Ici, dans les quelques versets proposés pour ce vingt-sixième dimanche, il y a déjà les mots « voies », « route », « chemin », et le verbe « dirige-moi ». « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve... Le SEIGNEUR montre aux pécheurs le chemin. Sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin ».

Le pécheur qui parle ici n'est pas tout seul : il s'agit du peuple tout entier ; ce psaume 24/25 a été certainement composé pour des célébrations pénitentielles au Temple de Jérusalem : mais, là encore, son rapprochement avec le texte d'Ezéchiel proposé pour ce vingt-sixième dimanche va nous permettre de mieux comprendre un aspect de la prière juive. C'est cette imbrication permanente du « Je » et du « Nous ».

Comme tous les psaumes, celui-ci parle à la première personne du singulier, « JE », mais il faut l'entendre comme un JE collectif, au nom du peuple tout entier. Il n'y a pas moins individualiste que le peuple de la Bible ! Et d'ailleurs, ce psaume 24/25, précisément, après avoir parlé tout le temps à la première personne du singulier, termine en disant « Libère Israël, ô mon Dieu, de toutes ses angoisses ».

Parce qu'on a un sens très fort de la solidarité qui unit tous les membres d'une même famille, d'une même tribu, dans l'espace et dans le temps, on trouve normal d'invoquer le Dieu des pères, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob... A travers les générations, une véritable solidarité unit le patriarche à ses lointains descendants, et réciproquement. On trouve donc parfaitement normal aussi que l'Alliance conclue avec Noé, avec Abraham, avec Moïse concerne leurs descendants, le peuple tout entier.

Aujourd'hui, nous mettons plutôt l'accent sur l'individu, la dimension du bonheur personnel ; au point que notre société en arrive à donner parfois l'impression d'être polarisée sur la défense des droits individuels, au détriment des valeurs communautaires. Au début de l'histoire biblique, au contraire, tout était centré sur le peuple : ce n'est que progressivement qu'on a découvert l'importance de l'individu.

C'est certainement l'une des réussites de la pensée biblique que d'avoir su donner sa place à l'individu sans nier la communauté. C'est ainsi par exemple que le livre du Deutéronome et les textes prophétiques mêlent toujours le « tu » et le « vous » : « Voici le commandement, les lois et les coutumes que le SEIGNEUR votre Dieu a ordonné de vous apprendre à mettre en pratique dans le pays où vous allez passer pour en prendre possession, afin que tu craignes le SEIGNEUR ton Dieu, toi, ton fils et ton petit-fils, en gardant tous les jours de ta vie toutes ses lois et ses commandements que je te donne, pour que tes jours se prolongent. Tu écouteras, Israël, et tu veilleras à les mettre en pratique : ainsi, tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te l'a promis le SEIGNEUR, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait et de miel » (Dt 6, 1 - 3).

Il ne s'agit évidemment pas d'un défaut de style, surtout dans ce texte, l'un des plus vénérables de l'Ancien Testament, puisqu'il est l'introduction du fameux « Shema Israël » (« Ecoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le Seigneur UN »).

Mais il y a là un moyen saisissant de dire à quel point notre destin personnel est lié à celui de la communauté. Nous sommes profondément solidaires les uns des autres, nous le savons bien ; et les progrès des communications, la mondialisation de l'économie, dont on parle tant, nous le prouvent tous les jours. Pour autant, nous ne sommes pas fondus dans un grand tout et chacun de nous garde une marge de liberté et de responsabilité.

Pour revenir au psaume 24/25, ce pécheur à la fois humble et confiant, c'est donc inséparablement, chacun de nous, individuellement, ET la communauté croyante tout entière.

Dernière remarque : le psaume présente une série de variations sur le thème du souvenir et de l'oubli. « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse... Oublie les révoltes... Ne m'oublie pas ». C'est à la fois de l'audace et de l'humilité ! Au fond, on prie Dieu d'avoir une mémoire sélective : « Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse » et au contraire « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse, ton amour qui est de toujours ». C'est l'audace que permet l'Alliance avec le Dieu de tendresse et de fidélité, lent à la colère et plein d'amour ». Décidément on n'avait pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Père !

DEUXIEME LECTURE - Philippiens 2, 1 - 11

Frères,
1 s'il est vrai que dans le Christ on se réconforte les uns les autres,
si l'on s'encourage dans l'amour,
si l'on est en communion dans l'Esprit,
si l'on a de la tendresse et de la pitié,
2 alors, pour que ma joie soit complète,
ayez les mêmes dispositions,
le même amour,
les mêmes sentiments ;
recherchez l'unité.
3 Ne soyez jamais intrigants ni vantards,
mais ayez assez d'humilité
pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes.
4 Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de lui-même,
mais aussi des autres.
5 Ayez entre vous les dispositions
que l'on doit avoir dans le Christ Jésus :
6 lui qui était dans la condition de Dieu,
il n'a pas jugé bon de revendiquer
son droit d'être traité à l'égal de Dieu ;
7 mais au contraire, il se dépouilla lui-même
en prenant la condition de serviteur.
Devenu semblable aux hommes
et reconnu comme un homme à son comportement,
8 il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à mourir,
et à mourir sur une croix.
9 C'est pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout ;
il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms,
10 afin qu'au nom de Jésus,
aux cieux, sur terre et dans l'abîme,
tout être vivant tombe à genoux,
11 et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est le Seigneur »,
pour la gloire de Dieu le Père.

Il est rare que nous entendions ce texte en entier ; chaque année, aux Rameaux (et à la fête de la Croix glorieuse), nous lisons la deuxième partie, qui est une contemplation du mystère du Christ, mais la première partie nous est moins familière ; pour autant il faut bien lire ces deux parties ensemble, car elles sont très liées. Première partie, Paul nous dit comment on vit « dans le Christ », comme il dit ; deuxième partie, il contemple la vie du Christ lui-même. (Pour la deuxième partie, se reporter au commentaire du dimanche des Rameaux, « L'intelligence des Ecritures » tome 1).

Dans la première partie, (celle que nous commentons ici), Paul nous dit comment on vit « dans le Christ » : il emploie deux fois cette formule, au début et à la fin de ce passage : au début « s'il est vrai que dans le Christ ... » et à la fin « Ayez entre vous les dispositions que l'on doit avoir dans le Christ Jésus » ; et entre les deux, il dresse toute une énumération de ces dispositions. Cette formule « Dans le Christ » doit certainement être prise dans un sens très fort : depuis notre Baptême, nous appartenons au Christ, nous faisons partie de lui en quelque sorte ; et cette nouvelle identité qui est commune à tous les baptisés surmonte toutes nos diversités ; désormais, nous portons le même nom de famille : ce nom, c'est « CHRETIEN ». Et quand nous rencontrons des Chrétiens, dorénavant, c'est ce sentiment de commune appartenance qui surpasse (ou devrait surpasser) tous les autres.
Comme dans ces grandes réunions de famille, où nous savons que chacun de ceux que nous rencontrons est d'abord un cousin ; dans tout rassemblement où l'on peut éprouver le même sentiment d'appartenance commune, on a une idée de ce que Paul veut dire ici. Et c'est ce sentiment très fort d'appartenance commune qui nous inspire les dispositions dont parle Paul ; réconfort, amour, communion, tendresse, pitié : au passage, on peut noter que ce sont tous les attributs de Dieu dans l'Ancien Testament.

On retrouve ici un écho de la formule que nous connaissons bien, et qui se trouve dans la deuxième lettre aux Corinthiens « La grâce de Jésus-Christ notre Seigneur, l'amour de Dieu le Père et la communion de l'Esprit-Saint soient avec vous tous » (2 Co 13, 13). (C'est aussi la formule liturgique du début de l'Eucharistie).

Ce mystère d'amour et de communion, nous y avons été plongés au jour de notre Baptême : il reste à le vivre au quotidien : « Pour que ma joie soit complète, dit Paul, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments... » Un peu comme s'il nous disait « Faites honneur à votre famille, au Nom que vous portez ».

Cela va loin : « Estimez les autres supérieurs à vous-mêmes ». Curieuse phrase : est-ce que chacun de nous doit systématiquement se dévaloriser ? Sûrement pas : le but n'est certainement pas de faire des comparaisons de supériorité ou d'infériorité, c'est totalement contraire à la Bonne Nouvelle d'un Royaume qui ignore toute comptabilité ! Le but n'est pas non plus de se regarder soi-même, fût-ce pour s'humilier ; le but, au contraire, c'est de regarder l'autre avec comme une sorte d'a priori, un regard systématiquement admiratif. Et de regarder en lui, non pas ce qu'il a, mais ce qu'il est. Les différences physiques, culturelles, sociales, crèvent les yeux. Mais tout cela n'est que de l'avoir.

Or Paul a bien introduit son propos par l'expression « dans le Christ », ce qui veut dire qu'il ne se situe pas dans le domaine de l'avoir, mais de l'être : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. » (Ga 3, 27). Ce que Paul nous dit, c'est « chaque fois que vous rencontrez un autre baptisé, ne regardez que ce qu'il est » ; il est membre du Corps du Christ ... il achève, dans sa chair, (c'est-à-dire dans sa vie quotidienne) ce qui manque à la passion du Christ, comme dit Saint Paul dans la lettre aux Colossiens (Col 1, 24), (c'est-à-dire lui aussi contribue à sa façon à la construction du Royaume)... il est, lui aussi, le Temple de l'Esprit, il a sa vocation propre, différente de la mienne, indispensable au plan de Dieu, et sans mon admiration, sans mes encouragements, il ne pourra pas la remplir.

Or la seule chose qui compte, c'est la mission de chacun et de la communauté tout entière : pour sa mission, mon voisin est meilleur que moi, il est même le seul capable ; pour cette mission, il est rempli de l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire d'une capacité d'amour infinie ; tout cela vaut bien que je l'admire. Dans le texte de dimanche dernier, Paul disait aux Philippiens « Quant à vous, menez une vie digne de l'évangile » ; aujourd'hui, il vient de nous dire ce qu'est une vie digne de notre vocation chrétienne. Ce sont là des conseils que Paul donne à des chrétiens, des baptisés ; mais il va de soi que nous devrions porter ce même regard positif sur tout homme ...
Dernière remarque : ce texte de Paul dit bien à la fois que le Royaume est déjà là ET en même temps qu'il nous reste à y collaborer, par toute notre vie quotidienne : déjà, le dessein de Dieu de réunir « dans le Christ » l'humanité tout entière est accompli en Jésus-Christ et en chacun de nous qui sommes greffés sur lui par notre Baptême ; et en même temps il s'accomplit au quotidien dans la mesure où nous laissons cette réalité intime de notre appartenance au Christ transfigurer nos relations avec les autres, baptisés ou non.

EVANGILE Matthieu 21, 28 - 32

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux anciens :
28 « Que pensez-vous de ceci ?
Un homme avait deux fils.
Il vint trouver le premier et lui dit :
« Mon enfant, va travailler aujourd'hui à ma vigne. »
29 Il répondit : « Je ne veux pas. »
Mais ensuite, s'étant repenti, il y alla.
30 Abordant le second, le père lui dit la même chose.
Celui-ci répondit : « Oui, Seigneur ! »
et il n'y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté du Père ? »
Ils lui répondent : « Le premier ».
Jésus leur dit :
« Amen, je vous le déclare :
les publicains et les prostituées
vous précèdent dans le royaume de Dieu.
32 Car Jean Baptiste est venu à vous, vivant selon la justice,
et vous n'avez pas cru à sa parole ;
tandis que les publicains et les prostituées y ont cru.
Mais vous, même après avoir vu cela,
vous ne vous êtes pas repentis
pour croire à sa parole. »

A première vue, on ne saisit pas le lien entre la parabole des deux fils et le discours de Jésus sur les publicains et les prostituées ; et pourtant il est clair que ce discours est dans le droit fil de la parabole, il en est au moins une application. Car Jésus enchaîne sans transition de l'une à l'autre. Il commence par la parabole : comme la semaine dernière avec les ouvriers de la onzième heure, on est dans une vigne ; des deux fils sollicités d'y aller, le premier refuse et finit quand même par s'y rendre ; le deuxième s'empresse de dire oui... et n'en fait rien. Et Jésus pose une question apparemment trop simple aux chefs des prêtres et aux anciens : « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? »

Si Jésus leur pose cette question, ce n'est évidemment pas pour le plaisir de jouer à qui trouvera la bonne réponse ! C'est pour leur ouvrir les yeux. Car sans la moindre transition il leur dit : vous, chefs des prêtres et anciens, c'est-à-dire ce qu'il y a de mieux intentionné au monde, vous êtes comme le deuxième fils : il dit « Oui, oui, papa », mais il ne va pas à la vigne. Tandis que vous voyez, il y a des gens beaucoup moins recommandables, mais qui sont plus prêts que vous à entendre l'appel du père.

Les publicains et les prostituées sont des pécheurs publics, c'est entendu ; et ce n'est pas de cela que Jésus les complimente ; ils sont comme le premier fils ; ils ont commencé par refuser de travailler à la vigne ; jusque-là rien d'admirable ! Seulement voilà : Jean-Baptiste les a touchés, et ils ont écouté sa parole et ils se sont convertis. Ce n'est pas parce qu'ils sont pécheurs qu'ils entrent dans le Royaume ; mais parce qu'ils se sont convertis. Tandis que vous, les professionnels de la religion, vous ne vous êtes pas repentis, vous ne vous êtes pas convertis.

Arrivés là, on se demande évidemment en quoi les chefs des prêtres et les anciens ne se sont pas convertis ; en quoi avaient-ils besoin de se convertir, de changer de vie ? Ou plus exactement, peut-on penser que des gens qui suivaient fidèlement la Loi donnée par Moïse, et donc par Dieu, avaient besoin de se convertir ?

La réponse est peut-être dans le contexte : au début de ce chapitre 21, Matthieu a raconté l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et les foules ont reconnu en lui le Messie. Elles ont lancé pour lui l'acclamation réservée au roi descendant de David : « Hosanna au fils de David ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux ! » 1 Mais cet accueil que lui ont réservé les petites gens ne s'est pas répété chez les prêtres et les anciens ; bien au contraire. Peu après, alors qu'il enseignait dans le Temple, ils sont venus lui demander : « En vertu de quelle autorité te permets-tu d'enseigner ? Qui t'a donné cette autorité ? » Sous-entendu : qui t'envoie ? Dieu ? ou toi-même, plutôt ?

Comme souvent, Jésus n'a pas répondu directement : il voulait que ses interlocuteurs trouvent tout seuls ; et donc il leur a renvoyé une autre question, mais qui avait trait à Jean-Baptiste, celle-là. « Le Baptême de Jean, d'où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? » Et eux n'ont pas osé répondre, de peur de se déjuger eux-mêmes, eux qui avaient préféré ignorer Jean-Baptiste. Alors Jésus leur propose cette parabole des deux fils pour aider leur prise de conscience ; c'est comme un ultime appel qu'il leur adresse. Jésus n'a pas de préférence pour les uns ou pour les autres. Il veut le salut de tous et s'il semble parfois malmener certains de ses interlocuteurs, c'est que le temps presse.

Mais au fait, que disait Jean-Baptiste ? Il disait « Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient ? Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion ; et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham ». C'était peut-être bien là le problème des autorités religieuses : une espèce de suffisance qui permet de ne pas se remettre en question. Alors que les publicains et les prostituées, parce qu'ils se savaient pécheurs et qu'ils avaient très vif le sentiment de leur indignité, de leur pauvreté, étaient peut-être plus aptes à se convertir ; peut-être avaient-ils les oreilles et le coeur plus prêts à s'ouvrir ?

Les oreilles et le coeur ouverts, c'est le propre du croyant. Jésus insiste sur le mot « croire » : « Jean-Baptiste est venu à vous, vivant selon la justice et vous n'avez pas cru à sa parole ; tandis que les publicains et les prostituées y ont cru. Mais vous, même après avoir vu cela, vous ne vous êtes pas repentis pour croire à sa parole ». La difficulté, justement, pour les chefs des prêtres et les anciens, c'était d'ajouter foi à la parole de Jean-Baptiste, puis de Jésus, c'est-à-dire deux individus sans légitimité, à leurs yeux.

Et c'est bien là le fond du problème : dans cette expression « à leurs yeux ». Cela veut dire que, pour eux, la cause est entendue, ils savent ce qu'il en est des choses de Dieu et ils ne peuvent plus voir autre chose que leurs propres certitudes. C'est bien ce que Jésus leur reproche : « Même après avoir VU Jean-Baptiste vivant selon la justice... Même après avoir VU la conversion des pécheurs... vous n'avez pas voulu croire ».

Si Jésus propose une parabole à ses interlocuteurs, c'est pour les amener à ouvrir les yeux justement ; or le temps presse de plus en plus puisque nous sommes déjà à la veille de la Passion. Cette parabole des deux fils va encore plus loin que celle que nous entendions la semaine dernière, celle des ouvriers de la onzième heure ; dans la parabole des ouvriers de la onzième heure, Jésus disait à ses interlocuteurs : vous vous considérez comme des ouvriers de la première heure et vous me trouvez bien indulgent pour les retardataires... Dans la parabole des deux fils, il va jusqu'à remettre en cause leur attitude religieuse : êtes-vous sûrs seulement d'être allés travailler à ma vigne ? Ce que mon Père attend, ce sont des fruits de justice.

******
Note
1 - L'acclamation « Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! » est une citation du Psaume 117/118, 26

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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 22:02

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 55, 6 - 9

6 Cherchez le SEIGNEUR tant qu'il se laisse trouver.
Invoquez-le tant qu'il est proche.
7 Que le méchant abandonne son chemin,
et l'homme pervers, ses pensées !
Qu'il revienne vers le SEIGNEUR qui aura pitié de lui,
vers notre Dieu, qui est riche en pardon.
8 Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
et mes chemins ne sont pas vos chemins,
déclare le SEIGNEUR.
9 Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,
autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres,
et mes pensées, au-dessus de vos pensées.
« Cherchez le SEIGNEUR tant qu'il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu'il est proche » : cela ne veut pas dire « Dépêchez-vous, il pourrait s'éloigner ! » Voilà, je crois, le contresens à ne pas faire ! Il n'existe pas de temps où Dieu ne se laisse pas trouver, il n'existe pas de temps où Dieu ne serait pas proche ! Il faut comprendre (et c'est le texte de la Traduction Oecuménique de la Bible, la TOB), « Cherchez le SEIGNEUR puisqu'il se laisse trouver. Invoquez-le puisqu'il est proche ». C'est toujours nous qui nous éloignons de Dieu. Et il est vrai que, dans notre liberté, nous nous éloignons parfois tellement de lui que nous perdons jusqu'au goût de le chercher.

Il faut bien voir dans quel esprit ces lignes sont écrites : Isaïe s'adresse ici à des gens complètement découragés ; en Exil à Babylone, dans des conditions extrêmement dures, le peuple d'Israël est tenté de croire que Dieu l'a abandonné. Et il en vient à se demander s'il est encore possible d'oser espérer le pardon de Dieu et la restauration du peuple élu. Ce doute et ce soupçon, il faut résolument leur tourner le dos ; ce sont, dit le prophète, des pensées méchantes, perverses. Elles nous trompent sur Dieu et nous éloignent de lui. La pensée perverse, précisément, ce serait de croire que Dieu pourrait n'être pas proche, que Dieu pourrait être inaccessible, que Dieu pourrait ne pas pardonner. Voilà déjà certainement une leçon très importante de ce texte. Ce n'est pas parce que Dieu semble silencieux qu'il est absent ou lointain.

On a là, comme très souvent dans la Bible, le thème du chemin : douter de Dieu, l'imaginer méchant, dur, vengeur, c'est prendre le chemin à l'envers, c'est nous éloigner de lui de plus en plus ; et du coup, puisque nous ne croyons pas à sa tendresse et à sa sollicitude, c'est nous en priver nous-mêmes ; l'adolescent soupçonneux ne profite plus des marques de tendresse que ses parents lui donnent pourtant ; il ne les voit plus puisqu'il leur tourne le dos. Isaïe dit : retournez-vous, revenez vers Dieu, vous redécouvrirez que Dieu a pitié de vous et qu'il est riche en pardon.

Cette découverte du Dieu de tendresse et de pardon est très présente dans l'Ancien Testament, bien avant la venue de Jésus sur la terre. Il suffit de relire les prophètes ; Osée, par exemple, a su trouver des phrases magnifiques pour dire les pensées de Dieu : « Mon coeur est bouleversé en moi, dit Dieu, en même temps ma pitié s'est émue. Je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère... Car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi, je suis saint. » (Osée 11, 8-9). En langage biblique, le mot « Saint » veut dire le Tout-Autre. Et c'est en cela que Dieu est le Tout-Autre, le Saint : Il est miséricorde, et Pitié et Pardon.

Ou encore Jérémie : « Moi, je sais les projets que j'ai formés à votre sujet - oracle du SEIGNEUR - projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance ». (Jr 29, 11) Et bien sûr, on pense à cette phrase magnifique de l'évangile : « Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45).

Il y a aussi ce merveilleux dialogue dans le livre de Jonas ; Jonas prend très mal l'indulgence de Dieu pour ces affreux Ninivites, l'ennemi héréditaire d'Israël : et il reproche à Dieu d'être trop bon « Je savais bien moi, que tu es un Dieu bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et plein de fidélité » (Jonas 4, 2). Et Dieu se défend en disant « Et moi, je n'aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne savent même pas choisir entre le bonheur et le malheur ? » (Jonas 4,11).

La Bible, dès l'Ancien Testament, est donc pleine de cette révélation du pardon de Dieu... à partir du moment où on l'a découvert, on ne voit plus que cela. A l'inverse, chaque fois que nous ne trouvons pas dans la Parole de Dieu cette annonce de la miséricorde et du pardon de Dieu toujours offert, c'est que nous n'avons pas compris le texte ! Le peuple d'Israël a eu le privilège de faire cette double découverte extraordinaire : Dieu est à la fois le Tout-Autre, le Saint et aussi le Tout-Proche, le « Dieu de tendresse et de pitié » révélé à Moïse (Exode 34, 6).

Isaïe ramasse cette découverte dans cette phrase superbe : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Cette distance infinie qui sépare le ciel de la terre est une image très parlante pour nous dire que Dieu, décidément, est le Tout-Autre. En même temps, il est le Tout-Proche, celui qui est « riche en pardon ».

Et je crois même qu'il faut aller plus loin : c'est précisément cette richesse de pardon qui constitue la distance infinie dont parle Isaïe et qui nous sépare de Dieu, autant que le ciel est séparé de la terre. Notre texte dit bien : « Notre Dieu est riche en pardon »... « CAR vos pensées ne sont pas mes pensées ... » Tout tient dans cette petite conjonction « Car » ; mais, malheureusement, elle risque de passer inaperçue. Ce qu'Isaïe nous dit là, c'est que nous ne sommes pas sur le même registre que Dieu : Lui qui est l'amour même, Il est sur le registre de la gratuité, on dit « la grâce », le registre du pardon sans conditions. Nous, nous sommes sur le registre du calcul, du donnant-donnant. Nous voulons que les bons soient récompensés et les méchants punis. Nous parlons de « gagner » notre ciel ; nous calculons nos mérites ; ou bien nous disons « je ne mérite pas » sans nous apercevoir qu'en disant cela, nous nous permettons de calculer à sa place ! Dieu, lui, ne nous demande pas de mériter quoi que ce soit ! Il dit seulement : « Que le méchant abandonne ses chemins, et l'homme pervers ses pensées. Qu'il revienne vers notre Dieu qui est riche en pardon. CAR vos pensées ne sont pas mes pensées... » Il nous propose de vivre tout simplement une relation d'amour, donc gratuite, par définition. Il n'y a pas de banque ni de chéquier dans le royaume de l'amour, nous le savons bien.

Dernière remarque : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » ; cette distance infinie qui nous sépare de Dieu explique la faiblesse de notre langage sur Lui ! Du coup, cette phrase devrait être pour nous une invitation à l'humilité et à la tolérance : humilité quand nous osons parler de Dieu, tolérance pour la façon dont les autres parlent de Lui : qui d'entre nous peut prétendre sonder les pensées de Dieu ?

********************
Complément
- Il y a encore cette phrase magnifique dans le livre des Chroniques : « Si mon peuple s'humilie, s'il prie, cherche ma face et revient de ses voies mauvaises, moi, j'écouterai des cieux, je pardonnerai son péché et je guérirai son pays ». (2 Ch 7, 14). Malheureusement, tant qu'on n'a pas découvert que Dieu est toujours et seulement Amour et Pardon, on risque encore de lire à l'envers des phrases comme celle-ci : comme si Dieu mettait une condition à son pardon : « Si mon peuple s'humilie »... En réalité, c'est nous qui mettons une condition : comment recevoir le pardon si nous ne le désirons pas ?

PSAUME 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18

2 Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
3 Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué :
à sa grandeur, il n'est pas de limite.

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d'amour ;
9 la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses oeuvres.

17 Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu'il fait.
18 Il est proche de ceux qui l'invoquent,
de tous ceux qui l'invoquent en vérité.
On ne pouvait pas trouver mieux que ce psaume 144/145 pour faire écho à la première lecture de ce dimanche ! Le prophète Isaïe résumait en quelques versets toute la foi d'Israël : la découverte d'un Dieu plein de pitié, riche en pardon et qui appelle son peuple en lui disant « reviens vers moi ». Ce psaume est la réponse du peuple qui revient à son Dieu : « Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais » ; c'est vraiment le cantique de la foi retrouvée.

Nous avons déjà rencontré ce psaume et admiré sa composition : si vous vous reportez à votre Bible, vous verrez qu'il est ce qu'on appelle un psaume « alphabétique » ; nous savons donc d'avance qu'il s'agit d'un psaume d'action de grâce pour l'Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de Aleph à Tav) baigne dans l'Alliance, dans la tendresse de Dieu. Deuxième remarque quant à la forme : le parallélisme d'une ligne à l'autre de chaque verset est particulièrement accentué : cela vaudrait la peine de le lire à deux voix ou deux choeurs alternés.

Si on regarde d'un peu plus près les six versets précis qui ont été retenus aujourd'hui, on remarquera deux choses : premièrement on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis ; et, deuxièmement ils entrent en résonance parfaite avec les autres lectures de ce dimanche.

Je prends un exemple : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, dit le psaume ; à sa grandeur, il n'est pas de limite. » Et Isaïe, dans la première lecture, avec ses mots à lui, nous dit également cette grandeur de Dieu : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Mais Isaïe nous entraîne dans une voie imprévue et nous risquons d'être surpris : car la grandeur de ce roi n'est pas ce que nous croyons parfois, elle ne ressemble en rien aux fausses gloires et aux fausses grandeurs de la terre. C'est uniquement la grandeur de l'amour. Je résume sa prédication : « Que le méchant revienne vers Dieu qui est riche en pardon... CAR mes pensées ne sont pas vos pensées... » Il semble bien qu'aux yeux du prophète, la grandeur de Dieu réside précisément dans son pardon.

Et vous vous souvenez que nous avons lu il y a quelques semaines (seizième dimanche) un passage du livre de la Sagesse qui faisait écho à Isaïe : « Seigneur, tu prends soin de toute chose... ta domination sur toute chose te rend patient envers toute chose... L'homme dont la puissance est discutée fait montre de sa force, mais toi, Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence. » (Sg 12).

Soyons francs, cette chanson-là n'est pas souvent celle des médias modernes ; et, pourtant, chacun de nous, dans l'intime de sa conscience, sait que c'est la vérité. La seule vraie grandeur d'un être humain, c'est sa capacité d'aimer. Après tout, ce n'est pas étonnant si nous sommes à l'image de Dieu !

Autre consonance entre le psaume et la lecture d'Isaïe, l'amour et le pardon de Dieu pour tous les êtres sans exception. « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses oeuvres. » dit le psaume. Et Isaïe insistait sur ce pardon qui semble bien être la caractéristique de Dieu : « Que le méchant abandonne son chemin, et l'homme pervers, ses pensées ! Qu'il revienne vers le SEIGNEUR qui aura pitié de lui, vers notre Dieu, qui est riche en pardon. » Mais, là encore, Isaïe nous entraîne plus loin que nous ne voudrions aller, peut-être : nous voulons bien entendre ici l'assurance que nos faiblesses, nos péchés seront pardonnés. Mais, au nom de ce que nous appelons la justice, il nous semble impensable que tous les grands pécheurs de tous les temps reçoivent le pardon de Dieu tout comme nous !

Et pourtant, si nous prenons au sérieux la prédication d'Isaïe, il va falloir convertir notre conception de la justice, tout simplement ! A vrai dire, Isaïe avait prévu notre difficulté à entendre ce genre de vérité, car il avait pris la précaution de préciser que ce qu'il annonçait ne représentait pas sa pensée à lui, mais qu'il s'agissait réellement d'une parole de Dieu. Il disait « Vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le SEIGNEUR ».

Et, d'ailleurs, l'évangile de ce dimanche va nous encourager à changer de logique !

Il s'agit de ce que nous appelons la parabole des ouvriers de la onzième heure. Le verset du psaume parle de la justice de Dieu, précisément ; il dit « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu'il fait » ; la parabole, quant à elle, nous racontera l'histoire d'un chef d'entreprise donnant à tous ses serviteurs le même salaire, quelle que soit leur ancienneté dans la maison ou leur nombre d'heures de travail ; cela bien sûr au grand scandale de ceux qui ont fait le plus grand nombre d'heures. Le message de Jésus, ici, est très clair : « Ne vous y trompez pas » ; la plus grande justice au monde n'est pas celle de la balance, elle est celle de l'amour ; si vous aimez vos frères autant que vous-mêmes, vous vous réjouirez de mes largesses à leur égard.

Pour terminer, je m'arrête sur le dernier verset du psaume : « Le SEIGNEUR est proche de ceux qui l'invoquent, de tous ceux qui l'invoquent en vérité ». Ici peut-être, il y a une lecture perverse à éviter : le psalmiste ne dit pas que Dieu n'est proche que de ceux qui l'invoquent ! Mais Dieu respecte trop notre liberté pour forcer notre porte.

DEUXIEME LECTURE - Philippiens 1, 20c-24. 27a

Frères,
20 soit que je vive, soit que je meure,
la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps.
21 En effet, pour moi vivre, c'est le Christ,
et mourir est un avantage.
22 Mais si, en vivant en ce monde,
j'arrive à faire un travail utile,
je ne sais plus comment choisir.
23 Je me sens pris entre les deux :
je voudrais bien partir
pour être avec le Christ,
car c'est bien cela le meilleur ;
24 mais, à cause de vous, demeurer en ce monde
est encore plus nécessaire.
27 Quant à vous,
menez une vie digne de l'Evangile du Christ.
Il est toujours émouvant de lire la lettre aux Philippiens : elle est pleine à la fois de la passion de Paul pour sa mission d'apôtre, de sa passion pour le Christ, et aussi de son affection toute simple et fraternelle pour ceux qu'il a connus là-bas ; cela nous vaut des développements théologiques qui volent très haut, comme on dit, et des confidences tout humaines d'un homme comme les autres à ses amis.

« Soit que je vive, soit que je meure » : Paul est en prison, c'est clair, d'après le reste de l'épître, mais on ne sait pas où ; à Rome, peut-être puisque, d'après cette lettre, il est visiblement en attente de jugement ; mais il a connu d'autres emprisonnements, une nuit à Philippes même, deux nuits à Jérusalem, une longue durée à Ephèse, probablement, sans compter deux années à Césarée maritime et au moins autant à Rome. En tout cas, lorsqu'il écrit cette lettre aux Philippiens, son procès est visiblement commencé et il sait très bien qu'il risque la mort. « Soit que je vive, soit que je meure, la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps » : le mot « corps » ici veut dire la personne tout entière. S'il est libéré, il pourra continuer sa mission d'évangélisation, et même son temps de captivité et son procès lui auront permis de témoigner du Christ au tribunal. Il a écrit quelques versets plus tôt : « Dans tout le prétoire, et partout ailleurs, il est maintenant bien connu que je suis en captivité pour le Christ. Et la plupart des frères, encouragés dans le Seigneur par ma captivité, redoublent d'audace pour annoncer sans peur la Parole. » Mieux, il s'est réjoui de ce que certains, moins bien intentionnés, aient profité de sa mise à l'ombre pour se poser en apôtres, à sa place. Qu'importe, pense Paul, de toutes manières, le Christ est annoncé.

S'il est condamné à mort, son martyre, affronté dans la joie, constituera un témoignage suprême de la foi des Chrétiens en la Résurrection.

On est toujours extrêmement étonnés de l'assurance dont faisaient preuve les premiers Chrétiens face au martyre. Alors que les persécuteurs espéraient étouffer la religion chrétienne naissante, cette assurance a été l'occasion de nombreuses conversions. Ce qui veut dire que, quoi qu'il arrive, tout contribuera au progrès de l'Evangile et c'est la seule chose qui compte pour Paul. Cela ne nous étonne pas de la part d'un apôtre... Le critère de l'apôtre, justement, c'est qu'il n'a qu'un objectif, prêcher l'Evangile ! Quant à nous, même si nous ne connaissons pas des circonstances aussi extraordinaires, nous pouvons retenir que notre vie concrète peut contribuer à exalter le Christ (c'est-à-dire à manifester sa grandeur) dans toutes les situations.

Paul continue : « Pour moi, vivre, c'est le Christ, et mourir est un avantage ». On pourrait traduire « Pour moi, vivre pleinement, c'est vivre en Christ » ou encore « ma raison de vivre, c'est le Christ » sous-entendu ma vie ne s'épanouira pleinement que dans la rencontre définitive, donc mourir est un avantage. « Je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c'est bien cela le meilleur » dit-il un peu plus loin. On retrouve là un écho de cette solidarité intime qui nous unit au Christ et que Paul exprime si souvent dans ses écrits ; son thème majeur, c'est justement que notre destinée est de ne faire qu'un en Jésus-Christ. Par exemple « Il a plu à Dieu de faire habiter en Lui toute la plénitude et de tout réconcilier par Lui et pour Lui » (Col 1,19) ; ou encore dans la lettre aux Ephésiens, ce texte qui donne la clé de tout : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté... réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ » (Ep 1,9-10).

Au passage, on peut noter que pour Paul, la mort nous permet d'être aussitôt pleinement unis au Christ ; il a l'air de n'envisager aucun délai ; voici ce qu'il dit dans la lettre aux Corinthiens « Nous sommes pleins de confiance, tout en sachant que demeurer dans ce corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur ; car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous sommes pleins de confiance et nous préférons quitter la demeure de ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur. » (2 Co 5, 6-8).

Pour autant, Paul ne veut pas « abandonner le bateau », comme on dit ; et littéralement, il avoue être écartelé ; « mourir est un avantage, mais si en vivant en ce monde, j'arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c'est bien cela le meilleur, mais à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire ». Cela ne veut certainement pas dire qu'il se considère comme indispensable, parce qu'il sait bien que c'est le Christ qui agit dans le coeur des fidèles ... mais il souhaite ardemment être là où il doit être. A vrai dire, ce dilemme n'est pas à proprement parler un cas de conscience, car ce n'est pas lui qui décidera de son sort, il le sait bien.

Mais son raisonnement est un modèle d'abnégation au vrai sens du terme, en ce sens que son seul souci reste la mission auprès de ceux qui lui ont été confiés.

Pour terminer, il revient à eux « Quant à vous, menez une vie digne de l'Evangile ». C'est tout un programme ! Mais je crois qu'il y a là beaucoup plus qu'une leçon de morale : Paul veut nous dire par là que la seule manière d'être digne de l'Evangile, c'est de le prendre au sérieux et de l'annoncer ! Car cette recommandation « menez une vie digne de l'Evangile » vient à la suite de ce que j'ai appelé son « dilemme » : « Si, en vivant en ce monde, j'arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ... mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. » Et aussitôt il ajoute : « Quant à vous, menez une vie digne de l'Evangile du Christ. »

Si je comprends bien, à ses yeux, mener une vie digne de l'Evangile, c'est tout simplement consacrer nos vies à l'évangélisation. Voilà qui interroge un certain nombre de nos préoccupations !

EVANGILE Matthieu 20, 1 - 16a

Jésus disait cette parabole :
1 « Le Royaume des cieux est comparable
au maître d'un domaine qui sortit au petit jour
afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne.
2 Il se mit d'accord avec eux sur un salaire d'une pièce d'argent pour la journée,
et il les envoya à sa vigne.
3 Sorti vers neuf heures,
il en vit d'autres qui étaient là, sur la place, sans travail.
4 Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne,
et je vous donnerai ce qui est juste.
5 Ils y allèrent.
Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même.
6 Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d'autres qui étaient là et leur dit :
Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée sans rien faire ?
7 Ils lui répondirent : Parce que personne ne nous a embauchés.
Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne.
8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant :
Appelle les ouvriers et distribue le salaire,
en commençant par les derniers pour finir par les premiers.
9 Ceux qui n'avaient commencé qu'à cinq heures s'avancèrent
et reçurent chacun une pièce d'argent.
10 Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage,
mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'argent.
11 En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine :
12 Ces derniers venus n'ont fait qu'une heure,
et tu les traites comme nous,
qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !
13 Mais le maître répondit à l'un d'entre eux :
Mon ami, je ne te fais aucun tort.
N'as-tu pas été d'accord avec moi
pour une pièce d'argent ?
14 Prends ce qui te revient,
et va-t-en.
Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi :
15 n'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ?
Vas-tu regarder avec un oeil mauvais
parce que moi, je suis bon ?
16 Ainsi les derniers seront premiers,
et les premiers seront derniers. »

Imaginez un patron d'entreprise qui emploierait des méthodes pareilles ! Il aurait certainement une bonne partie de ses ouvriers en grève dès le deuxième matin ! Mais Jésus a bien dit qu'il ne parlait pas d'une entreprise comme les autres puisqu'il a introduit sa parabole en disant : « Le Royaume des cieux est comparable au maître d'un domaine... » : d'entrée de jeu, nous savons qu'il est question du Royaume des cieux ; et nous savons bien, Isaïe nous l'a rappelé, que « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées... »

Et donc, dans cette vigne très particulière, il y a des ouvriers embauchés à toute heure du jour... Apparemment, le travail ne manque pas. Mais la pointe de la parabole n'est pas là : comme toujours, il faut chercher d'abord ce que ce texte dit sur Dieu. « Moi, je suis bon » dit Dieu ; « Vas-tu regarder avec un oeil mauvais parce que moi, je suis bon ? » Dieu est bon, et d'une bonté qui ne fait pas de comptes. Cela veut dire que sa bonté surpasse tout, y compris le fait que nous ne la méritons pas ; cela veut dire qu'il faut que nous abandonnions une fois pour toutes notre logique de comptables : dans le Royaume des cieux, il n'y a pas de machine à calculer les mérites... Elle est là, peut-être, la conversion qui nous est demandée ; cette logique de comptables, nous avons bien du mal à nous en défaire : nos efforts, nos sacrifices, nos souffrances, nous voudrions toujours les comptabibliser pour nous rassurer ; cela nous donne, pensons-nous, des droits sur le Royaume, sur l'amour de Dieu...

A l'inverse, il nous paraîtrait juste que Dieu ne traite quand même pas tout le monde de la même manière : « Tu les traites comme nous ! », reprochent les ouvriers de la première heure, sous-entendu nous méritons mieux. Et justement, Jésus veut nous faire sortir de cette logique du mérite : l'amour ne compte pas. L'amour ne s'achète pas, il est donné. Cette leçon-là, pourtant, n'était pas nouvelle ; allez lire le psaume 126/127 : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort »... Il n'est pas question de mérites là-dedans ; pire, le même psaume affirme : « En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur... » autrement dit : ne calcule pas tes mérites et tes heures supplémentaires, Dieu te comble au-delà de tout. Le psaume d'aujourd'hui nous faisait chanter « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies »... visiblement ce n'est pas une justice calculée comme nous l'entendons ! La justice de Dieu, c'est d'aimer, sans distinction, tous ses enfants également, c'est-à-dire infiniment, sans mesure.

Pour rester dans l'Ancien Testament, Jonas lui aussi, trouvait scandaleux que Dieu pardonne si facilement à ces mécréants de Ninivites : le peuple élu s'efforçait laborieusement depuis si longtemps d'être fidèle à la loi ; ces affreux païens n'avaient eu qu'un geste à esquisser pour être pardonnés. Dès l'Ancien Testament, donc, on savait bien qu'il y a des derniers qui deviennent premiers. De la même manière, au temps de Matthieu, l'arrivée massive d'anciens païens dans les communautés chrétiennes faisait murmurer ceux qui venaient du Judaïsme et se savaient les héritiers d'une longue lignée de fidèles. Et Jésus lui-même a rencontré l'hostilité des croyants de longue date quand il a côtoyé amicalement des publicains et des pécheurs.

Jusque sur la croix, nous en connaissons au moins un qui était « dernier » et qui est devenu « premier », c'est le bon larron...Voilà bien un ouvrier de la dernière heure. (C'est dans l'évangile de Luc et non de Matthieu, mais la leçon est bien la même !) C'est à la dernière minute seulement que le bon larron crucifié en même temps que Jésus, enfin, se tourne vers lui ; et là, il a suffi d'une parole de vérité dans sa bouche et il s'est entendu dire ce dont nous rêvons tous pour notre dernière heure « Aujourd'hui même tu seras avec moi dans le Paradis ».

Mais si on veut bien regarder la vérité en face, elle devrait nous faire plutôt plaisir, cette parabole... Qui d'entre nous peut se vanter d'être un ouvrier de la première heure ? Qui que nous soyons, nous ne sommes tous que des ouvriers de la onzième heure ! C'est lorsque nous l'oublions que notre regard devient mauvais. « Vas-tu regarder avec un oeil mauvais parce que moi, je suis bon ? » Les ouvriers de la première heure récriminent contre le maître de maison dont ils ne comprennent pas la logique ; Jonas récriminait contre Dieu qui pardonnait trop facilement à ces pécheurs de Ninivites ; les Pharisiens récriminaient contre Jésus, trop accueillant aux gens de mauvaise vie ; le fils aîné murmurait contre le père trop accueillant pour le fils prodigue... Quand la logique de Dieu est trop différente de la nôtre, la tentation qui nous prend est de contester.

C'est le moment ou jamais de nous rappeler la phrase d'Isaïe dans la première lecture : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, dit Dieu... Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées au-dessus de vos pensées. »

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12 septembre 2011 1 12 /09 /septembre /2011 18:45

Salome-Jacques-2.jpeg"Comme disait ma grand-mère, ..."

C'est une des expressions favorites de Jacques Salomé, dont j'essaie de suivre les recommandations en matière de communication interpersonnelle. Voici l'essentiel de ce que j'ai retenu de sa méthode (ESPERE) dispensée, notamment, lors de conférences et séminaires

 

Au cours de ces manifestations, Jacques Salomé utilise une écharpe relationnelle, longue écharpe qu'il fait manipuler par 2 participants pour symboliser leur relation. La communication entre 2 personnes peut également être comparée à un tuyau allant de l'une àl'autre.

A mon extrémité de la relation, je peux :

- donner,

- demander,

- recevoir,

- refuser.

 

Chacun est responsable se son bout de la relation, mais pas du bout de l'autre. Ceci est important. Nous avons souvent l'impression, par exemple, que nous sommes agacés par l'autre, que c'est l'autre qui provoque, par son attitude, notre agacement ou tel ou tel autre sentiment en nous. Mais ceci est une illusion : c'est moi, et moi seul, qui peux décider d'être agacé ou de non lorsque l'autre fait ceci ou dit cela. Je suis responsable des actes que je pose, mais pas de la façon dont l'autre les reçoit. Je suis responsable de ce que je dis, de la manière dont je m'exprime, mais pas de ce que l'autre entend, de ce qu'il comprend.

 

J'adhère à la recommandation de Jacques Salomé de parler à la première personne, de dire "Je". "Comme disait ma grand-mère, le tu tue" (façon amusante de dénoncer la "relation klaxon"). Il invite à ne pas parler à la place de l'autre, ou "sur l'autre". Il vaut mieux dire "J'ai entendu Untel dire ceci" que "Untel a dit ceci". Dans le second cas, en effet, Untel est parfaitement en mesure de contester avoir "dit ceci", si ce que j'ai entendu ne correspond pas à la réalité de ce qu'il a dit, plus précisément si j'ai mal compris, mal interprêté, ce qu'il a voulu exprimer (1).

 

J'invite mes lecteurs à visiter le site de Jacques Salomé, à assister à l'une de ses conférences (s'il en donne encore, ce qui n'est pas sûr), à lire ses livres, à regarder ses vidéos (K7, DVD, Internet), à écouter ses enregistrements audio.  Personnellement, je préfère nettement entendre et voir Jacques Salomé, plutôt que lire ses écrits.

 

Parmi les poisons de la communication que cite Salomé, figurent la disqualification (ex : "Tu n'es qu'un imbécile"), la culpabilisation (ex : "Me refuser ça, après tout ce que j'ai fait pour toi !"), l'injonction (ex : "Fais ceci, ne fais pas cela").

 

Ce n'est que très récemment que je me suis rendu compte que les conseils de Jacques Salomé étaient très cohérents avec la philosophie libérale :

- lorsque je m'adresse à quelqu'un à la seconde personne ("Tu as dit que ... ", "Tu es un menteur ..") ou lorsque je parle de lui à la 3e personne ("C'est un bon à rien ..."), je parle à sa place, je parle sur lui, je me fais son porte-parole sans son accord, sans qu'il m'ait rien demandé. Je lui dénie la liberté de parler en son nom, du sujet qu'il est certainement le mieux placé pour aborder : lui-même. Ce non-respect de sa liberté est tout aussi criticable lorsque je parle de lui en bien (Ex : "Tu as fait du super boulot") que quand je le disqualifie. Il est préférable, même dans ce cas, d'utiliser le "Je" ("Je trouve que tu as fait un super boulot, je l'apprécie beaucoup").

- lorsque je culpabilise l'autre, j'utilise une forme de manipulation qui vise à priver l'autre de sa liberté, à lui faire faire quelque chose qu'il ne ferait pas s'il était entièrement libre.

- lorsque j'utilise l'injonction, lorsque je commande à l'autre (sauf dans certaines situations où mon rôle de "chef" résulte de contrats librement acceptés, comme les contrats de travail au sein d'une entreprise), je ne respecte pas la liberté de cet autre

 

Il est un sujet sur lequel je ne partage pas le point de vue de Jacques Salomé. Si j'ai bien compris celui-ci (et je pense l'avoir bien compris, car je lui ai posé explicitement la question, lors d'une de ses conférences), lorsqu'il parle d'amour dans le couple, il parle de sentiment : pour lui, c'est le sentiment amoureux et lui seul qui justifie qu'un couple se forme. Quand ce sentiment amoureux s'estompe, voire disparaît, ce qui arrive presqu'inévitablement, la séparation ne tarde pas à suivre. J'ai une vision beaucoup plus chrétienne de l'amour dans un couple. Pour l'Eglise catholique, ce qui fonde le mariage, au-delà du sentiment amoureux, forcément précaire, c'est l'engagement libre, ferme et irrévocable de l'homme et de la femme, l'un envers l'autre, à aimer son conjoint. Aimer mon conjoint, cela veut dire agir envers lui comme j'aimerais qu'il agisse envers moi si j'étais à sa place et lui à la mienne. « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c'est la Loi et les Prophètes. » (Mt 7, 12).

 

(1) L'anecdote suivante illustrera mon propos. Il y a quelques mois, avec un ami, nous avons organisé, pour le compte d'un groupe d'anciens (dont nous faisons partie) de l'ESCP EUROPE, une table ronde sur le thème de l'emploi des séniors. Notre première version d'invitation montrait un senior sur la poitrine duquel figurait une étoile jaune où était écrit "sénior". Cela provoqua un tollé parmi les membres de notre groupe, à tel point que nous dûmes retirer prestement cette étoile et que la table ronde faillit être annulée. Notre visuel fut jugé par certains "inadmissible", "scandaleux", "irrespectueux", "choquant", etc. Ce jugement s'appuyait, non pas sur le message que ce visuel voulait faire passer (pas une seule personne ne nous demanda ce que nous avions voulu dire), mais sur l'interprétation que chacun en avait faite.

 

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