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4 avril 2010 7 04 /04 /avril /2010 07:47

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "oeuvre", "merveille", "Le bras du Seigneur se lève, Le bras du Seigneur est fort", "réalités d'en-haut / réalités terrestres" ; je consacre une page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)


PREMIERE LECTURE - Ac 10, 34...43

Quand Pierre arriva à Césarée
chez un centurion de l'armée romaine,
34 il prit la parole :
37 « Vous savez ce qui s'est passé à travers tout le pays des Juifs
depuis les débuts en Galilée,
après le baptême proclamé par Jean :
38 Jésus de Nazareth,
Dieu l'a consacré par l'Esprit Saint et rempli de sa force.
Là où il passait, il faisait le bien
et il guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du démon.
Car Dieu était avec lui.
39 Et nous, les Apôtres, nous sommes témoins
de tout ce qu'il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem.
Ils l'ont fait mourir en le pendant au bois du supplice.
40 Et voici que Dieu l'a ressuscité le troisième jour.
41 Il lui a donné de se montrer,
non pas à tout le peuple,
mais seulement aux témoins que Dieu avait choisis d'avance,
à nous qui avons mangé et bu avec lui
après sa résurrection d'entre les morts.
42 Il nous a chargés d'annoncer au peuple et de témoigner
que Dieu l'a choisi comme Juge des vivants et des morts.
43 C'est à lui que tous les prophètes rendent ce témoignage :
Tout homme qui croit en lui
reçoit par lui le pardon de ses péchés. »

Pierre est à Césarée-sur-Mer (il y avait là effectivement une garnison romaine), et il est entré dans la maison de Corneille, un officier romain.
Comment en est-il arrivé là ? Et que vient-il y faire ? En fait, si Pierre est là, c'est qu'il a été quelque peu bousculé par l'Esprit Saint. D'abord, peu de temps auparavant, Pierre vient d'accomplir deux miracles : il a guéri un homme, Enée, à Lydda, et ensuite, il a ressuscité une femme, Tabitha, à Joppé (on dirait aujourd'hui Jaffa ; Ac 9, 32 - 43). Ces deux miracles lui ont prouvé que le Seigneur ressuscité était avec lui et agissait à travers lui. Car Jésus avait bien annoncé que, comme lui, et en son nom, les apôtres chasseraient les démons, guériraient les malades, et ressusciteraient les morts.

Ce sont ces deux miracles qui ont donné à Pierre la force de franchir l'étape suivante, qui est décisive : il s'agit cette fois d'un miracle sur lui-même, si j'ose dire ! Car, pour la première fois, contrairement à toute son éducation, à toutes ses certitudes d'avant, Pierre, le juif devenu chrétien, franchit le seuil d'un païen, Corneille, le centurion romain ; il est vrai que Corneille est un païen très ami des Juifs, on dit qu'il est un « craignant Dieu » ; c'est-à-dire un converti à la religion juive mais qui n'est pas allé jusqu'à en adopter toutes les pratiques, y compris la circoncision : or la circoncision est la marque de l'Alliance ; donc un « craignant Dieu » reste un incirconcis, un païen. Et c'est chez ce païen, Corneille, que Pierre est entré et il y annonce la grande nouvelle : Jésus de Nazareth est ressuscité ! Traduisez : l'Evangile est en train de déborder les frontières d'Israël !

On dit souvent que Paul est l'apôtre des païens, mais il faut rendre justice à Pierre : si l'on en croit les Actes des Apôtres, c'est lui qui a commencé, et à Césarée, justement, chez le centurion romain Corneille.
Et ce que nous venons d'entendre, c'est donc le discours que Pierre a prononcé chez Corneille, en ce jour mémorable. D'où l'importance de la dernière phrase du texte que nous venons d'entendre ; Pierre vient de comprendre : « Tout homme qui croit en lui (Jésus) reçoit par lui le pardon de ses péchés. » Tout homme, c'est-à-dire pas seulement les Juifs : même des païens peuvent entrer dans l'Alliance. Le salut a d'abord été annoncé à Israël, mais désormais il suffit de croire en Jésus-Christ pour recevoir le pardon de ses péchés, c'est-à-dire pour entrer dans l'Alliance avec Dieu. Et donc tout homme, même non-juif (c'est le sens du mot « païen » ici), peut être baptisé au nom de Jésus.

Visiblement, ce fut la grande découverte des premiers chrétiens, Paul et Pierre y insistent tous les deux : il suffit de croire en Jésus pour être sauvé !

L'ensemble du discours de Pierre chez Corneille est révélateur de l'état d'esprit des Apôtres dans les années qui ont suivi la Résurrection de Jésus. Ils avaient été les témoins privilégiés des paroles et des gestes de Jésus, et ils avaient peu à peu compris qu'il était le Messie que tout le peuple attendait. Et puis, il y avait eu le Vendredi-Saint : Dieu avait laissé mourir Jésus de Nazareth ; certainement, Dieu n'aurait pas laissé mourir son Messie, son Envoyé ; leur déception avait été immense ; Jésus de Nazareth ne pouvait pas être le Messie.

Et puis ce fut le coup de tonnerre de la Résurrection : non, Dieu n'avait pas abandonné son Envoyé, il l'avait ressuscité. Et les Apôtres avaient eu de nombreuses rencontres avec Jésus vivant ; et maintenant, depuis l'Ascension et la Pentecôte, ils consacraient toutes leurs forces à l'annoncer à tous ; c'est très exactement ce que Pierre dit à Corneille : « Nous, les Apôtres, nous sommes témoins de tout ce qu'il a fait dans le pays des juifs et à Jérusalem. Ils l'ont fait mourir en le pendant au bois du supplice. Et voici que Dieu l'a ressuscité le troisième jour... Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d'entre les morts. »

Il restera pour les Apôtres une tâche immense : si la résurrection de Jésus était la preuve qu'il était bien l'Envoyé de Dieu, elle n'expliquait pas pourquoi il avait fallu passer par cette mort infâmante et cet abandon de tous. La plupart des gens attendaient un Messie qui serait un roi puissant, glorieux, chassant les Romains ; Jésus ne l'était pas. Quelques-uns imaginaient que le Messie serait un prêtre, il ne l'était pas non plus, il ne descendait pas de Lévi ; et l'on pourrait faire la liste de toutes les attentes déçues.
Alors les Apôtres ont entrepris un formidable travail de réflexion : ils ont relu toutes leurs Ecritures, la Loi, les Prophètes et les Psaumes, pour essayer de comprendre. Pour arriver à dire, comme le fait Pierre ici, « C'est à Jésus que tous les prophètes rendent témoignage. Il nous a chargés d'annoncer au peuple et de témoigner que Dieu l'a choisi comme Juge des vivants et des morts », il a fallu tout ce travail de relecture, après la Pentecôte, à la lumière de l'Esprit Saint.

Un autre aspect tout à fait remarquable de ce discours de Pierre, c'est son insistance pour dire que c'est Dieu qui agit ! Jésus de Nazareth était un homme apparemment semblable à tous les autres, mortel comme tous les autres... eh bien, Dieu agissait en lui et à travers lui : « Dieu l'a consacré, Dieu était avec lui, Dieu l'a ressuscité, Dieu lui a donné de se montrer aux témoins que Dieu avait choisis d'avance, Dieu l'a choisi comme juge des vivants et des morts... » Et la phrase qui résume tout cela : « Dieu l'a consacré par l'Esprit Saint et l'a rempli de sa force ». Désormais, Pierre vient de le comprendre, tout homme, Juif ou païen, peut grâce à Jésus-Christ être lui aussi consacré par l'Esprit Saint et rempli de sa force !

Psaume 117 ( 118 )

1 Rendez grâce au Seigneur car il est bon :
Eternel est son amour !
4 Qu'ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Eternel est son amour !

16 Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !
17 Non, je ne mourrai pas, je vivrai
pour annoncer les actions du Seigneur.

22 La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d'angle.
23 C'est là l'oeuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.


Si on ne veut pas faire d'anachronisme, il faut admettre que ce psaume n'a pas été écrit d'abord pour Jésus-Christ ! Comme tous les psaumes, il a été composé, des siècles avant le Christ, pour être chanté au temple de Jérusalem. Comme tous les psaumes aussi, il redit toute l'histoire d'Israël, cette longue histoire d'Alliance : c'est cela qu'on appelle « l'oeuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ... » ; c'est l'expérience qui fait dire au peuple élu : oui, vraiment, l'amour de Dieu est éternel ! Dieu a accompagné son peuple tout au long de son histoire, et toujours il l'a sauvé de ses épreuves.

On a là un écho du chant de victoire que le peuple libéré d'Egypte a entonné après le passage de la Mer Rouge : « ma force et mon chant, c'est le Seigneur, il est pour moi le salut ». Les mots « oeuvre » ou « merveille » sont toujours dans la Bible une allusion à la libération d'Egypte. Et quand je dis « allusion », le mot est trop faible, c'est un « faire mémoire » au sens fort de ressourcement dans la mémoire commune du peuple.

« Le bras du Seigneur se lève, Le bras du Seigneur est fort », c'est aussi un faire mémoire de la libération d'Egypte. Et cette oeuvre de libération de Dieu , elle n'est pas seulement celle d'un jour, elle est permanente, on l'a sans cesse expérimentée ; c'est vraiment d'expérience qu'ils peuvent le dire « ceux qui craignent le Seigneur » : « Eternel est son amour ». Et nous savons que les hommes de la Bible ont appris peu à peu à remplacer le mot « craindre » par le mot « aimer ».

Et c'est cet amour éternel de Dieu qui fonde l'espérance : vous savez bien que chaque fois qu'on chante les libérations du passé, c'est aussi et surtout pour y puiser la force d'attendre celles de l'avenir ; Dieu enverra son Messie et enfin on connaîtra le bonheur promis ; enfin le peuple élu et avec lui l'humanité tout entière connaîtront la paix et la justice. On en est loin encore quand ce psaume est composé... et aujourd'hui encore!

Mais notre lointain ancêtre qui écrit ce psaume sait que Dieu est capable de transformer toutes les situations, y compris les situations de mort en situations de vie : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, pour annoncer les actions du Seigneur ». C'est l'action de grâce du peuple qui a frôlé la mort et rend grâce pour sa libération ; à l'heure où ce psaume est écrit, cela ne signifie pas une croyance en la résurrection ; nous savons bien que la foi en la résurrection n'est apparue que très tardivement en Israël ; cette affirmation « Non, je ne mourrai pas, je vivrai », c'est une réelle profession de foi, mais d'un autre ordre : c'est la certitude que Dieu n'abandonnera jamais son peuple : même dans les pires situations, quand la survie du peuple est compromise, on sait de façon absolument certaine que Dieu le fera survivre. Car la vocation de ce peuple, c'est précisément de vivre pour « annoncer les actions du Seigneur ».

Pour donner une idée de ces retournements que Dieu est capable d'opérer, on emprunte le langage des architectes : « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle » ; quand ce psaume est composé, ce n'est pas la première fois qu'on emploie l'image de la pierre angulaire pour parler de l'oeuvre de Dieu : Isaïe l'avait déjà fait (au chapitre 28).

Dans une période où la société de Jérusalem se dégradait, où régnaient partout le mensonge, l'injustice, la corruption, le mépris des commandements de Dieu, le prophète rappelait qu'on récolte ce qu'on a semé : une telle société court inévitablement à sa perte. Isaïe avait dit alors quelque chose comme « vous vous appuyez sur du vent ; on croirait vraiment que vous voulez mourir (« vous avez conclu un pacte avec la mort »...). Vous savez bien pourtant que le droit et la justice sont les seules valeurs sûres...Vous êtes comme des bâtisseurs qui choisiraient les plus mauvaises pierres pour faire les fondations ! Et qui rejetteraient systématiquement les bonnes pierres bien solides : traduisez les vraies valeurs.

Mais un prophète ne reste jamais sur du négatif ! Car Dieu n'abandonne jamais son peuple... La construction est mal engagée ? Les architectes auxquels il l'avait confiée ont mal travaillé ? Qu'à cela ne tienne... Dieu va reprendre lui-même la direction des opérations. Il va rétablir le droit et la justice à Jérusalem. Il le fera comme un architecte, il va en quelque sorte rebâtir sa ville ! Mais sur des bases saines, cette fois.

Je vous lis le passage d'Isaïe : « Voici que je pose dans Sion une pierre à toute épreuve, une pierre angulaire, précieuse, établie pour servir de fondation. Celui qui s'y appuie ne sera pas pris de court. Je prendrai le droit comme cordeau et la justice comme niveau . » ( 28, 16 ).

Notre psaume reprend cette image de la pierre angulaire et il la précise, (ou il la commente, si vous préférez) pour annoncer le retournement spectaculaire que Dieu va opérer. C'est sur toutes ces valeurs méprisées par les mauvais gouvernants que Dieu va bâtir une société nouvelle ; mieux, c'est de tous les petits, les humbles, les méprisés, qu'il va faire naître le peuple nouveau ! « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle »...
Jésus lui-même a cité à son propre sujet cette parole prophétique « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle » dans la parabole où des vignerons tuent le fils que le maître leur avait envoyé ; on trouve cette parabole dans les trois évangiles synoptiques : ce qui prouve l'importance de ce thème dans la première génération chrétienne. (Mt 21, 33-46 ; Mc 12, 1-12 ; Lc 20, 9-19).

C'est donc tout naturellement que ce psaume est devenu l'exultation pascale par excellence. Le Christ est cette pierre méprisée, rejetée par les bâtisseurs : il est devenu la pierre d'angle, la pierre de fondation de l'humanité nouvelle. Désormais, l'humanité libérée de la mort peut chanter avec lui : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du Seigneur. »

 

DEUXIEME LECTURE - Col 3, 1-4 et 1 Corinthiens 5, 6b - 8

La liturgie nous propose deux lectures au choix, mais il est très intéressant de les lire et de les méditer toutes les deux !
Lecture de quelques versets de saint Paul dans la lettre aux Colossiens et dans la 1ère lettre aux Corinthiens


Colossiens :
Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ.
Recherchez donc les réalités d'en haut :
c'est là qu'est le Christ, assis à la droite de Dieu.
Tendez vers les réalités d'en haut,
et non pas vers celles de la terre.
En effet, vous êtes morts avec le Christ,
et votre vie reste cachée avec lui en Dieu.
Quand paraîtra le Christ, votre vie,
alors vous aussi,
vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.

****

1 Corinthiens 5, 6b - 8 :
Frères,
vous savez bien qu'un peu de levain suffit
pour que toute la pâte fermente.
Purifiez-vous donc des vieux ferments
et vous serez une pâte nouvelle,
vous qui êtes comme le pain de la Pâque,
celui qui n'a pas fermenté.
Voici que le Christ, notre agneau pascal,
a été immolé.
Célébrons donc la Fête,
non pas avec de vieux ferments :
la perversité et le vice ;
mais avec du pain non fermenté :
la droiture et la vérité.


Tout d'abord, il faut nous habituer au vocabulaire de saint Paul ; par exemple, nous pouvons être un peu surpris d'entendre : « Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ... vous êtes morts avec le Christ » : A vrai dire, si nous sommes là, vous et moi, aujourd'hui, c'est que nous sommes bien vivants... c'est-à-dire pas encore morts... et encore moins ressuscités ! Il faut croire que les mots n'ont pas le même sens pour Paul que pour nous ! Car, pour lui, depuis ce fameux matin de Pâques, plus rien n'est comme avant.

Autre problème de vocabulaire : « Tendez vers les réalités d'en-haut, et non pas vers celles de la terre. » Il ne s'agit pas, en fait, de choses (qu'elles soient d'en-haut ou d'en-bas), il s'agit de conduites, de manières de vivre...Ce que Paul appelle les « réalités d'en-haut », il le dit dans les versets suivants, c'est la bienveillance, l'humilité, la douceur, la patience, le pardon mutuel... Ce qu'il appelle les réalités terrestres, c'est la débauche, l'impureté, la passion, la cupidité, la convoitise... Notre vie tout entière est dans cette tension : notre transformation, notre résurrection est déjà accomplie en Christ ET il nous reste à égrener cette réalité profonde, très concrètement au long des jours.

Si on continuait la lecture, on trouverait cette expression : « vous avez revêtu l'homme nouveau » ; et un peu plus loin « par-dessus tout, revêtez l'amour, c'est le lien parfait ». Il me semble que c'est le meilleur commentaire du passage que nous lisons aujourd'hui. « Vous avez revêtu » = c'est fait... « revêtez » = c'est encore à faire ...

Nous retrouvons cette tension dans tout le reste de la prédication de Paul et en particulier dans cette même lettre aux Colossiens : « vous qui autrefois étiez étrangers, vous dont les oeuvres mauvaises manifestaient l'hostilité profonde, voilà que maintenant Dieu vous a réconciliés dans le corps périssable de son Fils... Mais il faut que, par la foi, vous teniez solides et fermes, sans vous laisser déporter hors de l'espérance de l'Evangile... Que personne ne vous abuse par de beaux discours... Poursuivez donc votre route dans le Christ ... Soyez enracinés et fondés en lui, affermis ainsi dans la foi telle qu'on vous l'a enseignée, et débordants de reconnaissance...Veillez à ce que nul ne vous prenne au piège de la philosophie, cette creuse duperie à l'enseigne de la tradition des hommes, des éléments du monde et non plus du Christ... Ensevelis avec le Christ dans le Baptême, avec lui encore vous avez été ressuscités... »

Il ne s'agit donc pas de vivre une autre vie que la vie ordinaire, mais de vivre autrement la vie ordinaire ; sachant que cet « autrement » est désormais possible, car c'est l'Esprit-Saint qui nous en rend capables. Le même Paul dira à peine plus loin, dans cette même lettre : « Tout ce que vous pouvez dire ou faire, faites-le au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce par lui à Dieu le Père. » C'est ce monde-ci qui est promis au Royaume, il ne s'agit donc pas de le mépriser mais de le vivre déjà comme la semence du Royaume. Il n'est pas question de dénigrer les réalités terrestres ! Dieu nous les a confiées, au contraire, à nous de les transfigurer.

C'est dans cet esprit que Paul nous invite à être une pâte nouvelle : « Purifiez-vous des vieux ferments et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes comme le pain de la Pâque, celui qui n'a pas fermenté. » Ici, il fait allusion au rite des Azymes ; chaque année, au moment où l'on s'apprête à partager l'agneau pascal, on prend bien soin de nettoyer les maisons de toute trace du levain de la récolte de l'année dernière ; le repas de la nuit pascale (le seder) est accompagné de galettes de pain non levé (le pain azyme) et dans la semaine qui suit on continue à manger du pain sans levain en attendant d'avoir pu laisser fermenter le levain nouveau.

Les deux rites de l'agneau pascal et des Azymes étaient donc liés dans la célébration de la Pâque ; et Paul les lie dans son raisonnement : « Purifiez-vous des vieux ferments... Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé ». Paul fait donc référence à toute la symbolique de la fête pascale juive et il l'applique à la Pâque des chrétiens ; il n'a pas une seconde l'impression de changer le sens de la fête juive en parlant de la Pâque du Christ : au contraire, il voit dans la Résurrection du Christ le parfait achèvement du combat de libération que rappelait chaque année la Pâque juive.

Pour Paul, c'est une évidence : en Jésus l'ancienne fête des Azymes n'a pas perdu sa signification ; au contraire, elle trouve son sens plénier : la Pâque des Chrétiens est bien la fête de la libération, mais désormais, la libération est définitive. Par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ a triomphé des pires chaînes, celles de la mort et de la haine. Et cette libération est contagieuse ; comme dit Paul, « un peu de levain suffit pour que toute la pâte fermente ». L'Esprit qui poursuit son oeuvre dans le monde fera irrésistiblement « lever » comme une pâte l'humanité tout entière.

EVANGILE - Jean 20 , 1 - 9

1 Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau
de grand matin, alors qu'il fait encore sombre.
Elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2 Elle court donc trouver Simon-Pierre et l'autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
"On a enlevé le Seigneur de son tombeau
et nous ne savons pas où on l'a mis."
3 Pierre partit donc avec l'autre disciple
pour se rendre au tombeau.
4 Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre '
et arriva le premier au tombeau.
5 En se penchant, il voit que le linceul est resté là ;
cependant il n'entre pas.
6 Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau, et il regarde le linceul resté là,
7 et le linge qui avait recouvert la tête,
non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place.
8 C'est alors qu'entra l'autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit et il crut.
9 Jusque-là, en effet, les disciples n'avaient pas vu
que, d'après l'Ecriture,
il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts


Jean note qu'il faisait encore sombre : la lumière de la Résurrection a troué la nuit ; on pense évidemment au Prologue du même évangile de Jean : « La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas saisie » au double sens du mot « saisir », qui signifie à la fois « comprendre » et « arrêter » ; les ténèbres n'ont pas compris la lumière, parce que, comme dit Jésus également chez Saint Jean « le monde est incapable d'accueillir l'Esprit de vérité » (Jn 14, 17) ; ou encore : « la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l'obscurité à la lumière » (Jn 3, 19) ; mais, malgré tout, les ténèbres ne pourront pas l'arrêter, au sens de l'empêcher de briller ; c'est toujours Saint Jean qui nous rapporte la phrase qui dit la victoire du Christ : « soyez pleins d'assurance, j'ai vaincu le monde ! » (Jn 16, 33).

Donc, « alors qu'il fait encore sombre », Marie de Magdala voit que la pierre a été enlevée du tombeau ; elle court trouver Simon-Pierre et l'autre disciple, celui que Jésus aimait, (on suppose qu'il s'agit de Jean lui-même) et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l'a mis. » Evidemment, les deux disciples se précipitent ; vous avez remarqué la déférence de Jean à l'égard de Pierre ; Jean court plus vite, il est plus jeune, probablement, mais il laisse Pierre entrer le premier dans le tombeau.

« Pierre entre dans le tombeau, et il regarde le linceul resté là, et le linge qui avait recouvert la tête, non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place. » Leur découverte se résume à cela : le tombeau vide et les linges restés sur place ; mais quand Jean entre à son tour, le texte dit : « C'est alors qu'entra l'autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. » Pour Saint Jean, ces linges sont des pièces à conviction : ils prouvent la Résurrection ; au moment même de l'exécution du Christ, et encore bien longtemps après, les adversaires des Chrétiens ont répandu le bruit que les disciples de Jésus avaient tout simplement subtilisé son corps. Saint Jean répond : « Si on avait pris le corps, on aurait pris les linges aussi ! Et s'il était encore mort, s'il s'agissait d'un cadavre, on n'aurait évidemment pas enlevé les linges qui le recouvraient. »

Ces linges sont la preuve que Jésus est désormais libéré de la mort : ces deux linges qui l'enserraient symbolisaient la passivité de la mort. Devant ces deux linges abandonnés, désormais inutiles, Jean vit et il crut ; il a tout de suite compris. Vous vous souvenez, quand Lazare avait été ramené à la vie par Jésus, quelques jours avant, il était sorti lié ; son corps était encore prisonnier des chaînes du monde : il n'était pas un corps ressuscité ; Jésus, lui, sort délié : pleinement libéré ; son corps ressuscité ne connaît plus d'entrave.

La dernière phrase est un peu étonnante : « Jusque-là, en effet, les disciples n'avaient pas vu que, d'après l'Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts. »

Jean a déjà noté à plusieurs reprises dans son évangile qu'il a fallu attendre la Résurrection pour que les disciples comprennent le mystère du Christ, ses paroles et son comportement. Au moment de la Purification du Temple, lorsque Jésus avait fait un véritable scandale en chassant les vendeurs d'animaux et les changeurs, l'évangile de Jean dit : « Lorsque Jésus se leva d'entre les morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait parlé ainsi, et ils crurent à l'Ecriture ainsi qu'à la parole qu'il avait dite. » (Jn 2, 22). Même chose lors de son entrée triomphale à Jérusalem, Jean note : « Au premier moment, ses disciples ne comprirent pas ce qui arrivait, mais lorsque Jésus eut été glorifié, ils se souvinrent que cela avait été écrit à son sujet. » (Jn 12, 16).

Mais soyons francs : vous ne trouverez nulle part dans toute l'Ecriture une phrase pour dire que le Messie ressuscitera. Au bord du tombeau vide, Pierre et Jean ne viennent donc pas d'avoir une illumination comme si une phrase précise, mais oubliée, de l'Ecriture revenait tout d'un coup à leur mémoire ; mais, tout d'un coup, c'est l'ensemble du plan de Dieu qui leur est apparu ; comme dit Saint Luc à propos des disciples d'Emmaüs, leurs esprits se sont ouverts à « l'intelligence des Ecritures ».

« Il vit et il crut. Jusque là, les disciples n'avaient pas vu que, d'après l'Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts... » C'est parce que Jean a cru que l'Ecriture s'est éclairée pour lui : jusqu'ici combien de choses de l'Ecriture lui étaient demeurées obscures ; mais parce que tout d'un coup il donne sa foi, sans hésiter, alors tout devient clair : il relit l'Ecriture autrement et elle lui devient lumineuse. L'expression « il fallait » dit cette évidence. Comme disait Saint Anselme, il ne faut pas comprendre pour croire, il faut croire pour comprendre.

A notre tour, nous n'aurons jamais d'autre preuve de la Résurrection du Christ que ce tombeau vide... Dans les jours qui suivent, il y a eu les apparitions du Ressuscité. Mais aucune de ces preuves n'est vraiment contraignante... Notre foi devra toujours se donner sans autre preuve que le témoignage des communautés chrétiennes qui l'ont maintenue jusqu'à nous. Mais si nous n'avons pas de preuves, nous pouvons vérifier les effets de la Résurrection : la transformation profonde des êtres et des communautés qui se laissent habiter par l'Esprit, comme dit Paul est la plus belle preuve que Jésus est bien vivant !

***
Compléments

- Jusqu'à cette expérience du tombeau vide, les disciples ne s'attendaient pas à la Résurrection de Jésus. Ils l'avaient vu mort, tout était donc fini... et, pourtant, ils ont quand même trouvé la force de courir jusqu'au tombeau... A nous désormais de trouver la force de lire dans nos vies et dans la vie du monde tous les signes de la Résurrection. L'Esprit nous a été donné pour cela. Désormais, chaque « premier jour de la semaine », nous courons, avec nos frères, à la rencontre mystérieuse du Ressuscité.
- C'est Marie-Madeleine qui a assisté la première à l'aube de l'humanité nouvelle ! Marie-Madeleine la pécheresse... elle est l'image de l'humanité tout entière qui découvre son Sauveur. Mais, visiblement, elle n'a pas compris tout de suite ce qui se passait : là aussi, elle est bien l'image de l'humanité !
Et, bien qu'elle n'ait pas tout compris, elle est quand même partie annoncer la nouvelle aux apôtres et c'est parce qu'elle a osé le faire, que Pierre et Jean ont couru vers le tombeau et que leurs yeux se sont ouverts. A notre tour, n'attendons pas d'avoir tout compris pour oser inviter le monde à la rencontre du Christ ressuscité.

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22 mars 2010 1 22 /03 /mars /2010 00:16

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)


PREMIERE LECTURE - Isaïe 43, 16-21

16 Ainsi parle le Seigneur,
lui qui fit une route à travers la mer,
un sentier au milieu des eaux puissantes,
17 lui qui mit en campagne des chars et des chevaux,
des troupes et de puissants guerriers ;
et les voilà couchés pour ne plus se relever,
ils se sont éteints,
ils se sont consumés comme une mèche.
Le Seigneur dit :
18 « Ne vous souvenez plus d'autrefois,
ne songez plus au passé.
19 Voici que je fais un monde nouveau :
il germe déjà, ne le voyez-vous pas ?
Oui, je vais faire passer une route dans le désert,
des fleuves dans les lieux arides.
20 Les bêtes sauvages me rendront gloire,
- les chacals et les autruches -
parce que j'aurai fait couler de l'eau dans le désert,
des fleuves dans les lieux arides,
pour désaltérer le peuple, mon élu.
21 Ce peuple que j'ai formé pour moi
redira ma louange. »

Tous les textes de ce dimanche auront le même discours : oublie le passé, ne t'attarde pas sur lui... que rien, pas même les souvenirs, ne t'empêche d'avancer. Dans la première lecture, Isaïe s'adresse au peuple exilé... dans l'Evangile, Jésus parle à une femme prise en flagrant délit d'adultère : apparemment, ce sont deux cas bien différents (encore que le rapprochement, que nous propose ici la liturgie, soit intéressant !... ) mais, dans les deux cas, le discours est le même : tourne-toi résolument vers l'avenir, ne songe plus au passé.

Ce langage d'encouragement est très habituel chez l'auteur du texte que nous venons d'entendre : il s'agit de celui qu'on appelle le deuxième Isaïe ; sa prédication couvre les chapitres 40 à 55 du livre d'Isaïe dans la Bible (le livre entier qui porte le nom d'Isaïe n'est pas l'oeuvre d'un seul auteur mais très probablement de trois auteurs au moins qui ont prêché entre le huitième et le sixième siècles av. J.C.). Le deuxième Isaïe, celui que nous lisons aujourd'hui, vit au sixième siècle pendant l'Exil à Babylone (qui a duré de 587 à 538 av. J.C.).

Nous avons souvent eu l'occasion de parler de cette période qui fut une terrible épreuve. Et, franchement, on ne voyait pas bien pourquoi l'horizon s'éclaircirait ! S'ils sont en exil à Babylone, c'est parce que Nabuchodonosor, roi de Babylone, a vaincu le tout petit royaume juif dont Jérusalem est la capitale. Et pour l'instant les affaires de Nabuchodonosor marchent encore très bien ! Et puis, à supposer que l'on arrive à s'enfuir un jour... de la Babylonie à Jérusalem, il faudrait traverser le désert de Syrie qui couvre des centaines de kilomètres, et en fuyards, c'est-à-dire dans les pires conditions qui soient.


Le prophète a donc fort à faire pour redonner le moral à ses contemporains : mais il le fait si bien qu'on appelle son livre « le livre de la Consolation d'Israël » parce que le chapitre 40 commence par cette phrase superbe : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » ; et le seul fait de dire « votre Dieu » est un rappel de l'Alliance, une manière de dire « l'Alliance de Dieu n'est pas rompue, Dieu ne vous a pas abandonnés ». Car l'une des formulations de l'Alliance entre Dieu et son peuple était « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu » ; et chaque fois que l'on entend cette expression « mon Dieu » ou « votre Dieu », ce possessif est un rappel de l'Alliance en même temps qu'une profession de foi.

Isaïe va donc, de toutes ses forces, raviver l'espoir chez les exilés : Dieu ne les a pas abandonnés, au contraire, il prépare déjà leur retour au pays. On ne le voit pas encore, mais c'est sûr ! Pourquoi est-ce sûr ? Parce que Dieu est fidèle à son Alliance, parce que, depuis qu'il a choisi ce peuple, il n'a cessé de le libérer, de le maintenir en vie à travers toutes les vicissitudes de son histoire.

Ce sont ces arguments-là qu'Isaïe développe ici : Nabuchodonosor vous fait peur ? Mais Dieu a déjà fait mieux : il vous a délivrés de Pharaon ! Le désert vous fait peur ? Mais le désert du Sinaï, c'était bien pire et Dieu a protégé son peuple tout du long !
Chose étonnante, Isaïe dit « Ne vous souvenez plus d'autrefois, ne songez plus au passé » ... et justement il ne cesse de rappeler le passé ! « Le Seigneur fit une route à travers la mer, un sentier au milieu des eaux puissantes, il mit en campagne des chars et des chevaux, des troupes et de puissants guerriers ; et les voilà couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, ils se sont consumés comme une mèche. » C'est, bien sûr, un rappel de l'Exode. Mais ce rappel du passé n'a qu'un but : garder confiance en l'avenir ; sous-entendu « ce que Dieu a fait une fois, il le refera » : « Oui, je vais faire passer une route dans le désert, des fleuves dans les lieux arides. » Comme il a fait passer son peuple à travers la Mer à pied sec au moment de la sortie d'Egypte, on garde confiance : il fera passer son peuple « à pied sec » à travers toutes les eaux troubles de son histoire.

L'espérance d'Israël s'appuie toujours sur son passé : c'est le sens du mot « Mémorial » ; on fait mémoire de l'oeuvre de Dieu depuis toujours, pour découvrir que cette oeuvre de Dieu se poursuit pour nous aujourd'hui, et y puiser la certitude qu'elle se poursuivra demain. Passé, Présent, Avenir : Dieu est à jamais présent aux côtés de son peuple. C'est l'un des sens du Nom de Dieu « Je suis » (sous-entendu, « Je suis avec vous en toutes circonstances). Ce rappel a aussi un autre but dans la prédication des prophètes : détourner le peuple des idoles ; Dieu seul sauve, il ne faudra jamais l'oublier. Un peu plus haut, Isaïe disait : « C'est moi, c'est moi qui suis le Seigneur, en dehors de moi, pas de Sauveur. C'est moi qui ai annoncé et donné le salut, moi qui l'ai laissé entendre, et non pas chez vous un dieu étranger. » (Is 43, 11). Bien sûr, si Isaïe juge bon d'affirmer que Dieu seul est Dieu, c'est probablement parce que la tentation d'idolâtrie existait encore !

C'est là que le rapprochement entre cette première lecture et l'évangile de la femme adultère est intéressant : les prophètes ont souvent comparé les tentations d'idolâtrie du peuple à un adultère, une infidélité. Et, à leurs yeux, l'idolâtrie était le pire fléau qui pouvait menacer Israël. Cette lutte contre l'idolâtrie menée par tous les prophètes à toutes les époques avait un triple enjeu : premièrement si Dieu est le Dieu UN, comme on le récite tous les jours, tout autre culte est sacrilège ; deuxièmement, l'idolâtrie est un danger pour nous, car Dieu seul est libérateur, et toute idolâtrie nous réduit à l'esclavage ; enfin, troisièmement, le peuple élu a une vocation très haute : être le témoin du Dieu unique et fidèle au milieu des nations. Il ne peut l'être qu'en étant lui-même fidèle.

 

PSAUME 125 (126)

1 Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous êtions comme en rêve !
2 Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
3 Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

4 Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert.
5 Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

6 Il s'en va, il s'en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s'en vient, il s'en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.

- Dans notre première lecture, le prophète Isaïe annonçait le retour au pays du peuple exilé à Babylone... et ce retour a eu lieu ! Très spontanément, on a chanté ce miracle par ce psaume, comme on avait chanté celui de la sortie d'Egypte. Vous connaissez l'histoire : en 587, c'est Nabuchodonosor, roi de Babylone, qui avait conquis Jérusalem et déporté la population ; mais le vainqueur est vaincu à son tour. La nouvelle puissance montante dans cette région, c'est le royaume perse : le roi Cyrus vole de victoire en victoire ; dès avant cette conquête, ses succès sont vus d'un très bon oeil par les captifs de Babylone parce que Cyrus est précédé d'une très bonne réputation : les troupes de Nabuchodonosor, comme beaucoup d'autres, volaient, pillaient, violaient, massacraient, dévastaient... et les populations étaient systématiquement déplacées, déportées ; c'est un phénomène tristement connu à la surface du globe, depuis que le monde est monde.

- Cyrus, lui, a une tout autre politique : probablement parce qu'il préfère être le maître de peuples riches, il autorise toutes les populations déplacées à rentrer dans leur pays d'origine, et il leur en donne les moyens : très concrètement, cela veut dire qu'il a conquis Babylone en 539, et que, dès 538, il a renvoyé les Juifs à Jérusalem mais aussi qu'il leur en a donné les moyens sous forme de subventions ; il est même allé jusqu'à restituer les biens du Temple pillés par les hommes de Nabuchodonosor.


- Mais vous avez remarqué : on ne dit pas « Quand le roi de Perse Cyrus laissa les exilés rentrer à Sion », on dit « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion... » : c'est une manière d'affirmer que Dieu reste le maître de l'histoire. Pendant bien longtemps (et c'est encore le cas dans ce texte d'Isaïe), l'Ancien Testament a laissé penser que Dieu tirait toutes les ficelles de l'histoire : manière de dire qu'aucun autre dieu n'agissait sur les événements (il s'agissait alors pour les prophètes de lutter contre l'idolâtrie) ; aujourd'hui, nous pressentons bien, sans savoir l'exprimer de manière satisfaisante, que l'humanité est, partiellement au moins, libre et responsable des événements.

- « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion » : ici, c'est clair, il s'agit de la ville de Jérusalem ; mais vous savez que ce n'est pas toujours aussi clair : quand on parle de Sion, cela peut désigner soit la petite colline de départ, celle sur laquelle David a bâti son palais, soit la ville tout entière de Jérusalem (et, en particulier, le Temple), soit toute la Judée, soit même le peuple d'Israël tout entier. Rappelez-vous la phrase d'Isaïe : « Dis à Sion : Tu es mon peuple » (Is 51, 16-17). Et aujourd'hui, si vous regardez un plan de Jérusalem, c'est une autre colline qui a pris le nom de Sion !

- Je reviens à notre psaume : écrit plus tard, on ne sait pas exactement quand, mais bien longtemps peut-être après le retour d'exil, il évoque la joie, l'émotion de la libération et du retour. En exil, là-bas, on en avait tant de fois rêvé... Et quand cela s'est réalisé, on osait à peine y croire : « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve !...Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête ! »

- Et on va jusqu'à s'imaginer que les autres peuples sont eux aussi émerveillés par ce miracle ! « Alors on disait parmi les nations : « Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »... Soyons francs « les nations », comme on dit, c'est-à-dire les peuples païens ont peut-être d'autres sujets de préoccupation : en fait, cette affirmation que même les païens s'inclinent devant l'oeuvre de Dieu pour son peuple élu est pour Israël un double rappel qui n'a rien à voir avec de la prétention ; il s'agit d'affirmer deux choses : premièrement une infinie reconnaissance pour la gratuité du choix de Dieu ; deuxièmement, on n'oublie jamais que le peuple élu l'est pour le monde : sa vocation est d'être un peuple témoin.

- La gratuité du choix de Dieu, d'abord, est un sujet toujours renouvelé d'étonnement : « Interroge donc les jours du début, ceux d'avant toi, depuis le jour où Dieu créa l'humanité sur la terre, interroge d'un bout à l'autre du monde ; est-il rien arrivé d'aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ?... A toi, il t'a été donné de voir, pour que tu saches que c'est le Seigneur qui est Dieu : il n'y en a pas d'autre que lui. » (Dt 4, 32... 35).

- Ici, cet émerveillement devant le choix de Dieu est traduit en français par un mot de la même famille, le mot « merveilles » ; lequel fait toujours référence à l'oeuvre de libération de Dieu et d'abord à la libération d'Egypte. Les mots « exploit », « oeuvre », « hauts faits », « merveilles » sont toujours un rappel de l'Exode, c'est-à-dire la libération d'Egypte. Ici, il s'y ajoute la nouvelle oeuvre de libération de Dieu, l'Exil.

- Cette libération est ressentie par le peuple comme une véritable résurrection : pour l'exprimer, le psalmiste utilise deux images :

- Première image, « les torrents au désert » : « Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. » ; au sud de Jérusalem, le Néguev est un désert ; mais au printemps, des torrents dévalent les pentes et tout-à-coup éclosent des myriades de fleurs ;

- Deuxième image, « la semence » : quand le grain de blé est semé en terre, c'est pour y pourrir, apparemment y mourir... quand viennent les épis, c'est comme une naissance... cette image est d'autant plus valable que le retour des exilés signifie pour la terre elle-même une véritable renaissance.

- Dernière remarque, quand on chante ce psaume, le retour de l'exil à Babylone est déjà loin ; alors, pourquoi en parler encore ? Là-bas, on ne chante jamais le passé pour le seul plaisir de faire de l'histoire : mais cette libération, ce retour à la vie que l'on peut dater historiquement... devient une raison d'espérer d'autres résurrections, d'autres libérations.

- Chaque année, pour la fête des Tentes, à l'automne, ce cantique était chanté au cours du pèlerinage, tandis que l'on « montait » à Jérusalem. On chantait la libération déjà accomplie, on priait Dieu de hâter le Jour de la libération définitive, quand viendra Celui qu'on attend, le Messie promis... Car il y a encore aujourd'hui sur la surface de la terre, bien des lieux de captivité de toute sorte, bien des « Egypte », bien des « Babylone »... C'est à eux que l'on pense désormais quand on chante : « Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. »

- Aujourd'hui, quand nous, Chrétiens, chantons ce psaume, nous demandons la grâce de savoir seconder de toutes nos forces l'oeuvre de libération inaugurée par le Messie : il nous appartient de hâter le jour où c'est enfin l'humanité tout entière qui chantera à pleine voix : « Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête ! »

DEUXIEME LECTURE - Philippiens 3, 8 - 14

Frères,
tous les avantages que j'avais autrefois,
8 je les considère maintenant comme une perte
à cause de ce bien qui dépasse tout :
la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur.
A cause de lui, j'ai tout perdu ;
je considère tout comme des balayures,
en vue d'un seul avantage, le Christ,
9 en qui Dieu me reconnaîtra comme juste.
Cette justice ne vient pas de moi-même,
- c'est-à-dire de mon obéissance à la loi de Moïse -
mais de la foi au Christ :
c'est la justice qui vient de Dieu et qui est fondée sur la foi.
10 Il s'agit de connaître le Christ,
d'éprouver la puissance de sa résurrection
et de communier aux souffrances de sa passion,
en reproduisant en moi sa mort,
11 dans l'espoir de parvenir, moi aussi,
à ressusciter d'entre les morts.
12 Certes, je ne suis pas encore arrivé,
je ne suis pas encore au bout,
mais je poursuis ma course pour saisir tout cela,
comme j'ai moi-même été saisi par le Christ Jésus.
13 Frères, je ne pense pas l'avoir déjà saisi.
Une seule chose compte :
oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l'avant,
14 je cours vers le but pour remporter le prix
auquel Dieu nous appelle là-haut
dans le Christ Jésus.

Nous retrouvons ici l'image de la course que Saint Paul emploie à plusieurs reprises dans ses lettres. Et, dans la course, c'est le but qui compte ! Le point de départ, il faut se dépêcher de l'oublier ! Imaginez un coureur qui se retournerait sans arrêt, il est assuré de perdre : « Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l'avant, je cours vers le but pour remporter le prix... » Il faut donc savoir tourner le dos en quelque sorte : et depuis qu'il a été « saisi » par le Christ, comme il dit, Paul a tourné le dos à bien des choses, à bien des certitudes. Le mot « saisi » est très fort dans le langage de Paul : sa vie a été réellement complètement bouleversée depuis le jour où le Christ s'est littéralement emparé de lui sur le chemin de Damas.

D'habitude, pourtant, Paul présente sa foi chrétienne comme la suite logique de sa foi juive. A ses yeux, Jésus-Christ accomplit vraiment l'attente de l'Ancien Testament et il y a continuité entre l'Ancien et le Nouveau Testament : par exemple, au cours de son procès devant le tribunal romain à Césarée, il dira : « Les prophètes et Moïse ont prédit ce qui devait arriver (c'est-à-dire que Jésus est le Messie) et je ne dis rien de plus... » (Ac 26, 22). Mais ici, Paul insiste sur la nouveauté apportée par Jésus-Christ : « Tous les avantages que j'avais autrefois, je les considère maintenant comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. »

Cette nouveauté apportée par Jésus-Christ est donc radicale : désormais nous sommes réellement une « création nouvelle » ; cette expression, nous l'avons rencontrée dimanche dernier dans la deuxième lettre aux Corinthiens ; ici, Paul le dit autrement : « A cause de lui, j'ai tout perdu ; je considère tout comme des balayures, en vue du seul avantage, le Christ, en qui Dieu me reconnaîtra comme juste. » Traduisez « ce qui, auparavant, me paraissait le plus important, mes avantages, mes privilèges, désormais cela ne compte pas plus pour moi que des balayures ».

Ces « avantages » dont il parle : c'était la fierté d'appartenir au peuple d'Israël ; c'était la foi, la fidélité, l'espérance indéracinable de ce peuple ; c'était la pratique assidue, scrupuleuse de tous les commandements, ce qu'il appelle « l'obéissance à la loi de Moïse ». Mais, désormais, Jésus-Christ a pris toute la place dans sa vie : « Je considère tout comme des balayures en vue d'un seul avantage, le Christ ». Désormais il possède le bien qui dépasse tout, la seule richesse au monde à ses yeux : la « connaissance » du Christ ; pour parler de cela, Jésus employait des paraboles : il disait par exemple « le Royaume des cieux est comparable à un trésor qui était caché dans un champ et qu'un homme a découvert : il le cache à nouveau et, dans sa joie, il s'en va, met en vente tout ce qu'il a, et il achète ce champ. » (Mt 13, 44).

Le vrai trésor de notre existence, nous dit Saint Paul, c'est d'avoir découvert le Christ ; et il sait de quoi il parle, lui qui a d'abord été un persécuteur des apôtres ! Sa vie a été complètement bouleversée par cette découverte, par cette « connaissance » du Christ. Une connaissance qui n'est pas d'ordre intellectuel : au sens biblique, connaître quelqu'un, c'est vivre dans son intimité, c'est l'aimer et partager sa vie. C'est bien dans ce sens d'intimité partagée que Paul parle du lien qui l'unit désormais, et avec lui tous les baptisés, à Jésus-Christ.

Pourquoi insiste-t-il tellement sur ce lien ? Parce que nous sommes dans le contexte d'un conflit très grave qui traversait la communauté des Philippiens à propos de la circoncision ; nous l'avons rencontré déjà il y a quelques semaines : certains Chrétiens d'origine juive auraient voulu qu'on impose la circoncision à tous les Chrétiens préalablement au Baptême ; c'est à la circoncision qu'il pense quand il parle « d'obéissance à la Loi de Moïse » ; on sait dans quel sens les Apôtres ont tranché cette question qui risquait de diviser les communautés, au cours d'une Assemblée à Jérusalem, une sorte de mini-Concile : dans la Nouvelle Alliance, la Loi de Moïse est dépassée ; le Baptême au Nom de Jésus fait de nous des fils de Dieu : « Vous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ », dit Paul dans la lettre aux Galates (Ga 3, 27). La circoncision n'est donc plus indispensable pour faire partie du peuple de la Nouvelle Alliance, puisque cette Alliance est définitivement scellée une fois pour toutes en Jésus-Christ : « En Jésus-Christ, Dieu me reconnaîtra comme juste. Cette justice ne vient pas de moi-même, c'est-à-dire de mon obéissance à la Loi de Moïse, mais de la foi au Christ : c'est la justice qui vient de Dieu et qui est fondée sur la foi. » L'une des grandes découvertes de Paul, c'est que notre salut n'est pas au bout de nos mérites, de nos efforts... Le salut de Dieu est gratuit ! C'est le sens même du mot « grâce » si on y réfléchit... Le livre de la Genèse disait déjà : « Abraham eut foi dans le Seigneur, et le Seigneur estima qu'il était juste. » (Gn 15, 6). Pour le dire autrement, notre justice vient uniquement de Dieu, il suffit de croire !

Mais alors pourquoi parle-t-il de « communier aux souffrances de la passion du Christ, de reproduire sa mort, dans l'espoir de parvenir à ressusciter d'entre les morts « ? Il ne s'agit évidemment pas d'accumuler des mérites pour faire bonne mesure ! Paul vient de nous dire exactement le contraire ! Ce qu'il veut dire, c'est que cette nouvelle vie que nous menons désormais en Jésus-Christ, comme greffés sur lui (pour reprendre l'image de la vigne chez Saint Jean) nous amène à prendre le même chemin que lui. « Communier aux souffrances de la passion du Christ », c'est accepter de reproduire le comportement du Christ, accepter de courir les mêmes risques, qui sont les risques de l'annonce de l'évangile ; Jésus l'avait dit : « Nul n'est prophète en son pays » et il avait bien prévenu ses apôtres qu'ils ne seraient pas mieux traités que leur maître.

*****
Complément
Une des idées maîtresses de Saint Paul c'est que le Christ est venu accomplir les Ecritures : le rapport entre l'Ancien Testament et le Nouveau Testament, entre l'Ancienne Alliance et la Nouvelle Alliance est fait à la fois de continuité et de rupture : c'est parce qu'il est juif qu'il est chrétien, et voilà la continuité... mais désormais, il faut abandonner les pratiques juives pour se laisser « saisir » par le Christ, et voilà la rupture.

 

EVANGILE - Jean 8, 1-11

1 Jésus s'était rendu au mont des Oliviers ;
2 de bon matin, il retourna au Temple de Jérusalem.
Comme tout le peuple venait à lui,
il s'assit et se mit à enseigner.
3 Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme
Ils la font avancer,
4 et disent à Jésus :
« Maître, cette femme
a été prise en flagrant délit d'adultère.
5 Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné
de lapider ces femmes-là.
Et toi, qu'en dis-tu ? »
6 Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve,
afin de pouvoir l'accuser.
Mais Jésus s'était baissé,
et, du doigt, il traçait des traits sur le sol.
7 Comme on persistait à l'interroger,
il se redressa et leur dit :
« Celui d'entre vous qui est sans péché,
qu'il soit le premier à lui jeter la pierre. »
8 Et il se baissa de nouveau
pour tracer des traits sur le sol.
9 Quant à eux, sur cette réponse,
ils s'en allaient, l'un après l'autre,
en commençant par les plus âgés.
Jésus resta seul avec la femme en face de lui.
10 Il se redressa et lui demanda :
« Femme, où sont-ils donc ?
Alors, personne ne t'a condamnée ? »
11 Elle répondit :
« Personne, Seigneur. »
Et Jésus lui dit :
« Moi non plus, je ne te condamne pas.
Va, et désormais ne pèche plus. »

Nous sommes déjà dans le contexte de la Passion : la première ligne mentionne le Mont des Oliviers, or les évangélistes ne parlent jamais du Mont des Oliviers avant les derniers jours de la vie publique de Jésus ; d'autre part, le désir des Pharisiens de prendre Jésus au piège signifie que son procès se profile déjà à l'horizon. Raison de plus pour être particulièrement attentifs à tous les détails de ce texte : il s'agit de beaucoup plus qu'une anecdote de la vie de Jésus, il s'agit du sens même de sa mission. Au début de la scène, Jésus est en position d'enseignant (« Comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner »), mais voici que par la question des scribes et des Pharisiens, il est placé en position de juge : on l'aura remarqué, de tous les protagonistes, il est le seul assis. Le thème du jugement, chez Saint Jean, est assez important pour qu'on ne s'étonne pas de cette insistance à ce moment. Cette scène de la femme adultère est la mise en pratique de la phrase qu'on trouve au début du même évangile : « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 17).

Dans ce simulacre de procès, les choses sont apparemment simples : la femme adultère a été prise en flagrant délit, il y a des témoins ; la Loi de MoÏse condamnait l'adultère, cela faisait partie des commandements de Dieu révélés au Sinaï (« Tu ne commettras pas d'adultère » Ex 20, 14 ; Dt 5, 18) ; et le Livre du Lévitique prévoyait la peine capitale : « Quand un homme commet l'adultère avec la femme de son prochain, ils seront mis à mort, l'homme adultère aussi bien que la femme adultère. » (Lv 20, 10). Les scribes et les Pharisiens qui viennent trouver Jésus sont très attachés au respect de la Loi de Moïse : on ne peut quand même pas le leur reprocher ! Mais ils oublient de dire que la Loi prévoyait la peine capitale pour les deux complices, l'homme aussi bien que la femme adultère ; tout le monde le sait, mais personne n'en parlera, ce qui prouve bien que la vraie question posée par les Pharisiens ne porte pas sur l'observance exacte de la Loi ; leur question est ailleurs et le texte le dit très bien : « Dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu ? Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser. » Où est le piège tendu à Jésus ? De quoi espérait-on l'accuser ? On se doute bien qu'il n'approuve pas la lapidation, ce serait contredire toute sa prédication sur la miséricorde ; mais s'il ose publiquement plaider pour la libération de la femme adultère, on pourra l'accuser de pousser le peuple à désobéir à la Loi. Dans l'évangile de Jean (au chapitre 5), on l'a déjà vu donner au paralytique guéri l'ordre de porter son grabat, ce qui est un acte interdit le jour du sabbat. Ce jour-là, on n'a rien pu contre lui, mais cette fois l'incitation à la désobéissance va être publique. Au fond, malgré l'apparent respect de l'apostrophe « Maître.. qu'en dis-tu ? » Jésus n'est pas en meilleure posture que la femme adultère : les deux sont en danger de mort.

Jésus ne répond pas tout de suite : « Jésus s'était baissé, et, du doigt, il traçait des traits sur le sol. » Ce silence est certainement destiné à laisser à chacun le soin de répondre : très respectueux, il n'humilie personne ; celui qui incarne la miséricorde ne cherche pas à mettre qui que ce soit dans l'embarras, pas plus les scribes et les Pharisiens que la femme adultère ! Aux uns comme à l'autre, il veut faire faire un bout de chemin. Son silence est constructif : il va faire découvrir aux Pharisiens et aux scribes le vrai visage du Dieu de miséricorde. Quand il se décide à répondre, sa phrase ressemble plutôt à une question : « Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre. » La Loi ne disait pas que c'était le témoin de l'adultère qui devait lancer la première pierre ; mais elle le disait expressément pour le cas d'idolâtrie (Dt 13, 9-10 ; Dt 17, 7). Si bien que la réponse de Jésus peut se traduire : « Cette femme est coupable d'adultère, au premier sens du terme, c'est entendu ; mais vous, n'êtes-vous pas en train de commettre un adultère autrement plus grave, c'est-à-dire une infidélité au Dieu de l'Alliance ? La loi est devenue votre idole. »

On sait que, très souvent, les prophètes ont parlé de l'idolâtrie en termes d'adultère. Or manquer à la miséricorde, c'est être infidèle au Dieu de miséricorde. Les Pharisiens et les scribes voulaient sincèrement être les fils du Très-Haut, alors Jésus leur dit « Ne vous trompez pas de Dieu, soyez miséricordieux ». Sur cette réponse, ils s'en vont, « l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés ». Rien d'étonnant : les plus anciens sont les plus prêts à entendre l'appel à la miséricorde. Tant de fois, ils ont expérimenté pour eux-mêmes la miséricorde de Dieu... Tant de fois, ils ont lu, chanté, médité la phrase « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d'amour » (Ex 34, 6), tant de fois ils ont chanté le psaume 51 (50) « Pitié pour moi, Seigneur, en ta bonté, dans ta grande miséricorde efface mon péché »... Jésus, le Verbe, vient d'accomplir parmi eux sa mission de Révélation.

Alors, Jésus et la femme restent seuls : c'est le face à face, comme le dit Saint Augustin, de la misère et de la miséricorde. Pour elle, le Verbe va là encore accomplir sa mission, dire la parole de Réconciliation. Isaïe parlant du véritable serviteur de Dieu l'avait annoncé : « Il ne brisera pas le roseau ployé, il n'éteindra pas la mèche qui s'étiole... » (Is 42, 3). Ce n'est pas du laxisme : Jésus dit bien « ne pèche plus », tout n'est pas permis, le péché reste condamné... mais seul le pardon peut permettre au pécheur d'aller plus loin.

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19 mars 2010 5 19 /03 /mars /2010 08:25
Je reproduis ici in extenso un excellent article trouvé sur le non moins excellent blog de Francis Richard.

Revenir-au-capitalisme.jpg Le titre de ce livre, publié aux Editions Odile Jacob ici , paraît provocateur . En fait il ne l'est pas. 

Son auteur, Pascal Salin, professeur émérite de l'Université Paris-Dauphine, économiste qui ne cache pas ce qu'il doit à l'école autrichienne de Ludwig von Mises et de Friedrich Hayek, a l'immense avantage de ne pas être conformiste et surtout de raisonner, au lieu d'affirmer péremptoirement. 

Il ne répète pas ce que la plupart des soi-disant experts économiques disent aux politiciens. Lesquels reçoivent les paroles de ces experts comme pain bénit - ils ont accueilli aussi bêtement les paroles des experts du GIEC en matière de climat. Ils sont boursouflés d''importance parce qu'il leur est demandé d'intervenir en matière d'économie... Ce qu'ils font à tort et à travers.

Ce qui n'est pas banal de nos jours, Pascal Salin s'intéresse aux causes de la crise économique et financière actuelle. La première de ces causes est :

"L'extraordinaire instabilité de la politique monétaire menée aux Etats-Unis, mais aussi dans d'autres régions du monde"

Comme le souligne Pascal Salin :

"Il faut bien être conscient du fait que passer ainsi en quelques années de 8 à 3 % [entre juillet 1991 et septembre 1992], puis de 3 à 6% [en 2000], de 6 à 1% [en juin 2003], de 1 à 5,25% [en juin 2006], avant de tomber finalement à 0% [en décembre 2008] constitue la plus extraordinaire et irresponsable variabilité de taux d'intérêt que l'on puisse imaginer. Jamais une telle variabilité n'aurait pu se produire si les taux d'intérêt avaient été librement fixés sur les marchés financiers sans intervention arbitraire des autorités monétaires".

Pourquoi la Fed s'est-elle livrée à de telles variations ? Parce que la loi américaine assigne pour buts à la Fed "de veiller non seulement à la stabilité des prix, mais aussi à l'emploi et à l'activité économique".

La Fed croit donc bien faire en baissant ses taux pour relancer l'activité économique quand elle est au plus bas. Seulement "la croissance excessive des crédits d'origine monétaire qui ne correspondent pas à une épargne effective, mais à une création de crédits à partir de rien, conduit à l'apparition de "bulles financières"". La Fed croit alors bien faire en augmentant ses taux quand elle s'aperçoit que trop de liquidités ont été créées...

Plus loin Pascal Salin fait un parallèle entre la crise de 1929 et la crise actuelle, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Il note :

"Comme dans les années 2000, la création monétaire des années 1920 s'était portée surtout sur les actifs financiers et n'avait pas provoqué une inflation importante des prix des biens et services, de telle sorte qu'elle n'avait pas attiré l'attention".  

En fait les prix auraient dû baisser en raison des gains de productivité... s'il n'y avait pas eu les interventions étatiques du président Hoover. De même la crise aurait été plus courte qu'elle ne l'a été si le président Roosevelt n'était pas non plus intervenu massivement avec son New Deal :

"La véritable guerre que Roosevelt a menée contre les entrepreneurs sur le plan fiscal comme sur le plan réglementaire, a certainement contribué en grande partie à la dureté de la Grande Crise. On ne peut pas espérer que des emplois se créent lorsqu'on spolie les créateurs d'emplois et qu'on les paralyse dans des contraintes excessives !"

Pascal Salin rappelle qu'il ne peut y avoir de croissance économique sans épargne, autrement dit sans capital et sans épargnants, ceux qui investissent eux-mêmes leur épargne et deviennent des capitalistes au vrai sens du terme, ou ceux qui prêtent. C'est tout un passage du livre qu'il faut citer pour le bien comprendre :

"Il n'y a aucun moyen d'augmenter la demande si les revenus n'augmentent pas et les revenus n'augmentent pas si la production n'augmente pas ( la valeur des revenus distribués est égale à la somme des valeurs  ajoutées créées par les entreprises). La croissance ne peut résulter que des décisions des producteurs de produire plus, soit en utilisant des facteurs de production supplémentaires, soit en utilisant mieux les facteurs de production existants, soit en proposant des produits et services nouveaux correspondant mieux aux besoins des consommateurs. Mais les processus de production se déroulent dans le temps, ce qui signifie que les producteurs anticipent les besoins futurs qui s'exprimeront sur les marchés une fois que les productions nouvelles se seront traduites par des distributions de revenus. Mais précisément parce qu'il existe de tels décalages dans le temps, les producteurs ne peuvent anticiper les besoins futurs qu'à condition d'en avoir les moyens, c'est-à-dire de disposer des ressources nécessaires pour mettre en oeuvre ces processus de production. Ces ressources sont obtenues par l'épargne, placée en fonds propres ou en fonds prêtables."  

Or les Etats s'ingénient justement à confisquer l'épargne par l'impôt ou l'emprunt, qui est un impôt différé. Ce faisant ils empêchent la croissance économique qui se produirait si des productions pouvaient être financées grâce à l'épargne. Ils ne laissent d'autre perspective que de consommer les ressources et ne se privent d'ailleurs pas, quand ils y parviennent, de taxer au passage. Contrairement aux idées reçues :

"Un acte de consommation est un acte de destruction de ressources, alors qu'un acte d'épargne est un acte de conservation de ressources."

C'est pourquoi Keynes a tort :

"La demande globale augmente du fait du déficit public et diminue du fait de la baisse de la consommation et de l'investissement dans la même proportion." 

Les politiques de relance ne servent donc à rien...

Les autres causes de la crise actuelle, que Pascal Salin développe dans son livre, sont un peu mieux connues : la politique de logement pratiquée aux Etats-Unis et les réglementations nocives. C'est pourquoi je laisse le soin à l'internaute de les approfondir lui-même en lisant ce livre indispensable à la compréhension de ce que nous vivons.

Toujours est-il que les causes de la crise actuelle peuvent se résumer en une seule, l'interventionnisme étatique, qui empêche les marchés de jouer leur rôle. Le capitalisme n'est donc pour rien dans cette crise, au contraire :

"La réglementation empêche la régulation, la déréglementation est le meilleur moyen de rendre possible l'autorégulation."

Pascal Salin montre que les faillites jouent le rôle d'assainissement des marchés et que là encore l'interventionnisme étatique est déplorable, qui plus est, immoral :

"En sauvant les établissements les plus mal gérés de la faillite, on enracine l'idée que l'irresponsabilité n'est pas grave, puisque l'Etat - c'est-à-dire en fait les contribuables - sera là pour éviter la sanction de la faillite."

Le sauvetage des établissements mal gérés se fait également au détriment de ceux qui le sont bien... 

Pascal Salin emploie cette image qui illustre bien le processus absurde de l'interventionnisme étatique :

"Dans le monde où nous vivons, l'Etat prétend pouvoir créer ex nihilo des ressources à dépenser et des crédits à distribuer, comme un alchimiste qui créerait de l'or à partir de rien !"

Il y a évidemment bien d'autres choses à apprendre dans ce livre, au style agréable, et d'une grande clarté:

"Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement
Et les choses pour le dire viennent aisément
"

disait Boileau...

Je terminerai par une dernière citation, qui se trouve d'ailleurs à la dernière page :

"A partir du moment où l'Etat intervient, on est dans le domaine de l'immoralité, parce qu'on est dans le domaine de la contrainte qui permet de porter atteinte aux droits légitimes d'autrui."

Francis Richard

Dans cette vidéo Pascal Salin explique de manière limpide l'objet de son livre :
 

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18 mars 2010 4 18 /03 /mars /2010 00:01
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

PREMIERE LECTURE - Josué 5, 10- 12

Après le passage du Jourdain,
10 les fils d'Israël campèrent à Guilgal
et célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du mois,
vers le soir, dans la plaine de Jéricho.
11 Le lendemain de la Pâque,
ils mangèrent les produits de cette terre :
des pains sans levain et des épis grillés.
12 A partir de ce jour, la manne cessa de tomber,
puisqu'ils mangeaient les produits de la terre.
Il n'y avait plus de manne pour les fils d'Israël,
qui mangèrent cette année-là
ce qu'ils récoltèrent sur la terre de Canaan


Tout le monde sait que Moïse n'est pas entré en Terre Promise ; il est mort au mont Nebo (c'est-à-dire au niveau de la Mer Morte du côté que nous appellerions aujourd'hui la rive Jordanienne) : mais, ne le plaignons pas, il est entré ainsi tout de suite dans la véritable Terre Promise ; ce n'est donc pas lui qui a fait entrer le peuple d'Israël en Palestine, c'est son serviteur et successeur, Josué.

Et tout le livre de Josué est le récit de cette entrée du peuple en Terre Promise, depuis la traversée du Jourdain. S'il a fallu le traverser, c'est parce que les tribus d'Israël sont entrées en Palestine par l'Est. Ceci dit, la Bible ne fait jamais de l'histoire pour de l'histoire ; ce qui l'intéresse, ce sont les leçons de l'histoire ; on ne sait pas qui a écrit le livre de Josué, mais l'objectif est assez clair : si l'auteur du livre rappelle l'oeuvre de Dieu en faveur d'Israël, c'est pour exhorter le peuple à la fidélité.
Dans le texte d'aujourd'hui, c'est plus vrai que jamais ; sous ces quelques lignes un peu rapides, c'est un véritable sermon qui se cache ! Un sermon qui tient en deux points : ce qu'il ne faudra jamais oublier, c'est premièrement, Dieu nous a libérés d'Egypte ; deuxièmement, si Dieu nous a libérés d'Egypte, c'était pour nous donner cette terre comme il l'avait promis à nos pères. La grande leçon c'est que nous recevons tout de Dieu ; et quand nous l'oublions, nous nous mettons nous-mêmes dans des situations sans issue.

C'est pour cela que le texte fait des parallèles incessants entre la sortie d'Egypte, la vie au désert et l'entrée en Canaan. Par exemple, au chapitre 3 du livre de Josué, la traversée du Jourdain est racontée très solennellement comme la répétition du miracle de la Mer Rouge. Ici, dans notre texte de ce dimanche, l'auteur insiste sur la Pâque : il dit « ils célébrèrent la Pâque, le quatorzième jour du mois, vers le soir » : la célébration de la Pâque avait marqué la sortie d'Egypte et le miracle de la Mer Rouge ; cette fois-ci, la nouvelle Pâque suit l'entrée en Terre promise et le miracle du Jourdain.

Ces parallèles sont évidemment intentionnels. Le message de l'auteur, c'est que d'un bout à l'autre de cette incroyable aventure, c'est le même Dieu qui agissait pour libérer son peuple, en vue de la Terre Promise. La méditation du livre de Josué suit de très près ici celle du Deutéronome. D'ailleurs, « JOSUE » , ce n'est pas son nom, c'est un surnom donné par Moïse : au début, il s'appelait simplement « Hoshéa » (ou « Osée » si vous préférez) qui signifie « Il sauve »... Son nouveau nom, « JOSUE » (« Yeoshoua ») contient le nom de Dieu ; il signifie donc plus explicitement que c'est Dieu et Dieu seul qui sauve ! Effectivement, Josué a bien compris que ce n'est pas lui-même, pauvre homme qui, seul, peut sauver, libérer son peuple !
Dans le même esprit, le Psaume 114 (115) reprend à sa manière le parallèle entre les deux traversées miraculeuses de la mer Rouge et du Jourdain : « La mer voit et s'enfuit, le Jourdain retourne en arrière ; qu'as-tu, mer, à t'enfuir ? Jourdain, à retourner en arrière ? Tremble, terre, devant la face du Maître, devant la face du Dieu de Jacob. » Désormais la célébration annuelle de la Pâque sera le mémorial, non seulement de la nuit de l'Exode, mais aussi de l'arrivée en Terre Promise : ces deux événements n'en font qu'un seul ; c'est toujours la même oeuvre de Dieu pour libérer son peuple !

La deuxième partie du texte d'aujourd'hui est un peu surprenante, tellement le texte est laconique ; apparemment, il n'est question que de nourriture, mais là encore, il s'agit de beaucoup plus que cela : « Le lendemain de la Pâque, ils mangèrent les produits de cette terre : des pains sans levain et des épis grillés. A partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu'ils mangeaient les produits de la terre. Il n'y avait plus de manne pour les fils d'Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu'ils récoltèrent sur la terre de Canaan. » Ce changement de nourriture est significatif, il fait penser à un sevrage : une page de l'histoire est tournée, une nouvelle vie commence ; on dit quelque chose d'analogue pour les enfants petits : ils passent progressivement (sur le plan de l'alimentation ) de ce que l'on appelle le premier âge, à un deuxième puis un troisième et un quatrième âges...

Ici, on a un phénomène analogue : la période du désert est terminée, avec son cortège de difficultés, de récriminations, de solutions-miracle aussi ! Désormais, Israël est arrivé sur la Terre donnée par Dieu : il ne sera plus nomade, il va devenir sédentaire, il sera un peuple d'agriculteurs ; il mangera les produits du sol. Peuple adulte, il est devenu responsable de sa propre subsistance.

Autre leçon : à partir du moment où le peuple a les moyens de subvenir lui-même à ses besoins, Dieu ne se substitue pas à lui : il a trop de respect pour notre liberté. Mais on n'oubliera jamais la manne et on retiendra la leçon : à nous de prendre exemple sur la sollicitude de Dieu pour ceux qui ne peuvent pas (pour une raison ou une autre) subvenir à leurs propres besoins ; le Targum (c'est-à-dire la traduction commentée de la bible en araméen qui était lue dans les synagogues à partir du sixième siècle avant J.C.) du Livre du Deutéronome (à propos de Dt 34, 6) le dit très bien : « Dieu nous a enseigné à nourrir les pauvres pour avoir fait descendre le pain du ciel pour les fils d'Israël » ; sous-entendu à nous d'en faire autant.
Pour finir, ne l'oublions pas : en hébreu, Josué et Jésus, c'est le même nom ; les premiers Chrétiens ont évidemment fait le rapprochement ! Du coup, la traversée du Jourdain, entrée en Terre Promise, la terre de liberté, faisait mieux comprendre le Baptême dans le Jourdain : il signe notre entrée dans la véritable terre de liberté !

PSAUME 33 (34) , 2-3, 4-5, 6-7

2 Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
3 Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m'entendent et soient en fête !

4 Magnifiez avec moi le Seigneur,
exaltons tous ensemble son Nom.
5 Je cherche le Seigneur, il me répond ;
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

6 Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
7 Un pauvre crie ; le Seigneur entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.



- Une fois de plus, vous avez remarqué le parallélisme : chaque verset est construit en deux lignes qui se répondent ; l'idéal serait de le chanter à deux choeurs alternés, ligne par ligne.

- Vous savez aussi que ce psaume 33 (34) est alphabétique : non seulement il comporte 22 versets, 22 étant le nombre de lettres de l'alphabet hébreu, mais en plus, c'est ce qu'on appelle en poésie un acrostiche : l'alphabet est écrit verticalement dans la marge en face du psaume, une lettre devant chaque verset, dans l'ordre... et chaque verset commence par la lettre qui lui correspond dans la marge ; ce procédé, assez fréquent dans les psaumes, indique toujours qu'on se trouve en présence d'un psaume d'action de grâces pour l'Alliance ; ceci ne nous étonne pas en réponse à la première lecture de ce même dimanche ! Vous avez en mémoire les petites phrases du livre de Josué qui, sous couvert de nous raconter une histoire, étaient en fait une invitation à l'action de grâce pour toute l'oeuvre de Dieu en faveur d'Israël.

- D'ailleurs, le vocabulaire de l'action de grâce est omniprésent dans ce psaume, rien que dans les premiers versets retenus aujourd'hui ! Vous avez entendu cette foison de mots : « bénir, louange, glorifier, fête, magnifier, exalter, resplendir » ! « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le Seigneur... Magnifiez avec moi le Seigneur, exaltons tous ensemble son Nom... Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage. »

- Au passage, vous avez entendu une autre particularité du vocabulaire biblique : « Qui regarde vers lui resplendira » ; l'expression « regarder vers », on trouve aussi parfois « lever les yeux vers » est l'expression de l'adoration rendue à celui qu'on reconnaît comme Dieu.

- C'est toute l'expérience d'Israël qui parle ici, témoin de l'oeuvre de Dieu : un Dieu qui « répond, délivre, entend, sauve... » ; « Je cherche le Seigneur, il me répond ; de toutes mes frayeurs, il me délivre... Un pauvre crie ; le Seigneur entend : il le sauve de toutes ses angoisses. »

- Cette attention de Dieu pour celui qui souffre, nous l'avons lue dans le passage très fort du chapitre 3 de l'Exode, dans l'épisode du buisson ardent : « j'ai vu la misère de mon peuple... son cri est parvenu jusqu'à moi... je connais ses souffrances... ». C'était notre première lecture du troisième dimanche de Carême, dimanche dernier.

- Dans sa propre histoire, Israël est lui-même ce pauvre qui a fait l'expérience de la miséricorde de Dieu : quand il chante le psaume 33 « Un pauvre crie ; le Seigneur entend : il le sauve de toutes ses angoisses. », il parle d'abord de lui. Mais ce psaume l'invite aussi à élargir les horizons, car il dit bien « Un pauvre crie », c'est-à-dire n'importe quel pauvre, n'importe où sur la planète.

- Du coup, Israël découvre sa vocation : elle est double

- Premièrement, il doit être le peuple qui enseigne à tous les humbles du monde la confiance ! La foi apparaît alors comme un dialogue entre Dieu et l'homme : l'homme crie sa détresse vers Dieu ... Dieu l'entend ... Dieu le libère, le sauve, vient à son secours ... et l'homme reprend la parole, cette fois pour rendre grâce : si on y réfléchit, la prière comprend toujours ce double mouvement de demande, et de louange... d'abord la demande et la réponse de Dieu : « Je cherche le Seigneur, il me répond ; de toutes mes frayeurs, il me délivre... » Puis l'action de grâce : « Magnifiez avec moi le Seigneur, exaltons tous ensemble son Nom. »

- Le deuxième aspect de la vocation d'Israël, (et la nôtre, désormais) c'est de seconder l'oeuvre de Dieu, d'être son instrument ; de même que Moïse ou Josué ont été les instruments de Dieu libérant son peuple et l'introduisant dans la Terre promise, Israël est invité à être lui-même l'oreille ouverte aux pauvres et l'instrument de la sollicitude de Dieu pour eux.

- Ceci nous permet peut-être de mieux entendre cette fameuse béatitude de la pauvreté : exprimée chez Luc par la phrase : « Heureux, vous les pauvres : le royaume de Dieu est à vous. » (Lc 6, 20) et ici : « que les pauvres m'entendent et soient en fête ! » (Ce qui prouve une fois de plus que Jésus était profondément inséré dans les manières de parler et le vocabulaire de ses pères en Israël).


- J'entends au moins deux choses : premièrement, « réjouissez-vous, Dieu n'est pas sourd, il va intervenir » ; deuxièmement, « il a choisi des instruments sur cette terre pour venir à votre secours. » La vocation d'Israël au long des siècles sera de faire retentir ce cri, je devrais dire cette polyphonie mêlée de souffrance, de louange et d'espoir . Et aussi de tout faire pour soulager les innombrables formes de pauvreté.


- Il n'y a qu'une sorte de pauvreté dont il ne faudra jamais se débarrasser, celle du coeur : le réalisme de ceux qui acceptent de se reconnaître tout-petits, et qui osent appeler Dieu à leur secours. Comme dit Saint Matthieu « Heureux les pauvres de coeur, le Royaume des cieux est à eux ».


- Il reste que la sollicitude de Dieu n'est pas une baguette magique qui ferait disparaître tout désagrément, toute souffrance de nos vies... Au désert, derrière Moïse, ou en Canaan derrière Josué, le peuple n'a pas été miraculeusement épargné de tout souci ! Mais la présence de Dieu l'accompagnait en toutes circonstances pour lui faire franchir les obstacles ; dans sa leçon sur la prière, l'évangile de Luc nous dit exactement la même chose : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe, on ouvrira. Quel père, parmi vous, si son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu de poisson ? Ou encore, s'il demande un oeuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc, vous qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l'Esprit-Saint à ceux qui le prient . » (Luc 11, 9-13).

DEUXIEME LECTURE - 2 Corinthiens 5 , 17-21

Frères,
17 si quelqu'un est en Jésus-Christ,
il est une créature nouvelle.
Le monde ancien s'en est allé,
un monde nouveau est déjà né.
18 Tout cela vient de Dieu :
il nous a réconciliés avec lui par le Christ,
et il nous a donné pour ministère
de travailler à cette réconciliation.
19 Car c'est bien Dieu
qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui ;
il effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés,
et il mettait dans notre bouche la parole de la réconciliation.
20 Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ,
et par nous c'est Dieu lui-même qui, en fait,
vous adresse un appel.
Au nom du Christ, nous vous le demandons,
laissez-vous réconcilier avec Dieu.
21 Celui qui n'a pas connu le péché,
Dieu l'a pour nous identifié au péché des hommes,
afin que, grâce à lui,
nous soyons identifiés à la justice de Dieu.




La difficulté de ce texte, c'est qu'on peut le comprendre de deux manières. Tout se joue peut-être sur la phrase qui est au centre : Dieu « effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés ». Cela peut vouloir dire deux choses : soit, première hypothèse, depuis le début du monde, Dieu fait le compte des péchés des hommes. Mais, dans sa grande miséricorde, il a quand même accepté d'effacer ce compte à cause du sacrifice de Jésus-Christ. C'est ce qu'on appelle « la substitution ». Jésus aurait porté à notre place le poids de ce compte trop lourd. Soit, deuxième hypothèse, Dieu n'a jamais fait le moindre compte des péchés des hommes et le Christ est venu dans le monde pour nous le prouver. Pour nous montrer que Dieu est depuis toujours Amour et Pardon. Comme disait déjà le psaume 102 (103) bien avant la venue du Christ, « Dieu met loin de nous nos péchés ».

Or tout le travail de la révélation biblique consiste justement à nous faire passer de la première hypothèse à la deuxième. Nous allons donc nous poser trois questions : premièrement Dieu tient-il des comptes avec nous ? Deuxièmement, peut-on parler de « substitution » pour la mort du Christ ? Troisièmement, si Dieu ne fait pas de comptes avec nous, si on ne peut pas parler de « substitution » à propos de la mort du Christ, alors comment comprendre ce texte de Paul ?


1) Tout d'abord, Dieu fait-il des comptes avec nous ? Un Dieu comptable, c'est une idée qui nous vient assez spontanément à l'esprit : probablement parce que nous sommes un peu comptables nous-mêmes à l'égard des autres ? Cette idée était incontestablement celle du peuple élu au début de l'histoire de l'Alliance ; rien d'étonnant : pour que l'homme découvre Dieu tel qu'il est vraiment, il faut que Dieu se révèle à lui. Et nous voyons, dimanche après dimanche, le travail de la révélation biblique.


Commençons par Abraham : Dieu n'a jamais parlé de
péché avec lui ; il lui a parlé d'Alliance, de Promesse, de bénédiction, de descendance : on ne trouve le mot « mérite » nulle part. La Bible note « Abraham eut foi dans le Seigneur et cela lui fut compté comme justice » (Gn 15, 6). La foi, la confiance, c'est la seule chose qui compte. Nos comportements suivront. Dieu n'en fait pas des comptes : ce qui ne veut pas dire que nous pouvons désormais faire n'importe quoi ; nous gardons notre entière responsabilité dans la construction du royaume. Ou encore, rappelons-nous les révélations successives de Dieu à Moïse, en particulier, le « Seigneur miséricordieux et bienveillant, lent à la colère et plein d'amour » ; et puis David qui a découvert (à l'occasion de son péché justement) que le pardon de Dieu précède même nos repentirs. Ou encore cette magnifique phrase où Isaïe nous dit que Dieu nous surprendra toujours parce que ses pensées ne sont pas nos pensées, précisément parce qu'il n'est que pardon pour les pécheurs. (Is 55, 6 -8)

Impossible de tout citer, mais l'Ancien Testament, déjà, savait fort bien que Dieu est tendresse et pardon et n'oublions pas que le peuple d'Israël a appelé Dieu « Père » bien avant nous. La fable de Jonas par exemple a été écrite justement pour qu'on n'oublie pas que Dieu s'intéresse au sort de ces païens de Ninivites, les ennemis héréditaires de son peuple.


2) Deuxième question, peut-on parler de « substitution » pour la mort du Christ ? Evidemment, si Dieu ne tient pas des comptes, si donc nous n'avons pas de dette à payer, nous n'avons pas besoin que Jésus se substitue à nous ; d'autre part, quand les textes du Nouveau Testament parlent de Jésus, ils parlent de solidarité, mais pas de substitution ; et d'ailleurs,
si quelqu'un pouvait agir à notre place, où serait notre liberté ? Jésus n'agit pas à notre place ; il ne se substitue pas à nous ; il n'est pas non plus notre représentant ; Jésus est notre frère aîné, le « premier-né » comme dit Paul, notre pionnier, il ouvre la voie, il marche à notre tête ; il se mêle aux pécheurs en demandant le Baptême de Jean ; sur la Croix il acceptera de mourir du péché des hommes : il se rapproche ainsi de nous pour que nous puissions nous rapprocher de lui.

3) Troisième question : mais alors, comment comprendre notre texte de Paul d'aujourd'hui ? Première conviction, Dieu n'a jamais fait le moindre compte des
péchés des hommes ; deuxième conviction, le Christ est venu dans le monde pour nous le prouver. Comme il l'a dit à Pilate « Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ». C'est-à-dire pour nous montrer que Dieu est depuis toujours Amour et Pardon. Quand Paul dit « il effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés », c'est dans nos têtes qu'il efface nos fausses idées sur un Dieu comptable.

La question rebondit : pourquoi Jésus est-il mort ? Le Christ est venu pour témoigner de ce Dieu d'amour auprès de ses contemporains ; il a essuyé le refus de cette révélation ; et il a accepté de mourir d'avoir eu trop d'audace, d'avoir été trop gênant pour les autorités en place qui savaient mieux que lui qui était Dieu. Il est mort de cet orgueil des hommes qui s'est mué en haine sans merci.

Au sein même de ce déchaînement d'orgueil, il a subi l'humiliation ; au sein de la haine, il n'a eu que des paroles de pardon. Voilà le vrai visage de Dieu enfin exposé au regard des hommes. « Qui m'a vu a vu le Père » (dit-il à Philippe, Jn 14, 9).
On comprend mieux alors la phrase : « Celui qui n'a pas connu le péché, Dieu l'a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu. » Sur le visage du Christ en croix, nous contemplons jusqu'où va l'horreur du péché des hommes ; mais aussi jusqu'où vont la douceur et le pardon de Dieu. Et de cette contemplation peut jaillir notre conversion. « Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé » disait déjà Zacharie (Za 12,10), repris par Saint Jean (Jn 19, 37).

A nous maintenant de devenir à notre tour les ambassadeurs de son message.

EVANGILE - Luc 15 , 1-3 . 11-32

Les publicains et les pécheurs
venaient tous à Jésus pour l'écouter.
2 Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :
« Cet homme fait bon accueil aux pécheurs
et mange avec eux ! »
3 Alors Jésus leur dit cette parabole :

11 « Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père :
Père, donne-moi la part d'héritage qui me revient.
Et le père fit le partage de ses biens.
13 Peu de jours après,
le plus jeune rassembla tout ce qu'il avait
et partit pour un pays lointain,
où il gaspilla sa fortune en menant une vie de désordre.
14 Quand il eut tout dépensé,
une grande famine survint dans cette région,
et il commença à se trouver dans la misère.
15 Il alla s'embaucher chez un homme du pays
qui l'envoya dans ses champs garder les porcs.
16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre
avec les gousses que mangeaient les porcs,
mais personne ne lui donnait rien.
17 Alors, il réfléchit :
Tant d'ouvriers chez mon père ont du pain en abondance,
et moi, ici je meurs de faim !
18 Je vais retourner chez mon père,
et je lui dirai :
Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi.
19 Je ne mérite plus d'être appelé ton fils.
Prends-moi comme l'un de tes ouvriers.
20 Il partit donc pour aller chez son père.
Comme il était encore loin,
son père l'aperçut et fut saisi de pitié ;
il courut se jeter à son cou
et le couvrit de baisers.
21 Le fils lui dit :
Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi.
Je ne mérite plus d'être appelé ton fils...
22 Mais le père dit à ses domestiques :
Vite, apportez le plus beau vêtement pour l'habiller.
Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds.
23 Allez chercher le veau gras, tuez-le ;
mangeons et festoyons.
24 Car mon fils que voilà était mort,
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé.
Et ils commençèrent la fête.
25 Le fils aîné était aux champs.
A son retour, quand il fut près de la maison,
il entendit la musique et les danses.
26 Appelant un des domestiques,
il demanda ce qui se passait.
27 Celui-ci répondit :
C'est ton frère qui est de retour.
Et ton père a tué le veau gras,
parce qu'il a vu revenir son fils en bonne santé.
28 Alors le fils aîné se mit en colère,
et il refusait d'entrer.
Son père, qui était sorti, le suppliait.
29 Mais il répliqua :
Il y a tant d'années que je suis à ton service
sans avoir jamais désobéi à tes ordres,
et jamais tu ne m'as donné un chevreau
pour festoyer avec mes amis.
30 Mais, quand ton fils que voilà est arrivé,
après avoir dépensé ton bien avec des filles,
tu as fait tuer pour lui le veau gras !
31 Le père répondit :
Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi,
et tout ce qui est à moi est à toi.
32 Il fallait bien festoyer et se réjouir ;
car ton frère que voilà était mort, '
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé. »


La clé de ce passage est peut-être bien dans les premières lignes : d'une part des gens qui se pressent pour écouter Jésus : ce sont ceux qui de notoriété publique sont des pécheurs (Luc dit « Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l'écouter ») ; de l'autre des gens honnêtes, qui, à chaque instant et dans les moindres détails de leur vie quotidienne, essaient de faire ce qui plaît à Dieu : des Pharisiens et des scribes ; il faut savoir que les Pharisiens étaient réellement des gens très bien : très pieux et fidèles à la Loi de Moïse ; ceux-là ne peuvent qu'être choqués : si Jésus avait un peu de discernement, il verrait à qui il a affaire ! Or, dit toujours Saint Luc « cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! » Plus grave encore, les Pharisiens étaient très conscients de la sainteté de Dieu et il y avait à leurs yeux incompatibilité totale entre Dieu et les pécheurs ; donc si Jésus était de Dieu, il ne pourrait pas côtoyer des pécheurs.

Alors Jésus raconte cette parabole pour les faire aller plus loin, pour leur faire découvrir un visage de Dieu qu'ils ne connaissent pas encore, le vrai visage de leur Père : car nous avons l'habitude de parler de la parabole de l'enfant prodigue... Mais, en fait, le personnage principal dans cette histoire, c'est le père, le Père avec un P majuscule, bien sûr. Ce Père a deux fils et ce qui est frappant dans cette histoire, c'est que ces deux fils ont au moins un point commun : leur manière de considérer leur relation avec leur père. Ils se sont conduits de manière très différente, c'est vrai, mais, finalement, leurs manières d'envisager leur relation avec leur père se ressemblent !... Il est vrai que le fils cadet a gravement offensé son père, l'autre non en apparence, mais ce n'est pas si sûr... car l'un et l'autre, en définitive, font des calculs. Celui qui a péché dit « je ne mérite plus » ; celui qui est resté fidèle dit « je mériterais bien quand même quelque chose ». L'un et l'autre envisagent leur attitude filiale en termes de comptabilité.
Le Père, lui, est à cent lieues des calculs : il ne veut pas entendre parler de mérites, ni dans un sens, ni dans l'autre ! Il aime ses fils, c'est tout. Il n'y a rien à comptabiliser. Le cadet disait « donne-moi ma part, ce qui me revient... » Le Père va beaucoup plus loin, il dit à chacun « tout ce qui est à moi est à toi ». Il ne laisse même pas le temps au fautif d'exprimer un quelconque repentir, il ne demande aucune explication ; il se précipite pour faire la fête « car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ».

Elle est bien là la leçon de cette parabole : avec Dieu, il n'est pas question de calcul, de mérites, d'arithmétique : or c'est une logique que nous abandonnons très difficilement ; toute la Bible, dès l'Ancien Testament est l'histoire de cette lente, patiente pédagogie de Dieu pour se faire connaître à nous tel qu'il est et non pas tel que nous l'imaginons. Avec lui il n'est question que d'amour gratuit... Il n'est question que de faire la fête chaque fois que nous nous rapprochons de sa maison.
Deux remarques pour terminer : d'abord un lien avec la première lecture qui est tirée du livre de Josué : elle nous rappelle que le peuple d'Israël a été nourri par la manne pendant sa traversée du désert ; mais ici il n'y a pas de manne pour le fils qui refuse de vivre avec son père ; il s'en est coupé lui-même. Deuxième remarque ; dans la parabole de la brebis perdue, dans ce même chapitre 15 de Luc, le berger va aller chercher lui-même et rattraper sa brebis perdue, mais le père ne va pas faire revenir son fils de force, il respecte trop sa liberté.

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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 23:10
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

PREMIERE LECTURE - Exode 3, 1-8a. 10. 13-15

1 Moïse gardait le troupeau de son beau-père Jéthro,
prêtre de Madiane.
Il mena le troupeau au-delà du désert
et parvint à l'Horeb, la montagne de Dieu.
2 L'Ange du Seigneur lui apparut au milieu d'un feu
qui sortait d'un buisson.
Moïse regarda : le buisson brûlait
sans se consumer.
3 Moïse se dit alors :
« Je vais faire un détour
pour voir cette chose extraordinaire :
pourquoi le buisson ne brûle-t-il pas ? »
4 Le Seigneur vit qu'il avait fait un détour pour venir regarder,
et Dieu l'appela du milieu du buisson :
« Moïse ! Moïse ! »
Il dit : « Me voici ! »
5 Dieu dit alors :
« N'approche pas d'ici !
Retire tes sandales,
car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte !
6 Je suis le Dieu de ton père,
Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. »
Moïse se voila le visage
car il craignait de porter son regard sur Dieu.
7 Le Seigneur dit à Moïse :
« J'ai vu, oui, j'ai vu la misère de mon peuple
qui est en Egypte,
et j'ai entendu ses cris
sous les coups des chefs de corvée.
Oui, je connais ses souffrances.
8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens
et le faire monter de cette terre
vers une terre spacieuse et fertile,
vers une terre ruisselant de lait et de miel,
vers le pays de Canaan.

10 Et maintenant, va !
Je t'envoie chez Pharaon :
tu feras sortir d'Egypte mon peuple, les fils d'Israël. »

13 Moïse répondit :
« J'irai donc trouver les fils d'Israël, et je leur dirai :
Le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous.
Ils vont me demander quel est son nom ;
que leur répondrai-je ? »
14 Dieu dit à Moïse :
« Je suis celui qui suis.
Tu parleras ainsi aux fils d'Israël :
Celui qui m'a envoyé vers vous, c'est JE-SUIS. »
15 Dieu dit encore à Moïse :
« Tu parleras ainsi aux fils d'Israël :
Celui qui m'a envoyé vers vous, c'est YHWH, c'est LE SEIGNEUR,
le Dieu de vos pères,
Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob.
C'est là mon nom pour toujours,
c'est le mémorial par lequel vous me célébrerez, d'âge en âge. »

Ce récit magnifique est capital pour la foi d'Israël et donc aussi pour la nôtre : c'est la première fois que l'humanité découvrait qu'elle était aimée de Dieu ; au point qu'il voit, qu'il entend, qu'il connaît nos souffrances. Seul, le peuple élu pouvait accéder à cette découverte, parce que personne au monde n'y a pensé tout seul, il a fallu la Révélation. C'est sur ce socle, cette conviction désormais inébranlable que s'est construite la foi d'Israël, et donc encore une fois la nôtre. Il faut entendre la force du texte biblique. Notre traduction liturgique est presque trop faible ; quand nous lisons « J'ai vu, oui, j'ai vu la misère de mon peuple », le texte hébreu est beaucoup plus insistant ; il faudrait traduire « pour voir, j'ai vu » ou « vraiment j'ai vu, oui, j'ai vu » la misère de mon peuple en Egypte.

Cette misère du peuple était bien réelle, effectivement. L'immigration des Hébreux avait eu lieu des siècles plus tôt, à l'occasion d'une famine, et au début les choses allaient bien ; mais au fil des siècles, ces Hébreux s'étaient multipliés et au moment de la naissance de Moïse, ils commençaient à inquiéter le pouvoir. On les gardait parce que c'était une main-d'oeuvre à bon marché, mais on venait de décider de les empêcher de se reproduire ; un bon moyen, tout bébé garçon serait tué par la sage-femme dès sa naissance. On sait comment Moïse avait échappé miraculeusement à cette mort programmée et comment il avait finalement été adopté par la fille du Pharaon et élevé à la cour. Mais il n'avait pas oublié ses origines : il était sans cesse écartelé entre sa famille adoptive et ses frères de race, réduits à l'impuissance et à la révolte. Un jour, il prit parti : témoin des violences des Egyptiens contre les Hébreux, il tua un Egyptien. Consciemment ou non, il venait de choisir son camp. Le lendemain, voyant deux Hébreux s'empoigner, il leur avait fait la morale ; mais il avait essuyé une fin de non-recevoir ; on l'avait accusé de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Ce qui signifiait que personne n'était prêt à lui confier la responsabilité de mener une quelconque révolte contre le Pharaon. En même temps, il avait entendu dire que le Pharaon avait décidé de le châtier pour le meurtre de l'Egyptien. Finie la vie à la cour, il fut obligé de s'exiler pour échapper aux représailles. Il s'enfuit dans le désert du Sinaï, il y rencontra et épousa une Madianite, Cippora, la fille de Jéthro.

C'est là que commence notre texte d'aujourd'hui : « Moïse gardait le troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à l'Horeb, la montagne de Dieu. » Moïse, est certainement à ce moment-là dans les meilleures conditions qui soient pour rencontrer Dieu et recevoir sa vocation : il est sensible à la misère de ses frères, puisqu'il a pris des risques pour s'engager à leurs côtés, en tuant un Egyptien pour sauver un Hébreu ; mais en même temps, il a pris la mesure de son impuissance : le seul geste qu'il ait osé est un échec ; il est un paria désormais, et même ses frères de race ne lui reconnaissent aucune autorité. C'est cet homme pauvre qui s'approche d'un étrange buisson en feu.
Je ferai deux remarques : tout d'abord, Dieu se révèle en même temps comme le Tout-Autre et comme le Tout-proche ; Il est le Tout-Autre, celui qu'on ne peut approcher qu'avec crainte et respect ET en même temps, il est le Tout Proche, celui qui voit la misère de son peuple et lui suscite un libérateur. Commençons par les expressions qui manifestent la sainteté de Dieu et l'immense respect de l'homme qui se trouve en sa présence : la phrase « L'Ange du Seigneur lui apparut au milieu d'un feu qui sortait d'un buisson », par exemple, est caractéristique ; pour dire la présence de Dieu lui-même dans le buisson, on prend une circonlocution ; l'expression « L'Ange du Seigneur » est une manière pudique de parler de Dieu. Ou encore, des expressions comme « N'approche pas d'ici ! Retire tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte ! » Ou enfin « Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. » En même temps, Dieu se révèle comme le Tout Proche des hommes, celui qui se penche sur leur malheur.

Deuxième remarque, il faut retenir l'articulation de l'intervention de Dieu. Il voit la souffrance des hommes, donc il intervient, donc il envoie Moïse : l'action de Dieu suppose la collaboration de celui que Dieu appelle.
...Encore faut-il que celui que Dieu appelle accepte de répondre à cet appel...
...Encore faut-il que celui qui souffre accepte d'être secouru.

PSAUME 102 ( 103 )

1 Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n'oublie aucun de ses bienfaits !

3 Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d'amour et de tendresse.

6 Le Seigneur fait oeuvre de justice,
il défend le droit des opprimés.
7 Il révèle ses desseins à Moïse,
aux enfants d'Israël ses hauts faits.

8 Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d'amour.
11 Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint.



La première lecture, avec le récit du buisson ardent (extrait du livre de l'Exode au chapitre 3) a révélé le Nom de Dieu : « Je suis celui qui suis » sous-entendu « avec vous » au plus profond de vos souffrances et de vos révoltes. En écho, notre psaume dit : « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour. Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint. » Ces deux formulations du Mystère de Dieu (« Je suis celui qui suis » et « Le Seigneur est tendresse et pitié ») se complètent mutuellement.

Revenons d'abord à l'épisode du Buisson Ardent : on sait bien qu'il ne faut pas entendre l'expression « Je suis celui qui suis » comme une définition, comme en philosophie on cherche à définir un concept ; la répétition du verbe « Je suis » est une tournure de la langue hébraïque, pour dire l'intensité. Dieu a commencé par rappeler la longue histoire d'Alliance avec les Pères : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. » Ce qui voulait déjà dire la fidélité de Dieu à son peuple depuis des siècles et à travers toute l'épaisseur d'une histoire. Puis il a dit sa compassion pour le peuple humilié, réduit à l'esclavage en Egypte ; enfin seulement il révèle son Nom « Je suis ». La première découverte que Moïse a faite au Sinaï, c'est donc cette Présence intense de Dieu au coeur de la détresse des hommes. Il aura retenu pour toujours cette révélation surprenante : « J'ai vu, (dit Dieu) oui, vraiment, j'ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte, et j'ai entendu ses cris sous les coups des chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer... » Moïse l'a tellement bien retenue qu'il a puisé là l'incroyable énergie qui a fait d'un homme seul, exilé, rejeté par tous, le meneur infatigable que l'on sait et le libérateur de son peuple.

Quand le peuple d'Israël se souvient de cette aventure inouïe, il sait bien que son premier libérateur, c'est Dieu, Moïse n'en est que l'instrument. Le « Me voici » de Moïse (comme celui d'Abraham, comme celui de tant d'autres depuis) est la réponse qui permet à Dieu de réaliser sa grande oeuvre de libération de l'humanité. Et, désormais, quand on dit « LE SEIGNEUR », qui est la traduction française des quatre lettres (YHWH) du Nom de Dieu, on pense à cette Présence libératrice.

La vision de Moïse qui accompagnait cette révélation du Nom permet de mieux entrer dans ce mystère de la Présence de Dieu ; rappelons-nous le début du récit du Buisson Ardent : « L'Ange du Seigneur apparut à Moïse au milieu d'un feu qui sortait d'un buisson. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. » (Ex 3, 2).

Dieu se révèle donc de deux manières à la fois : dans cette vision et dans la parole qui dit son Nom. Devant cette flamme qui jaillit d'un buisson sans le consumer, Moïse est invité à comprendre que Dieu, comparé à un feu, est au milieu de son peuple (le buisson). Et cette Présence de Dieu au milieu de son peuple ne le détruit pas, ne le consume pas. Moïse, dont le premier réflexe a été de se voiler le visage, comprend alors qu'il n'y a pas à avoir peur. Du coup, la vocation du peuple est dite en même temps : il est le lieu choisi par Dieu pour manifester sa Présence ; et, désormais, le peuple choisi témoignera au milieu du monde que Dieu est au milieu des hommes et que ceux-ci n'ont rien à craindre.

Dans le psaume d'aujourd'hui, ce Nom de Dieu est explicité par une autre formule que nous connaissons bien « LE SEIGNEUR est tendresse et pitié ». C'est la reprise exacte d'une autre révélation de Dieu à Moïse (Ex 34, 6). Ces deux révélations n'en font qu'une et le psaume développe : « Le Seigneur fait oeuvre de justice, il défend le droit des opprimés. Il révèle ses desseins à Moïse, aux enfants d'Israël ses hauts faits. » Il s'agit de l'Exode, bien sûr. Mais Dieu est toujours le même, de toujours à toujours, il est cette Présence, cette flamme, au milieu de nous, feu de tendresse et de pitié.

Et c'est de cela que nous avons à témoigner ; si Dieu a choisi un peuple pour être son témoin au milieu du monde, c'est d'abord parce que le monde a besoin de ce témoignage : les hommes meurent de ne pas connaître cette flamme ; mais aussi, parce que seul le témoignage d'un peuple qui vit de cette flamme pourra la faire connaître. D'où la prédication des prophètes sur ces deux aspects de la vocation d'Israël : premièrement, oser témoigner de sa foi, de la révélation dont il est porteur ; deuxièmement, à l'image de son Seigneur, faire oeuvre de justice et défendre le droit des opprimés.

Sur le premier point, celui du témoignage, c'est la lutte opiniâtre des prophètes contre l'idolâtrie : le peuple qui a expérimenté dans son histoire la présence du Dieu qui voit ses souffrances, et qui entend ses cris, ne peut plus se confier à des idoles de bois ou de pierre : « elles ont des yeux, et ne voient pas ; elles ont des oreilles et n'entendent pas... » comme dit le psaume 115 (6).*

Sur le deuxième point, les prophètes sont tout aussi catégoriques ; témoin, par exemple, ce passage d'Isaïe que nous réentendons chaque année pendant le Carême : « Le jeûne que je préfère, dit Dieu, n'est-ce pas ceci ? Dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref, que vous mettiez en pièces tous les jougs ! N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu'un nu, tu le couvriras ; devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. » (Is 58, 6 - 7). A ce prix seulement, nous serons à l'image et à la ressemblance du Dieu de tendresse et de pitié.

***
* Isaïe (44, 12-18) raille ceux qui coupent un morceau de bois en deux pour se chauffer avec l'un des morceaux et de l'autre faire une statue devant laquelle ensuite ils se prosterneront. Et il ajoute « Qu'un homme crie vers ce dieu, il ne lui répond pas, de sa détresse il ne le sauve pas. » (Is 46, 7).

DEUXIEME LECTURE - 1 Co 10 , 1...12

1 Frères,
je ne voudrais pas vous laisser ignorer
ce qui s'est passé lors de la sortie d'Egypte.
Nos ancêtres ont tous été sous la protection de la colonne de nuée,
et tous ils ont passé la mer Rouge.
2 Tous, ils ont été pour ainsi dire baptisés en Moïse,
dans la nuée et dans la mer ;
3 tous, ils ont mangé la même nourriture, qui était spirituelle ;
4 tous ils ont bu à la même source, qui était spirituelle ;
car ils buvaient à un rocher qui les accompagnait,
et ce rocher c'était déjà le Christ.
5 Cependant, la plupart n'ont fait que déplaire à Dieu,
et ils sont tombés au désert.
6 Ces événements étaient destinés à nous servir d'exemple,
pour nous empêcher de désirer le mal
comme l'ont fait nos pères.

10 Cessez de récriminer contre Dieu
comme l'ont fait certains d'entre eux :
ils ont été exterminés.
11 Leur histoire devait servir d'exemple,
et l'Ecriture l'a racontée pour nous avertir,
nous qui voyons arriver la fin des temps.
12 Ainsi donc, celui qui se croit solide,
qu'il fasse attention à ne pas tomber.




Apparemment, la communauté de Corinthe n'était pas à l'abri des tentations : dans les premiers chapitres de sa lettre, Paul a traité de quelques cas bien concrets : il a nommé les débauchés, les idolâtres, les adultères, les voleurs, les accapareurs, les ivrognes, les calomniateurs et les filous. Ici, de nouveau, Paul avertit ses lecteurs : la leçon qu'il va développer est grave ; il commence solennellement par la phrase « Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer ce qui s'est passé lors de la sortie d'Egypte... » et il termine par « celui qui se croit solide, qu'il fasse attention à ne pas tomber ». Pour le dire autrement, ne vous surestimez pas, personne n'est à l'abri de la tentation.

Pour appuyer ces conseils d'humilité, il nous propose une lecture de toute l'histoire du peuple d'Israël pendant l'Exode : histoire faite des dons de Dieu, d'une part, mais histoire faite aussi de la versatilité de l'homme : Dieu s'est montré comme il l'avait dit à Moïse... le Dieu fidèle, le Dieu présent à son peuple dans son difficile chemin vers la liberté, à travers le désert du Sinaï. En réponse, il n'a rencontré bien souvent qu'ingratitude : à de multiples reprises, le peuple a trahi l'Alliance.

Reprenons les diverses étapes de l'Exode, telles que Paul les relit ; dès le départ des fuyards, avant même le passage de la Mer Rouge, le livre de l'Exode note que Dieu avait pris lui-même la direction des opérations : « Le Seigneur lui-même marchait à leur tête. Colonne de nuée le jour, pour leur ouvrir la route - colonne de feu la nuit, pour les éclairer ; ils pouvaient ainsi marcher jour et nuit. Le jour, la colonne de nuée ne quittait pas la tête du peuple ; ni la nuit, la colonne de feu. » (Ex 13, 21 - 22). Mais, dès le premier campement, le peuple reprend peur en voyant les Egyptiens à leur poursuite, et se révolte contre Moïse : « Les fils d'Israël eurent grand-peur et crièrent vers le Seigneur. Ils dirent à Moïse : L'Egypte manquait-elle de tombeaux pour que tu nous aies emmenés mourir au désert ? Que nous as-tu fait là, en nous faisant sortir d'Egypte ? Ne te l'avions-nous pas déjà dit en Egypte : Laisse-nous servir les Egyptiens ! Mieux vaut pour nous servir les Egyptiens que mourir au désert. » (Ex 14, 11).

Et la même histoire va se répéter à chaque nouvelle difficulté : le chemin de la liberté est semé d'embûches et la tentation est grande de retomber dans son ancien esclavage. C'est exactement le message que Paul adresse aux Corinthiens : traduisez « Christ vous a libérés, mais vous êtes bien souvent tentés de retomber dans vos errances antérieures, sans vous apercevoir que toutes ces mauvaises conduites font de vous des esclaves. Le chemin du Christ vous paraît rude, mais faites-lui confiance, lui seul est libérateur. »

L'étape suivante de l'Exode, ce fut le passage de la mer : la situation était désespérée ; quelques fuyards acculés à la mer, et derrière eux, une armée bien équipée et décidée à les rattraper. C'est alors que Dieu intervient : « L'ange de Dieu qui marchait en avant du camp d'Israël partit et passa sur leur arrière. La colonne de nuée partit de devant eux et se tint sur leurs arrières. Elle s'inséra entre le camp des Egyptiens et le camp d'Israël. » Ainsi protégé, le peuple put traverser la mer qui s'écarta pour les laisser passer : « Le Seigneur refoula la mer toute la nuit par un vent d'Est puissant et il mit la mer à sec. » (Ex 14, 19-21).

Mais les épreuves n'étaient pas finies pour autant et à bien des reprises les Israélites ont eu tout loisir de regretter la sécurité de l'Egypte : ils étaient libres, certes, mais dans ce désert, on manquait de tout et les dangers, eux, ne manquaient pas. Ils ont connu la faim, ils ont connu la soif ; mais à chaque nouvelle difficulté, au lieu de faire confiance, de savoir d'avance que Dieu interviendrait, le peuple a commencé par se plaindre et se révolter. L'épisode qui résume le mieux ce problème sans cesse renaissant, c'est celui du manque d'eau et du Rocher, justement. Quand le peuple a commencé à ressentir vraiment la soif, les récriminations ont commencé et Moïse a eu bien peur d'être lapidé. Mais à travers lui, c'est Dieu lui-même qu'on accusait : « Pourquoi donc, dit-il, nous as-tu fait monter d'Egypte ? Pour me laisser mourir de soif, moi, mes fils et mes troupeaux ? » C'est là que Moïse a frappé le Rocher et il en est sorti de l'eau. Ensuite il a baptisé ce lieu Massa et Meriba, qui veut dire « Epreuve et Querelle » car, disait-il, « ici, le peuple mit le Seigneur à l'épreuve en disant Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? » (Ex 17, 3-7).

Les problèmes qui se posent aux Corinthiens ne sont plus les mêmes, évidemment ; mais il existe d'autres Egyptes, d'autres esclavages ; pour ces nouveaux Chrétiens, il y a des choix à faire au nom de leur Baptême, il y a des conduites qu'on ne peut plus tenir. Et ces choix peuvent être douloureux ; pensez par exemple aux exigences du catéchuménat

Ce n'est peut-être pas un hasard si, pendant le temps du Carême, l'Eglise nous donne à méditer ce texte de Paul fait à la fois d'exigence pour nous-mêmes et de confiance en Dieu.
pour les premiers Chrétiens : elles signifiaient de vrais renoncements à des comportements, à des relations, à un métier, parfois ; renoncements auxquels on ne peut consentir que si on met toute sa confiance en Jésus-Christ. Dans la société mélangée et particulièrement laxiste de Corinthe, afficher un comportement chrétien relevait du courage. Mais ce qui semble folie pour les hommes est véritable sagesse aux yeux de Dieu.

EVANGILE - Luc 13, 1-9

1 Un jour, des gens vinrent rapporter à Jésus l'affaire des Galiléens
que Pilate avait fait massacrer
pendant qu'ils offraient un sacrifice.
2 Jésus leur répondit :
« Pensez-vous que ces Galiléens
étaient de plus grands pécheurs
que tous les autres Galiléens,
pour avoir subi un tel sort ?
3 Eh bien non, je vous le dis ;
et si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous comme eux.
4 Et ces dix-huit personnes
tuées par la chute de la tour de Siloé,
pensez-vous qu'elles étaient plus coupables
que tous les autres habitants de Jérusalem ?
5 Eh bien non, je vous le dis ;
et si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de la même manière. »
6 Jésus leur disait encore cette parabole :
« Un homme avait un figuier planté dans sa vigne.
Il vint chercher du fruit sur ce figuier,
et n'en trouva pas.
7 Il dit alors à son vigneron :
Voilà trois ans que je viens
chercher du fruit sur ce figuier,
et je n'en trouve pas.
Coupe-le.
A quoi bon le laisser épuiser le sol ?
8 Mais le vigneron lui répondit :
Seigneur, laisse-le encore cette année,
le temps que je bêche autour
pour y mettre du fumier.
9 Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir.
Sinon, tu le couperas. »



Voilà bien un texte étonnant ! Il rassemble deux « faits divers », un commentaire de Jésus et la parabole du figuier. A première vue, ce rapprochement nous surprend, mais si Luc nous le propose, c'est sûrement intentionnel ! Et alors on peut penser que la parabole est là pour nous faire comprendre ce dont il est question dans le commentaire de Jésus sur les deux faits divers.

Premier fait divers, l'affaire des Galiléens : en soi, il n'a rien de surprenant, la cruauté de Pilate était connue ; l'hypothèse la plus vraisemblable, c'est que des Galiléens venus en pèlerinage à Jérusalem ont été accusés (à tort ou à raison ?) d'être des opposants au pouvoir politique romain ; on sait que l'occupation romaine était très mal tolérée par une grande partie du peuple juif, et c'est bien de Galilée qu'à l'époque de la naissance de Jésus était partie la révolte de Judas, le Galiléen. Ces pèlerins auraient donc été massacrés sur ordre de Pilate au moment où ils étaient rassemblés dans le Temple de Jérusalem pour offrir un sacrifice. Quant à l'écroulement de la tour de Siloé, deuxième fait divers, c'était une catastrophe comme il en arrive tous les jours.

D'après la réponse de Jésus, on devine la question qui est sur les lèvres de ses disciples : elle devait ressembler à celle que nous formulons souvent dans des occasions semblables : « Qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu pour qu'il m'arrive ceci ou cela ? »
C'est l'éternelle question de l'origine de la souffrance, le problème jamais résolu ! Dans la Bible, c'est le livre de Job qui pose ce problème de la manière la plus aiguë et il énumère toutes les explications que les hommes inventent depuis que le monde est monde. Parmi les explications avancées par l'entourage de Job accablé par toutes les souffrances possibles, la plus fréquente était que la souffrance serait la punition du péché. J'ai bien dit « serait » ! Car la conclusion du livre de Job est très claire : la souffrance n'est pas la punition du péché ! A la fin du livre, d'ailleurs, c'est Dieu lui-même qui parle : il ne nous donne aucune explication et déclare nulles toutes celles que les hommes ont inventées ; Dieu vient seulement demander à Job de reconnaître deux choses : premièrement, que la maîtrise des événements lui échappe et deuxièmement, qu'il lui faut les vivre sans jamais perdre confiance en son Créateur.

Devant l'horreur du massacre des Galiléens et de la catastrophe de la tour de Siloé, Jésus est sommé de répondre à son tour ; la question du mal se pose évidemment et les disciples n'échappent pas à la tentative d'explication : l'idée d'une relation avec le péché semble être venue spontanément à leur esprit. La réponse de Jésus est catégorique : il n'y a pas de lien direct entre la souffrance et le péché. Non, ces Galiléens n'étaient pas plus pécheurs que les autres... non, les dix-huit personnes écrasées par la tour de Siloé n'étaient pas plus coupables que les autres habitants de Jérusalem. Là Jésus reprend exactement la même position que la conclusion du Livre de Job.

Mais il poursuit et à partir de ces deux faits, il va inviter ses apôtres à une véritable conversion. Il le fait avec énergie et il insiste sur l'urgence de la conversion. Là, on croit entendre les prophètes comme Amos ou Isaïe, ou tant d'autres. Mais il ajoute aussitôt la parabole du figuier qui vient tempérer la rudesse apparente de ses propos. Elle nous dit combien les moeurs divines sont différentes des moeurs humaines, car elle nous révèle un Dieu plein de patience et d'indulgence ! A vues humaines, un figuier stérile qui épuise inutilement le sol de la vigne, il n'y a qu'une chose à faire, c'est le couper ! Traduisez, « si on était Dieu, les pécheurs, on les éliminerait ! » Mais les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes ! « Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu'il se convertisse et qu'il vive » disait déjà Ezéchiel (Ez 18, 23 ; 33, 11). La conversion que Jésus demande à ses disciples ne porte donc pas d'abord sur des comportements ; ce qu'il faut changer de toute urgence, c'est notre représentation d'un Dieu punisseur.

Bien plus, c'est en face du mal justement, qu'il faut nous rappeler que Dieu est « tendresse et pitié » comme dit le psaume de ce dimanche ; qu'il est « miséricordieux », c'est-à-dire penché sur nos misères. La conversion qui nous est demandée ne serait-ce pas tout simplement celle-ci ? A savoir nous mettre une fois pour toutes à croire à l'infinie patience et miséricorde de Dieu ? Et là encore, Jésus reprend bien à son compte les conclusions du livre de Job : ne cherchez pas à expliquer la souffrance ni par le péché, ni par autre chose, mais vivez dans la confiance en Dieu.

Alors les deux phrases « si vous ne vous convertissez pas... vous périrez de la même manière » voudraient dire quelque chose comme : L'humanité court à sa perte parce qu'elle ne fait pas confiance à Dieu. C'est toujours la même histoire : nous sommes comme le peuple d'Israël au désert, dont Paul rappelait l'aventure dans la deuxième lecture ; notre liberté doit choisir entre la confiance en Dieu et le soupçon : choisir la confiance, c'est croire une fois pour toutes que le dessein de Dieu est bienveillant ; ce simple retournement de nos coeurs changerait la face du monde !

 

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26 février 2010 5 26 /02 /février /2010 07:27
Je souscris entièrement à cet article de Francis Richard, trouvé sur son blog (excellent, à mon avis).

Une nouvelle initiative populaire fédérale est née. Elle porte ce titre paradoxal : Pour une loi libérale sur l'interdiction de fumer. Elle n'en est pas moins une bonne initiative. Pourquoi ? Parce que si elle aboutit, elle restaurera une liberté individuelle fondamentale qui est celle de rester maître chez soi, basée sur un droit tout aussi fondamental qui est le droit de propriété. Lire la suite.

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24 février 2010 3 24 /02 /février /2010 23:42
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

PREMIERE LECTURE - Genèse 15, 5-12. 17-18

Le Seigneur parlait à Abraham dans une vision.
5 Puis il le fit sortir et lui dit :
« Regarde le ciel,
et compte les étoiles si tu le peux... »
Et il déclara :
« Vois quelle descendance tu auras ! »
6 Abraham eut foi dans le Seigneur,
et le Seigneur estima qu'il était juste.
7 Puis il dit :
« Je suis le Seigneur,
qui t'ai fait sortir d'Ur en Chaldée
pour te mettre en possession de ce pays. »
8 Abraham répondit :
« Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir
que j'en ai la possession ? »
9 Le Seigneur lui dit :
« Prends-moi une génisse de trois ans,
une chèvre de trois ans,
un bélier de trois ans,
une tourterelle et une jeune colombe. »
10 Abraham prit tous ces animaux,
les partagea en deux,
et plaça chaque moitié en face de l'autre ;
mais il ne partagea pas les oiseaux.
11 Comme les rapaces descendaient sur les morceaux,
Abraham les écarta.
12 Au coucher du soleil,
un sommeil mystérieux s'empara d'Abraham,
une sombre et profonde frayeur le saisit.

17 Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses.
Alors un brasier fumant et une torche enflammée
passèrent entre les quartiers d'animaux.
18 Ce jour-là, le Seigneur conclut une Alliance avec Abraham
en ces termes :
« A ta descendance
je donne le pays que voici. »

A l'époque d'Abraham, lorsque deux chefs de tribus faisaient alliance, ils accomplissaient tout un cérémonial semblable à celui auquel nous assistons ici : des animaux adultes, en pleine force de l'âge, étaient sacrifiés ; les animaux « partagés en deux », écartelés, étaient le signe de ce qui attendait celui des contractants qui ne respecterait pas ses engagements. Cela revenait à dire : « Qu'il me soit fait ce qui a été fait à ces animaux si je ne suis pas fidèle à l'alliance que nous contractons aujourd'hui ». Ordinairement, les contractants passaient tous les deux entre les morceaux, pieds nus dans le sang : ils partageaient d'une certaine manière le sang, donc la vie ; ils devenaient en quelque sorte « consanguins ». Pourquoi cette précision que les animaux devaient être âgés de trois ans ? Tout simplement parce que les mamans allaitaient généralement leurs enfants jusqu'à trois ans ; ce chiffre était donc devenu symbolique d'une certaine maturité : l'animal de trois ans était censé être adulte.

Ici Abraham accomplit donc les rites habituels des alliances ; mais pour une alliance avec Dieu, cette fois. Tout est semblable aux habitudes et pourtant tout est différent, précisément parce que, pour la première fois de l'histoire humaine, l'un des contractants est Dieu lui-même.

Commençons par ce qui est semblable : « Abraham prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l'autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les morceaux, Abraham les écarta. » La mention des rapaces est intéressante : Abraham les écarte parce qu'il les considère comme des oiseaux de mauvais augure ; cela nous prouve que le texte est très ancien : Abraham découvre le vrai Dieu, mais la superstition n'est pas loin.

Ce qui est inhabituel maintenant : « Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux s'empara d'Abraham, une sombre et profonde frayeur le saisit. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d'animaux. » A propos d'Abraham, le texte parle de « sommeil mystérieux » : ce n'est pas le mot du vocabulaire courant ; c'était déjà celui employé pour désigner le sommeil d'Adam pendant que Dieu créait la femme ; manière de nous dire que l'homme ne peut pas assister à l'oeuvre de Dieu : quand l'homme se réveille (Adam ou Abraham), c'est une aube nouvelle, une création nouvelle qui commence. Manière aussi de nous dire que l'homme et Dieu ne sont pas à égalité dans l'oeuvre de création, dans l'oeuvre d'Alliance ; c'est Dieu qui a toute l'initiative, il suffira à l'homme de faire confiance : « Abraham eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu'il était juste »...

« Un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d'animaux » : la présence de Dieu est symbolisée par le feu comme souvent dans la Bible ; depuis le Buisson ardent, la fumée du Sinaï, la colonne de feu qui accompagnait le peuple de Dieu pendant l'Exode dans le désert jusqu'aux langues de feu de la Pentecôte.

Venons-en aux termes de l'Alliance ; Dieu promet deux choses à Abraham : une descendance et un pays. Les deux mots « descendance » et « pays » sont utilisés en inclusion dans ce récit ; au début, Dieu avait dit : « Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux... Vois quelle descendance tu auras !... Je suis le Seigneur qui t'ai fait sortir d'Ur en Chaldée pour te mettre en possession de ce pays » et à la fin « A ta descendance je donne le pays que voici. » Soyons francs, cette promesse adressée à un vieillard sans enfant est pour le moins surprenante ; ce n'est pas la première fois que Dieu fait cette promesse et pour l'instant, Abraham n'en a pas vu l'ombre d'une réalisation. Depuis des années déjà, il marche et marche encore en s'appuyant sur la seule promesse de ce Dieu jusqu'ici inconnu pour lui. Rappelons-nous le tout premier récit de sa vocation : « Va pour toi, loin de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation... » (Gn 12, 1). Et dès ce jour-là, le texte biblique notait l'extraordinaire foi de l'ancêtre qui était parti tout simplement sans poser de questions : « Abraham partit comme le Seigneur le lui avait dit. »

Ici, le texte constate : « Abraham eut foi dans le Seigneur, et le Seigneur estima qu'il était juste. » C'est la première apparition du mot « Foi » dans la Bible : c'est l'irruption de la Foi dans l'histoire des hommes. Le mot « croire » en hébreu vient d'une racine qui signifie « tenir fermement » (notre mot « Amen » vient de la même racine). Croire c'est « TENIR », faire confiance jusqu'au bout, même dans le doute, le découragement, ou l'angoisse. Telle est l'attitude d'Abraham ; et c'est pour cela que Dieu le considère comme un juste. Car, le Juste, dans la Bible, c'est l'homme dont la volonté, la conduite sont accordées à la volonté, au projet de Dieu. Plus tard, Saint Paul s'appuiera sur cette phrase du livre de la Genèse pour affirmer que le salut n'est pas une affaire de mérites. « Si tu crois... tu seras sauvé » (Rm 10, 9). Si je comprends bien, Dieu donne : il ne demande qu'une seule chose à l'homme.... y croire.
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Compléments
v.7 : « Je suis le Seigneur qui t'ai fait sortir d'Our en Chaldée » ; c'est le même mot que pour la sortie d'Egypte avec Moïse, six cents ans plus tard : l'oeuvre de Dieu est présentée dès le début comme une oeuvre de libération.

PSAUME 26 (27), 1, 7-8, 9a-d, 13-14

1 Le Seigneur est ma lumière et mon salut,
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie,
devant qui tremblerais-je ?

7 Ecoute, Seigneur, je t'appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
8 Mon coeur m'a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

9 C'est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N'écarte pas ton serviteur avec colère,
tu restes mon secours.

13 J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
14 « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
Espère le Seigneur. »

En peu de mots, tout est dit ; la tranquille certitude : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? » mais aussi l'ardente supplication : « Ecoute, Seigneur, je t'appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! » Et ces états d'âme sont si contrastés qu'on pourrait presque se demander si c'est bien la même personne qui parle d'un bout à l'autre. Mais oui, bien sûr, c'est la même foi qui s'exprime dans l'exultation ou dans la supplication selon les circonstances.

Circonstances gaies, circonstances tristes, le peuple d'Israël a tout connu ! Et au milieu de toutes ces aventures, il a gardé confiance, ou mieux « il a approfondi » sa foi. Enfin, entre la première et la dernière strophes, il faut noter le passage du présent au futur : première strophe, « Le Seigneur EST ma lumière et mon salut », voilà le langage de la foi, cette confiance indéracinable ; dernière strophe, « Je VERRAI la bonté du Seigneur... » et la fin « ESPERE »... l'espérance, c'est la foi conjuguée au futur.

Nous avons déjà rencontré ce psaume à plusieurs reprises au cours des trois années liturgiques ; aujourd'hui, arrêtons-nous sur deux expressions, « C'est ta face, Seigneur, que je cherche » et « Je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. » Tout d'abord, « C'est ta face, Seigneur, que je cherche » ; voir la face de Dieu, c'est le désir, la soif de tous les croyants : l'homme créé à l'image de Dieu est comme aimanté par son Créateur. Moïse a supplié : « Fais-moi donc voir ta gloire ! » et le Seigneur lui a répondu : « Tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne saurait me voir et vivre... Voici un lieu près de moi. Tu te tiendras sur le rocher. Alors, quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et, de ma main, je t'abriterai tant que je passerai. Puis, j'écarterai ma main et tu me verras de dos ; mais ma face, on ne peut la voir. » (Ex 33, 18... 23). Ce qui est magnifique dans ce texte, c'est qu'il préserve à la fois la grandeur de Dieu, son inaccessibilité, et en même temps sa proximité et sa délicatesse.

Dieu est tellement immense pour nous que nous ne pouvons pas le voir de nos yeux ; le rayonnement de sa Présence ineffable, inaccessible, ce que les textes appellent sa gloire, est trop éblouissant pour nous ; nos yeux ne supportent pas de fixer le soleil, comment pourrions-nous regarder Dieu ? Mais en même temps, et c'est la merveille de la foi biblique, cette grandeur de Dieu n'écrase pas l'homme, bien au contraire, elle le protège, elle est sa sécurité. L'immense respect qui envahit le croyant mis en présence de Dieu n'est donc pas de la peur, mais ce mélange de totale confiance et d'infini respect que la Bible appelle « crainte de Dieu ».

Ceci peut nous permettre de comprendre le premier verset : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? » ; cela veut dire deux choses, au moins : premièrement, le peuple croyant n'a plus peur de rien ni de personne, y compris de la mort. Deuxièmement, aucun autre dieu ne lui inspirera jamais plus ce sentiment religieux de crainte. Le verset suivant ne fait que redire la même chose : « Le Seigneur est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? »

Cette confiance s'exprime encore dans la dernière strophe de notre psaume : « J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. » A la suite de Moïse, le peuple libéré par lui compte sur les bienfaits de Dieu. Mais quelle est cette « terre des vivants » ? Certainement, d'abord, la terre donnée par Dieu à son peuple et dont la possession est devenue tout un symbole pour Israël ; symbole des dons de Dieu, elle est aussi le rappel des exigences de l'Alliance : la terre sainte a été donnée au peuple élu pour qu'il y vive « saintement ».

C'est l'un des thèmes majeurs du livre du Deutéronome par exemple : « Vous veillerez à agir comme vous l'a ordonné le Seigneur votre Dieu sans vous écarter ni à droite ni à gauche. Vous marcherez toujours sur le chemin que le Seigneur votre Dieu vous a prescrit, afin que vous restiez en vie, que vous soyez heureux et que vous prolongiez vos jours dans le pays dont vous allez prendre possession. » (Dt 5, 32-33). Les « vivants » au sens biblique, ce sont les croyants.

Ne voyons donc pas dans cette expression « terre des vivants » une allusion consciente à une quelconque vie éternelle : quand le psaume a été composé, il ne venait à l'idée de personne que l'homme puisse espérer un horizon autre que terrestre ; personne n'imaginait que nous soyons appelés à ressusciter ; on sait que cette foi ne s'est développée en Israël qu'à partir du deuxième siècle av.J.C. Mais, désormais, pour nous, Chrétiens, brille la lumière de la Résurrection du Christ ; à sa suite et avec lui, nous pouvons dire : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants », et pour nous, désormais, cela veut dire la terre des ressuscités.

DEUXIEME LECTURE - Philippiens 3, 17 - 4, 1

3, 17 Frères,
prenez-moi tous pour modèle,
et regardez bien ceux qui vivent
selon l'exemple que nous vous donnons.
18 Car je vous l'ai souvent dit,
et maintenant je le redis en pleurant :
beaucoup de gens vivent en ennemis de la croix du Christ.
19 Ils vont tous à leur perte.
Leur dieu, c'est leur ventre,
et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ;
ils ne tendent que vers les choses de la terre.
20 Mais nous, nous sommes citoyens des cieux ;
c'est à ce titre que nous attendons comme sauveur
le Seigneur Jésus-Christ,
21 lui qui transformera nos pauvres corps
à l'image de son corps glorieux,
avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer.
4, 1 Ainsi, mes frères bien-aimés que je désire tant revoir,
vous, ma joie et ma récompense,
tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.


L'heure est grave, sûrement, puisque, Paul l'avoue lui-même, c'est en pleurant qu'il dit aux Philippiens : « Tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés. » On croit entendre « tenez bon comme moi-même je tiens bon ». Puisqu'il dit : « Frères, prenez-moi tous pour modèle » : une telle phrase nous surprend un peu ! D'autant plus qu'au moment où il écrit, Paul est loin et il est en prison. Mais justement, le problème des Philippiens, c'est qu'en l'absence de Paul, certains autres se présentent comme modèles et Paul veut à tout prix empêcher ses chers Philippiens de tomber dans le panneau. Au début de sa lettre, il leur a dit : « Voici ma prière : que votre amour abonde encore, et de plus en plus, en clairvoyance et pleine intelligence, pour discerner ce qui convient le mieux. » (1, 9 - 10). Quel est le problème ? Pour le comprendre, il faut se rappeler le contexte ; il apparaît un peu plus haut dans cette lettre ; des « mauvais ouvriers », comme dit Paul, se sont introduits dans la communauté et sèment le trouble : ils prétendent que la circoncision est nécessaire pour tous les Chrétiens. Paul a tout de suite saisi la gravité de l'enjeu théologique : si la circoncision est nécessaire, c'est que le Baptême ne suffit pas. Mais alors que devient la phrase de Jésus : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » ?

La question est fondamentale, et on sait par les Actes des Apôtres et les autres lettres de Paul qu'elle a pendant un temps divisé les Chrétiens ; de deux choses l'une : ou bien l'événement de la « croix du Christ » a eu lieu... ou bien non ! Et quand Paul dit « croix du Christ », il veut dire tout ensemble sa Passion, sa Mort, et sa Résurrection... Si cet événement a eu lieu... la face du monde est changée : Christ a fait la paix par le sang de sa croix... On trouve de nombreuses affirmations de ce genre sous la plume de Paul ; pour lui, la croix du Christ est vraiment l'événement central de l'histoire de l'humanité. Et alors on ne peut plus penser comme avant, raisonner comme avant, vivre comme avant. Ceux qui affirment que le rite de la circoncision reste indispensable font comme si l'événement de la « croix du Christ » n'avait pas eu lieu. C'est pour cela que Paul les appelle les « ennemis de la croix du Christ ».

Apparemment, les Philippiens sont hésitants puisque Paul les met très sévèrement en garde : dans un passage précédent, il a dit « Prenez garde aux chiens ! Prenez garde aux mauvais ouvriers ! Prenez garde aux faux circoncis ! » (3, 2) Et il a ajouté : « Car les circoncis, (sous-entendu les vrais) c'est nous, qui rendons notre culte par l'Esprit de Dieu, qui plaçons notre gloire en Jésus-Christ, qui ne nous confions pas en nous-mêmes. » Là, il manie un peu le paradoxe : pour lui, les « vrais circoncis », ce sont ceux qui ne sont pas circoncis dans leur chair, mais qui sont baptisés en Jésus-Christ : ils misent toute leur existence et leur salut sur Jésus-Christ ; ils attendent leur salut de la croix du Christ et non de leurs pratiques.

A l'inverse, et c'est là le paradoxe, il traite de « faux circoncis » ceux qui, justement, ont reçu la circoncision dans leur chair, selon la loi de Moïse. Car ils attachent à ce rite plus d'importance qu'au Baptême. Quand Paul dit « leur dieu c'est leur ventre », c'est à la circoncision qu'il fait allusion. Comment peut-on mettre en balance le rite extérieur de la circoncision et le Baptême qui transforme l'être tout entier des Chrétiens en les plongeant dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ ?

Nous sommes là au niveau du contenu de la foi ; mais Paul voit encore un autre danger, au niveau de l'attitude même du croyant ; là encore, de deux choses l'une : ou bien nous gagnons notre salut par nous-mêmes et par nos pratiques, ou bien nous le recevons gratuitement de Dieu. L'expression « leur dieu c'est leur ventre » va jusque-là : ces gens-là misent sur leurs pratiques juives mais ils se trompent. « Ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne tendent que vers les choses de la terre. » Adopter cette attitude-là, c'est faire fausse route : « Ils vont tous à leur perte », dit Paul.

Et il continue, indiquant ainsi le bon choix à ses chers Philippiens : « Mais nous, nous sommes citoyens des cieux ; c'est à ce titre que nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux, avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer. » Dire que nous attendons Jésus-Christ comme sauveur, c'est dire que nous mettons toute notre confiance en lui et pas en nous-mêmes et en nos mérites. Reprenons ce qu'il disait plus haut : « Car les circoncis (sous-entendu les vrais), c'est nous, qui rendons notre culte par l'Esprit de Dieu, qui plaçons notre gloire en Jésus-Christ, qui ne nous confions pas en nous-mêmes. »

Et c'est là qu'il peut se poser en modèle : s'il y en avait un qui avait des mérites à faire valoir, selon la loi juive, c'était lui ; quelques versets plus haut, il écrivait : « Pourtant, j'ai des raisons d'avoir confiance en moi-même. Si un autre croit pouvoir se confier en lui-même, je le peux davantage, moi, circoncis le huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils d'Hébreux ; pour la loi, Pharisien ; pour le zèle, persécuteur de l'Eglise ; pour la justice qu'on trouve dans la loi, devenu irréprochable. Or toutes ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai considérées comme une perte à cause du Christ. » (Phi 3, 4-7). En résumé, prendre modèle sur Paul, c'est faire de Jésus-Christ et non de nos pratiques le centre de notre vie ; c'est cela qu'il appelle être « citoyens des cieux ».

 

EVANGILE - Luc 9, 28-36

28 Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques,
et il alla sur la montagne pour prier.
29 Pendant qu'il priait,
son visage apparut tout autre,
ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante.
30 Et deux hommes s'entretenaient avec lui :
c'étaient Moïse et Elie,
31 apparus dans la gloire.
Ils parlaient de son départ
qui allait se réaliser à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ;
mais, se réveillant, ils virent la gloire de Jésus,
et les deux hommes à ses côtés.
33 Ces derniers s'en allaient,
quand Pierre dit à Jésus :
« Maître, il est heureux que nous soyons ici ;
dressons trois tentes :
une pour toi,
une pour Moïse,
et une pour Elie. »
Il ne savait pas ce qu'il disait.
34 Pierre n'avait pas fini de parler,
qu'une nuée survint et les couvrit de son ombre ;
ils furent saisis de frayeur
lorsqu'ils y pénétrèrent.
35 Et, de la nuée, une voix se fit entendre :
« Celui-ci est mon Fils,
celui que j'ai choisi,
écoutez-le. »
36 Quand la voix eut retenti,
on ne vit plus que Jésus seul.
Les disciples gardèrent le silence
et, de ce qu'ils avaient vu,
ils ne dirent rien à personne à ce moment-là.

Quelques jours avant ce récit de la Transfiguration, au cours d'un temps de prière avec ses disciples, Jésus leur a posé la question cruciale : « Qui suis-je au dire des foules ? » Pierre a su répondre : « Tu es le Christ (c'est-à-dire le Messie) de Dieu ». Et lui aussitôt a mis les choses au point : le Messie, oui, mais peut-être pas comme on l'attendait. « Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite. » Déjà il annonçait que la gloire du fils de l'homme était inséparable de la croix.

Environ huit jours plus tard, nous dit Luc, Jésus conduit ses disciples sur la montagne, il veut de nouveau aller prier avec eux. Luc est le seul des évangélistes à mentionner cette prière du Christ, lors de la Transfiguration ; les trois disciples découvrent que pour Jésus, la prière est une rencontre transfigurante. Quelque temps auparavant, en expliquant la parabole de la semence au groupe des disciples, Jésus leur avait dit : « à vous il est donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu ». C'est particulièrement vrai, ici, pour les trois témoins : Pierre, Jean et Jacques ; notons au passage que ces trois mêmes disciples Pierre, Jean et Jacques ont été témoins de la résurrection de la fille de Jaïre ; au moment de la Passion, ce seront encore les trois mêmes qui seront témoins de la dernière grande prière à Gethsémani.

Je reviens à la Transfiguration : c'est ce moment de prière sur la montagne que Dieu choisit pour révéler à ces trois privilégiés le mystère du Fils de l'homme. Car, ici, ce ne sont plus des hommes, la foule ou les disciples, qui donnent leur opinion, c'est Dieu lui-même qui apporte la réponse et nous donne à contempler le mystère du Christ : « Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le ».

Evidemment, cette montagne nous fait penser au Sinaï ; et d'ailleurs Luc a choisi ses mots pour évoquer le contexte de la révélation de Dieu au Sinaï : la montagne, la nuée, la gloire, la voix qui retentit, les tentes... Nous sommes moins étonnés, du coup, de la présence de Moïse et Elie aux côtés de Jésus. Quand on sait que Moïse a passé quarante jours sur le Sinaï en présence de Dieu et qu'il en est redescendu le visage tellement rayonnant que tous furent étonnés : « Quand Moïse descendit de la montagne, il ne savait pas que la peau de son visage était devenue rayonnante en parlant avec le Seigneur. Aaron et tous les fils d'Israël virent Moïse : la peau de son visage rayonnait. » (Ex 34, 29-30).

Quant à Elie, lui aussi « marcha quarante jours et quarante nuits jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb »... La parole du Seigneur lui fut adressée : « Sors et tiens-toi sur la montagne, devant le Seigneur ; voici, le Seigneur va passer. » Il y eut alors un vent puissant, un tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n'était ni dans le vent puissant, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu... « Il y eut alors le bruissement d'une brise légère. Alors en l'entendant, Elie se voila le visage avec son manteau, et la voix du Seigneur s'adressa à lui. » (1 R 19, 8... 14).

Ainsi, les deux personnages de l'Ancien Testament qui ont eu le privilège de la révélation de la gloire de Dieu sur la montagne sont également présents lors de la manifestation de la gloire du Christ. Luc est le seul évangéliste à nous préciser le contenu de leur entretien avec Jésus : « Ils parlaient de son départ qui allait se réaliser à Jérusalem. » (en réalité, Luc emploie le mot « Exode »). Décidément, impossible de séparer la gloire du Christ de sa croix. Ce n'est pas pour rien que Luc emploie le mot « Exode » en parlant de la Pâque du Christ. Comme la Pâque de Moïse avait inauguré l'Exode du peuple, de l'esclavage en Egypte vers la terre de liberté, la Pâque du Christ ouvre le chemin de la libération pour toute l'humanité.
Dans la nuée lumineuse de la Transfiguration, la voix du Père supplie « Ecoutez-le ». Ces deux mots, « Shema Israël », pour des oreilles juives, c'était tout un programme. « Ecoute Israël », c'est la profession de foi quotidienne : le rappel du Dieu Unique à qui Israël doit sa libération ; libération d'Egypte, d'abord, c'est vrai ; mais celle-ci n'est que le prélude de la longue entreprise de libération amorcée par Dieu avec Abraham, poursuivie avec Moïse, pleinement accomplie en Jésus, pour tous ceux qui l'écouteront, justement. Le « Shema Israël » n'est pas un ordre donné par un maître exigeant ou dominateur... mais une supplication ... « Ecoutez-le », c'est-à-dire faites-lui confiance.

Pierre, émerveillé du visage transfiguré de Jésus, parle de s'installer : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ; dressons trois tentes... » Mais Luc dit bien que « Pierre ne savait pas ce qu'il disait. » Il n'est pas question de s'installer à l'écart du monde et de ses problèmes : le temps presse ; Pierre, Jacques et Jean, ces trois privilégiés, doivent se hâter de rejoindre les autres. Car le projet de Dieu ne se limite pas à quelques privilégiés : au dernier jour, c'est l'humanité tout entière qui sera transfigurée ; comme dit Saint Paul dans la lettre aux Philippiens (notre deuxième lecture) « nous sommes citoyens des cieux. »
----------------------------
« Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le » : « Fils », « Choisi », « Ecoutez-le » : ces trois mots exprimaient au temps du Christ la diversité des portraits sous lesquels on imaginait le Messie : « Tu es mon Fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » était l'une des phrases du sacre des rois ; « Choisi », c'est l'un des noms du serviteur de Dieu dont parle Isaïe dans les « Chants du serviteur » : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon Elu » ; « Ecoutez-le », Dieu seul peut se permettre de dire une chose pareille et, d'autre part, c'est une allusion à la promesse que Dieu a faite à Moïse de susciter à sa suite un prophète : « C'est un prophète comme toi que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche. » (Dt 18, 18). Certains en déduisaient que le Messie attendu serait un prophète.

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21 février 2010 7 21 /02 /février /2010 00:48

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

PREMIERE LECTURE - Deutéronome 26, 4 - 10

Moïse disait au peuple d'Israël :
« Lorsque tu présenteras les prémices de tes récoltes,
4 le prêtre recevra de tes mains la corbeille
et la déposera devant l'autel du Seigneur ton Dieu.
5 Tu prononceras ces paroles devant le Seigneur ton Dieu :
Mon Père était un Araméen vagabond,
qui descendit en Egypte :
il y vécut en immigré avec son petit clan.
C'est là qu'il est devenu une grande nation,
puissante et nombreuse.
6 Les Egyptiens nous ont maltraités, et réduits à la pauvreté ;
ils nous ont imposé un dur esclavage.
7 Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères.
Il a entendu notre voix,
il a vu que nous étions pauvres, malheureux, opprimés.
8 Le Seigneur nous a fait sortir d'Egypte
par la force de sa main et la vigueur de son bras,
par des actions terrifiantes, des signes et des prodiges.
9 Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays,
un pays ruisselant de lait et de miel.
10 Et voici maintenant que j'apporte les prémices
des produits du sol que tu m'as donné, Seigneur. »


 

Dans toutes les religions du monde, on pratique des gestes d'offrande ; on ne s'étonne donc pas d'en trouver également dans la Bible. Mais ce qui est très particulier en Israël, c'est le sens que l'on donne à ce geste. Et la forme de ce texte le montre bien ! Moïse ordonne un geste d'offrande, comme on le fait ailleurs ; mais, pour Israël, il s'agit d'une véritable profession de foi ! « Tu présenteras les prémices de tes récoltes... et tu prononceras ces paroles... » Suit tout un discours sur l'oeuvre de Dieu en faveur de son peuple ; lequel pourrait se résumer en une simple phrase : tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes, c'est le don de Dieu. Elle est là, la grande insistance et la nouveauté de l'ensemble de la Bible, et du livre du Deutéronome en particulier : dans les autres religions, il s'agit le plus souvent d'une démarche de demande pour obtenir les bienfaits dont les divinités ont le secret. Israël inverse complètement le sens du rite : le geste d'offrande y est vécu comme un geste de reconnaissance ; apporter les offrandes, ce n'est pas concéder à Dieu quelque chose qui nous appartiendrait, c'est reconnaître que tout nous vient de lui ; ce n'est pas arriver les mains pleines de nos richesses, c'est reconnaître que sans lui nos mains seraient vides. Dans cet esprit, apporter ses offrandes est un geste de mémoire.

Si le Deutéronome y insiste, c'est probablement que la leçon n'était pas inutile ! Effectivement, le peuple semblait devenu amnésique, la reconnaissance pour les bienfaits de Dieu s'était estompée. Dans l'aridité du désert, le peuple avait pourtant bien compris que sa survie dépendait de Dieu et de lui seul ; mais une fois arrivé en terre promise, il risquait d'oublier cette dépendance fondamentale. Car, dès l'entrée en Canaan (ce que nous appelons aujourd'hui Israël), le peuple qui avait fait Alliance avec Dieu au désert a été confronté aux cultes des gens du pays. Ceux-ci adoraient Baal, le dieu de la pluie et donc de la fécondité des terres et des troupeaux. Et la difficulté consistait justement à ne pas se laisser contaminer par l'idolâtrie ambiante.

Tout le problème des prophètes a été de maintenir le peuple d'Israël dans la fidélité à l'Alliance du Sinaï ; car le premier commandement était formel : « Tu n'auras pas d'autres dieux que moi. » (Ex 20, 2). Le refrain des prophètes est toujours le même : Baal n'existe pas, il n'y a qu'un seul Dieu, le Dieu de Moïse qui a délivré son peuple de la main des Egyptiens, et qui l'accompagne tout au long de son histoire, et qui, enfin, lui donne ce pays.

Voilà bien la préoccupation majeure de l'auteur de notre texte d'aujourd'hui : retrouvez la mémoire, rappelez-vous l'oeuvre de Dieu en votre faveur depuis si longtemps. A vrai dire, le livre du Deutéronome tout entier pourrait s'appeler le livre de la mémoire. Et le rite d'offrande des prémices dont il est question ici est précisément vécu d'abord comme un geste de mémoire. C'est pourquoi il est accompagné de l'énumération des oeuvres de Dieu en faveur de son peuple.

Commençons par le geste : dans le mot « prémices », il y a « premier » ; les prémices, ce sont les premiers fruits de la nouvelle récolte, les premières gerbes de blé, les premières grappes de raisin, le premier-né de la nouvelle portée... Ils sont le début et aussi la promesse : en soupesant la première gerbe, la première grappe, on sait si la récolte sera bonne. Ce rite d'offrande existait chez les agriculteurs du Proche-Orient, bien avant Moïse. De mémoire d'homme, on l'avait toujours connu, puisque le texte biblique en parle même pour Caïn et Abel. Comme nous l'avons vu, ce geste visait primitivement à obtenir les bénédictions de la divinité. Moïse ne l'avait donc pas inventé, il ne l'avait pas supprimé non plus. Mais il en avait transformé le sens : désormais tout était vécu en fonction de l'Alliance.

C'est ce que va préciser le discours qui donne le sens du geste d'offrande. Il ne s'agit pas de demander à Dieu ses bienfaits pour demain ; on sait qu'on peut compter dessus ; il s'agit d'abord de reconnaître les bienfaits de Dieu envers son peuple depuis l'appel d'Abraham. On a là, sous la forme d'une profession de foi, un véritable résumé de l'histoire d'Israël : « Mon Père était un Araméen vagabond » ; tout a commencé avec Abraham, l'Araméen choisi par Dieu pour devenir le père du peuple de l'Alliance ; jusque-là, ce nomade ne pouvait pas, à proprement parler, être traité de vagabond, mais l'auteur utilise ici un mot qui signifie « errant, égaré » au sens où, avant son appel par Dieu, Abraham n'avait pas découvert le Dieu unique, il était un idolâtre, donc notre auteur le considère comme un errant au sens spirituel. La deuxième partie de la phrase « Mon Père était un Araméen vagabond, qui descendit en Egypte » fait référence non plus à Abraham, l'ancêtre, mais à son descendant Jacob : lui et ses fils se sont installés en Egypte.

Suit toute l'histoire qu'on connaît bien jusqu'à l'entrée en terre promise : « Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel. » Alors le geste d'offrande prend tout son sens : en offrant la première gerbe, la première grappe, c'est toute la récolte que l'on présente au SEIGNEUR : « Voici maintenant que j'apporte les prémices des produits du sol que tu m'as donné, Seigneur. »
Notre geste d'offrande au cours de la Messe a le même sens : reconnaissance que tout ce que nous possédons dans tous les domaines est cadeau de Dieu : « Tu es béni, Dieu de l'univers, toi qui nous donnes... » C'est ce que notre Missel appelle la « Préparation des dons » ; dommage qu'il ait oublié de préciser « Préparation des dons... de Dieu ».

 

 

 

 

PSAUME 90 (91), 1-2, 10-11, 12-13, 14-15

1 Quand je me tiens sous l'abri du Très-Haut
et repose à l'ombre du Puissant,
2 je dis au Seigneur : « Mon refuge,
mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! »

10 Le malheur ne pourra te toucher,
ni le danger, approcher de ta demeure :
11 Il donne mission à ses anges
de te garder sur tous tes chemins.

12 Ils te porteront sur leurs mains
pour que ton pied ne heurte les pierres ;
13 tu marcheras sur la vipère et le scorpion,
tu écraseras le lion et le dragon.

14 « Puisqu'il s'attache à moi, je le délivre ;
je le défends, car il connaît mon nom.
15 Il m'appelle, et moi, je lui réponds ;
je suis avec lui dans son épreuve. »



Ce psaume se présente un peu comme un entretien à trois personnes ; tantôt c'est Israël qui parle : « Quand je me tiens sous l'abri du Très-Haut et repose à l'ombre du Puissant, je dis au Seigneur : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! », tantôt ce sont les prêtres à l'entrée du Temple : « Le malheur ne pourra te toucher, ni le danger, approcher de ta demeure : Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins », tantôt enfin, c'est Dieu lui-même : « Puisqu'il s'attache à moi, je le délivre ; je le défends, car il connaît mon nom. Il m'appelle, et moi, je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve. »

Reprenons tout simplement les versets dans l'ordre : « Quand je me tiens sous l'abri du Très-Haut et repose à l'ombre du Puissant, je dis au Seigneur : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! » Vous avez remarqué les quatre noms différents donnés à Dieu dans les premiers versets : le Très-Haut (Elyôn), le Puissant (El Shaddaï), le Seigneur (YHWH), et enfin Dieu (un mot que nous connaissons bien, Elohim) ; les autres peuples appelaient leurs divinités de trois de ces noms : le Très-Haut, le Puissant, ou Elohim ; et Israël reprend ces termes habituels pour désigner son Dieu, mais ce peuple est le seul au monde à pouvoir l'appeler par le quatrième, le fameux Nom révélé à Moïse au buisson ardent : YHWH. Comme dit Dieu lui-même dans le livre de l'Exode : « Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme Dieu Puissant (El Shaddaï), mais sous mon Nom, YHWH, je ne me suis pas fait connaître d'eux. » (Ex 6, 3).

Toute cette première strophe développe le thème de la sécurité du croyant : « L'abri du Très-Haut, l'ombre du Puissant, Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! » L'abri du Très-Haut, dans le langage des psaumes, c'est le Temple de Jérusalem ; quant à l'ombre, elle est à la fois celle des ailes des statues de chérubins qui surplombent l'arche d'Alliance, et une allusion à la présence protectrice de Dieu tout au long de l'Exode* ; jusqu'au jour où l'ange Gabriel dira à la jeune fille de Nazareth « La Puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre, sois sans crainte Marie... »

La fin de cette strophe « Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! » sonne donc comme une profession de foi, mais surtout comme une résolution, sous-entendu contre l'idolâtrie : car il faut sans cesse reprendre l'engagement de ne pas quitter l'abri du Très-Haut. Nous verrons d'ailleurs en méditant l'évangile des Tentations de Jésus (que nous lisons également ce dimanche) combien l'attitude de Jésus dans l'épreuve consonne avec celle décrite dans ces versets : Jésus est celui qui ne cesse de prendre Dieu comme refuge. Le thème de la lutte contre l'idolâtrie est souvent repris dans les psaumes, comme dans l'ensemble de la Bible, d'ailleurs ; on peut être surpris de la fréquence de ce thème, mais il est clair que cela a été pendant très longtemps le cheval de bataille des prophètes .

Et peut-on dire même aujourd'hui que cette bataille est gagnée ? L'idolâtrie prend des visages différents mais sans cesse renouvelés au cours des siècles de l'histoire humaine.

Les deux strophes suivantes dans notre lecture d'aujourd'hui, sont une sorte de catéchèse des prêtres à l'adresse des croyants qui arrivent au temple : maintenant que le peuple a promis de ne pas quitter la protection de Dieu, voici la parole qui lui est révélée : « Le malheur ne pourra te toucher, ni le danger, approcher de ta demeure : il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres ; tu marcheras sur la vipère et le scorpion, tu écraseras le lion et le dragon. » Le message est double : premièrement, la victoire sur le mal est assurée, ce sont les images d'écrasement des animaux dangereux : « la vipère et le scorpion, le lion et le dragon » ; deuxièmement, et c'est le plus important, cette victoire est assurée parce que Dieu ne cessera pas de protéger son peuple : « Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres. » Dans la méditation biblique, ces deux strophes concernaient d'abord le peuple d'Israël ; puis peu à peu on a pris l'habitude de les appliquer au sauveur qu'on attendait, c'est-à-dire le Messie ; puisque le véritable triomphateur de tous les maux qui agressent l'humanité, ce sera le Messie.

Dernière strophe : « Puisqu'il s'attache à moi, je le délivre ; je le défends, car il connaît mon nom. Il m'appelle, et moi, je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve. » Le psalmiste, ici, fait parler Dieu ; un mot seulement sur le dernier verset : « Je suis avec lui dans son épreuve » ; l'homme de la Bible a découvert Dieu non pas comme celui qui écarte toute épreuve d'un coup de baguette magique... mais comme celui qui est « avec » nous dans nos épreuves. Le mot à mot ici, c'est « Moi, avec lui, dans l'épreuve » ; c'est exactement le même sens que le mot « Emmanuel » qui signifie littéralement « Dieu-avec-nous ».

En fin de compte, ce psaume est un peu le modèle de toute liturgie : l'arrivée au Temple, la Parole, la bénédiction. Quand nous nous joignons à une assemblée célébrante, nous allons puiser la force là où elle se trouve. Nous y entendons proclamer la Parole et nous repartons chargés des bénédictions de Celui qui est avec nous dans notre épreuve. Il est donc bien normal que ce psaume nous soit proposé à l'entrée du Carême : belle invitation à nous tenir à l'abri du Très-Haut. Moralité, n'hésitons pas au cours de ce Carême à aller nous ressourcer à l'ombre de nos églises.

***
* Le mot « ailes » évoque également celles de l'aigle : on sait que le livre du Deutéronome précisément compare la sollicitude de Dieu envers son peuple à celle d'un aigle qui encourage les premiers vols de ses petits (Dt 32, 10-11 ; cf Ex 19, 4).

 

 

 

 

 

 

 

 

DEUXIEME LECTURE - Romains 10, 8 - 13

Frères,
8 nous lisons dans l'Ecriture :
« La Parole est près de toi,
elle est dans ta bouche et dans ton coeur. »
Cette Parole, c'est le message de la foi que nous proclamons.
9 Donc, si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur,
si tu crois dans ton coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts,
alors tu seras sauvé.
10 Celui qui croit du fond de son coeur
devient juste ;
celui qui, de sa bouche, affirme sa foi
parvient au salut.
11 En effet, l'Ecriture dit :
« Lors du jugement, aucun de ceux qui croient en lui
n'aura à le regretter. »
12 Ainsi, entre les Juifs et les païens,
il n'y a pas de différence :
tous ont le même Seigneur,
généreux envers tous ceux qui l'invoquent.
13 Il est écrit en effet :
« Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur
seront sauvés. »




Tout le raisonnement de Paul aboutit à la conclusion : « Entre les Juifs et les païens, il n'y a pas de différence ». Précisons tout de suite que ces juifs et ces païens dont parle Paul sont avant tout des chrétiens : soit d'origine juive, soit d'origine païenne. Et c'est bien cela le fond de son discours : que vous soyez d'origine juive convertis au christianisme, ou que vous soyez d'origine païenne convertis au christianisme, vous êtes « avant tout » des chrétiens. « Ainsi, entre les Juifs et les païens, il n'y a pas de différence : tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l'invoquent. »

Si Paul insiste, c'est que le problème était bien là. Probablement parce que, à Rome comme dans toutes les communautés chrétiennes du premier siècle, la même question s'est posée. Etait-il bien normal de traiter de la même manière des juifs et des païens ? Que des juifs deviennent chrétiens, c'était évidemment conforme au plan de Dieu. Puisque Dieu avait préparé son peuple pendant de longs siècles à recevoir le Messie, une fois celui-ci venu et reconnu, tous les juifs auraient pu (ou dû) devenir chrétiens. C'était évidemment le souhait de Paul. Mais les choses se sont passées autrement. C'est une minorité seulement du peuple juif qui a adhéré à Jésus-Christ ; en revanche, ce sont des païens qui ont constitué le noyau le plus important des communautés chrétiennes. Entre ces chrétiens d'origines si diverses (soit juive, soit païenne), la cohabitation posait inévitablement des problèmes : tout d'abord, sur le plan des habitudes quotidiennes, tout les séparait et les sujets de discussion ne manquaient pas : la loi, la circoncision, les coutumes alimentaires.

Plus profondément, pour certains Juifs devenus chrétiens, c'était une affaire de principe : ils acceptaient de mauvais gré l'entrée dans l'Eglise des anciens païens, ceux qu'ils appelaient les « incirconcis ». Car Israël était le peuple élu ; c'est en son sein que devait naître le Messie ; logiquement, les Juifs devaient être les fondements de l'Eglise ; alors une question revenait souvent : accepter des non-Juifs dans l'Eglise, n'était-ce pas une infidélité à l'Alliance, à l'élection du peuple juif ?

Cette question-là, lorsque Paul écrit aux Romains, il y a longtemps qu'il l'a résolue. Car si on fermait l'entrée de l'Eglise aux païens, si on leur refusait le baptême, cela reviendrait à dire que Jésus ne peut sauver que des Juifs. Cette position-là est évidemment intenable. Alors, comme toujours, Paul va chercher la solution du problème dans l'Ecriture, c'est-à-dire dans ce que nous appelons aujourd'hui l'Ancien Testament. Et, comme toujours, il y trouve la parole qui l'éclaire ; elle est chez le prophète Joël : « Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés. » Joël, parlait, justement, du temps de la venue du Messie : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, vos jeunes gens auront des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes, en ce temps-là je répandrai mon Esprit... Alors tous ceux qui invoqueront le Nom du Seigneur seront sauvés. » (Jl 3, 1 - 5).

Argument imparable, puisque c'était dans l'Ecriture ; mais bien surprenant quand même pour les contemporains de Paul : suffit-il réellement d'invoquer le Nom de Jésus pour être sauvé ? Jusqu'ici, il fallait être circoncis et pratiquer la Loi scrupuleusement ; les choses auraient-elles changé ? Oui, répond Paul ; car Jésus-Christ, lui aussi, mérite le titre de Seigneur !

Désormais, tout homme qui invoque le Seigneur Jésus-Christ peut être sauvé. Mais c'est bien parce que ce message est dur à admettre pour certains que Paul n'hésite pas à se répéter : « Celui qui (au sens de « tout homme qui ») croit du fond de son coeur devient juste ; celui qui (« tout homme qui »), de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut. » Encore faut-il bien s'entendre sur le sens du mot « croire » ici : le parallèle entre « bouche » et « coeur », sur lequel Paul insiste, dit bien que la foi n'est pas affaire d'opinion ; en employant le mot coeur, selon le sens que ce mot avait à l'époque, il vise la profondeur de l'engagement de toute la personne. Ainsi, aux yeux de Paul, une autre phrase de l'Ecriture est désormais accomplie ; le livre du Deutéronome affirmait : « La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur. » Au temps du Deutéronome, il s'agissait de la Loi qu'il fallait pratiquer, maintenant dit Paul, cette parole, c'est tout simplement le message de la foi en Jésus-Christ.

La voilà, la Bonne Nouvelle que Paul adresse à ceux qui ont reçu le Baptême : sans mérites de notre part, le salut nous est donné gratuitement par Dieu ; il nous faut simplement l'accueillir librement dans la foi : « Si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé. Celui qui croit du fond de son coeur devient juste, celui qui, de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut. »

 

 

 

EVANGILE - Luc 4, 1 - 13

Après son Baptême,
1 Jésus, rempli de l'Esprit Saint,
quitta les bords du Jourdain ;
il fut conduit par l'Esprit à travers le désert
2 où, pendant quarante jours, il fut mis à l'épreuve par le démon.
Il ne mangea rien durant ces jours-là,
et, quand ce temps fut écoulé,
il eut faim.
3 Le démon lui dit alors :
« Si tu es le Fils de Dieu,
ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
4 Jésus répondit :
« Il est écrit :
Ce n'est pas seulement de pain
que l'homme doit vivre. »
5 Le démon l'emmena alors plus haut,
et lui fit voir d'un seul regard tous les royaumes de la terre.
6 Il lui dit :
« Je te donnerai tout ce pouvoir,
et la gloire de ces royaumes,
car cela m'appartient et je le donne à qui je veux.
7 Toi donc, si tu te prosternes devant moi,
tu auras tout cela. »
8 Jésus lui répondit :
« Il est écrit :
Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu,
et c'est lui seul que tu adoreras. »
9 Puis le démon le conduisit à Jérusalem,
il le plaça au sommet du Temple
et lui dit :
« Si tu es le Fils de Dieu,
jette-toi en bas ;
10 car il est écrit :
Il donnera pour toi à ses anges
l'ordre de te garder ;
11 et encore :
Ils te porteront sur leurs mains,
de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
12 Jésus répondit :
« Il est dit :
Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. »
13 Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation,
le démon s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé.


 

 

Il est très intéressant de rapprocher cet évangile du psaume qui le précède dans la liturgie de ce dimanche : « Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au Seigneur : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu dont je suis sûr. » C’est très exactement l’attitude du Christ, au seuil de sa vie publique : il se tient tout simplement à l’ombre du Très-Haut.

La tentation serait de quitter cet abri ou bien de douter qu’il soit sûr, ou encore de chercher d’autres abris, d’autres sécurités. Ces trois tentations ont été celles du peuple d’Israël tout au long de l’histoire biblique. Et quand le Tentateur (son vrai nom dans le texte grec est le « diviseur », le « diabolos ») s’adresse à Jésus, c’est bien sur ce terrain qu’il se place : par trois fois, il essaie de distiller son poison : Si tu es Fils de Dieu, tu peux tout ce que tu veux... : Tu es grand, tu peux bien faire ton bonheur tout seul ; dis donc à cette pierre de devenir du pain pour satisfaire ta faim immédiate... (première tentation). Peut-être ferais-tu mieux de m’adorer, moi, pour réaliser tous tes projets... (deuxième tentation). Jette-toi en bas, Dieu sera bien obligé de t’aider... (troisième tentation). Mais Jésus sait bien que Dieu seul peut combler toutes les faims de l’homme, et il a choisi de faire confiance jusqu’au bout, de « se tenir sous l’abri du Très-Haut » comme dit le psaume.

Reprenons une à une les trois sollicitations du Tentateur et les trois réponses de Jésus.

Première tentation : quand Jésus commença à souffrir de la faim, le Tentateur lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain » et Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. » Phrase bien connue du peuple juif tout entier, car elle se trouve au chapitre 8 du Deutéronome ; je vous rappelle le contexte : il s’agit d’une méditation sur l’expérience d’Israël pendant l’Exode sous la conduite de Moïse : « Tu te souviendras de toute la route que le Seigneur ton Dieu t’a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert, afin de te mettre dans la pauvreté ; ainsi il t’éprouvait pour connaître ce qu’il y avait dans ton coeur et savoir si tu allais, oui ou non, observer ses commandements. Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. » (Dt 8, 2 - 3). Désormais le peuple sait d’expérience ce qu’est la béatitude de la pauvreté : « Heureux ceux qui ont faim, ils comptent sur Dieu seul pour les combler. »

Et le Deutéronome continue : « Tu reconnais, à la réflexion, que le Seigneur ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils. » Le Fils de Dieu, venu prendre la tête de son peuple, vit dans sa chair l’expérience d’Israël au désert. En d’autres termes, quand le Tentateur interpelle Jésus en lui disant « Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le », il reçoit pour toute réponse : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas... Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son oeuvre. » (C’est la réponse que Jésus fera à ses apôtres dans l’épisode de la Samaritaine, Jn 4, 32 - 34).

Deuxième tentation, deuxième réponse de Jésus : le Tentateur lui promet tous les royaumes de la terre ; et Jésus répond « Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. » Là il cite le texte le plus connu peut-être de tout l’Ancien Testament, puisqu’il est la suite du fameux « Shema Israël », la profession de foi juive. Ce qu’il faut remarquer c’est l’inversion de la perspective entre les exigences du Tentateur et les dons gratuits de Dieu : le Tentateur dit : commence par te prosterner, puis je te donnerai (et entre parenthèses, il promet ce qui ne lui appartient pas) ; Dieu, au contraire, commence par donner, et seulement après, il dit : n’oublie pas que je t’ai donné, alors fais-moi confiance pour la suite.
Voici le texte du Deutéronome : « Quand le Seigneur ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays qu’il a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob, de te donner... garde-toi d’oublier le Seigneur qui t’a fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude. C’est le Seigneur ton Dieu que tu craindras, c’est lui que tu serviras, c’est par son nom que tu prêteras serment. »

Troisième tentation : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Et Jésus répond : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » c’est-à-dire tu n’exigeras pas de Dieu des preuves de sa présence et de sa protection. Le Fils de Dieu sait, lui, qu’il est en permanence sous l’abri du Très-Haut quoi qu’il arrive.
Ces trois réponses de Jésus sonnent donc étrangement face aux interpellations du Tentateur « si tu es le fils de Dieu » ; visiblement, le démon et le Christ n’ont pas la même idée sur le Fils de Dieu ! « Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le » semble dire le Tentateur et Jésus le prouve, réellement, mais c’est en restant fidèle à son Père.

***
Compléments
Où Jésus puise-t-il la force de résister à celui qui veut le séparer de son Père ? Dans la parole de Dieu : la force de ce texte est dans cette construction étonnante ; le Tentateur s'adresse à Jésus par trois fois ; mais à aucun moment, Jésus n'entre en discussion avec lui ; ses trois réponses sont exclusivement des citations de l'Ecriture. En cela, il est bien l'héritier de son peuple : à lui s'applique merveilleusement la phrase du Deutéronome que Saint Paul a reprise dans la lettre aux Romains (voir la deuxième lecture) : « La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur » (Dt 30, 14). Ses réponses sont toutes les trois extraites du livre du Deutéronome, le livre écrit justement pour que les fils d’Israël n’oublient jamais que Dieu est leur Père ; manière de dire que Jésus refait pour lui-même l’expérience que son peuple a faite au désert.


Depuis son Baptême, où il a été révélé comme le Fils, jusqu’à Gethsémani où le Tentateur lui donne rendez-vous (c’est le sens de la dernière phrase de notre texte : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation, le démon s’éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé*. »), Jésus restera sous l'abri du Très-Haut. Nul doute que Luc, ici, nous propose le seul exemple à suivre.
* A vrai dire, le texte grec n’emploie pas l’expression : « jusqu'au moment fixé » ; il dit seulement « jusqu’à une occasion ». Cette « occasion », on la situe généralement à Gethsémani.

 

L'intelligence des écritures

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14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 07:42
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

Sixième dimanche du temps ordinaire

PREMIERE LECTURE - Jérémie 17 , 5 - 8

5 Parole du Seigneur.
Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel,
qui s'appuie sur un être de chair,
tandis que son coeur se détourne du Seigneur.

6 Il sera comme un buisson sur une terre désolée,
il ne verra pas venir le bonheur.
Il aura pour demeure les lieux arides du désert,
une terre salée et inhabitable.
7 Béni soit l'homme qui met sa confiance dans le Seigneur,
dont le Seigneur est l'espoir.
8 Il sera comme un arbre planté au bord des eaux,
qui étend ses racines vers le courant :
il ne craint pas la chaleur quand elle vient,
et son feuillage reste vert ;
il ne redoute pas une année de sécheresse,
car elle ne l'empêche pas de porter du fruit.

Le début du texte est fait pour nous impressionner ! Tout d'abord, l'introduction est très solennelle : quand un prophète emploie l'expression « Parole du Seigneur », c'est toujours pour nous alerter ; quelque chose comme « Attention, ce que j'ai à vous dire est très grave, et c'est le Seigneur lui-même qui vous parle. »

Et ici, la suite est à première vue terrible : « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel ». Cela pose au moins deux questions : premièrement, Dieu pourrait-il nous maudire ? Deuxièmement, mettre sa confiance dans un mortel (c'est-à-dire dans un homme) en quoi est-ce mal ? Je reprends ces deux questions l'une après l'autre.

Première question : Dieu pourrait-il nous maudire ? Souhaiter notre malheur ? Sûrement pas, lui qui cherche inlassablement à nous sauver. L'expression « maudit soit » chez les prophètes est une mise en garde, du genre « Attention, vous filez un mauvais coton, vous avez pris un chemin dangereux, une pente glissante ; cela ne peut que mal finir ». L'expression symétrique « Béni soit » est au contraire un encouragement du genre « Continuez, vous êtes sur la bonne voie ».

Deuxième question : Jérémie dit : « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel ». Alors devrions-nous nous méfier les uns des autres ? Certainement pas, puisque le projet de Dieu est que l'humanité soit tellement unie qu'elle ne fasse plus qu'un... donc toute méfiance entre les hommes est contraire au projet de Dieu. En fait, le mot « confiance » est un mot très fort qui signifie « s'appuyer sur » comme on s'appuie sur un rocher ; il faut relire la phrase de Jérémie en entier : « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel, qui s'appuie sur un être de chair TANDIS QUE son coeur se détourne du Seigneur » ; ce qui est grave, c'est de se détourner du Seigneur. Bien sûr, nous pouvons, nous devons nous appuyer les uns sur les autres, mais que cela ne nous détourne pas du Seigneur.

Jérémie vise probablement ici deux erreurs funestes des rois, des chefs religieux et du peuple tout entier : premièrement, l'idolâtrie ; deuxièmement, les alliances. Commençons par l'idolâtrie : plusieurs rois ont réintroduit en Israël d'autres cultes que celui du vrai Dieu. On invoque d'autres dieux, on les prie, on leur offre des sacrifices ; un peu plus loin, Jérémie le dit expressément : « Mon peuple, lui, m'a oublié pour brûler des offrandes à ceux qui ne sont rien. » (Jr 18, 15). Quant aux alliances, Jérémie a eu tout loisir de méditer sur la politique des rois de son temps : au lieu de compter sur la protection de Dieu, ils ont accumulé les manoeuvres diplomatiques, s'alliant tour à tour avec chacune des puissances du Moyen-Orient ; mais ils n'ont récolté que des guerres et du malheur ; et quand on demande la protection d'un roi de la terre, on devient inévitablement son vassal, on perd donc automatiquement sa liberté. Ce sera exactement le destin du roi Sédécias, peu de temps après ; Jérémie le raconte plus loin dans son livre : Sédécias a compté sur ses manoeuvres diplomatiques, il a compté sur sa force militaire... et il n'a récolté qu'échec, massacre, humiliations, pour lui et pour son peuple (Jr 39, 1-10 ).

On est là en face d'une des grandes exigences de l'Alliance : parce qu'Israël était investi d'une mission de témoignage au milieu des nations, il lui était demandé de ne jamais rechercher une autre Alliance que celle de son Dieu. A vues humaines, cela pouvait paraître fou. Mais quand on a l'immense honneur d'être le peuple élu de Dieu, on ne peut plus raisonner à vues humaines. (Entre nous soit dit, cette remarque est désormais valable également pour nous, Eglise du Christ.)
Au moment où Jérémie écrit notre texte d'aujourd'hui, il est encore temps de mettre en garde, et donc il tire la sonnette d'alarme ; il insiste : la seule source d'eau vive pour l'homme, c'est le Seigneur ; s'en éloigner, c'est se priver d'eau, c'est connaître la sécheresse. Quelques versets plus loin, Jérémie reprend exactement la même expression : « Ils abandonnent leur source d'eau vive, qui est le Seigneur » (Jr 17, 13). Et déjà au chapitre 2 : « Il est double, le méfait commis par mon peuple : ils m'abandonnent, moi, la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l'eau. » (Jr 2, 13).

Ceux-là ont fait le mauvais choix, l'avenir montrera qu'ils se sont trompés ; on dira leur malheur, c'est le sens du verbe « maudire » (male-dicere). « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel, qui s'appuie sur un être de chair, tandis que son coeur se détourne du Seigneur. Il sera comme un buisson sur une terre désolée, il ne verra pas venir le bonheur. Il aura pour demeure les lieux arides du désert, une terre salée et inhabitable... » Mais ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur, ceux-là ont fait le bon choix ; on ne peut que les féliciter ; et l'avenir montrera qu'ils ont eu raison, on dira du bien de leur conduite, on dira leur bonheur : c'est exactement le sens du mot « bénir » (bene-dicere en latin). « Béni soit l'homme qui met sa confiance dans le Seigneur, dont le Seigneur est l'espoir. »


Une fois de plus, nous remarquons les profondes affinités entre Jésus et Jérémie : dans l'évangile des Béatitudes, par exemple, que nous lisons également ce dimanche, mais aussi dans le thème de l'eau vive : il suffit de se rappeler la phrase que Jésus a prononcée à l'occasion de la fête des tentes à Jérusalem : « Le dernier jour de la fête, qui est aussi le plus solennel, Jésus, debout, se mit à proclamer : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi ; et que boive celui qui croit en moi. Comme l'a dit l'Ecriture, de son sein couleront des fleuves d'eau vive. » (Jn 7, 37 - 38).

***
NB. Vous avez remarqué l'importance de la sécheresse dans ce texte : Jérémie parle d'expérience ; il suffit de se remettre en mémoire la route de Jérusalem à Jéricho : un vrai désert complètement aride la plus grande partie de l'année et pourtant capable de reverdir et refleurir avec les pluies de printemps. Comme tout bon prédicateur, il puise ses exemples et ses images dans l'existence quotidienne de ses auditeurs. Ces mêmes images se retrouvent d'ailleurs dans d'autres textes orientaux : rien d'étonnant puisqu'ils ont des climats similaires ! Par exemple, en Egypte, voici à quoi on compare le sage : « Il est comme un arbre qui croît dans un jardin. Il fleurit et double son produit ; il se tient devant la face de son maître, son fruit est doux, son ombre agréable ». Soyons francs, pour évoquer l'ombre de façon aussi positive ici, il faut avoir expérimenté l'ardeur du soleil torride ! Dans des pays humides, de telles images sont nettement moins suggestives.

PSAUME 1

1 Heureux est l'homme
qui n'entre pas au conseil des méchants,
qui ne suit pas le chemin des pécheurs,
ne siège pas avec ceux qui ricanent,
2 mais se plaît dans la loi du Seigneur
et murmure sa loi jour et nuit !

3 Il est comme un arbre
planté près d'un ruisseau,
qui donne du fruit en son temps,
et jamais son feuillage ne meurt ;
tout ce qu'il entreprend réussira,
4 tel n'est pas le sort des méchants.

Mais ils sont comme la paille
balayée par le vent :
5 au jugement, les méchants ne se lèveront pas
ni les pécheurs, au rassemblement des justes.
6 Le Seigneur connaît le chemin des justes,
mais le chemin des méchants se perdra.

Voici le premier de tous les psaumes : il nous donne la clé de tous les autres, puisque c'est lui qui a été choisi pour nous introduire dans la prière d'Israël. Il est très court, comme il se doit pour une introduction, mais chaque détail compte. Le premier mot de ce psaume et donc du psautier tout entier est « heureux » ! ... ce qui est déjà tout un programme. Le psalmiste a compris que Dieu veut notre bonheur ; c'est la chose la plus importante qu'il a voulu dire pour commencer ! Pour comprendre le sens du mot « heureux » dans la Bible, il faut penser aux « félicitations » que nous nous adressons les uns aux autres dans les grandes occasions : quand nous recevons un faire-part joyeux, de naissance ou de mariage, nous offrons aux heureux parents ou aux fiancés ce que nous appelons des « félicitations » : étymologiquement « féliciter » quelqu'un, c'est le reconnaître « felix », c'est-à-dire « heureux » et s'en réjouir avec lui. C'est d'abord un constat (heureux êtes-vous) : parfois même cela nous plonge dans la contemplation parce que le spectacle d'un bonheur évident, rayonnant, nous émeut toujours. En même temps, c'est un souhait très vif et même un encouragement, une invitation à faire chaque jour grandir ce bonheur encore tout neuf. Quelque chose comme « vous êtes bien partis, continuez à être heureux ; le monde a besoin du témoignage de votre amour et de votre bonheur ».

Le mot biblique « heureux » dit tout cela : il a ces deux aspects de constat et aussi d'encouragement. C'est pour cela que, bien souvent, avec André Chouraqui, on traduit « heureux » par « en marche ». Cela nous invite à nous représenter l'histoire de l'humanité comme une longue marche : une marche au cours de laquelle les hommes sont à chaque instant invités à choisir leur chemin ; vous avez remarqué l'insistance de ces quelques versets sur le mot « chemin » : « Heureux l'homme qui ne suit pas le chemin des pécheurs... Le Seigneur connaît le chemin des justes, mais le chemin des méchants se perdra. »

C'est ce que l'on appelle le « thème des deux voies » : sous-entendu il y a deux routes, deux voies, la bonne et la mauvaise ; à nous de choisir. Le thème des deux voies s'appuie sur une comparaison : notre vie est comparée à un croisement ; tout se passe comme si nous débouchions sur la grand-route. Nous savons où nous voulons aller : mais nous ne savons pas de quel côté il faut tourner ; faut-il tourner à droite ? Ou à gauche ? Si, par chance, nous choisissons la bonne direction, chacun de nos pas nous rapprochera du but ; à l'inverse, si nous nous trompons de direction, chacun de nos pas, désormais, nous éloignera du but, simplement parce que nous aurons choisi le mauvais
chemin.
La Révélation biblique n'a qu'un seul objet, indiquer à l'humanité le chemin du bonheur que Dieu veut pour elle. C'est pourquoi elle est parsemée de multiples poteaux indicateurs ; le livre du Deutéronome, par exemple, a beaucoup développé ce thème : « Vois, je mets aujourd'hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur... Tu choisiras la vie » (Dt 30, 15. 19). « Tu écouteras, Israël, (Shema Israël) et tu veilleras à mettre les commandements en pratique : ainsi tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te l'a promis le Seigneur, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait et de miel. » (Dt 6, 3).

Dans cette optique, les mots « heureux, malheureux » ou « béni, maudit » sont comme des feux de signalisation : quand Jérémie dit ce que nous avons entendu dans la première lecture : « Maudit soit l'homme qui compte sur des mortels... » (Jr 17, 5), ou quand Isaïe vitupère « Malheur à ceux qui prescrivent des lois malfaisantes » (Is 10, 1), ils ne prononcent ni jugement ni condamnation définitifs sur des personnes, ils préviennent du danger comme on crie quand on voit quelqu'un au bord du précipice. A l'inverse, des expressions comme « Béni soit l'homme qui compte sur le Seigneur » (Jr 17, 7), ou « Heureux l'homme qui ne siège pas au conseil des méchants » (Ps 1) sonnent comme des encouragements ; vous êtes sur la bonne voie.

Ce thème des deux voies dit une autre chose très importante, à savoir que nous sommes libres ; mais si nous voulons être heureux, il y a des voies sans issue, donc à éviter. Le désir inscrit au coeur de tous les hommes, le but de toutes leurs actions, c'est la recherche du bonheur ; mais bien souvent, ils se trompent de direction. La loi donnée par Dieu n'a pas d'autre but que de guider notre liberté vers le bon chemin. D'où ce grand amour de la Loi que nous avons rencontré si souvent en Israël : le peuple de l'Alliance sait que la Loi est un don de Dieu ; cadeau de celui qui ne veut que notre bonheur et qui nous en indique le chemin. « Heureux l'homme qui se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit ! »

Mais attention, quand le psaume parle des justes et des méchants, il s'agit de comportements, et non pas d'individus ; une chose très importante, à ne jamais oublier lorsque l'on rencontre ce thème des deux voies : il n'y a pas d'un côté des hommes entièrement, parfaitement justes... et de l'autre des hommes qui sont tout entiers méchants !... Et d'ailleurs, nous-mêmes, dans quelle catégorie nous rangerions-nous ? Oserions-nous prétendre appartenir à la catégorie des justes ? Non bien sûr, mais pas davantage il ne serait équitable de ranger qui que ce soit d'entre nous dans la catégorie des méchants. De toute évidence, nous appartenons tour à tour à ces deux catégories : certaines facettes de nos vies sont sur la bonne voie, d'autres non. Celles-ci, il faut le savoir, ne mènent nulle part. En revanche, et c'est une merveilleuse nouvelle pour nous, aujourd'hui, tous nos efforts pour écouter la Parole sont autant de pas sur le chemin du vrai bonheur : « Heureux est l'homme qui se plaît dans la loi du Seigneur ! »

***

Dernière remarque : à elle seule, la construction littéraire de ce psaume met en évidence l'importance du bon choix ; exceptionnellement, elle n'est absolument pas symétrique ; on oppose bien deux comportements, celui des justes, et celui des pécheurs. Mais ceux qui ont choisi la bonne direction, et qu'on appelle « les justes », se voient consacrer la plus grande partie du psaume. En revanche, il n'est presque pas question des autres, ceux qui ont fait le mauvais choix, et qu'on appelle « les méchants ». Cette inégalité de traitement est parlante : seul vaut qu'on en parle le sort des heureux ; les autres ne sont que « paille balayée par le vent ».

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 15, 12.....20

Frères,
12 nous proclamons que le Christ est ressuscité d'entre les morts ;
alors, comment certains d'entre vous peuvent-ils affirmer
qu'il n'y a pas de résurrection des morts ?

16 Si les morts ne ressuscitent pas,
le Christ non plus n'est pas ressuscité.
17 Et si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien,
vous n'êtes pas libérés de vos péchés ;
18 et puis, ceux qui sont morts dans le Christ sont perdus.
19 Si nous avons mis notre espoir dans le Christ
pour cette vie seulement,
nous sommes les plus à plaindre des hommes.
20 Mais non ! Le Christ est ressuscité d'entre les morts,
pour être parmi les morts le premier ressuscité.

Pour entrer dans ce texte de Saint Paul, commençons par nous remémorer la dernière célébration de funérailles à laquelle nous avons assisté. Le Rituel prévoit trois rites très importants : il y a d'abord le Cierge Pascal qui brûle tout au long de la célébration pour nous rappeler que le Christ ressuscité est vivant parmi nous ; vers la fin de la célébration, au moment du dernier adieu le prêtre puis les fidèles aspergent le corps du défunt avec l'eau qui rappelle son Baptême. Mais, avant cela, il y a eu un autre rite : le prêtre a encensé le corps ; c'est le geste le plus audacieux ! Dans l'empire romain, c'est devant les statues des dieux que l'on brûlait de l'encens ; et c'est au moment où ce corps sans vie semble réduit à néant que nous l'encensons. Pourquoi ? Parce que tout chrétien, depuis son baptême, est le temple de l'Esprit Saint, comme dit Saint Paul dans la même lettre aux Corinthiens que nous venons de lire. Soyons francs, s'il a besoin de le rappeler, c'est parce qu'on pourrait parfois l'oublier, nous tout autant que les Corinthiens de son temps.

Dans le texte d'aujourd'hui, il lutte contre un autre oubli des Corinthiens : la Résurrection des corps. Ils sont bien convaincus de la Résurrection du Christ, mais ils ont du mal à en tirer la conséquence qui pour Paul est évidente : si Christ est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons.

Il argumente en deux temps : d'abord, il réaffirme le fait de la Résurrection du Christ, ensuite il en tire les conséquences ; je commence par le premier point : Paul rappelle que la Résurrection du Christ est le socle de la foi chrétienne : « Si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien ». Un peu plus haut, il a même dit « Si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vide » ! Effectivement, si nous ne croyons plus à la Résurrection du Christ, tout l'édifice de notre foi s'effondre comme un château de cartes. C'est peut-être ce qui se passe pour un certain nombre de catholiques français : un sondage récent, paru dans la revue « Le Monde des Religions » révèle que sur les Français qui se reconnaissent catholiques, à peine plus d'un sur deux croit à la Résurrection du Christ, et parmi eux, une infime minorité croit à notre propre résurrection. Il nous faut donc lire et relire la lettre aux Corinthiens ! Car, si le Christ n'était pas ressuscité, alors il n'aurait été qu'un pauvre malheureux condamné et exécuté comme tant d'autres. Il serait mort pour rien. Il ne serait pas le Sauveur qu'on attendait, et toutes ses promesses n'auraient été que des vœux pieux.

Dans un deuxième temps, Paul tire les conséquences de la Résurrection du Christ. J'essaie de résumer son raisonnement : parce qu'il est ressuscité, (beaucoup l'ont vu vivant, et peuvent en témoigner), parce qu'il est ressuscité, alors oui, il est le sauveur du monde, l'envoyé de Dieu ; alors oui, tout ce qu'il a dit et promis est vrai. Désormais, nous sommes à notre tour, des temples de l'Esprit. C'est-à-dire que l'Esprit vit en nous, l'Esprit d'amour de Dieu lui-même nous anime (si nous le voulons, bien sûr). Or l'Esprit d'amour, c'est le contraire du péché, justement, puisque le péché, c'est notre manque d'amour pour Dieu et pour les autres. Voilà pourquoi Paul peut dire que nous sommes délivrés du péché.

Alors, parce que nous sommes, comme le Christ, habités par l'Esprit de Dieu, nous ressusciterons comme lui. Ce qui fut le temple de l'Esprit peut être transformé, cela ne peut pas être détruit pour toujours. La mort biologique peut bien détruire notre corps, mais Jésus le relèvera ; vous vous rappelez sa phrase : « Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai ». Sur le moment, on a cru qu'il parlait du temple de Jérusalem, mais Saint Jean dit qu'ils ont compris plus tard qu'il parlait de sa résurrection.

Paul ajoute : « Le Christ est ressuscité d'entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. » Ceci est la traduction française, mais, dans le texte grec, pour dire que le Christ est le premier, Paul emploie un mot qui veut dire « prémices » au sens de commencement d'une longue série. Dans l'Ancien Testament, on appelait « prémices » les prélèvements que l'on faisait sur les premiers produits du sol et qui étaient le signal que la récolte commençait. Dire que Jésus est ressuscité comme « prémices de ceux qui sont morts », c'est dire qu'il est le frère aîné de la multitude humaine, Paul dit ailleurs le premier-né : « Il est la tête du corps... Il est le commencement, premier-né d'entre les morts, afin de tenir en tout, lui, le premier rang... » (Col 1, 18).

En définitive, il faut, comme toujours, revenir au dessein bienveillant de Dieu, qui est de réunir l'humanité tout entière en Jésus-Christ : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l'univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. » (Ep 1, 9-10). Dieu n'a évidemment pas prévu de réunir des morts mais des vivants. Jésus a pris très nettement parti là-dessus dans sa discussion avec les Sadducéens : « Pour ce qui est de la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite ? Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ? Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » (Mt 22, 31-32).

Nous découvrons là une facette du mystère de l'Incarnation à laquelle nous ne pensons pas toujours : Dieu prend notre humanité, notre corps très au sérieux. Le Verbe s'est fait chair ; il est devenu en tous points semblable aux hommes, tellement semblable que son destin est le nôtre : s'il est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons.

La résurrection du Christ n'est donc pas seulement le dénouement heureux de son histoire personnelle : elle est le premier matin de la victoire de l'humanité sur la mort ; le premier-né est entré dans la vie qui ne finit pas. La mort n'est plus un mur, elle est une porte... nous nous y engouffrons derrière lui.

Ce qui veut dire que la foi chrétienne est radicalement incompatible avec toute idée de réincarnation ! Notre dignité va jusque-là : même si notre corps est parfois bien pauvre et défait, Dieu ne le traite jamais comme une dépouille qu'on peut jeter et remplacer ; notre personne est un tout ; il nous arrive de nous mépriser nous-mêmes, mais, aux yeux de Dieu, si j'ose dire, chacun d'entre nous est unique et irremplaçable. C'est notre être tout entier qui est appelé à vivre pour toujours auprès de lui.

EVANGILE - Luc 6, 17......26

17 Jésus descendit de la montagne avec les douze Apôtres
et s'arrêta dans la plaine.
Il y avait là un grand nombre de ses disciples,
et une foule de gens
venus de toute la Judée, de Jérusalem,
et du littoral de Tyr et de Sidon.
20 Regardant ses disciples, Jésus dit :
« Heureux, vous les pauvres :
le royaume de Dieu est à vous !
21 Heureux, vous qui avez faim maintenant :
vous serez rassasiés !
Heureux, vous qui pleurez maintenant :
vous rirez !
22 Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent
et vous repoussent,
quand ils insultent
et rejettent votre nom comme méprisable,
à cause du Fils de l'homme.
23 Ce jour-là, soyez heureux et sautez de joie,
car votre récompense est grande dans le ciel :
c'est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes.
24 Mais malheureux, vous les riches :
vous avez votre consolation !
25 Malheureux, vous qui êtes repus maintenant :
vous aurez faim !
Malheureux, vous qui riez maintenant :
vous serez dans le deuil et vous pleurerez.
26 Malheureux êtes-vous
quand tous les hommes disent du bien de vous :
c'est ainsi que leurs pères traitaient les faux prophètes. »

La première lecture, tirée du livre de Jérémie, nous avait mis en garde : ne mettez pas votre confiance en vous-mêmes et en vos richesses de toutes sortes... ne vous appuyez que sur Dieu seul. L'évangile des Béatitudes va encore plus loin : Heureux, les pauvres ; mettez votre confiance en Dieu : Il vous comblera de ses richesses... SES richesses...! « Heureux », cela veut dire « bientôt on vous enviera » ! Il faut dire premièrement que ce n'étaient pas les gens socialement influents, importants, qui formaient le gros des foules qui suivaient Jésus ! On lui a assez reproché de frayer avec n'importe qui ! Deuxièmement, le mot « pauvres » dans l'Ancien Testament n'a aucun rapport avec le compte en banque : les « pauvres » au sens biblique (les « anawim ») ce sont ceux qui n'ont pas le coeur fier ou le regard hautain, comme dit le psaume ; on les appelle « les dos courbés » : ce sont les petits, les humbles du pays, dans le langage prophétique. Ils ne sont pas repus, satisfaits, contents d'eux, il leur manque quelque chose. Alors Dieu pourra les combler.

On retrouve là le langage des prophètes : tantôt sévère, menaçant... tantôt encourageant ; sévère, menaçant quand le peuple fait fausse route, se trompe de valeurs ; encourageant quand le peuple traverse des périodes de détresse et de désespoir. Ici Jésus, regardant ses disciples et, au-delà d'eux la foule, éduque leur regard : il reprend ces deux langages prophétiques ; et on retrouve là le même discours que dans la première lecture de ce dimanche, le texte de Jérémie : vous qui mettez votre confiance dans les richesses matérielles, dans votre position sociale, vous qui êtes bien vus, « bientôt, on ne vous enviera pas ! » Vous n'êtes pas sur la bonne route. Si vous étiez sur la bonne voie, vous ne seriez pas si riches, pas si bien vus.

Un vrai prophète s'expose à déplaire, Jésus en sait quelque chose ; un vrai prophète n'a ni le temps ni la préoccupation d'amasser de l'argent, ou de soigner sa publicité... On peut tout à fait appliquer à Jésus-Christ ces quatre Béatitudes : lui, le pauvre qui n'avait pas une pierre pour reposer sa tête et qui est mort dans le dénuement et l'abandon ; lui qui a pleuré le deuil de son ami Lazare ; et qui a connu l'angoisse du Jardin des Oliviers ; lui qui a pleuré sur le malheur de Jérusalem ; lui qui a eu faim et soif, au désert et jusque sur la croix ; lui qui a été méprisé, calomnié, persécuté, et pour finir, supprimé au nom des bons principes et de la vraie religion (ce qui est quand même un comble si on y réfléchit !)

En proclamant « heureux » ceux qui vivent ces Béatitudes, à commencer par lui-même, Jésus rend grâce en quelque sorte : car il sait de quel regard d'amour son Père l'enveloppe ; et il sait que la victoire est déjà acquise : la promesse de la Résurrection se profile déjà derrière ces Béatitudes. Il nous révèle ce regard de Dieu, cette miséricorde de Dieu : étymologiquement, le mot « miséricorde » signifie des entrailles qui vibrent ; ce texte vient nous dire : il y a le regard de l'homme, il y a le regard de Dieu ; l'admiration de l'homme se trompe souvent d'objet : son admiration va vers les riches, les repus, les gâtés de la vie. Le regard de Dieu est tout autre : « un pauvre a crié, Dieu l'entend » dit le psaume ; ou encore « d'un coeur brisé et broyé, Dieu n'a point de mépris » (Ps 51). Isaïe va même jusqu'à dire : « Dans la souffrance qui broie son serviteur, Dieu l'aime avec un amour de prédilection. » (Is 53). Les pauvres, les persécutés, ceux qui ont faim, ceux qui pleurent, Dieu se penche sur eux avec prédilection : non pas en vertu d'un mérite de leur part, mais en raison de leur situation même. Et Jésus ouvre ici nos yeux sur une autre dimension du bonheur : le véritable bonheur, c'est ce regard de Dieu sur nous. Et alors, sûrs de ce regard de Dieu, les pauvres, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim, trouveront la force de prendre leur destin en main ; comme le traduit André Chouraqui, le mot « heureux » veut aussi dire « en marche ». Par exemple, le peuple guidé par Moïse a trouvé la force de sa longue marche au désert dans la certitude de la présence constante de Dieu à ses côtés. Encore une fois, cette opposition entre béatitudes et malédictions ne divise pas l'humanité en deux populations distinctes : ceux qui méritent ces paroles de réconfort et ceux qui n'encourent que réprobation. Nous faisons partie tour à tour de l'un ou l'autre groupe, et c'est à chacun de nous que le Christ dit « en marche...! »

Je disais plus haut que ces Béatitudes sont d'abord applicables à Jésus-Christ : elles le sont ensuite aux disciples ; Luc nous dit : « Regardant ses disciples, Jésus dit : Heureux, vous les pauvres : le royaume de Dieu est à vous ! Heureux, vous qui avez faim maintenant : vous serez rassasiés ! » ; traduisez « Vous qui me suivez, voilà ce que vous récolterez : la faim, la soif, la pauvreté ; vous pleurerez de découragement dans l'entreprise d'évangélisation, vous serez persécutés, assassinés les uns après les autres, mais vous avez fait le bon choix ».

« Vous serez rassasiés, consolés, soyez heureux et sautez de joie » : c'était déjà dans l'Ancien Testament, la manière de parler du bonheur qu'apporterait le Messie ; les disciples connaissaient bien ces expressions ; ils comprennent du coup très bien ce que Jésus leur annonce ici : « Vous qui êtes sortis de la foule pour me suivre, vous n'êtes pas partis pour récolter les honneurs ni la richesse, mais vous avez fait le bon choix, puisque vous avez su reconnaître en moi le Messie ».

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12 février 2010 5 12 /02 /février /2010 23:53
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

Cinquième dimanche du temps ordinaire

PREMIERE LECTURE - Isaïe 6, 1...8

1 L'année de la mort du roi Ozias,
je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ;
les pans de son manteau remplissaient le Temple.
2 Des séraphins se tenaient au-dessus de lui.
3 Ils se criaient l'un à l'autre :
« Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu de l'univers.
Toute la terre est remplie de sa gloire. »
4 Les pivots des portes se mirent à trembler
à la voix de celui qui criait,
et le Temple se remplissait de fumée.
5 Je dis alors :
« Malheur à moi ! Je suis perdu,
car je suis un homme aux lèvres impures,
j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures ;
et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l'univers ! »
6 L'un des séraphins vola vers moi,
tenant un charbon brûlant
qu'il avait pris avec des pinces sur l'autel.
7 Il l'approcha de ma bouche et dit :
« Ceci a touché tes lèvres,
et maintenant ta faute est enlevée,
ton péché est pardonné. »
8 J'entendis alors la voix du Seigneur qui disait :
« Qui enverrai-je ?
Qui sera notre messager ? »
Et j'ai répondu :
« Moi, je serai ton messager :
envoie-moi. »

La semaine dernière, nous lisions le récit de la vocation de Jérémie, aujourd'hui, celle d'Isaïe ; deux très grands prophètes à nos yeux. Et pourtant, l'un comme l'autre avouent leur petitesse : Jérémie se sent incapable de parler, mais puisque Dieu a pris l'initiative de le choisir, c'est Dieu aussi qui l'inspirera et lui donnera la force nécessaire. Isaïe, lui, est saisi par un sentiment d'indignité ; mais là encore, puisque c'est Dieu qui l'a choisi, c'est Dieu aussi qui le purifiera.
Jérémie était prêtre et nous ne savons pas où il a reçu l'appel de Dieu ; curieusement, c'est Isaïe qui n'était pas prêtre, qui situe sa vocation au Temple de Jérusalem : « L'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ». Quand Isaïe nous dit « je vis », cela veut dire qu'il s'agit non pas d'un récit, mais d'une vision ; ne cherchons donc pas dans son évocation un déroulement logique d'événements. Les livres prophétiques sont émaillés de visions fantastiques : à nous de décoder ce langage extrêmement suggestif, même s'il surprend notre mentalité contemporaine.

Isaïe nous dit qu'en ce qui le concerne, cela s'est passé « l'année de la mort du roi Ozias » : c'est une indication précieuse. Il est rare que nous puissions évoquer des dates avec autant de précision ; cette fois, nous le pouvons car on sait que le roi Ozias a régné à Jérusalem de 781 à 740 av J.C. Depuis la mort du roi Salomon (en 933, c'est-à-dire depuis près de deux cents ans), le royaume de David et de Salomon est divisé : il y a deux royaumes, deux rois, deux capitales : au Sud, Ozias est roi de Jérusalem, au Nord, Menahem est roi de Samarie. On sait également que Ozias était lépreux et qu'il est mort de cette maladie à Jérusalem en 740. C'est donc cette année-là qu'Isaïe a reçu sa vocation de prophète : ensuite, il a prêché pendant environ quarante ans (là on est moins précis) et il est resté dans la mémoire collective d'Israël comme un très grand prophète et en particulier le prophète de la sainteté de Dieu.

« Saint, Saint, Saint le Seigneur, Dieu de l'univers. Toute la terre est remplie de sa gloire » : vous avez reconnu le Sanctus de nos messes. Il date donc au moins du prophète Isaïe. (Peut-être cette acclamation faisait-elle déjà partie de la liturgie au Temple de Jérusalem, mais on n'en a pas la preuve ; on a seulement retrouvé des expressions équivalentes plus anciennes en Egypte).

Dire que Dieu est « Saint », au sens biblique, c'est dire qu'il est Tout Autre que l'homme. Dieu n'est pas à l'image de l'homme ; bien au contraire, ce que la Bible affirme c'est l'inverse : c'est l'homme qui est « à l'image de Dieu » ; ce n'est pas la même chose ! Cela veut dire que nous devrions rester très modestes et très prudents chaque fois que nous parlons de Dieu ! Parce que Dieu est le Tout Autre, il nous est radicalement, irrémédiablement impossible de l'imaginer tel qu'il est, nos mots humains ne peuvent jamais rendre compte de lui.

La première partie de la vision d'Isaïe dit bien cette prise de conscience fondamentale ; et ce qu'il nous décrit ressemble étrangement à d'autres évocations des grandes manifestations de Dieu dans la Bible : Dieu est assis sur un trône très élevé, une fumée se répand et remplit tout l'espace, une voix tonne... elle tonne si fort que les lieux tremblent... Isaïe ne peut pas s'empêcher de penser à ce qui s'était passé pour Moïse sur la montagne du Sinaï, au moment où Dieu avait fait alliance avec son peuple et donné les tables de la Loi ; c'est le livre de l'Exode qui raconte : « Le mont Sinaï n'était que fumée, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d'une fournaise, et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s'amplifia : Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre. » (Ex 19, 18-19).

L'homme Isaïe mesure alors sa petitesse et il ressent comme une sorte de crainte : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures ; et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l'univers ! » Cette « crainte », comme découverte de notre petitesse, du fossé infranchissable qui nous sépare de Dieu si Dieu lui-même ne le comble pas, est une première étape indispensable dans notre relation à Dieu. Mais Dieu n'en reste pas là. D'ordinaire, dans la Bible, il y a toujours cette parole de la part de Dieu : « ne crains pas »... Ici, la parole n'est pas dite mais elle est remplacée par un geste très suggestif : un des séraphins, un de ceux qui, justement, proclament la sainteté de Dieu, va accomplir le geste qui purifie l'homme, qui comble le fossé, qui permet à l'homme d'entrer en relation avec Dieu : « L'un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu'il avait pris avec des pinces sur l'autel. Il l'approcha de ma bouche... » Manière de dire que c'est Dieu qui prend l'initiative de se faire proche de l'homme ; ce fossé qui nous sépare de Dieu, c'est Dieu lui-même qui le comble.

Quand Isaïe parlera de Dieu, plus tard, il lui arrivera souvent de l'appeler « Le Saint d'Israël » : cette expression dit bien que Dieu est le Saint, le Tout-Autre, mais aussi qu'il s'est fait proche de son peuple, puisque celui-ci peut aller jusqu'à revendiquer une relation d'appartenance (Dieu est « Le Saint d'Israël »). Cette relation qui s'instaure alors à l'initiative de Dieu peut être très profonde puisqu'ici pour Isaïe, il s'agit d'une mission de confiance : il s'agit de devenir rien moins que le porte-parole de Dieu. On dit parfois des prophètes qu'ils sont la bouche même de Dieu ; au fait, si on y réfléchit, la même expression peut désormais nous être appliquée depuis notre baptême...
... de quoi nous laisser rêveurs !

PSAUME 137 ( 138 )

1 De tout mon coeur, Seigneur, je te rends grâce,
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
2 vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
3 Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

4 Tous les rois de la terre te rendent grâce
quand ils entendent les paroles de ta bouche.
5 Ils chantent les chemins du Seigneur :
« Qu'elle est grande, la gloire du Seigneur ! »

7c Ta droite me rend vainqueur.
8 Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n'arrête pas l'oeuvre de tes mains.


Il se dégage de ce psaume une impression très particulière, très douce, de joie profonde et de sérénité. Dès le premier verset, tout est dit. Par exemple, l'expression « rendre grâce » est répétée : « De tout mon coeur, Seigneur, je te rends grâce »... « Je rends grâce à ton nom ». Le croyant est celui qui vit dans la grâce de Dieu et qui le reconnaît tout simplement, le cœur noyé de reconnaissance.

J'ait dit « le croyant », mais ce croyant n'est pas un individu particulier, c'est le peuple d'Israël, comme toujours dans les psaumes, qui parle ici et qui rend grâce pour l'Alliance que Dieu lui a proposée. Cela s'entend à la répétition du nom « SEIGNEUR » qui revient cinq fois dans ces quelques versets. C'est le fameux NOM de Dieu, ce que nous appelons le « tétragramme » puisqu'il s'agit de quatre consonnes, ce Nom révélé par Dieu à Moïse au Sinaï au moment de l'épisode du buisson ardent (Ex 3). Dieu s'est encore révélé à Moïse au cours de l'Exode dans le Sinaï, sous le nom de « amour et vérité » : nous l'entendons également ici : « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité ». Nous retrouvons cette même expression « amour et vérité » à plusieurs reprises dans d'autres psaumes et dans l'ensemble de la Bible ; c'est la précieuse découverte d'Israël, grâce au souffle de Dieu, bien sûr. On peut la lire au chapitre 34 de l'Exode : « (je suis) le Seigneur, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein d'amour et de vérité ». (Ex 34, 6). Et ce n'est pas un hasard si cette révélation de la tendresse de Dieu est intervenue après l'épisode du veau d'or, c'est-à-dire une infidélité caractérisée du peuple. Car c'est précisément à l'occasion de ses infidélités répétées que le peuple d'Israël a fait l'expérience de l'inépuisable miséricorde de Dieu.

C'est cette fidélité de Dieu que l'on chante inlassablement au Temple de Jérusalem : « Vers ton temple sacré je me prosterne » ... le décor ici est le même que dans le récit de la vocation d'Isaïe que nous avons lu en première lecture... et le psaume continue : « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité ». Dans le récit de la vocation d'Isaïe, l'accent était mis sur la Sainteté de Dieu, le fossé qui nous sépare de Dieu, et que nous ne pouvons combler par nos propres forces ni par aucune action, si méritoire soit-elle... C'est Dieu lui-même qui en permanence comble ce fossé et nous invite à entrer dans son intimité. Dans ce psaume, nous découvrons en quoi consiste la Sainteté de Dieu : Dieu est Amour et vérité : voilà sa sainteté... et c'est vrai qu'en cela un fossé nous sépare de Lui.

A la fin du psaume, nous retrouvons une autre expression de cette prise de conscience de l'amour de Dieu : « éternel est ton amour », vous avez reconnu le refrain du psaume 136 (135) qui est, lui aussi, un rappel de la libération de l'Exode. L'allusion à la « droite » (traduisez la main) de Dieu (dans le verset « Ta droite me rend vainqueur ») est encore un autre rappel de l'Exode : car, selon l'expression consacrée, Dieu nous a libérés « par sa main forte et son bras étendu » (Dt 4, 34).
Cette Alliance du Sinaï a fait d'Israël le bénéficiaire de la Révélation, le confident de Dieu ; et c'est ce qui vient d'être exprimé de plusieurs manières. Mais Israël a découvert également que ce n'est pas le tout d'être le confident de Dieu. Désormais, il doit en être le prophète : c'est-à-dire qu'il a la charge, la responsabilité de proclamer l'amour et la vérité de Dieu à l'ensemble de l'humanité.

C'est le sens du verset : « Tous les rois de la terre te rendent grâce ». A dire vrai, c'est pour le moins une anticipation ! Tous les rois de la terre ne sont pas encore convertis, ni au temps de David, ni même à la fin de l'Ancien Testament, et pas encore non plus aujourd'hui... loin de là ! Mais cette anticipation, on y tient : elle est un rappel du double aspect de la vocation d'Israël dont je viens de parler. Pour que les rois de la terre s'inclinent devant Dieu, il faudra qu'ils aient entendu la Bonne Nouvelle. Le psaume dit bien : « Tous les rois de la terre te rendent grâce quand ils entendent les paroles de ta bouche ». Quand Israël aura rempli sa mission de témoin de Dieu, alors on pourra chanter vraiment : « De tout mon coeur je te rends grâce // tous les rois de la terre te rendent grâce ».
Dernière remarque à propos d'une phrase apparemment toute simple : « Je te chante en présence des anges ». Il est intéressant de noter que, dans la Bible en hébreu, la formule était : « Je te chante devant les Elohîm ». En hébreu le mot « Elohîm » signifie « les dieux ». C'était une sorte de profession de foi, manière d'affirmer qu'Israël ne tombe pas dans l'idolâtrie : Dieu seul est Dieu, les Elohîm, c'est-à-dire les idoles, les dieux des autres peuples ne sont que néant. Mais s'il est utile de l'affirmer, c'est que le danger n'est pas totalement écarté. Cela sonne donc plutôt comme une résolution.

En revanche, quand la Bible hébraïque a été traduite en grec, les traducteurs, considérant probablement qu'il n'y avait plus de danger d'idolâtrie ont remplacé le mot « Elohîm » (les dieux) par les anges. D'où notre verset : « Je te change en présence des anges ». (Or notre psautier liturgique s'inspire du grec).

Enfin, le psaume se termine par une prière : « n'arrête pas l'oeuvre de tes mains », ce qui veut dire « continue malgré nos infidélités répétées » ; il faut lire ensemble les deux phrases « Seigneur, éternel est ton amour : n'arrête pas l'oeuvre de tes mains. » C'est parce que l'amour de Dieu est éternel que nous savons qu'il n'arrêtera pas « l'oeuvre de ses mains ».

DEUXIEME LECTURE - 1 Co 15, 1-11

1 Frères,
je vous rappelle la Bonne Nouvelle
que je vous ai annoncée ;
cet Evangile, vous l'avez reçu,
et vous y restez attachés ;
2 vous serez sauvés par lui
si vous le gardez tel que je vous l'ai annoncé ;
autrement, c'est pour rien que vous êtes devenus croyants.
3 Avant tout, je vous ai transmis ceci,
que j'ai moi-même reçu :
le Christ est mort pour nos péchés
conformément aux Ecritures,
4 et il a été mis au tombeau ;
il est ressuscité le troisième jour
conformément aux Ecritures,
5 et il est apparu à Pierre, puis aux Douze ;
6 ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois
- la plupart sont encore vivants,
et quelques-uns sont morts -,
7 ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres.
8 Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l'avorton que je suis.
9 Car moi, je suis le plus petit des Apôtres,
je ne suis pas digne d'être appelé Apôtre,
puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu.
10 Mais ce que je suis,
je le suis par la grâce de Dieu,
et la grâce dont il m'a comblé n'a pas été stérile :
je me suis donné de la peine plus que tous les autres ;
à vrai dire, ce n'est pas moi,
c'est la grâce de Dieu avec moi.
11 Bref, qu'il s'agisse de moi ou des autres,
voilà notre message,
et voilà votre foi.




« Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même reçu... » nous dit Paul. Si nous sommes ici, à lire les lettres de Saint Paul, c'est parce que depuis deux mille ans, génération après génération, l'Evangile se transmet : notre foi, nous la devons à ceux qui nous ont précédés. On peut comparer cette transmission de l'Evangile à une course de relais : sur le même parcours, régulièrement, les coureurs sont remplacés par de nouvelles équipes, de nouveaux concurrents, auxquels ils transmettent un objet (qu'on appelle le « relais », le « témoin ») ; entendons-nous bien, la foi n'est pas un objet, mais gardons l'idée d'une course ; pour l'Evangile, le relais se transmet depuis deux mille ans sans défaillance ;
Paul ne fait pas partie de l'équipe qui a pris le départ la première : en dehors de l'apparition sur le chemin de Damas, il n'a pas connu le Christ, il n'a pas été témoin des événements de la vie de Jésus de Nazareth. Mais il peut citer ses sources : ce sont les Apôtres de la première génération, si l'on peut dire (et pour lui, plus précisément, Ananie, Barnabé et la communauté chrétienne d'Antioche de Syrie) ; grâce à eux, lui, Paul, a reçu le témoin et il le transmet à son tour. Ce qu'il transmet c'est l'Evangile, la Bonne Nouvelle qui tient en deux phrases, mieux en deux mots ! Deux phrases, les voici : « le Christ est mort pour nos péchés, il est ressuscité le troisième jour » ; deux mots : mort / ressuscité ; ce sont les deux piliers de notre foi.

Pour appuyer son propos, Paul affirme que tout cela est conforme aux Ecritures (c'est-à-dire, à l'heure où il écrit, à l'Ancien Testament) : « Le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Ecritures, et il a été mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Ecritures ». En réalité, on ne trouve nulle part dans les Ecritures des affirmations concernant explicitement la mort et la résurrection du Messie : la formule « conformément aux Ecritures » ne signifie pas que tout était écrit d'avance ; la formule « selon les Ecritures » signifie que tout ce qui est arrivé est conforme au dessein bienveillant de Dieu ; on pourrait remplacer ici le mot « Ecritures » par le mot « projet de Dieu » ou « promesse de Dieu » : conformément à la promesse de Dieu, le Christ est mort pour nos péchés, c'est-à-dire nos péchés sont effacés... Conformément à la promesse de Dieu, le Christ est ressuscité, c'est-à-dire la mort est vaincue. L'Ancien Testament résonnait de ces promesses : promesses de pardon des péchés, promesses de salut, promesses de vie.

Par exemple, l'expression « le troisième jour », à elle seule, dans l'Ancien Testament, évoquait une promesse de salut, de libération ; dire « il y aura un troisième jour » revenait à dire « Dieu interviendra ». Le troisième jour, au mont Moryyah, Dieu avait suggéré à Abraham la solution pour sauver Isaac (Gn 22, 4) ; le troisième jour, Joseph, en Egypte, avait rendu la liberté à ses frères (Gn 42, 18) ; le troisième jour, le Seigneur s'était manifesté à son peuple rassemblé au pied du Mont Sinaï (Ex 19, 11. 16) ; le troisième jour, Jonas enfin converti avait retrouvé la terre ferme et sa mission (Jon 2, 1) ; c'est bien ainsi qu'on interprétait la parole d'Osée : « Il nous guérira après deux jours ; au troisième jour nous serons ressuscités et nous vivrons devant lui. » (Os 6, 2). Le troisième jour n'est donc pas une donnée chronologique mais l'expression d'une espérance : celle du triomphe de la vie au bénéfice de tous. Proclamer « Le Christ est ressuscité le troisième jour conformément aux Ecritures » est donc bien l'affirmation d'un salut pour tous. Un salut qui est le triomphe de la vie ; un salut actuel pour tous les temps et pour tous les hommes puisque le Christ est vivant pour toujours.

Cette Bonne Nouvelle, nous dit Paul, il faut absolument y rester attachés : « Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Evangile, vous l'avez reçu, et vous y restez attachés ; vous serez sauvés par lui si vous le gardez tel que je vous l'ai annoncé. » « Vous serez sauvés », c'est-à-dire vous pourrez participer à ce triomphe de Jésus-Christ sur la mort et le péché : grâce à lui, ou greffés sur lui, vous ferez partie de cette humanité nouvelle désormais animée par l'Esprit Saint.

Ce salut, Paul l'a expérimenté lui-même, lui le persécuteur pardonné, converti et transformé en colonne de l'Eglise... lui qui n'oubliera jamais qu'il a été un persécuteur des Chrétiens : « Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé Apôtre, puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. » Plus qu'aucun autre il est bien placé pour en parler ! Il suffit de croire au pardon pour être pardonné... Voilà la merveille de l'amour de Dieu pour l'humanité, un amour sans conditions, un amour sans cesse offert. C'est cela qu'en théologie, on appelle la « grâce ». Une grâce qu'il nous suffit d'accepter. Paul, comme Isaïe, comme Pierre, a grande conscience de son péché ; mais il laisse la grâce de Dieu agir en lui : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m'a comblé n'a pas été stérile : je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi. » D'un « avorton » (Paul) Dieu a fait un apôtre, le plus ardent qui soit, tout comme, de Jérémie, le jeune homme timide, il avait fait un prophète intrépide, comme d'Isaïe aux lèvres impures, il a fait la « bouche de Dieu », comme de Pierre, le renégat, il a fait le fondement de son Eglise.
Un salut qu'il suffit d'accepter : c'est vraiment une Bonne Nouvelle ! Il ne reste plus qu'à la crier sur les toits !

EVANGILE - Luc 5, 1-11

1 Un jour, Jésus se trouvait sur le bord du lac de Génésareth :
la foule se pressait autour de lui pour écouter la parole de Dieu.
2 Il vit deux barques amarrées au bord du lac ;
les pêcheurs en étaient descendus
et lavaient leurs filets.
3 Jésus monta dans l'une des barques, qui appartenait à Simon,
et lui demanda de s'éloigner un peu du rivage.
Puis il s'assit et, de la barque, il enseignait la foule.
4 Quand il eut fini de parler,
il dit à Simon :
« Avance au large,
et jetez les filets pour prendre du poisson. »
5 Simon lui répondit :
« Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ;
mais, sur ton ordre,
je vais jeter les filets. »
6 Ils le firent,
et ils prirent une telle quantité de poissons
que leurs filets se déchiraient.
7 Ils firent signe à leurs compagnons de l'autre barque
de venir les aider.
Ceux-ci vinrent,
et ils remplirent les deux barques,
à tel point qu'elles enfonçaient.
8 A cette vue,
Simon-Pierre tomba aux pieds de Jésus, en disant :
« Seigneur, éloigne-toi de moi,
car je suis un homme pécheur. »
9 L'effroi, en effet, l'avait saisi,
lui et ceux qui étaient avec lui,
devant la quantité de poissons qu'ils avaient prise ;
10 et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, ses compagnons.
Jésus dit à Simon :
« Sois sans crainte,
désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
11 Alors ils ramenèrent les barques au rivage
et, laissant tout, ils le suivirent.


On n'a pas beaucoup l'habitude de comparer l'Apôtre Pierre au prophète Isaïe, et pourtant le rapprochement des textes de la liturgie de ce cinquième dimanche nous y invite, en nous faisant lire les récits de leurs vocations. Le décor n'est pas le même : pour Isaïe, cela se passait au cours d'une vision qui se déroulait dans le temple de Jérusalem ; Pierre, lui, est sur le lac de Tibériade (appelé aussi lac de Génésareth). L'un et l'autre sont subitement mis en présence de Dieu lui-même : Isaïe au cours de sa vision, Pierre parce qu'il assiste à un miracle. Les précisions apportées par Luc ne laissent aucun doute là-dessus : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre », c'est le constat de l'homme de métier. Puis, le succès inespéré de l'entreprise pourtant vouée à l'échec à vues humaines : si la pêche ne donne rien la nuit, elle a encore moins de chances d'être fructueuse le jour, tous les pêcheurs le disent ; mais sur la simple parole de Jésus, le miracle se produit : « Ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se déchiraient. »

Et tous les deux, Pierre et Isaïe, ont la même réaction devant cette irruption de Dieu dans leur vie ; tous les deux ont une même conscience de la sainteté de Dieu et de l'abîme qui nous sépare de lui. Et leurs expressions à tous les deux se ressemblent beaucoup : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur », dit Pierre ; et Isaïe disait « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures ; et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l'univers ! »

Mais, apparemment, ce n'est pas notre péché, notre indignité qui arrête Dieu ! Il lui suffit que nous en prenions conscience, que nous soyons en vérité devant lui. Car le jour où nous prenons conscience de notre pauvreté, Dieu peut nous combler. Tous les deux, Pierre et Isaïe, sont donc en proie à une espèce de crainte devant la manifestation évidente de Dieu. Alors, toujours dans sa vision, Isaïe voit s'accomplir le geste qui le purifie et le rassure ; Pierre, lui, entend la parole de réconfort de Jésus : « Sois sans crainte ». Enfin, tous les deux reçoivent une vocation, au service du même projet de Dieu, bien sûr, qui est le salut des hommes. Isaïe sera un messager, un prophète. Pierre sera un pêcheur d'hommes, un « sauveteur ».

« Ce sont des hommes que tu prendras » : en grec, le sens du mot employé ici est « prendre vivant » ; quand il s'agit de poissons, c'est le mot qu'on emploie pour la pêche au filet : capturer des poissons, les arracher à la mer, c'est les tuer parce que la mer est leur milieu naturel... Mais quand il s'agit des hommes que l'on arrache à la mer, il signifie sauver : prendre vivants des hommes, les arracher à la mer, c'est les empêcher de se noyer, c'est les sauver. Sur cette phrase de Jésus, « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras », Pierre ne répond pas ; la simplicité du texte est impressionnante : « Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. » Encore faut-il s'entendre sur le sens du mot « suivre » : les disciples ne se contenteront pas de suivre le maître pour l'écouter ; ils seront associés à sa tâche, ils deviendront ses collaborateurs. Même si l'entreprise paraît vouée à l'échec à vues humaines, il faudra continuer à lancer les filets. Nous sommes placés là devant le mystère extraordinaire de notre collaboration à l'oeuvre de Dieu : nous ne pouvons rien faire sans Dieu, mais Dieu ne veut rien faire sans nous. Comme disait Paul dans la deuxième lecture, c'est la grâce de Dieu qui fait tout : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m'a comblé n'a pas été stérile : je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi. »

La seule collaboration qui nous est demandée, si on y réfléchit, c'est la confiance et la disponibilité. Tout a commencé parce que Pierre a fait confiance : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets. » A ce maître qu'il vient d'entendre parler à la foule longuement, il fait confiance, assez pour l'écouter, assez pour se risquer à une nouvelle tentative de pêche ; après le miracle, il ne dit plus « Maître », il dit « Seigneur », le nom réservé à Dieu ; et c'est aux pieds du Seigneur qu'il se prosterne ; et alors il est prêt à entendre l'appel : pour se risquer à cette nouvelle sorte de pêche que lui propose Jésus, il faut le reconnaître comme le Seigneur.

Grâce à la générosité d'Isaïe qui a accepté de devenir messager, grâce à la générosité de Pierre et de ses compagnons qui ont tout laissé pour suivre Jésus, grâce à la générosité de Paul qui, après le chemin de Damas, a consacré le reste de sa vie à témoigner du Christ ressuscité, à notre tour, nous sommes là ; la parole du Christ résonne encore à nos oreilles : « Avance au large, et jetez les filets »... A notre tour de répondre : « Sur ton ordre, nous jetterons les filets ».
Moralité : faisons confiance et acceptons de jeter nos filets. Pour que la pêche soit miraculeuse, il suffit de croire en Lui.

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