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3 février 2010 3 03 /02 /février /2010 10:42
C'est avec grand plaisir que j'ai appris, hier, la tenue d'un colloque susceptible d'intéresser, non seulement tous les catholiques, mais également tous les hommes de bonne volonté prêts à découvrir ou approfondir ce que dit Benoît XVI dans son encyclique "Caritas in veritate", en particulier à propos de la liberté et des relations Etat / Société civile.

Ce colloque est le 4e organisé par l'AEC (Association des Economistes Catholiques) et la l'Association pour la Fondation de Service Politique sur le théme "Actualité de la Doctrine Sociale de l'Eglise".

En voici le programme.


ACTUALITÉ de

LA DOCTRINE SOCIALE

de l’EGLISE

 

Quatrième colloque organisé par

 

l’Association des Economistes Catholiques

 et

l’Association pour la Fondation de Service Politique

 

 

CARITAS IN VERITATE :
Un appel à libérer
la société civile


 

 

 

 

 

Paris,

Samedi 20 mars 2010

 

 



PROGRAMME

Modérateur du colloque : François de LACOSTE-LAREYMONDIE

Fondation de Service Politique

 

MATINÉE

 

 9 h 30     Introduction, par François de LACOSTE-LAREYMONDIE (vice-président de la Fondation de Service Politique).

 

 9 h 40     La place du don et de la gratuité, par Mgr Nicolas BROUWET, Evêque auxiliaire de Nanterre.

 

10 h 10     La société civile selon Benoît XVI, par Jean-Yves NAUDET (Professeur de Sciences économiques de l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III), Président de l’AEC).

 

10 h 40                     La naissance de la société civile, par Jean-François MATTEI (Professeur émérite de philosophie à l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre de l’Institut Universitaire de France).

 

11 h 10                     Pause

 

11 h 30                     Table-ronde 1 (suivie d’une discussion) : Le contexte : la domination du binôme Etat/marché avec le Père Pierre COULANGE (Professeur de théologie au Studium Notre Dame de Vie), Pierre GARELLO (Professeur de Sciences économiques à l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III)), Jean-Pierre AUDOYER (Doyen de la FACO – Faculté Libre de Droit, d’Economie et de Gestion).

12 h 45    Pause déjeuner (Déjeuner libre : les participants sont invités à aller déjeuner dans le quartier).

 

 

APRES-MIDI

 

Comment rendre son vrai rôle à la société civile ?

 

14 h 45  Table-ronde 2  (suivie d’une discussion) : A qui appartiennent la famille, l’éducation, la culture ? avec Jean-Didier LECAILLON (Professeur de Sciences économiques à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), vice-président de l’AEC), Recteur Armel PECHEUL (Professeur de Droit public à l’Université d’Angers, Président du Conseil Scientifique de l’ICES), Aude de KERROS (peintre, graveur, essayiste).

 

15 h 45  Table-ronde 3 (suivie d’une discussion) : A qui appartient la solidarité ? avec Jacques BICHOT (Professeur émérite de l’Université Jean Moulin (Lyon III), vice-président de l’AEC), Hugues RENAUDIN (Président du Comité Français de Secours aux Enfants)

 

Séance de conclusion : la place du don et de la gratuité dans la société, la vie politique et l’économie

 

16 h 45    La charité dans l’ordre politique et économique, par Philippe BENETON (Professeur de Science Politique à l’Université de Rennes I).

 

17 h 15    Conclusion, par François de LACOSTE-LAREYMONDIE (vice-président de la Fondation de Service Politique).



Le colloque se déroulera

le samedi 20 mars  2010

 à partir de 9 h 30 (accueil dès 9 h 00)

Paroisse Saint-Pierre du Gros Caillou,

92, rue Saint Dominique – 75007 Paris

 

 

Entrée libre, participation aux frais souhaitée

 

Renseignements

 

ASSOCIATION DES ECONOMISTES CATHOLIQUES

Jean-Yves NAUDET

22, avenue des Floralies

13770 VENELLES

tél : 04 42 17 28 73

fax : 04 42 17 28 59

Contact : jeanyvesnaudetu3@yahoo.fr

http://aecfrance.new.fr

AEC

 

 

Fondation de Service Politique

Philippe de SAINT-GERMAIN

83, rue St Dominique

75007 PARIS

Contact : colloque@libertepolitique.com

www.libertepolitique.com

 

 

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31 janvier 2010 7 31 /01 /janvier /2010 13:04

 

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

PREMIERE LECTURE - Jérémie 1, 4-5. 17-19

4 Le Seigneur m'adressa la parole et me dit :
5 « Avant même de te former dans le sein de ta mère,
je te connaissais ;
avant que tu viennes au jour,
je t'ai consacré ;
je fais de toi un prophète pour les peuples. »

17 « Lève-toi,
tu prononceras contre eux tout ce que je t'ordonnerai.
Ne tremble pas devant eux,
sinon, c'est moi qui te ferai trembler devant eux.
18 Moi, je fais de toi aujourd'hui une ville fortifiée,
une colonne de fer,
un rempart de bronze,
pour faire face à tout le pays,
aux rois de Juda et à ses chefs,
à ses prêtres et à tout le peuple
.
19 Ils te combattront,
mais ils ne pourront rien contre toi,
car je suis avec toi pour te délivrer
.
Parole du Seigneur. »

 

Jérémie fut un très grand prophète à Jérusalem, on le sait ; ici, il nous dit sa vocation, son expérience spirituelle. Mais il faut d'abord se rappeler le contexte historique dans lequel il est intervenu. C'était une période extrêmement difficile de l'histoire du peuple juif. On ne sait ni la date de la naissance ni celle de la mort de Jérémie, mais on connaît à peu près les dates de sa prédication qui s'étend de 627 à 587 av.JC. environ ; c'est-à-dire une durée de quarante ans, ce qui est considérable ! Pendant ce temps-là, la situation politique a connu de grands bouleversements !

Les grandes puissances de l'époque, dans cette région tout au moins, sont l'empire assyrien, l'Egypte et bientôt Babylone. Le royaume de Jérusalem n'est qu'un tout petit pays coincé entre ces grandes puissances qui se disputent la domination sur tout le Moyen-Orient. Tantôt en paix, tantôt en guerre, mais toujours sous domination étrangère, le roi de Jérusalem ne sait pas bien quelle politique d'alliance adopter avec quelle puissance étrangère pour reconquérir son indépendance. En fait, il sera tour à tour vassal de ces trois puissances.


C'est dans ce contexte que Jérémie a entendu l'appel de Dieu : « Le Seigneur m'adressa la parole et me dit : Avant même de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t'ai consacré ». Jérémie a donc bien conscience de n'avoir rien décidé par lui-même, c'est Dieu qui l'a choisi ; le mot « consacrer » signifie « mettre à part » : de la part du Seigneur, cela équivaut à choisir, prédestiner. Et on sait que Jérémie a trouvé ce choix de Dieu bien exigeant ! En tout cas, depuis son premier instant, la vie tout entière de Jérémie a été orientée vers la mission confiée par Dieu. Entendons-nous bien : Dieu l'a « mis à part », comme il dit, mais c'est tout le contraire d'une mise à l'écart, d'un splendide isolement, d'une tour d'ivoire, comme on dirait aujourd'hui. Toute vocation, dans la Bible, est toujours une « mise à part » pour un service.

Un service qui, dans le cas présent, ressemble fort à un combat ! Car, à la lumière de sa vocation, Jérémie porte sur la monarchie et sur les autorités religieuses un jugement très sévère qu'on pourrait résumer en deux phrases : à la cour, le roi et les chefs politiques ne parlent que guerres, soulèvements, renversement d'alliances ; c'est-à-dire tout le contraire de la paix dont rêve le peuple. Quant au Temple, on ne se préoccupe que de belles liturgies, pendant que la justice sociale et la morale sont en pleine décadence ; on est donc en parfaite hypocrisie.

Au milieu de tout cela, le prophète doit être le porte-parole de Dieu ; il est là pour rappeler que la seule chose qui compte, la seule urgente, prioritaire, c'est l'Alliance avec Dieu, celle justement dont plus personne ne se préoccupe. Evidemment, ses vigoureuses remises en cause ne peuvent que soulever l'opposition ou, au mieux, la dérision. Dieu l'a bien prévenu : « Ils te combattront ». Et de fait, Jérémie a rencontré beaucoup d'opposition dans l'accomplissement de son ministère.

Le plus curieux dans cette histoire, c'est que pour cette tâche ingrate et qui exigeait beaucoup de courage, Dieu a choisi un jeune homme timide et « qui ne sait pas parler » (Jérémie le disait lui-même dans des versets qui ne font pas partie de la lecture de ce dimanche). Or il lui faudra parler, justement, crier, tempêter, prêcher... à temps et à contre-temps, tenir tête à tout un peuple et à son roi. En plus, c'est un coeur sensible, et il sera profondément bouleversé par le malheur de sa patrie ; mais l'heure n'est pas à la mollesse : et il lui faudra consacrer toute son énergie à rappeler (sans le moindre succès) l'urgence de la conversion. « Oiseau de mauvais augure », annonceur de catastrophes, il sera détesté, méprisé, ridiculisé jusque dans sa propre famille.

Et pourtant, rien ni personne ne le détournera de sa mission : car Dieu est avec lui dans toutes ses épreuves. Lui qui se sentait si misérable, c'est vraiment en Dieu seul qu'il a trouvé sa force. A travers les quelques lignes de ce texte pourtant bien court nous devinons l'expérience spirituelle de Jérémie. Nous entendons là comme un écho des Béatitudes : « Heureux les pauvres de coeur... » C'est bien parce qu'il se trouvait pauvre que Jérémie a laissé Dieu l'envahir de sa force. Car si on lit attentivement ce texte, c'est bien Dieu qui est le principal acteur dans la vie de Jérémie, c'est lui qui a toutes les initiatives : « Le Seigneur m'adressa la parole et me dit ... Je te connaissais... Je fais de toi... Je t'ordonnerai... Je suis avec toi... » Quant aux images, elles montrent bien quelle force intérieure il a fallu à Jérémie : « Moi, je fais de toi aujourd'hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze, pour faire face à tout le pays, aux rois de Juda et à ses chefs, à ses prêtres et à tout le peuple. »

Des siècles plus tard, Jésus, lui aussi a présenté sa vie comme un combat ; et la nôtre aussi ; car l'annonce de la Parole de Dieu reste une tâche redoutable, tellement les pensées de Dieu sont loin de celles des hommes. Tellement les priorités de Dieu sont loin de celles des hommes. Et pourtant, les croyants savent que le bonheur de l'humanité ne peut naître que lorsque nos pensées et nos priorités se seront enfin transformées. Lorsque les valeurs de l'Alliance (comme disait Jérémie), celles de l'Evangile, (dirons-nous aujourd'hui) seront pleinement respectées.

Mais la force d'un Jérémie, celle de Jésus, la nôtre résident dans la certitude que Dieu nous accompagne sans cesse dans ce combat : nous avons entendu la phrase de Dieu à Jérémie : « Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi ». Plus tard, Jésus à son tour encouragera ses disciples en leur disant : « Confiance, j'ai vaincu le monde. »

***
Compléments

- Saint Paul dit de la même manière dans la lettre aux Galates qu'il a conscience d'avoir été « mis à part » dès le sein maternel et appelé par la grâce de Dieu : « Celui qui m'a mis à part depuis le sein de ma mère et m'a appelé par sa grâce a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l'annonce parmi les païens... » (Ga 1, 15).

- Les auteurs du Nouveau Testament ont certainement plus d'une fois été tentés de faire le rapprochement entre Jésus de Nazareth et Jérémie. Quand ils nous rapportent les larmes de Jésus devant la mort d'un ami ou devant le destin tragique de Jérusalem ; quand ils racontent l'hostilité grandissante que Jésus a dû affronter ; quand ils rapportent certaines paroles de menace prononcées par lui, dans un style tout à fait comparable à celui des prophètes ; ou encore quand ils nous disent avec quelle résolution Jésus a quand même pris le chemin de Jérusalem au moment même où ses rares amis essayaient de l'en détourner à cause des risques trop évidents. Quant à Jésus lui-même, il pensait peut-être bien à Jérémie quand il a dit à la synagogue de Nazareth (Lc 4, évangile de ce dimanche) « nul n'est prophète en son pays. »

PSAUME 70 ( 71 ), 5-6ab, 7-8, 15ab.17, 19.6b

5 Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance,
mon appui dès ma jeunesse.
6ab Toi, mon soutien dès avant ma naissance,
tu m'as choisi dès le ventre de ma mère.

7 Pour beaucoup, je fus comme un prodige ;
tu as été mon secours et ma force.
8 Je n'avais que ta louange à la bouche,
tout le jour, ta splendeur.

15 Ma bouche annonce tout le jour
tes actes de justice et de salut.
17 Mon Dieu, tu m'as instruit dès ma jeunesse,
jusqu'à présent, j'ai proclamé tes merveilles.

19 Si haute est ta justice, mon Dieu,
toi qui as fait de grandes choses :
Dieu, qui donc est comme toi ?
6c Tu seras ma louange toujours !
 

On pourrait croire que ce psaume parle du prophète Jérémie, dont nous avons un peu deviné l'expérience spirituelle dans la première lecture. Il pourrait signer sans hésiter, si j'ose dire ! Par exemple, lui qui était ébloui de son intimité avec Dieu, aurait parfaitement pu dire « Seigneur mon Dieu, tu es mon appui dès ma jeunesse... tu m'as choisi dès le ventre de ma mère... tu as été mon secours et ma force. » Mais en réalité, le psaume 70 n'a pas été écrit pour Jérémie. Nous entendons bien quelqu'un parler à la première personne, mais, comme toujours dans les psaumes, ce JE est collectif. Le psaume est écrit à la première personne du singulier, mais il faut s'habituer à lire « nous, peuple d'Israël, avec toute l'expérience spirituelle qui est la nôtre depuis Abraham, depuis Moïse... »

C'est l'expérience d'Israël qui est décrite sous forme de comparaisons, traduite en images, peinte comme le portrait d'un individu particulier. C'est ce que l'on appelle le phénomène du « Revêtement » que nous connaissons bien : par exemple, nous avons déjà rencontré plusieurs psaumes dans lesquels Israël est comparé à un lévite, tellement heureux d'avoir été choisi pour le service de Dieu et du Temple : « Seigneur, mon partage et ma coupe, tu es mon héritage... » (Ps 15-16).


Ici, dans notre psaume d'aujourd'hui, c'est bien Israël qui parle : « Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse. Toi, mon soutien dès avant ma naissance, tu m'as choisi dès le ventre de ma mère. Pour beaucoup, je fus comme un prodige ; tu as été mon secours et ma force. Je n'avais que ta louange à la bouche, tout le jour, ta splendeur. » On voit bien de quoi il s'agit, toute la longue expérience que le peuple élu a faite de la présence constante de Dieu à ses côtés, si j'ose dire.
Mais ces verbes au passé (par exemple « je fus comme un prodige ») nous surprennent un peu ; on a envie de demander : « c'est donc fini ? » Alors il faut aller lire le reste de ce psaume ; et effectivement, le ton change : très clairement, ce psaume est écrit dans un moment de détresse. (Là on voit bien le danger de lire seulement quelques versets hors de leur contexte).

Dans les versets que nous ne lisons pas aujourd'hui, Israël est représenté comme une vieille épouse qui supplie celui qui l'a aimée quand elle était belle et jeune de ne pas l'abandonner. « Aux jours de la vieillesse et des cheveux blancs, ne me rejette pas, ô mon Dieu. » (v. 18).

Ce n'est pas l'image elle-même qui nous étonne : ce n'est pas la première fois que l'Alliance d'Israël est comparée à des fiançailles ou à un mariage. Mais ici, visiblement ce ne sont pas les joies du mariage qui sont évoquées ; à travers les lignes, on devine que l'épouse traverse une expérience douloureuse : celle de la vieillesse flétrie, abandonnée, en butte à l'arrogance des plus jeunes, dont c'est le tour aujourd'hui d'être belles, adulées, aimées : « Ne me rejette pas maintenant que j'ai vieilli ; alors que décline ma vigueur, ne m'abandonne pas. » (v. 9).

Mais, bien sûr, il ne s'agit que d'une comparaison, les noces sont une manière de parler de l'Alliance que Dieu a conclue avec Israël ; ce qui est décrit comme l'abandon de la vieille épouse par son époux, c'est la période de l'Exil à Babylone. Là, effectivement, on a parfois été tentés de croire que Dieu avait abandonné son peuple ; et pendant ce temps, les ennemis d'Israël se frottaient les mains, en pensant qu'Israël serait bientôt rayé de la carte : « Mes ennemis parlent contre moi, ils me surveillent et se concertent. Ils disent : Dieu l'abandonne ! ... Il n'a plus de défenseur ! »

Tout ceci donne à l'ensemble du psaume un aspect un peu curieux, parce qu'il est un mélange constant de supplication et de louange : au sein même de la détresse, de la vieillesse, du délaissement apparent, l'épouse garde espoir et ne cesse de faire des projets : « Je dirai aux hommes de ce temps ta puissance, à tous ceux qui viendront tes exploits (18)... En toi, Seigneur, j'ai mon refuge : garde-moi d'être humilié pour toujours. Dans ta justice, défends-moi, libère-moi, tends l'oreille vers moi et sauve-moi. Sois le rocher qui m'accueille, toujours accessible ; tu as résolu de me sauver : ma forteresse et mon roc, c'est toi (1-3)... Toi qui m'as fait voir tant de maux et de détresses, tu me feras vivre à nouveau, à nouveau tu me tireras des abîmes de la terre, tu m'élèveras et me grandiras, tu reviendras me consoler. Et moi, je te rendrai grâce sur la harpe pour ta vérité, ô mon Dieu ! Je jouerai pour toi de ma cithare, Saint d'Israël ! Joie pour mes lèvres qui chantent pour toi, et dans mon âme que tu as rachetée ! » (20-23).

Dommage que la liturgie ne nous propose pas ce psaume plus souvent et en entier de préférence. Car il comporte de multiples résonances avec notre propre expérience. Dans la souffrance, la maladie, le deuil, nous connaissons bien ce mélange de sentiments ; le cri de la détresse, d'abord : « Mon Dieu, ne m'oublie pas, ne m'abandonne pas » ; et aussitôt, la peur d'offenser Dieu, alors nous ajoutons : « mais je sais bien que tu ne m'abandonnes jamais » ; ici le psaume dit : « tu as résolu de me sauver : ma forteresse et mon roc, c'est toi. » (3)

Mais pour continuer à espérer, le croyant a bien besoin de se rappeler tous les points d'appui de sa foi : « Mon Dieu, mon Rocher... Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse (5)... (en ce temps béni) je n'avais que ta louange à la bouche » (8)... sous-entendu je sais, j'affirme que ces jours bénis reviendront : « je revivrai les exploits du Seigneur en rappelant que ta justice est la seule... moi qui ne cesse d'espérer, j'ajoute encore à ta louange » (14).
C'est tout ce mélange d'expériences douloureuses, de souffrance, d'aveu des faiblesses passagères, mais aussi de foi retrouvée et d'espérance indéracinable qu'il faut entendre à travers les lignes que nous lisons ce dimanche : « Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse. »

***
On entend aussi dans ce psaume l'écho d'une autre expérience triste, celle de la flétrissure de l'amour : « Je n'avais que ta louange à la bouche » : l'épouse (traduisez Israël) reconnaît implicitement que sa tendresse (traduisez sa ferveur) l'a abandonnée ; les choses se sont gâtées... Alors il ne reste plus qu'à espérer l'indulgence de l'époux, traduisez encore : même si l'amour du peuple pour son Dieu s'est affaibli au long du temps, que Dieu lui, n'abandonne pas son épouse « Aux jours de la vieillesse et des cheveux blancs, ne m'abandonne pas, ô mon Dieu. » (18).

DEUXIEME LECTURE : 1 Corinthiens 12, 31 - 13, 13

Frères,
12, 31 parmi les dons de Dieu,
vous cherchez à obtenir ce qu'il y a de meilleur.
Eh bien, je vais vous indiquer une voie
supérieure à toutes les autres.
13, 1 J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel,
si je n'ai pas la charité, s'il me manque l'amour,
je ne suis qu'un cuivre qui résonne,
une cymbale retentissante.
2 J'aurais beau être prophète,
avoir toute la science des mystères
et toute la connaissance de Dieu,
et toute la foi jusqu'à transporter les montagnes,
s'il me manque l'amour,
je ne suis rien.
3 J'aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés,
j'aurais beau me faire brûler vif,
s'il me manque l'amour,
cela ne me sert à rien.
4 L'amour prend patience ;
l'amour rend service ;
l'amour ne jalouse pas ;
il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil ;
5 il ne fait rien de malhonnête ;
il ne cherche pas son intérêt ;
il ne s'emporte pas ;
il n'entretient pas de rancune ;
6 il ne se réjouit pas de ce qui est mal,
mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ;
7 il supporte tout, il fait confiance en tout,
il espère tout, il endure tout.
8 L'amour ne passera jamais.
Un jour, les prophéties disparaîtront,
le don des langues cessera,
la connaissance que nous avons de Dieu disparaîtra.
9 En effet, notre connaissance est partielle,
nos prophéties sont partielles.
10 Quand viendra l'achèvement,
ce qui est partiel disparaîtra.
11 Quand j'étais un enfant,
je parlais comme un enfant,
je pensais comme un enfant,
je raisonnais comme un enfant.
Maintenant que je suis un homme,
j'ai fait disparaître ce qui faisait de moi un enfant.
12 Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir ;
ce jour-là, nous verrons face à face.
Actuellement, ma connaissance est partielle ;
ce jour-là, je connaîtrai vraiment,
comme Dieu m'a connu.
13 Ce qui demeure aujourd'hui,
c'est la foi, l'espérance et la charité ;
mais la plus grande des trois,
c'est la charité.

 

Dans les passages de la lettre aux Corinthiens que nous avons lus ces deux derniers dimanches, Saint Paul énumérait les différents dons que l'Esprit Saint fait aux membres du Corps du Christ dans leur diversité. Mais, dit-il, parmi eux il y en a un sans lequel les autres ne sont rien : c'est l'Amour. C'est lui qui donne valeur à tous les autres : ils ne nous sont donnés que pour mieux aimer.

Du coup, nous pourrions être tentés de lire ce texte comme une leçon de morale, comme un programme à remplir : « Voilà ce que vous devez faire si vous voulez remporter la palme du plus bel amour. » Mais en fait, avant de parler de nous, ce texte de Paul parle d'abord de Dieu, il contemple le mystère de l'amour de Dieu ; à chaque fois que nous rencontrons le mot « Amour » dans ce texte, nous pourrions le remplacer par le mot « Dieu ».


« L'amour prend patience » ; oui, Dieu patiente avec son peuple, avec l'humanité, avec nous, lui pour qui « mille ans sont comme un jour, et un jour est comme mille ans », nous dit Pierre (2 P 3, 8) ; oui, « l'amour rend service », il suffit de regarder Jésus laver les pieds de ses disciples (Jn 13) ; oui encore, « l'amour (c'est-à-dire Dieu) ne garde pas rancune » : le peuple d'Israël a eu maintes occasions d'expérimenter que lui qui a pardonné à son peuple sans se lasser tout au long de l'histoire biblique. Jusqu'au jour où sur le visage du Christ en croix, nous avons entendu les paroles suprêmes du pardon : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. »

Et il ne nous a laissé qu'une seule consigne « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Heureusement pour nous, nous ne sommes pas laissés à nos seules forces pour cela, puisqu'il nous a transmis son Esprit : « L'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné » (Ro 5, 5). Ce qui veut dire que « l'amour même de Dieu est répandu en nous ». Voilà une bonne nouvelle, si nous voulons bien l'entendre. Alors ici, Paul fait l'inventaire du don qui nous est fait, le catalogue des possibilités infinies de dépassement qu'il nous offre : en quelque sorte, il nous dit : « Voilà ce que l'amour vous rend capables de faire ». Les quinze comportements que Saint Paul énumère dans son inventaire, loin d'être des utopies, sont les réalités étonnantes que l'expérience fait découvrir : réellement, on le sait bien, l'amour et l'amour seul permet à ceux qui aiment, à ceux qui s'aiment, d'atteindre des sommets de patience, d'oubli de soi, de douceur, de transparence, de confiance totale. C'est l'amour de Dieu, c'est-à-dire donné par Dieu, qui, seul, peut faire de nos communautés les témoins que le monde attend.

Paul insiste, c'est l'amour et lui seul qui fera de nous des adultes : « Quand viendra l'achèvement, ce qui est partiel disparaîtra. Quand j'étais un enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Maintenant que je suis un homme, j'ai fait disparaître ce qui faisait de moi un enfant. » On peut en déduire que toutes les autres qualités : la science, la générosité, et même la foi et le courage, le don des langues ou de prophétie, ne sont que des enfantillages au regard de la seule valeur qui compte, l'amour. Quand on pense à l'importance que les Corinthiens attachaient à l'intelligence, à la naissance, à la condition sociale, on mesure mieux l'audace des propos de Paul. Toutes ces soi-disant valeurs auxquelles nous tenons tant, nous aussi, ne sont que des balayures, comme Paul le dit ailleurs. Puisque même les plus grandes vertus ne sont rien si elles ne sont pas irriguées uniquement par l'amour de Dieu lui-même. Voilà qui remet les choses à leur place ; une fois de plus, on entend résonner les béatitudes : seuls les pauvres de coeur savent accueillir en eux les richesses de Dieu. Peut-être n'osons-nous pas assez compter sur ces possibilités infinies d'amour qui sont à notre disposition, pourvu que nous les sollicitions. L'Esprit est très discret, il attend peut-être que nous lui demandions son aide.

EVANGILE - Luc 4, 21- 30

Dans la synagogue de Nazareth,
après la lecture du livre d'Isaïe,
21 Jésus déclara :
« Cette parole de l'Ecriture que vous venez d'entendre,
c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit. »
22 Tous lui rendaient témoignage ;
et ils s'étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche.
Ils se demandaient :
« N'est-ce pas là le fils de Joseph »
23 Mais il leur dit :
« Sûrement vous allez me citer le dicton :
Médecin, guéris-toi toi-même.
Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm :
fais donc de même ici dans ton pays ! »
24 Puis il ajouta :
« Amen, je vous le dis,
aucun prophète n'est bien accueilli dans son pays.
25 En toute vérité, je vous le déclare :
au temps du prophète Elie,
lorsque la sécheresse et la famine
ont sévi pendant trois ans et demi,
il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
26 pourtant, Elie n'a été envoyé vers aucune d'entre elles,
mais bien vers une veuve étrangère,
de la ville de Sarepta, dans le pays de Sidon.
27 Au temps du prophète Elisée,
il y avait beaucoup de lépreux en Israël ;
pourtant aucun d'entre eux n'a été purifié,
mais bien Naaman, un Syrien. »
28 A ces mots, dans la synagogue,
tous devinrent furieux.
29 Ils se levèrent,
poussèrent Jésus hors de la ville,
et le menèrent jusqu'à un escarpement
de la colline où la ville est construite,
pour le précipiter en bas.
30 Mais lui, passant au milieu d'eux,
allait son chemin.

 

« Nul n'est prophète en son pays » : apparemment, ce dicton n'est pas d'aujourd'hui, puisque Jésus en cite un tout à fait équivalent : « Aucun prophète n'est bien reçu dans son pays », au moment où il est justement dans son propre pays, Nazareth, où il a grandi.

Si on y réfléchit, tout est étrange dans ce texte : d'abord, pourquoi, alors qu'il vient d'arriver dans son village natal, après une tournée triomphale dans les villages de la région, pourquoi Jésus met-il le sujet sur Capharnaüm ? Si l'on peut parler de « tournée triomphale », c'est parce que dans le début de cet évangile que nous avons lu dimanche dernier, Luc disait : « Lorsque Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues des Juifs, et tout le monde faisait son éloge. » Luc ne dit rien de plus précis jusqu'à présent, mais Jésus doit avoir eu vent d'une certaine jalousie dans le coeur de ses compatriotes de Nazareth ; d'après sa phrase « nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm », nous devinons qu'il y a déjà eu des miracles à Capharnaüm. Et les habitants de Nazareth attendent bien d'en voir autant.

Ensuite, deuxième étrangeté de ce passage, pourquoi ce retournement de situation ? Jésus vient de faire la lecture du texte d'Isaïe, il a tranquillement affirmé « Cette parole de l'Ecriture que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit », ce qui revient à affirmer « Je suis le Messie que vous attendez » et pour l'instant cela n'a soulevé aucun tollé. Luc nous dit simplement : « Tous lui rendaient témoignage ; et ils s'étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche. Ils se demandaient : N'est-ce pas là le fils de Joseph ? » Et il suffira de quelques paroles de Jésus pour les rendre furieux, au point qu'ils voudront se débarrasser de lui, une bonne fois pour toutes. On peut donc se demander ce que Jésus a dit de si extraordinaire et pourquoi il a jugé bon de le dire. En fait, il leur a asséné une leçon qui est dure à entendre ; elle tient en deux points : premièrement, si j'ai pu faire des miracles à Capharnaüm, c'est parce que ses habitants avaient une autre attitude. La fin de l'histoire prouve bien que Jésus n'a vu que trop juste : la violence de la réaction de ses compatriotes laisse entendre qu'ils n'étaient pas prêts à accueillir les dons de Dieu comme des dons.

Le deuxième point revient à dire « les païens sont plus près du salut que ceux qui se disent croyants » : c'est ce qui se dégage des deux histoires d'Elie et Elisée. On trouve l'histoire d'Elie au premier Livre des Rois (1 R 17) : elle met en scène une veuve de la ville de Sarepta, en plein pays païen, la Phénicie ; Elie lui demande l'hospitalité, en période de sécheresse, et, malgré sa pauvreté, elle vient en aide au prophète étranger, dans lequel elle reconnaît un homme de Dieu. Cela a suffi pour qu'Elie accomplisse pour elle deux miracles ; d'abord il la sauve de la famine : on se souvient de la fameuse promesse d'Elie « jarre de farine point ne s'épuisera, vase d'huile point ne se videra jusqu'au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre ». Quant au deuxième miracle, c'est la guérison de son fils unique. Cette païenne a su se montrer accueillante à ce prophète étranger au moment même où il était un paria et un exclu dans son propre pays. Bien lui en a pris !

L'histoire d'Elisée, elle, se trouve au Deuxième Livre des Rois (2 R 5) : Naaman est un général syrien ; par malheur il est atteint de la lèpre ; il a eu vent des talents de guérisseur du prophète Elisée et se rend chez lui en grande tenue, bardé de cadeaux et de recommandations. Mais Elisée le décevra un peu ; c'est seulement quand il aura accepté de se plier humblement aux ordres du prophète qu'il sera guéri : « Va ! Lave-toi sept fois dans le Jourdain. » Il se soumet donc et il descend jusqu'au Jourdain : geste très simple qui lui paraît dérisoire, à lui, général, favori du roi de Damas... mais geste symbolique d'humilité et de soumission au prophète du Dieu d'Israël. On connaît la suite : il est guéri et bien sûr il se convertit au Dieu d'Israël.

Une païenne (la veuve de Sarepta), un général ennemi, païen, lépreux (Naaman) : aucun des deux ne peut prétendre avoir des droits sur le Dieu d'Israël... et ce sont ces pauvres qui ont été comblés ; Jésus n'ajoute pas, mais tout le monde comprend : « A bon entendeur salut ».

En quelques lignes, nous avons ici un raccourci de la vie de Jésus : « Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu » dira Saint Jean ; Luc le dit ici à sa manière en opposant l'attitude de Nazareth, sa ville natale, et celle de Capharnaüm (où il était au départ un inconnu), et cette opposition en préfigure une autre : l'opposition entre l'attitude de refus des Juifs (pourtant les destinataires du message des prophètes) et l'accueil de la Bonne Nouvelle par des païens ; comme la veuve de Sarepta, comme le général syrien Naaman, ce sont les non-Juifs qui feront le meilleur accueil au Messie. Mais la victoire définitive du Christ est déjà annoncée, symbolisée par sa maîtrise sur les événements : « Lui, passant au milieu d'eux, allait son chemin. »

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28 janvier 2010 4 28 /01 /janvier /2010 14:37
Depuis hier différents articles mettent en évidence le fait que le thème du chômage et celui du pouvoir d'achat pourraient bientôt disparaître des programmes scolaires de la classe de seconde SES.

Je vous renvoie à ceux publiés sur les sites de Nonfiction, Rue89, Le Point, Tatun Info ou Le Courrier Picard.

Je souhaite rassurer tous ceux qui s'émeuvent de cette disparition. Il existe désormais une organisation syndicale professionnelle, toute neuve, qui fait de ces problèmes, objets des principales préoccupations des Français, une analyse d'une logique implacable et leur apporte des solutions très simples, à la portée de tous les élèves de CM2. Je vous invite donc à consulter sans délai le site de cette organisation syndicale.

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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 09:16
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). Certains s'étonneront que j'écrive en rouge la 2e lecture (1ère lettre de Saint Paul aux Corinthiens). Je m'en explique dans une page précitée, celle qui évoque les passages du Nouveau Testament parlant de liberté.

PREMIERE LECTURE - Isaïe 62, 1-5

Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas,
pour Sion je ne prendrai pas de repos,
avant que sa justice ne se lève comme l'aurore
et que son salut ne flamboie comme une torche.
2 Les nations verront ta justice,
tous les rois verront ta gloire.
On t'appellera d'un nom nouveau,
donné par le Seigneur lui-même.
3 Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du Seigneur,
un diadème royal dans la main de ton Dieu.
4 On ne t'appellera plus « la délaissée »,
on n'appellera plus ta contrée « terre déserte »,
mais on te nommera « ma préférée »,
on nommera ta contrée « mon épouse »,
car le Seigneur met en toi sa préférence
et ta contrée aura un époux.
5 Comme un jeune homme épouse une jeune fille,
celui qui t'a construite t'épousera.
Comme la jeune mariée est la joie de son mari,
ainsi tu seras la joie de ton Dieu.


Le prophète Isaïe ne manquait pas d'audace ! A deux reprises, dans ces quelques versets, il a employé le mot « désir » (au sens de désir amoureux) pour traduire les sentiments de Dieu à l'égard de son peuple. Les mots « ma préférée » et « préférence » sont trop faibles ; il faudrait traduire : On ne t'appellera plus « la délaissée », on n'appellera plus ta contrée « terre déserte », mais on te nommera « ma désirée » (littéralement mon désir est en toi), on nommera ta contrée « mon épouse », car le Seigneur met en toi son désir et ta contrée aura un époux.

Car ce que nous avons entendu ici est une véritable déclaration d'amour ! Un fiancé n'en dirait pas plus à sa bien-aimée. Tu seras ma préférée, mon épouse... Tu seras belle comme une couronne, comme un diadème d'or entre mes mains... tu seras ma joie... Et pour cette déclaration, vous avez remarqué la beauté du vocabulaire, la poésie qui émane de ce texte. On y retrouve le parallélisme des phrases, si caractéristique des psaumes. « Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas / pour Sion je ne prendrai pas de repos... Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du Seigneur / (tu seras) un diadème royal dans la main de ton Dieu... on te nommera « ma préférée » / on nommera ta contrée « mon épouse ».

Cinq siècles avant Jésus-Christ, déjà, le prophète Isaïe allait donc jusque-là ! Car on pourrait vraiment appeler ce texte le « poème d'amour de Dieu ». Et Isaïe n'est pas le premier à avoir cette audace.

Il est vrai qu'au tout début de la Révélation biblique, les premiers textes de l'Ancien Testament n'emploient pas du tout ce langage. Pourtant, si Dieu aime l'humanité d'un tel amour, c'était déjà vrai dès l'origine. Mais c'était l'humanité qui n'était pas prête à entendre. La Révélation de Dieu comme Epoux, tout comme celle de Dieu-Père n'a pu se faire qu'après des siècles d'histoire biblique ; au début de l'Alliance entre Dieu et son peuple, cette notion aurait été trop ambiguë. Les autres peuples ne concevaient que trop facilement leurs dieux à l'image des hommes et de leurs histoires de famille ; dans une première étape de la Révélation, il fallait donc déjà découvrir le Dieu tout-Autre que l'homme et entrer dans son Alliance.

C'est le prophète Osée, au huitième siècle av.J.C., qui, le premier, a comparé le peuple d'Israël à une épouse ; et il traitait d'adultères les infidélités du peuple, c'est-à-dire ses retombées dans l'idolâtrie. A sa suite Jérémie, Ezéchiel, le deuxième Isaïe et le troisième Isaïe (celui que nous lisons aujourd'hui) ont développé ce thème des noces entre Dieu et son peuple ; et on retrouve chez eux tout le vocabulaire des fiançailles et des noces : les noms tendres, la robe nuptiale, la couronne de mariée, la fidélité, mais aussi la jalousie, l'adultère, les retrouvailles. En voici quelques extraits, par exemple chez Osée : « tu m'appelleras mon mari... je te fiancerai à moi pour toujours... dans l'amour, la tendresse, la fidélité. » (Os 2,18.21). Et chez le deuxième Isaïe « Ton époux sera ton Créateur... Répudie-t-on la femme de sa jeunesse ?... dans mon amour éternel, j'ai pitié de toi . » (Is 54, 5...8). Le texte le plus impressionnant sur ce sujet, c'est évidemment le Cantique des Cantiques : il se présente comme un long dialogue amoureux, composé de sept poèmes ; pour être franc, nulle part les deux amoureux ne sont identifiés ; mais les Juifs le comprennent comme une parabole de l'amour de Dieu pour l'humanité ; la preuve, c'est qu'ils le lisent tout spécialement pendant la célébration de la Pâque, qui est pour eux la grande fête de l'Alliance de Dieu avec son peuple.

Pour revenir au texte d'aujourd'hui, l'un des passe-temps préférés, apparemment, du bien-aimé est de donner des noms nouveaux à sa bien-aimée. Vous savez l'importance du Nom dans les relations humaines : quelqu'un ou quelque chose que je ne sais pas nommer n'existe pas pour moi... Savoir nommer quelqu'un, c'est déjà le connaître ; et quand notre relation avec une personne s'approfondit, il n'est pas rare que nous éprouvions le besoin de lui donner un surnom, parfois connu de nous seuls. Dans la vie des couples, ou des familles, les diminutifs et les surnoms tiennent une grande place. Quand nous choisissons le prénom d'un enfant, par exemple, c'est très révélateur : nous faisons porter sur lui beaucoup d'espoirs ; souvent même, si on y regarde bien, c'est tout un programme.

La Bible traduit cette expérience fondamentale de la vie humaine ; et le nom y a une très grande importance ; il dit le mystère de la personne, son être profond, sa vocation, sa mission : très souvent, on nous indique le sens du nom des personnages principaux. Par exemple, l'ange annonçant la naissance de Jésus précise aussitôt que ce nom veut dire : « Dieu sauve » ; c'est-à-dire que cet enfant qui porte ce nom-là sauvera l'humanité au nom de Dieu. Et parfois Dieu donne un nom nouveau à quelqu'un en même temps qu'il lui confie une mission nouvelle : Abram devient Abraham, Saraï devient Sara, Jacob devient Israël et Simon devient Pierre.

Ici donc, c'est Dieu qui donne des noms nouveaux à Jérusalem : la « délaissée » devient la « Préférée », la « terre déserte » devient « mon épouse » ; effectivement, le peuple juif pouvait avoir l'impression d'être délaissé par Dieu. Ce chapitre 62 d'Isaïe a été écrit dans le contexte du retour d'Exil. On est rentré de l'Exil (à Babylone) en 538 et le Temple n'a commencé à être reconstruit qu'en 521 : c'est dans ce délai que la morosité s'installe et l'impression de délaissement. Si Dieu s'occupait de nous, pense-t-on, les choses iraient mieux et plus vite (il nous arrive bien de dire exactement la même chose : « s'il y avait un Bon Dieu, ces choses-là n'arriveraient pas » ...). C'est pour combattre cette désespérance qu'Isaïe, inspiré par Dieu, ose ce texte magnifique : non, Dieu n'a pas oublié son peuple et sa ville de prédilection ; et dans peu de temps cela se saura ! « Comme un jeune homme épouse une jeune fille, celui qui t'a construite t'épousera. Comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu. »

PSAUME 95 ( 96 )

1 Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
2 chantez au Seigneur et bénissez son Nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
3 racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

7 Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur, la gloire et la puissance,
8 rendez au Seigneur la gloire de son Nom.

9 Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
10 Allez dire aux nations : le Seigneur est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.


Il n'est question, ici, que de la gloire de Dieu, son salut, ses merveilles, sa puissance : « Chantez au Seigneur un chant nouveau... chantez au Seigneur et bénissez son Nom ! De jour en jour, proclamez son salut... » Rien d'étonnant, ici : cette invitation à chanter la gloire de Dieu est une chose habituelle en Israël où l'on ne cesse de « faire mémoire », comme on dit, de l'œuvre de Dieu, au long des siècles, pour libérer son peuple de tout ce qui peut entraver son bonheur.
Oui, « de jour en jour, Israël proclame son salut »... de jour en jour Israël raconte l'oeuvre de Dieu, ses merveilles, c'est-à-dire son oeuvre incessante de libération... de jour en jour Israël témoigne que Dieu l'a libéré de l'Egypte d'abord, puis de toutes les sortes d'esclavage : et le plus terrible des esclavages, c'est de se tromper de Dieu, c'est de mettre sa confiance dans de fausses valeurs, des faux dieux qui ne peuvent que décevoir, des idoles... Ces mots-là dans la Bible (oeuvre, merveilles) veulent toujours dire la même chose, c'est-à-dire cette entreprise de libération.

Parce qu'Israël a cette chance immense, cet honneur inouï, ce bonheur de savoir et d'être chargé de dire que le Seigneur notre Dieu, l'Eternel, est le seul Dieu, est le Dieu UN (comme le dit la profession de foi juive, le « shema Israël » ) et que la foi en lui est le seul chemin de bonheur pour l'homme. Voilà le message qu'Israël lance au monde.

Mais ce psaume ne s'arrête pas là : il me semble que l'on entend à travers ces lignes non pas une simple invitation adressée à Israël, mais une double invitation à chanter la gloire de Dieu : l'une adressée à Israël, l'autre à l'ensemble des autres peuples, ceux que l'on appelle là-bas, les nations, les goyîm, c'est-à-dire le reste de l'humanité. Cela, c'est plus étonnant ! On en déduit tout de suite que ce psaume a été composé relativement tardivement, probablement après l'Exil à Babylone. Puisque l'auteur peut imaginer qu'un jour, les peuples autres qu'Israël s'associeront aux chants en l'honneur de Dieu.

Car c'est pendant cette période de déportation de la population de Jérusalem à Babylone que les hommes de la Bible ont définitivement compris que Dieu est réellement unique, qu'il est le Dieu de tout l'univers et de toute l'humanité et que, par conséquent, son salut, son œuvre, ses merveilles ne sont pas réservés à Israël.

Mais, pour en arriver là, il a fallu tout un long et patient travail de la pédagogie de Dieu pour amener les membres du peuple élu à ouvrir leur cœur, à accepter que leur Dieu soit aussi le Dieu de tous les hommes, aussi occupé (si j'ose dire) à faire le bonheur des autres que le nôtre. Et le peuple élu a compris peu à peu qu'il est le frère aîné, pas le fils unique : son rôle était justement d'ouvrir la voie à ses cadets, dans la longue marche de l'humanité à la rencontre de son Dieu. Un jour viendra où tous les peuples sans exception reconnaîtront Dieu comme le seul Dieu. L'humanité tout entière mettra sa confiance en lui seul : le psaume tout entier a cette dimension universelle. Ce jour-là, enfin, s'accomplira la promesse faite à Abraham : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ».

Or notre psaume, justement, imagine que ce grand jour est déjà arrivé : il anticipe en quelque sorte. Il nous transporte déjà à la fin du monde.

La scène se passe à Jérusalem ... et plus précisément dans le Temple. Tous les peuples, toutes les nations, toutes les races se pressent aux abords du Temple, les innombrables marches du parvis du Temple sont noires de monde, sur l'esplanade on se bouscule joyeusement, la ville de Jérusalem n'y suffit pas... aussi loin que porte le regard, les foules affluent... il en vient de partout, il en vient du bout du monde.
Et toute cette foule immense chante à pleine gorge, c'est une symphonie : qu'est-ce qu'ils chantent ? « Le Seigneur est roi ! » Quatre mots seulement, mais pas n'importe lesquels : c'est l'exclamation des grands jours, celle qu'on poussait à pleine gorge quand un nouveau roi montait sur le trône. C'est une clameur immense, superbe, gigantesque...

La terre elle-même en tremble. Et voilà que les mers aussi entrent dans la symphonie : on dirait qu'elles mugissent ? Et les campagnes entrent dans la fête, les arbres dansent. Vous avez déjà vu des arbres danser ? Et bien oui, ce jour-là ils dansent ! « Joie au ciel ! Exulte la terre ! Les masses de la mer mugissent, la campagne tout entière est en fête. Les arbres des forêts dansent de joie devant la face du Seigneur... » (Même psaume 95, versets 11 et 12).

Bien sûr, si on y réfléchit, c'est normal ! Les mers sont moins bêtes que les hommes ! Elles, elles savent qui les a faites, qui est leur créateur ! Elles mugissent pour Lui, elles l'acclament à leur manière. Les arbres des forêts sont moins bêtes que les hommes : ils savent reconnaître leur créateur : parmi des tas d'idoles, de faux dieux, pas d'erreur possible, les arbres ne s'y laissent pas prendre.

Les hommes, eux, se sont laissés berner longtemps... Mais c'est bien fini ! C'est incroyable qu'ils aient mis si longtemps à reconnaître leur Créateur, leur Père... Mais cette fois c'est arrivé !

Et on vient parce qu'enfin on a entendu la bonne nouvelle : et tous se pressent pour entrer dans la Maison de leur Père.

***
Compléments
Mais revenons sur terre ! Je disais que ce psaume anticipe ! Tout cela est encore du domaine du rêve : en attendant, on est dans le présent ! Et le présent n'est pas si facile ; il faut tenir bon dans la foi et il faut témoigner de cette foi à la face des nations. Tenir bon dans la foi, c'est un choix à refaire sans cesse : l'une des strophes que nous ne lisons pas ce dimanche en porte la trace : « Il est grand, le Seigneur, hautement loué, redoutable au-dessus de tous les dieux : néant, tous les dieux des nations ! » Si on affirme que les dieux des nations ne sont que néant, c'est qu'il faut encore et toujours s'en persuader, refuser de retomber dans l'idolâtrie. Combat jamais complètement gagné.

On voit bien dans ce psaume l'ambiguïté du mot « nations » dans la Bible : selon les textes, ce mot semble chargé de plusieurs sens contradictoires : il est souvent carrément péjoratif ; le livre du Deutéronome, par exemple, parle des « abominations des nations ». Mais c'est parce qu'il vise leur polythéisme, leurs pratiques religieuses en général, et les sacrifices humains en particulier. A la première étape de la pédagogie biblique où il s'agit pour le peuple élu de s'attacher à Dieu sans partage, de découvrir le vrai visage du Dieu unique, il faut se garder de tout contact avec les « nations » : elles resteront longtemps un risque de contagion de l'idolâtrie. Et l'histoire d'Israël a prouvé maintes fois que ce risque est réel ! De plus, dans la mentalité de l'époque, où les divinités étaient censées faire la guerre aux côtés de leurs peuples, on n'aurait pas pu imaginer un Dieu qui prenne le parti de tous les belligérants à la fois !

 

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 12, 4 - 11

Frères,
4 les dons de la grâce sont variés,
mais c'est toujours le même Esprit.
5 Les fonctions dans l'Eglise sont variées,
mais c'est toujours le même Seigneur.
6 Les activités sont variées,
mais c'est partout le même Dieu
qui agit en tous.
7 Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit
en vue du bien de tous :
8 à celui-ci est donné, grâce à l'Esprit,
le langage de la sagesse de Dieu ;
à un autre, toujours par l'Esprit,
le langage de la connaissance de Dieu ;
9 un autre reçoit, dans l'Esprit,
le don de la foi ;
un autre encore, des pouvoirs de guérison
dans l'unique Esprit ;
10 un autre peut faire des miracles,
un autre est un prophète,
un autre sait reconnaître ce qui vient vraiment de l'Esprit ;
l'un reçoit le don de dire toutes sortes de paroles mystérieuses,
l'autre le don de les interpréter.
11 Mais celui qui agit en tout cela, c'est le même et unique Esprit :
il distribue ses dons à chacun,
selon sa volonté.




La lettre aux Corinthiens date de presque vingt siècles et elle n'a pas pris une ride ! Au contraire, elle est complètement d'actualité : comment faire pour rester Chrétiens dans un monde qui a des valeurs tout autres ? Comment trier, dans les idées qui circulent, celles qui sont compatibles avec la foi chrétienne ? Comment cohabiter avec des non-Chrétiens sans manquer à la charité ? Mais aussi sans y perdre notre âme, comme on dit ? Le monde tout autour parle de sexe et d'argent... Comment l'évangéliser ? C'étaient les questions des Chrétiens de Corinthe convertis de fraîche date dans un monde majoritairement païen ; ce sont les nôtres, aujourd'hui, Chrétiens de souche ou non, mais dans une société qui ne privilégie plus les valeurs chrétiennes.

Les réponses de Paul nous concernent donc presque toutes. Il parle des divisions dans la communauté, des problèmes de la vie conjugale, notamment quand les deux époux ne partagent pas la même foi, du cap à tenir au milieu de tous les marchands d'idées nouvelles : sur tous ces points, il remet les choses à leur place. Mais comme toujours, quand il parle de choses très concrètes, il rappelle d'abord le fondement des choses, qui est notre baptême : comme disait Jean-Baptiste, par le Baptême, nous avons été plongés dans le feu de l'Esprit, et désormais c'est l'Esprit qui se réfracte à travers nous selon nos propres diversités. Comme dit Paul : « Celui qui agit en tout cela, c'est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté. »

A Corinthe, comme dans tout le monde hellénistique, on adorait l'intelligence, on rêvait de découvrir la sagesse, on parlait partout de philosophie. A ces gens qui rêvaient de découvrir la sagesse par eux-mêmes et par la rigueur de leurs raisonnements, Paul répond : la vraie sagesse, la seule connaissance qui compte, n'est pas au bout de nos discours : elle est un don de Dieu. « A celui-ci est donné, grâce à l'Esprit, le langage de la sagesse de Dieu ; à un autre, toujours par l'Esprit, le langage de la connaissance de Dieu. » Il n'y a pas de quoi s'enorgueillir, tout est cadeau. Le mot « don » revient sept fois ! Dans la Bible, ce n'est pas nouveau ! Ici, Paul ne fait que reprendre en termes chrétiens ce que son peuple avait découvert depuis longtemps, à savoir que seul Dieu connaît et peut faire découvrir la vraie sagesse. La nouveauté du discours de Paul est ailleurs : elle consiste à parler de l'Esprit comme une Personne.

Plus profondément, Paul se démarque totalement par rapport aux recherches philosophiques des uns et des autres : il ne propose pas une nouvelle école de philosophie, une de plus... Il annonce Quelqu'un. Car les dons qui sont ainsi distribués aux membres de la communauté chrétienne ne sont pas de l'ordre du pouvoir ni du savoir, ils sont une présence intérieure : le nom de l'Esprit est cité huit fois dans ce passage. Finalement, ce texte est adressé aux Corinthiens, mais il ne parle pas d'eux, il parle exclusivement de l'Esprit à l'oeuvre dans la communauté chrétienne ; et qui, patiemment, inlassablement, nous tourne vers notre Père (il nous souffle de dire « Abba » - Père) et il nous tourne vers nos frères.

Pour que les choses soient bien claires, Paul précise : « Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit en vue du bien de tous ». On sait que les Corinthiens étaient avides de phénomènes spirituels extraordinaires, mais Saint Paul leur rappelle l'unique objectif : c'est le bien de tous. Car l'objectif de l'Esprit, ce n'est rien d'autre puisqu'il est l'Amour personnifié. Et alors, dans ses mains, si j'ose dire, nous devenons des instruments d'une infinie variété par la grâce de celui qui est le Dieu Un : « Les dons de la grâce sont variés, mais c'est toujours le même Esprit. Les fonctions dans l'Eglise sont variées, mais c'est toujours le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c'est partout le même Dieu qui agit en tous. »

Telle est la merveille de nos diversités : elles nous rendent capables, chacun à sa façon, de manifester l'Amour de Dieu. Une des leçons de ce texte de Saint Paul est certainement d'apprendre à nous réjouir de nos différences. Elles sont les multiples facettes de ce que l'Amour nous rend capables de faire selon l'originalité de chacun. Réjouissons-nous donc de la variété des races, des couleurs, des langues, des dons, des arts, des inventions... C'est ce qui fait la richesse de l'Eglise et du monde à condition de les vivre dans l'amour.

C'est comme un orchestre : une même inspiration... des expressions différentes et complémentaires, des instruments différents et voilà une symphonie... une symphonie à condition de jouer tous dans la même tonalité... c'est quand nous ne jouons pas tous dans le même ton qu'il y a une cacophonie ! La symphonie dont il est question ici c'est le chant d'amour que l'Eglise est chargée de chanter au monde : disons « l'hymne à l'Amour » comme on dit « l'hymne à la joie » de Beethoven. Notre complémentarité dans l'Eglise n'est pas une affaire de rôles, de fonctions, pour que l'Eglise vive avec un organigramme bien en place... C'est beaucoup plus grave et plus beau que cela : il s'agit de la mission confiée à l'Eglise de révéler l'Amour de Dieu : c'est notre seule raison d'être.

EVANGILE - Jean 2, 1 - 11

1 Il y avait un mariage à Cana en Galilée.
La mère de Jésus était là.
2 Jésus aussi avait été invité au repas de noces
avec ses disciples
3 Or, on manqua de vin ;
la mère de Jésus lui dit :
« Ils n'ont pas de vin. »
4 Jésus lui répond :
« Femme, que me veux-tu ?
Mon Heure n'est pas encore venue. »
5 Sa mère dit aux serviteurs :
« Faites tout ce qu'il vous dira. »
6 Or, il y avait là six cuves de pierre
pour les ablutions rituelles des Juifs ;
chacune contenait environ cent litres.
7 Jésus dit aux serviteurs :
« Remplissez d'eau les cuves. »
Et ils les remplirent jusqu'au bord.
8 Il leur dit :
« Maintenant, puisez et portez-en au maître du repas. »
Ils lui en portèrent.
9 Le maître du repas goûta l'eau changée en vin.
Il ne savait pas d'où venait ce vin,
mais les serviteurs le savaient, eux qui avaient puisé l'eau.
10 Alors le maître du repas interpelle le marié et lui dit :
« Tout le monde sert le bon vin en premier,
et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon.
Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant. »
11 Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit.
C'était à Cana en Galilée.
Il manifesta sa gloire,
et ses disciples crurent en lui.

Il faut nous habituer à la manière d'écrire de Jean l'évangéliste ! C'est entre les lignes que les choses importantes sont dites ! Pour lui, ce premier « signe » (comme il dit) de Jésus à Cana est très important : il évoque à lui tout seul le grand mystère du projet de Dieu sur l'humanité, mystère de Création, mystère d'Alliance, mystère de Noces. Ce que nous appelons le Prologue, chez Jean, c'est-à-dire le tout début de son premier chapitre, était une grande méditation sur ce mystère ; le texte qui nous rapporte le miracle de Cana est exactement la même méditation, mais sur le mode du récit, cette fois. Comme si ces deux textes, au début de l'évangile, devaient nous introduire à la compréhension de tout ce qui va suivre. Je vous propose donc de lire le récit des noces de Cana à la lumière du Prologue.

Qu'y a-t-il eu entre les deux ? Des événements qui composent ce que l'on appelle la « semaine inaugurale » de la vie publique de Jésus. Elle commence auprès de Jean-Baptiste au bord du Jourdain où des Pharisiens sont venus l'interroger sur sa mission ; et déjà Jean-Baptiste annonçait la venue de Jésus ; le lendemain, Jean-Baptiste a la joie de voir Jésus lui-même venir vers lui et il reconnaît en lui « le Fils de Dieu, celui qui baptise dans l'Esprit Saint ». Le lendemain encore, (et c'est Jean qui donne la précision comme s'il disait « il y eut un soir, il y eut un matin »), nouvelle rencontre au bord de l'eau : cette fois, ce sont deux disciples de Jean-Baptiste qui se détachent de son groupe pour suivre Jésus et celui-ci les invite à passer la soirée auprès de lui. Le jour suivant, Jésus part en Galilée accompagné déjà de quelques disciples. Et c'est en Galilée, trois jours plus tard, qu'a lieu le miracle de Cana : Jean commence son récit des noces de Cana en disant « le troisième jour, il y eut un mariage à Cana en Galilée » ; on est, bien sûr, tentés de faire le compte de tous ces jours depuis le début : cela donne « le septième jour » ; l'évocation d'une semaine, d'un « septième jour », dans un évangile, ce n'est évidemment pas anodin. Le « septième jour » renvoie toujours à l'achèvement de la Création.

Comme le mot « commencement », d'ailleurs, que l'évangéliste emploie à la fin de son récit : « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. » Dans le Prologue, Jean affirmait « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. » Nous voici dans le cadre des sept jours de la Création. L'épisode des noces de Cana, un septième jour, lui fait donc un lointain écho : car, en réalité, à Cana, Jésus ne se contente pas de multiplier le vin, il le crée ; comme au commencement de toutes choses, le Verbe était tourné vers Dieu pour créer le monde, une nouvelle étape s'inaugure à Cana : la création nouvelle a commencé.

Et il s'agit d'une noce ! On pourrait continuer le parallèle : au sixième jour, Dieu avait achevé son oeuvre par la création du couple humain à son image ; au septième jour de la nouvelle création, Jésus participe à un repas de noces. Manière de dire que le projet créateur de Dieu est en définitive un projet d'alliance, un projet de noce. (Nous comprenons mieux alors pourquoi nous avons lu en première lecture ce texte du troisième Isaïe dans lequel Dieu disait à son peuple : je t'aime d'amour et je t'épouse ; Is 62) Les Pères de l'Eglise ne se sont pas privés de voir dans le miracle de Cana la réalisation de la promesse de Dieu : la fête des noces de Dieu avec l'humanité débute là.

C'est pour cela que le mot « Heure » chez Jean est si important : il s'agit de l'Heure où le projet de Dieu a été définitivement accompli en Jésus-Christ. C'est bien à cela que Jésus pense quand il dit à Marie : « Femme, que me veux-tu ? Mon Heure n'est pas encore venue. » Visiblement ses préoccupations sont au-delà du problème matériel du manque de vin : il ne perd pas de vue sa mission qui est d'accomplir les noces de Dieu avec l'humanité.

Mais la première phrase (« Femme, que me veux-tu ? ») reste surprenante et on a beaucoup épilogué ; en réalité, dans le texte grec, c'est « qu'y a-t-il pour toi et pour moi ? » autrement dit : « tu ne peux pas comprendre ». Jésus affronte là, seul, la grande question de sa mission : pour accomplir cette mission, concrètement, que doit-il faire ? Doit-il créer du vin ? Et ainsi manifester qu'il est le Fils de Dieu ?

On a peut-être ici, dans l'évangile de Jean, un écho du récit des Tentations dans les Evangiles synoptiques ; ce qui expliquerait, d'ailleurs, la sécheresse apparente de la phrase de Jésus à sa mère ; au désert, dans l'épisode des Tentations, la question qui s'est posée à Jésus était « qu'est-ce, au juste, être Fils de Dieu ? » et le Tentateur lui avait susurré « si tu es vraiment le Fils de Dieu, maintenant que tu as faim, ordonne que ces pierres deviennent du pain ». On remarquera une chose : quand il est seul au désert, Jésus refuse de faire les miracles que lui suggère le Tentateur, car il en serait le seul bénéficiaire. A Cana, au contraire, Jésus multiplie le vin de la fête pour la joie des convives. Ce qui revient à dire que le Fils de Dieu ne fait de miracles que pour le bonheur des hommes.

***

- « Femme que me veux-tu ? » = Ne cherchons pas à minimiser l'indéniable vivacité de cette réaction du Fils envers sa mère. En hébreu, cette phrase marque généralement une divergence de vues, parfois même une hostilité (Jg 11, 12 ; Mc 1, 24 ; 2 S 16, 10 ; 2 S 19, 23) ; reconnaissons qu'il s'agit ici de cas extrêmes ; la réflexion de Jésus s'apparente peut-être davantage à celle de la veuve de Sarepta face à Elie au moment de la mort de son fils (1 R 17, 18) : elle considère la présence du prophète comme une intervention inopportune. Mais la difficulté persiste : Jésus, le doux et humble de coeur, manquerait-il de respect envers sa mère ? En réalité, peut-être y a-t-il ici l'aveu implicite d'un véritable affrontement intérieur pour le Fils au sujet de sa mission. Lui qui ne s'autorisait pas à accomplir des miracles pour son seul bénéfice (changer des pierres en pain), devait-il ici transformer l'eau en vin ?
- Les cuves d'eau de Cana soient en pierre et Jean le précise intentionnellement : les poteries de terre cuite étaient employées pour l'eau potable, les cuves de pierre pour l'eau des ablutions rituelles. C'est cette eau-là, eau symbolique de l'Alliance, qui est devenue vin des noces.

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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 09:15
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). Certains s'étonneront que j'écrive en rouge la 2e lecture (1ère lettre de Saint Paul aux Corinthiens). Je m'en explique dans une page précitée, celle qui évoque les passages du Nouveau Testament parlant de liberté.

3ème dimanche ordinaire (année C)

PREMIERE LECTURE - Néhémie 8, 1 - 4a . 5-6 . 8-10

Quand arriva la fête du septième mois,
1 tout le peuple se rassembla comme un seul homme
sur la place située devant la Porte des eaux.
On demanda au scribe Esdras
d'apporter le livre de la Loi de Moïse,
que le Seigneur avait donnée à Israël.
2 Alors le prêtre Esdras apporta la Loi en présence de l'assemblée,
composée des hommes, des femmes,
et de tous les enfants en âge de comprendre.
C'était le premier jour du septième mois.
3 Esdras, tourné vers la place de la Porte des eaux,
fit la lecture dans le livre,
depuis le lever du jour jusqu'à midi,
en présence des hommes, des femmes,
et de tous les enfants en âge de comprendre :
tout le peuple écoutait la lecture de la Loi.
4 Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois,
construite tout exprès.
5 Esdras ouvrit le livre ;
tout le peuple le voyait, car il dominait l'assemblée.
Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout.
6 Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand,
et tout le peuple, levant les mains, répondit :
« Amen ! Amen ! »
Puis ils s'inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur,
le visage contre terre.
8 Esdras lisait (un passage) dans le livre de la loi de Dieu,
puis les lévites traduisaient, donnaient le sens,
et l'on pouvait comprendre.
9 Néhémie, le gouverneur,
Esdras, qui était prêtre et scribe,
et les lévites qui donnaient les explications,
dirent à tout le peuple :
"Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu !
Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas !"
Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi.
10 Esdras leur dit encore :
« Allez, mangez des viandes savoureuses,
buvez des boissons aromatisées,
et envoyez une part à celui qui n'a rien de prêt.
Car ce jour est consacré à notre Dieu !
Ne vous affligez pas :
la joie du Seigneur est votre rempart ! »


Nous qui n'aimons pas les liturgies qui durent plus d'une heure, nous serions servis ! Debout depuis le lever du jour jusqu'à midi ! Tous comme un seul homme, hommes, femmes et enfants ! Et tout ce temps à écouter des lectures en hébreu, une langue qu'on ne comprend plus. Heureusement, le lecteur s'interrompt régulièrement pour laisser la place au traducteur qui redonne le texte en araméen, la langue de tout le monde à l'époque, à Jérusalem. Et le peuple n'a même pas l'air de trouver le temps long : au contraire tous ces gens pleurent d'émotion et ils chantent, ils acclament inlassablement « AMEN » en levant les mains. Esdras, le prêtre, et Néhémie, le gouverneur, peuvent être contents : ils ont gagné la partie ! La partie, l'enjeu si l'on veut, c'est de redonner une âme à ce peuple. Car, une fois de plus, il traverse une période difficile. Nous sommes à Jérusalem vers 450 av. J.C. L'Exil à Babylone est fini, le Temple de Jérusalem est enfin reconstruit, (même s'il est moins beau que celui de Salomon), la vie a repris. Vu de loin, on pourrait croire que tout est oublié. Et pourtant, le moral n'y est pas. Ce peuple semble avoir perdu cette espérance qui a toujours été sa caractéristique principale. La vérité, c'est qu'il y a des séquelles des drames du siècle précédent. On ne se remet pas si facilement d'une invasion, du saccage d'une ville... On en garde des cicatrices pendant plusieurs générations. Il y a les cicatrices de l'Exil lui-même et il y a les cicatrices du retour.

Car, avec l'Exil à Babylone on avait tout perdu et le retour tant espéré n'a finalement pas été magique, nous l'avons vu souvent. Je n'y reviens pas.

Le miracle, c'est que cette période fut terrible, oui, mais très féconde : car la foi d'Israël a survécu à cette épreuve. Non seulement ce peuple a gardé sa foi intacte pendant l'Exil au milieu de tous les dangers d'idolâtrie, mais il est resté un peuple et sa ferveur a grandi ; et cela grâce aux prêtres et aux prophètes qui ont accompli un travail pastoral inlassable. Ce fut par exemple une période intense de relecture et de méditation des Ecritures. Un de leurs objectifs, bien sûr, pendant les cinquante ans de l'Exil, c'était de tourner tous les espoirs vers le retour au pays. Du coup, la douche froide du retour n'en a été que plus dure. Car, du rêve à la réalité, il y a quelquefois un fossé... Le grand problème du retour, nous l'avons vu avec les textes d'Isaïe de la Fête de l'Epiphanie et de la semaine dernière, c'est la difficulté de s'entendre : entre ceux qui reviennent au pays, pleins d'idéal et de projets et ceux qui se sont installés entre temps, ce n'est pas un fossé, c'est un abîme. Ce sont des païens, pour une part, qui ont occupé la place et leurs préoccupations sont à cent lieues des multiples exigences de la loi juive.

On se souvient que la reconstruction du Temple s'est heurtée à leur hostilité, et les moins fervents de la communauté juive ont été bien souvent tentés par le relâchement ambiant. Ce qui inquiète les autorités, c'est ce relâchement religieux, justement ; et il ne cesse de s'aggraver à cause de très nombreux mariages entre juifs et païens ; impossible de préserver la pureté et toutes les exigences de la foi dans ce cas. Alors Esdras, le prêtre, et Néhémie, le laïc, vont unir leurs efforts. Ils obtiennent tous les deux du maître du moment, le roi de Perse, Artaxerxès, une mission pour reconstruire les murailles de la ville et pleins pouvoirs pour reprendre en main ce peuple. Car on est sous domination perse, il ne faut pas l'oublier.

Esdras et Néhémie vont donc tout faire pour redresser la situation : il faut relever ce peuple, lui redonner le moral. Or, dans l'histoire d'Israël l'unité du peuple s'est toujours faite au nom de l'Alliance avec Dieu ; les points forts de l'Alliance, ce sont toujours les mêmes : la Terre, la Ville Sainte, le Temple, et la Parole de Dieu. La Terre, nous y sommes ; la ville sainte, Jérusalem, Néhémie le gouverneur va en achever la reconstruction ; le Temple, lui, est déjà reconstruit ; reste la Parole : on va la proclamer au cours d'une gigantesque célébration en plein air.


Tous les éléments sont réunis et on a soigné la mise en scène : c'est très important. On a même construit une tribune en bois qui domine le peuple : c'est de là que le prêtre et les traducteurs font la proclamation. Quant à l'homélie, bien sûr, elle invite à la fête. Mangez, buvez, c'est un grand jour puisque c'est le jour de votre rassemblement autour de la Parole de Dieu.
Retenons la leçon : pour resouder leur communauté, Esdras et Néhémie ne lui font pas la morale, ils lui proposent une fête autour de la parole de Dieu.

****
La date elle-même a été choisie avec soin : on a repris la coutume des temps anciens, une grande fête à l'occasion de ce qui était alors la date du Nouvel An, « le premier jour du septième mois ».

PSAUME 18 ( 19 ) 8. 9. 10. 15

8 La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

9 Les préceptes du Seigneur sont droits,
ils réjouissent le coeur ;
le commandement du Seigneur est limpide,
il clarifie le regard.

10 La crainte qu'il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes,
et vraiment équitables.

15 Accueille les paroles de ma bouche,
le murmure de mon coeur ;
qu'ils parviennent devant toi,
Seigneur, mon Rocher, mon défenseur !



Nous avons déjà rencontré plusieurs fois ce psaume ; et nous avons donc eu l'occasion de dire l'importance de la Loi pour Israël, dans un sens extrêmement positif, et de la crainte de Dieu, une attitude elle aussi éminemment positive et filiale. Et nous avions relu plusieurs passages de l'Ancien Testament dans lesquels la Loi est présentée comme un chemin : si un fils d'Israël veut être heureux, il veillera à ne s'en écarter ni à droite ni à gauche.

Aujourd'hui, pour éclairer ce psaume, je vous propose de relire le livre du Deutéronome. C'est un texte relativement tardif : à une période où le royaume de Juda s'éloignait dangereusement de la pratique de la Loi, justement, ce livre a sonné comme un cri d'alarme ; sur le thème « si vous ne voulez pas qu'il vous arrive la catastrophe qui s'est abattue sur le royaume du Nord, vous feriez bien de changer de conduite. » C'est donc un rappel de tous les commandements de Moïse, et de ses mises en garde ; on y trouve toute une méditation sur le rôle de la Loi : elle n'a pas d'autre but que d'éduquer le peuple, le garder dans le droit chemin, comme on dit. Et si Dieu tient tellement à ce que son peuple se maintienne dans le droit chemin, c'est parce que c'est le seul moyen de vivre heureux en société et de remplir sa vocation de peuple élu parmi les nations. Le roi de Jérusalem, Josias, entreprenant une réforme religieuse en profondeur, vers 620 av.J.C. s'est appuyé sur ce livre du Deutéronome.

Premier paradoxe pour nous, peut-être, il ne fait de doute pour personne dans la Bible que la loi est un instrument de liberté. Nous, nous serions plutôt tentés de la voir comme un carcan ; l'image qui est donnée, c'est celle de l'aigle qui apprend à voler à ses petits. Voici ce que racontent les ornithologues qui ont observé les aigles dans le désert du Sinaï : quand les petits aiglons se lâchent, les parents restent dans les environs et planent au-dessus d'eux en traçant de larges cercles ; lorsque les petits aiglons sont fatigués, ils peuvent à tout moment se reposer (dans les deux sens du terme : se reposer et se re-poser) sur les ailes de leurs parents. L'auteur biblique a pris cette image pour dire que Dieu donne sa loi aux hommes pour leur apprendre à voler de leurs propres ailes. Pas l'ombre d'une domination là-dedans, au contraire ; d'ailleurs, en libérant son peuple de l'esclavage en Egypte, Dieu a prouvé une fois pour toutes que son seul objectif est de libérer son peuple. Voici la phrase du livre du Deutéronome : « Le Seigneur rencontre son peuple au pays du désert, dans les solitudes remplies de hurlements sauvages : il l'entoure, il l'instruit, il veille sur lui comme sur la prunelle de son oeil. Il est comme l'aigle qui encourage sa nichée ; il plane au-dessus de ses petits, il déploie toute son envergure, il les prend et les porte sur ses ailes. » (Dt 32, 9 - 11).

Un Dieu qui veut l'homme libre ! C'est le message que l'on se transmet fidèlement d'une génération à l'autre : « Demain, quand ton fils te demandera : pourquoi ces exigences, ces lois et ces coutumes que le Seigneur votre Dieu vous a prescrites ? » alors tu diras à ton fils : « nous étions esclaves du Pharaon en Egypte, mais, d'une main forte, le Seigneur nous a fait sortir d'Egypte... Le Seigneur nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois et de craindre le Seigneur notre Dieu, pour que nous soyons heureux tous les jours et qu'il nous garde vivants comme nous le sommes aujourd'hui. » (Dt 6, 20 - 24).

Quand le roi Josias essaie de remettre son peuple sur le droit chemin, on voit bien l'intérêt qu'il éprouve à faire connaître ce livre qui répète sur tous les tons : le plus court chemin pour être un peuple libre et heureux, c'est la vie droite. Sous-entendu, si vos frères du Nord ont si mal fini, c'est parce qu'ils ont oublié cette vérité élémentaire. Or il en va non seulement du salut du royaume du Sud, ce qui est évidemment le premier souci de Josias, mais c'est le salut de l'humanité tout entière qui est en jeu, le salut de « toutes les familles de la terre » comme dit le livre de la Genèse. Comment le peuple élu pourra-t-il être témoin du Dieu libérateur s'il ne se comporte pas lui-même en peuple libre ? S'il retombe dans les éternelles tentations de l'humanité : l'idolâtrie, l'injustice sociale, les prises de pouvoir des uns ou des autres ?


Les auteurs bibliques sont de tout temps conscients de cette responsabilité que Dieu a confiée à son peuple en lui proposant son Alliance : « Au Seigneur notre Dieu sont les choses cachées, et les choses révélées sont pour nous et nos fils à jamais, pour que soient mises en pratique toutes les paroles de cette Loi. » (Dt 29, 28). Cela leur inspire une grande fierté, mais pas le moindre orgueil ; d'ailleurs, s'il en était besoin, le Deutéronome se charge de rappeler le peuple à l'humilité : « Si le Seigneur s'est attaché à vous et s'il vous a choisis, ce n'est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de tous les peuples. » (Dt 7, 7) ; et encore « Reconnais que ce n'est pas parce que tu es juste que le Seigneur ton Dieu te donne ce bon pays en possession, car tu es un peuple à la nuque raide. » (Dt 9, 6). Notre psaume reprend cette leçon d'humilité : « La charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples » ; jolie manière de dire que Dieu seul est sage ; pour nous, pas besoin de nous croire malins, laissons-nous guider tout simplement. Et alors, la pratique humble et quotidienne de la Loi peut transformer peu à peu un peuple tout entier ; comme dit encore le psaume : « Le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard. » A pratiquer les commandements, on apprend peu à peu à vivre en fils de Dieu, on apprend peu à peu à vivre en frères des hommes : pour le dire autrement, on apprend à regarder Dieu comme un Père et les hommes comme des frères.

****
Il n'est donc demandé qu'une pratique humble et quotidienne ; c'est à la portée de tout le monde, cela aussi, le roi Josias a dû être bien content de le répéter pour encourager ses sujets (Dt 30, 11) : « Oui, ce commandement que je te donne aujourd'hui n'est pas trop difficile pour toi, il n'est pas hors d'atteinte. Il n'est pas au ciel ; on dirait alors : Qui va, pour nous, monter au ciel nous le chercher, (et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique) ? Il n'est pas non plus au-delà des mers ; on dirait alors : Qui va, pour nous, passer outre-mer nous le chercher (et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique) ? Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur, pour que tu la mettes en pratique. »

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 12, 12-30

Frères,
prenons une comparaison :
12 notre corps forme un tout,
il a pourtant plusieurs membres ;
et tous les membres, malgré leur nombre,
ne forment qu'un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ.
13 Tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
nous avons été baptisés dans l'unique Esprit
pour former un seul corps.
Tous, nous avons été désaltérés par l'unique Esprit.
14 Le corps humain se compose de plusieurs membres,
et non pas d'un seul.
15 Le pied aura beau dire :
« Je ne suis pas la main,
donc je ne fais pas partie du corps »,
il fait toujours partie du corps.
16 L'oreille aura beau dire :
« Je ne suis pas l'oeil,
donc je ne fais pas partie du corps »,
elle fait toujours partie du corps.
17 Si, dans le corps, il n'y avait que les yeux,
comment pourrait-on entendre ?
S'il n'y avait que les oreilles,
comment pourrait-on sentir les odeurs ?
18 Mais, dans le corps,
Dieu a disposé les différents membres
comme il l'a voulu.
19 S'il n'y en avait qu'un seul,
comment cela ferait-il un corps ?
20 Il y a donc à la fois plusieurs membres
et un seul corps.
21 L'oeil ne peut pas dire à la main :
« Je n'ai pas besoin de toi » ;
la tête ne peut pas dire aux pieds :
« Je n'ai pas besoin de vous ».
22 Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates
sont indispensables.
23 Et celles qui passent pour les moins respectables,
c'est elles que nous traitons avec le plus de respect ;
celles qui sont moins décentes,
nous les traitons plus décemment ;
24 pour celles qui sont décentes, ce n'est pas nécessaire.
Dieu a organisé le corps
de telle façon qu'on porte plus de respect
à ce qui en est le plus dépourvu :
25 il a voulu qu'il n'y ait pas de division dans le corps,
mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres.
26 Si un membre souffre,
tous les membres partagent sa souffrance ;
si un membre est à l'honneur,
tous partagent sa joie.
27 Or, vous êtes le corps du Christ
et, chacun pour votre part,
vous êtes les membres de ce corps.
28 Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l'Eglise,
il y a premièrement des apôtres,
deuxièmement des prophètes,
troisièmement ceux qui sont chargés d'enseigner,
puis ceux qui font des miracles,
ceux qui ont le don de guérir,
ceux qui ont la charge d'assister leurs frères ou de les guider,
ceux qui disent des paroles mystérieuses.
29 Tout le monde évidemment n'est pas apôtre,
tout le monde n'est pas prophète, ni chargé d'enseigner ;
tout le monde n'a pas à faire des miracles,
30 à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter.



Autrement dit « A chacun son métier ; mais attention à ne pas vous mépriser mutuellement, rappelez-vous que tout le monde a besoin de tout le monde ». Ce long développement de Paul prouve au moins une chose, c'est que la communauté de Corinthe connaissait exactement les mêmes problèmes que nous. Pour donner une leçon à ses fidèles, Paul a recours à un procédé qui marche mieux que tous les discours, il leur propose une comparaison. A vrai dire, il ne l'a pas complètement inventée, mais c'est encore mieux : il utilise une fable que tout le monde connaissait et il l'adapte à son objectif. Cette fable qui circulait à l'époque du Christ, on l'appelait « La fable des membres et de l'estomac » (on la trouve racontée dans « L'Histoire Romaine de Tite-Live » ; plus près de nous, d'ailleurs, La Fontaine l'a mise en vers) : comme toutes les fables, elle commence par « Il était une fois » : « Il était une fois » donc, un homme comme tous les autres... sauf que, chez lui, tous les membres parlaient et discutaient entre eux ! Et ils n'avaient pas tous bon caractère, apparemment. Et, probablement, certains devaient avoir l'impression d'être moins bien considérés ou un peu exploités.

Un jour, au cours d'une discussion, les pieds et les mains se sont révoltés contre l'estomac : parce que lui, l'estomac, il se contente de manger et de boire ce que les autres membres lui fournissent... Tout le plaisir est pour lui ! Ce n'est pas lui qui se fatigue à travailler, à cultiver la vigne, à faire les courses, à couper la viande, à mâcher et j'en oublie. Alors on a décidé tout simplement de faire la grève. Désormais plus personne ne bouge : l'estomac verra bien ce qui lui arrive ! Et s'il meurt de faim, rira bien qui rira le dernier... On n'avait oublié qu'une chose : si l'estomac meurt de faim, il ne sera pas le seul. Ce corps-là, comme tous les autres, faisait un tout, et tout le monde a besoin de tout le monde !

Saint Paul a donc repris dans le capital culturel de son temps un discours très facile à comprendre. Et, pour le cas où malgré tout, on ne comprendrait pas, il s'est donné la peine d'expliquer lui-même sa parabole du corps et des membres. Et pour lui, la morale de cette histoire, c'est : nos diversités sont notre chance, à condition d'en faire les instruments de l'unité.

Un des points marquants de ce développement de Saint Paul, c'est que, pas un instant, il ne parle en termes de hiérarchie ou de supériorité ! Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions bien humaines, tout cela ne compte plus : désormais une seule chose compte, notre Baptême dans l'unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d'infériorité. Les vues de Dieu sont tout autres : « Parmi vous il ne doit pas en être ainsi » disait Jésus à ses apôtres. Mais, avouons-le, ne plus penser en termes de supériorité, de hiérarchie, d'avancement, d'honneur, c'est bien difficile.

Paul, au contraire, insiste sur le respect dû à tous : simplement, parce que la plus haute dignité, la seule qui compte, c'est d'être un membre, quel qu'il soit, de l'unique corps du Christ. Le respect, au sens étymologique, c'est une affaire de regard : quelquefois les gens qui ne nous paraissent pas importants, nous ne les voyons même pas, notre regard ne s'attarde pas sur eux ! A l'inverse, il nous est arrivé à tous de mesurer notre peu d'importance aux yeux de quelqu'un d'autre : son regard glisse sur nous comme si nous n'existions pas ! Il semble bien, tout compte fait, que Saint Paul ici nous donne une formidable leçon de respect : respect des diversités, d'une part, et respect de la dignité de chacun quelle que soit sa fonction.

EVANGILE - Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21.

1, 1 Plusieurs ont entrepris de composer un récit
des événements qui se sont accomplis parmi nous,
2 tels que nous les ont transmis
ceux qui, dès le début, furent les témoins oculaires
et sont devenus les serviteurs de la Parole.
3 C'est pourquoi j'ai décidé, moi aussi,
après m'être informé soigneusement de tout depuis les origines,
d'en écrire pour toi, cher Théophile, un exposé suivi,
4 afin que tu te rendes bien compte
de la solidité des enseignements que tu as reçus.

4, 14 Lorsque Jésus, avec la puissance de l'Esprit,
revint en Galilée,
sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans les synagogues des Juifs,
et tout le monde faisait son éloge.
16 Il vint à Nazareth où il avait grandi.
Comme il en avait l'habitude,
il entra dans la synagogue le jour du sabbat,
et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui présenta le livre du prophète Isaïe.
Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
18 L'Esprit du Seigneur est sur moi
parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction.
Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres,
et aux aveugles qu'ils verront la lumière,
apporter aux opprimés la libération,
19
annoncer une année de bienfaits
accordée par le Seigneur.
20 Jésus referma le livre, le rendit au servant et s'assit.
Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il se mit à leur dire :
« Cette parole de l'Ecriture, que vous venez d'entendre,
c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit. »


Le récit que nous lisons aujourd'hui se situe après le baptême de Jésus et le récit de ses tentations au désert. Apparemment, tout va pour le mieux pour le nouveau prédicateur ; je vous rappelle la phrase de Luc : « Lorsque Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues des Juifs, et tout le monde faisait son éloge. » Tout s'annonçait bien ce matin-là : Jésus est un bon Juif comme les autres : il rentre de voyage, et comme tout bon Juif, le samedi matin venu, il va à l'office à la synagogue.

Rien d'étonnant non plus à ce qu'on lui confie une lecture, puisque tout fidèle a le droit de lire les Ecritures. La célébration à la synagogue se déroule donc tout à fait normalement... jusqu'au moment où Jésus lit ce texte bien connu du prophète Isaïe et, dans le grand silence fervent qui suit la lecture, il affirme tranquillement une énormité : « Cette parole que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit ». Il y a certainement eu un temps de silence, le temps qu'on ait compris ce qu'il veut dire.
Nous avons du mal à imaginer l'audace que représente cette affirmation si tranquille de Jésus ; car, pour tous ses contemporains, ce texte vénérable du prophète Isaïe concernait le Messie.

Il faut se rappeler comment l'attente du Messie a évolué en Israël : au début, le mot « Messie » (Mashiah en hébreu, ou Christ en grec, c'est la même chose) signifie le « frotté d'huile », celui qui, concrètement, a reçu l'onction d'huile ; et le mot « Messie » est alors synonyme de roi ; parce que le roi recevait une onction d'huile le jour de son sacre. Cette onction était le signe que Dieu lui-même inspirait le roi en permanence pour qu'il soit capable d'accomplir sa mission de sauver le peuple. Du coup, peu à peu, le sens du mot « Messie » va évoluer ; il prend deux sens : c'est celui qui a mission de guider, de sauver le peuple de Dieu, mais c'est aussi celui qui est inspiré par Dieu (on disait que l'Esprit reposait sur lui). Ces deux sens s'appliquent au roi d'abord, mais pas seulement au roi : car le roi n'est pas le seul à avoir cette mission, on va en prendre conscience ; les prêtres aussi ont mission de guider et sauver le peuple, les prophètes aussi.

Si bien que, plus tard, on emploiera le mot « Messie » pour quelqu'un sur qui, manifestement repose l'esprit même si, concrètement, il n'a pas été « oint », « frotté d'huile » ; c'est le cas des prophètes : généralement, il n'y avait pas d'onction pour les prophètes, sauf Elisée (1 R 19, 16) mais, de toute évidence, ils sont inspirés par Dieu ; et, à l'époque du Christ, on attend un Messie à la fois roi et prophète, sur qui reposera en plénitude l'esprit de Dieu. Donc, quand Jésus affirme « La parole d'Isaïe que je viens de vous lire l'Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction... c'est en moi qu'elle s'accomplit... », il dit tout simplement « Je suis le Messie, celui que vous attendez ». Evidemment, il ne pouvait que surprendre ses auditeurs. Prophète, il l'est peut-être ; la suite le dira, pour l'instant on a plutôt bonne opinion de lui. Mais roi, il ne l'est certainement pas ! On attendait un Messie-Roi triomphant et, dans la Palestine alors occupée par les Romains, on attendait celui qui nous délivrerait de l'occupation romaine. Voilà le salut que l'on attendait en premier, le plus urgent, un salut politique. Messie triomphant, Jésus, le garçon du pays, le fils du charpentier, ne l'est guère pour l'instant, en apparence, tout au moins.

Soyons francs, Jésus n'a pas fini d'étonner ses contemporains : il est bien le Messie qu'on attendait, mais tellement différent de ce qu'on attendait ! Luc, pour aider ses lecteurs, a bien pris soin dès le début de son livre, de leur dire d'entrée de jeu qu'il s'est informé soigneusement de tout depuis les origines ; et, d'autre part, il a souligné en introduction à ce passage que Jésus était accompagné de la puissance de l'Esprit, ce qui était bien la caractéristique du Messie.


Dernière remarque sur cet évangile : la citation d'Isaïe que Jésus reprend à son compte sonne comme un véritable discours-programme : « L'Esprit du Seigneur est sur moi... Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres, et aux aveugles qu'ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » Voilà l'oeuvre de l'Esprit à travers ceux qu'il a consacrés. Nous qui cherchons quelquefois des critères de discernement, nous voilà servis ; car ce qui est dit du Christ est valable pour tous les confirmés que nous sommes, à notre humble mesure, bien sûr.

***
Nous savons très peu de choses sur la manière dont les évangiles ont été écrits, et en particulier leur date : mais de ce que nous venons de lire, nous pouvons déduire quelques précisions ; il y a eu certainement une prédication orale avant que les évangiles soient écrits puisque Luc dit à Théophile qu'il veut lui permettre de vérifier « la solidité des enseignements qu'il a reçus. » Luc reconnaît également ne pas avoir été un témoin oculaire des événements ; il n'a pu que s'informer auprès des témoins oculaires, ce qui suppose qu'ils sont encore vivants quand il écrit. On peut donc supposer que la prédication de la Résurrection du Christ a commencé dès la Pentecôte et que l'évangile de Luc a été mis par écrit plus tard, mais avant la mort des derniers témoins oculaires, ce qui donne une date limite vers 80 - 90 après J.C.

 

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17 janvier 2010 7 17 /01 /janvier /2010 17:04
marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté).

 

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 62, 1-5

Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas,
pour Sion je ne prendrai pas de repos,
avant que sa justice ne se lève comme l'aurore
et que son salut ne flamboie comme une torche.
2 Les nations verront ta justice,
tous les rois verront ta gloire.
On t'appellera d'un nom nouveau,
donné par le Seigneur lui-même.
3 Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du Seigneur,
un diadème royal dans la main de ton Dieu.
4 On ne t'appellera plus « la délaissée »,
on n'appellera plus ta contrée « terre déserte »,
mais on te nommera « ma préférée »,
on nommera ta contrée « mon épouse »,
car le Seigneur met en toi sa préférence
et ta contrée aura un époux.
5 Comme un jeune homme épouse une jeune fille,
celui qui t'a construite t'épousera.
Comme la jeune mariée est la joie de son mari,
ainsi tu seras la joie de ton Dieu.


Le prophète Isaïe ne manquait pas d'audace ! A deux reprises, dans ces quelques versets, il a employé le mot « désir » (au sens de désir amoureux) pour traduire les sentiments de Dieu à l'égard de son peuple. Les mots « ma préférée » et « préférence » sont trop faibles ; il faudrait traduire : On ne t'appellera plus « la délaissée », on n'appellera plus ta contrée « terre déserte », mais on te nommera « ma désirée » (littéralement mon désir est en toi), on nommera ta contrée « mon épouse », car le Seigneur met en toi son désir et ta contrée aura un époux.

Car ce que nous avons entendu ici est une véritable déclaration d'amour ! Un fiancé n'en dirait pas plus à sa bien-aimée. Tu seras ma préférée, mon épouse... Tu seras belle comme une couronne, comme un diadème d'or entre mes mains... tu seras ma joie... Et pour cette déclaration, vous avez remarqué la beauté du vocabulaire, la poésie qui émane de ce texte. On y retrouve le parallélisme des phrases, si caractéristique des psaumes. « Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas / pour Sion je ne prendrai pas de repos... Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du Seigneur / (tu seras) un diadème royal dans la main de ton Dieu... on te nommera « ma préférée » / on nommera ta contrée « mon épouse ».

Cinq siècles avant Jésus-Christ, déjà, le prophète Isaïe allait donc jusque-là ! Car on pourrait vraiment appeler ce texte le « poème d'amour de Dieu ». Et Isaïe n'est pas le premier à avoir cette audace.

Il est vrai qu'au tout début de la Révélation biblique, les premiers textes de l'Ancien Testament n'emploient pas du tout ce langage. Pourtant, si Dieu aime l'humanité d'un tel amour, c'était déjà vrai dès l'origine. Mais c'était l'humanité qui n'était pas prête à entendre. La Révélation de Dieu comme Epoux, tout comme celle de Dieu-Père n'a pu se faire qu'après des siècles d'histoire biblique ; au début de l'Alliance entre Dieu et son peuple, cette notion aurait été trop ambiguë. Les autres peuples ne concevaient que trop facilement leurs dieux à l'image des hommes et de leurs histoires de famille ; dans une première étape de la Révélation, il fallait donc déjà découvrir le Dieu tout-Autre que l'homme et entrer dans son Alliance.

C'est le prophète Osée, au huitième siècle av.J.C., qui, le premier, a comparé le peuple d'Israël à une épouse ; et il traitait d'adultères les infidélités du peuple, c'est-à-dire ses retombées dans l'idolâtrie. A sa suite Jérémie, Ezéchiel, le deuxième Isaïe et le troisième Isaïe (celui que nous lisons aujourd'hui) ont développé ce thème des noces entre Dieu et son peuple ; et on retrouve chez eux tout le vocabulaire des fiançailles et des noces : les noms tendres, la robe nuptiale, la couronne de mariée, la fidélité, mais aussi la jalousie, l'adultère, les retrouvailles. En voici quelques extraits, par exemple chez Osée : « tu m'appelleras mon mari... je te fiancerai à moi pour toujours... dans l'amour, la tendresse, la fidélité. » (Os 2,18.21). Et chez le deuxième Isaïe « Ton époux sera ton Créateur... Répudie-t-on la femme de sa jeunesse ?... dans mon amour éternel, j'ai pitié de toi . » (Is 54, 5...8). Le texte le plus impressionnant sur ce sujet, c'est évidemment le Cantique des Cantiques : il se présente comme un long dialogue amoureux, composé de sept poèmes ; pour être franc, nulle part les deux amoureux ne sont identifiés ; mais les Juifs le comprennent comme une parabole de l'amour de Dieu pour l'humanité ; la preuve, c'est qu'ils le lisent tout spécialement pendant la célébration de la Pâque, qui est pour eux la grande fête de l'Alliance de Dieu avec son peuple.

Pour revenir au texte d'aujourd'hui, l'un des passe-temps préférés, apparemment, du bien-aimé est de donner des noms nouveaux à sa bien-aimée. Vous savez l'importance du Nom dans les relations humaines : quelqu'un ou quelque chose que je ne sais pas nommer n'existe pas pour moi... Savoir nommer quelqu'un, c'est déjà le connaître ; et quand notre relation avec une personne s'approfondit, il n'est pas rare que nous éprouvions le besoin de lui donner un surnom, parfois connu de nous seuls. Dans la vie des couples, ou des familles, les diminutifs et les surnoms tiennent une grande place. Quand nous choisissons le prénom d'un enfant, par exemple, c'est très révélateur : nous faisons porter sur lui beaucoup d'espoirs ; souvent même, si on y regarde bien, c'est tout un programme.

La Bible traduit cette expérience fondamentale de la vie humaine ; et le nom y a une très grande importance ; il dit le mystère de la personne, son être profond, sa vocation, sa mission : très souvent, on nous indique le sens du nom des personnages principaux. Par exemple, l'ange annonçant la naissance de Jésus précise aussitôt que ce nom veut dire : « Dieu sauve » ; c'est-à-dire que cet enfant qui porte ce nom-là sauvera l'humanité au nom de Dieu. Et parfois Dieu donne un nom nouveau à quelqu'un en même temps qu'il lui confie une mission nouvelle : Abram devient Abraham, Saraï devient Sara, Jacob devient Israël et Simon devient Pierre.

Ici donc, c'est Dieu qui donne des noms nouveaux à Jérusalem : la « délaissée » devient la « Préférée », la « terre déserte » devient « mon épouse » ; effectivement, le peuple juif pouvait avoir l'impression d'être délaissé par Dieu. Ce chapitre 62 d'Isaïe a été écrit dans le contexte du retour d'Exil. On est rentré de l'Exil (à Babylone) en 538 et le Temple n'a commencé à être reconstruit qu'en 521 : c'est dans ce délai que la morosité s'installe et l'impression de délaissement. Si Dieu s'occupait de nous, pense-t-on, les choses iraient mieux et plus vite (il nous arrive bien de dire exactement la même chose : « s'il y avait un Bon Dieu, ces choses-là n'arriveraient pas » ...). C'est pour combattre cette désespérance qu'Isaïe, inspiré par Dieu, ose ce texte magnifique : non, Dieu n'a pas oublié son peuple et sa ville de prédilection ; et dans peu de temps cela se saura ! « Comme un jeune homme épouse une jeune fille, celui qui t'a construite t'épousera. Comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu. »

PSAUME 95 ( 96 )

1 Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
2 chantez au Seigneur et bénissez son Nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
3 racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

7 Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur, la gloire et la puissance,
8 rendez au Seigneur la gloire de son Nom.

9 Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
10 Allez dire aux nations : le Seigneur est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.


Il n'est question, ici, que de la gloire de Dieu, son salut, ses merveilles, sa puissance : « Chantez au Seigneur un chant nouveau... chantez au Seigneur et bénissez son Nom ! De jour en jour, proclamez son salut... » Rien d'étonnant, ici : cette invitation à chanter la gloire de Dieu est une chose habituelle en Israël où l'on ne cesse de « faire mémoire », comme on dit, de l'œuvre de Dieu, au long des siècles, pour libérer son peuple de tout ce qui peut entraver son bonheur.
Oui, « de jour en jour, Israël proclame son salut »... de jour en jour Israël raconte l'oeuvre de Dieu, ses merveilles, c'est-à-dire son oeuvre incessante de libération... de jour en jour Israël témoigne que Dieu l'a libéré de l'Egypte d'abord, puis de toutes les sortes d'esclavage : et le plus terrible des esclavages, c'est de se tromper de Dieu, c'est de mettre sa confiance dans de fausses valeurs, des faux dieux qui ne peuvent que décevoir, des idoles... Ces mots-là dans la Bible (oeuvre, merveilles) veulent toujours dire la même chose, c'est-à-dire cette entreprise de libération.
Parce qu'Israël a cette chance immense, cet honneur inouï, ce bonheur de savoir et d'être chargé de dire que le Seigneur notre Dieu, l'Eternel, est le seul Dieu, est le Dieu UN (comme le dit la profession de foi juive, le « shema Israël » ) et que la foi en lui est le seul chemin de bonheur pour l'homme. Voilà le message qu'Israël lance au monde.

Mais ce psaume ne s'arrête pas là : il me semble que l'on entend à travers ces lignes non pas une simple invitation adressée à Israël, mais une double invitation à chanter la gloire de Dieu : l'une adressée à Israël, l'autre à l'ensemble des autres peuples, ceux que l'on appelle là-bas, les nations, les goyîm, c'est-à-dire le reste de l'humanité. Cela, c'est plus étonnant ! On en déduit tout de suite que ce psaume a été composé relativement tardivement, probablement après l'Exil à Babylone. Puisque l'auteur peut imaginer qu'un jour, les peuples autres qu'Israël s'associeront aux chants en l'honneur de Dieu.

Car c'est pendant cette période de déportation de la population de Jérusalem à Babylone que les hommes de la Bible

Mais, pour en arriver là, il a fallu tout un long et patient travail de la pédagogie de Dieu pour amener les membres du peuple élu à ouvrir leur cœur, à accepter que leur Dieu soit aussi le Dieu de tous les hommes, aussi occupé (si j'ose dire) à faire le bonheur des autres que le nôtre. Et le peuple élu a compris peu à peu qu'il est le frère aîné, pas le fils unique : son rôle était justement d'ouvrir la voie à ses cadets, dans la longue marche de l'humanité à la rencontre de son Dieu. Un jour viendra où tous les peuples sans exception reconnaîtront Dieu comme le seul Dieu. L'humanité tout entière mettra sa confiance en lui seul : le psaume tout entier a cette dimension universelle. Ce jour-là, enfin, s'accomplira la promesse faite à Abraham : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ».

Or notre psaume, justement, imagine que ce grand jour est déjà arrivé : il anticipe en quelque sorte. Il nous transporte déjà à la fin du monde.

La scène se passe à Jérusalem ... et plus précisément dans le Temple. Tous les peuples, toutes les nations, toutes les races se pressent aux abords du Temple, les innombrables marches du parvis du Temple sont noires de monde, sur l'esplanade on se bouscule joyeusement, la ville de Jérusalem n'y suffit pas... aussi loin que porte le regard, les foules affluent... il en vient de partout, il en vient du bout du monde.
Et toute cette foule immense chante à pleine gorge, c'est une symphonie : qu'est-ce qu'ils chantent ? « Le Seigneur est roi ! » Quatre mots seulement, mais pas n'importe lesquels : c'est l'exclamation des grands jours, celle qu'on poussait à pleine gorge quand un nouveau roi montait sur le trône. C'est une clameur immense, superbe, gigantesque...

La terre elle-même en tremble. Et voilà que les mers aussi entrent dans la symphonie : on dirait qu'elles mugissent ? Et les campagnes entrent dans la fête, les arbres dansent. Vous avez déjà vu des arbres danser ? Et bien oui, ce jour-là ils dansent ! « Joie au ciel ! Exulte la terre ! Les masses de la mer mugissent, la campagne tout entière est en fête. Les arbres des forêts dansent de joie devant la face du Seigneur... » (Même psaume 95, versets 11 et 12).

Bien sûr, si on y réfléchit, c'est normal ! Les mers sont moins bêtes que les hommes ! Elles, elles savent qui les a faites, qui est leur créateur ! Elles mugissent pour Lui, elles l'acclament à leur manière. Les arbres des forêts sont moins bêtes que les hommes : ils savent reconnaître leur créateur : parmi des tas d'idoles, de faux dieux, pas d'erreur possible, les arbres ne s'y laissent pas prendre.

Les hommes, eux, se sont laissés berner longtemps... Mais c'est bien fini ! C'est incroyable qu'ils aient mis si longtemps à reconnaître leur Créateur, leur Père... Mais cette fois c'est arrivé !

Et on vient parce qu'enfin on a entendu la bonne nouvelle : et tous se pressent pour entrer dans la Maison de leur Père.

***
Compléments
Mais revenons sur terre ! Je disais que ce psaume anticipe ! Tout cela est encore du domaine du rêve : en attendant, on est dans le présent ! Et le présent n'est pas si facile ; il faut tenir bon dans la foi et il faut témoigner de cette foi à la face des nations. Tenir bon dans la foi, c'est un choix à refaire sans cesse : l'une des strophes que nous ne lisons pas ce dimanche en porte la trace : « Il est grand, le Seigneur, hautement loué, redoutable au-dessus de tous les dieux : néant, tous les dieux des nations ! » Si on affirme que les dieux des nations ne sont que néant, c'est qu'il faut encore et toujours s'en persuader, refuser de retomber dans l'idolâtrie. Combat jamais complètement gagné.

On voit bien dans ce psaume l'ambiguïté du mot « nations » dans la Bible : selon les textes, ce mot semble chargé de plusieurs sens contradictoires : il est souvent carrément péjoratif ; le livre du Deutéronome, par exemple, parle des « abominations des nations ». Mais c'est parce qu'il vise leur polythéisme, leurs pratiques religieuses en général, et les sacrifices humains en particulier. A la première étape de la pédagogie biblique où il s'agit pour le peuple élu de s'attacher à Dieu sans partage, de découvrir le vrai visage du Dieu unique, il faut se garder de tout contact avec les « nations » : elles resteront longtemps un risque de contagion de l'idolâtrie. Et l'histoire d'Israël a prouvé maintes fois que ce risque est réel ! De plus, dans la mentalité de l'époque, où les divinités étaient censées faire la guerre aux côtés de leurs peuples, on n'aurait pas pu imaginer un Dieu qui prenne le parti de tous les belligérants à la fois !
ont définitivement compris que Dieu est réellement unique, qu'il est le Dieu de tout l'univers et de toute l'humanité et que, par conséquent, son salut, son œuvre, ses merveilles ne sont pas réservés à Israël.

 

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 12, 4 - 11

Frères,
4 les dons de la grâce sont variés,
mais c'est toujours le même Esprit.
5 Les fonctions dans l'Eglise sont variées,
mais c'est toujours le même Seigneur.
6 Les activités sont variées,
mais c'est partout le même Dieu
qui agit en tous.
7 Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit
en vue du bien de tous :
8 à celui-ci est donné, grâce à l'Esprit,
le langage de la sagesse de Dieu ;
à un autre, toujours par l'Esprit,
le langage de la connaissance de Dieu ;
9 un autre reçoit, dans l'Esprit,
le don de la foi ;
un autre encore, des pouvoirs de guérison
dans l'unique Esprit ;
10 un autre peut faire des miracles,
un autre est un prophète,
un autre sait reconnaître ce qui vient vraiment de l'Esprit ;
l'un reçoit le don de dire toutes sortes de paroles mystérieuses,
l'autre le don de les interpréter.
11 Mais celui qui agit en tout cela, c'est le même et unique Esprit :
il distribue ses dons à chacun,
selon sa volonté.





La lettre aux Corinthiens date de presque vingt siècles et elle n'a pas pris une ride ! Au contraire, elle est complètement d'actualité : comment faire pour rester Chrétiens dans un monde qui a des valeurs tout autres ? Comment trier, dans les idées qui circulent, celles qui sont compatibles avec la foi chrétienne ? Comment cohabiter avec des non-Chrétiens sans manquer à la charité ? Mais aussi sans y perdre notre âme, comme on dit ? Le monde tout autour parle de sexe et d'argent... Comment l'évangéliser ? C'étaient les questions des Chrétiens de Corinthe convertis de fraîche date dans un monde majoritairement païen ; ce sont les nôtres, aujourd'hui, Chrétiens de souche ou non, mais dans une société qui ne privilégie plus les valeurs chrétiennes.

Les réponses de Paul nous concernent donc presque toutes. Il parle des divisions dans la communauté, des problèmes de la vie conjugale, notamment quand les deux époux ne partagent pas la même foi, du cap à tenir au milieu de tous les marchands d'idées nouvelles : sur tous ces points, il remet les choses à leur place. Mais comme toujours, quand il parle de choses très concrètes, il rappelle d'abord le fondement des choses, qui est notre baptême : comme disait Jean-Baptiste, par le Baptême, nous avons été plongés dans le feu de l'Esprit, et désormais c'est l'Esprit qui se réfracte à travers nous selon nos propres diversités. Comme dit Paul : « Celui qui agit en tout cela, c'est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté. »

A Corinthe, comme dans tout le monde hellénistique, on adorait l'intelligence, on rêvait de découvrir la sagesse, on parlait partout de philosophie. A ces gens qui rêvaient de découvrir la sagesse par eux-mêmes et par la rigueur de leurs raisonnements, Paul répond : la vraie sagesse, la seule connaissance qui compte, n'est pas au bout de nos discours : elle est un don de Dieu. « A celui-ci est donné, grâce à l'Esprit, le langage de la sagesse de Dieu ; à un autre, toujours par l'Esprit, le langage de la connaissance de Dieu. » Il n'y a pas de quoi s'enorgueillir, tout est cadeau. Le mot « don » revient sept fois ! Dans la Bible, ce n'est pas nouveau ! Ici, Paul ne fait que reprendre en termes chrétiens ce que son peuple avait découvert depuis longtemps, à savoir que seul Dieu connaît et peut faire découvrir la vraie sagesse. La nouveauté du discours de Paul est ailleurs : elle consiste à parler de l'Esprit comme une Personne.

Plus profondément, Paul se démarque totalement par rapport aux recherches philosophiques des uns et des autres : il ne propose pas une nouvelle école de philosophie, une de plus... Il annonce Quelqu'un. Car les dons qui sont ainsi distribués aux membres de la communauté chrétienne ne sont pas de l'ordre du pouvoir ni du savoir, ils sont une présence intérieure : le nom de l'Esprit est cité huit fois dans ce passage. Finalement, ce texte est adressé aux Corinthiens, mais il ne parle pas d'eux, il parle exclusivement de l'Esprit à l'oeuvre dans la communauté chrétienne ; et qui, patiemment, inlassablement, nous tourne vers notre Père (il nous souffle de dire « Abba » - Père) et il nous tourne vers nos frères.

Pour que les choses soient bien claires, Paul précise : « Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit en vue du bien de tous ». On sait que les Corinthiens étaient avides de phénomènes spirituels extraordinaires, mais Saint Paul leur rappelle l'unique objectif : c'est le bien de tous. Car l'objectif de l'Esprit, ce n'est rien d'autre puisqu'il est l'Amour personnifié. Et alors, dans ses mains, si j'ose dire, nous devenons des instruments d'une infinie variété par la grâce de celui qui est le Dieu Un : « Les dons de la grâce sont variés, mais c'est toujours le même Esprit. Les fonctions dans l'Eglise sont variées, mais c'est toujours le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c'est partout le même Dieu qui agit en tous. »

Telle est la merveille de nos diversités : elles nous rendent capables, chacun à sa façon, de manifester l'Amour de Dieu. Une des leçons de ce texte de Saint Paul est certainement d'apprendre à nous réjouir de nos différences. Elles sont les multiples facettes de ce que l'Amour nous rend capables de faire selon l'originalité de chacun. Réjouissons-nous donc de la variété des races, des couleurs, des langues, des dons, des arts, des inventions... C'est ce qui fait la richesse de l'Eglise et du monde à condition de les vivre dans l'amour.

C'est comme un orchestre : une même inspiration... des expressions différentes et complémentaires, des instruments différents et voilà une symphonie... une symphonie à condition de jouer tous dans la même tonalité... c'est quand nous ne jouons pas tous dans le même ton qu'il y a une cacophonie ! La symphonie dont il est question ici c'est le chant d'amour que l'Eglise est chargée de chanter au monde : disons « l'hymne à l'Amour » comme on dit « l'hymne à la joie » de Beethoven. Notre complémentarité dans l'Eglise n'est pas une affaire de rôles, de fonctions, pour que l'Eglise vive avec un organigramme bien en place... C'est beaucoup plus grave et plus beau que cela : il s'agit de la mission confiée à l'Eglise de révéler l'Amour de Dieu : c'est notre seule raison d'être.

EVANGILE - Jean 2, 1 - 11

1 Il y avait un mariage à Cana en Galilée.
La mère de Jésus était là.
2 Jésus aussi avait été invité au repas de noces
avec ses disciples
3 Or, on manqua de vin ;
la mère de Jésus lui dit :
« Ils n'ont pas de vin. »
4 Jésus lui répond :
« Femme, que me veux-tu ?
Mon Heure n'est pas encore venue. »
5 Sa mère dit aux serviteurs :
« Faites tout ce qu'il vous dira. »
6 Or, il y avait là six cuves de pierre
pour les ablutions rituelles des Juifs ;
chacune contenait environ cent litres.
7 Jésus dit aux serviteurs :
« Remplissez d'eau les cuves. »
Et ils les remplirent jusqu'au bord.
8 Il leur dit :
« Maintenant, puisez et portez-en au maître du repas. »
Ils lui en portèrent.
9 Le maître du repas goûta l'eau changée en vin.
Il ne savait pas d'où venait ce vin,
mais les serviteurs le savaient, eux qui avaient puisé l'eau.
10 Alors le maître du repas interpelle le marié et lui dit :
« Tout le monde sert le bon vin en premier,
et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon.
Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant. »
11 Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit.
C'était à Cana en Galilée.
Il manifesta sa gloire,
et ses disciples crurent en lui.

Il faut nous habituer à la manière d'écrire de Jean l'évangéliste ! C'est entre les lignes que les choses importantes sont dites ! Pour lui, ce premier « signe » (comme il dit) de Jésus à Cana est très important : il évoque à lui tout seul le grand mystère du projet de Dieu sur l'humanité, mystère de Création, mystère d'Alliance, mystère de Noces. Ce que nous appelons le Prologue, chez Jean, c'est-à-dire le tout début de son premier chapitre, était une grande méditation sur ce mystère ; le texte qui nous rapporte le miracle de Cana est exactement la même méditation, mais sur le mode du récit, cette fois. Comme si ces deux textes, au début de l'évangile, devaient nous introduire à la compréhension de tout ce qui va suivre. Je vous propose donc de lire le récit des noces de Cana à la lumière du Prologue.

Qu'y a-t-il eu entre les deux ? Des événements qui composent ce que l'on appelle la « semaine inaugurale » de la vie publique de Jésus. Elle commence auprès de Jean-Baptiste au bord du Jourdain où des Pharisiens sont venus l'interroger sur sa mission ; et déjà Jean-Baptiste annonçait la venue de Jésus ; le lendemain, Jean-Baptiste a la joie de voir Jésus lui-même venir vers lui et il reconnaît en lui « le Fils de Dieu, celui qui baptise dans l'Esprit Saint ». Le lendemain encore, (et c'est Jean qui donne la précision comme s'il disait « il y eut un soir, il y eut un matin »), nouvelle rencontre au bord de l'eau : cette fois, ce sont deux disciples de Jean-Baptiste qui se détachent de son groupe pour suivre Jésus et celui-ci les invite à passer la soirée auprès de lui. Le jour suivant, Jésus part en Galilée accompagné déjà de quelques disciples. Et c'est en Galilée, trois jours plus tard, qu'a lieu le miracle de Cana : Jean commence son récit des noces de Cana en disant « le troisième jour, il y eut un mariage à Cana en Galilée » ; on est, bien sûr, tentés de faire le compte de tous ces jours depuis le début : cela donne « le septième jour » ; l'évocation d'une semaine, d'un « septième jour », dans un évangile, ce n'est évidemment pas anodin. Le « septième jour » renvoie toujours à l'achèvement de la Création.

Comme le mot « commencement », d'ailleurs, que l'évangéliste emploie à la fin de son récit : « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. » Dans le Prologue, Jean affirmait « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. » Nous voici dans le cadre des sept jours de la Création. L'épisode des noces de Cana, un septième jour, lui fait donc un lointain écho : car, en réalité, à Cana, Jésus ne se contente pas de multiplier le vin, il le crée ; comme au commencement de toutes choses, le Verbe était tourné vers Dieu pour créer le monde, une nouvelle étape s'inaugure à Cana : la création nouvelle a commencé.

Et il s'agit d'une noce ! On pourrait continuer le parallèle : au sixième jour, Dieu avait achevé son oeuvre par la création du couple humain à son image ; au septième jour de la nouvelle création, Jésus participe à un repas de noces. Manière de dire que le projet créateur de Dieu est en définitive un projet d'alliance, un projet de noce. (Nous comprenons mieux alors pourquoi nous avons lu en première lecture ce texte du troisième Isaïe dans lequel Dieu disait à son peuple : je t'aime d'amour et je t'épouse ; Is 62) Les Pères de l'Eglise ne se sont pas privés de voir dans le miracle de Cana la réalisation de la promesse de Dieu : la fête des noces de Dieu avec l'humanité débute là.

C'est pour cela que le mot « Heure » chez Jean est si important : il s'agit de l'Heure où le projet de Dieu a été définitivement accompli en Jésus-Christ. C'est bien à cela que Jésus pense quand il dit à Marie : « Femme, que me veux-tu ? Mon Heure n'est pas encore venue. » Visiblement ses préoccupations sont au-delà du problème matériel du manque de vin : il ne perd pas de vue sa mission qui est d'accomplir les noces de Dieu avec l'humanité.

Mais la première phrase (« Femme, que me veux-tu ? ») reste surprenante et on a beaucoup épilogué ; en réalité, dans le texte grec, c'est « qu'y a-t-il pour toi et pour moi ? » autrement dit : « tu ne peux pas comprendre ». Jésus affronte là, seul, la grande question de sa mission : pour accomplir cette mission, concrètement, que doit-il faire ? Doit-il créer du vin ? Et ainsi manifester qu'il est le Fils de Dieu ?

On a peut-être ici, dans l'évangile de Jean, un écho du récit des Tentations dans les Evangiles synoptiques ; ce qui expliquerait, d'ailleurs, la sécheresse apparente de la phrase de Jésus à sa mère ; au désert, dans l'épisode des Tentations, la question qui s'est posée à Jésus était « qu'est-ce, au juste, être Fils de Dieu ? » et le Tentateur lui avait susurré « si tu es vraiment le Fils de Dieu, maintenant que tu as faim, ordonne que ces pierres deviennent du pain ». On remarquera une chose : quand il est seul au désert, Jésus refuse de faire les miracles que lui suggère le Tentateur, car il en serait le seul bénéficiaire. A Cana, au contraire, Jésus multiplie le vin de la fête pour la joie des convives. Ce qui revient à dire que le Fils de Dieu ne fait de miracles que pour le bonheur des hommes.

***

- « Femme que me veux-tu ? » = Ne cherchons pas à minimiser l'indéniable vivacité de cette réaction du Fils envers sa mère. En hébreu, cette phrase marque généralement une divergence de vues, parfois même une hostilité (Jg 11, 12 ; Mc 1, 24 ; 2 S 16, 10 ; 2 S 19, 23) ; reconnaissons qu'il s'agit ici de cas extrêmes ; la réflexion de Jésus s'apparente peut-être davantage à celle de la veuve de Sarepta face à Elie au moment de la mort de son fils (1 R 17, 18) : elle considère la présence du prophète comme une intervention inopportune. Mais la difficulté persiste : Jésus, le doux et humble de coeur, manquerait-il de respect envers sa mère ? En réalité, peut-être y a-t-il ici l'aveu implicite d'un véritable affrontement intérieur pour le Fils au sujet de sa mission. Lui qui ne s'autorisait pas à accomplir des miracles pour son seul bénéfice (changer des pierres en pain), devait-il ici transformer l'eau en vin ?
- Les cuves d'eau de Cana soient en pierre et Jean le précise intentionnellement : les poteries de terre cuite étaient employées pour l'eau potable, les cuves de pierre pour l'eau des ablutions rituelles. C'est cette eau-là, eau symbolique de l'Alliance, qui est devenue vin des noces.

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16 janvier 2010 6 16 /01 /janvier /2010 21:47
marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté).

PREMIERE LECTURE - Isaïe 40, 1 - 5. 9 - 11

1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2 Parlez au coeur de Jérusalem et proclamez
que son service est accompli,
que son crime est pardonné,
et qu'elle a reçu de la main du Seigneur
double punition pour toutes ses fautes.
3 Une voix proclame : « Préparez à travers le désert
le chemin du Seigneur.
Tracez dans les terres arides
une route aplanie pour notre Dieu.
4 Tout ravin sera comblé,
toute montagne et toute colline seront abaissées,
les passages tortueux deviendront droits
et les escarpements seront changés en plaine.
5 Alors la gloire du Seigneur se révélera
et tous en même temps verront
que la bouche du Seigneur a parlé. »
9 Monte sur une haute montagne,
toi qui portes la bonne nouvelle à Sion.
Elève la voix avec force,
toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem.
Elève la voix, ne crains pas.
Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu. »
10 Voici le Seigneur Dieu :
il vient avec puissance
et son bras est victorieux.
Le fruit de sa victoire l'accompagne
et ses trophées le précèdent.
11 Comme un berger, il conduit son troupeau :
son bras rassemble les agneaux,
il les porte sur son coeur,
et il prend soin des brebis qui allaitent leurs petits.

Je prends tout simplement le texte dans l'ordre : C'est ici que commence l'un des plus beaux passages du Livre d'Isaïe ; on l'appelle le « livret de la consolation d'Israël » : Ses premiers mots, ce sont : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ». Cette phrase, à elle toute seule, est déjà une Bonne Nouvelle extraordinaire, presque inespérée, pour qui sait l'entendre ! Car les expressions « mon peuple »... « votre Dieu » sont le rappel de l'Alliance.

Or, c'était la grande question des exilés. Pendant l'Exil à Babylone, c'est-à-dire entre 587 et 538 avant J.C. , on pouvait se le demander : est-ce que Dieu n'a pas abandonné son peuple, est-ce qu'il n'a pas renoncé à son Alliance...? Il pourrait bien s'être enfin lassé des infidélités répétées à tous les niveaux. Tout l'objectif de ce livret de la Consolation d'Isaïe est de dire qu'il n'en est rien. Dieu affirme encore « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu », ce qui était la devise ou plutôt l'idéal de l'Alliance.

« Parlez au coeur de Jérusalem et proclamez que son service est accompli » dit Isaïe ; cela veut dire que la servitude à Babylone est finie ; c'est donc une annonce de la libération et du retour à Jérusalem. « Que son crime est pardonné et qu'elle a reçu de la main du Seigneur double punition pour toutes ses fautes. » D'après la loi d'Israël, un voleur devait restituer le double des biens qu'il avait volés (par exemple deux bêtes pour une). Parler au passé de cette double punition, c'était donc une manière imagée de dire que la libération approchait puisque la peine était déjà purgée. Ce que le prophète, ici, appelle les « fautes » de Jérusalem, son « crime », ce sont tous les manquements à l'Alliance, les cultes idolâtres, les manquements au sabbat et aux autres prescriptions de la loi, et surtout les trop nombreux manquements à la justice et, pire que tout le reste, le mépris des pauvres. Le peuple juif a toujours considéré l'Exil comme la conséquence de toutes ces infidélités. Car, on le sait bien : s'écarter de la Loi de Dieu, c'est engendrer soi-même son propre malheur.

« Une voix proclame » : nulle part, l'auteur de ce livret ne nous dit qui il est ; il se présente comme « la voix qui crie de la part de Dieu » ; nous l'appelons traditionnellement le « deuxième Isaïe ». « Une voix proclame : Préparez à travers le désert le chemin du Seigneur ». Déjà une fois dans l'histoire d'Israël, Dieu a préparé dans le désert le chemin qui menait son peuple de l'esclavage à la liberté : traduisez de l'Egypte à la Terre promise ; puisque le Seigneur a su jadis arracher son peuple à l'oppression égyptienne, il saura aujourd'hui, de la même manière, l'arracher à l'oppression babylonienne.

« Tracez dans les terres arides une route aplanie pour notre Dieu. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux deviendront droits et les escarpements seront changés en plaine. » C'était l'un des plaisirs du vainqueur que d'astreindre les vaincus à faire d'énormes travaux de terrassement pour préparer une voie triomphale pour le retour du roi victorieux. Il y a pire : une fois par an, à Babylone, on célébrait la grande fête du dieu Mardouk, et, à cette occasion, les esclaves juifs devaient faire ces travaux de terrassement : combler les ravins... abaisser les collines et même les montagnes... de simples chemins tortueux faire d'amples avenues... et tout cela pour préparer la voie triomphale par laquelle devait passer le cortège, roi et statues de l'idole en tête ! Pour ces juifs croyants, c'était l'humiliation suprême et le déchirement intérieur. Alors Isaïe, chargé de leur annoncer la fin prochaine de leur esclavage à Babylone et le retour au pays leur dit : cette fois, c'est dans le désert qui sépare Babylone de Jérusalem que vous tracerez un chemin ... Et ce ne sera pas pour une idole païenne, ce sera pour vous et votre Dieu en tête !

« Alors la gloire du Seigneur se révélera et tous en même temps verront que la bouche du Seigneur a parlé » : on pourrait traduire « Dieu sera enfin reconnu comme Dieu et tous verront que Dieu a tenu ses promesses. »
« Monte sur une haute montagne, toi qui portes la Bonne Nouvelle à Sion. Elève la voix avec force, toi qui portes la Bonne Nouvelle à Jérusalem. » Au passage, vous avez remarqué le parallélisme de ces deux phrases : parallélisme parfait qui a simplement pour but de porter l'accent sur cette Bonne Nouvelle : Sion ou Jérusalem, c'est la même chose : et, dans les deux cas, il s'agit évidemment du peuple et non de la ville. Le contenu de cette Bonne Nouvelle suit immédiatement :
« Voici votre Dieu. Voici le Seigneur Dieu : il vient avec puissance et son bras est victorieux. Le fruit de sa victoire l'accompagne et ses trophées le précèdent. » « Comme un berger il conduit son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son coeur, et il prend soin des brebis qui allaitent leurs petits. » Nous retrouvons ici l'image chère à Ezéchiel.

La juxtaposition de ces deux images successives nous surprend peut-être, mais l'idéal du roi en Israël comprenait bien ces deux aspects : le bon roi, c'est un berger plein de sollicitude pour son peuple, mais c'est aussi un roi triomphant des ennemis, pour protéger le peuple justement... Comme un berger utilise son bâton pour chasser les animaux qui menaceraient le troupeau.

Ce texte, dans son ensemble, résonnait donc comme une extraordinaire nouvelle aux oreilles des contemporains d'Isaïe, au 6ème siècle av.J.C. Et voilà que 5 ou 600 ans plus tard, quand Jean-Baptiste a vu Jésus s'approcher du Jourdain et demander le Baptême, il a entendu résonner en lui ces paroles d'Isaïe et il a été rempli d'une évidence aveuglante : le voilà celui qui rassemble définitivement le troupeau du Père... Le voilà celui qui va transformer les chemins tortueux des hommes en chemins de lumière... Le voilà celui qui vient redonner au peuple de Dieu sa dignité... Le voilà celui en qui se révèle la gloire (c'est-à-dire la présence) du Seigneur. Fini le temps des prophètes, désormais Dieu lui-même est parmi nous !

PSAUME 103 ( 104 ), 1 - 4 ; 24... 30

1 Revêtu de magnificence,
2 tu as pour manteau la lumière !
Comme une tenture, tu déploies les cieux,
3 tu élèves dans leurs eaux tes demeures.

Des nuées, tu te fais un char,
tu t'avances sur les ailes du vent ;
4 tu prends les vents pour messagers,
pour serviteurs, les flammes des éclairs.

24 Quelle profusion dans tes oeuvres, Seigneur !
La terre s'emplit de tes biens.
25 Voici l'immensité de la mer,
son grouillement innombrable d'animaux grands et petits.

27 Tous, ils comptent sur toi
pour recevoir leur nourriture en temps voulu.
28 Tu donnes, eux, ils ramassent ;
tu ouvres la main, ils sont comblés.

29 Tu caches ton visage : ils s'épouvantent ;
tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre


Nous lisons ici des extraits du psaume 103 ; or, on peut les comparer avec une prière qui nous vient d'Egypte : il s'agit d'une hymne adressée au soleil par le roi Aménophis IV, l'époux de Nefertiti. On sait que ce Pharaon a consacré une bonne partie de ses énergies à l'instauration d'une religion nouvelle : il a remplacé le culte d'Amon (dont le clergé devenait beaucoup trop puissant à ses yeux) par celui du Dieu Aton, c'est-à-dire le soleil ; et, à cette occasion, il a pris un nouveau nom, Akhenaton. Sa prière a été retrouvée gravée sur un tombeau à Tell El-Amarna en Egypte (au bord du Nil).

Le voici : « Tu te lèves beau dans l'horizon du ciel, Soleil vivant qui vis depuis l'origine. Tu resplendis dans l'horizon de l'Est, tu as rempli tout pays de ta beauté. Tu es beau, grand, brillant, tu t'élèves au-dessus de tout pays. Combien nombreuses sont tes oeuvres, mystérieuses à nos yeux ! Seul dieu, tu n'as point de semblable, tu as créé la terre selon ton coeur. Les êtres se forment sous ta main comme tu les as voulus. Tu resplendis et ils vivent ; tu te couches et ils meurent. Toi, tu as la durée de la vie par toi-même, on vit de toi. Les yeux sont sur ta beauté jusqu'à ce que tu te caches, Et tout travail prend fin, quand tu te couches à l'Occident. »

On ne peut pas nier que cette hymne adressée en Egypte au dieu-soleil ressemble comme deux gouttes d'eau à notre psaume 103 composé en Israël ; or le texte égyptien est plus ancien, il date du quatorzième siècle, à une époque où les Hébreux étaient esclaves en Egypte. On peut donc supposer qu'ils ont eu l'occasion d'y entendre ce poème adressé au dieu-soleil ; ils l'auraient alors adapté et transformé à la lumière de leur nouvelle religion, celle du dieu qui les avait libérés d'Egypte, précisément.
J'ai dit « adapté et transformé » parce que si ces deux textes se ressemblent, ils diffèrent plus encore ! Et sur deux points : premièrement, le Dieu d'Israël est un Dieu personnel, qui a proposé une relation d'Alliance à son peuple. Un Dieu qui a un projet sur l'humanité, un Dieu qui veut l'homme libre.

Par exemple, le psaume commence et finit par l'acclamation « Bénis le Seigneur, ô mon âme » qui est typique de l'Alliance du peuple d'Israël avec son Dieu. Car, une fois de plus, le nom employé pour désigner Dieu est le fameux nom de l'Alliance, le nom en quatre lettres YHVH qu'on ne prononce pas, mais qui rappelle la présence de Dieu auprès de son peuple pour toujours.

Deuxième différence entre la pensée biblique et le pharaon Akhénaton, Dieu seul est Dieu, le soleil n'est qu'une créature dépourvue de toute volonté propre : dans d'autres versets de ce psaume, on affirme « Tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l'heure de son coucher. Tu fais descendre les ténèbres, la nuit vient. » En d'autres termes, si le soleil a un quelconque pouvoir, c'est Dieu et Dieu seul qui le lui a donné. Dans le même sens, nous avons déjà remarqué l'insistance du livre de la Genèse : pour bien mettre le soleil et la lune à leur place de créatures, le poème du premier chapitre ne dit même pas leurs noms : il se contente de les appeler « le grand luminaire et le petit luminaire », c'est-à-dire uniquement des instruments, en somme.

Revenons au psaume 103 : en Israël, donc, il était chanté à la louange du Dieu créateur, roi de toute la Création. C'est particulièrement net dans la phrase : « Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre » ; on pense évidemment au texte de la Genèse « Le Seigneur Dieu modela l'homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l'haleine de vie, et l'homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7).

Pour dire que Dieu est roi, on emploie le langage de la cour : « Revêtu de magnificence, tu as pour manteau la lumière ! », comme si Dieu avait un manteau de cour ! Ailleurs encore, le psalmiste s'écrie : « Seigneur, mon Dieu, tu es si grand », acclamation royale traditionnelle en Israël où le mot « grand » est un mot du langage de cour.

Et voilà que la liturgie chrétienne nous propose ce psaume pour la fête du Baptême du Christ : rapprochement à première vue un peu surprenant... Quel lien y a-t-il entre l'acte créateur du Dieu de l'univers et une pratique religieuse d'un certain Jean le Baptiste, des millions d'années après, et à laquelle se soumet un fils de charpentier, Jésus de Nazareth ?

A moins que, justement, ce fils de charpentier soit venu pour « refaire le monde », comme on dit. Si ce psaume 103, une hymne au Dieu créateur, roi de la création, nous est proposé pour fêter le Baptême de Jésus, c'est donc pour nous inviter à lire l'événement du Baptême du Christ sous deux aspects complémentaires ; d'une part, c'est lors de son Baptême que Jésus est proclamé roi de la Création : l'évangile de Luc raconte qu'une voix venue du ciel a proclamé exactement la formule qui était prononcée par le prêtre sur chaque nouveau roi le jour de son sacre : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. »
d'autre part, l'heure du Baptême du Christ est aussi l'heure de la nouvelle création ; rappelons-nous le poème du chapitre 1 de la Genèse qui disait « Le souffle de Dieu planait à la surface des eaux. » (Gn 1, 2). Or le Baptême du Christ se déroule au bord des eaux du Jourdain et Saint Luc nous dit : « Jésus, baptisé, priait ; alors le ciel s'ouvrit ; l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle comme une colombe. » Traduisez l'heure de la nouvelle création a sonné.
Nous ne nous étonnons plus d'avoir lu en première lecture un passage du deuxième Isaïe, le chantre du renouvellement de toutes choses, celui qui annonçait : « Voici que je vais faire du neuf qui déjà bourgeonne ; ne le reconnaîtrez-vous pas ? » (Is 43, 19).

DEUXIEME LECTURE Tite 2, 11 - 14 ; 3, 4 - 7

2, 11 La grâce de Dieu s'est manifestée
pour le salut de tous les hommes.
12 C'est elle qui nous apprend à rejeter le péché
et les passions d'ici-bas,
pour vivre dans le monde présent
en hommes raisonnables, justes et religieux,
13 et pour attendre le bonheur que nous espérons avoir
quand se manifestera
la gloire de Jésus-Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur.
14 Car il s'est donné pour nous
afin de nous racheter de toutes nos fautes,
et de nous purifier
pour faire de nous son peuple,
un peuple ardent à faire le bien.

3, 4 Dieu, notre Sauveur,
a manifesté sa bonté et sa tendresse pour tous les hommes ;
5 il nous a sauvés.
Il l'a fait dans sa miséricorde, et non pas à cause d'actes méritoires
que nous aurions accomplis par nous-mêmes.
Par le bain du baptême, il nous a fait renaître
et nous a renouvelés dans l'Esprit Saint.
6 Cet Esprit, Dieu l'a répandu sur nous avec abondance,
par Jésus-Christ notre Sauveur ;
7 ainsi, par sa grâce, nous sommes devenus des justes,
et nous possédons dans l'espérance
l'héritage de la vie éternelle.



On ne sait pas grand chose sur Tite. Il a été chargé par Saint Paul d'organiser la communauté des Chrétiens de l'île de Crète : mais, quand Paul lui-même a-t-il fondé cette communauté ? Où et quand a-t-il connu Tite ? On ne le sait pas ; en ce qui concerne Tite, il n'est jamais cité dans les Actes des Apôtres, mais nous savons d'après la lettre aux Galates qu'il faisait déjà partie des proches de Paul au moment de la fameuse réunion de Jérusalem vers l'année 50 ; Paul parle encore de lui à plusieurs reprises dans plusieurs de ses lettres.

Quant à la Crète, Luc raconte dans les Actes des Apôtres que le bateau qui transportait Paul prisonnier à Rome pour y être jugé, a fait escale dans un endroit appelé « Beaux Ports » au sud de l'île. Luc ne parle pas de la naissance d'une communauté chrétienne à cette occasion. Et Tite ne faisait pas partie de l'expédition. Vous savez qu'après bien des péripéties, ce voyage s'est terminé comme prévu à Rome où Paul a été emprisonné pendant deux ans dans des conditions très libérales ; on pourrait plutôt parler de résidence surveillée.

Généralement, on suppose que cette première captivité romaine s'est soldée par une libération ; Paul aurait alors entrepris un quatrième voyage missionnaire ; et c'est au cours de ce quatrième voyage qu'il aurait évangélisé la Crète. Apparemment, la chose n'était pas aisée : car les Crétois avaient très mauvaise réputation au temps de Paul ; c'est un poète du pays, Epiménide de Cnossos, au 6ème siècle av.J.C. qui les traitait de « Crétois, perpétuels menteurs, bêtes méchantes, panses malfaisantes ». Et Paul, en le citant, dit « ce témoignage est vrai » ! Et c'est cette communauté chrétienne toute neuve que Tite est chargé d'organiser.

Cette lettre à Tite contient donc les conseils du fondateur de la communauté à celui qui en est désormais le responsable. Vous savez que pour des raisons de style, de vocabulaire et même de vraisemblance chronologique, beaucoup de ceux qui connaissent bien les épîtres pauliniennes pensent que cette lettre à Tite (comme les deux lettres à Timothée, d'ailleurs) a été écrite seulement à la fin du 1er siècle, c'est-à-dire 30 ans environ après la mort de Paul, mais dans la fidélité à sa pensée et pour appuyer son oeuvre.

Je suis incapable de trancher, évidemment, et je continuerai à parler de Paul comme s'il était l'auteur, puisque c'est le contenu de la lettre qui nous intéresse. Quelle que soit l'époque à laquelle cette lettre a été rédigée, il faut croire que les difficultés des Crétois persistaient !

A propos de contenu, cette lettre à Tite est particulièrement courte, trois pages seulement et nous avons lu aujourd'hui la fin du chapitre 2 et le début du chapitre 3. Tout ce qui précède et ce qui suit consiste en recommandations extrêmement concrètes à l'intention des membres de la communauté, vieux et jeunes, hommes et femmes, maîtres et esclaves. Les responsables ne sont pas oubliés et si Paul insiste sur l'irréprochabilité qu'on doit exiger d'eux, il faut croire que cela n'allait pas de soi !

Tous ces conseils, Paul les justifie par la seule raison que « la grâce de Dieu s'est manifestée », comme il dit. Traduisez « Dieu s'est fait homme ». Et désormais, c'est notre manière d'être hommes qui est transformée. « Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l'Esprit Saint. » Désormais la face du monde est changée, et donc aussi notre comportement. Encore faut-il nous prêter à cette transformation. Et le monde attend de nous ce témoignage. Il ne s'agit pas de mérites à acquérir, mais de témoignage à porter. Le mystère de l'Incarnation va jusque-là. Dieu veut le salut de toute l'humanité, pas seulement le nôtre ! « La grâce de Dieu s'est manifestée pour le salut de tous les hommes. » Mais il attend notre collaboration pour cela.

C'est donc la transformation de l'humanité tout entière qui est au programme, si j'ose dire ; car le projet de Dieu, prévu de toute éternité, c'est de nous réunir tous autour de Jésus-Christ. Tellement serrés autour de lui que nous ne ferons qu'un avec lui. Réunir, c'est-à-dire surmonter nos divisions, nos rivalités, nos haines, pour faire de nous un seul homme ! Il y a encore du chemin à faire, c'est vrai ; tellement de chemin que les incroyants disent que « c'est une utopie » ; mais les croyants affirment « puisque c'est une promesse de Dieu, c'est une certitude ! ». Vous avez entendu la phrase de Paul « Nous attendons le bonheur que nous espérons avoir quand se manifestera la gloire de Jésus-Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur. » « Nous attendons », cela veut dire « c'est certain, tôt ou tard, cela viendra. »

Au passage, vous avez reconnu là une phrase que le prêtre prononce à chaque eucharistie, après le Notre Père : « Nous espérons le bonheur que tu promets et l'avènement de Jésus-Christ notre Sauveur ». Comme bien souvent, ce ET signifie « c'est-à-dire ». Il faut entendre « Nous espérons le bonheur que tu promets QUI EST l'avènement de Jésus-Christ notre Sauveur ». Ce n'est pas une manière de nous voiler la face sur les lenteurs de cette transformation du monde, c'est un acte de foi : nous osons affirmer que l'amour du Christ aura le dernier mot.
Cette certitude, cette attente sont le moteur de toute liturgie : au cours de la célébration, les Chrétiens ne sont pas des gens tournés vers le passé mais déjà un seul homme debout tourné vers l'avenir (A-VENIR).

EVANGILE Luc 3, 15 - 22

15 Le peuple venu auprès de Jean-Baptiste était en attente,
et tous se demandaient en eux-mêmes
si Jean n'était pas le Messie.
16 Jean s'adressa alors à tous :
« Moi, je vous baptise avec de l'eau ;
mais il vient, celui qui est plus puissant que moi.
Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales.
Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu. »
21 Comme tout le peuple se faisait baptiser
et que Jésus priait,
après avoir été baptisé lui aussi,
alors le ciel s'ouvrit.
22 L'Esprit Saint descendit sur Jésus,
sous une apparence corporelle,
comme une colombe.
Du ciel une voix se fit entendre :
« C'est toi mon Fils : moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. »


Les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) racontent l'événement du Baptême du Christ, chacun à leur manière. Jean, lui, ne le raconte pas, mais il y fait allusion. Luc a ses accents propres et ce sont eux que je vais essayer ici de mettre en lumière. Par exemple, son texte commence par « Comme tout le peuple se faisait baptiser » : Luc est le seul à mentionner que le peuple se faisait baptiser ; il est aussi le seul à mentionner la prière de Jésus : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et que Jésus priait »; ce rapprochement est bien dans la manière de Luc : homme parmi les hommes, Jésus ne cesse pas d'être en même temps uni à son Père.

Luc veut tellement insister sur l'humanité de Jésus que, chez lui et lui seul, curieusement, le récit du baptême est suivi immédiatement par une généalogie. Contrairement à la généalogie placée tout au début de l'évangile de Matthieu et qui part d'Abraham pour descendre jusqu'à Jésus en passant par David et par Joseph, la généalogie de Jésus chez Luc part de lui pour remonter à ses ancêtres ; il est (croyait-on, dit Luc) fils de Joseph, fils de David, fils d'Abraham... Mais Luc remonte encore bien plus haut : il nous dit que Jésus est « fils d'Adam, fils de Dieu ». Cela veut bien dire qu'au moment où il écrit son évangile, les premiers Chrétiens avaient découvert cette relation privilégiée de Jésus le Nazaréen avec Dieu : il était le Fils de Dieu au vrai sens du terme.

La suite n'est pas propre à Luc : Matthieu et Marc emploient à peu près les mêmes termes. Pendant que Jésus priait, « le ciel s'ouvrit » : en trois mots, un événement décisif ! La communication entre le ciel et la terre est rétablie ; la prière du peuple croyant vient d'être entendue ; depuis des siècles, c'était l'attente du peuple juif. « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais, tel que les montagnes soient secouées devant toi, tel un feu qui brûle des taillis, tel un feu qui fait bouillonner les eaux. » disait Isaïe (Is 63, 19 - 64, 1). Les eaux, nous y sommes, puisque ceci se passe au bord du Jourdain ; le feu, le voici : « Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu » disait Jean-Baptiste. Et Luc continue : « L'Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. » Ici l'Esprit n'est pas associé à la violence du feu, mais à la colombe, symbole de douceur et de fragilité. Ce n'est pas contradictoire : force et violence... douceur et fragilité, tel est l'amour, tel est l'Esprit.

Les quatre évangélistes citent cette manifestation de l'Esprit sous la forme d'une colombe : dans les trois évangiles synoptiques, les expressions sont tout à fait similaires : Matthieu et Marc disent que l'Esprit descend « comme une colombe », chez Luc « L'Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. » Dans l'évangile de Jean, c'est Jean-Baptiste qui, après coup, raconte la scène : « J'ai vu l'Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, c'est lui qui m'a dit : Celui sur lequel tu verras l'Esprit descendre et demeurer sur lui, c'est lui qui baptise dans l'Esprit Saint. Et moi, j'ai vu et j'atteste qu'il est, lui, le Fils de Dieu. » (Jn 1, 32-34).

Cette représentation de la colombe est donc certainement très importante puisque les quatre évangélistes l'ont retenue. Que pouvait-elle évoquer pour eux ? Dans l'Ancien Testament, elle évoque d'abord la création : le texte de la Genèse ne cite pas la colombe, il dit simplement « le souffle de Dieu planait sur la surface des eaux. » (Gn 1, 2). Mais dans la méditation juive, on avait appris à reconnaître dans ce souffle, l'Esprit même de Dieu ; et un commentaire rabbinique de la Genèse dit « L'Esprit de Dieu planait sur la face des eaux comme une colombe qui plane au-dessus de ses petits, mais ne les touche pas. » (Talmud de Babylone). Ensuite, la colombe évoquait l'Alliance entre Dieu et l'humanité, renouée après le déluge ; vous vous souvenez du lâcher de colombe de Noé : c'est elle qui a indiqué à Noé que le déluge était fini et que la vie pouvait reprendre. Mieux encore, l'amoureux du Cantique des Cantiques appelle sa bien-aimée « ma colombe au creux d'un rocher... ma soeur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite. » Or le peuple juif lit le Cantique des Cantiques comme la déclaration d'amour de Dieu à l'humanité.

Nous sommes donc bien à l'aube d'une ère nouvelle : nouvelle création, nouvelle alliance.
A ce moment-là, nous dit Luc, « Du ciel une voix se fit entendre : C'est toi mon Fils : moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. » Il ne fait de doute pour personne que cette voix est la voix de Dieu lui-même : depuis bien longtemps, le peuple d'Israël n'avait plus de prophètes, mais les rabbins disaient que rien n'empêche Dieu de se révéler directement et que sa voix, venant des cieux, gémit comme une colombe. Or, cette phrase « C'est toi mon Fils : moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » n'était pas nouvelle pour des oreilles juives : elle en était d'autant plus grave ; car c'était un verset du psaume 2 qu'on chantait depuis des siècles dans le Temple de Jérusalem ; alors qu'il n'y avait plus de roi en Israël, on s'obstinait à redire cette phrase pourtant réservée aux rois, le jour de leur sacre, dans l'attente du jour où enfin elle serait dite sur un roi en chair et en os, qui serait le Messie.

Parmi les assistants, ceux qui voulaient bien comprendre, et Jean-Baptiste en tête, ont tout d'un coup compris : la colombe de l'Esprit, c'est elle qui est la couronne du Roi-Messie.

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16 janvier 2010 6 16 /01 /janvier /2010 21:35
marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté).

PREMIERE LECTURE - Isaïe 60, 1 - 6

1 Debout, Jérusalem !
Resplendis :
elle est venue ta lumière,
et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi.
2 Regarde : l'obscurité recouvre la terre,
les ténèbres couvrent les peuples ;
mais sur toi se lève le Seigneur,
et sa gloire brille sur toi.
3 Les nations marcheront vers ta lumière,
et les rois, vers la clarté de ton aurore.
4 Lève les yeux, regarde autour de toi :
tous, ils se rassemblent, ils arrivent ;
tes fils reviennent de loin,
et tes filles sont portées sur les bras.
5 Alors tu verras, tu seras radieuse,
ton coeur frémira et se dilatera.
Les trésors d'au-delà des mers afflueront vers toi
avec les richesses des nations.
6 Des foules de chameaux t'envahiront,
des dromadaires de Madiane et d'Epha.
Tous les gens de Saba viendront,
apportant l'or et l'encens
et proclamant les louanges du Seigneur.


Vous avez remarqué toutes les expressions de lumière, tout au long de ce passage : « Resplendis, elle est venue ta lumière... la gloire (le rayonnement) du Seigneur s'est levée sur toi (comme le soleil se lève)... sur toi se lève le Seigneur, sa gloire brille sur toi...ta lumière, la clarté de ton aurore...tu seras radieuse ».

On peut en déduire tout de suite que l'humeur générale était plutôt sombre ! Je ne dis pas que les prophètes cultivent le paradoxe ! Non ! Ils cultivent l'espérance.
Alors, pourquoi l'humeur générale était-elle sombre, pour commencer. Ensuite, quel argument le prophète avance-t-il pour inviter son peuple à l'espérance ?

Pour ce qui est de l'humeur, je vous rappelle le contexte : ce texte fait partie des derniers chapitres du livre d'Isaïe ; nous sommes dans les années 525-520 av.J.C., c'est-à-dire une quinzaine ou une vingtaine d'années après le retour de l'exil à Babylone. Les déportés sont rentrés au pays, et on a cru que le bonheur allait s'installer. En réalité, ce fameux retour tant espéré n'a pas répondu à toutes les attentes.

D'abord, il y a ceux qui sont restés au pays et qui ont vécu la période de guerre et d'occupation. Ensuite, il y a ceux qui reviennent d'Exil et qui comptaient retrouver leur place et leurs biens. Or si l'Exil a duré 50 ans, cela veut dire que ceux qui sont partis sont morts là-bas... et ceux qui reviennent sont leurs enfants ou leurs petits-enfants ... Cela ne doit pas simplifier les retrouvailles. D'autant plus que ceux qui rentrent ne peuvent certainement pas prétendre récupérer l'héritage de leurs parents : les biens des absents, des exilés ont été occupés, c'est inévitable. L'Exil a duré 50 ans !

Enfin, il y a tous les étrangers qui se sont installés dans la ville de Jérusalem et dans tout le pays à la faveur de ce bouleversement et qui ont introduit d'autres coutumes, d'autres religions...
Tout ce monde n'est pas fait pour vivre ensemble...

La pomme de discorde, ce fut la reconstruction du Temple : car, dès le retour de l'exil, autorisé en 538 par le roi Cyrus, les premiers rentrés au pays avaient rétabli l'ancien autel du Temple de Jérusalem, et avaient recommencé à célébrer le culte comme par le passé ; et en même temps, ils entreprirent la reconstruction du Temple lui-même.
Mais voilà que des gens qu'ils considéraient comme hérétiques ont voulu s'en mêler ; c'étaient ceux qui avaient habité Jérusalem pendant l'Exil : mélange de juifs restés au pays et de populations étrangères donc païennes installées là par l'occupant ; il y avait eu inévitablement des mélanges entre ces deux types de population, et même des mariages, et tout ce monde avait pris des habitudes jugées hérétiques par les Juifs qui rentraient de l'Exil ; alors la communauté s'est resserrée et a refusé cette aide dangereuse pour la foi : le Temple du Dieu unique ne peut pas être construit par des gens qui, ensuite, voudront y célébrer d'autres cultes ! Comme on peut s'en douter, ce refus a été très mal pris et désormais ceux qui avaient été éconduits firent obstruction par tous les moyens. Finis les travaux, finis aussi les rêves de rebâtir le Temple !

Les années ont passé et on s'est installés dans le découragement. Mais la morosité, l'abattement ne sont pas dignes du peuple porteur des promesses de Dieu. Alors, Isaïe et un autre prophète, Aggée, décident de réveiller leurs compatriotes : sur le thème : fini de se lamenter, mettons-nous au travail pour reconstruire le Temple de Jérusalem. Et cela nous vaut le texte d'aujourd'hui :
Connaissant le contexte difficile, ce langage presque triomphant nous surprend peut-être ; mais c'est un langage assez habituel chez les prophètes ; et nous savons bien que s'ils promettent tant la lumière, c'est parce qu'elle est encore loin d'être aveuglante... que, moralement, on est dans la nuit. C'est pendant la nuit qu'on guette les signes du lever du jour ; et justement le rôle du prophète est de redonner courage, de rappeler la venue du jour. Un tel langage ne traduit donc pas l'euphorie du peuple, mais au contraire une grande morosité : c'est pour cela qu'il parle tant de lumière !

Pour relever le moral des troupes, nos deux prophètes n'ont qu'un argument, mais il est de taille : Jérusalem est la Ville Sainte, la ville choisie par Dieu, pour y faire demeurer le signe de sa Présence ; c'est parce que Dieu lui-même s'est engagé envers le roi Salomon en décidant « Ici sera Mon Nom », que le prophète Isaïe, des siècles plus tard, peut oser dire à ses compatriotes « Debout, Jérusalem ! Resplendis... ».
Le message d'Isaïe aujourd'hui, c'est donc : « vous avez l'impression d'être dans le tunnel, mais au bout, il y a la lumière. Rappelez-vous la Promesse : le JOUR vient où tout le monde reconnaîtra en Jérusalem la Ville Sainte. » Conclusion : ne vous laissez pas abattre, mettez-vous au travail, consacrez toutes vos forces à reconstruire le Temple comme vous l'avez promis.

J'ajouterai trois remarques pour terminer : premièrement, une fois de plus, le prophète nous donne l'exemple : quand on est croyants, la lucidité ne parvient jamais à étouffer l'espérance.
Deuxièmement , la promesse ne vise pas un triomphe politique... Le triomphe qui est entrevu ici est celui de Dieu et de l'humanité enfin réunie dans une harmonie parfaite dans la Cité Sainte ; reprenons les premiers versets, si Jérusalem resplendit, c'est de la lumière et de la gloire du Seigneur : « Debout, Jérusalem ! Resplendis : elle est venue ta lumière, et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi... sur toi se lève le Seigneur, et sa gloire brille sur toi... »
Troisièmement, quand Isaïe parlait de Jérusalem, déjà à son époque, ce nom désignait plus le peuple que la ville elle-même ; et l'on savait déjà que le projet de Dieu déborde toute ville, si grande ou belle soit-elle, il concerne toute l'humanité.

***
Certains d'entre nous reconnaissent au passage un chant que les assemblées chrétiennes aiment bien chanter : « Jérusalem, Jérusalem, quitte ta robe de tristesse... Debout, resplendis car voici ta lumière... »

Psaume 71 (72)

1 Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
2 Qu'il gouverne ton peuple avec justice,
qu'il fasse droit aux malheureux !

7 En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu'à la fin des lunes !
8 Qu'il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu'au bout de la terre !

10 Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
11 Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

12 Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
13 Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.


Imaginons que nous sommes en train d'assister au sacre d'un nouveau roi. Les prêtres expriment à son sujet des prières qui sont tous les souhaits, j'aurais envie de dire tous les rêves que le peuple formule au début de chaque nouveau règne : voeux de grandeur politique pour le roi, mais surtout voeux de paix, de justice pour tous. Les « lendemains qui chantent », en quelque sorte ! C'est un thème qui n'est pas d'aujourd'hui... On en rêve depuis toujours ! Richesse et prospérité pour tous... Justice et Paix... Et cela pour tous... d'un bout de la terre à l'autre...

La dernière strophe de ce psaume, elle, change de ton (malheureusement, elle ne fait pas partie de la liturgie de cette fête) : il n'est plus question du roi terrestre, il n'est question que de Dieu : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, lui seul fait des merveilles ! Béni soit à jamais son nom glorieux, toute la terre soit remplie de sa gloire ! Amen ! Amen ! » C'est cette dernière strophe qui nous donne la clé de ce psaume : en fait, il a été composé et chanté après l' Exil à Babylone, (donc entre 500 et 100 av.J.C.) c'est-à-dire à une époque où il n'y avait déjà plus de roi en Israël ; ce qui veut dire que ces voeux, ces prières ne concernent pas un roi en chair et en os... ils concernent le roi qu'on attend, que Dieu a promis, le roi-messie. Et puisqu'il s'agit d'une promesse de Dieu, on est certains qu'elle se réalisera.

La Bible tout entière est traversée par cette espérance indestructible : l'histoire humaine a un but, un sens ; et le mot « sens » veut dire deux choses : à la fois « signification » et « direction ». Dieu a un projet. Ce projet inspire toutes les lignes de la Bible, Ancien Testament et Nouveau Testament : il porte des noms différents selon les auteurs. Par exemple, c'est le JOUR de Dieu pour les prophètes, le Royaume des cieux pour Saint Matthieu, le dessein bienveillant pour Saint Paul, mais c'est toujours du même projet qu'il s'agit. Comme un amoureux répète inlassablement des mots d'amour, Dieu propose inlassablement son projet de bonheur à l'humanité. Ce projet sera réalisé par le messie et c'est ce messie que les croyants appellent de tous leurs voeux lorsqu'ils chantent les psaumes au Temple de Jérusalem .

Ce psaume 71, particulièrement, est vraiment la description du roi idéal, celui qu'Israël attend depuis des siècles : quand Jésus naît, il y a 1000 ans à peu près que le prophète Natan est allé trouver le roi David de la part de Dieu et lui a fait cette promesse dont parle notre psaume. Je vous redis les paroles du prophète Natan à David : « Quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, je maintiendrai après toi le lignage issu de tes entrailles et j'affermirai sa royauté... Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils... Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi, ton trône sera affermi à jamais » (2 S 7 , 12 - 16)*.

De siècle en siècle, cette promesse a été répétée, répercutée, précisée. La certitude de la fidélité de Dieu à ses promesses en a fait découvrir peu à peu toute la richesse et les conséquences ; si ce roi méritait vraiment le titre de fils de Dieu, alors il serait à l'image de Dieu, un roi de justice et de paix.

A chaque sacre d'un nouveau roi, la promesse était redite sur lui et on se reprenait à rêver... Depuis David, on attendait, et le peuple juif attend toujours... et il faut bien reconnaître que le règne idéal n'a encore pas vu le jour sur notre terre. On finirait presque par croire que ce n'est qu'une utopie...

Mais les croyants savent qu'il ne s'agit pas d'une utopie : il s'agit d'une promesse de Dieu, donc d'une certitude. Et la Bible tout entière est traversée par cette certitude, cette espérance invincible : le projet de Dieu se réalisera, nous avançons lentement mais sûrement vers lui. C'est le miracle de la foi : devant cette promesse à chaque fois déçue, il y a deux attitudes possibles : le non-croyant dit « je vous l'avais bien dit, cela n'arrivera jamais » ; mais le croyant affirme tranquillement « patience, puisque Dieu l'a promis, il ne saurait se renier lui-même », comme dit Saint Paul.

Ce psaume dit bien quelques aspects de cette attente du roi idéal : par exemple « pouvoir » et « justice » seront enfin synonymes ; c'est déjà tout un programme : de nombreux pouvoirs humains tentent loyalement d'instaurer la justice et d'enrayer la misère mais n'y parviennent pas ; ailleurs, malheureusement, « pouvoir » rime parfois avec avantages de toute sorte et autres passe-droits ; parce que nous ne sommes que des hommes.
En Dieu seul le pouvoir n'est qu'amour : notre psaume le sait bien puisqu'il précise « Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice ».

Et alors puisque notre roi disposera de la puissance même de Dieu, une puissance qui n'est qu'amour et justice, il n'y aura plus de malheureux dans son royaume. « En ces jours-là fleurira la justice, grande paix jusqu'à la fin des lunes !... Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. »

Ce roi-là, on voudrait bien qu'il règne sur toute la planète ! C'est de bon coeur qu'on lui souhaite un royaume sans limite de temps ou d'espace ! « Qu'il règne jusqu'à la fin des lunes... » et « Qu'il domine de la mer à la mer et du Fleuve jusqu'aux extrémités de la terre ». Pour l'instant, quand on chante ce psaume, les extrémités du monde connu, ce sont l'Arabie et l'Egypte et c'est pourquoi on cite les rois de Saba et de Seba : Saba, c'est au Sud de l'Arabie, Seba, c'est au Sud de l'Egypte... Quant à Tarsis, c'est un pays mythique, qui veut dire « le bout du monde ».

Aujourd'hui, le peuple juif chante ce psaume dans l'attente du roi-Messie** ; nous, chrétiens, l'appliquons à Jésus-Christ et il nous semble que les mages venus d'Orient ont commencé à réaliser la promesse « Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents, les rois de Saba et de Seba feront leur offrande... Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront ».

***
*Quand le chant « Il est né le divin enfant » nous fait dire « Depuis plus de 4000 ans nous le promettaient les prophètes », le compte n'est pas tout à fait exact, peut-être le nombre 4000 n'a-t-il été retenu que pour les nécessités de la mélodie.
**De nos jours, encore, dans certaines synagogues, nos frères juifs disent leur impatience de voir arriver le Messie en récitant la profession de foi de Maïmonide, médecin et rabbin à Tolède en Espagne, au 12ème siècle : « Je crois d'une foi parfaite en la venue du Messie, et même s'il tarde à venir, en dépit de tout cela, je l'attendrai jusqu'au jour où il viendra. »

DEUXIEME LECTURE - Ephésiens 3 , 2...6

Frères,
2 vous avez appris en quoi consiste
la grâce que Dieu pour réaliser son plan,
m'a donnée pour vous :
3 par révélation, il m'a fait connaître le mystère du Christ.
5 Ce mystère,
il ne l'avait pas fait connaître
aux hommes des générations passées,
comme il l'a révélé maintenant par l'Esprit
à ses saints Apôtres et à ses prophètes.
6 Ce mystère,
c'est que les païens sont associés au même héritage,
au même corps,
au partage de la même promesse,
dans le Christ Jésus,
par l'annonce de l'Evangile.


Ce passage est extrait de la lettre aux Ephésiens au chapitre 3 ; or c'est dans le premier chapitre de cette même lettre que Paul a employé sa fameuse expression « le dessein bienveillant de Dieu » ; ici, nous sommes tout à fait dans la même ligne ; je vous rappelle quelques mots du chapitre 1 : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l' univers entier sous un seul chef le Christ , ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ».

Dans le texte d'aujourd'hui, nous retrouvons ce mot de « mystère ». Le « mystère », chez Saint Paul, ce n'est pas un secret que Dieu garderait jalousement pour lui ; au contraire, c'est son intimité dans laquelle il nous fait pénétrer. Paul nous dit ici : « Par révélation, Dieu m'a fait connaître le mystère du Christ » : ce mystère, c'est-à-dire son dessein bienveillant, Dieu le révèle progressivement ; tout au long de l'histoire biblique, on découvre toute la longue, lente, patiente pédagogie que Dieu a déployée pour faire entrer son peuple élu dans son mystère ; nous avons cette expérience qu'on ne peut pas, d'un coup, tout apprendre à un enfant : on l'enseigne patiemment au jour le jour et selon les circonstances ; on ne fait pas d'avance à un enfant des leçons théoriques sur la vie, la mort, le mariage, la famille... pas plus que sur les saisons ou les fleurs... l'enfant découvre la famille en vivant les bons et les mauvais jours d'une famille bien réelle ; il découvre les fleurs une à une, il traverse avec nous les saisons... quand la famille célèbre un mariage ou une naissance, quand elle traverse un deuil, alors l'enfant vit avec nous ces événements et, peu à peu, nous l'accompagnons dans sa découverte de la vie.

Dieu a déployé la même pédagogie d'accompagnement avec son peuple et s'est révélé à lui progressivement ; pour Saint Paul, il est clair que cette révélation a franchi une étape décisive avec le Christ : l'histoire de l'humanité se divise nettement en deux périodes : avant le Christ et depuis le Christ. « Ce mystère, Dieu ne l'avait pas fait connaître aux hommes des générations passées, comme il l'a révélé maintenant par l'Esprit à ses saints apôtres et à ses prophètes ». A ce titre, on peut se réjouir que nos calendriers occidentaux décomptent les années en deux périodes, les années avant J.C. et les années après J.C.

Ce mystère, ici, Paul l'appelle simplement « le mystère du Christ », mais on sait ce qu'il entend par là : à savoir que le Christ est le centre du monde et de l'histoire, que l'univers entier sera un jour réuni en lui, comme les membres le sont à la tête ; d'ailleurs, dans la phrase « réunir l'univers entier sous un seul chef le Christ », le mot grec que nous traduisons « chef » veut dire tête.

Il s'agit bien de « l'univers entier » et ici Paul précise « dans le Christ Jésus, les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse » ; on pourrait dire encore autrement : l'Héritage, c'est Jésus-Christ... la Promesse, c'est Jésus-Christ... le Corps, c'est Jésus-Christ... Le dessein bienveillant de Dieu, c'est que Jésus-Christ soit le centre du monde, que l'univers entier soit réuni en lui. Dans le Notre Père, quand nous disons « Que ta volonté soit faite », c'est de ce projet de Dieu que nous parlons et, peu à peu, à force de répéter cette phrase, nous nous imprégnons du désir de ce Jour où enfin ce projet sera totalement réalisé.

Donc le projet de Dieu concerne l'humanité tout entière, et non pas seulement les juifs : c'est ce qu'on appelle l'universalisme du plan de Dieu. Cette dimension universelle du plan de Dieu fut l'objet d'une découverte progressive par les hommes de la Bible, mais à la fin de l'histoire biblique, c'était une conviction bien établie dans le peuple d'Israël, puisqu'on fait remonter à Abraham la promesse de la bénédiction de toute l'humanité « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12, 3). Et le passage d'Isaïe que nous lisons en première lecture de cette fête de l'Epiphanie est exactement dans cette ligne. Bien sûr, si un prophète comme Isaïe a cru bon d'y insister, c'est qu'on avait tendance à l'oublier.

De la même manière, au temps du Christ, si Paul précise « dans le Christ Jésus, les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse », c'est que celà n'allait pas de soi. Et là, nous avons un petit effort d'imagination à faire : nous ne sommes pas du tout dans la même situation que les contemporains de Paul ; pour nous, au vingt-et-unième siècle, c'est une évidence : beaucoup d'entre nous ne sont pas juifs d'origine et trouvent normal d'avoir part au salut apporté par le Messie ; pour un peu, même, après 2000 ans de Christianisme, nous aurions peut-être tendance à oublier qu'Israël reste le peuple élu parce que, comme dit ailleurs Saint Paul, « Dieu ne peut pas se renier lui-même ». Aujourd'hui, nous avons un peu tendance à croire que nous sommes les seuls témoins de Dieu dans le monde.

Mais au temps du Christ, c'était la situation inverse : c'est le peuple juif qui, le premier, a reçu la révélation du Messie : Jésus est né au sein du peuple juif ; c'était la logique du plan de Dieu et de l'élection d'Israël ; les juifs étaient le peuple élu, ils étaient choisis par Dieu pour être les apôtres, les témoins et l'instrument du salut de toute l'humanité ; et on sait que les juifs devenus chrétiens ont eu parfois du mal à tolérer l'admission d'anciens païens dans leurs communautés. Saint Paul vient leur dire « Attention... les païens, désormais, peuvent aussi être des apôtres et des témoins du salut »... Au fait, je remarque que Matthieu, dans l'évangile de la visite des mages, qui est lu également pour l'Epiphanie, nous dit exactement la même chose.

Les derniers mots de ce texte résonnent comme un appel : « Dans le Christ Jésus, les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, par l'annonce de l'évangile » : si je comprends bien, Dieu attend notre collaboration à son dessein bienveillant : les mages ont aperçu une étoile, pour laquelle ils se sont mis en route ; pour beaucoup de nos contemporains, il n'y aura pas d'étoile dans le ciel, mais il faudra des témoins de la Bonne Nouvelle.

***
*NB Attention, au verset 5 du texte originel grec, le mot mystère lui-même n'est pas repris ; c'est affaire de traduction (dans le grec, il y a seulement reprise du pronom)

EVANGILE Matthieu 2 , 1 - 12

1 Jésus était né à Bethléem en Judée,
au temps du roi Hérode le Grand.
Or, voici que des mages venus d'Orient
arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent :
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?
Nous avons vu se lever son étoile
et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
3 En apprenant cela, le roi Hérode fut pris d'inquiétude,
et tout Jérusalem avec lui.
4 Il réunit tous les chefs des prêtres et tous les scribes d'Israël,
pour leur demander en quel lieu devait naître le Messie.
Ils lui répondirent :
5 « A Bethléem en Judée,
car voici ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem en Judée, tu n'es certes pas le dernier
parmi les chefs-lieux de Judée ;
car de toi sortira un chef,
qui sera le berger d'Israël mon peuple. »
7 Alors Hérode convoqua les mages en secret
pour leur faire préciser à quelle date l'étoile était apparue ;
8 Puis il les envoya à Bethléem, en leur disant :
« Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant.
Et quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi
pour que j'aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
9 Sur ces paroles du roi, ils partirent.
Et voilà que l'étoile qu'ils avaient vue se lever
les précédait ;
elle vint s'arrêter au-dessus du lieu
où se trouvait l'enfant.
10 Quand ils virent l'étoile, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 En entrant dans la maison,
ils virent l'enfant avec Marie sa mère ;
et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui.
Ils ouvrirent leur coffrets,
et lui offrirent leurs présents :
de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12 Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode,
ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.


On sait à quel point l'attente du Messie était vive au temps de Jésus. Tout le monde en parlait, tout le monde priait Dieu de hâter sa venue. La majorité des juifs pensait que ce serait un roi : ce serait un descendant de David, il régnerait sur le trône de Jérusalem, il chasserait les Romains, et il établirait définitivement la paix, la justice et la fraternité en Israël ; et les plus optimistes allaient même jusqu'à dire que tout ce bonheur s'installerait dans le monde entier.

Dans ce sens, on citait plusieurs prophéties convergentes de l'Ancien Testament : d'abord celle de Balaam dans le Livre des Nombres. Je vous la rappelle : au moment où les tribus d'Israël s'approchaient de la terre promise sous la conduite de Moïse, et traversaient les plaines de Moab (aujourd'hui en Jordanie), le roi de Moab, Balaq, avait convoqué Balaam pour qu'il maudisse ces importuns ; mais, au lieu de maudire, Balaam, inspiré par Dieu avait prononcé des prophéties de bonheur et de gloire pour Israël ; et, en particulier, il avait dit « je le vois, je l'observe, de Jacob monte une étoile, d'Israël jaillit un sceptre ... » (Nb 24, 17). Le roi de Moab avait été furieux, bien sûr, car, sur l'instant, il y avait entendu l'annonce de sa future défaite face à Israël ; mais en Israël, dans les siècles suivants, on se répétait soigneusement cette belle promesse ; et peu à peu on en était venu à penser que le règne du Messie serait signalé par l'apparition d'une étoile. C'est pour cela que le roi Hérode, consulté par les mages au sujet d'une étoile, prend l'affaire très au sérieux.

Autre prophétie concernant le Messie : celle de Michée : « Toi, Bethléem, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, c'est de toi que sortira le Messie » ; prophétie tout à fait dans la ligne de la promesse faite par Dieu à David : que sa dynastie ne s'éteindrait pas et qu'elle apporterait au pays le bonheur attendu.
Les mages n'en savent pas tant : ce sont des astrologues et ils ne partagent certainement pas la foi et l'espérance d'Israël. Ils se sont mis en marche tout simplement parce qu'une nouvelle étoile s'est levée ; et, spontanément, en arrivant à Jérusalem, ils vont se renseigner auprès des autorités. Et c'est là, peut-être, la première surprise de ce récit de Matthieu : il y a d'un côté, les mages qui n'ont pas d'idées préconçues ; il sont à la recherche du Messie et ils finiront par le trouver. De l'autre, il y a ceux qui savent, qui peuvent citer les Ecritures sans faute, mais qui ne bougeront pas le petit doigt ; ils ne feront même pas le déplacement de Jérusalem à Bethléem. Evidemment, ils ne rencontreront pas l'enfant de la crèche.
Quant à Hérode, c'est une autre histoire. Mettons-nous à sa place : il est le roi des Juifs, reconnu comme roi par le pouvoir romain, et lui seul... Il est assez fier de son titre et férocement jaloux de tout ce qui peut lui faire de l'ombre ... Il a fait assassiner plusieurs membres de sa famille, y compris ses propres fils, il ne faut pas l'oublier. Car dès que quelqu'un devient un petit peu populaire... Hérode le fait tuer par jalousie. Et voilà qu'on lui rapporte une rumeur qui court dans la ville : des astrologues étrangers ont fait un long voyage jusqu'ici et il paraît qu'ils disent : « Nous avons vu se lever une étoile tout à fait exceptionnelle, nous savons qu'elle annonce la naissance d'un enfant-roi... tout aussi exceptionnel... Le vrai roi des juifs vient sûrement de naître » ! ... On imagine un peu la fureur, l'extrême angoisse d'Hérode !

Donc, quand Saint Matthieu nous dit : « Hérode fut pris d'inquiétude et tout Jérusalem avec lui », c'est certainement une manière bien douce de dire les choses ! Evidemment, Hérode ne va pas montrer sa rage, il faut savoir manoeuvrer : il a tout avantage à extorquer quelques renseignements sur cet enfant, ce rival potentiel... Alors il se renseigne :
D'abord sur le lieu : Matthieu nous dit qu'il a convoqué les chefs des prêtres et les scribes et qu'il leur a demandé où devait naître le Messie ; et c'est là qu'intervient la prophétie de Michée : le Messie naîtra à Bethléem. Voilà pour le lieu.
Ensuite, Hérode se renseigne sur l'âge de l'enfant car il a déjà son idée derrière la tête pour s'en débarrasser ; il convoque les mages pour leur demander à quelle date au juste l'étoile est apparue. On ne connaît pas la réponse mais la suite nous la fait deviner : puisque, en prenant une grande marge, Hérode fera supprimer tous les enfants de moins de deux ans.
Très probablement, dans le récit de la venue des mages, Matthieu nous donne déjà un résumé de toute la vie de Jésus : dès le début, à Bethléem, il a rencontré l'hostilité et la colère des autorités politiques et religieuses. Jamais, ils ne l'ont reconnu comme le Messie, ils l'ont traité d'imposteur... Ils l'ont même supprimé, éliminé. Et pourtant, il était bien le Messie : tous ceux qui le cherchent peuvent, comme les mages, entrer dans le salut de Dieu.
***

Au passage, on notera que c'est l'un des rares indices que nous ayons de la date de naissance exacte de Jésus ! On connaît avec certitude la date de la mort d'Hérode le Grand : 4 av JC (il a vécu de 73 à 4 av JC)... or il a fait tuer tous les enfants de moins de 2 ans : c'est-à-dire des enfants nés entre 6 et 4 (av JC) ; donc Jésus est probablement né entre 6 et 4 ! probablement en 6 ou 5... C'est quand au sixième siècle on a voulu -à juste titre- compter les années à partir de la naissance de Jésus, (et non plus à partir de la fondation de Rome) qu'il y a eu tout simplement une erreur de comptage.

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16 janvier 2010 6 16 /01 /janvier /2010 21:27
marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté).

PREMIERE LECTURE - Lévitique 13, 1-2. 45-46

20 Le temps venu,
Anne conçut et mit au monde un fils ;
elle lui donna le nom de Samuel (c'est-à-dire « Dieu exauce »)
car, disait-elle :
« Je l'ai demandé au Seigneur ».
21 Elcana, son mari, monta au sanctuaire
avec toute sa famille
pour offrir au Seigneur le sacrifice habituel
et celui du voeu pour la naissance de l'enfant.
22 Anne, elle, n'y monta pas.
Elle dit à son mari :
« Quand l'enfant sera sevré,
je l'emmènerai : il sera présenté au Seigneur,
et il restera là pour toujours. »
24 Lorsque l'enfant eut été sevré,
Anne, sa mère, le conduisit à la maison du Seigneur à Silo ;
elle avait pris avec elle un taureau de trois ans,
un sac de farine et une outre de vin.
25 On offrit le taureau en sacrifice,
et on présenta l'enfant au prêtre Eli.
26 Anne lui dit alors :
« Ecoute-moi, mon Seigneur, je t'en prie !
Aussi vrai que tu es vivant,
je suis cette femme qui se tenait ici près de toi
en priant le Seigneur.
27 C'est pour obtenir cet enfant que je priais,
et le Seigneur me l'a donné en réponse à ma demande.
28 A mon tour, je le donne au Seigneur.
Il demeurera donné au Seigneur tous les jours de sa vie. »
Alors ils se prosternèrent devant le Seigneur.

Samuel, c'est l'enfant du miracle ! Nous sommes là dans une période de l'histoire d'Israël dont nous parlons malheureusement peu souvent ! Donc, je vous la rappelle : c'est la fin de la période des Juges : il n'y a pas encore de roi pour régner sur l'ensemble du peuple. Après la mort de Moïse et l'entrée dans la Terre Promise, vers 1200 av.J.C., les tribus se sont installées dans le pays et cette conquête progressive a duré environ cent cinquante ans. Pendant ce temps, il n'y avait pas encore d'administration centralisée ; les tribus étaient menées par des chefs qu'on appelle les « Juges » au sens de « gouverneurs » ; ils étaient à la fois chefs de guerre, chefs politiques et religieux, et ils réglaient les litiges.

Encore un mot sur cette période : puisque nous sommes avant la période de la royauté, cela veut dire que ni Jérusalem ni son Temple n'existent encore ; l'arche d'Alliance qui avait suivi le peuple tout au long de l'Exode résidait dans un sanctuaire à Silo, au centre de la Palestine, à 30 km au Nord de l'actuelle Jérusalem. Ce sanctuaire était gardé par un prêtre, Eli (qui n'a rien à voir avec le prophète du même nom qui a vécu plus tard au 9ème siècle). Parce que la ville de Silo abritait l'arche d'Alliance, elle était devenue un centre de pèlerinage annuel.

Or il y avait aux environs de Silo un homme qui s'appelait Elcana ; lequel avait deux femmes, Anne et Peninna. Anne était la femme préférée de son mari Elcana ; mais elle était stérile ; sa rivale Peninna, au contraire, avait des enfants dont elle était très fière et elle ne manquait pas une occasion d'insinuer que la stérilité d'Anne était une malédiction de Dieu. Le moment le plus dur de l'année était celui du pèlerinage à Silo ; Elcana s'y rendait avec ses deux femmes : et tout le monde pouvait constater la tristesse d'Anne comparée à l'épanouissement de Peninna, la mère comblée. Anne, alors, ressentait plus durement encore sa stérilité. Dans son chagrin, son humiliation, elle ne savait que pleurer et marmonner sa prière, toujours la même ; on ne comprenait pas ce qu'elle disait, mais on pouvait le deviner : « Seigneur, je t'en supplie, donne-moi des enfants. » On voyait seulement ses lèvres trembler et elle n'avait pas fière allure... A tel point que le prêtre Eli qui était le gardien du sanctuaire de Silo a fini un jour par la rabrouer en croyant qu'elle était ivre. Exaspéré, il a essayé de la repousser en lui disant « Va-t'en ailleurs cuver ton vin ! »

Et c'est là que le miracle s'est produit ; car Dieu, lui, connaît le fond des coeurs : il a vu les larmes d'Anne, il a entendu sa prière ; quelques mois plus tard, un petit garçon est né ; Anne l'a appelé « Samuel », parce qu'un des sens possibles de ce nom c'est Dieu entend, Dieu exauce. Dans son chagrin, Anne avait fait un voeu : « Seigneur tout-puissant, si tu daignes regarder la misère de ta servante, te souvenir de moi, ne pas oublier ta servante et donner à ta servante un garçon, je le donnerai au Seigneur pour tous les jours de sa vie. » (1 S 1, 11). Notre texte d'aujourd'hui raconte l'accomplissement de ce voeu : dès que l'enfant est sevré, c'est-à-dire vers trois ans à l'époque, elle l'emmène au sanctuaire de Silo et le confie au prêtre Eli en lui disant : « Je suis cette femme qui se tenait ici près de toi en priant le Seigneur. C'est pour obtenir cet enfant que je priais, et le Seigneur me l'a donné en réponse à ma demande. A mon tour, je le donne au Seigneur. Il demeurera donné au Seigneur tous les jours de sa vie. » Samuel a donc grandi là, à Silo et c'est là qu'il a entendu l'appel de Dieu. Plus tard, il est devenu un grand serviteur d'Israël

On peut se demander pourquoi ce texte nous est proposé à l'occasion de la fête de la Sainte Famille ? Quel lien peut-il y avoir entre les deux enfants Jésus et Samuel, les deux mères Marie et Anne, les deux pères Joseph et Elcana ? Plus de mille ans les séparent.
On peut faire trois remarques : premièrement Dieu entend ; c'est le sens du nom Samuel : « Dieu entend, Dieu exauce » ; c'est aussi et surtout l'expérience religieuse fondamentale d'Israël ; les pauvres, les humiliés ont toute leur place dans la maison de Dieu ; c'est au creux même de son humiliation qu'Anne a crié vers le Seigneur et a été entendue ; relisez le cantique d'Anne, par exemple, après la naissance de Samuel ; il ressemble à s'y méprendre au Magnificat qui jaillira des lèvres d'une humble jeune fille du tout petit et méprisable village de Nazareth.

Deuxièmement, c'est à travers l'histoire des hommes, à travers des familles bien humaines que Dieu accomplit son projet : le mystère de l'Incarnation va jusque-là ; Dieu a la patience de nos maturations.
Troisièmement, nous sommes en présence de deux naissances miraculeuses : pour Jésus la naissance virginale par la puissance de l'Esprit. Pour Anne, une naissance inespérée... Et si nous cherchons à peine plus loin, nous retrouvons dans la Bible une longue lignée de naissances miraculeuses : Isaac, Samson, Samuel, Jean-Baptiste, Jésus ; rappelez-vous Isaac par exemple : Sara était la femme préférée d'Abraham ; stérile elle aussi, et sans cesse humiliée par sa rivale plus chanceuse, Agar, la mère d'Ismaël. Et Dieu avait eu pitié de Sara, Isaac était né.

Toutes ces naissances miraculeuses sont pour nous comme des rappels vivants : pour nous dire que tout enfant est un miracle, un don de Dieu. Il suffit d'avoir été père ou mère une fois pour savoir que la vie ne nous appartient pas : nous la transmettons ; mais il serait impropre de dire que nous la « donnons ». Dieu seul donne la vie : quelles que soient nos paternités, spirituelles ou charnelles, nous avons cette fierté de prêter nos corps, de prêter nos vies à son projet.

 

PSAUME 83 ( 84 )

3 Mon âme s'épuise à désirer
les parvis du Seigneur ;
mon coeur et ma chair sont un cri
vers le Dieu vivant !

4 L'oiseau lui-même s'est trouvé une maison,
et l'hirondelle un nid :
tes autels, Seigneur de l'univers,
mon Roi et mon Dieu !

5 Heureux les habitants de ta maison :
ils pourront te chanter encore !
6 Heureux les hommes dont tu es la force :
des chemins s'ouvrent dans leur coeur !

9 Seigneur, Dieu de l'univers, entends ma prière ;
écoute, Dieu de Jacob.
10 Dieu, vois, notre bouclier,
regarde le visage de ton messie.

En marche vers Jérusalem, le pèlerin peut dire en vérité, du fond de sa ferveur et de sa fatigue à la fois : « Mon âme s'épuise à désirer les parvis du Seigneur ; mon coeur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant ! » La démarche du pèlerinage est peut-être indispensable à une vie de foi : nous l'avons trop oublié. Là seulement, on fait l'expérience d'un peuple en marche vers son Dieu : à travers les difficultés de la route, on éprouve la fatigue du corps, la petitesse de l'âme. Et c'est seulement au creux de cette expérience de notre pauvreté fondamentale qu'on peut découvrir la merveille de l'expérience de la foi : c'est seulement quand nous acceptons de reconnaître que nos seules forces n'y suffiront pas qu'une autre force peut s'emparer de nous et nous donner de poursuivre la route jusqu'au bout. Mais pour cela, il faut que le pèlerin à bout de souffle se reconnaisse aussi fragile, aussi démuni qu'un oiseau. Alors des ailes nouvelles lui poussent : « L'oiseau lui-même s'est trouvé une maison, et l'hirondelle un nid : tes autels, Seigneur de l'univers, mon Roi et mon Dieu ! »

Au coeur de nos vies, qui sont à leur manière un pèlerinage vers la Jérusalem céleste, nous faisons bien souvent cette expérience ; que de fois nous voudrions tout abandonner de nos petits efforts qui suffisent à nous décourager ; mais alors il suffit d'appeler au secours, de reconnaître notre impuissance et d'autres forces nous sont données, qui ne sont pas les nôtres, nous le savons bien. « Heureux les hommes dont tu es la force : des chemins s'ouvrent dans leur coeur ! »

Le pèlerin ne peut pas s'empêcher d'envier ceux qui sont déjà arrivés ! A commencer par les oiseaux ; des quantités d'oiseaux nichent effectivement sur l'esplanade du temple : quelle chance ils ont, se dit le pèlerin ! Eux, ils sont arrivés ! Et ils n'auront pas à repartir, à affronter de nouveau la fatigue du chemin, mais surtout les difficultés du retour à la vie ordinaire : quand la merveilleuse expérience spirituelle qu'on vient de vivre se heurtera à la reprise du quotidien et à l'impossibilité de communiquer avec ceux qui sont restés sur place, dans tous les sens du terme. Et on vient à rêver de ne jamais repartir : « Heureux les habitants de ta maison : ils pourront te chanter encore ! » Il s'agit d'abord des lévites, dont la vie tout entière est consacrée au service du Temple de Jérusalem. Mais, avant même la construction du Temple, nous l'avons vu avec la première lecture, il existait des sanctuaires et les prêtres avaient ce privilège d'y demeurer : c'était le cas du prêtre Eli, et aussi de Samuel.

Plus largement, les « habitants de la maison de Dieu », ce sont les membres du peuple élu : la reconnaissance émerveillée pour ce choix gratuit de Dieu en faveur de son peuple habite toute démarche de pèlerinage. On sait aussi qu'en définitive, lorsque viendra le Messie, ce sont tous les hommes qui sont appelés à être les habitants de la maison de Dieu ; cette résonance messianique est présente ici aussi : la phrase « regarde le visage de ton messie » concerne peut-être le prêtre en exercice ; parce que le mot messie veut d'abord dire « oint, consacré ». Et en arrivant au Temple on commence par prier pour ceux qui nous y accueillent ; mais très certainement aussi on rêve déjà de la dernière montée à Jérusalem, celle qu'ont annoncée les prophètes, celle qui verra l'humanité tout entière rassemblée dans la joie sur la montagne sainte, autour du Messie.

Dans les versets qui sont lus ce dimanche transparaissent plutôt la fatigue et la prière du pèlerin. Dans d'autres versets, se dit plus l'amour du Temple, l'amour de Jérusalem. Et aussi la joie profonde, la confiance qui habitent le croyant. A deux reprises, Dieu est appelé notre « bouclier », celui qui nous protège. Et l'on peut noter au passage deux « béatitudes » : « Heureux les habitants de ta maison : ils pourront te chanter encore ! ... Heureux les hommes dont tu es la force : des chemins s'ouvrent dans leur coeur ! » Le dernier verset est également une béatitude : « Seigneur, Dieu de l'univers, heureux qui espère en toi », et un autre verset affirme : « Jamais il (Dieu) ne refuse le bonheur à ceux qui vont sans reproche. » C'est la chance des pauvres et des humbles, des fatigués (le mot hébreu « anawim » veut dire « les dos courbés ») de découvrir la seule chose qui compte : à savoir que notre seul vrai bonheur est en Dieu.

Jésus le redira à sa manière dans ce que nous appelons « L'hymne de jubilation » (Mt 11, 25) : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange ; ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits. »

Maintenant que nous avons le coeur habillé, (comme disait Saint Exupéry) nous pouvons relire ce psaume en entier :

De quel amour sont aimées tes demeures,
Seigneur, Dieu de l'univers !

Mon âme s'épuise à désirer
les parvis du Seigneur ;
mon coeur et ma chair sont un cri
vers le Dieu vivant !

L'oiseau lui-même s'est trouvé une maison,
et l'hirondelle un nid pour abriter sa couvée :
tes autels, Seigneur de l'univers,
mon Roi et mon Dieu !

Heureux les habitants de ta maison :
ils pourront te chanter encore !
Heureux les hommes dont tu es la force :
des chemins s'ouvrent dans leur coeur !

Quand ils traversent la vallée de la soif,
ils la changent en source ;
de quelles bénédictions la revêtent
les pluies de printemps !

Ils vont de hauteur en hauteur,
ils se présentent devant Dieu à Sion.

Seigneur, Dieu de l'univers, entends ma prière ;
écoute, Dieu de Jacob.
Dieu, vois, notre bouclier,
regarde le visage de ton messie.

oui, un jour dans tes parvis
en vaut plus que mille.

J'ai choisi de me tenir sur le seuil
dans la maison de mon Dieu,
plutôt que d'habiter
parmi les infidèles.

Le Seigneur Dieu est un soleil,
il est un bouclier ;
le Seigneur donne la grâce,
il donne la gloire.

Jamais il ne refuse le bonheur
à ceux qui vont sans reproche.
Seigneur, Dieu de l'univers,
heureux qui espère en toi.

DEUXIEME LECTURE - 1 Jean 3, 1 - 2. 21 - 24

Mes bien-aimés,
1 voyez comme il est grand, l'amour dont le Père nous a comblés :
il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu,
- et nous le sommes -.
Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître :
puisqu'il n'a pas découvert Dieu.
2 Bien-aimés,
dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement.
Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra,
nous serons semblables à lui
parce que nous le verrons tel qu'il est.

21 Mes bien-aimés,
si notre coeur ne nous accuse pas,
nous nous tenons avec assurance devant Dieu,
22 et tout ce que nous lui demandons,
il nous l'accorde,
parce que nous sommes fidèles à ses commandements,
et que nous faisons ce qui lui plaît.
23 Or, voici son commandement :
avoir foi en son Fils Jésus-Christ,
et nous aimer les uns les autres
comme il nous l'a commandé.
24 Et celui qui est fidèle à ses commandements
demeure en Dieu,
et Dieu en lui ;
et nous reconnaissons qu'il demeure en nous,
puisqu'il nous a donné son Esprit.


« Mes bien-aimés, voyez... » : Jean nous invite à la contemplation ; parce que c'est la clé de notre vie de foi : savoir regarder ; toute l'histoire humaine est celle d'une éducation du regard de l'homme ; « ils ont des yeux pour voir et ne voient pas », c'est le drame de l'homme décrit par les prophètes. Et que faut-il voir au juste ? L'amour de Dieu pour l'humanité, son dessein bienveillant, comme dirait Saint Paul ; Saint Jean ne parle que de cela dans ce que nous venons d'entendre.

Je reprends ces deux points : la thématique du regard, et le projet de Dieu contemplé par Jean. Sur le premier point, le regard, ce thème est développé dans toute la Bible ; et toujours dans le même sens : savoir regarder, ouvrir les yeux, c'est découvrir le vrai visage du Dieu d'amour ; à l'inverse, le regard peut être faussé ; je ne vous citerai qu'un texte.

Je veux parler de la fameuse histoire d'Adam et Eve dans le jardin d'Eden : c'est bien une affaire de regard ; le texte est admirablement construit : il commence par planter le décor : un jardin avec des quantités d'arbres ; « Le Seigneur Dieu fit germer du sol tout arbre d'aspect attrayant et bon à manger, l'arbre de vie au milieu du jardin et l'arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. » (au sens de « ce qui rend heureux ou malheureux »). Je note que l'arbre de vie est au milieu du jardin, mais que l'emplacement de l'autre arbre, celui de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais n'est pas précisé.

Puis Dieu permet de manger des fruits de tous les arbres du jardin, (y compris donc de l'arbre de vie) et il interdit un seul fruit, celui de l'arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais (au sens de « ce qui rend heureux ou malheureux »). C'est alors que le serpent intervient pour poser une question apparemment innocente, de simple curiosité, à la femme. « Vraiment, vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » On note au passage l'ambiguïté de la question : cela peut vouloir dire : « vous ne mangerez d'aucun arbre du jardin » ou bien « vous en mangerez certains et pas d'autres ».
A quoi elle répond : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n'en mangerez pas... » Elle est de bonne foi, certainement, mais, vous l'avez peut-être remarqué, le seul fait d'avoir prêté l'oreille à la voix du serpent, a déjà un peu faussé le regard de la femme. Puisque désormais c'est l'arbre litigieux qu'elle voit au milieu du jardin et non plus l'arbre de la vie, ce qui est juste le contraire de la vérité. Cela a l'air anodin, mais l'auteur le note exprès, évidemment : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n'en mangerez pas... »

Alors le serpent, pour séduire Eve, lui promet « non, vous ne mourrez pas (sous-entendu si vous mangez le fruit interdit), mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, possédant la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. » Et le texte continue, toujours sur cette thématique du regard : « alors la femme vit que l'arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. » Vous avez remarqué, en une seule phrase, l'accumulation des mots du vocabulaire du regard. Vous connaissez la suite : la femme prend un fruit, le donne à l'homme et ils en mangent tous les deux ; alors le texte note : « leurs yeux à tous deux s'ouvrirent... » mais pour voir quoi ? « et ils virent qu'ils étaient nus » ; non, ils ne sont pas devenus comme des dieux, comme le Menteur le leur avait prédit, ils ont seulement commencé à vivre douloureusement leur nudité, c'est-à-dire leur pauvreté fondamentale.

Vous vous demandez quel lien je vois entre ce premier texte de la Bible et celui de Saint Jean que nous lisons aujourd'hui ? Tout simplement le récit sur Adam et Eve a toujours été considéré comme donnant la clé du malheur de l'humanité : et Jean, au contraire, nous dit « voyez », c'est-à-dire « sachez voir, apprenez à regarder ». Non, Dieu en donnant un interdit à l'homme n'était pas jaloux de l'homme, il n'y a que des langues de vipère pour insinuer une telle monstruosité. C'est bien le thème majeur de Saint Jean : « Dieu est amour » et la vraie vie, pour l'homme, c'est de ne jamais en douter. « La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent » dit Jésus, dans l'évangile de Jean.

Dans notre texte d'aujourd'hui, Jean nous dit à sa manière cette réalité que nous devons apprendre à regarder : « voyez comme il est grand, l'amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » ; Et il continue : « - et nous le sommes- » ; c'est déjà devenu une réalité par notre baptême qui nous a greffés sur Jésus-Christ, qui a fait de nous ses membres.

Comme dit encore Jean dans le prologue de son évangile : « A ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12 ). Ceux-là, dès maintenant, sont conduits par l'Esprit de Dieu et cet esprit leur apprend à traiter Dieu comme leur Père. « Dieu a envoyé dans nos coeurs l'esprit de son Fils qui crie Abba, Père ! » (Ga 4, 4). C'est cela le sens de l'expression « connaître le Père » chez Saint Jean ; c'est le reconnaître comme notre Père, plein de tendresse et de miséricorde, comme disait déjà l'Ancien Testament.

En attendant, il y a ceux qui ont cru en Jésus-Christ et ceux qui, encore, s'y refusent. Car tout ceci apparaît lumineux pour les croyants ; mais c'est totalement incompréhensible et, pire, incroyable ou dérisoire, voire même scandaleux pour les non-croyants ; c'est un thème habituel chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu » au sens de « reconnu ». « Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : puisqu'il n'a pas découvert Dieu. » Traduisez : parce qu'il n'a pas encore eu le bonheur d'ouvrir les yeux. A ceux qui ne le connaissent pas encore, c'est-à-dire qui ne voient pas encore en lui leur Père, il nous appartient de le révéler par notre parole et par nos actes. Alors, quand le Fils de Dieu paraîtra, l'humanité tout entière sera transformée à son image. On comprend pourquoi Jésus disait à la Samaritaine « Si tu savais le don de Dieu ! »

 

EVANGILE - Luc 2, 41 -52

41 Chaque année,
les parents de Jésus allaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
42 Quand il eut douze ans,
ils firent le pèlerinage comme de coutume.
43 Comme ils s'en retournaient à la fin de la semaine,
le jeune Jésus resta à Jérusalem
sans que ses parents s'en aperçoivent.
44 Pensant qu'il était avec leurs compagnons de route,
ils firent une journée de chemin
avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.
45 Ne le trouvant pas,
ils revinrent à Jérusalem en continuant à le chercher.
46 C'est au bout de trois jours qu'ils le trouvèrent dans le Temple,
assis au milieu des docteurs de la Loi :
il les écoutait et leur posait des questions,
47 et tous ceux qui l'entendaient
s'extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses.
48 En le voyant, ses parents furent stupéfaits,
et sa mère lui dit :
« Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ?
Vois comme nous avons souffert en te cherchant,
ton père et moi ! »
49 Il leur dit :
« Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ?
Ne le saviez-vous pas ?
C'est chez mon Père
que je dois être. »
50 Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait.
51 Il descendit avec eux pour rentrer à Nazareth,
et il leur était soumis.
Sa mère gardait dans son coeur tous ces événements.
52 Quant à Jésus,
il grandissait en sagesse, en taille et en grâce
sous le regard de Dieu et des hommes.

« Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu » : c'est une phrase de Jean dans le prologue de son évangile ; il semble bien que le récit que nous lisons ici chez Luc en soit une illustration. Car ce récit nous présente à la fois une manifestation du mystère de Jésus et l'incompréhension de ses plus proches. Que cette famille se soit rendue à Jérusalem pour la Pâque, rien d'étonnant. Que cela ait duré huit jours, rien d'étonnant non plus : les deux fêtes réunies de la Pâque et des Azymes qui n'en faisaient déjà plus qu'une duraient effectivement huit jours.
Mais c'est la suite qui est étonnante : le jeune garçon reste au Temple sans se soucier, apparemment, de prévenir ses parents ; eux quittent Jérusalem avec tout le groupe, comme chaque année, sans vérifier qu'il est bien du voyage. Cette séparation durera trois jours, chiffre que Luc précise, bien sûr, intentionnellement. Quand ils se retrouvent tous les trois, ils ne sont pas encore sur la même longueur d'ondes : le reproche affectueux de Marie, encore tout émue de l'angoisse de ces trois jours se heurte à l'étonnement tout aussi sincère de son fils : « Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C'est chez mon Père que je dois être. »
La manifestation du mystère de Jésus réside, bien sûr, dans l'émerveillement de tous et particulièrement des docteurs de la Loi devant la lumière qui l'habite de toute évidence. Elle réside aussi dans la mention des trois jours qui, tout au long de la Bible, sont le délai habituel pour rencontrer Dieu. Trois jours ce sera le délai entre la mise au tombeau et la Résurrection, c'est-à-dire la victoire plénière de la vie. La manifestation du mystère de Jésus réside enfin dans cette phrase étonnante dans la bouche de ce garçon de douze ans, accompagné de ses deux parents bien humains : « C'est chez mon Père que je dois être. » : là il s'affirme clairement comme le Fils de Dieu ; à l'Annonciation, l'Ange Gabriel l'avait déjà présenté comme le « Fils du Très-Haut », mais ceci pouvait être entendu seulement comme le titre du Messie ; cette fois, la révélation franchit une étape : le titre de fils appliqué à Jésus n'est pas seulement un titre royal, il dit le mystère de la filiation divine de Jésus. Pas étonnant que ce ne soit pas tout de suite compréhensible ! Et ce n'est pas fini : Jésus, aujourd'hui, dit « Je suis chez mon Père »... Plus tard il dira « Qui m'a vu a vu le Père ».
Ce n'est pas compréhensible, effectivement, même pour ses parents : et Jésus ose leur dire « Ne le saviez-vous pas ? » Même des croyants aussi profonds et fervents que Joseph et Marie sont surpris, désarçonnés par les mystères de Dieu. Cela devrait nous rassurer. Ne nous étonnons pas de comprendre si peu de choses nous-mêmes ! Aurions-nous oublié la phrase d'Isaïe ? « Vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins - oracle du Seigneur. C'est que les cieux sont hauts par rapport à la terre : ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins, et mes pensées, par rapport à vos pensées. » (Is 55, 8 - 9).
L'évangile nous suggère que Marie, elle-même, ne comprend pas tout tout de suite : elle retient tout et s'interroge, et elle cherche à comprendre. « Sa mère gardait dans son coeur tous ces événements. » Après la visite des bergers à la grotte de Bethléem, nous lisions déjà : « Quant à Marie, elle retenait tous ces événements et les méditait dans son coeur. » (Lc 2, 19). Luc nous donne là un exemple à suivre : accepter de ne pas tout comprendre tout de suite, mais laisser se creuser en nous la méditation. Pas plus que la nôtre, la foi de Marie n'est un chemin semé de roses ! Jésus lui-même, comme tous les enfants du monde, a besoin de grandir ! Le mystère de l'Incarnation va jusque-là : « Il grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes. » Cela veut dire d'une part que Jésus est complètement homme, et d'autre part que Dieu a la patience de nos maturations : pour lui, mille ans sont comme un jour. (Ps 89/90)
Et tout ceci se passe dans le Temple de Jérusalem ; Luc attache beaucoup d'importance au Temple, qui était pour les Juifs le signe de la présence de Dieu au milieu de son peuple*... Mais, pour les chrétiens, on le sait, c'est désormais le corps du Christ lui-même qui est le vrai Temple de Dieu, le lieu par excellence de sa présence. Notre récit d'aujourd'hui est l'une des étapes de cette révélation ; Luc pense certainement ici à la prophétie de Malachie : « Subitement, il entrera dans son Temple, le maître que vous cherchez, l'Ange de l'Alliance que vous désirez ; le voici qui vient dit le Seigneur, le Tout-Puissant. » (Mal 3, 1).
Enfin, on peut être surpris d'une contradiction apparente : Jésus répond à ses parents « C'est chez mon Père que je dois être » pour aussitôt après retourner avec eux à Nazareth.Ce qui veut dire qu'il n'est pas resté dans le Temple de pierre ! Pas plus que Samuel, d'ailleurs (voir la première lecture) : pourtant consacré au Seigneur et amené au temple de Silo pour y demeurer toute sa vie, celui-ci a finalement servi le Seigneur, hors du temple, en prenant la direction de son peuple. C'est peut-être là aussi une leçon pour nous : « C'est chez mon Père que je dois être » veut dire une vie donnée au service des hommes, pas forcément dans l'enceinte du temple : pour le dire autrement, être chez le Père veut dire d'abord être au service de ses enfants.
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Complément : L'évangile de Luc commence au Temple de Jérusalem avec l'annonce à Zacharie de la naissance de Jean-Baptiste (Jean signifie « Dieu a fait grâce ») ; c'est là que, le jour de la Présentation de Jésus, Syméon proclame que le salut de Dieu est arrivé ; c'est là enfin que se termine l'évangile de Luc : après leurs adieux au Christ ressuscité, les disciples, nous dit-il, retournent au temple de Jérusalem.

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16 janvier 2010 6 16 /01 /janvier /2010 21:24
marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté).

 

 

PREMIERE LECTURE - Michée 5, 1-4

Parole du Seigneur.
1 Toi, Bethléem Ephrata,
le plus petit des clans de Juda,
c'est de toi que je ferai sortir
celui qui doit gouverner Israël.
Ses origines remontent aux temps anciens,
à l'aube des siècles.
2 Après un temps de délaissement,
viendra un jour où enfantera
celle qui doit enfanter,
et ceux de ses frères qui resteront
rejoindront les enfants d'Israël.
3 Il se dressera et il sera leur berger
par la puissance du Seigneur,
par la majesté du nom de son Dieu.
Ils vivront en sécurité, car désormais sa puissance s'étendra
jusqu'aux extrémités de la terre,
4 et lui-même, il sera la paix !

Nous avons vu déjà souvent que les prophètes emploient deux types de langage : premier langage, les avertissements pour ceux qui se laissent aller, qui oublient l'Alliance avec Dieu et ses exigences : le prophète est là pour les avertir qu'ils sont en train de fabriquer eux-mêmes leur propre malheur... deuxième langage, les encouragements pour ceux qui essaient de rester fidèles mais qui risquent bien de se décourager à la longue. Et c'est aussi difficile d'écouter les encouragements quand on n'en peut plus que d'accepter les reproches quand ils sont mérités. Le texte que nous avons sous les yeux est bien évidemment de la deuxième veine, celle des encouragements. Où trouve-t-on la preuve qu'on est en période difficile et qu'on est bien près de se décourager ? Quand le prophète écrit « Après un temps de délaissement », il est évident qu'il fait allusion à la période qu'on est en train de vivre ; très certainement le peuple se sent délaissé par Dieu. Et il en vient à dire : toutes les belles promesses qu'on nous a répétées depuis des siècles, ce n'étaient que de belles paroles. Le roi idéal qu'on nous a promis, il n'est pas encore né ! Il ne verra jamais le jour.

De quelle période historique s'agit-il ? On ne le sait pas trop : le prophète Michée a vécu au huitième siècle dans la région de Jérusalem, à l'époque où l'empire assyrien était très inquiétant ; et les rois de l'époque ne ressemblaient guère au portrait idéal du roi-Messie qu'on attendait ; on pouvait bien se croire délaissés ; ce texte pourrait donc être de Michée. Mais, pour des quantités de raisons, de langue, de style, de vocabulaire, beaucoup pensent que ce texte, dans sa forme actuelle, est très tardif et qu'il aurait été inséré a posteriori dans le livre de Michée. A ce moment-là, les raisons du découragement seraient dans la disparition de la royauté ; depuis l'exil à Babylone, le trône de Jérusalem n'existe plus, David n'a plus de descendant ; on vit presque sans discontinuer sous domination étrangère. C'est bien à ce moment-là, justement, qu'on a éprouvé le plus urgent besoin de se rappeler les promesses concernant le Messie.

Notre prophète (que ce soit Michée ou un autre ne change pas le sens) répond : vous vous croyez délaissés, mais pourtant, soyez bien certains que le projet de Dieu se réalisera. Le Messie naîtra : « Après un temps de délaissement, viendra un jour où enfantera celle qui doit enfanter ». En français, cette phrase pourrait sembler du fatalisme ; mais c'est tout le contraire : « viendra un jour où enfantera celle qui doit enfanter », cela signifie que cela doit arriver, ce n'est pas une nécessité, c'est une certitude. Simplement parce que Dieu l'a promis. « Celle qui doit enfanter », cela veut dire : celle qui est prévue pour cela dans le plan de Dieu. Et alors, il faut comprendre que le temps de délaissement apparent qu'on est en train de vivre n'est qu'un moment dans le déroulement de l'histoire humaine.

Pourquoi cette insistance sur Bethléem ? « Toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c'est de toi que je ferai sortir celui qui doit gouverner Israël. » Il y a deux raisons : premièrement, on sait que le Messie doit être de la descendance de David ; or c'est à Bethléem que le prophète Samuel était venu, sur ordre de Dieu, choisir un roi parmi les huit fils de Jessé... Donc, pour des oreilles habituées, le seul nom de Bethléem évoquait la promesse du Messie.

Deuxièmement, le contraste est voulu entre la grande et orgueilleuse Jérusalem et l'humble bourgade de Bethléem : « le plus petit des clans de Juda ». Un prophète ne peut pas manquer d'épingler cela ! C'est dans la petitesse, la faiblesse que la puissance de Dieu se manifeste. Selon sa méthode habituelle, Dieu choisit les petits pour faire de grandes choses. Et ce n'est sûrement pas par hasard que le prophète accole le nom Ephrata à celui de Bethléem : car Ephrata signifie « féconde » ; ce nom était en fait le nom d'un clan seulement parmi tous ceux qui étaient installés dans la région de Bethléem ; mais, désormais, c'est Bethléem tout entière qui sera appelée « féconde ».

Cette prophétie de Michée sur la naissance du Messie à Bethléem était certainement bien connue du peuple juif. La preuve en est que, dans l'épisode des rois Mages (Mt 2, 6), Matthieu nous rapporte que les scribes ont cité au roi Hérode la phrase de Michée pour guider la route des Mages vers Bethléem. Mais qui s'est souvenu ensuite que Jésus était bien né à Bethléem ? Pour beaucoup des contemporains de Jésus, il était le Nazaréen ; pour ceux-là, il était impensable que ce Galiléen soit le Messie. On en a la preuve dans l'évangile de Jean par exemple : quand on a commencé à se poser sérieusement des questions au sujet de Jésus, quand certains ont commencé à dire « il est peut-être le Christ ? », on répondait : « Mais voyons... le Christ ne peut pas venir de Galilée, Michée l'a bien dit... » ; voici ce passage : « Parmi les gens de la foule qui avaient écouté les paroles de Jésus, les uns disaient : Vraiment, voici le Prophète ! D'autres disaient : le Christ, c'est lui. Mais d'autres encore disaient : le Christ pourrait-il venir de Galilée ? L'Ecriture ne dit-elle pas qu'il sera de la lignée de David et qu'il viendra de Bethléem, la petite cité dont David était originaire ? C'est ainsi que la foule se divisa à son sujet. » (Jn 7, 40 - 43).

Revenons aux paroles de Michée ; il reprend les termes de la fameuse promesse, toujours la même, répétée au long des siècles depuis David : un roi naîtra dans la descendance de David ; tel un berger, il fera régner la justice et la paix. Et pas seulement sur Jérusalem : le prophète insiste comme à plaisir sur l'extension de la paix promise : c'est l'humanité tout entière qui est concernée dans l'espace et dans le temps : dans l'espace « Ils vivront en sécurité, car désormais sa puissance s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre »... dans le temps puisque « ses origines remontent aux temps anciens, à l'aube des siècles ». Le dessein bienveillant de Dieu est vraiment pour tous les hommes de tous les temps !

***
NB : la note d'universalisme très marquée au verset 3 s'explique mieux si cette prédication (insérée dans le livre de Michée) n'est pas du prophète Michée lui-même (au 8ème siècle av.J.C.), mais d'un disciple postérieur : car l'universalisme du projet de Dieu (tout comme le monothéisme strict dont il est le corollaire) n'a été compris que pendant l'Exil à Babylone probablement

PSAUME 101 ( 102 )

2 Berger d'Israël, écoute,
toi qui conduis ton troupeau, resplendis !
3 Réveille ta vaillance
et viens nous sauver.

15 Dieu de l'univers, reviens !
Du haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-la,
16 celle qu'a plantée ta main puissante.

18 Que ta main soutienne ton protégé,
le fils de l'homme qui te doit sa force.
19 Jamais plus nous n'irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !

« Jamais plus nous n'irons loin de toi : fais-nous vivre et invoquer ton nom ! » Cette simple phrase nous dit que nous sommes dans une liturgie pénitentielle. Le « jamais plus » est évidemment une résolution : « Jamais plus nous n'irons loin de toi », cela veut dire que le peuple reconnaît ses infidélités et il considère que ses malheurs présents en sont la conséquence. Le reste du psaume détaillera ces malheurs, mais déjà, sans aller chercher plus loin, nous lisons « Réveille ta vaillance et viens nous sauver », une phrase qu'on ne dirait pas si on n'expérimentait pas cruellement le besoin d'être sauvé.

Dans cette prière, on évoque deux titres de Dieu : il est le berger d'Israël, il en est aussi le vigneron. Deux images de sollicitude, d'attention constante ; deux images évidemment inspirées par la vie quotidienne en Palestine, où, aux temps bibliques, les bergers et les vignerons étaient bien présents dans la vie économique. Faute de temps, je parlerai seulement de l'image de la vigne dans l'Ancien Testament.

« Dieu de l'univers, reviens ! Du haut des cieux, regarde et vois : visite cette vigne, protège-la, celle qu'a plantée ta main puissante. » Le texte le plus évocateur sur ce thème (et visiblement notre psaume s'en est inspiré), c'est le chant de la vigne chez Isaïe : « Que je chante pour mon ami le chant du bien-aimé et de sa vigne : mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau plantureux. Il y retourna la terre, enleva les pierres, et installa un plant de choix. Au milieu, il bâtit une tour et il creusa aussi un pressoir. » (Is 5, 1-2d). (On pense généralement que ce chant de la vigne chez Isaïe s'inspire d'un chant populaire, qu'on chantait dans les mariages comme modèle de sollicitude du jeune marié pour sa bien-aimée.)

En écho, dans des versets que nous ne lisons pas ce dimanche, notre psaume développe la comparaison ; la sollicitude de Dieu pour son peuple y est comparée à celle du vigneron pour sa vigne : « La vigne que tu as prise à l'Egypte, tu la replantes en chassant des nations. Tu déblaies le sol devant elle, tu l'enracines pour qu'elle envahisse le pays. Son ombre couvrait les montagnes, et son feuillage les cèdres géants ; elle étendait ses sarments jusqu'à la mer, et ses rejets jusqu'au Fleuve. » (v. 9-12). On a ici l'évocation des heures de gloire d'Israël : les débuts du peuple, avec la sortie d'Egypte, l'Exode, l'entrée en terre Promise, l'Alliance de Dieu avec les douze tribus, la conquête progressive de la terre... et surtout, l'ascension irrésistible de ce peuple parti de rien ! Et cette aventure extraordinaire, ce peuple sait bien que c'est à son Dieu qu'il la doit, à sa Présence continuelle, à sa sollicitude. C'est lui, réellement, qui a fait naître et grandir son peuple avec un soin jaloux. Et la croissance a été telle qu'on peut réellement parler d'heures de gloire : « Son ombre couvrait les montagnes, et son feuillage les cèdres géants ; elle étendait ses sarments jusqu'à la mer, et ses rejets jusqu'au Fleuve », c'est une évocation des conquêtes de David qui a considérablement repoussé les frontières de son royaume.

Seulement voilà : la lune de miel n'a pas duré ; chez Isaïe, déjà, la chanson racontait un amour heureux au début, mais finalement malheureux : la bien-aimée a été infidèle. Que disait l'amoureux déçu ? Voici la suite du chant de la vigne chez Isaïe : « Il en attendait de beaux raisins, il n'en eut que de mauvais. Et maintenant, habitants de Jérusalem et gens de Juda, soyez donc juges entre moi et ma vigne. Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n'ai fait ? J'en attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle produit de mauvais ? (Is 5, 2 - 4). Et l'on connaît la fin de la chanson, le vigneron en colère abandonne sa vigne : « Je vais vous apprendre ce que je vais faire de ma vigne : enlever sa clôture pour qu'elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu'elle soit piétinée. J'en ferai une pente désolée : elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j'interdirai aux nuages d'y faire tomber la pluie. » (Is 5, 5 - 6).
Dans ce psaume, c'est la même histoire d'un amour trompé ; bien sûr, quand il s'agit d'Israël, ce qu'on appelle ses infidélités, ce sont l'idolâtrie et tous les manquements à la Loi de Dieu. Et, là encore cela n'a pas été sans conséquences : à entendre en entier notre psaume d'aujourd'hui, le malheur est arrivé.

Voici quelques versets : « Pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des forêts la ravage et les bêtes des champs la broutent. » (v. 13-14). Et, un peu plus loin : « La voici détruite, incendiée (v. 17), ailleurs encore : « Tu fais de nous la cible des voisins : nos ennemis ont vraiment de quoi rire ! » (v. 7). Traduisez : nous sommes en période d'occupation étrangère, les animaux qui dévastent la vigne (et les sangliers, comme les porcs, étaient des animaux impurs), ce sont les puissances étrangères, les ennemis du moment. De quels ennemis s'agit-il précisément ? L'histoire ne le dit pas. En tout cas, il est clair qu'Israël reconnaît une faute et pense être châtié par Dieu ; le psaume implore son pardon en disant : « Vas-tu longtemps encore opposer ta colère aux prières de ton peuple, le nourrir du pain de ses larmes, l'abreuver de larmes sans mesure ? » (v. 5-6).

Cette image d'un Dieu qui punit nous heurte aujourd'hui, parce que, grâce à la pédagogie patiente de Dieu, nous avons progressé dans la Révélation : alors que ce psaume, évidemment, reflète l'état de la réflexion théologique à l'époque où il a été écrit. A cette époque-là, on considère que tout vient de Dieu, le bonheur comme le malheur. Plus tardivement on découvrira que Dieu respecte tellement la liberté de l'homme qu'il ne tire pas toutes les ficelles de l'histoire.

Quoi qu'il en soit, ce psaume nous donne une magnifique leçon de foi et d'humilité : le peuple reconnaît ses infidélités et prend la ferme résolution de ne pas les répéter : « Jamais plus nous n'irons loin de toi ». En même temps c'est vers Dieu aussi qu'il se tourne pour demander la force de la conversion : « Fais-nous vivre et invoquer ton nom. »

DEUXIEME LECTURE - Hébreux 10, 5-10

Frères,
5 en entrant dans le monde,
le Christ dit, d'après le Psaume :
Tu n'as pas voulu de sacrifices ni d'offrandes,
mais tu m'as fait un corps.
6 Tu n'as pas accepté les holocaustes
ni les expiations pour le péché ;
7 alors je t'ai dit :
Me voici, mon Dieu,
je suis venu pour faire ta volonté,
car c'est bien de moi que parle l'Ecriture.
8 Le Christ commence donc par dire :
Tu n'as pas voulu ni accepté
les sacrifices et les offrandes,
les holocaustes et les expiations pour le péché
que la Loi prescrit d'offrir.
9 Puis il déclare :
Me voici, je suis venu pour faire ta volonté.
Ainsi, il supprime l'ancien culte pour établir le nouveau.
10 Et c'est par cette volonté de Dieu que nous sommes sanctifiés,
grâce à l'offrande que Jésus a faite de son corps,
une fois pour toutes.

Par deux fois, dans ces quelques lignes, nous avons entendu la même phrase : « Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté » ; elle est extraite du psaume 39 (40). Quelques mots, d'abord, sur ce psaume : c'est un psaume d'action de grâces ; il commence par décrire le danger mortel auquel le peuple d'Israël a échappé : « D'un grand espoir j'espérais le Seigneur : il s'est penché vers moi pour entendre mon cri. Il m'a tiré de l'horreur du gouffre, de la vase et de la boue ; il m'a fait reprendre pied sur le roc, il a raffermi mes pas. » Ce dont il est question ici, c'est la sortie d'Egypte ! Et c'est pour cette libération qu'on rend grâce. Le psaume continue : « Dans ma bouche, il a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu. » Et un peu plus loin : « Tu n'as pas voulu de sacrifices ni d'offrandes, mais tu m'as fait un corps. Tu n'as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors je t'ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté ». Traduisez : la meilleure manière de rendre grâce à Dieu, ce n'est pas de lui offrir des sacrifices, c'est de nous rendre disponibles pour faire sa volonté.

Car, en définitive, ce « me voici », c'est la seule réponse que Dieu attend du coeur de l'homme ; c'est le fameux « me voici » des grands serviteurs de Dieu ; c'est celui d'Abraham, pour commencer, au moment du sacrifice d'Isaac ; entendant la voix de Dieu qui l'appelait, il a répondu simplement « me voici » ; et cette disponibilité du patriarche a toujours été donnée en exemple aux fils d'Israël : l'épisode que nous appelons le « sacrifice d'Isaac » (Gn 22) est considéré comme un modèle alors qu'on sait bien qu'Isaac n'a pas été immolé ; preuve qu'on a compris depuis longtemps que la disponibilité vaut mieux que tous les sacrifices.

Un autre célèbre « me voici », ce fut celui de Moïse au buisson ardent ; et cette disponibilité a suffi à Dieu pour faire de ce berger qui se disait bègue le grand chef de peuple qu'il est devenu.

Quelques siècles plus tard, au temps des Juges, un autre « Me voici » fut celui du petit Samuel, celui qui devait devenir un grand prophète du peuple d'Israël. Rappelez-vous le récit de sa vocation : il avait été consacré par ses parents au service de Dieu dans le sanctuaire de Silo auprès du prêtre Eli, et il habitait avec le vieux prêtre. Une nuit, il avait entendu à plusieurs reprises une voix qui l'appelait ; ce ne pouvait être que le prêtre, bien sûr ; et par trois fois, l'enfant s'était levé précipitamment pour répondre au prêtre « tu m'as appelé, me voici ». Et celui-ci, chaque fois, répondait « mais non, je ne t'ai pas appelé ». A la troisième fois, le prêtre avait compris que l'enfant ne rêvait pas et lui avait donné ce conseil : « la prochaine fois que la voix t'appellera, tu répondras Parle Seigneur, ton serviteur écoute. » (1 S 3, 1-9). Et Samuel est resté dans la mémoire d'Israël comme un modèle de disponibilité à la volonté de Dieu. C'est lui qui, quelques années après cette nuit mémorable, devenu adulte, a osé dire au premier roi d'Israël (Saül) cette phrase superbe : « Le Seigneur aime-t-il les holocaustes et les sacrifices autant que l'obéissance à la parole du Seigneur ? Non ! L'obéissance est préférable au sacrifice, la docilité à la graisse des béliers. » (1 S 15, 22). L'idéal de Samuel c'était tout simplement d'être un humble serviteur de Dieu, ce qu'il fut pendant de nombreuses années.

Et vous savez bien que le titre de « serviteur » de Dieu est le plus beau compliment que l'on puisse faire à un croyant dans la Bible. Au point que, dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, dans les pays de langue grecque, on aimait donner à son enfant le prénom de « Christodule » (christodoulos) qui veut dire « serviteur du Christ » ! (Il y a un monastère de saint Christodule à Patmos, par exemple).

Cette insistance sur la disponibilité nous donne une double leçon à la fois très encourageante et terriblement exigeante : si Dieu ne sollicite que notre disponibilité, cela signifie que chacun, chacune de nous, tels que nous sommes, peut être utile pour le Royaume de Dieu ; voilà qui est encourageant et merveilleux. Mais, deuxième conséquence, cela veut dire également que, lorsqu'un engagement de service nous est demandé, nous ne pourrons plus jamais nous abriter derrière nos arguments habituels : notre ignorance, notre incompétence ou notre indignité !

L'auteur de la Lettre aux Hébreux connaît ce psaume et il sait bien qu'il parle au nom du peuple tout entier ; mais il l'applique à Jésus-Christ, car personne mieux que lui ne peut dire en toute vérité : « Tu n'as pas voulu de sacrifices ni d'offrandes, mais tu m'as fait un corps. Tu n'as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors je t'ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté, car c'est bien de moi que parle l'Ecriture. » Notons bien que la disponibilité du Christ à la volonté du Père ne commence pas au soir du Jeudi-Saint. Ce n'est donc pas seulement la mort du Christ qui est la matière de son offrande, mais sa vie tout entière, l'amour donné à tous au jour le jour, depuis le début de sa vie : « En entrant dans le monde, le Christ dit... tu m'as fait un corps... me voici. » (v. 5-7 citant le psaume 39/40).

Désormais, bien sûr, le Corps du Christ, que nous sommes, n'a rien d'autre à faire que de continuer chaque jour à dire « me voici »... (et à agir en conséquence évidemment).

***

« La disponibilité vaut mieux que tous les sacrifices » : cette formule hébraïque ne signifie pas que l'on devrait supprimer les sacrifices ; mais que ceux-ci perdent leur sens s'ils ne sont pas accompagnés par une vie de disponibilité et de service de Dieu et des hommes.

Dans un contexte de lutte contre les idoles, on parlait aussi du « sacrifice des lèvres » ; c'est-à-dire une prière et une louange adressées au seul Dieu d'Israël. Parce que cela pouvait bien arriver qu'on offre de coûteux sacrifices au temple de Jérusalem tout en faisant par derrière (si j'ose dire) des prières à d'autres dieux ; si cela ne fait pas de bien, cela ne fait pas de mal, comme on dit ; les prophètes étaient très sévères là-dessus, parce que cela fait du mal justement, contrairement à ce qu'on croit ! Offrir à Dieu le « sacrifice des lèvres » c'était lui appartenir sans partage. Et cela valait mieux, on le savait, que tous les sacrifices d'animaux. Il suffit de lire Osée par exemple : « En guise de taureaux, nous t'offrirons en sacrifice les paroles de nos lèvres. » (Os 14,3). Et en écho le psaume 50 : « Offre à Dieu la louange comme sacrifice et accomplis tes voeux envers le Très-Haut... Qui offre la louange comme sacrifice me glorifie. » (Ps 50, 14. 23).

En matière de disponibilité comme unique condition pour le service de Dieu, on en a un bel exemple avec l'histoire de Jacob : ce n'était pas un « enfant de choeur », et le récit biblique ne fait rien pour atténuer sa malhonnêteté parfois ! Mais il avait une qualité majeure, la soif de Dieu. C'est cela qui lui a permis d'entrer dans la grande chaîne des serviteurs du projet de Dieu. .

EVANGILE - Luc 1, 39-45

39 En ces jours-là,
Marie se mit en route rapidement
vers une ville de la montagne de Judée.
40 Elle entra dans la maison de Zacharie
et salua Elisabeth.
41 Or, quand Elisabeth entendit la salutation de Marie,
l'enfant tressaillit en elle.
Alors Elisabeth fut remplie de l'Esprit Saint,
42 et s'écria d'une voix forte :
« Tu es bénie entre toutes les femmes,
et le fruit de tes entrailles est béni.
43 Comment ai-je ce bonheur
que la mère de mon Seigneur vienne jusqu'à moi ?
44 Car, lorsque j'ai entendu tes paroles de salutation,
l'enfant a tressailli d'allégresse au-dedans de moi.
45 Heureuse celle qui a cru à l'accomplissement des paroles
qui lui furent dites de la part du Seigneur. »

Nous sommes encore au tout début de l'évangile de Luc ; il y a eu, d'abord, les deux récits d'Annonciation : à Zacharie pour la naissance de Jean-Baptiste, puis à Marie pour la naissance de Jésus ; et voici ce récit que nous appelons couramment la « Visitation ». Tout ceci a plutôt les apparences d'un récit de famille, mais il ne faut pas s'y tromper : en fait, Luc écrit une oeuvre éminemment théologique ; il faut certainement donner tout son poids à la phrase centrale de ce texte : « Elisabeth fut remplie de l'Esprit Saint, et s'écria d'une voix forte » ; cela veut dire que c'est l'Esprit Saint en personne qui parle pour annoncer dès le début de l'Evangile ce qui sera la grande nouvelle de l'évangile de Luc tout entier : celui qui vient d'être conçu est le « Seigneur ».

Et quelles sont ces paroles que l'Esprit inspire à Elisabeth ? « Tu es bénie »... « le fruit de tes entrailles est béni » : ce qui veut dire Dieu agit en toi et par toi et Dieu agit en ton fils et par ton fils. Comme toujours l'Esprit Saint est celui qui nous permet de découvrir dans nos vies et celle des autres, tous les autres, la trace de l'oeuvre de Dieu.

Luc n'ignore sûrement pas non plus que la phrase d'Elisabeth « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. » reprend au moins partiellement une phrase de l'Ancien Testament. C'est dans le livre de Judith (Jdt 13,18-19) : quand Judith revient de l'expédition dans le camp ennemi, où elle a décapité le général Holopherne, elle est accueillie dans son camp par Ozias qui lui dit : « tu es bénie entre toutes les femmes et béni est le Seigneur Dieu ». Marie est donc comparée à Judith : et le rapprochement entre ces deux phrases suggère deux choses : la reprise de la formule « tu es bénie entre toutes les femmes » laisse entendre que Marie est la femme victorieuse qui assure à l'humanité la victoire définitive sur le mal ; quant à la finale (pour Judith « béni est le Seigneur Dieu » et pour Marie « le fruit de tes entrailles est béni »), elle annonce que le fruit des entrailles de Marie est le Seigneur lui-même. Décidément, ce récit de Luc n'est pas seulement anecdotique !
Au passage, on ne peut pas s'empêcher de comparer la force de parole d'Elisabeth au mutisme de Zacharie ! Parce qu'elle est remplie de l'Esprit Saint, Elisabeth a la force de parler ; tandis que, vous vous en souvenez, Zacharie ne savait plus parler après le passage de l'ange parce qu'il avait douté des paroles qui lui annonçaient la naissance de Jean-Baptiste.

Quant au futur Jean-Baptiste, lui aussi, il manifeste sa joie : Elisabeth nous dit qu'il « tressaille d'allégresse » dans le sein de sa mère dès qu'il entend la voix de Marie. Il faut dire que lui aussi est rempli de l'Esprit Saint : rappelez-vous les paroles de l'ange à Zacharie : « Sois sans crainte, Zacharie, car ta prière a été exaucée. Ta femme Elisabeth t'enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jean. Tu en auras joie et allégresse et beaucoup se réjouiront de sa naissance... il sera rempli de l'Esprit Saint dès le sein de sa mère. »

Je reviens aux paroles d'Elisabeth : « Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu'à moi ? » ; elle aussi nous renvoie à un épisode de l'Ancien Testament : l'arrivée de l'arche d'Alliance à Jérusalem (2 Sam 6, 2-11) ; lorsque David se fut installé comme roi à Jérusalem, lorsqu'il eut un palais digne du roi d'Israël, il envisagea de faire monter l'Arche d'Alliance dans cette nouvelle capitale. Mais il était partagé entre la ferveur et la crainte ; il y eut donc une première étape dans l'enthousiasme et la joie : « David réunit toute l'élite d'Israël, trente mille hommes. David se mit en route et partit, lui et tout le peuple qui était avec lui... pour faire monter l'arche de Dieu ... On chargea l'arche de Dieu sur un chariot neuf... David et toute la maison d'Israël s'ébattaient devant le Seigneur au son de tous les instruments... des cithares, des harpes, des tambourins, des sistres et des cymbales... ». Mais là se produisit un incident qui rappela à David qu'on ne met pas impunément la main sur Dieu : un homme qui avait mis la main sur l'arche sans y être habilité mourut aussitôt.

Alors, chez David la crainte l'emporta et il dit « comment l'Arche du Seigneur pourrait-elle venir chez moi ? » Du coup le voyage s'arrêta là : David crut plus prudent de renoncer à son projet et remisa l'Arche dans la maison d'un certain Oved-Edom où elle resta trois mois. Mais là, il se produit du nouveau : la rumeur publique disait que la présence de l'arche apportait le bonheur à cette maison. Voilà David rassuré. Du coup, il se décida à faire venir l'arche à Jérusalem. La Bible raconte : « David et toute la maison d'Israël faisaient monter l'arche du Seigneur parmi les ovations et au son du cor. » Au comble de la joie et de l'émotion, David dansait devant l'arche : on nous dit qu'il « tournoyait de toutes ses forces devant le Seigneur... »
On peut penser que Luc a été heureux d'accumuler dans le récit de la Visitation les détails qui rappellent ce récit de la montée de l'arche à Jérusalem : les deux voyages, celui de l'Arche, celui de Marie se déroulent dans la même région, les collines de Judée ; l'Arche entre dans la maison d'Oved-Edom et elle y apporte le bonheur (2 S 6,12), Marie entre dans la maison de Zacharie et Elisabeth et y apporte le bonheur ; l'Arche reste trois mois dans cette maison d'Oved-Edom, Marie restera trois mois chez Elisabeth ; enfin David dansait devant l'Arche (le texte nous dit qu'il « sautait et tournoyait ») (2 S 6,16), et Luc note que Jean-Baptiste « bondit de joie » devant Marie qui porte l'enfant.

Tout ceci n'est pas fortuit, évidemment. Luc nous donne de contempler en Marie la nouvelle Arche d'Alliance. Or l'Arche d'Alliance était le lieu de la Présence de Dieu. Marie porte donc en elle mystérieusement, cette Présence de Dieu ; désormais Dieu habite notre humanité : « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous. »

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