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8 février 2011 2 08 /02 /février /2011 10:58

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE : Ben Sirac le Sage 15, 15-20

15 Si tu le veux, tu peux observer les commandements,
il dépend de ton choix de rester fidèle.
16 Le Seigneur a mis devant toi l'eau et le feu :
étends la main vers ce que tu préfères.
17 La vie et la mort sont proposées aux hommes,
l'une ou l'autre leur est donnée selon leur choix.
18 Car la sagesse du Seigneur est grande,
il est tout-puissant et il voit tout.
19 Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent,
il connaît toutes les actions des hommes.
20 Il n'a commandé à personne d'être impie,
il n'a permis à personne de pécher.
- Ben Sirac le Sage nous propose ici une réflexion sur la liberté de l'homme ; elle tient en trois points : premièrement, le mal est extérieur à l'homme ; deuxièmement l'homme est libre, libre de choisir de faire le mal ou le bien ; troisièmement, choisir le bien, c'est aussi choisir le bonheur.

- Premièrement, le mal est extérieur à l'homme ; cela revient à dire que le mal ne fait pas partie de notre nature, ce qui est déjà une grande nouvelle ; car si le mal faisait partie de notre nature, il n'y aurait aucun espoir de salut, nous ne pourrions jamais nous en débarrasser. C'était la conception des Babyloniens par exemple ; au contraire la Bible est beaucoup plus optimiste, elle affirme que le mal est extérieur à l'homme ; Dieu n'a pas fait le mal et ce n'est pas lui qui nous y pousse ; Il n'est donc pas responsable du mal que nous commettons ; c'est le sens du dernier verset que nous venons d'entendre : « Dieu n'a commandé à personne d'être impie, il n'a permis à personne de pécher ». Et quelques versets avant ceux d'aujourd'hui, Ben Sirac écrit : « Ne dis pas, c'est à cause du Seigneur que je me suis écarté... Ne dis pas le Seigneur m'a égaré ».

- Si Dieu avait fait d'Adam un être mélangé, en partie bon en partie mauvais, comme l'imaginaient les Babyloniens, le mal ferait partie de notre nature. Mais Dieu n'est qu'amour, et le mal lui est totalement étranger. Et le récit de la chute d'Adam et Eve, au livre de la Genèse, a été écrit justement pour faire comprendre que le mal est extérieur à l'homme puisqu'il est introduit par le serpent ; et il se répand dans le monde à partir du moment où l'homme a commencé à se méfier de Dieu.

- On retrouve la même affirmation dans la lettre de Saint Jacques : « Que nul, quand il est tenté, ne dise 'Ma tentation vient de Dieu'. Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et il ne tente personne. » Autrement dit, le mal est totalement étranger à Dieu, il ne peut pousser à le commettre. Et Saint Jacques continue : « Chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l'entraîne et le séduit. » (Jc 1, 13-17).

- Deuxième affirmation de ce texte : l'homme est libre, libre de choisir le mal ou le bien : cette certitude n'a été acquise que lentement par le peuple d'Israël, et pourtant, là encore, la Bible est formelle. Dieu a fait l'homme libre. Pour que cette certitude se développe en Israël, il a fallu que le peuple expérimente l'action libératrice de Dieu à chaque étape de son histoire, à commencer par l'expérience de la libération d'Egypte. Toute la foi d'Israël est née de son expérience historique : Dieu est son libérateur ; et petit à petit on a compris que ce qui est vrai aujourd'hui l'était déjà lors de la création, donc on en a déduit que Dieu a créé l'homme libre.

- Et il faudra bien que nous apprenions à concilier ces deux certitudes bibliques : à savoir que Dieu est tout-puissant et que, pourtant, face à lui l'homme est libre. Et c'est parce que l'homme est libre de choisir, qu'on peut parler de péché : la notion même de péché suppose la liberté ; si nous n'étions pas libres, nos erreurs ne pourraient pas s'appeler des péchés.

- Peut-être, pour pénétrer un peu dans ce mystère, faut-il nous rappeler que la toute-puissance de Dieu est celle de l'amour : nous le savons bien, seul l'amour vrai veut l'autre libre.

- Pour guider l'homme dans ses choix, Dieu lui a donné sa loi ; cela devrait donc être simple. Et le livre du Deutéronome y insiste : « Oui, ce commandement que je te donne aujourd'hui n'est pas trop difficile pour toi, il n'est pas hors d'atteinte. Il n'est pas au ciel : on dirait alors 'Qui va, pour nous, monter au ciel nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ?' Il n'est pas non plus au-delà des mers ; on dirait alors : 'Qui va, pour nous, passer outre-mer nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ?' Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur, pour que tu la mettes en pratique. » (Dt 30, 11-14).
- Troisième affirmation de Ben Sirac aujourd'hui : choisir le bien, c'est choisir le bonheur : Je reprends le texte : « La vie et la mort sont proposées aux hommes, l'une ou l'autre leur est donnée selon leur choix... Le Seigneur a mis devant toi l'eau et le feu, étends la main vers ce que tu préfères ». Pour le dire autrement, c'est dans la fidélité à Dieu que l'homme trouve le vrai bonheur. S'éloigner de lui, c'est, tôt ou tard, faire notre propre malheur. On dit de manière imagée que l'homme se trouve en permanence à un carrefour : deux chemins s'ouvrent devant lui (dans la Bible, on dit deux « voies »). Une voie mène à la lumière, à la joie, à la vie ; bienheureux ceux qui l'empruntent. L'autre est une voie de nuit, de ténèbres et, en définitive n'apporte que tristesse et mort. Bien malheureux sont ceux qui s'y fourvoient. Là encore on ne peut pas s'empêcher de penser au récit de la chute d'Adam et Eve. Leur mauvais choix les a entraînés sur la mauvaise voie.

- Ce thème des deux voies est très souvent développé dans la Bible : dans le livre du Deutéronome, particulièrement ; « Vois, je mets aujourd'hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd'hui d'aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes... Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix et en t'attachant à lui. » (Dt 30, 15...20).

- Nous ne sommes jamais définitivement prisonniers, même après des mauvais choix. Par le Baptême, nous avons été greffés sur Jésus-Christ, qui, à chaque instant, nous donne la force de choisir à nouveau la bonne voie : c'est bien pour cela qu'on l'appelle le Rédempteur, ce qui veut dire le « Libérateur ». Ben Sirac disait « Il dépend de ton choix de rester fidèle ». Baptisés, nous pouvons ajouter « avec la force de Jésus-Christ ».

PSAUME 118 (119)

1 Heureux les hommes intègres dans leurs voies
qui marchent suivant la loi du Seigneur !
2 Heureux ceux qui gardent ses exigences,
ils le cherchent de tout coeur !

4 Toi, tu promulgues des préceptes
à observer entièrement.
5 Puissent mes voies s'affermir
à observer tes commandements !

17 Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
j'observerai ta parole.
18 Ouvre mes yeux
que je contemple les merveilles de ta loi.

33 Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres :
à les garder, j'aurai ma récompense.
34 Montre-moi comment garder ta loi,
que je l'observe de tout coeur.

- Ce psaume fait parfaitement écho à la première lecture tirée de Ben Sirac : c'est la même méditation qui continue ; l'idée qui est développée (de façon différente, bien sûr, mais très cohérente), dans ces deux textes, c'est que l'humanité ne trouve son bonheur que dans la confiance en Dieu et l'obéissance à ses commandements. Le malheur et la mort commencent pour l'homme dès qu'il s'écarte de la voie de la confiance tranquille. Laisser entrer en nous le soupçon sur Dieu et sur ses commandements et du coup n'en faire qu'à sa tête, si j'ose dire, c'est s'engager sur un mauvais chemin, une voie sans issue. C'est tout le problème d'Adam et Eve dans le récit de la chute au Paradis terrestre.

- Et nous retrouvons bien ici en filigrane le thème des deux voies dont nous avions parlé au sujet de la première lecture : si on en croit Ben Sirac, nous sommes de perpétuels voyageurs obligés de vérifier notre chemin... Bienheureux parmi nous ceux qui ont trouvé la bonne route ! Car des deux voies, des deux routes qui s'ouvrent en permanence devant nous, l'une mène au bonheur, l'autre mène au malheur.

- Et le bonheur, d'après ce psaume, c'est tout simple ; la bonne route, pour un croyant, c'est tout simplement de suivre la Loi de Dieu : « Heureux les hommes intègres en leurs voies qui marchent suivant la Loi du Seigneur ! » Le croyant connaît la douceur de vivre dans la fidélité aux commandements de Dieu, voilà ce que veut nous dire ce psaume.

- Il est le plus long du psautier et les quelques versets retenus aujourd'hui, n'en sont qu'une toute petite partie, l'équivalent d'une seule strophe. En réalité, il comporte 176 versets, c'est-à-dire 22 strophes de 8 versets. 22...8... ces chiffres ne sont pas dûs au hasard.

- Pourquoi 22 strophes ? Parce qu'il y a 22 lettres dans l'alphabet hébreu : chaque verset de chaque strophe commence par une même lettre et les strophes se suivent dans l'ordre de l'alphabet : en littérature, on parle « d'acrostiche », mais ici, il ne s'agit pas d'une prouesse littéraire, d'une performance ! Il s'agit d'une véritable profession de foi : ce psaume est un poème en l'honneur de la Loi, une méditation sur ce don de Dieu qu'est la Loi, les commandements, si vous préférez. D'ailleurs, plus que de psaume, on ferait mieux de parler de litanie ! Une litanie en l'honneur de la Loi ! Voilà qui nous est passablement étranger.

- Car une des caractéristiques de la Bible, un peu étonnante pour nous, c'est le réel amour de la Loi qui habite le croyant biblique. Les commandements ne sont pas subis comme une domination que Dieu exercerait sur nous, mais comme des conseils, les seuls conseils valables pour mener une vie heureuse. « Heureux les hommes intègres en leurs voies qui marchent suivant la Loi du Seigneur ! » Quand l'homme biblique dit cette phrase, il la pense de tout son coeur.

- Ce n'est pas magique, évidemment : des hommes fidèles à la loi peuvent rencontrer toute sorte de malheurs au cours de leur vie, mais, dans ces cas tragiques, le croyant sait que, seul le chemin de la confiance en Dieu peut lui donner la paix de l'âme.

- Et, non seulement la loi n'est pas subie comme une domination, mais elle est reçue comme un cadeau que Dieu fait à son peuple, le mettant en garde contre toutes les fausses routes ; elle est l'expression de la sollicitude du Père pour ses enfants ; tout comme nous, parfois, nous mettons en garde un enfant, un ami contre ce qui nous paraît être dangereux pour lui. On dit que Dieu « donne » sa Loi et elle est bien considérée comme un « cadeau ». Car Dieu ne s'est pas contenté de libérer son peuple de la servitude en Egypte ; laissé à lui-même, Israël risquait de retomber dans d'autres esclavages pires encore, peut-être. En donnant sa loi, Dieu donnait en quelque sorte le mode d'emploi de la liberté. La Loi est donc l'expression de l'amour de Dieu pour son peuple.

- Il faut dire qu'on n'a pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Amour et que finalement la Loi n'a pas d'autre but que de nous mener sur le chemin de l'amour. Toute la Bible est l'histoire de l'apprentissage du peuple élu à l'école de l'amour et de la vie fraternelle. Le livre du Deutéronome disait : « Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le Seigneur UN ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être, de toute ta force ». (Dt 6, 4). Et le livre du Lévitique enchaînait : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Et, un peu plus tard, Jésus rapprochant ces deux commandements, a pu dire qu'ils étaient le résumé de la loi juive.

- Je reviens à cette curieuse « Béatitude » du premier verset de ce psaume : « Heureux l'homme qui suit la loi du Seigneur » : le mot « heureux », nous avons déjà appris à le traduire par l'expression « En marche » ; on pourrait par exemple traduire ce premier verset : « marche avec confiance, toi, l'homme qui observes la loi du Seigneur ». Et l'homme biblique est tellement persuadé qu'il y va de sa vie et de son bonheur que cette litanie dont je parlais tout à l'heure est en fait une prière. Après les trois premiers versets qui sont des affirmations sur le bonheur des hommes fidèles à la loi, les 173 autres versets s'adressent directement à Dieu dans un style tantôt contemplatif, tantôt suppliant du genre : « Ouvre mes yeux, que je contemple les merveilles de ta loi. » Et la litanie continue, répétant sans arrêt les mêmes formules ou presque : par exemple, en hébreu, dans chaque strophe, reviennent huit mots toujours les mêmes pour décrire la loi. Seuls les amoureux osent ainsi se répéter sans risquer de se lasser.

- Huit mots toujours les mêmes et aussi huit versets dans chacune des 22 strophes : le chiffre 8, dans la Bible, est le chiffre de la nouvelle création : la première Création a été faite par Dieu en 7 jours, donc le huitième jour sera celui de la Création renouvelée, des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle », selon une autre expression biblique. Celle-ci pourra surgir enfin quand toute l'humanité vivra selon la loi de Dieu, c'est-à-dire dans l'amour puisque c'est la même chose !

DEUXIEME LECTURE : 1 Corinthiens 2, 6 - 10

Frères,
6. c'est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi,
mais ce n'est pas la sagesse de ce monde
la sagesse de ceux qui dominent le monde
et qui déjà se détruisent.
7 Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu,
sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire.
8 Aucun de ceux qui dominent ce monde ne l'a connue,
car s'ils l'avaient connue,
ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.
9 Mais ce que nous proclamons, c'est comme dit l'Ecriture,
ce que personne n'avait vu de ses yeux
ni entendu de ses oreilles,
ce que le coeur de l'homme n'avait pas imaginé,
ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu.
10 Et c'est à nous que Dieu par l'Esprit,
a révélé cette sagesse.
Car l'Esprit voit le fond de toutes choses,
et même les profondeurs de Dieu.

- Dimanche dernier, la lettre de Paul opposait déjà sagesse humaine et sagesse de Dieu : aujourd'hui, Paul poursuit dans la même ligne : oui, la proclamation du mystère de Dieu est peut-être une folie aux yeux du monde, mais il s'agit d'une sagesse combien plus haute, la sagesse de Dieu. « C'est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi mais ce n'est pas la sagesse de ce monde... Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu... »

- A nous de choisir, donc : vivre notre vie selon la sagesse du monde, l'esprit du monde, ou selon la sagesse de Dieu. Les deux ont bien l'air totalement contradictoires ! Nous retrouvons là le thème des autres lectures de ce dimanche : la première lecture tirée du livre de Ben Sirac et le psaume 118 développaient tous les deux, chacun à leur manière, ce qu'on appelle le thème des deux voies : l'homme est placé au carrefour de deux routes et il est libre de choisir son chemin ; une voie mène à la vie, à la lumière, au bonheur ; l'autre s'enfonce dans la nuit, la mort, et n'offre en définitive que de fausses joies.

- « sagesse tenue cachée » : une des grandes affirmations de la Bible est que l'homme ne peut pas tout comprendre du mystère de la vie et de la Création, et encore moins du mystère de Dieu lui-même. Cette limite fait partie de notre être même.
Voici ce que dit le livre du Deutéronome : « Au Seigneur notre Dieu sont les choses cachées, et les choses révélées sont pour nous et nos fils à jamais, pour que soient mises en pratique toutes les paroles de cette Loi. » (Dt 29, 28). Ce qui veut dire : Dieu connaît toutes choses, mais nous, nous ne connaissons que ce qu'il a bien voulu nous révéler, à commencer par la Loi qui est la clé de tout le reste.

- Cela nous renvoie encore une fois au récit du paradis terrestre : le livre de la Genèse raconte que dans le jardin d'Eden, il y avait toute sorte d'arbres « d'aspect attrayant et bon à manger ; et il y avait aussi deux arbres particuliers : l'un au milieu du jardin, l'arbre de vie ; et l'autre à un endroit non précisé, l'arbre de la connaissance du bonheur et du malheur. Adam avait le droit de prendre du fruit de l »arbre de vie, c'était même recommandé puisque Dieu avait dit « Tu pourras manger de tout arbre du jardin... sauf un ». Seul le fruit de l'arbre de la connaissance était interdit. Manière imagée de dire que l'homme ne peut pas tout connaître et qu'il doit accepter cette limite : « Au Seigneur notre Dieu (sous-entendu et à lui seul) sont les choses cachées » dit le Deutéronome. En revanche, la Torah, la Loi, qui est l'arbre de vie, est confiée à l'homme : pratiquer la Loi, c'est se nourrir jour après jour de ce qui nous fera vivre.

- « sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles... » Paul insiste plusieurs fois dans ses lettres sur le fait que le projet de Dieu est prévu de toute éternité : il n'y a pas eu de changement de programme, si j'ose dire. Parfois nous nous représentons le déroulement du projet de Dieu comme s'il avait dû changer d'avis en fonction de la conduite de l'humanité. Par exemple, nous imaginons que, dans un premier temps, acte 1 si vous voulez, Dieu a créé le monde et que tout était parfait jusqu'au jour où, acte 2, Adam a commis la faute : et alors pour réparer, acte 3, Dieu aurait imaginé d'envoyer son Fils. Contre cette conception, Paul développe dans plusieurs de ses lettres cette idée que le rôle de Jésus-Christ est prévu de toute éternité et que le dessein de Dieu précède toute l'histoire humaine.

- Par exemple, je vous rappelle les phrases de la lettre aux Ephésiens : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l'univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ. » Ou bien, dans la lettre aux Romains, Paul dit « J'annonce l'évangile en prêchant Jésus-Christ, selon la Révélation d'un mystère gardé dans le silence durant des temps éternels, mais maintenant manifesté et porté à la connaissance de tous les peuples païens... »

- « Pour nous donner la gloire » : la gloire, normalement, c'est un attribut de Dieu et de lui seul : notre vocation ultime, c'est donc de participer à la gloire de Dieu. Cette expression est, pour Paul, une autre manière de nous dire le dessein bienveillant : le projet de Dieu, c'est de nous réunir tous ensemble en Jésus-Christ et de nous faire participer à la gloire de la Trinité.

- « Ce que nous proclamons, c'est, comme dit l'Ecriture, ce que personne n'avait vu de ses yeux, ni entendu de ses oreilles, ce que le coeur de l'homme n'avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu ». L'expression « comme dit l'Ecriture » renvoie à une phrase du prohète Isaïe : « Jamais on n'a entendu, jamais on n'a ouï-dire, jamais l'oeil n'a vu qu'un dieu, toi excepté, ait agi pour qui comptait sur lui ». Elle dit l'émerveillement du croyant biblique gratifié de la Révélation des mystères de Dieu.

- Reste la fin de la phrase « Ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu »... On a envie de dire « et les autres ? » Il y a des gens pour qui çà n'était pas préparé ? Bien sûr que non : le projet de Dieu, son dessein bienveillant est évidemment pour tous ; mais ne peuvent y participer que ceux qui ont le coeur ouvert. et de notre coeur, nous sommes seuls maîtres. D'une certaine manière, c'est le saut dans la foi qui est dit là. Le mystère du dessein de Dieu ne s'ouvre que pour les petits. Comme le disait Jésus, « Dieu l'a caché aux sages et aux savants, et il l'a révélé aux tout-petits » : nous voilà tout-à-fait rassurés : tout-petits, nous le sommes, il suffit de le reconnaître.

EVANGILE Matthieu 5, 17-37

Comme les disciples s'étaient rassemblés
autour de Jésus, sur la montagne,
il leur disait :
17 « Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes :
je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.
18 Amen, je vous le dis :
Avant que le ciel et la terre disparaissent,
pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaîtra de la Loi
jusqu'à ce que tout se réalise.
19 Donc, celui qui rejettera
un seul de ces plus petits commandements,
et qui enseignera aux hommes à faire ainsi,
sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux.
Mais celui qui les observera et les enseignera
sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.
20 Je vous le dis en effet :
Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens
vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux.
21 Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens :
Tu ne commettras pas de meurtre,
et si quelqu'un commet un meurtre,
il en répondra au tribunal.
22 Eh bien, moi je vous dis :
Tout homme qui se met en colère contre son frère
en répondra au tribunal.
Si quelqu'un insulte son frère,
il en répondra au grand conseil.
Si quelqu'un maudit son frère,
il sera passible de la géhenne de feu.
23 Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel,
si là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse ton offrande là, devant l'autel,
va d'abord te réconcilier avec ton frère,
et ensuite viens présenter ton offrande.
25 Accorde-toi vite avec ton adversaire
pendant que tu es en chemin avec lui,
pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge,
le juge au garde,
et qu'on ne te jette en prison.
26 Amen, je te le dis :
tu n'en sortiras pas
avant d'avoir payé jusqu'au dernier sou.
27 Vous avez appris qu'il a été dit :
Tu ne commettras pas d'adultère.
28 Eh bien moi, je vous dis :
Tout homme qui regarde une femme et la désire,
a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur.
29 Si ton oeil droit entraîne ta chute, arrache-le
et jette-le loin de toi :
car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres
et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne.
30 Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la
et jette-la loin de toi :
car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres,
et que ton corps tout entier ne s'en aille pas dans la géhenne.
31 Il a été dit encore :
Si quelqu'un renvoie sa femme,
qu'il lui donne un acte de répudiation.
32 Eh bien moi, je vous dis :
Tout homme qui renvoie sa femme,
sauf en cas d'union illégitime,
la pousse à l'adultère ;
et si quelqu'un épouse une femme renvoyée
il est adultère.
33 Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens :
Tu ne feras pas de faux serments,
mais tu t'acquitteras de tes serments envers le Seigneur.
34 Eh bien moi, je vous dis de ne faire aucun serment,
ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu
35 ni par la terre, car elle est son marchepied,
ni par Jérusalem, car elle est la Cité du grand Roi.
36 Et tu ne jureras pas non plus sur ta tête,
parce que tu ne peux pas
rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir.
37 Quand vous dites « Oui » que ce soit un « oui »,
quand vous dites « non », que ce soit un « non ».
Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. »

- Nous avons entendu là un des maîtres mots de Saint Matthieu : le mot « accomplir ». Il vise ce grand projet que Paul appelle « le dessein bienveillant de Dieu » ; et si le mot est de Saint Paul, l'idée remonte beaucoup plus loin que lui ; depuis Abraham, toute la Bible est tendue vers cet accomplissement. Le chrétien, normalement, n'est pas tourné vers le passé, c'est quelqu'un qui est tendu vers l'avenir. Et il juge toutes les choses de ce monde en fonction de l'avancement des travaux, entendez l'avancement du Royaume ». Quelqu'un disait : « la Messe chaque semaine, c'est la réunion du chantier du Royaume » : le lieu où on fait le point sur l'avancement de la construction.

- Et réellement, le Royaume avance, lentement mais sûrement : c'est le coeur de notre foi. Bien sûr, cela ne se juge pas sur quelques dizaines d'années : il faut regarder sur la longue durée ; Dieu a choisi un peuple comme tous les autres : il s'est peu à peu révélé à lui et après coup, on est bien obligé de reconnaître qu'un énorme chemin a été parcouru. Dans la découverte de Dieu, d'abord, mais aussi dans la relation aux autres hommes ; les idéaux de justice, de liberté, de fraternité remplacent peu à peu la loi du plus fort et l'instinct de vengeance.

- Ce lent travail de conversion du coeur de l'homme a été l'oeuvre de la Loi donnée par Dieu à Moïse : les premiers commandements étaient de simples balises qui disaient le minimum vital en quelque sorte, pour que la vie en société soit simplement possible : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas tromper... Et puis, au long des siècles on avait affiné la Loi, on l'avait précisée, au fur et à mesure que les exigences morales progressaient.

- Jésus s'inscrit dans cette progression : il ne supprime pas les acquis précédents, il les affine encore : « on vous a dit... moi je vous dis... » Pas question de gommer les étapes précédentes, il s'agit d'en franchir une autre : « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ». Première étape, tu ne tueras pas, deuxième étape, tu t'interdiras même la colère et tu iras jusqu'au pardon. Dans un autre domaine, première étape, tu ne commettras pas l'adultère en acte, deuxième étape, tu t'interdiras même d'y penser, et tu éduqueras ton regard à la pureté. Enfin, en matière de promesses, première étape, pas de faux serments, deuxième étape, pas de serments du tout, que toute parole de ta bouche soit vraie.

- Aller plus loin, toujours plus loin dans l'amour, voilà la vraie sagesse ! Mais l'humanité a bien du mal à prendre ce chemin-là ! Pire encore, elle refuse bien souvent les valeurs de l'évangile et se croit sage en bâtissant sa vie sur de tout autres valeurs. Paul fustige souvent cette prétendue sagesse qui fait le malheur des hommes : « La sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent », lisions-nous dans la deuxième lecture.

- Dans chacun de ces domaines, Jésus nous invite à franchir une étape pour que le Royaume vienne. Curieusement, mais c'est bien conforme à toute la tradition biblique, ces commandements renouvelés de Jésus visent tous les relations avec les autres. Si on y réfléchit, ce n'est pas étonnant : si le dessein bienveillant de Dieu, comme dit saint Paul, c'est de nous réunir tous en Jésus-Christ, tout effort que nous tentons vers l'unité fraternelle contribue à l'accomplissement du projet de Dieu, c'est-à-dire à la venue de son Règne. Il ne suffit pas de dire « Que ton Règne vienne », Jésus vient de nous dire comment, petitement, mais sûrement, on peut y contribuer.

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3 février 2011 4 03 /02 /février /2011 07:45

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 58, 7 - 10

7 Partage ton pain avec celui qui a faim,
recueille chez toi le malheureux sans abri,
couvre celui que tu verras sans vêtement,
ne te dérobe pas à ton semblable.

8 Alors ta lumière jaillira comme l'aurore,
et tes forces reviendront rapidement.
Ta justice marchera devant toi,
et la gloire du Seigneur t'accompagnera.

9 Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ;
si tu cries, il dira : « Me voici. »
Si tu fais disparaître de ton pays
le joug, le geste de menace, la parole malfaisante,

10 si tu donnes de bon coeur à celui qui a faim,
et si tu combles les désirs du malheureux,
ta lumière se lèvera dans les ténèbres
et ton obscurité sera comme la lumière de midi.
A première vue, on pourrait prendre ce texte pour une belle leçon de morale et ce ne serait déjà pas si mal ! Mais, en fait, il s'agit de bien autre chose : je vous rappelle le contexte ; nous sommes à la fin du sixième siècle avant J.C. ; le retour d'Exil est chose faite, mais il reste encore bien des séquelles de cette période terrible ; puisque, un peu plus bas, le même prophète parle des « dévastations du passé » et des ruines à relever.
La pratique religieuse s'est remise en place à Jérusalem et, de bonne foi, on s'efforce de plaire à Dieu. Mais notre prophète est ici chargé de délivrer un message un peu délicat : oui, vous voulez plaire à Dieu, c'est une affaire entendue, seulement voilà : le culte qui plaît à Dieu n'est pas ce que vous croyez ; et le prophète leur adresse de lourds reproches : vous cherchez à vous faire bien voir de Dieu par des jeûnes spectaculaires parce que vous voulez vous attirer ses bonnes grâces, mais pendant ce temps vous n'êtes que disputes, querelles, brutalités, appât du gain.

Voici ce que dit Isaïe, quelques lignes avant notre texte d'aujourd'hui : « Le jour de votre jeûne, vous savez (quand même) tomber sur une bonne affaire, et tous vos gens de peine, vous les brutalisez ! Vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute, et en frappant du poing méchamment ! Vous ne jeûnez pas comme il convient en un jour où vous voulez faire entendre là-haut votre voix. Doit-il être comme cela le jeûne que je préfère, le jour où l'homme s'humilie ? S'agit-il de courber la tête comme un jonc, d'étaler en litière sac et cendre ? Est-ce pour cela que tu proclames un jeûne.. ? » (58, 4-5).
Cela nous vaut l'un des textes les plus percutants de l'Ancien Testament ! Dommage que nous ne le lisions pas plus souvent ! Car il bouscule nos idées sur Dieu et sur la religion : nous avons là la réponse à l'une de nos grandes questions : « Qu'est-ce que Dieu attend de nous ? » Et, en fait de réponse, on ne peut pas être plus clair !

En quelques lignes, tout est dit ; mais comme toujours, quand un texte est très dense, on peut se dire qu'il a été longuement travaillé : c'est bien le cas ici, pour ce passage d'Isaïe. Car ces quelques lignes sont l'aboutissement de toute l'oeuvre des prophètes. Depuis des siècles, en Israël, et pas seulement depuis l'exil, depuis Abraham, c'est-à-dire à peu près 1850 ans av. J.C., on cherche à faire ce qui plaît à Dieu. On a tout essayé : les sacrifices humains, d'abord, mais Dieu a tout de suite fait savoir qu'avec lui, le Dieu des vivants, il ne pouvait pas en être question ; alors on a continué à offrir des sacrifices, mais d'animaux seulement ; et puis il y a eu, comme dans toutes les religions, des jeûnes, des offrandes de toute sorte, des prières.

Tout au long de ce lent développement de la foi d'Israël, les prophètes appelaient le peuple à ne pas se contenter du culte mais à vivre l'Alliance au quotidien. Et c'est bien le sens de ce passage...
Le prophète commence par dire (juste avant notre texte de ce dimanche) : « Le jeûne que je préfère, n'est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! » Si je comprends bien, aux yeux de Dieu, tout geste qui vise à libérer nos frères vaut mieux que le jeûne le plus courageux.

Puis vient le passage que nous avons entendu tout à l'heure qui nous propose des gestes de partage : nourrir l'affamé, et désaltérer l'assoiffé, recueillir le malheureux sans abri, vêtir celui qui a froid, combler le désir des malheureux... en un mot secourir toutes les souffrances que nous rencontrons.

Je vous propose trois remarques : premièrement, les gestes de libération, les gestes de partage qu'Isaïe nous recommande sont tout simplement l'imitation de l'oeuvre de Dieu lui-même ; Israël a expérimenté bien souvent l'action du Dieu libérateur et la compassion du Dieu miséricordieux ; et ce qui lui est demandé, c'est de faire les mêmes gestes à son tour. Décidément, l'homme est vraiment fait pour être l'image de Dieu !
Deuxièmement, alors on ne s'étonne pas qu'Isaïe puisse promettre : « Si tu combles les désirs du malheureux, la gloire du Seigneur t'accompagnera » (« la gloire du Seigneur », c'est-à-dire le rayonnement de sa présence) ; ce n'est pas une récompense ! C'est beaucoup mieux : c'est une réalité... car, réellement, quand nous agissons à la manière de Dieu par des actes qui libèrent, qui rassurent, qui encouragent, qui adoucissent les épreuves de toute sorte, alors il nous est donné de refléter un peu pour eux la lumière de Dieu. Et vous avez remarqué l'insistance d'Isaïe sur la lumière : « Alors ta lumière jaillira comme l'aurore... ta lumière se lèvera dans les ténèbres, ton obscurité sera comme la lumière de midi ». Bien sûr, puisqu'il s'agit de la lumière même de Dieu. Pour le dire autrement, Isaïe nous dit « Quand tu donnes, tu reflètes la présence de Dieu. » Une fois de plus on peut rappeler cette superbe phrase de la tradition chrétienne « Là où il y a de l'amour, là est Dieu ».

Troisièmement, tout acte de justice, de libération, de partage est un pas vers le Royaume de Dieu : puisque, justement, ce royaume que tout l'Ancien Testament attend est le lieu de la justice et de l'amour ; l'évangile de dimanche dernier, celui des Béatitudes, nous rappelait qu'il est construit au jour le jour par les doux, les purs, les pacifiques, les assoiffés de justice et de miséricorde.

PSAUME 111 ( 112)

1 Heureux qui craint le Seigneur !
4 Lumière des coeurs droits, il s'est levé dans les ténèbres,
homme de justice, de tendresse et de pitié.

5 L'homme de bien a pitié, il partage ;
6 cet homme jamais ne tombera ;
toujours on fera mémoire du juste.

7 Il ne craint pas l'annonce d'un malheur :
le coeur ferme, il s'appuie sur le Seigneur.
8 Son coeur est confiant, il ne craint pas.

9 A pleines mains, il donne au pauvre :
à jamais se maintiendra sa justice,
sa puissance grandira et sa gloire !
Chaque année, au cours de la fête des Tentes, cette fête qui dure, encore aujourd'hui, une semaine à l'automne, le peuple entier faisait ce qu'on pourrait appeler sa « profession de foi » : il renouvelait l'Alliance avec Dieu et s'engageait de nouveau à respecter la Loi. Le psaume 111 était certainement chanté à cette occasion.

L'ensemble de ce psaume (111) est à lui seul un petit traité de la vie dans l'Alliance : tout d'abord, il commence par le mot Alleluia, littéralement « Louez Dieu » qui est le maître-mot des croyants : quand l'homme de la Bible nous invite à louer Dieu, c'est pour le don de l'Alliance précisément. Ensuite, ce psaume se présente comme un psaume alphabétique : c'est-à-dire qu'il comporte 22 lignes, autant qu'il y a de lettres dans l'alphabet hébreu ; le premier mot de chaque ligne commence par une lettre de l'alphabet dans l'ordre alphabétique ; manière d'affirmer que l'Alliance avec Dieu concerne toute la vie de l'homme et que la loi de Dieu est le seul chemin du bonheur pour la totalité de la vie, de A à Z. Enfin, le premier verset commence par le mot « heureux » adressé à l'homme qui sait se maintenir sur le chemin de l'Alliance.

Dimanche dernier, l'évangile des Béatitudes résonnait de ce même mot « heureux » : Jésus employait là un mot très habituel dans la Bible mais que malheureusement notre traduction française ne peut pas rendre complètement ; dans son commentaire des psaumes, André Chouraqui fait remarquer que la racine hébraïque de ce mot « a pour sens fondamental la marche, le pas de l'homme sur la route sans obstacle qui conduit vers le Seigneur. » Il s'agit donc « moins du bonheur que de la démarche qui y conduit ».

Généralement, dans la Bible, le mot « heureux » ne va pas tout seul, il est opposé à son contraire « malheureux » : l'idée générale étant qu'il y a dans la vie des fausses pistes à éviter ; certains chemins (traduisez choix, comportements) vont dans le bon sens et d'autres, opposés, ne sèmeront que du malheur. Et si on lit ce psaume en entier dans la Bible, on s'aperçoit qu'il est construit de cette manière ; le psaume 1 qui est plus connu est, lui aussi, construit exactement de la même façon : il commence par détailler longuement quels sont les bons choix, ce qui est chemin de bonheur pour tous et, beaucoup plus brièvement, parce que cela ne vaut pas la peine d'en parler, les mauvais choix.

Ici, le bon choix est précisé dès le premier verset : « Heureux l'homme qui craint le Seigneur ! » Nous retrouvons cette expression si fréquente dans l'Ancien Testament : « la crainte de Dieu » ; malheureusement, la lecture liturgique est coupée ici et ne nous fait pas entendre la seconde ligne de ce premier verset ; je vous le lis en entier : « Heureux l'homme qui craint le Seigneur, qui aime entièrement sa volonté. » Voilà donc une définition de la « crainte de Dieu » : c'est l'amour de sa volonté. Parce qu'on est en confiance, tout simplement. La crainte du Seigneur, on le sait bien, n'est pas de l'ordre de la peur : d'ailleurs, un peu plus bas, un autre verset le précise bien : « L'homme de bien... s'appuie sur le Seigneur ; son coeur est confiant... »

La « crainte de Dieu » au sens biblique, c'est à la fois la conscience de la Sainteté de Dieu, la reconnaissance de tout ce qu'il fait pour l'homme, et, puisqu'il est notre Créateur, le souci de lui obéir ; car, s'il est notre Créateur, lui seul sait ce qui est bon pour nous. C'est une attitude filiale de respect et d'obéissance confiante. La double découverte d'Israël c'est à la fois que Dieu est le Tout-Autre ET qu'il se fait le Tout-Proche : Il est infiniment puissant, oui, mais cette toute-puissance est celle de l'amour. Nous n'avons donc rien à craindre puisqu'il peut et veut notre bonheur ! Vous connaissez ce verset du psaume 103 (102) « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du Seigneur pour qui le craint ». Craindre le Seigneur, c'est bien avoir à son égard une attitude de fils à la fois respectueux et confiant. C'est aussi « s'appuyer sur lui » : « L'homme de bien... s'appuie sur le Seigneur ; son coeur est confiant ».

Voici donc la juste attitude envers Dieu, celle qui met l'homme sur la bonne voie : « Heureux l'homme qui craint le Seigneur ! » Voici maintenant la juste attitude envers les autres : « L'homme de bien a pitié, il partage ; homme de justice, de tendresse et de pitié... A pleines mains, il donne au pauvre. » Dans la première lecture, Isaïe soulignait le lien entre notre relation aux autres et notre relation à Dieu. Ce psaume lui fait parfaitement écho !

La formule « homme de justice, de tendresse et de pitié » fait irrésistiblement penser à la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse : « Le Seigneur, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté ... » (Ex 34, 6). Et d'ailleurs, le psaume précédent (110) qui est le pendant de celui-ci emploie exactement les mêmes mots « justice, tendresse et pitié » pour Dieu et pour l'homme. Manière de dire que l'observation quotidienne de la loi, dans toute notre vie, de A à Z, comme le symbolise l'alphabétisme de ce psaume, finit par nous modeler à l'image et à la ressemblance de Dieu.

J'ai bien dit ressemblance : le psalmiste n'oublie pas que le Seigneur est le Tout-Autre : les formules ne sont donc pas exactement les mêmes : pour Dieu on dit qu'Il « EST » justice, tendresse et pitié... alors que pour l'homme, le psalmiste dit « il est homme DE justice, DE tendresse, DE pitié », ce qui veut dire que ce sont des vertus qu'il pratique, ce n'est pas son être même. Ces vertus, il les tient de Dieu, il les reflète en quelque sorte.

Et alors parce que son action est à l'image de celle de Dieu, l'homme de bien est une lumière pour les autres : « Lumière des coeurs droits, il s'est levé dans les ténèbres ». Là encore, il y a un écho à la lecture d'Isaïe « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement... alors ta lumière jaillira comme l'aurore ». C'est quand nous donnons et partageons, que nous sommes le plus à l'image de Dieu, lui qui n'est que don. Alors, à notre petite mesure, nous reflétons sa lumière.

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 2 , 1- 5

1 Frères,
quand je suis venu chez vous,
je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu
avec le prestige du langage humain ou de la sagesse.
2 Parmi vous, je n'ai rien voulu connaître d'autre que Jésus Christ
ce Messie crucifié.
3 Et c'est dans la faiblesse,
craintif et tout tremblant,
que je suis arrivé chez vous.
4 Mon langage, ma proclamation de l'Evangile,
n'avaient rien à voir avec le langage
d'une sagesse qui veut convaincre ;
mais c'est l'Esprit et sa puissance qui se manifestaient,
5 pour que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes,
6 mais sur la puissance de Dieu.

Saint Paul, comme souvent, procède par contrastes : première opposition, le mystère de Dieu est tout différent de la sagesse des hommes ; deuxième opposition, le langage de l'apôtre qui annonce le mystère est tout différent du beau langage humain, de l'éloquence. Je reprends ces deux oppositions : mystère de Dieu / sagesse humaine ; langage du prédicateur / éloquence, (ou art oratoire, si vous préférez).

Et, tout d'abord l'opposition mystère de Dieu / sagesse humaine : Paul dit qu'il est venu « annoncer le mystère de Dieu » ; il faut entendre par là le « dessein bienveillant » de Dieu que la lettre aux Ephésiens développera plus tard : ce dessein bienveillant, c'est de faire de l'humanité une communion parfaite d'amour autour de Jésus-Christ : il est donc fondé sur les valeurs de l'amour, du service mutuel, du don, du pardon ; et on voit bien que Jésus le met en oeuvre déjà tout au long de sa vie terrestre. On sait aussi la méprise de beaucoup de ses contemporains qui n'imaginaient qu'un Dieu de puissance au sens militaire du terme.

Ce mystère de Dieu s'accomplit par un « Messie crucifié » : c'est tout à fait contraire à notre logique humaine ; c'est même presque un paradoxe ; Paul l'affirme, Jésus de Nazareth est bien le Messie ; mais pas comme on l'attendait. On ne l'attendait pas crucifié ; et même, selon notre logique humaine, le fait qu'il soit crucifié tendait à prouver qu'il n'était pas le Messie : tout le monde avait en tête une célèbre phrase du Deutéronome : d'après laquelle un homme qui avait été condamné à mort pour un crime, et exécuté, était maudit de Dieu. (Dt 21, 23).

Et pourtant, ce dessein du Dieu tout-puissant, ce n'est « rien d'autre que Jésus-Christ » comme dit Paul... Quand il témoigne de sa foi, il n'a rien d'autre à dire que Jésus-Christ ; pour lui, Jésus-Christ est vraiment le centre de l'histoire humaine, le centre du projet de Dieu, le centre de sa foi. Il ne veut rien connaître d'autre : « Je n'ai rien voulu connaître d'autre » ; derrière cette phrase, on perçoit les difficultés de ne pas céder aux pressions de toute sorte, aux injures, à la persécution déjà.

Ce Messie crucifié nous fait connaître ce qu'est la véritable sagesse, la sagesse de Dieu : c'est-à-dire don et pardon, refus de la violence... Nous avons entendu tout cela dans l'évangile des Béatitudes, dimanche dernier.
Face à cette sagesse divine, la sagesse humaine est raison raisonnante, persuasion, force, puissance ; cette sagesse-là ne peut même pas entendre le message de l'évangile ; et, d'ailleurs, Paul a essuyé un échec à Athènes, le haut lieu de la philosophie.

Deuxième opposition dans ce texte : langage de prédicateur, ou art oratoire. Paul n'a aucune prétention du côté de l'éloquence : voilà déjà de quoi nous rassurer, si nous n'avons pas la parole trop facile ! Mais Paul va plus loin : pour lui, l'éloquence, l'art oratoire, la faculté de persuasion seraient une gêne parce que totalement incompatibles avec le message de l'évangile. Annoncer l'Evangile ce n'est pas faire étalage d'un savoir ni asséner des arguments. La foi, comme l'amour, n'est pas affaire de persuasion... Allez donc persuader quelqu'un de vous aimer... On sait bien que l'amour ne se raisonne pas, ne se démontre pas... Le mystère de Dieu non plus ; on peut seulement y pénétrer peu à peu.

Le mystère d'un Messie pauvre, d'un Messie-Serviteur, d'un Messie crucifié, ne peut pas s'annoncer par des moyens de puissance : ce serait le contraire du mystère annoncé ! C'est dans la pauvreté que l'évangile s'annonce : voilà qui devrait nous redonner du courage ! Le Messie pauvre ne peut être annoncé que par des moyens pauvres, le Messie serviteur ne peut être annoncé que par des serviteurs.

Il ne faut donc pas nous inquiéter de n'être pas de très bons orateurs, car notre pauvreté de langage est seule compatible avec le message de l'évangile ; mais Paul va même jusqu'à dire que notre pauvreté de prédicateurs est une condition incontournable de la prédication ! Elle seule peut laisser le champ libre à l'action de Dieu. Ce n' est pas lui, Paul, qui a convaincu les Corinthiens, c'est l'Esprit de Dieu qui a donné à la prédication de Paul la force de la vérité en leur faisant découvrir le Christ.

J'en déduis que ce n'est pas non plus la force de notre raisonnement qui convaincra nos contemporains : leur foi ne reposera pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de l'Esprit de Dieu. Nous ne pouvons que lui prêter notre voix. Evidemment cela exige de nous un terrible acte de foi...

« C'est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant que je suis arrivé chez vous. Mon langage, ma proclamation de l'évangile n'avaient rien à voir avec le langage d'une sagesse qui veut convaincre ; mais c'est l'Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu ».

Au moment où nous avons l'impression que le cercle des croyants rétrécit comme une peau de chagrin, au moment où nous rêverions de moyens de puissance médiatique, télématique, électronique de toute sorte, et alors que nos moyens financiers sont révisés à la baisse, il nous est bon de nous entendre dire que l'annonce de l'évangile s'accommode mieux des moyens de pauvreté... Mais pour accepter cette vérité-là, il faut admettre que l'Esprit-Saint est meilleur prédicateur que nous ! Et que, peut-être, le témoignage de notre pauvreté serait la meilleure des prédications ?

EVANGILE - Matthieu 5 , 13 -16

Comme les disciples s'étaient rassemblés
autour de Jésus, sur la montagne,
il leur disait :
13. « Vous êtes le sel de la terre.
Si le sel se dénature,
comment redeviendra-t-il du sel ?
Il n'est plus bon à rien :
on le jette dehors et les gens le piétinent.
14. Vous êtes la lumière du monde.
Une ville située sur une montagne
ne peut être cachée.
15. Et l'on n'allume pas une lampe
pour la mettre sous le boisseau ;
on la met sur le lampadaire,
et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16. De même, que votre lumière brille devant les hommes :
alors, en voyant ce que vous faites de bien,
ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »

Tant mieux si une lampe est jolie, mais franchement, ce n'est pas le plus important ! Ce qu'on lui demande d'abord, c'est d'éclairer ; et d'ailleurs, si elle n'éclaire pas bien, si on n'y voit rien, comme on dit, on ne verra pas non plus qu'elle est jolie ! Quant au sel, sa vocation est de disparaître en remplissant son office : mais s'il manque, le plat sera moins bon.

Je veux dire par là que sel et lumière n'existent pas pour eux-mêmes ; d'ailleurs, je remarque au passage, que Jésus leur dit « Vous êtes le sel de la terre... Vous êtes la lumière du monde » : ce qui compte, c'est la terre, c'est le monde ; le sel et la lumière ne comptent que par rapport à la terre et au monde ! En disant à ses disciples qu'ils sont le sel et la lumière, Jésus les met en situation missionnaire. Il leur dit : « Vous qui recevez mes paroles, vous devenez, par le fait même, sel et lumière pour ce monde : votre présence lui est indispensable ». Ce qui revient à dire que l'Eglise n'existe que POUR le monde. Voilà qui nous remet à notre place, comme on dit ! Déjà la Bible avait répété au peuple d'Israël qu'il était le peuple élu, certes, mais au service du monde ; cette leçon-là reste valable pour nous.

Je reviens au sel et à la lumière : on peut se demander quel point commun il y a entre ces deux éléments, auxquels Jésus compare ses disciples. Réponse : ce sont des révélateurs ; le sel met en valeur la saveur des aliments, la lumière fait connaître la beauté des êtres et du monde. Les aliments existent avant de recevoir le sel ; les êtres, le monde existent avant d'être éclairés. Cela nous en dit long sur la mission que Jésus confie à ses disciples, à nous. Personne n'a besoin de nous pour exister, mais apparemment, nous avons un rôle spécifique à jouer.

Sel de la terre, nous sommes là pour révéler aux hommes la saveur de leur vie. Les hommes ne nous attendent pas pour vivre des gestes d'amour et de partage parfois magnifiques. Evangéliser, c'est dire « le royaume est au milieu de vous, dans tout geste, toute parole d'amour » ; c'est là qu'ils nous attendent si j'ose dire : pour leur révéler le Nom de Celui qui agit à travers eux : puisque « là où il y a de l'amour, là est Dieu ».
Lumière du monde, nous sommes là pour mettre en valeur la beauté de ce monde : c'est le regard d'amour qui révèle le vrai visage des personnes et des choses. L'Esprit Saint nous a été donné précisément pour que nous puissions entrer en résonance avec tout geste ou parole qui vient de lui.

Mais cela ne peut se faire que dans la discrétion et l'humilité. Trop de sel dénature le goût des aliments au lieu de le mettre en valeur. Une lumière trop forte écrase ce qu'elle veut éclairer. Pour être sel et lumière, il faut beaucoup aimer.

Il suffit d'aimer, mais il faut vraiment aimer. C'est ce que les textes de ce jour nous répètent selon des modes d'expression différents mais de façon très cohérente. L'évangélisation n'est pas une conquête. La Nouvelle Evangélisation n'est pas une reconquête. L'annonce de la Bonne Nouvelle ne se fait que dans une présence d'amour. Rappelez-vous la mise en garde de Paul aux Corinthiens : il leur rappelle que seuls les pauvres et les humbles peuvent prêcher le Royaume.

Cette présence d'amour peut être très exigeante si j'en crois la première lecture : le rapprochement entre le texte d'Isaïe et l'évangile est très suggestif. Etre la lumière du monde selon l'expression de l'évangile, c'est se mettre au service de nos frères ; et Isaïe est très concret : c'est partager le pain ou les vêtements, c'est faire tomber tous les obstacles qui empêchent les hommes d'être libres.
Et le psaume de ce dimanche ne dit pas autre chose : « l'homme de bien », c'est-à-dire « celui qui partage ses richesses de toute sorte à pleines mains » est une lumière pour les autres. Parce qu'à travers ses paroles et ses gestes d'amour, les autres découvriront la source de tout amour : comme dit Jésus, « En voyant ce que les disciples font de bien, les hommes rendront gloire au Père qui est aux cieux. » c'est-à-dire qu'ils découvriront que le projet de Dieu sur les hommes est un projet de paix et de justice.

A l'inverse, on peut se demander comment les hommes pourront croire au projet d'amour de Dieu tant que nous, qui sommes répertoriés comme ses ambassadeurs, nous ne multiplions pas les gestes de solidarité et de justice que notre société exige ; on peut penser d'ailleurs que le sel est sans cesse en danger de s'affadir : car il est tentant de laisser tomber dans l'oubli les paroles fortes du prophète Isaïe, celles que nous avons entendues dans la première lecture ; ce n'est peut-être pas un hasard, d'ailleurs, si l'Eglise nous les donne à entendre quelques semaines avant l'ouverture du Carême, ce moment où nous nous demanderons de très bonne foi quel est le jeûne que Dieu préfère.

Dernière remarque : cet évangile d'aujourd'hui (sur le sel et la lumière) suit immédiatement dans l'évangile de Matthieu la proclamation des Béatitudes : il y a donc certainement un lien entre les deux. Et nous pouvons probablement éclairer ces deux passages l'un par l'autre. Peut-être le meilleur moyen d'être sel et lumière pour le monde est-il tout simplement de développer chacun la Béatitude à laquelle nous sommes appelés ? Etre sel de la terre, être lumière du monde, c'est vivre selon l'esprit des Béatitudes, c'est-à-dire exactement à l'opposé de l'esprit du monde ; c'est accepter de vivre selon des valeurs d'humilité, de douceur, de pureté, de justice. C'est être artisans de paix en toute circonstance, et, plus important que tout peut-être, accepter d'être pauvres et démunis, en n'ayant en tête qu'un seul objectif : « qu'en voyant ce que les disciples font de bien, les hommes rendent gloire à notre Père qui est aux cieux. »

***

Compléments
Enfin, si je me rappelle bien l'un des textes du Concile sur l'Eglise, la vraie lumière du monde, ce n'est pas nous, c'est Jésus-Christ ; vous vous souvenez de ce texte qui s'intitule « Lumen Gentium » : il précise d'entrée de jeu « La lumière du monde, c'est Jésus-Christ ».
En disant à ses disciples qu'ils sont lumière, Jésus leur révèle ni plus ni moins que c'est Dieu lui même qui brille à travers eux, car, dans les écrits bibliques, comme dans le Concile, il est toujours bien précisé que toute lumière vient de Dieu.

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27 janvier 2011 4 27 /01 /janvier /2011 20:40

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - Sophonie 2, 3 ... 3, 13

2, 3 Cherchez le SEIGNEUR,
vous tous, les humbles du pays
qui faites sa volonté.
Cherchez la justice,
cherchez l'humilité :
peut-être serez-vous à l'abri
au jour de la colère du SEIGNEUR.
3, 12 Israël, je ne laisserai subsister au milieu de toi
qu'un peuple petit et pauvre,
qui aura pour refuge le nom du SEIGNEUR.
3, 13 Ce Reste d'Israël ne commettra plus l'iniquité.
Il renoncera au mensonge,
on ne trouvera plus de tromperie dans sa bouche.
Il pourra paître et se reposer
sans que personne puisse l'effrayer.

Le livre de Sophonie est surprenant parce que très contrasté : on y trouve d'une part des menaces terribles contre Jérusalem, et là le prophète a l'air très en colère, et, d'autre part, des encouragements, des promesses de lendemains heureux, toujours adressés à Jérusalem. Reste à savoir pour qui sont les menaces et pour qui les encouragements.
Il faut donc faire un petit détour par l'histoire : nous sommes au 7ème siècle avant Jésus-Christ, dans le royaume de Juda, c'est-à-dire le royaume du Sud ; le jeune roi Josias vient de monter sur le trône, à l'âge de huit ans, à la suite de l'assassinat de son père. Jérusalem vit donc des temps très troublés, c'est le moins qu'on puisse dire.

Vous vous souvenez qu'à cette époque-là, l'empire assyrien, dont la capitale est Ninive, est en pleine expansion ; sous la menace assyrienne les rois ont préféré capituler d'avance ; cela veut dire en clair que le royaume de Jérusalem est vassal de Ninive.

Or il y a toujours eu une querelle entre les rois et les prophètes sur ce point : le raisonnement des rois, c'est : quand on est un tout petit peuple, on ne peut pas éviter d'être dominé par de plus grands. Et après tout, c'est un moindre mal, plutôt que de disparaître complètement.

Les prophètes, eux, tiennent farouchement à la liberté politique du peuple élu. D'abord, demander alliance à un roi de la terre, c'est la preuve qu'on ne fait pas confiance au roi du ciel ! Dieu vous a libérés d'Egypte, ce n'est pas pour vous laisser mourir maintenant. Vous avez fait alliance avec Dieu, contentez-vous de cette alliance-là, n'en cherchez pas d'autre.

Deuxièmement, si vous faites alliance avec les païens, tôt ou tard, vous deviendrez païens vous aussi : il y aura inévitablement des périodes de persécution où la puissance dominante attaquera votre religion ; sans aller jusque-là, accepter la tutelle assyrienne, c'était déjà accepter de voir s'installer dans la capitale d'Israël les représentants d'une puissance étrangère ; c'était donner de mauvais exemples : mettre sous les yeux de tout le peuple les manières de vivre et de penser des peuples païens ; c'était introduire dans Jérusalem les coutumes, la mode, les lois et plus gravement encore les pratiques religieuses du vainqueur.

Par exemple, on a retrouvé des contrats commerciaux concernant des juifs, rédigés en assyrien et selon le droit assyrien. Et, pire encore, il se trouve désormais à Jérusalem des prêtres qui pratiquent d'autres religions que celle du Dieu d'Israël. Or, et c'est là le grand danger, si Israël perd la foi au Dieu unique, il ne peut plus remplir sa mission de peuple élu.

Voilà donc les raisons de la colère de Sophonie et pourquoi une bonne partie de son livre est faite de menaces : « J'étendrai la main contre (la province de) Juda et contre tous les habitants de Jérusalem, et je supprimerai de ce lieu ce qui reste du Baal, le nom de ses officiants et les prêtres avec eux... ceux qui se détournent du SEIGNEUR, qui ne le recherchent pas et ne le consultent pas. » (So 1, 4). Ce sera le Jour de la Colère du SEIGNEUR : vous avez reconnu le fameux texte du « Dies Irae » que nous entendons dans certains « Requiem » célèbres.

Mais parallèlement à ces menaces, le livre de Sophonie délivre un message de réconfort, adressé à ceux qu'il appelle « les humbles du pays » (en hébreu les « anawim », littéralement les « courbés »). Ceux-là, visiblement, ne risquent rien de la colère du SEIGNEUR : « Cherchez le SEIGNEUR, vous tous les humbles du pays, vous qui faites sa volonté. Cherchez la justice, cherchez l'humilité : peut-être serez-vous à l'abri au jour de la colère du SEIGNEUR ». Ce Jour de colère, c'est celui où Dieu renouvellera la Création tout entière. Jour magnifique pour tous ceux qui auront mis leur confiance en Dieu : le Mal, sous toutes ses formes, sera enfin détruit. Les « dos courbés » peuvent donc déjà se redresser, reprendre courage : Dieu lui-même est à leurs côtés.

Reste à savoir de quel bord nous sommes : devons-nous craindre ce fameux Jour de colère du SEIGNEUR ? Sommes-nous visés par les menaces ou par les encouragements ? Depuis, nous avons appris à lire ces textes : l'humanité n'est pas divisée en deux, les justes, bons, les humbles, d'un côté... les coupables, les arrogants, les orgueilleux de l'autre. Chacun de nous est visé par ces deux langages, c'est en chacun de nous que Dieu a « du ménage à faire », si j'ose dire. Le jugement de Dieu, c'est un tri à l'intérieur de nous-mêmes.

Et nous sommes tous invités à nous convertir, à devenir ces « humbles du pays », dont parle Sophonie : il les appelle aussi « le Reste d'Israël » : là, il reprend le mot et l'idée lancés au siècle précédent, par les prophètes Isaïe, Amos, Michée : l'idée, c'est : puisque, premièrement, Dieu a choisi Israël comme un instrument privilégié de son projet sur l'humanité et puisque, deuxièmement, Dieu est fidèle, on en déduit logiquement que, quoi qu'il arrive, Dieu s'arrangera toujours pour sauver au moins un reste du peuple.

Sophonie reprend ce thème à son tour : quand tout le mal aura été extirpé de Jérusalem, Dieu ne laissera subsister que le Petit Reste, ceux qui sont restés fidèles : « Israël, je ne laisserai subsister au milieu de toi qu'un peuple humble et pauvre qui aura pour refuge le nom du SEIGNEUR. Ce Reste d'Israël ne commettra plus l'iniquité... On ne trouvera plus de tromperie dans sa bouche ».
« Un peuple humble et pauvre, qui aura pour refuge le nom du SEIGNEUR ». Voilà une définition de ces « anawim », ces « humbles », ces courbés : ce sont ceux qui cherchent refuge dans le seul nom du SEIGNEUR (à l'inverse des rois dont je parlais tout à l'heure) ; dans le mot « humble » il y a la racine « humus », terre ; les humbles, ce sont ceux qui savent qu'ils ne sont que poussière, et ils attendent tout de Dieu.
Ce Reste d'Israël, fait d'hommes fidèles, humbles et pauvres, portera désormais le poids de la mission du peuple élu : révéler au monde le grand projet de Dieu. C'est toujours une poignée de croyants qui est envoyée au monde comme le ferment dans la pâte.

Compléments
Quand il voit les coutumes assyriennes se répandre dans la ville sainte, le prophète Sophonie s'inquiète ; par exemple, quelques versets avant ceux d'aujourd'hui, il dit « J'interviendrai contre les ministres, contre les princes et contre tous ceux qui s'habillent à la mode étrangère » (So 1, 8) ; à première vue, peut-être, on ne voit pas bien où est le mal ; mais c'est raisonner selon nos habitudes modernes, dans lesquelles il y a une très grande diversité et liberté dans le domaine de l'habillement ; mais à l'époque, les codes vestimentaires étaient très importants ; adopter la mode des étrangers, c'était déjà accepter de leur ressembler et donc risquer de perdre son identité ; c'était le signe que, bientôt, l'on suivrait aussi leur façon de vivre, de penser, d'adorer.
N'oublions pas que, dans la Bible, la vengeance de Dieu est toujours uniquement contre le Mal, contre ce qui abîme ses enfants. Parce que Dieu ne prend jamais son parti de l'humiliation de ses enfants. Au contraire, il prend parti pour les pauvres, les humbles, les « anawim » (littéralement les « courbés »).

PSAUME 145 (146), 7...10

7 Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés,
aux affamés il donne le pain,
le SEIGNEUR délie les enchaînés.

8 Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes.

9 Le SEIGNEUR protège l'étranger,
il soutient la veuve et l'orphelin.
10 Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours.

Trois versets de psaume en forme d'inventaire : celui des bénéficiaires des largesses de Dieu : opprimés, affamés, enchaînés, aveugles, accablés, étrangers, veuves et orphelins. Bref tous ceux que les hommes ignorent ou méprisent.
Et les enfants d'Israël savent de quoi ils parlent : toutes ces situations ils les ont connues. Quand le peuple d'Israël chante ce psaume, c'est sa propre histoire qu'il raconte et il rend grâce pour la protection indéfectible de Dieu ; il a connu toutes ces situations : l'oppression en Egypte, dont Dieu l'a délivré « à main forte et à bras étendu » comme ils disent ; et aussi l'oppression à Babylone et, là encore, Dieu est intervenu. Et ce psaume, d'ailleurs, a été écrit après le retour de l'Exil à Babylone, peut-être pour la dédicace du Temple restauré. Le Temple avait été détruit en 587 av.J.C. par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor. Cinquante ans plus tard (en 538 av.J.C.), quand Cyrus, roi de Perse, a vaincu Babylone à son tour, il a autorisé les juifs, qui étaient esclaves à Babylone, à rentrer en Israël et à reconstruire leur Temple. La dédicace de ce Temple rebâti a été célébrée dans la joie et dans la ferveur. Le livre d'Esdras raconte : « Les fils d'Israël, les prêtres, les lévites et le reste des déportés firent dans la joie la Dédicace de cette Maison de Dieu » (Esd 6, 16).

Ce psaume est donc tout imprégné de la joie du retour au pays. Une fois de plus, Dieu vient de prouver sa fidélité à son Alliance : Il a libéré son peuple, il a agi comme son plus proche parent, son vengeur, son racheteur, comme dit la Bible. Quand Israël relit son histoire, il peut témoigner que Dieu l'a accompagné tout au long de sa lutte pour la liberté « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, le SEIGNEUR délie les enchaînés ».
Israël a connu la faim, aussi, dans le désert, pendant l'Exode, et Dieu a envoyé la manne et les cailles pour sa nourriture : « Aux affamés, il donne le pain ». Et, peu à peu, on a découvert ce Dieu qui, systématiquement, prend parti pour la libération des enchaînés et pour la guérison des aveugles, pour le relèvement des petits de toute sorte.

Ils sont ces aveugles, encore, à qui Dieu ouvre les yeux, à qui Dieu se révèle progressivement, par ses prophètes, depuis des siècles ; ils sont ces accablés que Dieu redresse inlassablement, que Dieu fait tenir debout ; ils sont ce peuple en quête de justice que Dieu guide ; (« Dieu aime les justes »).

C'est donc un chant de reconnaissance qu'ils chantent ici : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés / Aux affamés, il donne le pain / Le SEIGNEUR délie les enchaînés./ Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles / Le SEIGNEUR redresse les accablés / Le SEIGNEUR aime les justes / Le SEIGNEUR protège l'étranger / il soutient la veuve et l'orphelin. Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours. »

Vous avez remarqué l'insistance sur le nom « SEIGNEUR » (sept fois dans ces trois versets) : ici, il traduit le fameux NOM de Dieu, le NOM révélé à Moïse au Buisson ardent : les quatre lettres « YHVH » qui disent la présence permanente, agissante, libérante de Dieu à chaque instant de la vie de son peuple. »

Je reprends la dernière ligne d'aujourd'hui : « Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours ». « Le SEIGNEUR est ton Dieu », c'est la formule typique de l'Alliance : « Vous serez MON peuple et je serai VOTRE Dieu. » Toujours, quand on rencontre l'expression « mon Dieu », on sait qu'il y a là un rappel de l'Alliance, de toute l'histoire, l'aventure de l'Alliance entre Dieu et son peuple choisi : Alliance à laquelle Dieu n'a jamais failli.
« Le SEIGNEUR est ton Dieu pour toujours » ; une fois de plus, je remarque que la prière d'Israël est toujours tendue vers l'avenir ; elle n'évoque le passé que pour fortifier son attente, son espérance. Et d'ailleurs quand Dieu avait dit son nom à Moïse, il l'avait dit de deux manières : ce fameux nom, imprononçable en quatre lettres, YHVH que nous retrouvons partout dans la Bible, et en particulier dans ce psaume, que nous traduisons « le SEIGNEUR » ; mais aussi, et d'ailleurs il avait commencé par là, il avait donné une formule plus développée, « Ehiè asher ehiè » qui se traduit en français à la fois par un présent « je suis qui je suis » et par un futur « Je serai qui je serai ». Manière de dire sa présence permanente et pour toujours auprès de son peuple.

-Ici, l'insistance sur le futur, « pour toujours » vise aussi à fortifier l'engagement du peuple : il est bien utile de se répéter ce psaume non seulement pour reconnaître la simple vérité de l'oeuvre de Dieu en faveur de son Peuple, mais aussi pour se donner une ligne de conduite : car, en définitive, cet inventaire est aussi un programme de vie : si Dieu a agi ainsi envers Israël, celui-ci se sent tenu d'en faire autant pour les autres ; tous ces exclus ne connaîtront l'amour que Dieu leur porte qu'à travers le comportement de ceux qui en sont les premiers témoins.

Et d'ailleurs, pour être sûr que le peuple se conforme peu à peu à la miséricorde de Dieu, la Loi d'Israël comportait beaucoup de règles de protection des veuves, des orphelins, des étrangers. La loi n'avait qu'un objectif : faire d'Israël un peuple libre, respectueux de la liberté d'autrui. Parce que Dieu mène inlassablement son peuple, et à travers lui, l'humanité tout entière, sur un long chemin de libération.
Quant aux prophètes, c'est principalement sur l'attitude par rapport aux pauvres et aux affligés de toute sorte qu'ils jugeaient de la fidélité d'Israël à l'Alliance. Si on fait l'inventaire des paroles des prophètes, on est obligé d'admettre que leurs rappels à l'ordre portent majoritairement sur deux points : une lutte acharnée contre l'idolâtrie, d'une part, et les appels à la justice et au souci des autres, d'autre part. Jusqu'à oser dire de la part de Dieu « C'est la miséricorde que je veux et non les sacrifices, la connaissance de Dieu et non les holocaustes. » (Os 6, 6) ; ou encore : « On t'a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d'autre que respecter le droit, aimer la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu. » (Mi 6, 8).

Nous avions lu dans le livre du Siracide que « les larmes de tous ceux qui souffrent coulent sur les joues de Dieu »... Si nous sommes assez près de Dieu, logiquement, elles devraient couler aussi sur nos joues à nous !... C'est probablement cela, être à son image ?

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 1, 26 - 31

26 Frères,
vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien :
parmi vous, il n'y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes,
ni de gens puissants ou de haute naissance
27 Au contraire, ce qu'il y a de fou dans le monde,
voilà ce que Dieu a choisi
pour couvrir de confusion les sages ;
ce qu'il y a de faible dans le monde,
voilà ce que Dieu a choisi
pour couvrir de confusion ce qui est fort ;
28 ce qui est d'origine modeste, méprisé dans le monde
ce qui n'est rien,
voilà ce que Dieu a choisi
pour détruire ce qui est quelque chose,
29 Afin que personne ne puisse s'enorgueillir devant Dieu.
30 C'est grâce à Dieu, en effet, que vous êtes dans le Christ Jésus,
qui a été envoyé par lui pour être notre sagesse,
pour être notre justice, notre sanctification, notre rédemption.
31 Ainsi, comme il est écrit :
Celui qui veut s'enorgueillir,
qu'il mette son orgueil dans le SEIGNEUR.

On croirait entendre la parabole du Pharisien et du publicain ; c'est vraiment le monde à l'envers : ceux qui, humainement, sont des « gens bien », comme on dit, des sages aux yeux du monde, ne recueillent aucune considération de la part de Paul. Cela ne veut pas dire que Paul méprise la sagesse ! Depuis le roi Salomon, c'est une vertu que l'on demande dans la prière. Et Isaïe en parle comme d'un don de l'Esprit de Dieu. Quand il annonce le Messie, il dit « Sur lui reposera l'Esprit du SEIGNEUR, esprit de sagesse et de discernement... ».

Seulement, les hommes de la Bible ont un langage bien particulier sur la sagesse ; ils disent deux choses : Premièrement, ne nous trompons pas de sagesse ; il faut inverser notre regard : la sagesse de Dieu est exactement l'inverse de celle des hommes. Deuxièmement, Dieu seul peut la donner.

D'abord, premier point, il y a sagesse et sagesse ; Paul emploie le même mot « sophia » pour les deux, mais il distingue bien : il y a la sagesse du monde et la sagesse de Dieu. Ce qui semble raisonnable aux yeux des hommes est bien loin du projet de Dieu et, inversement, ce qui est sage aux yeux de Dieu paraît déraisonnable aux hommes. Si on y réfléchit c'est normal car notre sagesse est une logique de raisonnement ; alors que la sagesse de Dieu est la logique de l'amour ; et on sait bien que l'amour échappe à tout raisonnement : on sait bien que « le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas ». La folie de l'amour de Dieu, comme dit Saint Paul, est complètement inaccessible à l'étroitesse de nos raisonnements. C'est bien pour cela que la vie et la mort du Christ sont si étonnantes pour nous, si scandaleuses même.

Une fois de plus, on retrouve Isaïe : « Vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins », dit Dieu ; et l'abîme qui les sépare est tel que Jésus pourra aller jusqu'à traiter Pierre de Satan quand il se laisse aller à des pensées trop humaines : « Arrière Satan ! Tes vues ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes ».

La distance qui nous sépare de Dieu, c'est un thème très fort dans toute la Bible : Dieu est le Tout-Autre : avec lui, on dirait que tout notre système de valeurs est inversé : ce que nous appelons richesse, sagesse, force, n'est rien aux yeux de Dieu.

La Bible va encore plus loin : non seulement Dieu ne se conforme pas à notre hiérarchie des valeurs, mais on a bien l'impression qu'il fait juste l'inverse ! Bien souvent, dans l'histoire de l'Alliance, Dieu a porté son choix sur les plus petits : pensez à David ; parmi les huit fils de Jessé, Dieu avait choisi le plus jeune, le plus petit, celui qui était sans importance, tellement sans importance qu'on n'avait même pas pensé à le présenter au prophète Samuel.
Longtemps auparavant, déjà, Moïse précisait bien au peuple (Dt 7, 7) : « Si le SEIGNEUR s'est attaché à vous et s'il vous a choisis, ce n'est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de tous les peuples... » et un peu plus loin « Ce n'est pas parce que vous êtes justes ou que vous avez le coeur droit ... » Traduisez : Les choix de Dieu sont libres et sans aucun mérite de la part de l'homme, il ne faudrait jamais l'oublier.

Deuxième point, la vraie Sagesse qui est celle de Dieu ne peut être que don de Dieu. Dieu est le Tout-Autre et nous ne l'atteignons pas, nous ne le comprenons pas par nous-mêmes. Tout ce que nous pouvons savoir de Lui, dire de Lui, c'est par révélation. Il nous fait connaître son mystère, comme dit Paul dans sa lettre aux Ephésiens.

Et justement, dans le début de cette même lettre aux Corinthiens, Paul leur avait dit : « Je rends grâce à Dieu sans cesse à votre sujet, pour la grâce de Dieu qui vous a été donnée dans le Christ Jésus. Car vous avez été, en lui, comblés de toutes les richesses, toutes celles de la parole et toutes celles de la connaissance. C'est que le témoignage du Christ s'est affermi en vous, si bien qu'il ne vous manque aucun don ... ».

Vous avez remarqué le mot « don »... Et du coup, évidemment, on voit bien que pour Paul, cette connaissance de Dieu qui nous a été donnée par grâce ne doit pas être une occasion de nous vanter : ce serait justement contraire à la sagesse ! Les dons de Dieu ne sont pas une cause d'orgueil personnel, mais d'action de grâce ! Si les vues de Dieu sont différentes des nôtres, lui seul peut nous les faire pénétrer.

Jérémie le disait déjà (9, 22-23) : « Que le sage ne se vante pas de sa sagesse ! Que l'homme fort ne se vante pas de sa force ! Que le riche ne se vante pas de sa richesse ! Si quelqu'un veut se vanter, qu'il se vante de ceci : d'être assez malin pour me connaître, moi, le SEIGNEUR qui mets en oeuvre la bonté fidèle, le droit et la justice sur la terre ».

Le texte d'aujourd'hui apparaît bien comme l'application à la communauté de Corinthe de ces choix surprenants de Dieu. Paul invite les Corinthiens à se regarder avec réalisme : humainement parlant, rien ne les désignait pour recevoir un appel de Dieu... Ils ne sont ni savants, ni puissants, ni nobles aux yeux du monde, mais un ramassis de tout-venants qui ne seraient rien si la puissance de Dieu n'en faisait pas son Eglise. Leur titre de noblesse, le seul important aux yeux de Dieu, c'est leur Baptême. Décidément, Dieu crée le monde nouveau de toutes pièces.

Corinthe, c'est l'illustration vivante de l'initiative inouïe de Dieu qui recrée le monde selon ses propres chemins, bousculant les données habituelles des sociétés humaines. Il n'est plus question de « se glorifier devant Dieu » (comme le faisait le Pharisien de la parabole), mais de rendre Gloire à Dieu pour tant d'amour pour les hommes.

EVANGILE Matthieu 5, 1-12a

1 Quand Jésus vit la foule qui le suivait, il gravit la montagne. il s'assit, et ses disciples s'approchèrent.
2 Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire, il disait :
3 « Heureux les pauvres de coeur : le Royaume des cieux est à eux !
4 Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise !
5 Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés !
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés !
7 Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde !
8 Heureux les coeurs purs : ils verront Dieu !
9 Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu !
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux !
11 Heureux serez-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
12 Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux !" »


Quelques remarques préalables, avant de lire ce texte :
Souvenons-nous premièrement, que Jésus a passé une grande partie de son temps à consoler, guérir, encourager les hommes et les femmes qu'il rencontrait. Dans l'évangile de dimanche dernier, par exemple, Matthieu écrivait : « Jésus proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple. » Si Jésus a consacré du temps à guérir ses contemporains, cela veut dire que toute souffrance et en particulier la maladie et l'infirmité sont à combattre. Il ne faut donc certainement pas lire « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » comme si c'était une chance de pleurer ! Ceux qui, aujourd'hui pleurent de douleur ou de chagrin ne peuvent pas considérer cela comme un bonheur ! Les larmes dont il s'agit, ce sont celles du repentir. Notre Pape Benoît XVI donne en exemple celles de saint Pierre, après son reniement.
Deuxième remarque : ce discours de Jésus s'adresse à des juifs : tout ce qu'il leur dit ici, ils le savent déjà, c'est la prédication habituelle des prophètes ; ils le comprennent donc sans difficulté. Pour nous, par conséquent, si nous voulons comprendre, il faut aller relire l'Ancien Testament.

La prédication majeure des prophètes, c'était ce que nous dit le prophète Sophonie dans la première lecture de ce dimanche : « Cherchez le SEIGNEUR, vous tous, les humbles du pays. » Et le psaume de dimanche dernier chantait : « J'ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche, c'est d'habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie. » Ce sont ceux-là les « pauvres de cœur » dont parle la première béatitude ; ceux qui chantent comme nous à la messe « Kyrie eleison », SEIGNEUR prends pitié ; tout comme le publicain de la parabole : vous vous rappelez cette histoire du pharisien et du publicain qui s'étaient rendus au même moment au temple pour prier. Le Pharisien pourtant extrêmement vertueux ne pouvait plus accueillir le salut de Dieu parce que son coeur était plein de lui-même et sa prière consistait finalement à se contempler lui-même ; le publicain, au contraire, se savait pécheur, mais il se tournait vers Dieu et attendait de lui son salut, il était comblé.

Tous ceux-là, comme le publicain, sont assurés que leur recherche sera exaucée parce que Dieu ne se dérobe pas à celui qui cherche : « Qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira », dira Jésus un peu plus loin dans ce même discours sur la montagne. Ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, ce sont ceux-là que les prophètes appellent également les « purs » au sens d'un cœur sans mélange, qui ne cherche que Dieu.
Alors, effectivement, ces béatitudes sont des bonnes nouvelles ; Matthieu disait « Il proclamait la bonne nouvelle du royaume ». La bonne nouvelle c'est que le regard de Dieu n'est pas celui des hommes (cela encore c'est une prédication habituelle des prophètes). Les hommes recherchent le bonheur dans l'avoir, le pouvoir, le savoir. Ceux qui cherchent Dieu savent que ce n'est pas de ce côté-là qu'il faut chercher. Il se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups » disait Jésus à ses disciples.

Et, rappelons-nous, Moïse a rencontré Dieu dans le buisson ardent dans la phase la moins brillante de sa carrière, si j'ose dire : il était en fuite dans le désert du Sinaï pour sauver sa vie. Elie, le grand prophète Elie, n'a rencontré le Dieu de la brise légère, lui aussi, qu'au moment où il était menacé de mort, également dans le désert du Sinaï.

Or Matthieu nous suggère peut-être ces rapprochements en parlant de la montagne des Béatitudes : ce qui est évidemment un bien grand mot pour qui connaît les modestes collines de Galilée.
Je pense donc qu'une des manières de lire ces Béatitudes, serait de les envisager comme les multiples chemins du Royaume : chacun de nous accueille le Royaume et contribue à sa construction avec ses petits moyens ; Jésus regarde la foule, il pose sur tous ces gens le regard de Dieu. Regardez, dit-il à ses disciples : il y a ici des pauvres... des doux... des affligés... des affamés et assoiffés de justice... des compatissants... des coeurs purs... des artisans de paix... des persécutés. Toutes situations qui ne correspondent guère à l'idée que le monde se fait du bonheur. Mais ceux qui les vivent, dit Jésus, sont les mieux placés pour accueillir et construire le Royaume. L'horizon de l'existence humaine c'est la venue du Royaume de Dieu : tous nos chemins d'humilité y mènent. Paul nous propose exactement la même méditation dans la deuxième lecture de ce dimanche : « Celui qui veut s'enorgueillir, qu'il mette son orgueil dans le SEIGNEUR. » (1 Co 1, 31).

De cette manière, Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes un autre regard. Il nous fait regarder toutes choses avec les yeux de Dieu lui-même et il nous apprend à nous émerveiller : il nous dit la présence du Royaume là ou nous ne l'attendions pas : la pauvreté du coeur, la douceur, les larmes, la faim et la soif de justice, la persécution... Cette découverte humainement si paradoxale doit nous conduire à une immense action de grâces : notre faiblesse devient la matière première du Règne de Dieu.

J'aurais envie de dire : « c'est cela l'imitation de Jésus-Christ » : il est le pauvre par excellence, le doux et humble de coeur ; au fond, si on y regarde bien, cet évangile dessine un portrait, celui de Jésus lui-même : nous l'avons vu doux et miséricordieux, compatissant à la misère et pardonnant à ses bourreaux ; pleurant sur la souffrance des uns, sur la dureté de coeur des autres ; affamé et assoiffé de justice et acceptant la persécution ; et surtout, en toutes circonstances, pauvre de coeur, c'est-à-dire attendant tout de son Père et lui rendant grâce de « révéler ces choses aux humbles et aux petits » .

***
Le psaume de ce dimanche comporte un verset qui résume bien cette attitude de pauvreté : « Heureux qui a pour aide le Dieu de Jacob, et pour espoir le SEIGNEUR son Dieu » (Ps 146 / 145, 5).
A propos de ceux qui pleurent, cf Ez 9, 4 : le jour du jugement, ceux qui ont pleuré sur les abominations commises contre les hommes, seront sauvés.
« Heureux » : Aujourd'hui, nous sommes dans le cadre de la proclamation du Royaume. Et c'est une bonne nouvelle pour tous ceux qui l'attendent de tout leur cœur.
Chaque phrase commence par le mot « Heureux » : ce mot, très fréquent dans l'Ancien Testament, sonne toujours comme un compliment, le plus beau compliment dont nous puissions rêver, en fin de compte. André Chouraqui le traduit « En marche » : sous-entendu, « tu es bien parti. Le royaume peut s'approcher de toi. »

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20 janvier 2011 4 20 /01 /janvier /2011 08:33

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 8, 23b - 9, 3

8, 23b Dans les temps anciens,
le Seigneur a couvert de honte
le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ;
mais ensuite, il a couvert de gloire
la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain,
et la Galilée, carrefour des païens.
9, 1 Le peuple qui marchait dans les ténèbres
a vu se lever une grande lumière ;
sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre
une lumière a resplendi.
9, 2 Tu as prodigué l'allégresse,
tu as fait grandir la joie :
ils se réjouissent devant toi
comme on se réjouit en faisant la moisson,
comme on exulte
en partageant les dépouilles des vaincus.
9, 3 Car le joug qui pesait sur eux,
le bâton qui meurtrissait leurs épaules,
le fouet du chef de corvée, tu les as brisés
comme au jour de la victoire sur Madiane.


A l'époque dont il est question, le royaume d'Israël est divisé en deux : vous vous souvenez que David puis Salomon ont été rois de tout le peuple d'Israël ; mais, dès la mort de Salomon, en 933 av.J.C., l'unité a été rompue, (on parle du schisme d'Israël); et il y a eu deux royaumes bien distincts et même parfois en guerre l'un contre l'autre : au Nord, il s'appelle Israël, c'est lui qui porte le nom du peuple élu ; sa capitale est Samarie ; au Sud, il s'appelle Juda, et sa capitale est Jérusalem. C'est lui qui est véritablement le royaume légitime : car c'est la descendance de David sur le trône de Jérusalem qui est porteuse des promesses de Dieu.

Isaïe prêche dans le royaume du Sud, mais, curieusement, tous les lieux qui sont cités ici appartiennent au royaume du Nord : "Le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali... il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain et la Galilée... comme au jour de la victoire sur Madiane" : Zabulon, Nephtali, la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, la Galilée, Madiane, ce sont six noms de lieux qui sont au Nord ; Zabulon et Nephtali : ce sont deux des douze tribus d'Israël ; et leur territoire correspond à la Galilée, à l'Ouest du lac de Tibériade ; on est bien au Nord de la Palestine. La route de la mer, comme son nom l'indique, c'est la plaine côtière à l'Ouest de la Galilée ; enfin, ce qu'Isaïe appelle le pays au-delà du Jourdain, c'est la Transjordanie.

Ces précisions géographiques permettent d'émettre des hypothèses sur les événements historiques auxquels Isaïe fait allusion ; car ces trois régions, la Galilée, la Transjordanie et la plaine côtière, ont eu un sort particulier pendant une toute petite tranche d'histoire, entre 732 et 721 av.J.C. Vous savez qu'à cette époque-là la puissance montante dans la région est l'empire assyrien dont la capitale est Ninive. Or ces trois régions-là ont été les premières annexées par le roi d'Assyrie, Tiglath-Pilézer III, en 732. Puis, en 721, c'est la totalité du royaume de Samarie qui a été annexée ( y compris la ville de Samarie ).

C'est donc très certainement à cette tranche d'histoire qu'Isaïe fait référence. C'est à ces trois régions précisément qu'Isaïe promet un renversement radical de situation : "Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée, carrefour des païens".

Je n'oublie pas ce que je disais tout-à-l'heure à savoir qu'Isaïe prêche à Jérusalem ; et on peut évidemment se demander en quoi ce genre de promesses au sujet du royaume du Nord peut intéresser le royaume du Sud.

On peut répondre que le royaume du Sud n'est pas indifférent à ce qui se passe au Nord, au moins pour deux raisons : d'abord, étant donné leur proximité géographique, les menaces qui pèsent sur l'un, pèseront tôt ou tard sur l'autre : quand l'empire assyrien prend possession du Nord, le Sud a tout à craindre. ET, d'ailleurs, ce royaume du Sud (Jérusalem) est déjà vassal de l'empire assyrien ; il n'est pas encore écrasé, mais il a perdu son autonomie. D'autre part, deuxième raison, le royaume du Sud interprète le schisme comme un déchirure dans une robe qui aurait dû rester sans couture : il espère toujours une réunification, sous sa houlette, bien sûr.

Or, justement, ces promesses de relèvement du royaume du Nord résonnent à ce niveau : "Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur les habitants du pays de l'ombre une lumière a resplendi", voilà deux phrases qui faisaient partie du rituel du sacre de chaque nouveau roi. Traditionnellement, l'avènement d'un nouveau roi est comparé à un lever de soleil, car on compte bien qu'il rétablira la grandeur de la dynastie. C'est donc d'une naissance royale qu'il est question. Et ce roi assurera à la fois la sécurité du royaume du Sud et la réunification des deux royaumes.

Et effectivement, un peu plus bas, Isaïe l'exprime en toutes lettres : "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné... Ces phrases, elles aussi, sont sont des formules habituelles des couronnements. Ici, il s'agit du petit dauphin Ezéchias qui a 7 ans. Il est ce fameux Emmanuel promis 8 ans plus tôt par le prophète Isaïe au roi Achaz. Vous vous souvenez de cette promesse : « Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel » (Is 7, 14). Ce petit Ezéchias, dès 7 ans, a été associé au règne de son père.

Avec lui, l'espoir peut renaître : « Il sera le prince de la paix » affirme Isaïe. Car, il en est certain, Dieu soutient son peuple dans sa volonté de liberté, il ne le laissera pas indéfiniment sous la tutelle des grandes puissances.
Pourquoi cette assurance qui défie toutes les évidences de la réalité ? Simplement parce que Dieu ne peut pas se renier lui-même, comme dira plus tard Saint Paul : Dieu veut libérer son peuple contre toutes les servitudes de toute sorte. Cela, c'est la certitude de la foi.

Cette certitude s'appuie sur la mémoire : Moïse y avait insisté souvent : "garde-toi d'oublier ce que le Seigneur a fait pour toi" : parce que si nous perdons cette mémoire-là, nous sommes perdus ; rappelez-vous encore le même Isaïe disant au roi Achaz : "Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas" ; à chaque époque d'épreuve, de ténèbres, la certitude du prophète que Dieu ne manquera pas à ses promesses lui dicte une prophétie de victoire.
Une victoire qui sera "Comme au jour de la victoire sur Madiane" : une fameuse victoire de Gédéon sur les Madianites était restée célèbre : en pleine nuit, une poignée d'hommes, armés seulement de lumières, de trompettes et surtout de leur foi en Dieu avait mis en déroute le camp des Madianites.

Le message d'Isaïe, c'est : "Ne crains pas. Dieu n'abandonnera jamais la dynastie de David". On pourrait traduire pour aujourd'hui : ne crains pas, petit troupeau : c'est la nuit qu'il faut croire à la lumière. Quelles que soient les ténèbres qui recouvrent le monde et la vie des hommes, et aussi la vie de nos communautés, réveillons notre espérance : Dieu n'abandonne pas son projet d'amour sur l'humanité.

*****
On pense que l'expression "Le peuple qui marchait dans les ténèbres" est une allusion aux colonnes des déportés : humiliés, souvent les yeux crevés par le vainqueur, ils étaient physiquement et moralement dans les ténèbres !

PSAUME 26 (27)

1 Le Seigneur est ma lumière et mon salut,
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie,
devant qui tremblerais-je ?

4 J'ai demandé une chose au Seigneur,
la seule que je cherche :
habiter la maison du Seigneur
tous les jours de ma vie.

13 J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
14 Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur.

« Le Seigneur est MA lumière et MON salut »... ces expressions à la première personne du singulier ne nous trompent pas : il s'agit d'un singulier collectif : c'est le peuple d'Israël tout entier qui exprime ici sa confiance invincible en Dieu, en toutes circonstances. Périodes de lumière, périodes de ténèbres, circonstances gaies, circonstances tristes, ce peuple a tout connu ! Et au milieu de toutes ses aventures, il a gardé confiance, il a approfondi sa foi. Ce psaume en est un superbe témoignage.

Ici il exprime en images les diverses péripéties de son histoire : vous connaissez ce procédé qui est très fréquent dans les psaumes et qu'on appelle le revêtement ; le texte fait allusion à des situations individuelles très précises : un malade, un innocent injustement condamné, un enfant abandonné, ou un roi, ou un lévite... (et d'ailleurs, si nous lisions en entier ce psaume 26, nous verrions qu'elles y sont toutes) ; mais en fait, toutes ces situations apparemment individuelles ont été à telle ou telle époque la situation du peuple d'Israël tout entier ; il faut lire : « Israël est comme un malade guéri par Dieu, comme un innocent injustement condamné, comme un enfant abandonné, comme un roi assiégé » et c'est de Dieu seul qu'il attend sa réhabilitation, ou sa délivrance... En parcourant l'Ancien Testament, on retrouve sans peine toute les situations historiques précises auxquelles on fait allusion.

Dans les versets retenus par le missel pour aujourd'hui, il y a deux images : la première, c'est celle d'un roi ; parfois on a pu comparer Israël à un roi assiégé par des ennemis ; son Dieu l'a toujours soutenu ; « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? » (voici les versets 2-3 : « Si des méchants s'avancent contre moi pour me déchirer, ce sont eux, mes adversaires, qui perdent pied et succombent. Qu'une armée se déploie devant moi, mon coeur est sans crainte ; que la bataille s'engage contre moi, je garde confiance »). Que ce soit l'attaque par surprise des Amalécites dans le désert du Sinaï, au temps de Moïse, ou bien la menace des rois de Samarie et de Damas contre le pauvre roi Achaz terrorisé vers 735, ou encore le siège de Jérusalem en 701 par le roi assyrien, Sennachérib, et j'en oublie, les occasions n'ont pas manqué.

Face à ces dangers, il y a deux attitudes possibles : la première, c'est celle du roi David, un homme comme les autres, pécheur comme les autres (son histoire avec Bethsabée était célèbre), mais un croyant assuré en toutes circonstances de la présence de Dieu à ses côtés. Il est resté un modèle pour son peuple. En revanche, nous avons rencontré pendant l'Avent dans un texte du prophète Isaïe le roi Achaz, qui n'avait pas la même foi sereine : je vous avais cité à ce propos une phrase très expressive du livre d'Isaïe pour dire que le roi cédait à la panique au moment du siège de Jérusalem : « Le coeur du roi et le coeur de son peuple se mirent à trembler comme les arbres de la forêt sont agités par le vent »... (C'est au chapitre 7 d'Isaïe, verset 2). Et la mise en garde d'Isaïe avait été très ferme ; il avait dit au roi : « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas » (on pourrait dire en français d'aujourd'hui « vous ne tiendrez pas le coup »). Soit dit en passant, Isaïe faisait un jeu de mots sur le mot « Amen » car c'est le même mot, en hébreu, qui signifie « croire, tenir dans la foi » et « tenir debout » : cela peut nous aider à comprendre le sens du mot « foi » dans la Bible.

Je reviens aux deux attitudes contrastées de David et d'Achaz : le peuple d'Israël a, bien sûr, connu tour à tour ces deux types d'attitude, mais dans sa prière, il se ressource dans la foi de David.
Ou encore, et c'est la deuxième image, Israël peut être comparé à un lévite, un serviteur du Temple, dont toute la vie se déroule dans l'enceinte du temple de Jérusalem : « J'ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche, c'est d'habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. » Quand on sait que les lévites étaient attachés au service du Temple de Jérusalem et montaient la garde jour et nuit dans le Temple, l'allusion est très claire ; derrière ce lévite, on voit bien se profiler le portrait du peuple tout entier. Comme la tribu des lévites est, parmi les douze tribus d'Israël, celle qui est consacrée au service de la maison du Seigneur, le peuple d'Israël tout entier, est, parmi l'ensemble des peuples de la terre, celui qui est consacré à Dieu, qui appartient à Dieu.

Enfin, la dernière strophe « J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. » fait irrésistiblement penser à Job : « Je sais bien, moi, que mon libérateur est vivant, que le dernier, il surgira sur la poussière. Et après qu'on aura détruit cette peau qui est mienne (sous-entendu même si on en arrivait à m'arracher la peau), c'est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu ». Ni l'auteur du psaume 26 ni celui du livre de Job n'envisageaient encore la possibilité de la résurrection individuelle ; l'expression « terre des vivants » vise bien cette terre-ci. Ils n'en ont que plus de mérite, peut-être : l'espérance en Israël est tellement forte qu'on est sûrs que Dieu interviendra pour nous. Bien sûr, ces textes prennent encore plus de force à partir du moment où la foi en la Résurrection est née. « J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. »
Quant à la dernière phrase (« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur. »), elle est peut-être une allusion à la parole que Dieu avait adressée à Josué, au moment d'entreprendre la marche vers la terre promise, la terre des vivants : « Sois fort et courageux. Ne tremble pas, ne te laisse pas abattre, car le Seigneur ton Dieu sera avec toi partout où tu iras. » (Jos 1, 9).

Cette dernière strophe reflète, une fois encore, la confiance indéracinable du peuple d'Israël : « J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. » Cette confiance, on le sait, est fondée sur la mémoire de l'oeuvre de Dieu et c'est elle qui autorise l'espérance : « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur. » L'espérance, c'est la foi conjuguée au futur. André Chouraqui l'appelait la « mémoire du futur ».
On ne s'étonne donc pas que ce psaume soit proposé pour les célébrations de funérailles : les jours de deuil sont ceux où nous avons bien besoin de nous réenraciner, de nous ressourcer dans la foi et l'espérance de nos pères.

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 1, 10 - 13. 17

10 Frères, je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ
à être tous vraiment d'accord ;
qu'il n'y ait pas de division entre vous,
soyez en parfaite harmonie de pensées et de sentiments.
11 J'ai entendu parler de vous, mes frères, par les gens de chez Chloé :
12 Je m'explique.
Chacun de vous prend parti en disant :
« Moi, j'appartiens à Paul »
ou bien :
« J'appartiens à Apollos »
ou bien :
« J'appartiens à Pierre »
ou bien :
« J'appartiens au Christ. »
13 Le Christ est-il donc divisé ?
Est-ce donc Paul qui a été crucifié pour vous ?
Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?

17 D'ailleurs, le Christ ne m'a pas envoyé pour baptiser,
mais pour annoncer l'Evangile,
et sans avoir recours à la sagesse du langage humain,
ce qui viderait de son sens la croix du Christ.



De par sa situation, le port de Corinthe était un lieu de trafic intense avec tous les autres ports de la Méditerranée. Par le fait même, tous les courants de pensée du monde méditerranéen trouvaient des échos à Corinthe. Il n'est pas étonnant que des voyageurs originaires de différents pays aient témoigné de leur foi chrétienne chacun à leur manière. L'enthousiasme des néophytes les portait à comparer la qualité du message apporté par les différents prédicateurs. Et, apparemment, si on en juge par la suite de la lettre, les Corinthiens étaient très sensibles, trop sensibles, aux belles paroles...

Du coup des clans se sont formés et les discussions, voire même les querelles vont bon train. Vous savez bien que c'est sur les sujets religieux que nous sommes les moins tolérants ! Paul cite quatre clans : d'abord des chrétiens qui se réclament de lui ; puis il y a les disciples d'Apollos : lui, nous le connaissons par les Actes des Apôtres (au chapitre 18) ; c'était un Juif, originaire d'Alexandrie (en Egypte), certainement un intellectuel : on disait de lui qu'il était savant, versé dans les Ecritures. Où a-t-il adhéré à la foi chrétienne ? D'après certains manuscrits, ce serait déjà en Egypte, son pays d'origine ; ce qui supposerait que le christianisme aurait très tôt essaimé en Egypte. Les manuscrits les plus nombreux ne précisent pas ; en tout cas, il est clair qu'il est devenu chrétien fervent, même si sa catéchèse est encore bien incomplète. Voici la phrase des Actes : « Il avait été informé de la Voie du Seigneur et, l'esprit plein de ferveur, il prêchait et enseignait exactement ce qui concernait Jésus, tout en ne connaissant que le baptême de Jean. » Le voilà qui arrive à Ephèse et qu'il se présente à la synagogue (à cette époque, les chrétiens n'avaient pas encore été chassés des synagogues) ; là il fait comme Paul a toujours fait, c'est-à-dire qu'il annonce que Jésus est le Messie qu'on attendait ; deux auditeurs de la synagogue d'Ephèse reconnaissent ses talents d'orateur mais jugent utile de compléter son bagage théologique. « Lorsqu'ils l'eurent entendu, Priscille et Aquilas le prirent avec eux et lui présentèrent plus exactement encore la Voie de Dieu. »
Là-dessus, Apollos décide de se rendre à Corinthe : recommandé par les frères d'Ephèse, il y fut bien accueilli et il eut très vite un grand succès : « car la force de ses arguments avait raison des Juifs en public, quand il prouvait par les Ecritures que le Messie, c'était Jésus ».

Visiblement donc, si j'en crois Saint Luc dans ce passage des Actes des Apôtres, Apollos est un chrétien fervent et il parle bien : il enthousiasme les foules ; il est précieux aussi dans les débats qui opposent juifs et chrétiens. Il est certainement plus éloquent que Paul qui reconnaît lui-même ne pas avoir la même habileté : « Jésus m'a envoyé annoncer l'Evangile sans avoir recours à la sagesse du langage humain » ; ce qu'il appelle « la sagesse du langage humain », c'est l'art oratoire, la force de l'argumentation : pour Paul l'évangélisation ne se fait pas à coup de discours et d'arguments.

« Le Christ m'a envoyé pour annoncer l'Evangile, sans avoir recours à la sagesse du langage humain, ce qui viderait de son sens la croix du Christ. » C'est-à-dire pour prêcher l'évangile de l'amour, pas besoin d'éloquence et de beaux arguments qui cherchent à convaincre ; dans le mot « convaincre », si on y réfléchit bien, il y a le mot « vaincre » ; or, il est évident que la forme du discours doit être cohérente avec le contenu du message : on ne peut pas annoncer un Dieu de tendresse en employant la violence même seulement verbale ! Nous l'avons peut-être parfois oublié...

La suite de la lettre nous prouve qu'Apollos ne fait rien pour s'attirer des admirateurs ; il n'est resté que peu de temps à Corinthe puis il a rejoint Paul à Ephèse ; Paul lui-même le pousse à retourner à Corinthe mais Apollos refuse, probablement pour ne pas aggraver les tensions dans la communauté chrétienne.

A Corinthe, un troisième clan se réclame de Saint Pierre ; on ne sait pas si lui-même y est jamais allé, mais peut-être des membres de l'entourage de Pierre y sont-ils passés... Enfin un quatrième clan se dit le « parti du Christ », sans qu'on sache bien ce que cela recouvre.

En tout cas Paul, qui a quitté Corinthe, continue à en recevoir des nouvelles par les commerçants qui vont régulièrement de Corinthe à Ephèse. En particulier, des employés d'une certaine Chloé ont fait état de véritables querelles qui divisent la communauté ; alors Paul se décide à prendre la plume. Il ne leur fait pas la morale : à ses yeux, c'est beaucoup plus grave que cela.

Pour lui, c'est le sens même de notre Baptême qui est en jeu : et c'est la simplicité de l'argumentation de Paul qui peut nous étonner ; il me paraît providentiel de l'entendre précisément cette semaine alors que tous les Chrétiens de toutes les confessions ont décidé de faire un pas vers l'Unité... Pour Paul, c'est très simple : être baptisé, c'est être uni au Christ : il n'est donc plus possible d'être divisés entre nous ! Les Chrétiens, comme leur nom l'indique, ont tous été baptisés « au nom » du Christ : c'est-à-dire que le nom du Christ a été prononcé sur eux ; désormais ils lui appartiennent. Personne ne peut dire « j'ai été baptisé au nom d'untel ou untel, Paul ou Apollos ou Pierre » ; tous ont été baptisés « au nom » du Christ. Le Concile Vatican II le dit bien « Quand le prêtre baptise, c'est le Christ qui baptise ». Etre baptisé au nom du Christ, c'est être greffé sur lui... Dans une greffe c'est la réussite de la greffe qui compte, peu importe le jardinier.

EVANGILE - Matthieu 4, 12 - 23

12 Quand Jésus apprit l'arrestation de Jean Baptiste,
il se retira en Galilée.
13 Il quitta Nazareth
et vint habiter à Capharnaüm,
ville située au bord du lac,
dans les territoires de Zabulon et de Nephtali.
14 Ainsi s'accomplit
ce que le Seigneur avait dit par le prophète Isaïe :
15 Pays de Zabulon et pays de Nephtali,
route de la mer et pays au-delà du Jourdain,
Galilée, toi le carrefour des païens :
16 le peuple qui habitait dans les ténèbres
a vu se lever une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient
dans le pays de l'ombre et de la mort,
une lumière s'est levée.
17 A partir de ce moment, Jésus se mit à proclamer : « Convertissez-vous,
car le Royaume des cieux est tout proche. »
18 Comme il marchait au bord du lac de Galilée,
il vit deux frères,
Simon appelé Pierre,
et son frère André,
qui jetaient leurs filets dans le lac :
c'étaient des pêcheurs.
19 Jésus leur dit :
« Venez derrière moi,
et je vous ferai pêcheurs d'hommes. »
20 Aussitôt, laissant leurs filets,
ils le suivirent.
21 Plus loin, il vit deux autres frères,
Jacques, fils de Zébédée
et son frère Jean,
qui étaient dans leur barque avec leur père,
en train de préparer leurs filets.
Il les appela.
22 Aussitôt, laissant leur barque et leur père,
ils le suivirent.
23 Jésus, parcourant toute la Galilée,
enseignait dans leurs synagogues,
proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume,
guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.


Nous sommes au chapitre 4 de l'évangile de Matthieu ; vous vous souvenez des trois premiers chapitres : d'abord une longue généalogie qui resitue Jésus dans l'histoire de son peuple, et en particulier dans la descendance de David ; ensuite l'annonce faite à Joseph par l'ange du Seigneur « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit Dieu avec nous » : c'était une citation d'Isaïe ; et il précisait « Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète » manière de nous dire « enfin les promesses sont accomplies, enfin le Messie tant attendu est là ».

Et tous les épisodes suivants redisent ce message d'accomplissement, chacun à leur manière : la visite des mages, la fuite en Egypte, le massacre des enfants de Bethléem, le retour d'Egypte et l'installation de Joseph, Marie et l'enfant Jésus en Galilée, à Nazareth... la prédication de Jean-Baptiste, le baptême de Jésus et enfin le récit des Tentations de Jésus ; tous ces récits fourmillent de citations explicites des Ecritures et d'une multitude d'allusions bibliques.

Et nous voilà tout préparés à entendre le texte d'aujourd'hui ; lui aussi est truffé d'allusions et dès le début, d'ailleurs, Matthieu cite le prophète Isaïe pour bien montrer les enjeux de l'installation de Jésus à Capharnaüm.
La ville de Capharnaüm est en Galilée, au bord du lac de Tibériade, tout le monde le sait ; pourquoi Saint Matthieu éprouve-t-il le besoin de préciser qu'elle est située dans les territoires de Zabulon et de Nephtali ? Ces deux noms des anciennes tribus d'Israël ne faisaient pas partie du langage courant, c'étaient des noms du passé ! Et d'ailleurs, pourquoi lier les deux noms « Zabulon et Nephtali » ? Quand on lit au livre de Josué la description du territoire de ces tribus, on voit bien qu'au moment du partage de la Palestine entre les tribus, le principe a justement été de bien délimiter le territoire de chaque tribu ; une même ville n'appartient pas à deux tribus à la fois ; cela prouve bien que les préoccupations de Saint Matthieu ne sont pas d'ordre géographique : il veut nous faire découvrir quelque chose de beaucoup plus important : oui, enfin la lumière s'est levée sur Israël et sur l'humanité tout entière ; la Galilée, carrefour des nations, comme on disait est la porte ouverte sur le monde : à partir d'elle, le salut de Dieu apporté par le Messie rayonnera sur toutes les nations.

Et c'est pour cela qu'il utilise deux phrases du Rituel du couronnement d'un nouveau roi pour évoquer l'arrivée de Jésus : « Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays de l'ombre et de la mort, une lumière s'est levée. » Manière de nous dire que le vrai roi du monde est venu habiter chez nous.

En même temps, Matthieu annonce déjà en quelques mots le déroulement des événements qui vont suivre ; en racontant le départ de Jésus vers la Galilée, après l'arrestation de Jean-Baptiste, Matthieu nous montre bien deux choses : premièrement que toute la vie du Christ est sous le signe de la persécution... mais deuxièmement aussi la victoire finale sur le mal : Jésus fuit la persécution, c'est vrai, mais ce faisant, il porte plus loin la Bonne Nouvelle : du mal, Dieu fait surgir un bien... la fin de l'Evangile nous montrera que de la souffrance et de la mort, Dieu fait surgir la Vie.

Voici Jésus à Capharnaüm et Matthieu emploie une formule apparemment banale « A partir de ce moment » ; or si on regarde bien, il ne l'emploie qu'une seule autre fois, bien plus tard, au chapitre 16 : ce n'est pas un hasard ; les deux fois, il s'agit d'un grand tournant ; ici « A partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : Convertissez-vous, le Règne des cieux s'est approché » ; au chapitre 16, ce sera « A partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands-prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter ».
Effectivement, dans l'épisode d'aujourd'hui, qui nous relate le début de la vie publique de Jésus, nous sommes à un grand tournant ; avec l'effacement de Jean-Baptiste et le début de la prédication de Jésus, l'humanité a franchi une étape décisive : du temps de la promesse nous sommes passés au temps de l'accomplissement.

Et désormais, le Royaume est là, parmi nous, non seulement en paroles mais en actes : car la finale du texte d'aujourd'hui est tout un programme : « Jésus, parcourant toute la Galilée, enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple ».

La prophétie d'Isaïe que nous avons lue en première lecture trouve ici sa pleine réalisation et Saint Matthieu le souligne puissamment. Jésus proclame : « Le Royaume de Dieu est là ! »
Immédiatement il annonce que, pour faire connaître cette Bonne Nouvelle, il compte sur des témoins, des hommes qu'il choisit pour être ses collaborateurs. La démarche est significative ; Jésus ne se lance pas seul dans l'accomplissement de sa mission : il fait à des hommes ordinaires l'honneur d'y être associés. Ces collaborateurs qu'il choisit parmi des hommes dont le métier est la pêche, il les nomme pêcheurs d'hommes : tirer des hommes de la mer, c'est les empêcher de se noyer ; c'est les sauver.

Jésus associe les apôtres à sa mission de Sauveur.

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15 janvier 2011 6 15 /01 /janvier /2011 01:07

Dans un article de fin novembre 2010, j'avais repris diverses publications relatives à "Un professeur de lycée suspendu, à Manosque, pour avoir montré des images d'avortement à ses élèves". J'y avais ajouté mes propres commentaires Hier, grâce à la Fondation de Service Politique, j'ai trouvé une vidéo fort intéressante, sur le site WEBTVCN.fr, où Philippe Isnard, le professeur suspendu, donne sa propre version des faits ainsi que ses commentaires. J'invite mes lecteurs à regarder cette vidéo.  

 

 

 

  Philippe Isnard invite celles et ceux qui veulent le soutenir à envoyer une lettre de protestation, demandant sa réintégration sans sanction et l'arrêt de la procédure disciplinaire à son encontre, à :

Rectorat d'Aix-Marseille

A l'attention de Mme Bourras

Place Lucien Paye

13621 AIX-EN-PROVENCE CEDEX 1

 

et à transmettre une copie de cette lettre, par courriel, à Philippe Isnard (alienor30@gmail.com).

 

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11 janvier 2011 2 11 /01 /janvier /2011 07:33

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 49 , 3...6

Parole du Serviteur de Dieu.
3 Le Seigneur m'a dit :
« Tu es mon serviteur, Israël,
en toi je me glorifierai. »
5 Maintenant, le Seigneur parle,
lui qui m'a formé dès le sein de ma mère
pour que je sois son serviteur,
que je lui ramène Jacob
et que je lui rassemble Israël.
Oui, j'ai du prix aux yeux du Seigneur,
c'est mon Dieu qui est ma force.
6 Il parle ainsi :
« C'est trop peu que tu sois mon serviteur
pour relever les tribus de Jacob
et ramener les rescapés d'Israël :
Je vais faire de toi la lumière des nations,
pour que mon salut
parvienne jusqu'aux extrémités de la terre. »

Dimanche dernier, pour la fête du Baptême du Christ, nous avons lu un texte dans lequel il était déjà question du « Serviteur de Dieu » (Is 42) ; dans le Livre d'Isaïe, après le texte d'aujourd'hui (Is 49), nous pouvons en lire encore deux autres (Is 50 et 52). Il s'agit d'un ensemble de quatre textes qui semblent bien former un groupe à part dans le deuxième livre d'Isaïe. On les appelle « les Chants du Serviteur », car ils brossent tous les quatre, mais en insistant sur des aspects différents, le portrait de celui que le prophète appelle le « Serviteur de Dieu ».

Dans le premier chant, celui de dimanche dernier, nous avions relevé trois points importants : premièrement, le Serviteur est choisi par Dieu pour une mission bien précise ; deuxièmement, cette mission est un acte de jugement, à comprendre au sens de salut, de relèvement des malheureux de toute sorte. Enfin, cette mission concernait l'humanité tout entière, symbolisée par la très belle expression, « les îles lointaines ». C'est ce que j'avais appelé « l'universalisme du projet de Dieu ».

Les derniers mots du passage que nous venons d'entendre vont tout à fait dans le même sens : « Pour que mon salut parvienne jusqu'aux extrémités de la terre ». Une fois de plus, la Bible nous dit que le projet de Dieu est un projet de salut, de bonheur, et qu'il concerne l'humanité tout entière « jusqu'aux extrémités de la terre ».

Quant à savoir qui est ce sauveur qui apportera le salut jusqu'aux extrémités de la terre, nous avions remarqué une chose intéressante dans le premier chant, celui de dimanche dernier (Is 42), : le texte original en hébreu ne précisait pas qui était ce serviteur ; on pouvait se demander de qui il s'agissait. Mais, quelques siècles plus tard, la traduction grecque précisait bien qu'il s'agissait du peuple d'Israël. En revanche, le deuxième chant, celui d'aujourd'hui, au chapitre 49 d'Isaïe, est parfaitement clair dès l'original hébreu, puisqu'il dit : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je me glorifierai. »

Je m'arrête sur cette expression un peu surprenante* : « en toi je me glorifierai » ; ce qui veut dire « en toi, mon serviteur, je serai manifesté, reconnu, révélé ». La traduction oecuménique de la Bible (TOB) dit : « Par toi je manifesterai ma splendeur. » Or, la splendeur de Dieu (ou sa Gloire, si vous préférez), c'est son œuvre de salut ; Isaïe le dit très clairement dans un passage que nous avons lu, d'ailleurs, il y a peu de temps, pendant l'Avent (Is 35, 2) ; il commençait par dire : « On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu » et ensuite il annonçait le retour de l'Exil. Effectivement, lorsque le peuple sera sauvé, libéré, il sera la preuve vivante que Dieu est sauveur ! C'est de cette manière que des sauvés peuvent devenir des sauveurs ; non pas par eux-mêmes seulement, parce que Dieu seul est sauveur, mais par le fait même d'être sauvé et d'en être les témoins à la face du monde !

Le titre de serviteur décerné au peuple d'Israël en exil signifie donc deux choses : il est d'abord une assurance du soutien de Dieu, mais il est en même temps une lettre de mission. Israël doit continuer à croire au salut et à en témoigner à la face du monde ; car en reconnaissant à travers lui l'œuvre de Dieu, les autres reconnaîtront que Dieu est sauveur, et, à leur tour, l'accueilleront comme leur sauveur. Ainsi Dieu sera enfin connu et reconnu par tous ceux qui l'auront vu à l'œuvre pour sauver son peuple. C'est en ce sens-là qu'Israël aura manifesté la présence de Dieu. C'est le sens de l'expression : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je me glorifierai ».

Une autre chose est étonnante dans ce texte d'aujourd'hui et que nous avions déjà relevée dans le premier chant, dimanche dernier : être lumière pour les nations, être l'instrument de Dieu « pour que son salut parvienne jusqu'aux extrémités de la terre », c'était exactement la vocation du Messie, telle qu'on l'entrevoyait depuis toujours ; seulement il ne s'agit pas ici d'un Messie-Roi mais d'un Messie-Serviteur, ce qui ne nous apparaît pas forcément comme synonyme. Avec les quatre chants du Serviteur du livre d'Isaïe, l'attente messianique prend donc désormais un autre visage.

Reste une question difficile : au début du texte, c'est le Seigneur qui parle pour dire « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je me glorifierai ». Nous comprenons donc que le Serviteur est un personnage collectif, c'est le peuple d'Israël qui est investi d'une mission au service du monde. Le projet de Dieu est universel, mais pour accomplir son projet, il a choisi un peuple particulier, Israël. « Le Seigneur m'a dit : Tu es mon serviteur, Israël, par toi je manifesterai ma splendeur. »

Le problème commence lorsque, quelques lignes plus bas le Serviteur lui-même prend la parole : « Le Seigneur m'a formé dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob et que je lui rassemble Israël ». Si le Serviteur est Israël, comment peut-on dire qu'il rassemblera Israël ?
Là on pense généralement qu'il s'agit du petit noyau des fidèles, le Petit Reste, comme on disait, ceux dont la foi n'a pas chancelé, malgré les années d'exil et de captivité. C'est à eux que Dieu confie la mission de soutenir leurs frères, pour les rassembler et les ramener dans leur pays : comme dit Isaïe : « relever les tribus de Jacob et ramener les rescapés d'Israël »... Mais ce rétablissement du peuple s'inscrit dans le projet de Dieu comme le prélude au salut de toute l'humanité... Car c'est précisément cette oeuvre inespérée de relèvement du peuple par quelques-uns qui sera aux yeux du monde entier un témoignage rendu au Dieu d'Israël.** Alors on comprend mieux la phrase : « Je vais faire de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu'aux extrémités de la terre ».

****
Compléments
- * C'est précisément parce que les paroles du prophète sont particulièrement audacieuses qu'il insiste pour dire qu'elles sont la Parole même du Seigneur : « Le Seigneur m'a dit... Maintenant, le Seigneur parle... Il parle ainsi »
- ** « Mes témoins à moi, c'est vous - oracle du Seigneur - mon serviteur, c'est vous que j'ai choisis afin que vous puissiez comprendre, avoir foi en moi et discerner que je suis bien tel : avant moi ne fut formé aucun dieu et après moi il n'en existera pas. C'est moi, c'est moi qui suis le Seigneur, en dehors de moi pas de Sauveur. C'est moi qui ai annoncé et donné le salut, moi qui l'ai laissé entendre, et non pas chez vous, un dieu étranger. Ainsi vous êtes mes témoins - oracle du Seigneur - et moi je suis Dieu. » (Is 43, 10 -12).

PSAUME 39 ( 40 )

2 D'un grand espoir, j'espérais le Seigneur,
Il s'est penché vers moi
4 Dans ma bouche il a mis un chant nouveau
une louange à notre Dieu.

7 Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice
tu as ouvert mes oreilles ;
tu ne demandais ni holocauste ni victime
8 alors j'ai dit : « Voici, je viens. »

Dans le livre est écrit pour moi
9 ce que tu veux que je fasse.
Mon Dieu, voilà ce que j'aime :
ta loi me tient aux entrailles.

10 Vois, je ne retiens pas mes lèvres,
Seigneur, tu le sais.
11 J'ai dit ton amour et ta vérité
à la grande assemblée.

« Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu ne demandais ni holocauste ni victime... » : curieuse phrase dans un psaume quand on sait que les psaumes étaient faits pour être chantés au temple de Jérusalem au moment même où on offrait des sacrifices ! En fait on voulait dire par là : je sais, Seigneur, que ce qui compte le plus à tes yeux, ce n'est pas le sacrifice en lui-même, c'est l'attitude du coeur qu'il représente. « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime alors j'ai dit : « Voici, je viens. »

Toute la Bible est l'histoire d'un long apprentissage et, avec ce psaume 39, nous sommes à la phase finale de ce qu'on peut appeler la pédagogie des prophètes. Je reprends rapidement cette histoire des sacrifices en Israël : elle se développe en même temps que se développe la connaissance de Dieu. C'est logique : « sacrifier », (« sacrum facere » en latin) signifie « faire du sacré », entrer en contact ou mieux en communion avec Dieu. Tout dépend évidemment de l'idée qu'on se fait de Dieu. Donc au fur et à mesure qu'on découvre le vrai visage de Dieu, la pratique sacrificielle va changer.
Je commence par le début : Première chose à retenir : ce n'est pas Israël qui a inventé la démarche du Sacrifice ou de l'offrande : (il y en a chez les autres peuples du Moyen Orient bien avant que le peuple hébreu ne mérite le nom de peuple).

Deuxième constatation lorsqu'on s'intéresse à la pratique sacrificielle d'Israël : il y a toujours eu des offrandes et des sacrifices en Israël tout au long de l'histoire biblique. Il y a une très grande variété de sacrifices mais tous sont un moyen de communiquer avec Dieu.

Troisième point : les sacrifices pratiqués par le peuple élu ressemblent à ceux de leurs voisins... oui, mais à une exception près et une exception qui est colossale : la spécificité des sacrifices en Israël, c'est que les sacrifices humains sont strictement interdits. C'est une constante dans la Bible : les sacrifices humains sont de tout temps considérés comme une horreur ; Jérémie dit de la part de Dieu : « cela je ne l'ai jamais demandé et je n'ai jamais eu l'idée de faire commettre une telle horreur... » (Jr 7, 31 ; 19, 6 ; 32, 35). Et dans le fameux récit du sacrifice d'Abraham, celui-ci a découvert que « sacrifier » (« faire sacré ») ne veut pas dire « tuer » ! Abraham a offert son fils, il ne l'a pas tué.

Si on y réfléchit, c'est tout ce qu'il y a de plus logique ! Dieu est le Dieu de la vie : impensable que pour nous rapprocher de Lui, il faille donner la mort ! Cette interdiction des sacrifices humains sera la première insistance de la religion de l'Alliance. On continuera à pratiquer seulement des sacrifices d'animaux. Mais peu à peu, on va assister au long des siècles à une véritable transformation, on pourrait dire une conversion du sacrifice. Cette conversion va porter sur deux points : sur le sens des sacrifices d'abord, sur la matière des sacrifices ensuite

- 1 ) sur le sens des sacrifices : dans la Bible, au fur et à mesure que l'on découvre Dieu, les sacrifices vont évoluer. En fait, on pourrait dire : « dis-moi tes sacrifices, je te dirai quel est ton Dieu ». Notre Dieu est-il un Dieu qu'il faut apprivoiser ? Dont il faut obtenir les bonnes grâces ? Auprès duquel il faut acquérir des mérites ? Un Dieu courroucé qu'il faut apaiser ? Un Dieu qui exige des morts ? Alors nos sacrifices seront faits dans cet esprit là, ce seront des rites magiques pour acheter Dieu en quelque sorte.
Ou bien notre Dieu est-il un Dieu qui nous aime le premier... un Dieu dont le dessein n'est que bienveillant... dont la grâce est acquise d'avance, parce qu'il n'est que Grâce... le Dieu de l'Amour et de la Vie. Et alors nos sacrifices seront tout autres. Ils seront des gestes d'amour et de reconnaissance. Les rites ne seront plus des gestes magiques mais des signes de l'Alliance conclue avec Dieu.
Toute la Bible est l'histoire de ce lent apprentissage pour passer de la première image de Dieu à la seconde. C'est nous qui avons besoin d'être apprivoisés, qui avons besoin de découvrir que tout est « cadeau », qui avons besoin d'apprendre à dire simplement « MERCI » (Ce que la Bible appelle le « sacrifice des lèvres »). Toute la pédagogie biblique vise à nous faire quitter la logique du « donnant-donnant », du calcul, des mérites, pour entrer dans la logique de la grâce, du don gratuit. Et notre apprentissage n'est jamais fini.

- 2 ) la conversion va aussi porter sur la matière des sacrifices : les prophètes ont joué un grand rôle dans ce lent apprentissage du peuple élu. Ils lui ont fait découvrir peu à peu le véritable sacrifice que Dieu attend : un peu comme si les prophètes nous disaient : « tu veux entrer en relation avec Dieu...? Fort bien ! ... à condition de ne pas te tromper de Dieu ! »
C'est peut-être une phrase du prophète Osée (au 8ème siècle) qui résume le plus parfaitement cette prédication des prophètes. Osée 6, 6 : « c'est l'amour que je veux et non les sacrifices ». On découvre peu à peu que le véritable « sacrifice », « faire sacré » consiste non plus à tuer mais à faire vivre. Dieu est le Dieu des vivants : donner la mort ne peut pas être la meilleure façon de nous rapprocher de Lui ! Faire vivre nos frères, voilà la seule manière de nous rapprocher de Lui.

Et l'ultime étape de cette pédagogie des prophètes nous présentera l'idéal du sacrifice : c'est le service de nos frères. Nous trouvons cela dans les 4 Chants du Serviteur qui sont inclus dans le 2ème livre d'Isaïe. L'idéal du Serviteur qui est l'idéal du sacrifice, c'est « une vie donnée pour faire vivre ».

Le psaume 39 résume donc admirablement la découverte biblique sur le Sacrifice : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice ... Tu as ouvert mes oreilles » : depuis l'aube de l'humanité, Dieu « ouvre l'oreille » de l'homme pour entamer avec lui le dialogue de l'amour ; le psaume 39 reflète le long apprentissage du peuple élu pour entrer dans ce dialogue : dans l'Alliance du Sinaï, les sacrifices d'animaux symbolisaient la volonté du peuple d'appartenir à Dieu ; dans l'Alliance Nouvelle, l'appartenance est totale : le dialogue est réalisé ; offrandes et sacrifices sont « spirituels » comme dira Saint Paul ; « Tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j'ai dit voici, je viens ».

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 1 , 1 - 3

1 Moi, Paul,
appelé par la volonté de Dieu pour être Apôtre du Christ Jésus :
avec Sosthène notre frère, je m'adresse à vous
2 qui êtes, à Corinthe, l'Eglise de Dieu,
vous qui avez été sanctifiés dans le Christ Jésus,
vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint,
avec ceux qui, en tout lieu,
invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ,
leur Seigneur et le nôtre.
3 Que la grâce et la paix soient avec vous,
de la part de Dieu notre Père
et de Jésus Christ le Seigneur.

Voilà un texte magnifique pour dire notre dignité de baptisés ! Il est heureux qu'il ait été choisi pour ce dimanche qui marque notre retour au temps qu'on appelle « ordinaire » dans la liturgie. Cela nous donne l'occasion de retrouver le sens de ce mot : « ordinaire » en liturgie ne veut pas dire « sans importance », cela veut dire tout simplement « dans l'ordre de l'année ». Car évidemment, ce que nous célébrons chaque dimanche n'a rien d'ordinaire au sens courant de ce mot ! Saint Paul vient ici à point nommé nous dire la grandeur de notre titre de chrétiens.

Pour reprendre les termes de Paul, nous sommes ceux qui, en tout lieu, invoquons « le nom de notre Seigneur Jésus Christ ». « Invoquer le nom », cela veut dire « reconnaître comme Dieu ». Mais d'ailleurs, quand Paul emploie pour Jésus le mot « Seigneur », cela veut dire la même chose, car, à l'époque, le mot « Seigneur » ne s'appliquait qu'à Dieu.

Le point commun de tous les chrétiens, c'est que Jésus-Christ est vraiment pour nous le Seigneur, c'est-à-dire le maître de nos vies, le centre du monde et de l'histoire. C'est pour cela, d'ailleurs, que Paul nous appelle « le peuple saint ». Saint ne veut pas dire « parfait », cela veut dire « qui appartient à Dieu » : nous appartenons à Dieu, par le baptême, nous avons été consacrés à Dieu : c'est pour cela que l'assemblée mérite elle aussi d'être encensée au cours de la messe.

A l'inverse, je crois que si Jésus-Christ n'est pas vraiment pour nous le Seigneur, s'il n'est pas pour nous, dans nos conversations et nos agissements, le centre du monde et de l'histoire, il faut nous interroger sur le contenu de notre foi. Vous avez remarqué, d'ailleurs, que, dans ces quelques lignes, Paul cite plusieurs fois le nom du Christ : « Moi, Paul, appelé par la volonté de Dieu, pour être Apôtre du Christ Jésus... je m'adresse à vous qui avez été sanctifiés dans le Christ Jésus ... vous qui êtes le peuple saint, avec ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ... que la grâce et la paix soient avec vous de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ le Seigneur ».

Autre point commun à tous les Chrétiens du monde, de quelque race, nationalité ou confession : nous sommes des « appelés » ! Je cite : « Appelé par la volonté de Dieu, je m'adresse à vous qui êtes, à Corinthe, l'Eglise de Dieu ». Paul est « apôtre du Christ Jésus », non par choix personnel mais parce qu'il a été appelé à cette mission par une volonté explicite de Dieu. On sait à quel point c'est vrai ! Paul n'a pas choisi cette mission d'apôtre du Christ, c'est Jésus lui-même qui l'a choisi sur le chemin de Damas. L'autorité de Paul lui vient de là : il a été appelé, il est en service commandé.

Et il s'adresse à « L'Eglise qui est à Corinthe ». Le mot « Eglise » à lui tout seul est aussi une référence à l'appel de Dieu : en grec, le mot « ecclesia » est de la même famille que le verbe « appeler » (Kaleo). Et comme si le mot « ecclesia » n'était pas assez clair, Paul précise « vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint ». L'expression « L'Eglise de Dieu qui est à Corinthe » (par exemple), ou à Jérusalem ou à Paris, est devenue traditionnelle. Où que nous soyons, nous sommes les « appelés » de Dieu. Nous aussi, nous sommes en service commandé ! Nous sommes appelés à être des « serviteurs » au sens que le prophète Isaïe donne à ce mot dans la première lecture de ce dimanche « pour que le salut de Dieu parvienne jusqu'aux extrémités de la terre » (Is 49, 6).

En même temps, Paul rappelle bien le lien qui unit la communauté de Corinthe aux autres communautés chrétiennes : « Je m'adresse à vous qui êtes, à Corinthe, l'Eglise de Dieu... vous qui êtes le peuple saint avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, leur Seigneur et le nôtre ». Il est intéressant de noter que Paul emploie le mot Eglise tout aussi bien pour désigner une communauté locale que l'Eglise dans son ensemble. Chaque communauté particulière est, par appel de Dieu, pleinement témoin de l'amour universel du Père : une Eglise locale ne se réduit donc pas à sa réalité géographique ou sociologique, elle a toujours vocation à l'universel. Voilà qui devrait élargir nos prières dites « universelles ».

L'étendue de la mission ne doit pas nous décourager pour autant : ce qui nous est demandé est à notre portée. Le Seigneur ne nous demande pas des gestes extraordinaires : il suffit d'être tout simplement disponible à la volonté du Père. Vous vous rappelez les termes du psaume de ce dimanche : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j'ai dit : « Voici, je viens. » Nous pouvons donc faire sereinement au jour le jour notre petit possible et avoir le cœur en paix. C'est ce que nous souhaite Paul : « Que la grâce et la paix soient avec vous ». C'est vraiment le plus beau souhait que l'on puisse s'adresser les uns aux autres en cette période de vœux de début d'année !

Je remarque, au passage, qu'à plusieurs reprises, la liturgie eucharistique fait écho à cette phrase de Paul, en gestes et en paroles. Le plus marquant est évidemment le geste de paix, avec la parole qui l'accompagne : nous reprenons la phrase de Paul chaque fois que nous transmettons à notre voisin « la paix du Christ ». Et chaque fois que le prêtre nous dit « Le Seigneur soit avec vous », c'est bien dans la grâce et la paix du Christ qu'il nous invite à nous laisser immerger.

EVANGILE Jean 1 , 29 - 34

29 Comme Jean Baptiste voyait Jésus venir vers lui, il dit :
« Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ;
30 c'est de lui que j'ai dit :
derrière moi vient un homme qui a sa place devant moi,
car avant moi il était.
31 Je ne le connaissais pas ;
mais, si je suis venu baptiser dans l'eau,
c'est pour qu'il soit manifesté au peuple d'Israël. »
32 Alors Jean rendit ce témoignage :
« J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe
et demeurer sur lui.
33 Je ne le connaissais pas,
mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit :
L'homme sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer,
c'est celui-là qui baptise dans l'Esprit Saint.
34 Oui, j'ai vu et je rends ce témoignage :
c'est lui le Fils de Dieu. »

La dernière formule est très solennelle : « Oui, j'ai vu et je rends ce témoignage : c'est lui le Fils de Dieu. » A l'époque de Jean-Baptiste, il ne s'agissait pas encore de l'affirmation théologique au sens où nous disons aujourd'hui que Jésus est le Fils de Dieu, ou au sens de Saint Jean dans son Prologue, quand il dit « le Fils Unique, plein de grâce et de vérité » ; cette expression était synonyme de Messie ; pour Jean-Baptiste, c'était donc une manière de dire que Jésus était bien le Messie qu'on attendait, celui qui devait apporter le bonheur parfait sur la terre. Jean-Baptiste ne pouvait pas encore tout percevoir du mystère de Jésus, (la suite a prouvé qu'il s'est posé bien des questions), mais appliquer ce titre de Messie à son cousin, le fils de Marie, c'était déjà considérable !

Pourquoi ce titre de « messie » et de fils de Dieu étaient-ils équivalents ? Parce que chaque roi, lorsqu'il prenait possession du trône de Jérusalem, recevait ces deux titres. Le rite de l'onction d'huile faisait de lui un consacré, un « messie » (le mot veut dire « frotté d'huile », tout simplement) et d'autre part, il recevait le titre de fils de Dieu, du seul fait qu'il était le roi et que, désormais, il pouvait être assuré que Dieu l'inspirait et le soutenait à tout instant.

Voilà donc Jésus désigné par Jean-Baptiste comme le Messie qu'on attendait déjà depuis quelques siècles. Evidemment, on se demande ce qui permet à Jean-Baptiste d'affirmer avec assurance que Jésus est bien le Messie d'Israël : c'est qu'il a vu de ses yeux l'Esprit Saint demeurer sur lui. Et, là encore, la formule est très solennelle : « J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : L'homme sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est celui-là qui baptise dans l'Esprit Saint. » Le mot « demeurer » ici est important : chaque roi, le jour de son sacre, recevait l'onction d'huile, signe de l'Esprit qui l'accompagnait dans toute sa mission. De David, par exemple, on disait que l'Esprit de Dieu avait fondu sur lui à ce moment-là ; seulement voilà, les uns après les autres, les rois d'Israël avaient fait la preuve qu'ils pouvaient fort bien ne pas suivre les inspirations de l'Esprit. De Jésus au contraire, Jean-Baptiste nous dit qu'il est celui sur qui l'Esprit demeure, manière de nous dire que toute son action sera aussi celle de l'Esprit.

Le Messie, on le savait donc, serait habité, guidé en permanence par l'Esprit de Dieu et c'est lui qui devait apporter l'Esprit saint à toute l'humanité. Le prophète Joël avait annoncé de la part de Dieu : « En ces jours-là, je répandrai mon Esprit sur toute chair ». Donc, quand Jean-Baptiste dit « Jésus est le fils de Dieu » ou « j'ai vu l'Esprit descendre et demeurer sur lui », ce sont deux manières absolument équivalentes de dire : le Messie est enfin parmi nous.
Ce mystère de Jésus, Jean-Baptiste le décrit encore d'une troisième manière, mais cette fois, totalement inattendue, ou presque : il dit « Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». La majorité du peuple d'Israël attendait un Messie-roi : il régnerait à Jérusalem (ce qui supposait que les Romains ne seraient plus les maîtres), le pays serait libéré de la tutelle étrangère (l'occupation romaine), on connaîtrait enfin la sécurité, la paix, le bonheur. Mais un Messie-agneau, bien peu de gens en parlaient ! Il semble donc que Jean-Baptiste a bien deviné que Jésus serait bien le Messie qu'on attendait, mais pas du tout comme on l'attendait !

L'agneau, cela fait penser d'abord à l'agneau pascal : le rite de la Pâque chaque année, rappelait au peuple que Dieu l'avait libéré ; la nuit de la libération d'Egypte, Moïse avait fait pratiquer par le peuple le rite traditionnel, mais il avait insisté « désormais, chaque année, ce rite vous rappellera que Dieu est passé parmi vous pour vous libérer. Le sang de l'agneau signe votre libération ».

L'Agneau, cela fait penser aussi au Serviteur de Dieu dont parle le deuxième livre d'Isaïe (53) : il était comparé à un agneau innocent qui portait les péchés de la multitude.

Enfin « l'Agneau de Dieu » signifie l'Agneau donné par Dieu : là je pense à l'offrande d'Abraham : quand Isaac avait posé à son père la question « mais où est donc l'agneau pour l'holocauste ? », Abraham avait répondu : « C'est Dieu qui pourvoiera à l'agneau pour l'holocauste, mon fils ».

Quand Jean-Baptiste dit que Jésus est l'agneau de Dieu, il le présente donc comme le libérateur de l'humanité (c'est l'agneau pascal) ; cet agneau est envoyé par Dieu, choisi par Dieu comme dans le récit d'Abraham ; mais en faisant référence au serviteur d'Isaïe, il laisse entendre que cette œuvre de libération de l'humanité sera accomplie par un innocent qui donne sa vie pour sauver ses frères.

Il reste que le péché n'a pas encore disparu, que je sache ! Alors, en quoi pouvons-nous dire que Jésus est réellement le messie, le libérateur de l'humanité ? La vérité, c'est que le péché n'est plus une fatalité : le Christ nous apporte la possibilité de nous libérer de son engrenage. Si nous restons greffés résolument sur lui dans toutes les circonstances de notre vie, si nous nous laissons en permanence guider par l'Esprit Saint dans lequel nous sommes plongés depuis notre baptême, nous pouvons découvrir en nous cette liberté nouvelle. Nous pouvons vivre comme lui l'amour, la gratuité, le pardon.

Par ailleurs, la référence au serviteur d'Isaïe nous donne la clé du mystère : Isaïe avait deviné que l'œuvre du salut de l'humanité ne serait pas l'œuvre d'un homme solitaire mais d'un peuple ; les chrétiens du monde entier forment ce peuple que saint Paul appelle le « Corps du Christ » qui grandit d'heure en heure si nous laissons l'Esprit de Dieu agir en nous.

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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 17:42

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE : Isaïe 42, 1-4. 6-7

Ainsi parle le Seigneur :
1 Voici mon serviteur que je soutiens,
mon élu en qui j'ai mis toute ma joie.
J'ai fait reposer sur lui mon esprit ;
devant les nations,
il fera paraître le jugement que j'ai prononcé.
2 Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton,
on n'entendra pas sa voix sur la place publique.
3 Il n'écrasera pas le roseau froissé ;
il n'éteindra pas la mèche qui faiblit,
il fera paraître le jugement en toute fidélité.
4 Lui ne faiblira pas, lui ne sera pas écrasé,
jusqu'à ce qu'il impose mon jugement dans le pays,
et que les îles lointaines
aspirent à recevoir ses instructions...

6 Moi, le Seigneur, je t'ai appelé selon la justice,
je t'ai pris par la main, je t'ai mis à part,
j'ai fait de toi mon Alliance avec le peuple,
et la lumière des nations ;
7 tu ouvriras les yeux des aveugles,
tu feras sortir les captifs de leur prison,
et de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres.

La difficulté de ce texte vient de sa richesse ! Comme beaucoup de prédications des prophètes, celle-ci est très touffue : beaucoup de choses sont dites en quelques phrases. Je vais essayer de décomposer le texte.

Pour commencer, visiblement, il comprend deux parties : c'est Dieu qui parle d'un bout à l'autre, mais, dans la première partie, il parle de celui qu'il appelle « son serviteur » (« Voici mon serviteur que je soutiens... »), tandis que, dans la seconde, il parle directement à son serviteur (« Moi, le Seigneur, je t'ai appelé selon la justice, je t'ai pris par la main... »).

Je m'attache d'abord à la première partie : première remarque, je devrais dire premier étonnement : le mot « jugement » revient trois fois. « Mon serviteur fera paraître le jugement que j'ai prononcé... il fera paraître le jugement en toute fidélité... Il ne faiblira pas, il ne sera pas écrasé, jusqu'à ce qu'il impose mon jugement... » Or c'est peut-être là que nous allons avoir des surprises, car ce jugement, curieusement, ne ressemble pas à un verdict ; pourtant, spontanément, pour nous, le mot « jugement » est souvent évocateur de condamnation, surtout quand il s'agit du jugement de Dieu. Mais ici, il n'est pas question de condamnation, il n'est question que de douceur et de respect pour tout ce qui est fragile, « le roseau froissé », « la mèche qui faiblit » : « Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, on n'entendra pas sa voix sur la place publique. Il n'écrasera pas le roseau froissé ; il n'éteindra pas la mèche qui faiblit ».
Autre caractéristique de ce jugement, il concerne toute l'humanité : tout le développement sur le jugement est encadré par deux affirmations concernant les nations, c'est-à-dire l'humanité tout entière ; voici la première : « Devant les nations, il fera paraître le jugement que j'ai prononcé » et la deuxième : « Lui ne faiblira pas, lui ne sera pas écrasé, jusqu'à ce que les îles lointaines aspirent à recevoir ses instructions. »
- On ne peut pas mieux dire que la volonté de Dieu est une volonté de salut, de libération, et qu'elle concerne toute l'humanité. Il attend avec impatience « que les îles lointaines aspirent à recevoir ses instructions », c'est-à-dire son salut.
Tout cela veut dire qu'à l'époque où ce texte a été écrit, on avait compris deux choses : premièrement, que le jugement de Dieu n'est pas un verdict de condamnation mais une parole de salut, de libération. (Dieu est ce « juge dont nous n'avons rien à craindre » comme le dit la liturgie des funérailles). Deuxièmement, que la volonté de salut de Dieu concerne toute l'humanité. Enfin, dernier point très important, dans le cadre de cette mission, le serviteur est assuré du soutien de Dieu : « Voici mon serviteur que je soutiens... J'ai fait reposer sur lui mon esprit ».

La deuxième partie du texte reprend ces mêmes thèmes : c'est Dieu lui-même qui explique à son serviteur la mission qu'il lui confie : « Tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leur prison, et de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres. » Ici, non seulement il n'est pas question de condamnation, mais le jugement est un véritable « non-lieu » ou même plus exactement une levée d'écrou ! L'image est forte : vous avez entendu le lien entre le mot « cachot » et le mot « ténèbres ». Je m'explique : les cellules des prisons de l'époque étaient dépourvues de fenêtres ; sortir de prison, c'était retrouver la lumière du jour, au point d'en être ébloui après un long temps passé dans l'obscurité.
Le caractère universel de la mission du serviteur est également bien précisé. Dieu lui dit : « J'ai fait de toi la lumière des nations ». Enfin, le soutien de Dieu est également rappelé : « Moi, le Seigneur, je t'ai appelé... je t'ai pris par la main ».

Evidemment, une question se pose tout de suite : de qui parle Isaïe ? Une telle description d'un serviteur de Dieu, investi d'une mission de salut pour son peuple et pour toute l'humanité, et sur qui repose l'esprit de Dieu, c'était exactement la définition du Messie qu'on attendait en Israël. C'est lui qui devait instaurer le règne de Dieu sur la terre et apporter à tous le bonheur et la liberté. Mais Isaïe ne nous précise pas son identité. Qui est ce serviteur, investi d'une telle mission ? Nous trouverons la réponse en allant consulter la traduction que les Juifs eux-mêmes ont faite de ce passage quelques siècles plus tard, vers 250 av.J.C. lorsqu'ils ont traduit la Bible hébreue en grec, (cette traduction que nous appelons la Septante). Voici le début de notre texte dans la Septante : « Ainsi parle le Seigneur : Voici mon serviteur, Jacob, que je soutiens, mon élu, Israël, en qui j'ai mis toute ma joie ».
Alors on comprend mieux l'intention du prophète lorsqu'il adressait cette prédication à ses contemporains : l'auteur (qu'on appelle le Deuxième Isaïe) a vécu et prêché au temps de l'Exil à Babylone donc au sixième siècle av.J.C. C'était une période particulièrement dramatique et le peuple d'Israël croyait être condamné à disparaître et n'avoir plus aucun rôle à jouer dans l'histoire. Alors le prophète Isaïe a consacré toutes ses forces à redonner courage à ses compatriotes, à tel point qu'on appelle son oeuvre « le livre de la consolation d'Israël ». Or, une bonne manière de remonter le moral des troupes consistait à leur dire : tenez bon, Dieu compte encore sur vous, le petit noyau que vous formez est appelé à être son serviteur privilégié dans son oeuvre de salut du monde.
Déjà, le prophète Michée, au huitième siècle, avait eu l'intuition que le Messie ne serait pas un individu, mais un être collectif ; désormais, avec cette prédication d'Isaïe, l'idée d'un Messie collectif s'affirme de plus en plus.

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Compléments
- La lecture liturgique ajoute la première phrase : « Ainsi parle le Seigneur » probablement pour compenser la suppression du verset 5 au milieu du texte.
- Voici le verset 5 : « Ainsi parle Dieu, le Seigneur, qui crée les cieux et les déploie : il dispose la terre avec sa végétation, il donne la vie au peuple qui l'habite, et le souffle à ceux qui la parcourent. » La deuxième partie du livre d'Isaïe (celle qu'on appelle « le livret de la consolation d'Israël) est riche d'évocations superbes de la Création : c'est dans les périodes les plus difficiles que l'on développe ce thème de la puissance créatrice de Dieu et de son amour pour ses créatures : c'est le meilleur argument pour garder l'espoir. Sa puissance créatrice et sa fidélité sont le meilleur gage de notre libération.

PSAUME 28 ( 29 )

1 Rendez au SEIGNEUR, vous les dieux,
Rendez au SEIGNEUR gloire et puissance.
2 Rendez au SEIGNEUR la gloire de son Nom,
adorez le SEIGNEUR, éblouissant de sainteté.

3a La voix du SEIGNEUR domine les eaux,
3c le SEIGNEUR domine la masse des eaux.
4 Voix du SEIGNEUR dans sa force, voix du SEIGNEUR qui éblouit.

3b Le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre.
9c Et tous, dans son temple, s'écrient : « Gloire ! »
10 Au déluge, le SEIGNEUR a siégé ;
il siège, le SEIGNEUR, il est roi pour toujours !

Pour entendre ce psaume dans toute sa force, il faut imaginer la violence d'un orage : les vents déchaînés ont balayé la Palestine tout entière, du Liban et de l'Hermon au Nord jusqu'au désert de Qadèsh au Sud. Nous en avons entendu un écho, déjà : « Le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre » ; mais ce thème se retrouve surtout dans les versets centraux de ce psaume, que nous n'avons pas entendus ; je vous les lis : « Voix du Seigneur dans sa force, voix du Seigneur qui éblouit, voix du Seigneur : elle casse les cèdres. Le Seigneur fracasse les cèdres du Liban ; il fait bondir comme un poulain le Liban, le Siryon comme un jeune taureau (le Siryon est un autre nom de l'Hermon). Voix du Seigneur, elle taille des lames de feu (ce sont les éclairs bien sûr) ; voix du Seigneur, elle épouvante le désert ; le Seigneur épouvante le désert de Qadesh.... Voix du Seigneur qui affole les biches en travail, qui ravage les forêts... ».

Mais où donc la voix de Dieu a-t-elle ainsi résonné dans le désert ? Au Sinaï, bien sûr. Rappelez-vous la description du livre de l'Exode au moment où Dieu proposait son Alliance à Moïse : « Le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d'un cor très puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. Le mont Sinaï n'était que fumée, parce que le Seigneur était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d'une fournaise, et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s'amplifia : Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre. » (Ex 19, 16 - 19). Et vous savez que le targum du livre de l'Exode compare la voix de Dieu à des flammes de feu : chaque parole de Dieu donnant à Moïse les dix paroles des commandements (le Décalogue) était comme du feu. Je vous en lis un passage : « Le premier commandement, lorsqu'il sortait de la bouche du Saint - Béni soit son nom ! -, c'était comme des étincelles, des éclairs et des lampes de feu, une lampe de feu à sa droite et une lampe de feu à sa gauche. Il volait et filait dans l'air des cieux... Puis il revenait et se gravait sur les tables de l'Alliance... »

Au passage, on notera dans notre psaume l'emploi répété (j'aurais envie de dire « litanique ») du nom de Dieu révélé au Sinaï : le mot « SEIGNEUR » (le fameux nom en quatre lettres YHVH) apparaît à presque toutes les lignes de ce psaume (dix-huit fois pour l'ensemble du psaume !)

Autre rapprochement suggéré par ce psaume : nous avons entendu ici trois fois l'expression « voix du Seigneur » ; dans l'ensemble du psaume, elle est répétée sept fois, ce qui n'est pas un chiffre anodin, évidemment : cela fait immédiatement penser à la Création. Le poème du premier chapitre de la Genèse répète indéfiniment « Dieu dit... et cela fut ». Manière de dire que la Parole de Dieu est efficace, et elle seule ; traduisez les idoles ne parlent pas et ne font rien, elles en sont bien incapables. Nous avons déjà eu l'occasion de voir que le poème de la création ne manque pas d'envoyer quelques pointes contre les idoles.

Ceci nous amène à un autre thème de ce psaume qui est la royauté de Dieu : car, s'il fallait résumer ce psaume, on pourrait dire « Dieu seul est roi ; toute autre royauté est usurpée, lui seul mérite hommages et adoration. Bientôt tous le reconnaîtront et se soumettront. » Tous, à commencer par son peuple, bien sûr, mais aussi et surtout, les usurpateurs qui ont osé revendiquer une gloire qui ne revient qu'à Dieu seul : « Rendez au Seigneur, vous les dieux, (sous-entendu les faux-dieux), rendez au Seigneur gloire et puissance. » La pointe anti-idolâtrique est très nette : et l'orage est souvent utilisé dans la Bible pour décrire la venue du règne de Dieu, le jugement final de Dieu sur le monde, quand enfin disparaîtront les puissances du mal. La domination universelle de Dieu sera enfin manifestée.

Comme elle le fut (autre image) sur les eaux déchaînées du déluge : « La voix du Seigneur domine les eaux, le Seigneur domine la masse des eaux... Au déluge, le Seigneur a siégé ». Le prophète Isaïe emploie les mêmes images : « Les écluses d'en-haut sont ouvertes, les fondements de la terre sont ébranlés. La terre se brise, la terre vole en éclats, elle est violemment secouée... Ce jour-là, le Seigneur interviendra, là-haut contre l'armée d'en-haut, et sur terre contre les rois de la terre... La lune sera humiliée, le soleil sera confondu. Oui, le Seigneur, le tout-puissant est roi sur la montagne de Sion et à Jérusalem, dans sa gloire, en présence des Anciens. » (C'est un extrait de ce que l'on appelle l'Apocalypse d'Isaïe : Is 24, 18... 23).

Autre harmonique de ce psaume à propos de la domination de Dieu sur les eaux, toujours : où donc, en-dehors de la création, en-dehors du déluge, où donc Dieu a-t-il dominé la masse des eaux ? Lors de la sortie d'Egypte, bien sûr, lors de la traversée de la Mer, lorsque le peuple s'enfuyait d'Egypte, « la maison de servitude ». Et c'est son plus grand titre de gloire. Désormais, le peuple élu, libéré gratuitement par son Dieu, prend à témoin les autres nations : leurs dieux n'ont plus qu'à s'incliner ! Vous avez remarqué l'insistance sur le mot « gloire » qui revient quatre fois : « Rendez au Seigneur, vous les dieux, rendez au Seigneur gloire et puissance. Rendez au Seigneur la gloire de son Nom... Le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre. Et tous, dans son temple, s'écrient : « Gloire ! »

Dernière remarque : oui, dans le temple, déjà, les croyants rassemblés chantent à pleins poumons la gloire de Dieu, comme les y invite ce psaume ; mais pour le reste de l'humanité, ce n'est pas encore le cas ! Lorsque le psaume affirme : « Il siège, le Seigneur, il est roi pour toujours ! », c'est encore une anticipation. Mais on ne doute pas qu'un jour viendra où Dieu sera enfin reconnu roi par tous ses enfants.
Du coup, nous comprenons mieux le choix de ce psaume pour la fête du Baptême du Christ : avec Jésus, « Le Royaume des cieux s'est approché ».

DEUXIEME LECTURE : Actes des Apôtres 10, 34 - 38

Quand Pierre arriva à Césarée,
chez un centurion de l'armée romaine,
34 il s'adressa à ceux qui étaient là :
« En vérité, je le comprends,
Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ;
35 mais, quelle que soit leur race,
il accueille les hommes qui l'adorent
et font ce qui est juste.
36 Il a envoyé la Parole aux fils d'Israël,
pour leur annoncer la paix par Jésus-Christ :
c'est lui, Jésus, qui est le Seigneur de tous.
37 Vous savez ce qui s'est passé à travers tout le pays des Juifs,
depuis les débuts en Galilée,
après le baptême proclamé par Jean :
38 Jésus de Nazareth, Dieu l'a consacré par l'Esprit Saint et rempli de sa force.
Là où il passait, il faisait le bien,
et il guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du démon.
Car Dieu était avec lui. »

C'est presque une révolution : Pierre est en train d'enfreindre toutes les convenances ; le voilà chez un païen, le centurion romain, Corneille. Il faut dire que l'Esprit Saint lui a carrément forcé la main !
Je vous rappelle les événements. Imaginez deux maisons distantes de cinquante kilomètres, la maison de Corneille à Césarée, celle de Simon, le tanneur, à Joppé (autrement dit Jaffa ou Tel Aviv). C'est dans la maison de Simon que loge l'apôtre Pierre, qui a quitté provisoirement Jérusalem pour une tournée missionnaire.

Dans ces deux maisons, il se passe des choses étranges et tout à fait inattendues : cela commence à Césarée. Corneille est un officier de l'empire romain (on dirait aujourd'hui un italien) en garnison à Césarée-sur-mer, c'est-à-dire sur la côte méditerranéenne du pays des Juifs. Aux yeux des Juifs, c'est un homme estimable, pieux, un de ceux qu'on appelle les « craignant Dieu ». Ce qui veut dire concrètement qu'il est pratiquement converti au Judaïsme, ou au moins très sympathisant, mais sans aller jusqu'à la circoncision. Il est connu aussi pour ses générosités et ses aumônes envers la synagogue de Césarée. Voici donc Corneille dans sa maison.
Un beau jour, vers trois heures de l'après-midi, il a une vision : un ange de Dieu est devant lui et l'appelle : « Corneille ! » Il répond tout frémissant : « Qu'y a-t-il, Seigneur ? » L'ange lui explique : « Dieu entend tes prières, il voit tes aumônes ; et maintenant, envoie chercher Pierre à Joppé ; tes hommes le trouveront facilement, il loge actuellement au bord de la mer chez un tanneur du nom de Simon. »

L'ange à peine disparu, Corneille choisit deux hommes de confiance et il les envoie à Joppé escortés d'un soldat. Et les voilà partis pour Joppé ; ils en ont pour une bonne journée de marche.
Le lendemain, juste un peu avant qu'ils n'arrivent à destination, c'est à Joppé qu'il se passe des choses étranges : Pierre est monté faire ses prières sur la terrasse vers midi. Mais c'est presque l'heure de déjeuner et la faim le prend ; et voilà qu'il a une vision, lui aussi : du ciel descend une espèce de nappe remplie de toutes sortes d'animaux ; et une voix dit : « Allez, Pierre, tue et mange ! » Impossible pour un bon Juif d'obéir à un ordre pareil ! D'abord, il faudrait distinguer soigneusement parmi tous ces animaux ceux qui sont purs et ceux qui ne le sont pas ; alors Pierre répond instinctivement : « Jamais, Seigneur ! De ma vie, je n'ai jamais mangé rien d'immonde ni d'impur. » Et la voix reprend : « Ce que Dieu a déclaré pur, ce n'est n'est quand même pas toi, Pierre, qui vas le déclarer immonde ! »

En d'autres termes, à qui est-ce de décider de ce qui est pur ou impur ? Est-ce bien aux hommes d'en décider ? Paul, plus tard, dans la lettre aux Romains, dira : « Je le sais, j'en suis convaincu par le Seigneur Jésus : rien n'est impur en soi. » (Rm 14, 18)

Pierre a certainement du mal à se rendre à ces arguments-là puisque Luc précise que la même scène se reproduit trois fois. Et il ajoute que Pierre ne comprend toujours pas, même une fois la vision définitivement disparue.
Vous vous en doutez, c'est à ce moment-là, précisément, que les envoyés de Corneille frappent à la porte, au rez de chaussée ; et là-haut, sur la terrasse, l'Esprit Saint dit à Pierre « on te demande en bas, suis ces hommes sans hésiter, c'est moi qui les envoie. » Vous devinez la suite : Pierre descend, rencontre les envoyés de Corneille, leur demande ce qui les amène ; puis il leur offre l'hospitalité comme il se doit ; et dès le lendemain, il prend la route de Joppé ; je remarque au passage qu'il ne part pas tout seul, il emmène quelques chrétiens avec lui ; il se doute que l'affaire est importante puisque l'Esprit Saint s'en est mêlé, et s'il y a des décisions à prendre, on est toujours plus avisés à plusieurs. Encore une journée de marche, cette fois dans l'autre sens, pour Césarée où l'on arrive le lendemain.

L'arrivée chez Corneille est superbe : Corneille a convoqué le ban et l'arrière-ban ; quand Pierre arrive, Corneille se jette à ses pieds ; mais Pierre a cette phrase magnifique : « Relève-toi ; moi aussi, je ne suis qu'un homme. » Puis, devant tout le monde, il dit ce qu'il a enfin compris de sa vision à Joppé : « Dieu vient de me faire comprendre qu'il ne fallait déclarer immonde ou impur aucun homme. » Sous-entendu, jusqu'ici, moi, Pierre, le Juif, je croyais être fidèle à l'Alliance de Dieu en m'interdisant tout contact avec les païens. Désormais, je comprends que, aux yeux de Dieu, personne n'est infréquentable. Et c'est pour cela que, pour la première fois de ma vie, je m'autorise, moi le Juif, à franchir le seuil de la maison d'un païen. Puis Corneille raconte pourquoi il a fait venir Pierre, sur l'ordre de l'ange de Dieu. Et c'est à ce moment-là que Pierre entame le discours dont nous avons entendu le début tout à l'heure : « En vérité, je le comprends, Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ; mais, quelle que soit leur race, il accueille les hommes qui l'adorent et font ce qui est juste. » L'élection d'Israël n'est pas niée pour autant : « Il (Dieu) a envoyé la Parole aux fils d'Israël » ; mais désormais tous peuvent accéder à la foi en Jésus-Christ.

Vous savez la suite : Pierre était peut-être parti pour faire un long discours, comme le matin de la Pentecôte, mais l'Esprit Saint, encore une fois, le devance : « Pierre exposait encore ces événements quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui avaient écouté la Parole. Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre ; (traduisez les anciens juifs devenus chrétiens) ; ainsi sur les nations païennes, le don de l'Esprit Saint était ainsi répandu ! Ils entendaient ces gens, en effet, parler en langues et célébrer la grandeur de Dieu. » Alors Pierre en tire la conclusion qui s'impose et il fait ce qui ne lui serait jamais venu à l'idée sans toutes ces interventions de l'Esprit Saint, il les baptise : « Quelqu'un pourrait-il empêcher de baptiser par l'eau ces gens qui, tout comme nous, ont reçu l'Esprit Saint ? »

Le programme que Jésus a fixé à ses apôtres le jour de l'Ascension est en train de s'accomplir (Ac 1, 8); il leur avait dit : « vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. »

EVANGILE Matthieu 3, 13 - 17

13 Jésus, arrivant de Galilée,
paraît sur les bords du Jourdain,
et il vient à Jean
pour se faire baptiser par lui.
14 Jean voulait l'en empêcher et disait :
« C'est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi,
et c'est toi qui viens à moi ! »
15 Mais Jésus lui répondit :
« Pour le moment, laisse-moi faire ;
c'est de cette façon
que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste. »
Alors Jean le laisse faire.
16 Dès que Jésus fut baptisé,
il sortit de l'eau ;
voici que les cieux s'ouvrirent,
et il vit l'Esprit de Dieu
descendre comme une colombe et venir sur lui.
17 Et des cieux, une voix disait :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé ;
en lui j'ai mis tout mon amour. »

Le Baptême de Jésus est sa première manifestation publique : il n'est encore, à son arrivée au bord du Jourdain, (pour beaucoup à l'exception de quelques-uns) que Jésus de Nazareth, et Matthieu l'appelle seulement Jésus : « Jésus, arrivant de Galilée, paraît sur les bords du Jourdain, et il vient à Jean pour se faire baptiser par lui. » Son Baptême sera le premier dévoilement aux yeux de tous de ce qu'il est réellement.

La scène est très courte, mais chaque mot, chaque image compte. Je commence par les images. Il y en a trois : la marche de Jésus depuis la Galilée et jusqu'aux rives du Jourdain, un peu au nord de la Mer Morte. Jésus accomplit la même démarche que beaucoup des membres de son peuple : Matthieu raconte que les gens de « Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain venaient à Jean-Baptiste et ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés. »

La deuxième image nous montre le geste de recul de Jean-Baptiste ; et le dialogue s'instaure entre les deux hommes ; Jean finit par s'incliner devant l'insistance du nouveau-venu. Alors on voit Jésus descendre dans le Jourdain pour y être baptisé.

Puis c'est la dernière scène, grandiose : les cieux s'ouvrent, une colombe vient se poser sur le nouveau baptisé. Pour commencer, lorsque les cieux s'ouvrent, on comprend que la grande attente d'Israël est enfin comblée. Cette grande attente, Isaïe l'exprimait ainsi : « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais... pour faire connaître ton Nom à tes adversaires... » (Is 63, 19 - 64, 1). Quant à la colombe, pour un Juif, elle représente évidemment l'esprit de Dieu, celui qui planait sur les eaux de la Création, celui qui devait un jour reposer sur le Messie lorsqu'il viendrait enfin pour sauver son peuple et l'humanité tout entière. L'apôtre Pierre le rappellera dans son discours chez Corneille (que nous lisons en deuxième lecture ce dimanche) : « Vous savez ce qui s'est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les débuts en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu l'a consacré par l'Esprit Saint ». (Actes 10, 37-38).

Quant aux paroles, il y en a trois également. Tout d'abord, le refus de Jean-Baptiste : « C'est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c'est toi qui viens à moi ! » Il semble bien que Jean-Baptiste, lui, ait tout de suite compris qui était Jésus. Il reconnaît en lui celui dont il a dit : « Moi, je vous baptise dans l'eau pour vous amener à la conversion. Mais celui qui est derrière moi est plus fort que moi et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu. » (Mt 3, 11).

La deuxième parole, c'est la réponse de Jésus : « Pour le moment, laisse-moi faire ; c'est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste. »
Alors Jean-Baptiste se laisse convaincre. Lui aussi, veut de tout son coeur être accordé au projet de Dieu. Sa première réaction était empreinte d'humilité, mais elle exprimait les vues humaines. Une question analogue, d'ailleurs, nous brûle les lèvres : pourquoi donc Jésus a-t-il choisi de demander le baptême de Jean-Baptiste ? Pourquoi se mettre en quelque sorte à l'école d'un autre ? Pourquoi, surtout, prendre place au rang des pécheurs ?
Jésus, lui, dit les vues de Dieu. « Ce qui est juste », dans l'Ancien Testament, c'est ce qui est conforme au projet de Dieu, aux pensées de Dieu. Jean-Baptiste voulait distinguer Jésus du reste des hommes. Mais ce ne sont pas les vues de Dieu. Le mystère de l'Incarnation, c'est cela précisément : Jésus vient s'intégrer complètement à l'humanité. L'étonnement de Jean-Baptiste dit assez la singularité de Jésus ; homme parmi les hommes, il n'est pourtant pas comme les autres : lui, le non-pécheur, va prendre la tête des pécheurs.

La troisième parole, c'est celle de Dieu lui-même : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j'ai mis tout mon amour. » Pour percevoir la richesse de cette phrase apparemment si simple, il faut la décomposer. L'expression « Celui-ci est mon Fils » désigne aussitôt Jésus comme le Messie-roi que la majorité des Juifs attendaient en Israël. Car le titre de « fils de Dieu » était appliqué à chaque roi le jour de son sacre. De la part de Dieu, le prophète disait au nouveau souverain : « Tu es mon fils, aujourd'hui, je t'ai engendré » en souvenir de la promesse adressée jadis au roi David par le prophète Nathan : « Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils » (2 S 7, 14). Appliquer ce titre de « fils de Dieu » à Jésus, fils du charpentier de Nazareth, c'était donc proclamer que, malgré toutes les apparences, le vrai roi-Messie qu'on attendait, c'était lui.
La fin de la phrase dit tout autre chose : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j'ai mis tout mon amour. » Cette expression est la reprise d'une prophétie d'Isaïe qui disait de la part de Dieu : « Voici mon serviteur Jacob que je soutiens, mon élu Israël en qui j'ai mis toute ma joie. J'ai fait reposer sur lui mon esprit ». Et la suite du texte énonçait la mission de ce serviteur, c'était exactement celle du Messie. (Nous avons entendu cela dans la première lecture de ce dimanche).
A la figure de Messie-roi, s'ajoute donc celle de Messie-serviteur : une fois de plus, on est frappés de l'insistance du Nouveau Testament sur ce thème. Il faut dire que Jésus a dérouté nombre de ses contemporains : il ressemblait si peu à l'idée que l'on se faisait du Messie. La figure du Serviteur d'Isaïe a été pour eux un des grands textes qui ont nourri leur méditation ; on en trouve des traces et des allusions dans de nombreux textes du Nouveau Testament.

A la suite de cette annonce d'Isaïe, certains Juifs avaient compris que le Messie ne serait pas un individu isolé mais un peuple. Alors on comprend mieux pourquoi Jésus ne craint pas de prendre place dans la file de ses frères juifs qui s'approchent de Jean-Baptiste pour demander le Baptême. Serviteur annoncé par Isaïe, Jésus n'est pas un Messie solitaire : déjà là, dès le début de sa vie publique, il se veut solidaire. Par notre Baptême, à notre tour, nous sommes intégrés au Corps du Christ en train de se construire.

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Compléments
Matthieu nous offre ici une magnifique représentation de la Trinité : Jésus est déclaré « Fils », l'Esprit est reconnu sous la forme de la colombe, et le Père invisible mais présent se manifeste par sa Parole : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j'ai mis tout mon amour. » « Il vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu » avait prédit Jean-Baptiste : par notre Baptême, c'est dans le feu de l'amour trinitaire que tous, nous sommes réellement plongés.
La présence de l'Esprit sur les eaux du Baptême dit bien qu'il s'agit d'une nouvelle création ; et ces eaux ne sont pas n'importe lesquelles : dans le Jourdain, Jésus est le nouveau Josué qui mène son peuple vers la vraie Terre promise, celle qu'habite l'Esprit.
 

L'intelligence des écritures, de Marie-Noëlle Thabut

 

 

 

Une présentation simple et claire de tous les textes du lectionnaire des dimanches et fêtes des trois années. Un ouvrage pédagogique qui met la bible à la portée de tous.

La collection complète existe en 6 volumes séparés ou en coffret, aux éditions Soceval.

ouvrage de Marie Noelle Thabut

 

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29 décembre 2010 3 29 /12 /décembre /2010 08:45

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 60, 1 - 6

1 Debout, Jérusalem !
Resplendis :
elle est venue ta lumière,
et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi.
2 Regarde : l'obscurité recouvre la terre,
les ténèbres couvrent les peuples ;
mais sur toi se lève le Seigneur,
et sa gloire brille sur toi.
3 Les nations marcheront vers ta lumière,
et les rois, vers la clarté de ton aurore.
4 Lève les yeux, regarde autour de toi :
tous, ils se rassemblent, ils arrivent ;
tes fils reviennent de loin,
et tes filles sont portées sur les bras.
5 Alors tu verras, tu seras radieuse,
ton coeur frémira et se dilatera.
Les trésors d'au-delà des mers afflueront vers toi
avec les richesses des nations.
6 Des foules de chameaux t'envahiront,
des dromadaires de Madiane et d'Epha.
Tous les gens de Saba viendront,
apportant l'or et l'encens
et proclamant les louanges du Seigneur.

Vous avez remarqué toutes les expressions de lumière, tout au long de ce passage : « Resplendis, elle est venue ta lumière... la gloire (le rayonnement) du Seigneur s'est levée sur toi (comme le soleil se lève)... sur toi se lève le Seigneur, sa gloire brille sur toi...ta lumière, la clarté de ton aurore...tu seras radieuse ».

On peut en déduire tout de suite que l'humeur générale était plutôt sombre ! Je ne dis pas que les prophètes cultivent le paradoxe ! Non ! Ils cultivent l'espérance.
Alors, pourquoi l'humeur générale était-elle sombre, pour commencer. Ensuite, quel argument le prophète avance-t-il pour inviter son peuple à l'espérance ?
Pour ce qui est de l'humeur, je vous rappelle le contexte : ce texte fait partie des derniers chapitres du livre d'Isaïe ; nous sommes dans les années 525-520 av.J.C., c'est-à-dire une quinzaine ou une vingtaine d'années après le retour de l'exil à Babylone. Les déportés sont rentrés au pays, et on a cru que le bonheur allait s'installer. En réalité, ce fameux retour tant espéré n'a pas répondu à toutes les attentes.

D'abord, il y avait ceux qui étaient restés au pays et qui avaient vécu la période de guerre et d'occupation. Ensuite, il y avait ceux qui revenaient d'Exil et qui comptaient retrouver leur place et leurs biens. Or si l'Exil a duré 50 ans, cela veut dire que ceux qui sont partis sont morts là-bas... et ceux qui revenaient étaient leurs enfants ou leurs petits-enfants ... Cela ne devait pas simplifier les retrouvailles. D'autant plus que ceux qui rentraient ne pouvaient certainement pas prétendre récupérer l'héritage de leurs parents : les biens des absents, des exilés ont été occupés, c'est inévitable, puisque, encore une fois, l'Exil a duré 50 ans !

Enfin, il y avait tous les étrangers qui s'étaient installés dans la ville de Jérusalem et dans tout le pays à la faveur de ce bouleversement et qui y avaient introduit d'autres coutumes, d'autres religions...

Tout ce monde n'était pas fait pour vivre ensemble...

La pomme de discorde, ce fut la reconstruction du Temple : car, dès le retour de l'exil, autorisé en 538 par le roi Cyrus, les premiers rentrés au pays (nous les appellerons la communauté du retour) avaient rétabli l'ancien autel du Temple de Jérusalem, et avaient recommencé à célébrer le culte comme par le passé ; et en même temps, ils entreprirent la reconstruction du Temple lui-même.

Mais voilà que des gens qu'ils considéraient comme hérétiques ont voulu s'en mêler ; c'étaient ceux qui avaient habité Jérusalem pendant l'Exil : mélange de juifs restés au pays et de populations étrangères, donc païennes, installées là par l'occupant ; il y avait eu inévitablement des mélanges entre ces deux types de population, et même des mariages, et tout ce monde avait pris des habitudes jugées hérétiques par les Juifs qui rentraient de l'Exil ; alors la communauté du retour s'est resserrée et a refusé cette aide dangereuse pour la foi : le Temple du Dieu unique ne peut pas être construit par des gens qui, ensuite, voudront y célébrer d'autres cultes ! Comme on peut s'en douter, ce refus a été très mal pris et désormais ceux qui avaient été éconduits firent obstruction par tous les moyens. Finis les travaux, finis aussi les rêves de rebâtir le Temple !

Les années ont passé et on s'est installés dans le découragement. Mais la morosité, l'abattement ne sont pas dignes du peuple porteur des promesses de Dieu. Alors, Isaïe et un autre prophète, Aggée, décident de réveiller leurs compatriotes : sur le thème : fini de se lamenter, mettons-nous au travail pour reconstruire le Temple de Jérusalem. Et cela nous vaut le texte d'aujourd'hui :
Connaissant le contexte difficile, ce langage presque triomphant nous surprend peut-être ; mais c'est un langage assez habituel chez les prophètes ; et nous savons bien que s'ils promettent tant la lumière, c'est parce qu'elle est encore loin d'être aveuglante... et que, moralement, on est dans la nuit. C'est pendant la nuit qu'on guette les signes du lever du jour ; et justement le rôle du prophète est de redonner courage, de rappeler la venue du jour. Un tel langage ne traduit donc pas l'euphorie du peuple, mais au contraire une grande morosité : c'est pour cela qu'il parle tant de lumière !

Pour relever le moral des troupes, nos deux prophètes n'ont qu'un argument, mais il est de taille : Jérusalem est la Ville Sainte, la ville choisie par Dieu, pour y faire demeurer le signe de sa Présence ; c'est parce que Dieu lui-même s'est engagé envers le roi Salomon en décidant « Ici sera Mon Nom », que le prophète Isaïe, des siècles plus tard, peut oser dire à ses compatriotes « Debout, Jérusalem ! Resplendis... »

Le message d'Isaïe aujourd'hui, c'est donc : « vous avez l'impression d'être dans le tunnel, mais au bout, il y a la lumière. Rappelez-vous la Promesse : le JOUR vient où tout le monde reconnaîtra en Jérusalem la Ville Sainte. » Conclusion : ne vous laissez pas abattre, mettez-vous au travail, consacrez toutes vos forces à reconstruire le Temple comme vous l'avez promis.

J'ajouterai trois remarques pour terminer : premièrement, une fois de plus, le prophète nous donne l'exemple : quand on est croyants, la lucidité ne parvient jamais à étouffer l'espérance.
Deuxièmement, la promesse ne vise pas un triomphe politique... Le triomphe qui est entrevu ici est celui de Dieu et de l'humanité qui sera un jour enfin réunie dans une harmonie parfaite dans la Cité Sainte ; reprenons les premiers versets, si Jérusalem resplendit, c'est de la lumière et de la gloire du Seigneur : « Debout, Jérusalem ! Resplendis : elle est venue ta lumière, et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi... sur toi se lève le Seigneur, et sa gloire brille sur toi... »
Troisièmement, quand Isaïe parlait de Jérusalem, déjà à son époque, ce nom désignait plus le peuple que la ville elle-même ; et l'on savait déjà que le projet de Dieu déborde toute ville, si grande ou belle soit-elle, et tout peuple, il concerne toute l'humanité.
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Certains d'entre nous reconnaissent au passage un chant que les assemblées chrétiennes aiment bien chanter : « Jérusalem, Jérusalem, quitte ta robe de tristesse... Debout, resplendis car voici ta lumière... »

PSAUME 71 (72)

1 Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
2 Qu'il gouverne ton peuple avec justice,
qu'il fasse droit aux malheureux !

7 En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu'à la fin des lunes !
8 Qu'il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu'au bout de la terre !

10 Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
11 Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

12 Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
13 Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

Imaginons que nous sommes en train d'assister au sacre d'un nouveau roi. Les prêtres expriment à son sujet des prières qui sont tous les souhaits, j'aurais envie de dire tous les rêves que le peuple formule au début de chaque nouveau règne : voeux de grandeur politique pour le roi, mais surtout voeux de paix, de justice pour tous. Les « lendemains qui chantent », en quelque sorte ! C'est un thème qui n'est pas d'aujourd'hui... On en rêve depuis toujours ! Richesse et prospérité pour tous... Justice et Paix... Et cela pour tous... d'un bout de la terre à l'autre...

La dernière strophe de ce psaume, elle, change de ton (malheureusement, elle ne fait pas partie de la liturgie de cette fête) : il n'est plus question du roi terrestre, il n'est question que de Dieu : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, lui seul fait des merveilles ! Béni soit à jamais son nom glorieux, toute la terre soit remplie de sa gloire ! Amen ! Amen ! » C'est cette dernière strophe qui nous donne la clé de ce psaume : en fait, il a été composé et chanté après l' Exil à Babylone, (donc entre 500 et 100 av.J.C.) c'est-à-dire à une époque où il n'y avait déjà plus de roi en Israël ; ce qui veut dire que ces voeux, ces prières ne concernent pas un roi en chair et en os... ils concernent le roi qu'on attend, que Dieu a promis, le roi-messie. Et puisqu'il s'agit d'une promesse de Dieu, on est certains qu'elle se réalisera.

La Bible tout entière est traversée par cette espérance indestructible : l'histoire humaine a un but, un sens ; et le mot « sens » veut dire deux choses : à la fois « signification » et « direction ». Dieu a un projet. Ce projet inspire toutes les lignes de la Bible, Ancien Testament et Nouveau Testament : il porte des noms différents selon les auteurs. Par exemple, c'est le JOUR de Dieu pour les prophètes, le Royaume des cieux pour Saint Matthieu, le dessein bienveillant pour Saint Paul, mais c'est toujours du même projet qu'il s'agit. Comme un amoureux répète inlassablement des mots d'amour, Dieu propose inlassablement son projet de bonheur à l'humanité. Ce projet sera réalisé par le messie et c'est ce messie que les croyants appellent de tous leurs voeux lorsqu'ils chantent les psaumes au Temple de Jérusalem .

Ce psaume 71, particulièrement, est vraiment la description du roi idéal, celui qu'Israël attend depuis des siècles : quand Jésus naît, il y a 1000 ans à peu près que le prophète Natan est allé trouver le roi David de la part de Dieu et lui a fait cette promesse dont parle notre psaume. Je vous redis les paroles du prophète Natan à David : « Quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, je maintiendrai après toi le lignage issu de tes entrailles et j'affermirai sa royauté... Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils... Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi, ton trône sera affermi à jamais » (2 S 7 , 12 - 16)*.

De siècle en siècle, cette promesse a été répétée, répercutée, précisée. La certitude de la fidélité de Dieu à ses promesses en a fait découvrir peu à peu toute la richesse et les conséquences ; si ce roi méritait vraiment le titre de fils de Dieu, alors il serait à l'image de Dieu, un roi de justice et de paix.

A chaque sacre d'un nouveau roi, la promesse était redite sur lui et on se reprenait à rêver... Depuis David, on attendait, et le peuple juif attend toujours... et il faut bien reconnaître que le règne idéal n'a encore pas vu le jour sur notre terre. On finirait presque par croire que ce n'est qu'une utopie...

Mais les croyants savent qu'il ne s'agit pas d'une utopie : il s'agit d'une promesse de Dieu, donc d'une certitude. Et la Bible tout entière est traversée par cette certitude, cette espérance invincible : le projet de Dieu se réalisera, nous avançons lentement mais sûrement vers lui. C'est le miracle de la foi : devant cette promesse à chaque fois déçue, il y a deux attitudes possibles : le non-croyant dit « je vous l'avais bien dit, cela n'arrivera jamais » ; mais le croyant affirme tranquillement « patience, puisque Dieu l'a promis, il ne saurait se renier lui-même », comme dit Saint Paul.

Ce psaume dit bien quelques aspects de cette attente du roi idéal : par exemple « pouvoir » et « justice » seront enfin synonymes ; c'est déjà tout un programme : de nombreux pouvoirs humains tentent loyalement d'instaurer la justice et d'enrayer la misère mais n'y parviennent pas ; ailleurs, malheureusement, « pouvoir » rime parfois avec avantages de toute sorte et autres passe-droits ; parce que nous ne sommes que des hommes.

En Dieu seul le pouvoir n'est qu'amour : notre psaume le sait bien puisqu'il précise « Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice ».

Et alors puisque notre roi disposera de la puissance même de Dieu, une puissance qui n'est qu'amour et justice, il n'y aura plus de malheureux dans son royaume. « En ces jours-là fleurira la justice, grande paix jusqu'à la fin des lunes !... Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. »

Ce roi-là, on voudrait bien qu'il règne sur toute la planète ! C'est de bon coeur qu'on lui souhaite un royaume sans limite de temps ou d'espace ! « Qu'il règne jusqu'à la fin des lunes... » et « Qu'il domine de la mer à la mer et du Fleuve jusqu'aux extrémités de la terre ». Pour l'instant, quand on chante ce psaume, les extrémités du monde connu, ce sont l'Arabie et l'Egypte et c'est pourquoi on cite les rois de Saba et de Seba : Saba, c'est au Sud de l'Arabie, Seba, c'est au Sud de l'Egypte... Quant à Tarsis, c'est un pays mythique, qui veut dire « le bout du monde ».

Aujourd'hui, le peuple juif chante ce psaume dans l'attente du roi-Messie** ; nous, chrétiens, l'appliquons à Jésus-Christ et il nous semble que les mages venus d'Orient ont commencé à réaliser la promesse « Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents, les rois de Saba et de Seba feront leur offrande... Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront ».

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*Quand le chant « Il est né le divin enfant » nous fait dire « Depuis plus de 4000 ans nous le promettaient les prophètes », le compte n'est pas tout à fait exact, peut-être le nombre 4000 n'a-t-il été retenu que pour les nécessités de la mélodie.

**De nos jours, encore, dans certaines synagogues, nos frères juifs disent leur impatience de voir arriver le Messie en récitant la profession de foi de Maïmonide, médecin et rabbin à Tolède en Espagne, au 12ème siècle : « Je crois d'une foi parfaite en la venue du Messie, et même s'il tarde à venir, en dépit de tout cela, je l'attendrai jusqu'au jour où il viendra. »

 

DEUXIEME LECTURE - Ephésiens 3 , 2...6

Frères,
2 vous avez appris en quoi consiste
la grâce que Dieu pour réaliser son plan,
m'a donnée pour vous :
3 par révélation, il m'a fait connaître le mystère du Christ.
5 Ce mystère,
il ne l'avait pas fait connaître
aux hommes des générations passées,
comme il l'a révélé maintenant par l'Esprit
à ses saints Apôtres et à ses prophètes.
6 Ce mystère,
c'est que les païens sont associés au même héritage,
au même corps,
au partage de la même promesse,
dans le Christ Jésus,
par l'annonce de l'Évangile.

Ce passage est extrait de la lettre aux Ephésiens au chapitre 3 ; or c'est dans le premier chapitre de cette même lettre que Paul a employé sa fameuse expression « le dessein bienveillant de Dieu » ; ici, nous sommes tout à fait dans la même ligne ; je vous rappelle quelques mots du chapitre 1 : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l' univers entier sous un seul chef le Christ , ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ».

Dans le texte d'aujourd'hui, nous retrouvons ce mot de « mystère ». Le « mystère », chez Saint Paul, ce n'est pas un secret que Dieu garderait jalousement pour lui ; au contraire, c'est son intimité dans laquelle il nous fait pénétrer. Paul nous dit ici : « Par révélation, Dieu m'a fait connaître le mystère du Christ » : ce mystère, c'est-à-dire son dessein bienveillant, Dieu le révèle progressivement ; tout au long de l'histoire biblique, on découvre toute la longue, lente, patiente pédagogie que Dieu a déployée pour faire entrer son peuple élu dans son mystère ; nous avons cette expérience qu'on ne peut pas, d'un coup, tout apprendre à un enfant : on l'enseigne patiemment au jour le jour et selon les circonstances ; on ne fait pas d'avance à un enfant des leçons théoriques sur la vie, la mort, le mariage, la famille... pas plus que sur les saisons ou les fleurs... l'enfant découvre la famille en vivant les bons et les mauvais jours d'une famille bien réelle ; il découvre les fleurs une à une, il traverse avec nous les saisons... quand la famille célèbre un mariage ou une naissance, quand elle traverse un deuil, alors l'enfant vit avec nous ces événements et, peu à peu, nous l'accompagnons dans sa découverte de la vie.

Dieu a déployé la même pédagogie d'accompagnement avec son peuple et s'est révélé à lui progressivement ; pour Saint Paul, il est clair que cette révélation a franchi une étape décisive avec le Christ : l'histoire de l'humanité se divise nettement en deux périodes : avant le Christ et depuis le Christ. « Ce mystère, Dieu ne l'avait pas fait connaître aux hommes des générations passées, comme il l'a révélé maintenant par l'Esprit à ses saints apôtres et à ses prophètes ». A ce titre, on peut se réjouir que nos calendriers occidentaux décomptent les années en deux périodes, les années avant J.C. et les années après J.C.





Ce mystère, ici, Paul l'appelle simplement « le mystère du Christ », mais on sait ce qu'il entend par là : à savoir que le Christ est le centre du monde et de l'histoire, que l'univers entier sera un jour réuni en lui, comme les membres le sont à la tête ; d'ailleurs, dans la phrase « réunir l'univers entier sous un seul chef le Christ », le mot grec que nous traduisons « chef » veut dire tête.

Il s'agit bien de « l'univers entier » et ici Paul précise « dans le Christ Jésus, les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse » ; on pourrait dire encore autrement : l'Héritage, c'est Jésus-Christ... la Promesse, c'est Jésus-Christ... le Corps, c'est Jésus-Christ... Le dessein bienveillant de Dieu, c'est que Jésus-Christ soit le centre du monde, que l'univers entier soit réuni en lui. Dans le Notre Père, quand nous disons « Que ta volonté soit faite », c'est de ce projet de Dieu que nous parlons et, peu à peu, à force de répéter cette phrase, nous nous imprégnons du désir de ce Jour où enfin ce projet sera totalement réalisé.

Donc le projet de Dieu concerne l'humanité tout entière, et non pas seulement les juifs : c'est ce qu'on appelle l'universalisme du plan de Dieu. Cette dimension universelle du plan de Dieu fut l'objet d'une découverte progressive par les hommes de la Bible, mais à la fin de l'histoire biblique, c'était une conviction bien établie dans le peuple d'Israël, puisqu'on fait remonter à Abraham la promesse de la bénédiction de toute l'humanité « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12, 3). Et le passage d'Isaïe que nous lisons en première lecture de cette fête de l'Epiphanie est exactement dans cette ligne. Bien sûr, si un prophète comme Isaïe a cru bon d'y insister, c'est qu'on avait tendance à l'oublier.

De la même manière, au temps du Christ, si Paul précise « dans le Christ Jésus, les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse », c'est que celà n'allait pas de soi. Et là, nous avons un petit effort d'imagination à faire : nous ne sommes pas du tout dans la même situation que les contemporains de Paul ; pour nous, au vingt-et-unième siècle, c'est une évidence : beaucoup d'entre nous ne sont pas juifs d'origine et trouvent normal d'avoir part au salut apporté par le Messie ; pour un peu, même, après 2000 ans de Christianisme, nous aurions peut-être tendance à oublier qu'Israël reste le peuple élu parce que, comme dit ailleurs Saint Paul, « Dieu ne peut pas se renier lui-même ». Aujourd'hui, nous avons un peu tendance à croire que nous sommes les seuls témoins de Dieu dans le monde.

Mais au temps du Christ, c'était la situation inverse : c'est le peuple juif qui, le premier, a reçu la révélation du Messie : Jésus est né au sein du peuple juif ; c'était la logique du plan de Dieu et de l'élection d'Israël ; les juifs étaient le peuple élu, ils étaient choisis par Dieu pour être les apôtres, les témoins et l'instrument du salut de toute l'humanité ; et on sait que les juifs devenus chrétiens ont eu parfois du mal à tolérer l'admission d'anciens païens dans leurs communautés. Saint Paul vient leur dire « Attention... les païens, désormais, peuvent aussi être des apôtres et des témoins du salut »... Au fait, je remarque que Matthieu, dans l'évangile de la visite des mages, qui est lu également pour l'Epiphanie, nous dit exactement la même chose.

Les derniers mots de ce texte résonnent comme un appel : « Dans le Christ Jésus, les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, par l'annonce de l'évangile » : si je comprends bien, Dieu attend notre collaboration à son dessein bienveillant : les mages ont aperçu une étoile, pour laquelle ils se sont mis en route ; pour beaucoup de nos contemporains, il n'y aura pas d'étoile dans le ciel, mais il faudra des témoins de la Bonne Nouvelle.

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*NB Attention, au verset 5 du texte originel grec, le mot mystère lui-même n'est pas repris ; c'est affaire de traduction (dans le grec, il y a seulement reprise du pronom)

EVANGILE - Matthieu 2 , 1 - 12

1 Jésus était né à Bethléem en Judée,
au temps du roi Hérode le Grand.
Or, voici que des mages venus d'Orient
arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent :
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?
Nous avons vu se lever son étoile
et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
3 En apprenant cela, le roi Hérode fut pris d'inquiétude,
et tout Jérusalem avec lui.
4 Il réunit tous les chefs des prêtres et tous les scribes d'Israël,
pour leur demander en quel lieu devait naître le Messie.
Ils lui répondirent :
5 « A Bethléem en Judée,
car voici ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem en Judée, tu n'es certes pas le dernier
parmi les chefs-lieux de Judée ;
car de toi sortira un chef,
qui sera le berger d'Israël mon peuple. »
7 Alors Hérode convoqua les mages en secret
pour leur faire préciser à quelle date l'étoile était apparue ;
8 Puis il les envoya à Bethléem, en leur disant :
« Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant.
Et quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi
pour que j'aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
9 Sur ces paroles du roi, ils partirent.
Et voilà que l'étoile qu'ils avaient vue se lever
les précédait ;
elle vint s'arrêter au-dessus du lieu
où se trouvait l'enfant.
10 Quand ils virent l'étoile, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 En entrant dans la maison,
ils virent l'enfant avec Marie sa mère ;
et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui.
Ils ouvrirent leur coffrets,
et lui offrirent leurs présents :
de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12 Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode,
ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

On sait à quel point l'attente du Messie était vive au temps de Jésus. Tout le monde en parlait, tout le monde priait Dieu de hâter sa venue. La majorité des juifs pensait que ce serait un roi : ce serait un descendant de David, il régnerait sur le trône de Jérusalem, il chasserait les Romains, et il établirait définitivement la paix, la justice et la fraternité en Israël ; et les plus optimistes allaient même jusqu'à dire que tout ce bonheur s'installerait dans le monde entier.

Dans ce sens, on citait plusieurs prophéties convergentes de l'Ancien Testament : d'abord celle de Balaam dans le Livre des Nombres. Je vous la rappelle : au moment où les tribus d'Israël s'approchaient de la terre promise sous la conduite de Moïse, et traversaient les plaines de Moab (aujourd'hui en Jordanie), le roi de Moab, Balaq, avait convoqué Balaam pour qu'il maudisse ces importuns ; mais, au lieu de maudire, Balaam, inspiré par Dieu avait prononcé des prophéties de bonheur et de gloire pour Israël ; et, en particulier, il avait dit « je le vois, je l'observe, de Jacob monte une étoile, d'Israël jaillit un sceptre ... » (Nb 24, 17). Le roi de Moab avait été furieux, bien sûr, car, sur l'instant, il y avait entendu l'annonce de sa future défaite face à Israël ; mais en Israël, dans les siècles suivants, on se répétait soigneusement cette belle promesse ; et peu à peu on en était venu à penser que le règne du Messie serait signalé par l'apparition d'une étoile. C'est pour cela que le roi Hérode, consulté par les mages au sujet d'une étoile, prend l'affaire très au sérieux.

Autre prophétie concernant le Messie : celle de Michée : « Toi, Bethléem, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, c'est de toi que sortira le Messie » ; prophétie tout à fait dans la ligne de la promesse faite par Dieu à David : que sa dynastie ne s'éteindrait pas et qu'elle apporterait au pays le bonheur attendu.

Les mages n'en savent pas tant : ce sont des astrologues et ils ne partagent certainement pas la foi et l'espérance d'Israël. Ils se sont mis en marche tout simplement parce qu'une nouvelle étoile s'est levée ; et, spontanément, en arrivant à Jérusalem, ils vont se renseigner auprès des autorités. Et c'est là, peut-être, la première surprise de ce récit de Matthieu : il y a d'un côté, les mages qui n'ont pas d'idées préconçues ; il sont à la recherche du Messie et ils finiront par le trouver. De l'autre, il y a ceux qui savent, qui peuvent citer les Ecritures sans faute, mais qui ne bougeront pas le petit doigt ; ils ne feront même pas le déplacement de Jérusalem à Bethléem. Evidemment, ils ne rencontreront pas l'enfant de la crèche.

Quant à Hérode, c'est une autre histoire. Mettons-nous à sa place : il est le roi des Juifs, reconnu comme roi par le pouvoir romain, et lui seul... Il est assez fier de son titre et férocement jaloux de tout ce qui peut lui faire de l'ombre ... Il a fait assassiner plusieurs membres de sa famille, y compris ses propres fils, il ne faut pas l'oublier. Car dès que quelqu'un devient un petit peu populaire... Hérode le fait tuer par jalousie. Et voilà qu'on lui rapporte une rumeur qui court dans la ville : des astrologues étrangers ont fait un long voyage jusqu'ici et il paraît qu'ils disent : « Nous avons vu se lever une étoile tout à fait exceptionnelle, nous savons qu'elle annonce la naissance d'un enfant-roi... tout aussi exceptionnel... Le vrai roi des juifs vient sûrement de naître » ! ... On imagine un peu la fureur, l'extrême angoisse d'Hérode !

Donc, quand Saint Matthieu nous dit : « Hérode fut pris d'inquiétude et tout Jérusalem avec lui », c'est certainement une manière bien douce de dire les choses ! Evidemment, Hérode ne va pas montrer sa rage, il faut savoir manoeuvrer : il a tout avantage à extorquer quelques renseignements sur cet enfant, ce rival potentiel... Alors il se renseigne :

D'abord sur le lieu : Matthieu nous dit qu'il a convoqué les chefs des prêtres et les scribes et qu'il leur a demandé où devait naître le Messie ; et c'est là qu'intervient la prophétie de Michée : le Messie naîtra à Bethléem. Voilà pour le lieu.

Ensuite, Hérode se renseigne sur l'âge de l'enfant car il a déjà son idée derrière la tête pour s'en débarrasser ; il convoque les mages pour leur demander à quelle date au juste l'étoile est apparue. On ne connaît pas la réponse mais la suite nous la fait deviner : puisque, en prenant une grande marge, Hérode fera supprimer tous les enfants de moins de deux ans.

Très probablement, dans le récit de la venue des mages, Matthieu nous donne déjà un résumé de toute la vie de Jésus : dès le début, à Bethléem, il a rencontré l'hostilité et la colère des autorités politiques et religieuses. Jamais, ils ne l'ont reconnu comme le Messie, ils l'ont traité d'imposteur... Ils l'ont même supprimé, éliminé. Et pourtant, il était bien le Messie : tous ceux qui le cherchent peuvent, comme les mages, entrer dans le salut de Dieu.

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23 décembre 2010 4 23 /12 /décembre /2010 07:21

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - Ben Sirac le Sage 3, 2-6. 12-14

3, 2 Le Seigneur glorifie le père dans ses enfants,
il renforce l'autorité de la mère sur ses fils.
3 Celui qui honore son père obtient le pardon de ses fautes,
4 celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor.
5 Celui qui honore son père aura de la joie dans ses enfants,
au jour de sa prière il sera exaucé.
6 Celui qui glorifie son père verra de longs jours,
celui qui obéit au Seigneur donne du réconfort à sa mère...
12 Mon fils, soutiens ton père dans sa vieillesse,
ne le chagrine pas pendant sa vie.
13 Même si son esprit l'abandonne, sois indulgent,
ne le méprise pas, toi qui es en pleine force.
14 Car ta miséricorde envers ton père ne sera pas oubliée
et elle relèvera ta maison
si elle est ruinée par le péché.

Ben Sirac dit encore bien d'autres choses sur le respect dû aux parents ; et s'il éprouve le besoin d'y insister, c'est parce qu'à son époque, l'autorité des parents n'était plus ce qu'elle avait été : les moeurs étaient en train de changer et Ben Sirac ressentait le besoin de redresser la barre. Nous sommes au deuxième siècle av.J.C., vers 180. Ben Sirac tient une école de Sagesse (on dirait « Philosophie » aujourd'hui) à Jérusalem ; on est sous la domination grecque : les souverains sont libéraux et les Juifs peuvent continuer à pratiquer intégralement leur Loi ; (la situation changera un peu plus tard avec Antiochus Epiphane) ; mais c'est cette tranquillité, justement, qui inquiète Ben Sirac, car, insidieusement, de nouvelles habitudes de penser se répandent : à côtoyer de trop près des païens, on risque de penser et de vivre bientôt comme eux. Et c'est bien ce qui pousse Ben Sirac à défendre les fondements de la religion juive, à commencer par la famille. Car si la structure familiale s'affaiblit, qui transmettra aux enfants la foi, les valeurs, et les pratiques du Judaïsme ?

Notre texte d'aujourd'hui est donc avant tout un plaidoyer pour la famille parce qu'elle est le premier sinon le seul lieu de transmission des valeurs.

C'est aussi un commentaire magnifique, une variation sur le quatrième commandement. Les plus âgés d'entre nous le connaissent sous la forme du catéchisme de leur enfance : « Tes père et mère honoreras afin de vivre longuement ». Et le voici dans sa forme primitive au livre de l'Exode : « Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu » (Ex 20, 12) ; et le livre du Deutéronome ajoutait « et afin que tu sois heureux » (Dt 5, 16).

Le texte que nous lisons aujourd'hui a donc été écrit vers 180 av.J.C. ; et puis, cinquante ans plus tard, le petit-fils de Ben Sirac a traduit l'oeuvre de son grand-père et il a voulu préciser les choses : il a donc ajouté deux versets pour justifier ce respect dû aux parents : son argument est le suivant : nos parents nous ont donné la vie, ils sont donc les instruments de Dieu qui donne la vie : « De tout ton coeur glorifie ton père, et n'oublie pas les souffrances de ta mère. Souviens-toi que tu leur dois la naissance, comment leur rendras-tu ce qu'ils ont fait pour toi ? » (Si 7, 27 - 28).

Bien sûr, ce commandement rejoint le simple bon sens : on sait bien que la cellule familiale est la condition primordiale d'une société équilibrée. Actuellement, nous ne faisons que trop l'expérience des désastres psychologiques et sociaux entraînés par la brisure des familles. Mais, plus profondément, j'entends aussi là que notre rêve d'harmonie familiale fait partie du plan de Dieu.

Cette défense des valeurs familiales ne nous étonne donc pas : mais dans le texte de Ben Sirac on a un peu l'impression d'un calcul : « Celui qui honore son père obtient le pardon de ses fautes, celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor. Celui qui honore son père aura de la joie dans ses enfants, au jour de sa prière il sera exaucé. Celui qui glorifie son père verra de longs jours... » Même chose pour le commandement : « Tes père et mère honoreras afin de vivre longuement » ; comme si on nous disait « si tu te conduis bien, Dieu te le revaudra ».

Or, il n'est jamais question de calcul avec Dieu, puisqu'avec lui tout est grâce, c'est-à-dire gratuit ! Ce qu'on veut nous dire, c'est que chaque fois que Dieu nous donne un commandement, c'est pour notre bonheur.
Si vous en avez le courage, reportez-vous au livre du Deutéronome, en particulier au chapitre 6, celui dont est extraite la plus célèbre prière d'Israël, le « Shema Israël » (Ecoute Israël) ; vous serez étonnés de l'insistance de ce texte pour nous dire que la loi est chemin de bonheur et de liberté. Voici quelques versets du Deutéronome : « Tu feras ce qui est droit et bien aux yeux du Seigneur, pour être heureux et entrer prendre possession du bon pays que le Seigneur a promis par serment à tes pères... » (Dt 6 , 18).

Je reviens à Ben Sirac : encore une phrase un peu étonnante : « Celui qui honore son père obtient le pardon de ses fautes » : d'abord, je dirais qu'une telle phrase prouve que ce texte est récent ; on sait bien qu'il a fallu des siècles de pédagogie de Dieu, par la bouche de ses prophètes, pour que l'on découvre que le seul chemin de réconciliation avec Dieu n'est pas le sacrifice sanglant comme on le croyait primitivement ; le seul chemin de réconciliation avec Dieu, c'est la réconciliation avec le prochain. J'entends là comme un écho de la célèbre phrase du prophète Osée « C'est la miséricorde que je veux et non le sacrifice » (Os 6, 6).

En quelque sorte, Ben Sirac nous dit : « Vous voulez être sûrs d'honorer Dieu ? C'est bien simple, honorez vos parents : être filial à leur égard, c'est être filial aussi à l'égard de Dieu. Vous savez que sur les dix commandements, deux seulement sont des ordres positifs : le commandement sur le sabbat et celui-ci sur le respect des parents. « Du jour du sabbat, tu feras un mémorial... », « Honore ton père et ta mère » ; tous les autres commandements sont négatifs, ils indiquent seulement des limites à ne pas dépasser : « Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne commettras pas d'adultère »...

- Mais c'est bien un ordre positif qui résume tous les commandements : vous le trouvez dans l'Ancien Testament au Livre du Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ; or, notre premier prochain, au vrai sens du terme, ce sont nos parents. En cette période de fêtes où des liens familiaux se resserrent ou se redécouvrent, ce texte de Ben Sirac est donc bien trouvé.

****
Complément

La lecture liturgique ne nous propose que les versets 2 à 6 et 12 à 14 du chapitre 3 du livre de Ben Sirac ; on peut se demander pourquoi elle supprime plusieurs versets au beau milieu du texte ? Les voici, ils ne font que donner plus de vigueur à l'ensemble : « (Celui qui obéit au Seigneur) sert ses parents comme des maîtres. En actes et en paroles, honore ton père, afin que sa bénédiction vienne sur toi ; car la bénédiction d'un père affermit la maison de ses enfants, mais la malédiction d'une mère en arrache les fondations*. Ne te glorifie pas du déshonneur de ton père ; ce n'est pas une gloire pour toi que le déshonneur de ton père ; car la gloire d'un homme vient de l'honneur de son père et c'est un opprobre pour ses enfants qu'une mère dans le déshonneur. »

N.B.* Je cite ici le verset 9 « la bénédiction d'un père affermit la maison de ses enfants, mais la malédiction d'une mère en arrache les fondations » d'après la version grecque en usage dans notre tradition chrétienne ; mais le texte primitif hébreu (de Ben Sirac lui-même) disait : la bénédiction d'un père enracine, mais la malédiction d'une mère arrache la plantation. » Voici la note de la TOB : « Le grec a transposé la métaphore agraire de l'hébreu, en une comparaison citadine, plus intelligible pour des lecteurs grecs. » Bel exemple d'adaptation à un auditoire

Psaume 127 (128)

1 Heureux qui craint le Seigneur
et marche selon ses voies !
2 Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !

3 Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plants d'olivier.

4 Voilà comment sera béni
l'homme qui craint le Seigneur.
5 Tu verras le bonheur de Jérusalem
6 tous les jours de ta vie.
- Si vous avez la curiosité d'aller lire ce psaume dans votre Bible, vous verrez qu'on l'appelle « Cantique des montées » : ce qui veut dire qu'il a été composé pour être chanté pendant le pèlerinage, dans la montée vers Jérusalem. Vu son contenu, on peut penser qu'il était chanté à la fin du pèlerinage, sur les dernières marches du Temple. Dans la première partie, les prêtres, à l'entrée du Temple, accueillent les pèlerins et leur font une dernière catéchèse : « Heureux l'homme qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! A toi le bonheur ! Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils autour de la table comme des plants d'olivier ». Une chorale ou bien l'ensemble des pélerins répond : « Oui, voilà comment sera béni l'homme qui craint le Seigneur ».

- Alors les prêtres prononcent la formule liturgique de bénédiction : « De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie, et tu verras les fils de tes fils ».

- Au passage, je remarque une formule qui pourrait en révolter plus d'un : « Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! A toi le bonheur ! » Il faut croire que les problèmes de chômage n'existaient pas !

- L'objet de la bénédiction peut nous sembler bien terre à terre ; mais pourtant l'insistance de toute la Bible sur le bonheur et la réussite devraient nous rassurer. Notre soif de bonheur bien humain, notre souhait de réussite familiale rejoignent le projet de Dieu sur nous... sinon, l'Eglise n'aurait pas fait du mariage un sacrement !!! Dieu nous a créés pour le bonheur et pour rien d'autre. REJOUISSONS-NOUS !

- Et le mot « HEUREUX » revient très souvent dans la Bible ; il revient si souvent, même, qu'on pourrait lui reprocher d'être bien loin de nos réalités concrètes ; ne risque-t-il pas de paraître ironique face à tant d'échecs humains et de malheurs dont nous voyons le spectacle tous les jours ? Vous avez remarqué sûrement combien ce psaume, lui aussi, multiplie les mots « heureux », « bonheur », bénédiction » : « Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies !... Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !... Voilà comment sera béni l'homme qui craint le Seigneur. Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie. »

- En réalité, le mot « heureux » ne prétend pas être un constat un peu facile, comme si, automatiquement, les hommes droits et justes étaient assurés d'être heureux... Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir des hommes faire du bien et ne récolter que du malheur. Il s'agit en réalité du seul bonheur qui compte, c'est-à-dire la proximité de Dieu.

- En fait, le mot « Heureux » a deux facettes ; il est à la fois un compliment et un encouragement ; André CHOURAQUI, dont la traduction était toujours très proche du texte hébreu, traduisait le mot « Heureux » par « En marche »... Sous-entendu « vous êtes sur la bonne voie, bravo, et courage, continuez ! » La particularité du peuple d'Israël est d'avoir su très tôt que son Dieu l'accompagne dans son désir de bonheur et lui ouvre le chemin. Ecoutez le prophète Jérémie : « Moi, je sais les projets que j'ai formés à votre sujet, dit le Seigneur, projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29, 11).

- Et toute la Bible en est tellement convaincue qu'elle affirme qu'il faut avoir une langue de vipère pour mettre en doute les intentions de Dieu envers l'homme et la femme qu'il a créés pour leur bonheur. (C'est le sens du récit du Paradis terrestre). Saint Paul, qui était un expert de l'Ancien Testament, a résumé en quelques mots les intentions de Dieu : il les appelle « le dessein bienveillant de Dieu ».

- Il y a toujours donc deux aspects dans le mot biblique « Heureux » : c'est d'abord le projet, le dessein de Dieu, qui est le bonheur de l'homme, mais c'est aussi le choix de l'homme, en ce sens que le bonheur (le vrai bonheur qui est la proximité avec Dieu) est à construire : le chemin est tracé, il est tout droit : il suffit d'être fidèle à la loi qui se résume dans le commandement d'aimer Dieu et l'humanité ; Jésus a simplement suivi ce chemin-là. « Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'au bout » (Jn 13, 1). Et il invite ses disciples à le suivre, pour leur bonheur : « Heureux serez-vous si vous mettez mes paroles en pratique ».

- Mais là où notre texte se complique un peu, c'est avec la formule « Heureux l'homme qui craint le Seigneur » ; elle peut même sembler paradoxale : peut-on en même temps craindre et être heureux ? André CHOURAQUI, encore, traduisait ce verset de la manière suivante : « En marche, toi qui es tout frémissant de Dieu ». C'est le frémissement de l'émotion et non pas de la peur. Nous connaissons cela déjà, parfois, lorsque devant un grand bonheur, nous nous sentons tout petits.

- L'homme biblique a mis longtemps à découvrir que Dieu est amour ; mais dès lors qu'il a découvert un Dieu d'amour, il n'a plus peur. Le peuple d'Israël a eu ce privilège de découvrir à la fois la grandeur du Dieu qui nous dépasse infiniment ET la proximité, la tendresse de ce même Dieu. Du coup, la « crainte de Dieu », au sens biblique, n'est plus la peur de l'homme primitif (parce qu'on ne peut pas avoir peur de Celui qui est la Bonté en personne, si j'ose dire) ; la « crainte de Dieu » est alors l'attitude du petit enfant qui voit en son père à la fois la force et la tendresse. Le livre du Lévitique utilise d'ailleurs exactement le même mot hébreu pour dire « Chacun de vous doit craindre sa mère et son père » (Lv 19, 3), ce qui veut bien dire qu'à la fin de l'histoire biblique la « crainte » de Dieu est synonyme d'attitude filiale. Le petit enfant de Bethléem est venu nous en donner l'exemple.

- La foi, c'est d'abord la certitude fondamentale que Dieu veut le bonheur de l'homme et qu'il nous suffit donc de l'écouter, de le suivre avec confiance et simplicité. Le suivre signifiant être fidèle à la loi, tout simplement. La phrase « Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! » est en fait une répétition : pour l'homme biblique « craindre le Seigneur » et « marcher selon ses voies » sont synonymes.

- Quand tous les habitants de Jérusalem seront fidèles à ce programme, alors elle accomplira sa vocation d'être, comme son nom l'indique, la « ville de la paix ». C'est pourquoi notre psaume anticipe un peu et affirme : « Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie.

DEUXIEME LECTURE - lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens 3, 12-21

Frères, puisque vous avez été choisis par Dieu,
que vous êtes ses fidèles et ses bien-aimés,
revêtez votre coeur de tendresse et de bonté,
d'humilité, de douceur, de patience.
13 Supportez-vous mutuellement, et pardonnez
si vous avez des reproches à vous faire.
Agissez comme le Seigneur :
il vous a pardonné, faites de même.
14 Par-dessus tout cela, qu'il y ait l'amour :
c'est lui qui fait l'unité dans la perfection.
15 Et que, dans vos coeurs, règne la paix du Christ
à laquelle vous avez été appelés
pour former en lui un seul corps.
Vivez dans l'action de grâce.
16 Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ;
instruisez-vous et reprenez-vous les uns les autres
avec une vraie sagesse ;
par des psaumes, des hymnes et de libres louanges,
chantez à Dieu, dans vos coeurs, votre reconnaissance.
17 Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites,
que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus Christ,
en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père.
18 Vous les femmes, soyez soumises à votre mari ;
dans le Seigneur, c'est ce qui convient.
19 Et vous les hommes, aimez votre femme,
ne soyez pas désagréables avec elle.
20 Vous les enfants, en toutes choses écoutez vos parents ;
dans le Seigneur, c'est cela qui est beau.
21 Et vous les parents, n'exaspérez pas vos enfants ;
vous risqueriez de les décourager.
La liturgie d'aujourd'hui nous invite à contempler la Sainte Famille. Au coeur de la fête, une famille toute simple : Joseph, Marie et Jésus. C'est la famille terrestre de Dieu : c'est pour cela, d'ailleurs, qu'on l'appelle la « sainte » famille, car le mot « saint » désigne précisément Dieu et lui seul.

Ceci dit, ne nous y trompons pas, cette famille « sainte » n'a pas vécu dans les nuages : tout ce que les évangélistes nous disent de l'enfance de Jésus n'a rien d'un conte de fées ! Joseph perturbé devant la grossesse miraculeuse de Marie, les misérables conditions de la naissance de l'enfant, l'exil forcé en Egypte, et, quelques années plus tard, le fameux pèlerinage à Jérusalem où l'enfant est perdu et retrouvé... et l'évangile nous dit clairement que ses parents n'y comprenaient rien. Tout cela pour dire que cette « sainte famille » a été une vraie famille, avec des problèmes comme tout le monde en connaît.

Voilà qui nous rassure ! Et si, dans sa lettre aux Chrétiens de Colosses, Saint Paul fait des recommandations de patience et de pardon... c'est bien qu'il en faut! Nous en savons quelque chose...

La ville de Colosses est en Turquie, à 200 km à l'est d'Ephèse ; Paul n'y est jamais allé : c'est un de ses disciples, Epaphras, un Colossien, qui s'est lui-même, d'abord, converti au Christianisme, et qui, ensuite, a fondé une communauté chrétienne dans sa ville.

On ne sait pas très bien ce qui a décidé Paul à écrire à ces Chrétiens. D'après le contenu de la lettre, on sait seulement que Paul est en prison et qu'il a reçu des nouvelles un peu inquiétantes : la foi chrétienne est en danger. Le ton de sa lettre est mélangé : tantôt c'est l'éblouissement de Paul lui-même, devant le projet de Dieu : c'est le théologien émerveillé, le mystique, le converti du chemin de Damas qui parle ! Tantôt ce sont des mises en garde très fermes pour dire à ces Chrétiens : « N'écoutez pas n'importe qui, ne vous laissez pas détourner de la vraie foi »... et il n'y va pas de main morte ! Par exemple, il leur dit : « Veillez à ce que personne ne vous prenne au piège de la Philosophie, cette creuse duperie... »

Donc le ton de la lettre, le style est changeant. Mais, dans le fond, son message est toujours le même : pour lui, le centre du monde et de l'histoire, c'est Jésus-Christ ; et quand il parle aux Chrétiens de leur vie concrète, il les invite d'abord à contempler Jésus-Christ.

« Revêtez vos coeurs de tendresse et de bonté, agissez comme le Seigneur, que la paix soit dans vos coeurs, vivez dans l'action de grâce, faites tout au nom du Seigneur Jésus... » Voilà la clé du comportement nouveau des baptisés : tout faire au nom du Seigneur Jésus puisqu'ils sont le Corps du Christ.

Vous savez que, dans la lettre aux Corinthiens, Paul parlait déjà de la communauté chrétienne comme d'un corps composé de plusieurs membres. Dans cette lettre aux Colossiens (notre lecture d'aujourd'hui), il pousse plus loin la comparaison : le Christ est la tête et nous sommes son Corps qui se construit progressivement jusqu'à la fin des temps. C'est pour cela qu'il dit « Supportez-vous les uns les autres » dans le sens où les divers éléments d'une construction s'étaient mutuellement et soutiennent l'ensemble.

Dernière remarque : il arrive que certaines femmes en entendant ce texte réagissent à la phrase « Vous les femmes, soyez soumises à votre mari ; dans le Seigneur, c'est ce qui convient. » Mais je crois que nous aurions tort de nous en agacer : et ceci pour deux raisons.

Premièrement, c'était probablement une phrase habituelle à l'époque puisqu'on la trouve aussi dans la première lettre de saint Pierre (et lui, on ne l'a jamais accusé de misogynie !)
Deuxièmement, la soumission au sens biblique n'a rien à voir avec de l'esclavage ! Dans une société fondée sur la responsabilité du père de famille, ce qui était le cas au temps de Paul, c'est lui (le père de famille) qui, de droit et de fait a le dernier mot ; Paul commence donc par dire la phrase que tout le monde attend : « femmes soyez soumises à vos maris » mais il continue par une phrase extrêmement exigeante adressée aux hommes, et celle-là, on ne l'attendait pas ! « Et vous les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréables avec elle. »

Pour lui, il va de soi que l'époux chrétien est, dans toutes ses paroles, inspiré uniquement par l'amour et le souci des siens ; du coup la femme n'a aucune raison de se rebiffer devant des paroles qui ne sont que tendresse et respect ; on retrouve là le thème biblique habituel de l'obéissance : le croyant n'a aucun mal à mettre son oreille sous la parole de Dieu (c'est le sens du verbe « obéir-obaudire ») parce qu'il sait que Dieu est Amour.

EVANGILE - Matthieu 2, 13 - 15. 19 - 23

13 Après le départ des Mages,
l'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph
et lui dit :
« Lève-toi ; prends l'enfant et sa mère,
et fuis en Egypte :
Reste là-bas jusqu'à ce que je t'avertisse,
car Hérode va rechercher l'enfant,
pour le faire périr. »
14 Joseph se leva ;
dans la nuit, il prit l'enfant et sa mère,
et se retira en Egypte,
15 où il resta jusqu'à la mort d'Hérode.
Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète :
« D'Egypte, j'ai appelé mon fils »...
19 Après la mort d'Hérode,
l'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph en Egypte
20 et lui dit :
« Lève-toi ; prends l'enfant et sa mère,
et reviens au pays d'Israël,
car ils sont morts,
ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant. »
21 Joseph se leva,
prit l'enfant et sa mère,
et rentra au pays d'Israël.
22 Mais, apprenant qu'Arkélaüs régnait sur la Judée
à la place de son père Hérode,
il eut peur de s'y rendre.
Averti en songe,
il se retira dans la région de Galilée
23 et vint habiter dans une ville appelée Nazareth.
Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par les prophètes :
il sera appelé Nazaréen.

- L'aventure de la « Sainte Famille » en Egypte fait spontanément penser à une autre aventure d'une autre famille, douze siècles auparavant sur cette même terre d'Egypte. Le peuple d'Israël y était en esclavage. Le Pharaon avait ordonné de tuer tous les garçons à la naissance. Un seul avait échappé, celui que sa mère avait déposé sur le Nil dans une corbeille bien calfeutrée : Moïse. Cet enfant, sauvé de la cruauté du tyran allait devenir le libérateur de son peuple... Et voilà que l'histoire se renouvelle : Jésus a échappé au massacre... Il va devenir le sauveur de l'humanité. Matthieu nous invite certainement à faire le rapprochement : à nous de découvrir que Jésus est le nouveau Moïse ; ce qui veut dire que l'une des promesses de l'Ancien Testament est accomplie ; car Dieu avait dit à Moïse : « C'est un prophète comme toi que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. » (Dt 18, 18).

- Deuxième signe de l'accomplissement des Ecritures d'après Matthieu : la phrase « D'Egypte, j'ai appelé mon fils ». C'est une citation du prophète Osée ; elle signifiait la très grande tendresse de Dieu qui agissait envers Israël comme un père : voici la phrase d'Osée : « Quand Israël était jeune, je l'ai aimé, et d'Egypte j'ai appelé mon fils ». (Os 11, 1). Le prophète parlait bien du peuple d'Israël tout entier ; mais Saint Matthieu, lui, l'applique à Jésus seul... Comme si Jésus représentait en quelque sorte le peuple élu tout entier. C'est peut-être une manière de nous dire : « Jésus est le Nouvel Israël. C'est lui qui accomplit l'Alliance que Dieu avait proposée à son peuple ». Le titre de « fils de Dieu » était également appliqué à chaque roi le jour de son sacre et était devenu peu à peu un des titres du Messie ; en l'appliquant à Jésus, Matthieu nous signale certainement Jésus comme le Messie.
Enfin, les contemporains de Jésus ne pouvaient pas imaginer que le Dieu unique ait un fils, mais quand l'écrivain Matthieu rédige son évangile, longtemps après la Résurrection de Jésus et la venue de l'Esprit Saint sur les croyants, ceux-ci ont découvert que ce titre de Fils de Dieu appliqué à Jésus voulait dire encore beaucoup plus : il est vraiment Fils de Dieu, et Dieu lui-même, au sens de notre credo actuel : « il est Dieu, né de Dieu, engendré non pas créé, de même nature que le Père et par lui tout a été fait ».

- Troisième signe de l'accomplissement des Ecritures d'après Matthieu : « Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par les prophètes : il sera appelé Nazaréen. » Le petit problème pour nous c'est que jamais dans les Ecritures il n'est dit que le Messie sortira de Nazareth ! Et d'ailleurs le nom même de Nazareth n'est jamais cité dans l'Ancien Testament, ce qui veut dire tout simplement qu'il ne s'était jamais passé quoi que ce soit d'important dans ce village avant le temps de Jésus. Est-cela justement qui intéresse Matthieu ? Une fois de plus Dieu a surpris les hommes, il a choisi ce qui apparaissait insignifiant. D'autre part, il ne faut pas l'oublier, l'oreille juive de Matthieu est très sensible aux assonances : or le mot « Nazareth » est très proche du mot hébreu « Netser » qui signifie « rejeton » et qu'on appliquait au Messie, rejeton attendu sur la souche de David. C'est très proche aussi du mot « nazir », ces juifs très pieux qui se consacraient à Dieu et prononçaient des voeux. L'homme de Nazareth méritait bien au moins ce titre-là. Enfin, le mot Nazareth peut être rapproché d'un verbe (natsar) qui signifie « garder » : Jésus comme Marie méritent bien le nom de « gardiens » (de l'Alliance). Quand Matthieu écrit la dernière rédaction de son évangile, les Chrétiens sont traités du terme de Nazaréens qui n'a rien de flatteur dans la bouche de leurs adversaires (on en a la preuve dans le livre des Actes des Apôtres) ; l'évangéliste trouve certainement bon de leur rappeler que leur maître portait le même titre qu'eux et que ce titre méconnu était en réalité magnifique.

- C'est donc peut-être un message d'encouragement et de réconfort que Matthieu leur adresse, du genre : « Jésus, lui aussi, était traité avec mépris, comme vous, et c'était pourtant bien lui le Fils de Dieu ».

- Voici donc déjà dans notre texte d'aujourd'hui trois titres de Jésus : « Nazaréen », « nouvel Israël, « nouveau Moïse ». Maintenant, pour comprendre la portée du message de Matthieu, il faut regarder la composition de ce passage : vous l'avez remarqué, on pourrait dire qu'il y a deux actes dans ce récit. Premier acte : ce qu'on a appelé « la fuite en Egypte » ; deuxième acte : le retour d'Egypte. Et, curieusement, ces deux actes sont construits exactement de la même façon.

- L'auteur rappelle d'abord le contexte historique. Dans un cas, c'est « Après le départ des Mages », dans l'autre « Après la mort d'Hérode » ; puis, chaque fois, une apparition : l'ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph la nuit, et lui donne un ordre : la fuite, puis le retour. Joseph se lève et obéit. Et, dans les deux cas, l'auteur conclut : « Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète » (ou « par les prophètes »). Cette construction en parallèle montre bien qu'il faut aussi mettre ces deux citations en parallèle. « D'Egypte, j'ai appelé mon fils » ... « Il sera appelé Nazaréen ».

- Ce rapprochement entre le titre peu flatteur de « Nazaréen » et le titre de « Fils de Dieu » est donc certainement voulu par Matthieu. Manière de nous dire : « Préparez-vous, ce Messie ne se présente pas comme on l'attendait ».

- Du coup on comprend mieux pourquoi on lit ce texte pour la fête de la Sainte Famille : Jésus est Fils de Dieu et pourtant il sort de ce pays perdu de Nazareth. On ne peut pas trouver de paradoxe plus étonnant... Mais c'est bien le nôtre : chacun d'entre nous, chacune de nos familles vit une histoire divine dans la réalité la plus banale de son histoire humaine.

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15 décembre 2010 3 15 /12 /décembre /2010 07:55

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 
Exceptionnellement, je vous invite à regarder une vidéo de Marie-Noëlle Thabut, produite par CroireTV, sur le "sacrifice".

PREMIERE LECTURE - Isaïe 7, 10 - 16

Le Seigneur envoya le prophète Isaïe
10 dire au roi Acaz :
11 « Demande pour toi un signe venant du Seigneur ton Dieu,
demande-le au fond des vallées
ou bien en haut sur les sommets. »
12 Acaz répondit :
« Non je n'en demanderai pas,
je ne mettrai pas le Seigneur à l'épreuve. »
13 Isaïe dit alors :
« Ecoutez, maison de David !
Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes :
il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu !
14 Eh bien ! Le Seigneur lui-même
vous donnera un signe :
Voici que la jeune femme est enceinte,
elle enfantera un fils,
et on l'appellera Emmanuel,
(c'est-à-dire : Dieu avec nous).
15 De crème et de miel il se nourrira,
et il saura rejeter le mal et choisir le bien.
16 Avant même que cet enfant sache rejeter le mal
et choisir le bien,
elle sera abandonnée,
la terre dont les deux rois te font trembler. »

Sans le savoir, nous venons d'assister à l'une des pages les plus dramatiques de l'histoire du peuple d'Israël ; nous sommes vers 735 avant J.C. : l'ancien royaume de David est divisé en deux petits royaumes, depuis environ 200 ans ; deux rois, deux capitales : Samarie au Nord, Jérusalem au Sud ; c'est là, à Jérusalem, que règne la dynastie de David, celle dont naîtra le Messie ; pour l'instant, il est clair que le Messie n'est pas encore né ! Un jeune roi de 20 ans, Acaz, vient de monter sur le trône de Jérusalem, et dès le dernier son des trompettes du couronnement, il doit prendre des décisions très difficiles.

La Bible n'est pas un livre d'histoire, nous le savons bien ; et si les paroles du prophète Isaïe nous ont été conservées et transmises, c'est parce que la question qui se pose à Acaz est d'abord une question de foi. Pour prendre des décisions valables, il doit s'appuyer sur sa foi, c'est-à-dire ne compter que sur Dieu seul : Dieu a promis que la dynastie de David ne s'éteindrait pas ; il a promis, il tiendra ses promesses. Il n'abandonnera pas son peuple. C'est la certitude d'Isaïe.

Mais c'est vrai que pour le jeune roi la responsabilité est très lourde ; la situation politique est inquiétante, le petit royaume de Jérusalem est pris en étau entre deux camps rivaux : le premier camp, c'est la puissance montante au Proche-Orient, l'empire Assyrien, dont la capitale est Ninive (actuellement, les ruines de Ninive sont tout près de Mossoul) ; il menace toute la région, et ses campagnes l'ont déjà mené jusqu'à Damas, en Syrie, et en Samarie ; en 738, le roi de Damas et le roi de Samarie, vaincus, ont été obligés de capituler et de payer tribut.

L'autre camp, ce sont précisément ces deux petits royaumes de Syrie et de Samarie qui se révoltent contre Ninive et font le siège de Jérusalem pour détrôner Acaz et le remplacer par un autre roi qui acceptera d'être leur allié dans la guerre d'indépendance contre Ninive.

Acaz est pris de panique ; « son cœur et le cœur de son peuple furent agités comme les arbres de la forêt sont agités par le vent » nous dit-on (Is 7, 2). Isaïe commence par l'inviter au calme et à la confiance ; il lui dit quelque chose comme « fais confiance à Dieu, ta dynastie ne peut pas s'éteindre, puisqu'il l'a promis » ; et donc le conseil d'Isaïe c'est « affronte tranquillement les menaces qui se présentent, mise sur ta foi et sur les ressources de ton peuple »...

Mais Acaz n'écoute plus ; lui, le dépositaire de la foi au Dieu unique, offre des sacrifices à toutes les idoles et il va même jusqu'à faire la chose la plus atroce, malheureusement courante à cette époque dans les autres peuples, mais que tous les prophètes ont toujours interdite : il a tué son fils unique pour l'offrir en sacrifice ; le deuxième livre des Rois dit « il fit passer son fils par le feu ».

Finalement Acaz ne voit qu'une issue : pour éviter la menace immédiate de ses deux voisins, les rois de Damas et de Samarie, il est décidé à demander l'appui de l'empereur assyrien ; Isaïe est très opposé à cette solution, car tout se paie ! Acaz , en demandant cet appui, perd son indépendance politique et religieuse : c'est balayer d'un coup toute l'oeuvre de libération entreprise depuis Moïse.

Et c'est là qu'Isaïe prononce les paroles que nous avons entendues aujourd'hui : comme vous voyez, avant d'être adressées à nos oreilles de chrétiens, avec une signification pour nous, elles ont d'abord été prononcées dans une situation particulière très concrète. Il dit à Acaz « puisque tu as du mal à croire, demande à Dieu un signe ; tu peux le demander sur les hauteurs ou dans les vallées... Dieu règne partout ».

Acaz lui fait une réponse abominablement hypocrite : lui qui a déjà pris sa décision, tout-à-fait contraire aux conseils du prophète, et pire, lui qui, dans sa panique, a sacrifié son fils unique, sur qui reposait la promesse de Dieu, il dit : « oh non ! loin de moi l'idée d'oser exiger quelque chose de Dieu ! » C'est là qu'Isaïe, qui n'est pas dupe, lui dit « il ne vous suffit pas de fatiguer les hommes, il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu » et intentionnellement, il dit « mon Dieu » car il estime qu'Acaz se conduit comme s'il n'était pas dans l'Alliance.

Mais même devant ces infidélités répétées d'Acaz, Isaïe annonce que Dieu, lui, reste fidèle ; et Dieu va en donner la preuve : la « jeune femme » (c'est-à-dire la jeune reine) est enceinte ; et l'enfant qu'elle va donner au roi s'appellera justement « Dieu est avec nous ». Car ni les ennemis qui veulent détrôner Acaz, ni lui-même qui immole son fils n'empêcheront la fidélité promise par Dieu à la descendance de David et à son peuple.

(Premier étonnement : en quoi une naissance d'un bébé au palais royal mérite-t-elle une annonce aussi solennelle ? En réalité cette annonce dit plus qu'un heureux événement : plus que d'un berceau, elle parle de pardon. Car le jeune roi Achaz vient de commettre l'irréparable : il a de ses propres mains sacrifié son fils, le dauphin, à une divinité païenne, le dieu Moloch, sous prétexte que l'ennemi était aux portes de la ville sainte. C'est évidemment un grave manque de confiance en Dieu, mais c'est aussi un sabotage caractérisé de l'avenir de la dynastie. Car Dieu avait promis à David une royauté perpétuelle sur le trône de Jérusalem. Après le crime du roi, que restait-il de cette promesse ? mais c'est compter sans la fidélité de Dieu !)

Enfin les promesses concernent cet enfant-roi : « Il saura rejeter le mal et choisir le bien... » (ce qui veut dire : il recevra à son tour l'esprit du Seigneur pour être capable de rejeter le mal et de choisir le bien). Et la dernière promesse, c'est « Avant même que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, (c'est-à-dire avant même que cet enfant ait grandi), elle sera abandonnée la terre dont les deux rois te font trembler ». Traduisez : quant à la menace des deux rois de Damas et de Samarie, elle sera vite oubliée puisque d'ici peu on ne parlera même plus d'eux. Effectivement, très peu de temps après les paroles d'Isaïe, les deux royaumes de Syrie et de Samarie ont été complètement écrasés par l'empire assyrien, leurs richesses emmenées à Ninive et leurs populations déplacées.

Il reste que les hommes et les rois demeurent libres ; et le jeune roi annoncé ici, le petit Ezéchias, commettra des erreurs à son tour ; mais la prophétie d'Isaïe restera toujours valable : quelles que soient les infidélités des hommes, rien n'empêchera la fidélité promise par Dieu à la descendance de David et à son peuple. C'est ainsi que, de siècle en siècle, on gardera au coeur les promesses de Dieu, avec la certitude qu'un jour, peut-être lointain, viendra enfin un roi digne de porter le nom d'Emmanuel.

PSAUME 23 (24)

Au Seigneur, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
C'est lui qui l'a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.

Qui peut gravir la montagne du Seigneur
et se tenir dans le lieu saint ?
L'homme au coeur pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.

Il obtient, du Seigneur, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
Voici le peuple de ceux qui le cherchent
qui recherchent la face de Dieu !


- Comme dans presque tous les psaumes, nous sommes au Temple de Jérusalem : une gigantesque procession s'approche : à l'arrivée aux portes du Temple, deux chorales alternées entament un chant dialogué : « Qui gravira la montagne du Seigneur ? » (Vous vous souvenez que la temple est bâti sur la hauteur) ; « Qui pourra tenir sur le lieu de sa sainteté ? » Déjà Isaïe comparait le Dieu trois fois saint à un feu dévorant : au chapitre 33, il posait la même question : « Qui de nous tiendra devant ce feu dévorant ? Qui tiendra devant ces flammes éternelles ? » sous-entendu « par nous-mêmes , nous ne pourrions pas soutenir sa vue , le flamboiement de son rayonnement ». C'est le cri de triomphe du peuple élu : admis sans mérite de sa part dans la compagnie du Dieu saint ; telle est la grande découverte du peuple d'Israël : Dieu est le Saint, le tout-Autre ; « Saint, Saint Saint le Seigneur, Dieu de l'univers » s'écrie Isaïe pendant l'extase de sa vocation... et en même temps ce Dieu tout-Autre se fait le tout-proche de l'homme et lui permet de « tenir », comme dit Isaïe, en sa compagnie.

- Le chant continue : « l'homme au coeur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles » : voilà la réponse, voilà l'homme qui peut « tenir » devant Dieu. Il ne s'agit pas ici, d'abord, d'un comportement moral : je disais tout à l'heure que le peuple se sait admis devant Dieu, sans mérite de sa part ; il s'agit d'abord ici de l'adhésion de la foi au Dieu unique, c'est-à-dire du refus des idoles. La seule condition exigée du peuple élu pour pouvoir « tenir » devant Dieu c'est de rester fidèle au Dieu unique. C'est de « ne pas livrer son âme aux idoles », pour reprendre les termes de notre psaume. D'ailleurs, si on y regarde de plus près, la traduction littérale serait : « l'homme qui n'a pas élevé son âme vers des dieux vides » : or l'expression « lever son âme » signifie « invoquer » ; nous retrouvons là une expression que nous connaissons bien : « Je lève les yeux vers toi, mon Seigneur » ; même chose dans la fameuse phrase du prophète Zacharie reprise par St Jean « Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé » : « lever les yeux vers quelqu'un » en langage biblique, cela veut dire le prier, le supplier, le reconnaître comme Dieu. L'homme qui peut tenir devant le Dieu d'Israël, c'est celui qui ne lève pas les yeux vers les idoles, comme le font les autres peuples.

- « L'homme au coeur pur » cela veut dire la même chose : le mot « pur » dans la Bible a le même sens qu'en chimie : on dit qu'un corps chimique est pur quand il est sans mélange ; le coeur pur, c'est celui qui se détourne résolument des idoles pour se tourner vers Dieu seul.

- « L'homme aux mains innocentes », c'est encore dans le même sens ; les mains innocentes, ce sont celles qui n'ont pas offert de sacrifices aux idoles, ce sont celles aussi qui ne se sont pas levées pour la prière aux faux dieux.

- Il faut entendre le parallélisme entre les deux lignes (on dit les deux « stiques ») de ce verset : « L'homme au coeur pur, aux mains innocentes... qui ne livre pas son âme aux idoles. » Le deuxième membre de phrase est synonyme du premier. « L'homme au coeur pur, aux mains innocentes, c'est celui qui ne livre pas son âme aux idoles. »

- Nous touchons là à la lutte incessante que les prophètes ont dû mener pour que le peuple élu abandonne définitivement toute pratique idolâtrique ; dans la première lecture, nous avions vu Isaïe aux prises avec le roi Acaz au 8 ème siècle ; mais ce ne sera pas fini ; pendant l'Exil à Babylone le peuple sera en contact avec une civilisation polythéiste ; ce psaume chanté au retour de l'Exil réaffirme encore avec force cette condition première de l'Alliance. Israël est le peuple qui, de toutes ses forces, « recherche la face de Dieu », comme dit le dernier verset. L'expression « rechercher la face » était employée pour les courtisans qui voulaient être admis en présence du roi : manière de nous rappeler que, pour Israël, le seul véritable roi, c'est Dieu lui-même.

- Tandis que les idoles ne sont que des « dieux vides » comme on dit ; à commencer par le veau d'or sculpté dans le Sinaï pendant l'Exode, au moment où Moïse avait le dos tourné, si j'ose dire ; parce que Moïse tardait à redescendre de la montagne, où il avait rencontré Dieu, le peuple a fait le siège d'Aaron jusqu'à ce qu'il accepte de leur prendre tout leur or pour en faire le fameux veau. Les prophètes n'ont pas de mots trop sévères pour fustiger ceux qui fabriquent de toutes pièces une statue, pour ensuite s'agenouiller devant.

- Je vous cite le psaume 115 (113 en liturgie) qui va dans ce sens : « Leurs idoles sont d'or et d'argent, faites de main d'homme. Elles ont une bouche et ne parlent pas ; elles ont des yeux et ne voient pas ; elles ont des oreilles et n'entendent pas ; elles ont un nez et ne sentent pas ; des mains et elles ne palpent pas ; des pieds et ne marchent pas ; elles ne tirent aucun son de leur gosier... Notre Dieu, lui, est dans les cieux ; tout ce qu'il a voulu, il l'a fait. »

- Cette fidélité au Dieu unique est la seule condition pour être en mesure d'accueillir la bénédiction promise aux patriarches, pour entrer dans le salut promis ; combat jamais tout-à-fait gagné puisque Jésus, à son tour, jugera utile de rappeler « Nul ne peut avoir deux maîtres... »

- A un deuxième niveau, cette fidélité au Dieu unique entraînera des conséquences concrètes dans la vie sociale : l'homme au coeur pur deviendra peu à peu un homme au coeur de chair qui ne connaît plus la haine ; l'homme aux mains innocentes ne fera plus le mal ; le verset suivant « il obtient de Dieu son Sauveur la justice » dit bien ces deux niveaux : la justice, dans un premier sens, c'est la conformité au projet de Dieu ; l'homme juste c'est celui qui remplit fidèlement sa vocation ; ensuite, la justice nous engage concrètement à conformer toute notre vie sociale au projet de Dieu qui est le bonheur de ses enfants.

- En redisant ce psaume, on entend se profiler les Béatitudes : « Heureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés... Heureux les coeurs purs, ils verront Dieu »

DEUXIEME LECTURE - Romains 1, 1 - 7

1 Moi Paul, serviteur de Jésus Christ,
appelé par Dieu pour être Apôtre,
mis à part pour annoncer la Bonne Nouvelle
2 que Dieu avait déjà promise par ses prophètes
dans les saintes Ecritures,
je m'adresse à vous, bien-aimés de Dieu qui êtes à Rome.
3 Cette Bonne Nouvelle concerne son Fils :
selon la chair, il est né de la race de David ;
4 selon l'Esprit qui sanctifie,
il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu
par sa résurrection d'entre les morts,
lui, Jésus Christ, notre Seigneur.
5 Pour que son nom soit honoré,
nous avons reçu par lui grâce et mission d'Apôtre
afin d'amener à l'obéissance de la foi
toutes les nations païennes
6 dont vous faites partie,
vous aussi que Jésus Christ a appelés.
7 Vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint,
que la grâce et la paix soient avec vous tous,
de la part de Dieu notre Père
et de Jésus Christ le Seigneur.
- Ce sont les premiers mots que Paul adresse aux Romains ; en quelques lignes, nous avons déjà le résumé de toute la foi chrétienne : les promesses de Dieu dans les Ecritures, le mystère du Christ, sa naissance et sa Résurrection, l'élection gratuite du peuple saint, et la mission des Apôtres auprès des nations païennes. Je vous propose tout simplement une lecture en suivant.

- S'adressant à une communauté chrétienne qu'il n'a encore jamais rencontrée, Paul se présente : son titre est double « serviteur de Jésus-Christ », et « apôtre » c'est-à-dire en quelque sorte mandaté ; il n'agit qu'en service commandé : voila la source de toutes ses audaces.

- Au passage, je remarque le titre donné à Jésus : « Christ » ; à lui seul, c'est une profession de foi. Pour nous, dire « Jésus » ou dire le « Christ », c'est la même chose ; après 2000 ans de foi chrétienne, c'est normal ; mais ses contemporains faisaient la différence : « Jésus », c'est un prénom qui désigne quelqu'un ; le « Christ », c'est un titre puisque « Christ » signifie « Messie », c'est la traduction grecque du mot hébreu « Messie ». Dire Jésus-Christ, c'est déjà affirmer le tout de la foi chrétienne : ce Jésus de Nazareth est le Messie.

- Paul continue « Mis à part pour annoncer la Bonne Nouvelle » : pour bien faire, il faudrait renverser la formule : annoncer la Bonne Nouvelle, c'est annoncer que la Nouvelle est Bonne ! C'est annoncer que le dessein de Dieu, le projet de Dieu est bienveillant, j'aurais envie de dire « le dessein de Dieu n'est que bienveillant » ; être chrétien, c'est tout simplement annoncer deux choses : premièrement que le dessein de Dieu n'est que bienveillant et deuxièmement qu'il est accompli en Jésus-Christ. C'est exactement ce que fait Paul dans ces quelques lignes.

- Je continue le texte : « Cette Bonne Nouvelle, Dieu l'avait déjà promise par ses prophètes dans les Saintes Ecritures » ; je crois fermement qu'on ne peut rien comprendre à l'Evangile et à l'ensemble du Nouveau Testament si on n'est pas imprégné de l'Ancien Testament : les deux font un tout indissociable ; le dessein de Dieu est prévu depuis l'aube du monde, et c'est peu à peu que Dieu l'a révélé à son peuple par la bouche de ses prophètes.

- « Cette Bonne Nouvelle concerne son Fils » dit Paul : il faut entendre le mot « concerner » en un sens beaucoup plus fort qu'on ne l'emploie aujourd'hui : pour Paul, Jésus-Christ est depuis toujours au centre du projet de Dieu : quand il parle du dessein bienveillant dans sa lettre aux Ephésiens, il dit que « Dieu l'a arrêté d'avance en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement » ; c'est-à-dire que depuis toujours et dès l'origine du monde, Dieu a son projet de rassembler l'humanité tout entière unifiée en Jésus-Christ.

- « Selon la chair, il est né de la race de David » : il est homme, membre du peuple élu, descendant de David ; il remplit bien les conditions pour être le Messie. « Selon l'Esprit qui sanctifie, il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d'entre les morts » : traditionnellement, le titre de fils de Dieu était donné à chaque roi le jour de son couronnement ; pour Jésus-Christ c'est le jour de sa résurrection que Dieu l'a intronisé comme roi de l'humanité nouvelle. Pour Paul, la Résurrection du Christ est vraiment l'événement qui bouleverse la face du monde.

- Curieusement, Paul ne parle pas de la mort du Christ, mais seulement de sa Résurrection : on sait qu'elle est pour lui le premier article de foi. « Si Jésus-Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vide » dit-il aux Corinthiens (1 Co 15, 14 ).

- C'est cette résurrection du Christ que Paul va annoncer partout « Pour que le nom de Jésus-Christ soit honoré », comme il dit. On retrouve ici la si belle formule de la lettre aux Philippiens : « Dieu l'a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom », entendez le nom même de Seigneur qui était réservé à Dieu et qui, désormais, est attribué à Jésus lui-même.

- Il s'agit « d'amener à l'obéissance de la foi toutes les nations païennes ». Curieuse formule, aujourd'hui, pour nos mentalités peu favorables à tout ce qui ressemble à de l'obéissance. Mais chez Paul, imprégné de l'Ancien Testament et des découvertes progressives qu'ont faites les hommes de la Bible, le mot « obéissance » n'est pas servilité, abaissement ; il signifie l'écoute confiante de celui qui se sait en sécurité et peut donc suivre les conseils qui lui sont donnés ; c'est l'attitude filiale par excellence. « Amener à l'obéissance de la foi toutes les nations païennes », c'est leur annoncer la Bonne Nouvelle : quand elles auront compris que la Nouvelle est Bonne, elles pourront en toute confiance mettre leur oreille sous cette parole d'amour du Père.

- Paul termine par un souhait très habituel chez lui ; c'est le souhait le plus beau que l'on puisse faire à quelqu'un : « Que la grâce et la paix soient avec vous tous, de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ notre Seigneur ». Comme toujours on sait que ces souhaits au subjonctif (que la grâce et la paix soient avec vous) ne supposent pas que Dieu pourrait ne pas nous donner sa grâce et sa paix ; grâce et paix nous sont toujours offertes par Dieu, mais nous restons libres de ne pas les accueillir : ce subjonctif dit notre liberté.

- Paul ne fait que reprendre ici la superbe formule du livre des Nombres que je vous dédie pour Noël : « Que le Seigneur te bénisse et te garde, qu'il fasse sur toi rayonner son visage ; que le Seigneur te découvre sa face, qu'il te prenne en grâce et t'apporte la paix ».

EVANGILE Matthieu 1, 18 - 24

18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ.
Marie, la mère de Jésus, avait été accordée en mariage à Joseph ;
or, avant qu'ils aient habité ensemble,
elle fut enceinte
par l'action de l'Esprit Saint.
19 Joseph, son époux,
qui était un homme juste,
ne voulait pas la dénoncer publiquement ;
il décida de la répudier en secret.
20 Il avait formé ce projet,
lorsque l'Ange du Seigneur
lui apparut en songe et lui dit :
« Joseph, fils de David,
ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse :
l'enfant qui est engendré en elle
vient de l'Esprit Saint ;
21 elle mettra au monde un fils,
auquel tu donneras le nom de Jésus (c'est-à-dire : « le Seigneur sauve »),
car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
22 Tout cela arriva
pour que s'accomplît
la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
23 « Voici que la Vierge concevra
et elle mettra au monde un fils,
auquel on donnera le nom d'Emmanuel,
qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».
24 Quand Joseph se réveilla,
il fit ce que l'Ange du Seigneur lui avait prescrit :
il prit chez lui son épouse.


- Saint Matthieu débute son évangile par la phrase « Livre de la genèse de Jésus-Christ » et il retrace une longue généalogie qui montre bien que Joseph est de la descendance de David ; il commence par « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères ... » et ainsi de suite. Arrivé à Joseph qui se trouve être fils d'un autre Jacob, il dit comme on s'y attend « Jacob engendra Joseph », mais ensuite, il ne peut plus employer la même formule : il ne peut évidemment pas dire « Joseph engendra Jésus » ; il dit « Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus, que l'on appelle Christ ».

- Ce verset montre bien la rupture dans la généalogie : selon la formule habituelle (« Joseph engendra Jésus ») celui-ci serait automatiquement de la lignée de David ; mais ici, pour que Jésus soit inscrit dans cette lignée, il faut qu'il soit adopté par Joseph : déjà le Fils de Dieu est livré aux mains des hommes, le dessein de Dieu est suspendu à l'acceptation, au bon vouloir d'un homme, Joseph. C'est dire l'importance de notre récit pour Matthieu.
- Or nous connaissons bien le récit de l'Annonciation (dans l'évangile de Luc), « l'annonce faite à Marie » comme disait Claudel ; il a inspiré d'innombrables tableaux, sculptures, vitraux... Mais curieusement, l'annonce faite par l'ange à Joseph a inspiré des artistes beaucoup moins nombreux.

- Et pourtant, cette acceptation libre d'un homme juste conditionne le début de l'histoire humaine de Jésus. Matthieu y insiste encore : quand l'Ange s'adresse à Joseph, il l'appelle « fils de David » ; les paroles qui suivent montrent bien le mystère de la filiation de Jésus : engendré par l'Esprit-Saint et non par Joseph, il sera cependant reconnu comme son fils : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse » veut dire que Jésus sera introduit dans sa maison ; et d'autre part, c'est Joseph qui donnera à Jésus son nom.

- A propos de ce nom de Jésus, Matthieu en donne le sens, « Jésus veut dire le Seigneur sauve » et il explique « Car c'est lui qui sauvera le peuple de ses péchés ». Précision intéressante : le peuple juif attendait impatiemment le Messie et pas seulement un Messie politique qui le libérerait de l'occupation romaine. Nous avons déjà eu l'occasion de parler de cette attente messianique : on attendait un roi, un leader politique, c'est vrai, de la descendance de David, et c'est lui qui devait restaurer la royauté en Israël, mais on attendait aussi et surtout l'avènement du monde nouveau, de la création nouvelle, dans la justice et la paix pour tous. Il y a tout cela dans le nom de Jésus tel que Matthieu le comprend « c'est lui qui sauvera le peuple de ses péchés ».

- Je reviens sur la phrase « l'enfant qui est engendré en Marie vient de l'Esprit-Saint » : nous possédons deux textes sur la conception virginale de Jésus : ce passage de l'annonce à Joseph dans l'évangile de Matthieu et le parallèle de l'annonce à Marie chez Luc. La tradition de l'Eglise nous enseigne que les Ecritures, y compris le Nouveau Testament, sont inspirées par l'Esprit-Saint. La conception virginale de Jésus est donc un article de foi. Bien évidemment, il ne s'agit pas de prétendre comprendre ni le pourquoi ni le comment de cette volonté souveraine de Dieu ; nous pouvons seulement nous émerveiller de ce plan qui fait de Jésus à la fois un homme, né d'une femme, venu au monde comme tout le monde si j'ose dire... descendant de David par le bon vouloir de Joseph, et en même temps Fils Unique de Dieu, conçu de l'Esprit-Saint.

- Je reprends le texte : Matthieu cite les Ecritures, et justement la promesse du prophète Isaïe à Acaz que nous avons entendue dans la première lecture : « Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel qui signifie Dieu-avec-nous ».

- Deux remarques sur cette citation de l'Ancien Testament par Matthieu : premièrement, le texte hébreu d'Isaïe disait « Voici que la jeune femme est enceinte » (En hébreu « alma » signifie l'épouse royale) et Matthieu, lui, parle d'une vierge (en grec, « parthenos »). En fait, Matthieu cite ici non le texte hébreu d'Isaïe mais la traduction grecque faite à Alexandrie vers 250 av.J.C. ; car déjà à l'époque, on pensait que le Messie naîtrait d'une Vierge.
Deuxième remarque sur le nom de Jésus, cette fois : l'ange dit : tu appelleras ton fils Jésus (c'est-à-dire : « le Seigneur sauve »), car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » et Matthieu commente : Tout cela arriva pour que s'accomplît la parole du Seigneur ... on lui donnera le nom d'Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».

On a presque envie de demander : « finalement, il s'appelle comment ? Jésus ? ou Emmanuel ? Bien évidemment c'est le but de Matthieu ; et la réponse, il nous la donnera à la fin de son évangile. Cet enfant s'est appelé Jésus, nous le savons bien, (et cela veut dire « le Seigneur sauve son peuple de ses péchés ») mais quand il quittera les siens il leur dira « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps », ce qui est la traduction d'Emmanuel. Etre sauvé de ses péchés, c'est tout simplement savoir que Dieu est avec nous, ne plus jamais douter qu'il est avec nous et « vivre en sa présence » comme le disait le prophète Michée. C'est ce qu'a fait Joseph justement.

Dans le récit de la Visitation qui nous est rapporté par l'évangile de Luc, Elisabeth dit à Marie « Bienheureuse celle qui a cru ; ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira ». Ici, on est tenté de reprendre ces mêmes mots pour Joseph : « Bienheureux Joseph qui a cru : grâce à lui, Dieu a pu accomplir son dessein de salut ».

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