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23 février 2020 7 23 /02 /février /2020 21:07

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

  •  des explications historiques ou géographiques ;
  • le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "Éden", "obéissance", "diable" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 29 février 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE LA GENÈSE   2,7-9 ; 3,1-7a

 

2,7  Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme
       avec la poussière tirée du sol ;
       il insuffla dans ses narines le souffle de vie,
       et l’homme devint un être vivant.
8     Le SEIGNEUR Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient,
       et y plaça l’homme qu’il avait modelé.
9     Le SEIGNEUR Dieu fit pousser du sol
       toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ;
       il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin,
       et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
3,1  Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs
       que le SEIGNEUR Dieu avait faits.
       Il dit à la femme :
       « Alors, Dieu vous a vraiment dit :
       ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? »
2     La femme répondit au serpent :
       « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin.
3     Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin,
       Dieu a dit :
       ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas,
       sinon vous mourrez.’ »
4     Le serpent dit à la femme :
       « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
5     Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez,
       vos yeux s’ouvriront,
       et vous serez comme des dieux,
       connaissant le bien et le mal. »
6     La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux,
       qu’il était agréable à regarder
       et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence.
       Elle prit de son fruit, et en mangea.
       Elle en donna aussi à son mari,
       et il en mangea.
7     Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent
       et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.
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          Avant d’aborder ce texte, il faut se souvenir que son auteur n’a jamais prétendu faire œuvre d’historien ! La Bible n’a été écrite ni par des scientifiques, ni par des historiens ; mais par des croyants pour des croyants. Le théologien qui écrit ces lignes, sans doute au temps de Salomon, au dixième siècle avant J.-C., cherche à répondre aux questions que tout le monde se pose : pourquoi le mal ? Pourquoi la mort ? Pourquoi les mésententes dans les couples humains ? Pourquoi la difficulté de vivre ?  Pourquoi le travail est-il pénible ? La nature parfois hostile ?

          Pour répondre, il s’appuie sur une certitude qui est celle de tout son peuple, c’est la bonté de Dieu : Dieu nous a libérés d’Égypte, Dieu nous veut libres et heureux. Depuis la fameuse sortie d’Égypte, sous la houlette de Moïse, depuis la traversée du désert, où on a expérimenté à chaque nouvelle difficulté la présence et le soutien de Dieu, on ne peut plus en douter. Le récit que nous venons de lire est donc appuyé sur cette certitude de la bienveillance de Dieu et il essaie de répondre à toutes nos questions sur le mal dans le monde. Avec ce Dieu qui est bon et bienveillant, comment se fait-il qu’il y ait du mal ?

          Notre auteur a inventé une fable pour nous éclairer : un jardin de délices (c’est le sens du mot « Éden »), et l’humanité symbolisée par un couple qui a charge de cultiver et garder le jardin. Le jardin est plein d’arbres tous plus attrayants les uns que les autres. Celui du milieu s’appelle « l’arbre de vie » ; on peut en manger comme de tous les autres. Mais il y a aussi, quelque part dans ce jardin, le texte ne précise pas où, un autre arbre, dont le fruit, lui, est interdit. Il s’appelle « l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux ».

          Devant cette interdiction, le couple a deux attitudes possibles : soit faire confiance puisqu’on sait que Dieu n’est que bienveillant ; et se réjouir d’avoir accès à l’arbre de vie : si Dieu nous interdit l’autre arbre, c’est qu’il n’est pas bon pour nous. Soit soupçonner chez Dieu un calcul malveillant : imaginer qu’il veut nous interdire l’accès à la connaissance.

         C’est le discours du serpent : il s’adresse à la femme ; il se fait faussement compréhensif : « Alors ? Dieu vous a dit : vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? »1

         La femme répond : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin, mais pour celui qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez ». Vous avez remarqué le déplacement : simplement parce qu’elle a écouté la voix du soupçon, elle ne parle déjà plus que de cet arbre-là et elle dit « l’arbre qui est au milieu du jardin » : désormais, de bonne foi, c’est lui, et non l’arbre de vie, qu’elle voit au milieu du jardin. Son regard est déjà faussé, du seul fait qu’elle a laissé le serpent lui parler ; alors le serpent peut continuer son petit travail de sape : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bonheur et le malheur ». 

         Là encore, la femme écoute trop bien ces belles paroles et le texte suggère que son regard est de plus en plus faussé : « la femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance »2. Le serpent a gagné : elle prend le fruit, elle en mange, elle le donne à son mari, il en mange aussi. Et vous avez entendu la fin de l’histoire : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus ».

         Le serpent avait bien dit « vos yeux s’ouvriront » ; l’erreur de la femme a été de croire qu’il parlait dans son intérêt, et qu’il dévoilait les mauvaises intentions de Dieu ; ce n’était que mensonge : le regard est changé, c’est vrai, mais il est faussé.

         Ce n’est pas un hasard si le soupçon porté sur Dieu est représenté sous les traits d’un serpent ; Israël au désert avait fait l’expérience des serpents venimeux.  Notre théologien de la cour de Salomon lui rappelle cette cuisante expérience et dit : il y a un poison plus grave que le poison des serpents les plus venimeux ; le soupçon porté sur Dieu est un poison mortel, il empoisonne nos vies.

         L’idée de notre théologien, c’est que tous nos malheurs viennent de ce soupçon qui gangrène l’humanité. Dire que l’arbre de la connaissance du bien et du mal est réservé à Dieu, c’est dire que Dieu seul connaît ce qui fait notre bonheur ou notre malheur ; ce qui, après tout, est logique s’il nous a créés. Vouloir manger à tout prix du fruit de cet arbre interdit, c’est prétendre déterminer nous-mêmes ce qui est bon pour nous : la mise en garde « Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez » indiquait bien qu’il s’agissait là d’une fausse piste.

         Le récit va encore plus loin : au cours du périple dans le désert, Dieu a prescrit la Loi qu’il faudrait appliquer désormais, ce que nous appelons les commandements. On sait que la pratique quotidienne de cette Loi est la condition de la survie et de la croissance harmonieuse de ce peuple ; si on savait suffisamment que Dieu veut uniquement notre vie, notre bonheur, notre liberté, on ferait confiance et c’est de bon cœur qu’on obéirait à la loi. Elle est vraiment « l’arbre de vie » mis à notre disposition par Dieu.

            Je disais en commençant qu’il s’agit d’une fable, mais dont la leçon est valable pour chacun d’entre nous ; depuis que le monde est monde, c’est toujours la même histoire. Saint Paul (que nous lisons ce dimanche en deuxième lecture) poursuit la méditation et dit : seul le Christ a fait confiance à son Père en toutes choses ; il nous montre le chemin de la Vie.

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Complément

 

1 À noter que cette traduction qui est celle de la TOB (Traduction œcuménique de la Bible) préserve le caractère volontairement ambigu de la question du serpent ; posée ainsi, en effet, la question peut s’entendre « vous ne mangerez pas de tous les fruits » ou « vous ne mangerez d’aucun » ! Or c’est bien ainsi dans le texte hébreu. 

 

2 (Traduction Œcuménique de la Bible).

 

3 Le récit de la Genèse a de multiples résonances dans la méditation du peuple d’Israël. L’une des réflexions suggérées par le texte concerne l’arbre de vie : planté au milieu du jardin d’Éden, il était accessible à l’homme et autorisé à la consommation. On peut penser que son fruit permettait à l’homme de rester en vie, de cette vie spirituelle que Dieu lui a insufflée : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2,7). 

Alors les rabbins ont fait le rapprochement avec la Loi donnée par Dieu au Sinaï. Car elle est accueillie par les croyants comme un cadeau de Dieu, un soutien pour la vie quotidienne : « Que ton cœur observe mes préceptes. Ils sont longueur de jours et années de vie et pour toi plus grande paix. » (Pr 3,2).
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PSAUME 50 (51), 3-4.5-6.12.13.14.17

 

3     Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,      
       selon ta grande miséricorde, efface mon péché.           
4     Lave-moi tout entier de ma faute,         
       purifie-moi de mon offense.

5     Oui, je connais mon péché,        
       ma faute est toujours devant moi.         
6     Contre toi, et toi seul, j'ai péché,
       ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait.

12   Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
       renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.      
13   Ne me chasse pas loin de ta face,          
       ne me reprends pas ton esprit saint.

14   Rends-moi la joie d'être sauvé ; 
       que l'esprit généreux me soutienne.       
17   Seigneur, ouvre mes lèvres,       
       et ma bouche annoncera ta louange.
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            « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. » Le peuple d’Israël est en pleine célébration pénitentielle au temple de Jérusalem. Il se reconnaît pécheur, mais il sait aussi l’inépuisable miséricorde de Dieu. Et d’ailleurs, s’il est réuni pour demander pardon, c’est parce qu’il sait d’avance que le pardon est déjà accordé.

            Cela avait été, rappelez-vous, la grande découverte du roi David : David avait fait venir au palais sa jolie voisine, Bethsabée ; (au passage, il ne faut pas oublier de préciser qu’elle était mariée avec un officier, Urie, qui était à ce moment-là en campagne). C’est d’ailleurs bien grâce à son absence que David avait pu convoquer la jeune femme au palais ! Quelques jours plus tard, Bethsabée avait fait dire à David qu’elle attendait un enfant de lui. Et, à ce moment-là, David avait organisé la mort au champ d’honneur du mari trompé pour pouvoir s’approprier définitivement sa femme et l’enfant qu’elle portait.

            Or, et c’est là l’inattendu de Dieu, quand le prophète Natan était allé trouver David, il n’avait pas d’abord cherché à obtenir de lui une parole de repentir, il avait commencé par lui rappeler tous les dons de Dieu et lui annoncer le pardon, avant même que David ait eu le temps de faire le moindre aveu. (2 S 12). Il lui avait dit en substance : « Regarde tout ce que Dieu t’a donné... eh bien, sais-tu, il est prêt à te donner encore tout ce que tu voudras ! »

Et, mille fois au cours de son histoire, Israël a pu vérifier que Dieu est vraiment « le SEIGNEUR miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté » selon la révélation qu’il a accordée à Moïse dans le désert (Ex 34,6).

Les prophètes, eux aussi, ont répercuté cette annonce et les quelques versets du psaume que nous venons d’entendre sont pleins de ces découvertes d’Isaïe et d’Ézéchiel. Isaïe, par exemple : « Moi, Dieu, je suis tel que j’efface, par égard pour moi, tes révoltes, que je ne garde pas tes fautes en mémoire » (Is 43,25) ; ou encore « J’ai effacé comme un nuage tes révoltes, comme une nuée tes fautes ; reviens à moi, car je t’ai racheté » (Is 44,22).

Cette annonce de la gratuité du pardon de Dieu nous surprend parfois : cela paraît trop beau, peut-être ; pour certains, même, cela semble injuste : si tout est pardonnable, à quoi bon faire des efforts ? C’est oublier un peu vite, peut-être, que nous avons tous sans exception besoin de la miséricorde de Dieu ; ne nous en plaignons donc pas ! Et ne nous étonnons pas que Dieu nous surprenne, puisque, comme dit Isaïe, « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées. » Et justement, Isaïe précise que c’est en matière de pardon que Dieu nous surprend le plus.

Cela nous renvoie à la phrase de Jésus dans la parabole des ouvriers de la onzième heure : « Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? » (Mt 20,15). On peut penser également à la parabole de l’enfant prodigue (Luc 15) : lorsqu’il revient chez son père, pour des motifs pourtant pas très nobles, Jésus met sur ses lèvres une phrase du psaume 50 : « Contre toi et toi seul j’ai péché », et cette simple phrase renoue le lien que le jeune homme ingrat avait cassé.

Face à cette annonce toujours renouvelée de la miséricorde de Dieu, le peuple d’Israël, parce que c’est lui qui parle ici comme dans tous les psaumes, se reconnaît pécheur : l’aveu n’est pas détaillé, il ne l’est jamais dans les psaumes de pénitence ; mais le plus important est dit dans cette supplication « pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché ... » Et Dieu qui est toute miséricorde, c’est-à-dire comme aimanté par la misère, n’attend rien d’autre que cette simple reconnaissance de notre pauvreté. Vous savez d’ailleurs, que le mot pitié est de la même racine que le mot « aumône » : littéralement, nous sommes des mendiants devant Dieu

Alors il nous reste deux choses à faire : tout d’abord, remercier tout simplement pour ce pardon accordé en permanence ; la louange que le peuple d’Israël adresse à son Dieu, c’est sa reconnaissance pour les bontés de Dieu dont il a été comblé depuis le début de son histoire. Ce qui montre bien que la prière la plus importante dans une célébration pénitentielle, c’est la parole de reconnaissance des dons et pardons de Dieu : il faut commencer par le contempler, lui, et ensuite seulement, cette contemplation nous ayant révélé le décalage entre lui et nous, nous pouvons nous reconnaître pécheurs. Notre rituel de la réconciliation le dit bien dans son introduction : « Nous confessons l’amour de Dieu en même temps que notre péché ».

Et le chant de reconnaissance jaillira tout seul de nos lèvres, il suffit de laisser Dieu nous ouvrir le cœur : « Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange » ; certains ont reconnu ici la première phrase de la Liturgie des Heures, chaque matin ; effectivement, elle est tirée du psaume 50/51. À elle seule, elle est toute une leçon : la louange, la reconnaissance ne peuvent naître en nous que si Dieu ouvre nos cœurs et nos lèvres. Saint Paul le dit autrement : « C’est l’Esprit qui parle à notre esprit et dit en nous Abba, Père... » (Rm 8,15 ; Ga 4,6).

 Cela fait irrésistiblement penser à un geste de Jésus, dans l’évangile de Marc : la guérison d’un sourd-muet ; touchant ses oreilles et sa langue, Jésus avait dit « Effétah », ce qui veut dire « Ouvre-toi ». Et alors, spontanément, ceux qui étaient là avaient appliqué à Jésus une phrase que la Bible réservait à Dieu : « Il fait entendre les sourds et parler les muets ». (cf. Is 35,5-6). Encore aujourd’hui, dans certaines célébrations de baptême, le célébrant refait ce geste de Jésus sur les baptisés en disant « Le Seigneur Jésus a fait entendre les sourds et parler les muets ; qu’il vous donne d’écouter sa parole et de proclamer la foi pour la louange et la gloire de Dieu le Père ».

Deuxième chose à faire et que Dieu attend de nous : pardonner à notre tour, sans délai, ni conditions... et c’est tout un programme !

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS  5, 12-19

 

12   Nous savons que par un seul homme,
       le péché est entré dans le monde,
       et que par le péché est venue la mort ;
       et ainsi, la mort est passée en tous les hommes,
       étant donné que tous ont péché.
13   Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde,
       mais le péché ne peut être imputé à personne
       tant qu’il n’y a pas de loi.
14   Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse,
       la mort a établi son règne,
       même sur ceux qui n’avaient pas péché
       par une transgression semblable à celle d’Adam.
       Or, Adam préfigure celui qui devait venir.
15   Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute.
       En effet, si la mort a frappé la multitude
       par la faute d’un seul,
       combien plus la grâce de Dieu
       s’est-elle répandue en abondance sur la multitude,
       cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
16   Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul
       n’ont pas la même mesure non plus :
       d’une part, en effet, pour la faute d’un seul,
       le jugement a conduit à la condamnation ;
       d’autre part, pour une multitude de fautes,
       le don gratuit de Dieu conduit à la justification.
17   Si, en effet, à cause d’un seul homme,
       par la faute d’un seul,
       la mort a établi son règne,
       combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul,
       régneront-ils dans la vie,
       ceux qui reçoivent en abondance
       le don de la grâce qui les rend justes.
18   Bref, de même que la faute commise par un seul
       a conduit tous les hommes à la condamnation,
       de même l’accomplissement de la justice par un seul
       a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie.
19   En effet, de même que par la désobéissance d’un seul être humain
       la multitude a été rendue pécheresse,
       de même par l’obéissance d’un seul
       la multitude sera-t-elle rendue juste.
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             « Adam préfigurait celui qui devait venir », nous dit Paul ; il parle d’Adam au passé, parce qu’il fait référence au livre de la Genèse, et à l’histoire du fruit défendu, mais pour lui, le drame d’Adam n’est pas une histoire du passé ; cette histoire est la nôtre au quotidien ; nous sommes tous Adam à nos heures ; les rabbins disent : « chacun est Adam pour soi ».

              Et s’il fallait résumer l’histoire du jardin d’Éden (que nous relisons en première lecture ce dimanche), on pourrait dire : en écoutant la voix du serpent, plutôt que l’ordre de Dieu, en laissant le soupçon sur les intentions de Dieu envahir leur cœur, en croyant pouvoir tout se permettre, tout « connaître » comme dit la Bible, l’homme et la femme se rangent eux-mêmes sous la domination de la mort. Et quand on dit : « chacun est Adam pour soi », cela veut dire que chaque fois que nous nous détournons de Dieu, nous laissons les puissances de mort envahir notre vie.

              Saint Paul, dans sa lettre aux Romains, poursuit la même méditation : et il annonce que l’humanité a franchi un pas décisif en Jésus-Christ ; nous sommes tous frères d’Adam ET nous sommes tous frères de Jésus-Christ ; nous sommes frères d’Adam quand nous laissons le poison du soupçon infester notre cœur, quand nous prétendons nous-mêmes faire la loi, en quelque sorte ; nous sommes frères du Christ quand nous faisons assez confiance à Dieu pour le laisser mener nos vies.

              Nous sommes sous l’empire de la mort quand nous nous conduisons à la manière d’Adam, mais quand nous nous conduisons comme Jésus-Christ, quand nous nous faisons comme lui « obéissants », (c’est-à-dire confiants), nous sommes déjà ressuscités avec lui, déjà dans le royaume de la vie. Car la vie dont il est question ici n’est pas la vie biologique : c’est celle dont Jean parle quand il dit « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » ; c’est une vie que la mort biologique n’interrompt pas.

             D’ailleurs, il faut revenir au récit du livre de la Genèse : « Au temps où le Seigneur Dieu fit le ciel et la terre, il modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » Ce souffle de Dieu qui fait de l’homme un être vivant, comme dit le texte, les animaux ne l’ont pas reçu : ils sont pourtant bien vivants au sens biologique ; on peut en déduire que l’homme jouit d’une vie autre que la vie biologique.

             Je reviens au mot « royaume » : vous avez remarqué que Paul emploie plusieurs fois les mots « règne », « régner »...  Deux royaumes s’affrontent. On peut écrire son texte en deux colonnes : dans une colonne, on peut écrire Adam (c’est-à-dire l’humanité quand elle agit comme Adam), règne du péché, règne de la mort, jugement, condamnation. Dans l’autre colonne, Jésus-Christ (c’est-à-dire avec lui l’humanité nouvelle), règne de la grâce, règne de la vie, don gratuit, justification. Aucun d’entre nous n’est tout entier dans une seule de ces deux colonnes : nous sommes tous des hommes (et des femmes) partagés : Paul lui-même le reconnaît quand il dit « le mal que je ne veux pas, je le fais, le bien que je veux, je ne le fais pas » (Rm 7,19).

             Adam (au sens de l’humanité) est créé pour être roi (pour cultiver et garder le jardin, disait le livre de la Genèse de manière imagée), mais, mal inspiré par le serpent, il veut le devenir tout seul par ses propres forces ; or cette royauté, il ne peut la recevoir que de Dieu ; et donc, en se coupant de Dieu il se coupe de la source ; Jésus-Christ, au contraire, ne « revendique » pas cette royauté, elle lui est donnée. Comme le dit encore Paul dans la lettre aux Philippiens « lui qui était de condition divine n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu, mais il s’est fait obéissant » (Phi 2,6). Le récit du jardin d’Éden nous dit la même chose en images : avant la faute, l’homme et la femme pouvaient manger du fruit de l’arbre de vie ; après la faute, ils n’y ont plus accès.

             Chacun à leur manière, ces deux textes de la Genèse d’une part, et de la lettre aux Romains d’autre part, nous disent la vérité la plus profonde de notre vie : avec Dieu, tout est grâce, tout est don gratuit ; et Paul, ici, insiste sur l’abondance, la profusion de la grâce, il dit même la « démesure » de la grâce : « le don gratuit de Dieu et la faute n’ont pas la même mesure... combien plus la grâce de Dieu a-t-elle comblé la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus-Christ ». Tout est « cadeau » si vous préférez ; pas étonnant, bien sûr, puisque, comme dit saint Jean, Dieu est Amour.

             Ce n’est pas une question de bonne conduite du Christ qui recevrait une récompense ou de mauvaise conduite d’Adam qui entraînerait un châtiment ; c’est beaucoup plus profond : le Christ est confiant qu’en Dieu tout lui sera donné... et tout lui est donné dans la Résurrection ; Adam, (c’est-à-dire chacun de nous à certaines heures), veut se saisir de ce qui ne peut qu’être accueilli comme un don ; il se retrouve « nu », c’est-à-dire démuni.

             Je reprends mes deux colonnes : par naissance nous sommes citoyens du règne d’Adam ; par le baptême, nous avons demandé à être naturalisés dans le royaume de Jésus-Christ.

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Compléments

Si nous relisons le récit de la Genèse, nous pouvons noter que, intentionnellement, l’auteur n’avait pas donné de prénoms à l’homme et à la femme ; il disait « le Adam » qui veut dire « le terreux », « le poussiéreux », (fait avec de la poussière) ; en ne leur donnant pas de prénoms, il voulait nous faire comprendre que le drame d’Adam n’est pas l’histoire d’un individu particulier, elle est l’histoire de chaque homme depuis toujours.

Obéissance et désobéissance au sens de Paul : on pourrait remplacer le mot « obéissance » par confiance et le mot « désobéissance » par méfiance ; comme le dit Kierkegaard : « Le contraire du péché, ce n’est pas la vertu, le contraire du péché, c’est la foi ».

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  4, 1-11

 

       En ce temps-là,
1     Jésus fut conduit au désert par l’Esprit
       pour être tenté par le diable.
2     Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits,
       il eut faim.
3     Le tentateur s’approcha et lui dit :
       « Si tu es Fils de Dieu,
       ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
4     Mais Jésus répondit :
       « Il est écrit :
       L’homme ne vit pas seulement de pain,

       mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
5     Alors le diable l’emmène à la Ville sainte,
       le place au sommet du Temple
6     et lui dit :
       « Si tu es Fils de Dieu,
       jette-toi en bas ;
       car il est écrit :
       Il donnera pour toi des ordres à ses anges,
       et :    Ils te porteront sur leurs mains,

       de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
7      Jésus lui déclara :
       « Il est encore écrit :
       Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
8     Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne
       et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire.
9     Il lui dit :
       « Tout cela, je te le donnerai,
       si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »
10   Alors, Jésus lui dit :
       « Arrière, Satan !
       car il est écrit :
       C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras,

       à lui seul tu rendras un culte. »
11   Alors le diable le quitte.
       Et voici que des anges s’approchèrent,
       et ils le servaient.
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                        Chaque année, le Carême s'ouvre par le récit des tentations de Jésus au désert : il faut croire qu'il s’agit d’un texte vraiment fondamental ! Cette année, nous le lisons chez saint Matthieu. 

                         « Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable ». Ce n’est pas le texte exact de l’évangile, mais la traduction employée dans la liturgie nous invite (à juste titre) à faire le lien entre le baptême de Jésus et les tentations : car dans l’évangile lui-même, Matthieu, après avoir rapporté le baptême, continue aussitôt « Alors, Jésus fut conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté. » Lui-même nous invite donc à faire un rapprochement entre le baptême de Jésus et les tentations qui le suivent immédiatement. Cet homme s’appelle « Jésus » et Matthieu a dit quelques versets plus haut : « C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés », c’est le sens même du nom de Jésus.

                        Jésus venait d’être baptisé par Jean-Baptiste dans le Jourdain ; et rappelez-vous, Jean-Baptiste n’était pas d’accord et il l’avait dit : « C’est moi, Jean, qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi, Jésus, qui viens à moi ! » (sous-entendu c’est le monde à l’envers)... Et, là, au cours du baptême de Jésus, il s’était passé quelque chose : « Dès qu’il fut baptisé, Jésus sortit de l’eau. Voici que les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici qu’une voix venant des cieux disait « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir ».

                        Cette phrase, à elle seule, annonce publiquement que Jésus est vraiment le Messie : car, l’expression « Fils de Dieu » était synonyme de Roi-Messie et la phrase « mon bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir » était une reprise d’un des chants du Serviteur chez Isaïe. En quelques mots, Matthieu vient donc de nous rappeler tout le mystère de la personne de Jésus ; et c’est lui, précisément, Messie, sauveur, serviteur qui va affronter le Tentateur. Comme son peuple, quelques siècles auparavant, il est emmené au désert ; comme son peuple, il connaît la faim ; comme son peuple, il doit découvrir quelle est la volonté de Dieu sur ses fils ; comme son peuple, il doit choisir devant qui se prosterner.

                        « Si tu es le Fils de Dieu », répète le Tentateur, manifestant par là que c’est bien là le problème ; et Jésus y a été affronté, pas seulement trois fois, mais tout au long de sa vie terrestre ; être le Messie, concrètement, en quoi cela consiste-t-il ? La question prend diverses formes : est-ce résoudre les problèmes des hommes à coup de miracles, comme changer les pierres en pain ? Est-ce provoquer Dieu pour vérifier ses promesses ? ... En se jetant du haut du temple par exemple, car le psaume 90/91 promettait que Dieu secourrait son Messie... Est-ce posséder le monde, dominer, régner, à n’importe quel prix, quitte à adorer n’importe quelle idole ? Quitte même à n’être plus Fils ? Car je remarque que, la troisième fois, le Tentateur ne répète plus « Si tu es Fils de Dieu »...

             Le comble de ces tentations, c’est qu’elles visent des promesses de Dieu : elles ne promettent rien d’autre que ce que Dieu lui-même a promis à son Messie. Et les deux interlocuteurs, le Tentateur comme Jésus lui-même le savent bien. Mais voilà... les promesses de Dieu sont de l’ordre de l’amour ; elles ne peuvent être reçues que comme des cadeaux ; l’amour ne s’exige pas, ne s’accapare pas, il se reçoit à genoux, dans l’action de grâce. Au fond, il se passe la même chose qu’au jardin de la Genèse ; Adam sait, et il a raison, qu’il est créé pour être roi, pour être libre, pour être maître de la création ; mais au lieu d’accueillir les dons comme des dons dans l’action de grâce, dans la reconnaissance, il exige, il revendique, il se pose en égal de Dieu... Il est sorti du registre de l’amour et il ne peut plus recevoir l’amour offert... il se retrouve pauvre et nu.

             Jésus fait le choix inverse : « Arrière Satan ! »  Comme il le dira une fois à Pierre « tes pensées sont des pensées à la manière d’Adam... tes vues ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes » (Mt 16,23)... D’ailleurs, plusieurs fois dans ce texte, Matthieu a appelé le tentateur du nom de « diable », en grec le « diabolos » ce qui veut dire « celui qui divise ». Est Satan pour chacun de nous comme pour Jésus lui-même celui qui tend à nous séparer de Dieu, à voir les choses à la manière d’Adam et non à la manière de Dieu. Au passage, je remarque que tout est dans le regard : celui d’Adam est faussé ; au contraire, pour garder le regard clair, Jésus scrute la Parole de Dieu : ses trois réponses au tentateur sont des citations du livre du Deutéronome, dans un passage qui est précisément une méditation sur les tentations du peuple d’Israël au désert.

             Alors, précise Matthieu, le diable (le diviseur) le quitte ; il n’a pas réussi à diviser, à détourner le cœur du Fils ; cela fait irrésistiblement penser à la phrase de saint Jean dans le Prologue (Jn 1, 1) : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était tourné vers Dieu (« pros ton Theon » en grec) et le Verbe était Dieu » Le diable n’a pas réussi à détourner le cœur du Fils et celui-ci est alors tout disponible pour accueillir les dons de Dieu : « Voici que des anges s’approchèrent et ils le servaient ».

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 03 01, 1er dimanche de Carême A

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16 février 2020 7 16 /02 /février /2020 22:34

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

  •  des explications historiques ou géographiques ;
  • le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "saint", "nom", "âme", "crainte (de Dieu)" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 22 février 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DES LÉVITES  19,1-2,17-18

 

1     Le SEIGNEUR parla à Moïse et dit :
2     « Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël.
       Tu leur diras :
       Soyez saints,
       car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint.

17   Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur.
       Mais tu devras réprimander ton compatriote,
       et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui.
18   Tu ne te vengeras pas.
       Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple.
       Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
       Je suis le SEIGNEUR. »
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          Être « comme des dieux » : on en a tous rêvé un jour ou l’autre... et le livre de la Genèse, racontant la faute d’Adam et Ève, dit que c’est bien là notre problème ! « Vous serez comme des dieux » avait promis le serpent, avait menti le serpent, devrait-on dire, et cette prétention les a perdus.

          Mais voilà que c’est Dieu lui-même qui nous dit : « Soyez saints COMME moi »... « Soyez saints, car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint ». C’est un ordre, mieux, c’est un appel, c’est notre vocation. Donc, nous ne nous trompons pas quand nous rêvons d’être comme des dieux ! C’est le psaume 8 qui dit : « Tu as voulu l’homme à peine moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ». Seulement voilà : pour ressembler vraiment à Dieu, encore faudrait-il avoir une juste idée de Dieu. 

          Les premiers chapitres de la Bible disaient déjà que l’homme est fait pour ressembler à Dieu. Encore faut-il savoir en quoi consiste la ressemblance : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! » (Gn 1,26). La formule « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il soumette... » donne à penser que cette ressemblance serait de l’ordre de la royauté, de la soumission... Réellement, l’homme est créé pour être le roi de la création. Mais, le vocabulaire employé par l’auteur suggère que la royauté à laquelle l’homme est appelé est une autorité d’amour et non une domination.

          Un peu plus loin, le même livre de la Genèse emploie de nouveau deux fois la même formule : une fois à l’identique : « Le jour où Dieu créa l’homme, il le fit à la ressemblance de Dieu », mais la seconde fois il s’agit des enfants d’Adam : « Adam engendra un fils à sa ressemblance et à son image » : cette fois on a bien l’impression que les mots image et ressemblance ont le sens qu’on leur donne d’habitude quand on dit qu’un fils ressemble à son père. « Tel père tel fils », dit-on. 

          Enfin, cette phrase que nous connaissons bien, « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa » (Gn 1, 27), nous dit que le couple créé pour l’amour et pour le dialogue est l’image du Dieu d’amour.

          Il a fallu des siècles pour que le peuple comprenne que les mots « sainteté »  et « amour » sont synonymes. « Saint », on s’en souvient, c’est le mot de la vocation d’Isaïe : au chapitre 6, il nous raconte la vision dont il a bénéficié ; comment, alors qu’il était dans le temple de Jérusalem, ébloui, il entendait les chérubins répéter « Saint, Saint, Saint est le SEIGNEUR de l’univers ». Ce mot « saint » signifie que Dieu est le Tout-Autre, qu’un abîme nous sépare de lui. En même temps Isaïe a eu une révélation : cet abîme, c’est Dieu lui-même qui le franchit : et donc, quand il nous invite à lui ressembler, c’est que nous en sommes capables... grâce à lui, bien sûr, ou dans sa grâce, si vous préférez.

          Les deux derniers versets du passage d’aujourd’hui ne sont que l’application de cette phrase « Soyez saints comme je suis saint, moi le SEIGNEUR votre Dieu ». Concrètement, cela veut dire « Tu n’auras aucune pensée de haine... Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune. Tu aimeras... » C’est cela être à la ressemblance de Dieu : Lui ne connaît ni haine, ni vengeance, ni rancune. C’est justement parce qu’il n’est qu’amour qu’il est le Tout-Autre. Et c’est seulement petit à petit que les prophètes comprendront eux-mêmes et feront comprendre au peuple que ressembler au Dieu saint, c’est tout simplement développer ses capacités d’amour.

          Cela ne veut pas dire qu’on perd toute capacité de jugement sur ce qui est bon ou mauvais : « Tu n’auras aucune pensée de haine, mais tu n’hésiteras pas à faire des réprimandes... » : réprimander à bon escient, voilà un art bien difficile ! Et pourtant cela aussi, c’est de l’amour. Parmi nous, les parents ou les éducateurs le savent bien : c’est vouloir le bien de l’autre, c’est parfois arrêter l’autre au bord du gouffre. La critique positive par amour fait grandir.

          Mais Dieu est patient envers nous : ce n’est pas en un jour que notre attitude peut devenir semblable à la sienne ! Si j’en crois les nouvelles qui nous parviennent tous les jours, il faudra encore beaucoup de temps ! Et Dieu déploie avec son peuple une pédagogie très progressive : quand ce texte est écrit, il ne parle pas encore d’amour universel, il se contente de dire : « Tu n’auras aucune pensée de haine contre ton frère », « Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple »... « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

          C’est déjà une première étape dans la pédagogie biblique... Des siècles plus tard, Jésus, dans la parabole du Bon Samaritain (Lc 10,29-37), élargira à l’infini le cercle du prochain.

          Voilà donc la royauté à laquelle nous sommes invités : quand nous rêvons d’être comme des dieux, nous pensons spontanément domination, puissance, et surtout la puissance nécessaire pour vaincre la maladie et la mort. Tandis que quand Dieu nous invite à lui ressembler, il nous appelle à la sainteté, à sa sainteté qui n’a rien à voir avec une quelconque domination ! Une sainteté qui n’est qu’amour et douceur. Cela nous paraît bien difficile ; mais là encore, peut-être sommes-nous trop souvent des « hommes de peu de foi ».

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PSAUME  102 (103 ), 1-2, 3-4, 8-10, 12-13

 

1     Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
       bénis son nom très saint, tout mon être !
2     Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
       n'oublie aucun de ses bienfaits !

3     Car il pardonne toutes tes offenses
       et te guérit de toute maladie ;
4     il réclame ta vie à la tombe
       et te couronne d'amour et de tendresse ;

8     Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
       lent à la colère et plein d'amour ;
10   il n'agit pas envers nous selon nos fautes,
       ne nous rend pas selon nos offenses.

12   aussi loin qu'est l'orient de l'occident,
       il met loin de nous nos péchés ;
13   comme la tendresse du père pour ses fils,
       la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint !
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            La liturgie de ce dimanche ne nous propose que huit versets d'un psaume qui en comporte vingt-deux ! Or l'alphabet hébreu comporte vingt-deux lettres donc on dit de ce psaume qu’il est « alphabétisant » ; et quand un psaume est alphabétisant, on sait d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance. Et effectivement, André Chouraqui disait que ce psaume est le « Te Deum » de la Bible, un chant de reconnaissance pour toutes les bénédictions dont le compositeur (entendez) le peuple d’Israël a été comblé par Dieu.

          Deuxième caractéristique de ce psaume, le « parallélisme » : chaque verset  se compose de deux lignes qui se répondent comme en écho ; l’idéal pour  le chanter  serait d’alterner ligne par ligne ; il a peut-être, d’ailleurs, été composé pour être chanté par deux chœurs alternés. Ce parallélisme, ce « balancement » est très fréquent dans la Bible, dans les textes poétiques, mais aussi dans de nombreux passages en prose ; procédé de répétition utile à la mémoire, bien sûr, dans une civilisation orale, mais surtout très suggestif ; si on soigne la lecture en faisant ressortir le face à face des deux lignes à l’intérieur de chaque verset, la poésie prend un relief extraordinaire.         

          D’autre part, cette répétition d’une même idée, successivement sous deux formes différentes, permet évidemment de préciser la pensée, et donc pour nous de mieux comprendre certains termes bibliques. Par exemple, le premier verset nous propose deux parallèles intéressants : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être ».

          Premier parallèle : « Bénis le SEIGNEUR »... « Bénis son Nom très saint » : la deuxième fois, au lieu de dire « le SEIGNEUR », on dit « le NOM » : une fois de plus, nous voyons que le NOM, dans la Bible, c’est la personne. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les Juifs ne s’autorisent jamais à prononcer le NOM de Dieu.1

          Deuxième parallèle dans ce premier verset : « Ô mon âme… tout mon être » : on voit bien que le mot âme n’a pas ici le sens que nous lui donnons spontanément. À la suite des penseurs grecs, nous avons tendance à nous représenter l’homme comme l’addition de deux composants différents, étrangers l’un à l’autre, l’âme et le corps. Mais les progrès des sciences humaines, au cours des siècles, ont confirmé que ce dualisme ne rendait pas compte de la réalité. Or, déjà, la mentalité biblique, avait une conception beaucoup plus unifiée et, dans l’Ancien Testament, quand on dit « l’âme », il s’agit de l’être tout entier. «  Bénis le Seigneur, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être ».

          Un autre exemple de parallélisme, un peu plus loin dans ce psaume nous permet de mieux comprendre une expression un peu difficile pour nous, la « crainte de Dieu » : nous rencontrons assez souvent ce mot de « crainte » dans la Bible et il ne nous est pas forcément très sympathique a priori. Or nous le trouvons ici dans un parallèle très intéressant : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint » : ce qui veut bien dire que la crainte de Dieu est tout sauf de la peur, elle est une attitude filiale.

          Je parle souvent de la pédagogie de Dieu à l’égard de son peuple : eh bien, là aussi, la pédagogie de Dieu s’est déployée lentement, patiemment, pour convertir la peur spontanée de l’homme envers Dieu en esprit filial ; je veux dire par là que, mis en présence de Dieu, du sacré, l’homme éprouve spontanément de la peur ; et il faut toute une conversion des croyants pour que, sans rien perdre de notre respect pour Celui qui est le Tout-Autre, nous apprenions à son égard une attitude filiale. La crainte de Dieu, au sens biblique, c’est vraiment la peur convertie en esprit filial : cette pédagogie n’est pas encore terminée, bien sûr ; notre attitude devant Dieu, notre relation à lui a sans cesse encore besoin d’être convertie. C’est peut-être cela « redevenir comme des petits enfants »... des petits enfants qui savent que leur père n’est que tendresse. Cette « crainte » comporte donc à la fois tendresse en retour, reconnaissance et souci d’obéir au père parce que le fils sait bien que les commandements du père ne sont guidés que par l’amour : comme un petit s’éloigne du feu parce que son père le prévient qu’il risque de se brûler.

          Ce n’est donc pas un hasard si ce psaume qui parle de crainte de Dieu cite justement la fameuse phrase du livre de l’Exode (Ex 34,6) : « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour » ; cette phrase est très célèbre dans la Bible, car c’est la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse au Sinaï. Elle est très souvent citée, en particulier dans les psaumes ; elle est à la fois la définition de Dieu et, inséparablement, un rappel de l’Alliance. Tous les psaumes, et plus particulièrement les psaumes d’action de grâce sont, avant tout, émerveillement devant l’Alliance.

          Les versets retenus aujourd’hui insistent sur une des manifestations de cette tendresse de Dieu, le pardon. Un Dieu lent à la colère, Israël l’a expérimenté tout au long de son histoire : depuis la traversée du Sinaï, dont Moïse a pu dire au peuple « Depuis que je vous connais, vous n’avez jamais cessé de vous révolter contre Dieu » (Dt 9, 7), la longue histoire de l’Alliance a été le théâtre du pardon de Dieu accordé à chaque régression de son peuple. « Dieu pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés... »

          La vraie tendresse, celle dont nous avons besoin pour repartir, c’est celle justement qui oublie nos péchés, nos abandons ; Jésus ne fera que la mettre en images dans la parabole du père et de l’enfant prodigue.

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Note

1 - Le NOM : les fameuses quatre lettres, YHVH, (le « tétragramme »). Le prononcer, ce serait prétendre connaître Dieu. Seul, le grand-prêtre, une fois par an, au jour du Kippour, prononçait le NOM très saint, dans le Temple de Jérusalem. Encore aujourd’hui, les Bibles écrites en hébreu ne transcrivent pas les voyelles qui permettraient de prononcer le NOM. Il est donc transcrit uniquement avec les quatre consonnes YHVH. Et quand le lecteur voit ce mot, aussitôt il le remplace par un autre (Adonaï) qui signifie « le Seigneur » mais qui ne prétend pas définir Dieu.

Depuis le Synode des Évêques sur la Parole de Dieu, en octobre 2008, il est demandé à tous les catholiques de ne plus prononcer le NOM de Dieu (que nous disions Yahvé), et de le remplacer systématiquement par « SEIGNEUR » et ce pour plusieurs raisons :

          - Tout d’abord, personne ne sait dire quelles voyelles portaient les consonnes du NOM de Dieu, YHVH. La forme « Yahvé » est certainement erronée.

          - Ensuite, c’est une marque de respect pour nos frères juifs qui s’interdisent, eux, de prononcer le            Nom divin.

          - Enfin, et surtout, il nous est bon d’apprendre à respecter la transcendance de Dieu.

          - Une quatrième raison nous vient de notre propre tradition chrétienne : les premiers traducteurs de           l’Ancien Testament en latin, et, en particulier saint Jérôme, ont traduit le Tétragramme par            « Dominus », c’est-à-dire « SEIGNEUR »

Complément

« Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés » : dans la liturgie du baptême des premiers siècles, les baptisés se tournaient vers l’Occident pour renoncer au mal, puis faisaient demi-tour sur place et se tournaient vers l’Orient pour prononcer leur profession de foi avant d’entrer dans le baptistère.

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS  3, 16 -23

 

       Frères,
16   ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu,
       et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?
17   Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu,
       cet homme, Dieu le détruira,
       car le sanctuaire de Dieu est saint,
       et ce sanctuaire, c’est vous.
18   Que personne ne s’y trompe :
       si quelqu’un parmi vous
       pense être un sage à la manière d’ici-bas,
       qu’il devienne fou pour devenir sage.
19   Car la sagesse de ce monde
       est folie devant Dieu.
       Il est écrit en effet :
       C’est lui qui prend les sages au piège de leur propre habileté.
20   Il est écrit encore :

       Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur !
21   Ainsi, il ne faut pas mettre sa fierté

       en tel ou tel homme.
       Car tout vous appartient,
22   que ce soit Paul, Apollos, Pierre,
       le monde, la vie, la mort,
       le présent, l’avenir :
       tout est à vous,
23   mais vous, vous êtes au Christ,
       et le Christ est à Dieu.
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          Si vous êtes déjà allés au Petit Trianon, à Versailles, vous connaissez le hameau de Marie-Antoinette et le Temple de l’Amour : eh bien, si j’en crois saint Paul, chacun de nous est un temple de l’amour... « N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ». Or Dieu est Amour et l’Esprit est l’Esprit d’Amour. Donc nous sommes, chacun de nous, et l’Église tout entière, le Temple de l’Amour. Malheureusement, pour être honnêtes, nous devons reconnaître que ce n’est pas encore vraiment la réalité, et que nous faisons mentir saint Paul tous les jours ! Il le sait bien, mais justement, il nous rappelle notre vocation et s’il dit « N’oubliez pas », c’est parce que les Corinthiens, tout comme nous, avaient parfois tendance à l’oublier.

          Je remarque au passage cette expression « N’oubliez pas » : dans la Bible, dès l’Ancien Testament, elle signale toujours quelque chose de fondamental, de vital : « Garde-toi bien d’oublier » répète souvent le livre du Deutéronome. La foi, c’est la mémoire de l’œuvre de Dieu : si le peuple d’Israël oublie son Dieu, il se perdra à la suite de fausses idoles : « Garde-toi bien d’oublier les choses que tu as vues de tes yeux ; tous les jours de ta vie, qu’elles ne sortent pas de ton cœur » (Dt 4,9) ; « Gardez-vous bien d’oublier l’Alliance que le Seigneur votre Dieu a conclue avec vous et de vous faire une idole... » (Dt 4,23). Toujours, quand la Bible dit « N’oublie pas », c’est pour mettre en garde contre ce qui serait une fausse piste, un chemin de mort. La mémoire, c’est la sécurité du croyant.

          Pourquoi est-ce si important de ne pas oublier que nous sommes appelés à être des temples de l’amour ? Parce que le projet de Dieu, son projet d’amour ne peut se réaliser qu’avec nous. Nous n’avons pas d’autre raison d’être. Cela peut paraître prétentieux d’oser dire une chose pareille, mais pourtant c’est vrai. Quand Jésus dit à ses apôtres : « Donnez-leur vous-mêmes à manger », c’est bien cela qu’il veut dire ! Nous sommes les temples de l’amour construits sur toute la surface de la terre, pour que l’amour de Dieu soit manifesté partout.

          Cela me fait penser qu’au hameau de Marie-Antoinette, ce temple de l’amour n’est pas refermé sur lui-même, il est au contraire complètement ouvert sur l’extérieur, simplement soutenu par des colonnes ; évidemment ce serait un non-sens de s’appeler temple de l’amour et d’être replié sur soi-même ! On peut certainement en dire autant de chacun de nous et de l’Église tout entière. Une fois encore, chez saint Paul, je retrouve un écho de la prédication des prophètes : leur grande insistance toujours sur l’amour des autres... Un amour en actes et pas seulement en paroles, bien sûr.

          Il serait intéressant également de se demander, chacun pour soi, et aussi en Église, quelles sont les colonnes qui soutiennent le temple que nous sommes. Certainement pas la raison raisonnante, d’après saint Paul ! « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu (nous dit-il)... Le Seigneur connaît les raisonnements des sages, ce n’est que du vent ! » 

          En revanche, ceux qui nous ont transmis la foi, sont bien des colonnes ; Paul, Apollos ou Pierre pour les Corinthiens, d’autres pour nous. Ils ne sont pas le centre pour autant : dès le début de sa lettre, Paul avait très fermement remis les choses en place : l’apôtre, si grand soit-il, n’est qu’un jardinier ; quand nous applaudissons le prédicateur qui nous a fait vibrer et parfois même nous a converti, les applaudissements ne vont pas à lui mais à Celui seul qui connaît le fond de notre cœur. Reste que ceux à qui nous devons la foi, nos parents, nos proches ou une communauté, demeurent pour nous des appuis dont nous ne pouvons pas nous passer ; on n’est pas chrétien tout seul.

          Les véritables  apôtres sont ceux qui ne nous retiennent pas, ne nous captent pas, mais nous guident vers Jésus-Christ. « Tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu ». On a bien là l’image d’une construction ; et il me semble que, là encore et toujours, Paul annonce le dessein bienveillant de Dieu : nous sommes au Christ, c’est-à-dire nous lui appartenons, nous sommes greffés sur lui et lui est à Dieu. Tout est repris dans ce grand dessein : « le monde et la vie et la mort, le présent et l’avenir »... Dans la lettre aux Éphésiens, Paul dit : le grand projet de Dieu c’est de réunir l’univers entier, tout ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre en Jésus-Christ.

          Nous sommes bien loin de nos raisonnements humains ! Et pourtant Paul nous dit « c’est la seule sagesse » : « Que personne ne s’y trompe : si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour devenir sage ». Nous retrouvons cette insistance de Paul sur l’abîme qui sépare la logique de Dieu de nos logiques humaines. « Vos pensées ne sont pas mes pensées, mes chemins ne sont pas vos chemins », comme dit Isaïe (Is 55,8).        

          Et l’abîme qui sépare nos pensées de celles de Dieu est tel que si nous nous laissons gagner par les raisonnements humains, cela risque de nous ébranler et de détruire le temple que nous sommes ; rappelez-vous la phrase de tout à l’heure : « Le Seigneur connaît les raisonnements des sages, ce n’est que du vent ! » Du vent, non seulement cela ne fait pas une colonne solide, mais même, s’il se transforme en bourrasque, il peut déraciner des colonnes pourtant stables.

          En relisant encore une fois ce texte, on comprend pourquoi la liturgie prévoit l’encensement des fidèles à la messe. Chaque fois qu’on nous encense, nous les baptisés, c’est pour nous dire : « N’oubliez pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ».

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  5,38-48

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à ses disciples :
38   « Vous avez appris qu’il a été dit :
       Œil pour œil, et dent pour dent.
39   Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ;

       mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite,
       tends-lui encore l’autre.
40   Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice
       et prendre ta tunique,
       laisse-lui encore ton manteau.
41   Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas,
       fais-en deux mille avec lui.
42   À qui te demande, donne ;
       à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
43   Vous avez appris qu’il a été dit :
       Tu aimeras ton prochain
       et tu haïras ton ennemi.

44   Eh bien ! moi, je vous dis :
       Aimez vos ennemis,
       et priez pour ceux qui vous persécutent,
45   afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ;
       car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons,
       il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
46   En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment,
       quelle récompense méritez-vous ?
       Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
47   Et si vous ne saluez que vos frères,
       que faites-vous d’extraordinaire ?
       Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
48   Vous donc, vous serez parfaits
       comme votre Père céleste est parfait. »
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          Une précision de vocabulaire pour commencer : Jésus dit : « Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. » En réalité, vous ne trouverez nulle part dans l’Ancien Testament le commandement de haïr nos ennemis et Jésus le sait mieux que nous. Mais c’est une manière de parler en araméen ; cela veut dire : commence déjà par aimer ton prochain. L’ambition reste modeste, mais c’est un premier pas. Dans le texte d’aujourd’hui, justement, il nous invite à franchir une deuxième étape. L’amour du prochain doit être acquis, il invite à aimer désormais également nos ennemis.

          Une autre maxime nous choque dans l’évangile d’aujourd’hui : Jésus dit : « Vous avez appris qu’il a été dit  ‘Œil pour œil, dent pour dent’ » (ce que nous appelons la loi du talion) : effectivement, cette maxime est dans l’Ancien Testament (qui ne l’a pas inventée, d’ailleurs : on la trouvait déjà dans le code d’Hammourabi en 1750 av. J.-C. en Mésopotamie) ; elle nous paraît cruelle ; mais il ne faut pas oublier dans quel contexte elle est née : elle représentait alors un progrès considérable ! Rappelez-vous d’où on venait : Caïn, qui se vengeait sept fois et, cinq générations plus tard, son descendant Lamek se faisait une gloire de se venger soixante dix-sept fois ; vous  connaissez la chanson de Lamek à ses deux femmes, Ada et Cilla : « Ada et Cilla, écoutez ma voix ! Femmes de Lamek, tendez l’oreille à mon dire ! Oui, j’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Oui, Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek soixante dix-sept fois ».

          En Israël, la loi du talion apparaît dans le livre de l’Exode pour imposer une réglementation de la vengeance : désormais le châtiment est limité, il doit rester proportionnel à l’offense. « Si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. » (Ex 21,23-25). C’est déjà un progrès, ce ne sont plus la haine et l’instinct seuls qui déterminent la hauteur de la vengeance, c’est un principe juridique qui s’impose à la volonté individuelle. Ce ne sont plus sept vies pour une vie ou soixante dix-sept vies pour une vie.  La pédagogie de Dieu est à l’œuvre pour libérer l’humanité de la haine ; évidemment, pour ressembler vraiment à Dieu, il y a encore du chemin à faire, mais c’est déjà une étape. Jésus, dans le sermon sur la montagne, propose de franchir la dernière étape : ressembler à notre Père des cieux, c’est s’interdire toute riposte, toute gifle, c’est tendre l’autre joue. « Vous avez appris qu’il a été dit ‘Œil pour œil, dent pour dent’, eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant, mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre ». Pourquoi s’interdire désormais toute vengeance, toute haine ? Simplement pour devenir vraiment ce que nous sommes : les fils de notre Père qui est dans les cieux.

          Car, en fait, si on y regarde bien, ce texte est une leçon sur Dieu avant d’être une leçon pour nous : Jésus nous révèle qui est vraiment Dieu ; l’Ancien Testament avait déjà dit que Dieu est Père, qu’il est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour (Ex 34,6) et que nos larmes coulent sur sa joue, car il est tout proche ; cette dernière phrase est de Ben Sirac, vous vous souvenez (Si 35,18). Tout cela, l’Ancien Testament l’avait déjà dit ; mais nous avons la tête dure... et grand mal à croire à un Dieu qui ne soit qu’amour. Jésus le redit de manière imagée : « Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » Cette image, bien sûr, était plus parlante du temps de Jésus, dans une civilisation agraire où soleil et pluie sont tous deux accueillis comme des bénédictions. Mais l’image reste belle et, si je comprends bien, ce n’est pas une leçon de morale qui nous est donnée là : c’est beaucoup plus profond que cela. Dieu nous charge d’une mission, celle d’être ses reflets dans le monde : « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

          Soyons francs, croire que Dieu est amour n’est pas un chemin de facilité : cela va devenir au jour le jour extrêmement exigeant pour nous dans le registre du don et du pardon !

          « Donne à qui te demande, ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter » : jusque-là, l’Ancien Testament avait cherché à développer l’amour du prochain, du frère de race et de religion, et même de l’immigré qui partageait le même toit. Cette fois Jésus abolit toutes les frontières : le sens de la phrase, c’est « Donne à quiconque te demande, ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter » (sous-entendu quel qu’il soit). Nous retrouverons cette exigence dans la parabole du Bon Samaritain (Lc 10,29-37).

          Tout cela nous paraît fou, déraisonnable, démesuré ; et pourtant c’est exactement comme cela que Dieu agit avec chacun de nous chaque jour, comme il n’a pas cessé de le faire pour son peuple.

        Cela nous renvoie à tout ce que nous avons lu ces derniers dimanches dans la première lettre aux Corinthiens : Paul opposait nos raisonnements humains à la sagesse de Dieu : la raison raisonnante (et quelques amis bien intentionnés) nous poussent à ne pas nous « faire avoir » comme on dit. Jésus est dans une tout autre logique, celle de l’Esprit d’amour et de douceur. Elle seule peut hâter la venue du Royaume... à condition que nous n’oubliions pas ce que nous sommes : comme le dit Paul « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 02 23, 7e dimanche du temps ordinaire A

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10 février 2020 1 10 /02 /février /2020 10:33

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

  •  des explications historiques ou géographiques ;
  • le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "rédempteur", "heureux", "loi", "juger", décrets" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 15 février 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE BEN SIRA LE SAGE   15, 15-20

 

15   Si tu le veux, tu peux observer les commandements,
       il dépend de ton choix de rester fidèle.
16   Le Seigneur a mis devant toi l'eau et le feu :
       étends la main vers ce que tu préfères.
17   La vie et la mort sont proposées aux hommes,
       l'une ou l'autre leur est donnée selon leur choix.
18   Car la sagesse du Seigneur est grande,
       fort est son pouvoir, et il voit tout.
19   Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent,
       il connaît toutes les actions des hommes.
20   Il n'a commandé à personne d'être impie,
       il n'a donné à personne la permission de pécher.
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            Ben Sira le Sage nous propose ici une réflexion sur la liberté de l’homme ; elle tient en trois points : premièrement, le mal est extérieur à l’homme ; deuxièmement l’homme est libre, libre de choisir de faire le mal ou le bien ; troisièmement, choisir le bien, c’est aussi choisir le bonheur.

            Premièrement, le mal est extérieur à l’homme ; cela revient à dire que le mal ne fait pas partie de notre nature, ce qui est déjà une grande nouvelle ; car si le mal faisait partie de notre nature, il n’y aurait aucun espoir de salut, nous ne pourrions jamais nous en débarrasser. C’était la conception des Babyloniens par exemple ; au contraire la Bible est beaucoup plus optimiste, elle affirme que le mal est extérieur à l’homme ; Dieu n’a pas fait le mal et ce n’est pas lui qui nous y pousse. Il n’est donc pas responsable du mal que nous commettons ; c’est le sens du dernier verset que nous venons d’entendre : « Dieu n’a commandé à personne d’être impie, il n’a permis à personne de pécher ». Et quelques versets avant ceux d’aujourd’hui, Ben Sira écrit : « Ne dis pas, c’est à cause du Seigneur que je me suis écarté... Ne dis pas le Seigneur m’a égaré ».

            Si Dieu avait fait d’Adam un être mélangé, en partie bon en partie mauvais, comme l’imaginaient les Babyloniens, le mal ferait partie de notre nature. Mais Dieu n’est qu’amour, et le mal lui est totalement étranger. Et le récit de la chute d’Adam et Ève, au livre de la Genèse, a été écrit justement pour faire comprendre que le mal est extérieur à l’homme puisqu’il est introduit par le serpent ; et il se répand dans le monde à partir du moment où l’homme a commencé à se méfier de Dieu.

            On retrouve la même affirmation dans la lettre de saint Jacques : « Que nul, quand il est tenté, ne dise ‘Ma tentation vient de Dieu’. Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et il ne tente personne. » Autrement dit, le mal est totalement étranger à Dieu, il ne peut pousser à le commettre. Et saint Jacques continue : « Chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l’entraîne et le séduit. » (Jc 1,13-17).

            Deuxième affirmation de ce texte : l’homme est libre, libre de choisir le mal ou le bien : cette certitude n’a été acquise que lentement par le peuple d’Israël, et pourtant, là encore, la Bible est formelle. Dieu a fait l’homme libre. Pour que cette certitude se développe en Israël, il a fallu que le peuple expérimente l’action libératrice de Dieu à chaque étape de son histoire, à commencer par l’expérience de la libération d’Égypte. Toute la foi d’Israël est née de son expérience historique : Dieu est son libérateur ; et petit à petit on a compris que ce qui est vrai aujourd’hui l’était déjà lors de la création, donc on en a déduit que Dieu a créé l’homme libre.

            Et il faudra bien que nous apprenions à concilier ces deux certitudes bibliques : à savoir que Dieu est tout-puissant et que, pourtant, face à lui l’homme est libre. Et c’est parce que l’homme est libre de choisir, qu’on peut parler de péché : la notion même de péché suppose la liberté ; si nous n’étions pas libres, nos erreurs ne pourraient pas s’appeler des péchés.

            Peut-être, pour pénétrer un peu dans ce mystère, faut-il nous rappeler que la toute-puissance de Dieu est celle de l’amour : nous le savons bien, seul l’amour vrai veut l’autre libre.

          Pour guider l’homme dans ses choix, Dieu lui a donné sa Loi ; cela devrait donc être simple. Et le livre du Deutéronome y insiste : « Oui, ce commandement que je te donne aujourd’hui n’est pas trop difficile pour toi, il n’est pas hors d’atteinte. Il n’est pas au ciel : on dirait alors ‘Qui va, pour nous, monter au ciel nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ?’ Il n’est pas non plus au-delà des mers ; on dirait alors : ‘Qui va, pour nous, passer outre-mer nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ?’ Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, pour que tu la mettes en pratique. » (Dt 30,11-14).

          Troisième affirmation de Ben Sira aujourd’hui : choisir le bien, c’est choisir le bonheur. Je reprends le texte : « La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix... Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu, étends la main vers ce que tu préfères ». Pour le dire autrement, c’est dans la fidélité à Dieu que l’homme trouve le vrai bonheur. S’éloigner de lui, c’est, tôt ou tard, faire notre propre malheur. On dit de manière imagée que l’homme se trouve en permanence à un carrefour : deux chemins s’ouvrent devant lui (dans la Bible, on dit deux « voies »). Une voie mène à la lumière, à la joie, à la vie ; bienheureux ceux qui l’empruntent. L’autre est une voie de nuit, de ténèbres et, en définitive n’apporte que tristesse et mort. Bien malheureux sont ceux qui s’y fourvoient. Là encore on ne peut pas s’empêcher de penser au récit de la chute d’Adam et Ève. Leur mauvais choix les a entraînés sur la mauvaise voie.

          Ce thème des deux voies est très souvent développé dans la Bible : dans le livre du Deutéronome, particulièrement ; « Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le SEIGNEUR ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses Lois et ses coutumes... Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le SEIGNEUR ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui. » (Dt 30, 15...20).

           D’après le thème des deux voies, nous ne sommes jamais définitivement prisonniers, même après des mauvais choix, puisqu’il est toujours possible de rebrousser chemin. Par le Baptême, nous avons été greffés sur Jésus-Christ, qui, à chaque instant, nous donne la force de choisir à nouveau la bonne voie : c’est bien pour cela qu’on l’appelle le Rédempteur, ce qui veut dire le « Libérateur ». Ben Sira disait « Il dépend de ton choix de rester fidèle ». Baptisés, nous pouvons ajouter « avec la force de Jésus-Christ ».

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PSAUME  118 (119)

 

1     Heureux les hommes intègres dans leurs voies
       qui marchent suivant la Loi du SEIGNEUR !
2     Heureux ceux qui gardent ses exigences,
       ils le cherchent de tout cœur !

4     Toi, tu promulgues des préceptes
       à observer entièrement.
5     Puissent mes voies s'affermir
       à observer tes commandements !

17   Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
       j'observerai ta parole.
18   Ouvre mes yeux
       que je contemple les merveilles de ta Loi.

33   Enseigne-moi, SEIGNEUR, le chemin de tes ordres :
       à les garder, j'aurai ma récompense.
34   Montre-moi comment garder ta Loi,
       que je l'observe de tout cœur.
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               Ce psaume fait parfaitement écho à la première lecture tirée de Ben Sira : c’est la même méditation qui continue ; l’idée qui est développée (de façon différente, bien sûr, mais très cohérente), dans ces deux textes, c’est que l’humanité ne trouve son bonheur que dans la confiance en Dieu et l’obéissance à ses commandements. Le malheur et la mort commencent pour l’homme dès qu’il s’écarte de la voie de la confiance tranquille. Laisser entrer en nous le soupçon sur Dieu et sur ses commandements et du coup n’en faire qu’à sa tête, si j’ose dire, c’est s’engager sur un mauvais chemin, une voie sans issue. C’est tout le problème d’Adam et Ève dans le récit de la chute au Paradis terrestre.

               Et nous retrouvons bien ici en filigrane le thème des deux voies dont nous avions parlé au sujet de la première lecture : si on en croit Ben Sira, nous sommes de perpétuels voyageurs obligés de vérifier notre chemin... Bienheureux parmi nous ceux qui ont trouvé la bonne route ! Car des deux voies, des deux routes qui s’ouvrent en permanence devant nous, l’une mène au bonheur, l’autre mène au malheur.

               Et le bonheur, d’après ce psaume, c’est tout simple ; la bonne route, pour un croyant, c’est tout simplement de suivre la Loi de Dieu : « Heureux les hommes intègres en leurs voies qui marchent suivant la Loi du SEIGNEUR ! » Le croyant connaît la douceur de vivre dans la fidélité aux commandements de Dieu, voilà ce que veut nous dire ce psaume.

               Il est le plus long du psautier et les quelques versets retenus aujourd’hui, n’en sont qu’une toute petite partie, l’équivalent d’une seule strophe. En réalité, il comporte cent soixante-seize versets, c’est-à-dire vingt-deux strophes de huit versets. Vingt-deux... huit... ces chiffres ne sont pas dus au hasard.

               Pourquoi vingt-deux strophes ? Parce qu’il y a vingt-deux lettres dans l’alphabet hébreu : chaque verset de chaque strophe commence par une même lettre et les strophes se suivent dans l’ordre de l’alphabet : en littérature, on parle « d’acrostiche », mais ici, il ne s’agit pas d’une prouesse littéraire, d’une performance ! Il s’agit d’une véritable profession de foi : ce psaume est un poème en l’honneur de la Loi, une méditation sur ce don de Dieu qu’est la Loi, les commandements, si vous préférez. D’ailleurs, plus que de psaume, on ferait mieux de parler de litanie ! Une litanie en l’honneur de la Loi ! Voilà qui nous est passablement étranger.

            Car une des caractéristiques de la Bible, un peu étonnante pour nous, c’est le réel amour de la Loi qui habite le croyant biblique. Les commandements ne sont pas subis comme une domination que Dieu exercerait sur nous, mais comme des conseils, les seuls conseils valables pour mener une vie heureuse.1 « Heureux les hommes intègres en leurs voies qui marchent suivant la Loi du SEIGNEUR ! » Quand l’homme biblique dit cette phrase, il la pense de tout son cœur.

            Ce n’est pas magique, évidemment : des hommes fidèles à la Loi peuvent rencontrer toute sorte de malheurs au cours de leur vie, mais, dans ces cas tragiques, le croyant sait que, seul le chemin de la confiance en Dieu peut lui donner la paix de l’âme.

            Et, non seulement la Loi n’est pas subie comme une domination, mais elle est reçue comme un cadeau que Dieu fait à son peuple, le mettant en garde contre toutes les fausses routes ; elle est l’expression de la sollicitude du Père pour ses enfants ; tout comme nous, parfois, nous mettons en garde un enfant, un ami contre ce qui nous paraît être dangereux pour lui. On dit que Dieu « donne » sa Loi et elle est bien considérée comme un « cadeau ». Car Dieu ne s’est pas contenté de libérer son peuple de la servitude en Égypte ; laissé à lui-même, Israël risquait de retomber dans d’autres esclavages pires encore, peut-être. En donnant sa Loi, Dieu donnait en quelque sorte le mode d’emploi de la liberté. La Loi est donc l’expression de l’amour de Dieu pour son peuple.

            Il faut dire qu’on n’a pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Amour et que finalement la Loi n’a pas d’autre but que de nous mener sur le chemin de l’amour. Toute la Bible est l’histoire de l’apprentissage du peuple élu à l’école de l’amour et de la vie fraternelle. Le livre du Deutéronome disait : « Écoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN ; tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force ». (Dt 6,4). Et le livre du Lévitique enchaînait : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18). Et, un peu plus tard, Jésus rapprochant ces deux commandements, a pu dire qu’ils étaient le résumé de la Loi juive.

            Je reviens à cette curieuse « Béatitude » du premier verset de ce psaume : « Heureux l’homme qui suit la Loi du SEIGNEUR » : le mot « heureux », nous avons déjà appris à le traduire par l’expression « En marche » ; on pourrait par exemple traduire ce premier verset : « Marche avec confiance, toi, l’homme qui observes la Loi du SEIGNEUR ». Et l’homme biblique est tellement persuadé qu’il y va de sa vie et de son bonheur que cette litanie dont je parlais tout à l’heure est en fait une prière. Après les trois premiers versets qui sont des affirmations sur le bonheur des hommes fidèles à la Loi, les cent soixante-treize autres versets s’adressent directement à Dieu dans un style tantôt contemplatif, tantôt suppliant du genre : « Ouvre mes yeux, que je contemple les merveilles de ta Loi. » Et la litanie continue, répétant sans arrêt les mêmes formules ou presque : par exemple, en hébreu, dans chaque strophe, reviennent huit mots toujours les mêmes pour décrire la Loi. Seuls les amoureux osent ainsi se répéter sans risquer de se lasser.

            Huit mots toujours les mêmes et aussi huit versets dans chacune des vingt-deux strophes : le chiffre huit, dans la Bible, est le chiffre de la nouvelle Création2 : la première Création a été faite par Dieu en sept jours, donc le huitième jour sera celui de la Création renouvelée, des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle », selon une autre expression biblique. Celle-ci pourra surgir enfin quand toute l’humanité vivra selon la Loi de Dieu, c’est-à-dire dans l’amour puisque c’est la même chose !

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Note

1 – En hébreu, le mot traduit ici par « enseigner » est de la même racine que le mot « Loi »

2 – Voici d’autres éléments de la symbolique du chiffre huit :

          - il y avait quatre couples humains (8 personnes) dans l’Arche de Noé

             - la Résurrection du Christ s’est produite le dimanche qui était à la fois le premier et le huitième                         jour de la semaine

   C’est pour cette raison que les baptistères des premiers siècles étaient souvent octogonaux ; encore aujourd’hui nos rencontrons de nombreux clochers octogonaux.

Complément

- Voici les huit mots du vocabulaire de la Loi ; ils sont considérés comme synonymes : commandements, Loi, Promesse, Parole, Jugements, Décrets, Préceptes, Témoignages. Ils disent les facettes de l’amour de Dieu qui se donne dans sa Loi                             

   « commandements » : ordonner, commander                      

   « Loi » : vient d’une racine qui ne veut pas dire « prescrire », mais « enseigner » : elle enseigne la voie pour aller à Dieu. C’est une pédagogie, un accompagnement que Dieu nous propose, c’est un cadeau.         

   « Parole » : la Parole de Dieu est toujours créatrice, parole d’amour : « Il dit et cela fut » (Genèse 1).     Nous savons bien que « je t’aime » est une parole créatrice !                   

   « Promesse » : La Parole de Dieu est toujours promesse, fidélité               

   « Juger » : traiter avec justice           

   « Décrets » : du verbe « graver » : les paroles gravées dans la pierre (Tables de la Loi)    

   « Préceptes » : ce que tu nous as confié                   

   « Témoignages » : de la fidélité de Dieu.

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS  2,6-10

À cause du format plus réduit de l’émission sur KTO, J’ai été obligée de modifier sensiblement mon commentaire.

Ci-dessous, j’ai reproduit le nouveau commentaire (KTO) et laissé l’ancien commentaire à la suite

     

       Frères,
6     c’est bien de sagesse que nous parlons
       devant ceux qui sont adultes dans la foi,
       mais ce n’est pas la sagesse de ce monde,
       la sagesse de ceux qui dirigent ce monde
       et qui vont à leur destruction.
7     Au contraire, ce dont nous parlons,
       c’est de la sagesse du mystère de Dieu,
       sagesse tenue cachée,
       établie par lui dès avant les siècles,
       pour nous donner la gloire.
8     Aucun de ceux qui dirigent ce monde ne l’a connue,
       car, s’ils l’avaient connue,
       ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.
9     Mais ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture :
       « ce que l’œil n’a pas vu,
 ce que l’oreille n’a pas entendu,

       ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme,

       ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé. »
10   Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, en a fait la révélation.
       Car l’Esprit scrute le fond de toutes choses,
       même les profondeurs de Dieu.
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Dimanche dernier, la lettre de Paul opposait déjà sagesse humaine et sagesse de Dieu : « Votre foi, disait-il, ne repose pas sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Et il insistait pour dire que le mystère du Christ n’a rien à voir avec nos raisonnements humains : aux yeux des hommes, l’évangile ne peut que passer pour une folie : et sont considérés comme insensés ceux qui misent leur vie dessus. Soit dit en passant, cette insistance sur le mot « sagesse » nous surprend peut-être, mais Paul s’adresse aux Corinthiens, c’est-à-dire à des Grecs pour qui la sagesse est la vertu la plus précieuse.

Aujourd’hui, Paul poursuit dans la même ligne : oui, la proclamation du mystère de Dieu est peut-être une folie aux yeux du monde, mais il s’agit d’une sagesse combien plus haute, la sagesse de Dieu. « C’est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi mais ce n’est pas la sagesse de ce monde... Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu... »

À nous de choisir, donc : vivre notre vie selon la sagesse du monde, l’esprit du monde, ou selon la sagesse de Dieu. Les deux ont bien l’air totalement contradictoires ! Nous retrouvons là le thème des autres lectures de ce dimanche : la première lecture tirée du livre de Ben Sira et le psaume 118/119 développaient tous les deux, chacun à sa manière, ce qu’on appelle le thème des deux voies : l’homme est placé au carrefour de deux routes et il est libre de choisir son chemin ; une voie mène à la vie, à la lumière, au bonheur ; l’autre s’enfonce dans la nuit, la mort, et n’offre en définitive que de fausses joies.

« Sagesse tenue cachée » : une des grandes affirmations de la Bible est que l’homme ne peut pas tout comprendre du mystère de la vie et de la Création, et encore moins du mystère de Dieu lui-même. Cette limite fait partie de notre être même.

Voici ce que dit le livre du Deutéronome : « Au SEIGNEUR notre Dieu sont les choses cachées, et les choses révélées sont pour nous et nos fils à jamais, pour que soient mises en pratique toutes les paroles de cette Loi. » (Dt 29,28). Ce qui veut dire : Dieu connaît toutes choses, mais nous, nous ne connaissons que ce qu’il a bien voulu nous révéler, à commencer par la Loi qui est la clé de tout le reste.

Cela nous renvoie encore une fois au récit du paradis terrestre : le livre de la Genèse raconte que dans le jardin d’Éden, il y avait toute sorte d’arbres « d’aspect attrayant et bon à manger ; et il y avait aussi deux arbres particuliers : l’un, situé au milieu du jardin était l’arbre de vie ; et l’autre à un endroit non précisé s’appelait l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. Adam avait le droit de prendre du fruit de l’arbre de vie, c’était même recommandé puisque Dieu avait dit « Tu pourras manger de tout arbre du jardin... sauf un ». Seul le fruit de l’arbre de la connaissance était interdit. Manière imagée de dire que l’homme ne peut pas tout connaître et qu’il doit accepter cette limite : « Au SEIGNEUR notre Dieu (sous-entendu et à lui seul) sont les choses cachées » dit le Deutéronome. En revanche, la Torah, la Loi, qui est l’arbre de vie, est confiée à l’homme : pratiquer la Loi, c’est se nourrir jour après jour de ce qui nous fera vivre.

Je reviens sur cette formule : « Sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire ». Paul insiste plusieurs fois dans ses lettres sur le fait que le projet de Dieu est prévu de toute éternité : il n’y a pas eu de changement de programme, si j’ose dire. Parfois nous nous représentons le déroulement du projet de Dieu comme s’il avait dû changer d’avis en fonction de la conduite de l’humanité. Par exemple, nous imaginons que, dans un premier temps, acte 1 si vous voulez, Dieu a créé le monde et que tout était parfait jusqu’au jour où, acte 2, Adam a commis la faute : et alors pour réparer, acte 3, Dieu aurait imaginé d’envoyer son Fils. Contre cette conception, Paul développe dans plusieurs de ses lettres cette idée que le rôle de Jésus-Christ est prévu de toute éternité et que le dessein de Dieu précède toute l’histoire humaine.

Par exemple, je vous rappelle la très belle phrase de la lettre aux Éphésiens : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ. » (Ep 1,9-10). Ou bien, dans la lettre aux Romains, Paul dit « J’annonce l’évangile en prêchant Jésus-Christ, selon la Révélation d’un mystère gardé dans le silence durant des temps éternels, mais maintenant manifesté et porté à la connaissance de tous les peuples païens... » (Rm 16,25-26).

Et l’aboutissement de ce projet, si je reprends la phrase de Paul, c’est de « nous donner la gloire » : la gloire, normalement, c’est un attribut de Dieu et de lui seul.  Notre vocation ultime, c’est donc de participer à la gloire de Dieu. Cette expression est, pour Paul, une autre manière de nous dire le dessein bienveillant : le projet de Dieu, c’est de nous réunir tous ensemble en Jésus-Christ et de nous faire participer à la gloire de la Trinité.

Je continue le texte : « Ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture, ce que personne n’avait vu de ses yeux, ni entendu de ses oreilles, ce que le cœur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu ». L’expression « comme dit l’Écriture » renvoie à une phrase du prophète Isaïe : « Jamais on n’a entendu, jamais on n’a ouï-dire, jamais l’œil n’a vu qu’un dieu, toi excepté, ait agi pour qui comptait sur lui. » (Is 64, 3). Elle dit l’émerveillement du croyant biblique gratifié de la Révélation des mystères de Dieu.

Reste la fin de la phrase « Ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu » : y aurait-il des gens pour qui cela n’était pas préparé ? Y aurait-il donc des privilégiés et des exclus ? Bien sûr que non : le projet de Dieu, son dessein bienveillant est évidemment pour tous ; mais ne peuvent y participer que ceux qui ont le cœur ouvert. Et de notre cœur, nous sommes seuls maîtres. D’une certaine manière, c’est le saut dans la foi qui est dit là. Le mystère du dessein de Dieu ne s’ouvre que pour les petits. Comme le disait Jésus, « Dieu l’a caché aux sages et aux savants, et il l’a révélé aux tout-petits ». Nous voilà tout-à-fait rassurés : tout-petits, nous le sommes, il suffit de le reconnaître.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   5, 17-37

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à ses disciples
17   « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes :
       je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.
18   Amen, je vous le dis :
       Avant que le ciel et la terre disparaissent,
       pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi
       jusqu’à ce que tout se réalise.
19   Donc, celui qui rejettera
       un seul de ces plus petits commandements,
       et qui enseignera aux hommes à faire ainsi,
       sera déclaré le plus petit dans le royaume des Cieux.
       Mais celui qui les observera et les enseignera,
       celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux.
20   Je vous le dis en effet :
       Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens,
       vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux.
21   Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens :
       Tu ne commettras pas de meurtre,
       et si quelqu’un commet un meurtre,

       il devra passer en jugement.
22   Eh bien ! moi, je vous dis :
       Tout homme qui se met en colère contre son frère
       devra passer en jugement.
       Si quelqu’un insulte son frère,
       il devra passer devant le tribunal.
       Si quelqu’un le traite de fou,
       il sera passible de la géhenne de feu.
23   Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel,
       si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24   laisse ton offrande, là, devant l’autel,
       va d’abord te réconcilier avec ton frère,
       et ensuite viens présenter ton offrande.
25   Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire
       pendant que tu es en chemin avec lui,
       pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge,
       le juge au garde,
       et qu’on ne te jette en prison.
26   Amen, je te le dis :
       tu n’en sortiras pas
       avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou.
27   Vous avez appris qu’il a été dit :
       Tu ne commettras pas d’adultère.
28   Eh bien ! moi, je vous dis :

       Tout homme qui regarde une femme avec convoitise
       a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur.
29   Si ton œil droit entraîne ta chute,
       arrache-le et jette-le loin de toi,
       car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres
       que d’avoir ton corps tout entier jeté dans la géhenne.
30   Et si ta main droite entraîne ta chute,
       coupe-la et jette-la loin de toi,
       car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres
       que d’avoir ton corps tout entier qui s’en aille dans la géhenne.
31   Il a été dit également :
       Si quelqu’un renvoie sa femme,
       qu’il lui donne un acte de répudiation.

32   Eh bien ! moi, je vous dis :

       Tout homme qui renvoie sa femme,
       sauf en cas d’union illégitime,
       la pousse à l’adultère ;
       et si quelqu’un épouse une femme renvoyée,
       il est adultère.
33   Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens :
       Tu ne manqueras pas à tes serments,

       mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur.

34   Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout,

       ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu,
35   ni par la terre, car elle est son marchepied,
       ni par Jérusalem, car elle est la Ville du grand Roi.
36   Et ne jure pas non plus sur ta tête,
       parce que tu ne peux pas
       rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir.
37   Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’,
       ‘non’, si c’est ‘non’.
       Ce qui est en plus
       vient du Mauvais. »
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          Nous avons entendu là un des maîtres mots de saint Matthieu : le mot « accomplir ». Il vise ce grand projet que Paul appelle « le dessein bienveillant de Dieu » ; et si le mot est de saint Paul, l’idée remonte beaucoup plus loin que lui ; depuis Abraham, toute la Bible est tendue vers cet accomplissement. Le chrétien, normalement, n’est pas tourné vers le passé, c’est quelqu’un qui est tendu vers l’avenir. Et il juge toutes les choses de ce monde en fonction de l’avancement des travaux, entendez l’avancement du Royaume ». Quelqu’un disait : « La messe du dimanche, c’est la réunion du chantier du Royaume » : le lieu où on fait le point sur l’avancement de la construction.

          Et réellement, le Royaume avance, lentement mais sûrement : c’est le cœur de notre foi. Bien sûr, cela ne se juge pas sur quelques dizaines d’années : il faut regarder sur la longue durée ; Dieu a choisi un peuple comme tous les autres : il s’est peu à peu révélé à lui et après coup, on est bien obligé de reconnaître qu’un énorme chemin a été parcouru. Dans la découverte de Dieu, d’abord, mais aussi dans la relation aux autres hommes ; les idéaux de justice, de liberté, de fraternité remplacent peu à peu la loi du plus fort et l’instinct de vengeance.

            Ce lent travail de conversion du cœur de l’homme a été l’œuvre de la Loi donnée par Dieu à Moïse : les premiers commandements étaient de simples balises qui disaient le minimum vital en quelque sorte, pour que la vie en société soit simplement possible : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas tromper... Et puis, au long des siècles on avait affiné la Loi, on l’avait précisée, au fur et à mesure que les exigences morales progressaient.

          Jésus s’inscrit dans cette progression : il ne supprime pas les acquis précédents, il les affine encore : « On vous a dit... moi je vous dis... » Pas question de gommer les étapes précédentes, il s’agit d’en franchir une autre : « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ». Première étape, tu ne tueras pas, deuxième étape, tu t’interdiras même la colère et tu iras jusqu’au pardon. Dans un autre domaine, première étape, tu ne commettras pas l’adultère en acte, deuxième étape, tu t’interdiras même d’y penser, et tu éduqueras ton regard à la pureté. Enfin, en matière de promesses, première étape, pas de faux serments, deuxième étape, pas de serments du tout, que toute parole de ta bouche soit vraie.

            Aller plus loin, toujours plus loin dans l’amour, voilà la vraie sagesse ! Mais l’humanité a bien du mal à prendre ce chemin-là ! Pire encore, elle refuse bien souvent les valeurs de l’évangile et se croit sage en bâtissant sa vie sur de tout autres valeurs. Paul fustige souvent cette prétendue sagesse qui fait le malheur des hommes : « La sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent », lisions-nous dans la deuxième lecture.

            Dans chacun de ces domaines, Jésus nous invite à franchir une étape pour que le Royaume vienne. Curieusement, mais c’est bien conforme à toute la tradition biblique, ces commandements renouvelés de Jésus visent tous les relations avec les autres. Si on y réfléchit, ce n’est pas étonnant : si le dessein bienveillant de Dieu, comme dit saint Paul, c’est de nous réunir tous en Jésus-Christ, tout effort que nous tentons vers l’unité fraternelle contribue à l’accomplissement du projet de Dieu, c’est-à-dire à la venue de son Règne. Il ne suffit pas de dire « Que ton Règne vienne », Jésus vient de nous dire comment, petitement, mais sûrement, on peut y contribuer.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 02 16, 6e dimanche du temps ordinaire A

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2 février 2020 7 02 /02 /février /2020 22:16

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

  •  des explications historiques ou géographiques ;
  • le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "gloire (de Dieu)", "Alléluia", "heureux", "crainte (de Dieu)", "mystère (de Dieu)" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 8 février 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE   58,7-10

 

       Ainsi parle le SEIGNEUR :
7     Partage ton pain avec celui qui a faim,
       accueille chez toi les pauvres sans abri,
       couvre celui que tu verras sans vêtement,
       ne te dérobe pas à ton semblable.
8     Alors ta lumière jaillira comme l’aurore,
       et tes forces reviendront vite.
       Devant toi marchera ta justice,
       et la gloire du SEIGNEUR fermera la marche.
9     Alors, si tu appelles, le SEIGNEUR répondra ;
       si tu cries, il dira : « Me voici. »
       Si tu fais disparaître de chez toi
       le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante,
10   si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires,
       et si tu combles les désirs du malheureux,
       ta lumière se lèvera dans les ténèbres
       et ton obscurité sera lumière de midi.
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  À première vue, on pourrait prendre ce texte pour une belle leçon de morale et ce ne serait déjà pas si mal ! Mais, en fait, il s’agit de bien autre chose : je vous rappelle le contexte ; nous sommes à la fin du sixième siècle avant J.-C. ; le retour d’Exil est chose faite, mais il reste encore bien des séquelles de cette période terrible ; puisque, un peu plus bas, le même prophète parle des « dévastations du passé » et des ruines à relever.

              La pratique religieuse s’est remise en place à Jérusalem et, de bonne foi, on s’efforce de plaire à Dieu. Mais notre prophète est ici chargé de délivrer un message un peu délicat : oui, vous voulez plaire à Dieu, c’est une affaire entendue, seulement voilà : le culte qui plaît à Dieu n’est pas ce que vous croyez ; et le prophète leur adresse de lourds reproches : vous cherchez à vous faire bien voir de Dieu par des jeûnes spectaculaires parce que vous voulez vous attirer ses bonnes grâces, mais pendant ce temps vous n’êtes que disputes, querelles, brutalités, appât du gain.

              Voici ce que dit Isaïe, quelques lignes avant notre texte d’aujourd’hui : « Le jour de votre jeûne, vous savez (quand même) tomber sur une bonne affaire, et tous vos gens de peine, vous les brutalisez ! Vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute, et en frappant du poing méchamment ! Vous ne jeûnez pas comme il convient en un jour où vous voulez faire entendre là-haut votre voix. Doit-il être comme cela le jeûne que je préfère, le jour où l’homme s’humilie ? S’agit-il de courber la tête comme un jonc, d’étaler en litière sac et cendre ? Est-ce pour cela que tu proclames un jeûne ? » (58,4-5).

              Cela nous vaut l’un des textes les plus percutants de l’Ancien Testament ! Dommage que nous ne le lisions pas plus souvent ! Car il bouscule nos idées sur Dieu et sur la religion : nous avons là la réponse à l’une de nos grandes questions : « Qu’est-ce que Dieu attend de nous ? » Et, en fait de réponse, on ne peut pas être plus clair !

              En quelques lignes, tout est dit ; mais comme toujours, quand un texte est très dense, on peut se dire qu’il a été longuement travaillé : c’est bien le cas ici, pour ce passage d’Isaïe. Car ces quelques lignes sont l’aboutissement de toute l’œuvre des prophètes. Depuis des siècles, en Israël, et pas seulement depuis l’Exil, depuis Abraham, c’est-à-dire à peu près 1850 ans av. J.-C., on cherche à faire ce qui plaît à Dieu. On a tout essayé : les sacrifices humains, d’abord, mais Dieu a tout de suite fait savoir qu’avec lui, le Dieu des vivants, il ne pouvait pas en être question ; alors on a continué à offrir des sacrifices, mais d’animaux seulement ; et puis il y a eu, comme dans toutes les religions, des jeûnes, des offrandes de toute sorte, des prières.

              Tout au long de ce lent développement de la foi d’Israël, les prophètes appelaient le peuple à ne pas se contenter du culte mais à vivre l’Alliance au quotidien. Et c’est bien le sens de ce passage. Le prophète commence par dire (juste avant notre texte de ce dimanche) : « Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! » Si je comprends bien, aux yeux de Dieu, tout geste qui vise à libérer nos frères vaut mieux que le jeûne le plus courageux.

         Puis vient le passage que nous avons entendu tout à l’heure qui nous propose des gestes de partage : nourrir l’affamé, et désaltérer l’assoiffé, recueillir le malheureux sans abri, vêtir celui qui a froid, combler le désir des malheureux... en un mot secourir toutes les souffrances que nous rencontrons.

         Je vous propose trois remarques : premièrement, les gestes de libération, les gestes de partage qu’Isaïe nous recommande sont tout simplement l’imitation de l’œuvre de Dieu lui-même ; Israël a expérimenté bien souvent l’action du Dieu libérateur et la compassion du Dieu miséricordieux ; et ce qui lui est demandé, c’est de faire les mêmes gestes à son tour. Décidément, l’homme est vraiment fait pour être l’image de Dieu ! Et si l’on en croit les prophètes, notre attitude envers les autres est le meilleur thermomètre de notre attitude envers Dieu

         Deuxièmement, alors on ne s’étonne pas qu’Isaïe puisse promettre : « Si tu combles les désirs du malheureux, la gloire du SEIGNEUR t’accompagnera » (« la gloire du SEIGNEUR », c’est-à-dire le rayonnement de sa présence) ; ce n’est pas une récompense ! C’est beaucoup mieux que cela : c’est une réalité... car, réellement, quand nous agissons à la manière de Dieu par des actes qui libèrent, qui rassurent, qui encouragent, qui adoucissent les épreuves de toute sorte, alors il nous est donné de refléter un peu pour eux la lumière de Dieu. Et vous avez remarqué l’insistance d’Isaïe sur la lumière : « Alors ta lumière jaillira comme l’aurore... ta lumière se lèvera dans les ténèbres, ton obscurité sera comme la lumière de midi ». Bien sûr, puisqu’il s’agit de la lumière même de Dieu. Pour le dire autrement, Isaïe nous dit « Quand tu donnes, tu reflètes la présence de Dieu. » Une fois de plus on peut rappeler cette superbe phrase de la tradition chrétienne « Là où il y a de l’amour, là est Dieu ».

         Troisièmement, tout acte de justice, de libération, de partage est un pas vers le Royaume de Dieu : puisque, justement, ce Royaume que tout l’Ancien Testament attend est le lieu de la justice et de l’amour ; c’est bien le sens de l’évangile des Béatitudes, dans lequel Jésus nous dit que le Royaume est construit au jour le jour par les doux, les purs, les pacifiques, les assoiffés de justice et de miséricorde.

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PSAUME  111 (112)

 

4   Lumière des cœurs droits, il s’est levé dans les ténèbres,
     homme de justice, de tendresse et de pitié.
5   L’homme de bien a pitié, il partage ;
     il mène ses affaires avec droiture.

6   Cet homme jamais ne tombera ;
     toujours on fera mémoire du juste.
7   Il ne craint pas l’annonce d’un malheur :
     le cœur ferme, il s’appuie sur le SEIGNEUR.

8   Son cœur est confiant, il ne craint pas.
9   À pleines mains, il donne au pauvre ;
     à jamais se maintiendra sa justice,
     sa puissance grandira, et sa gloire !
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Chaque année, au cours de la fête des Tentes, cette fête qui dure, encore aujourd’hui, une semaine à l’automne, le peuple entier faisait ce qu’on pourrait appeler sa « profession de foi » : il renouvelait l’Alliance avec Dieu et s’engageait de nouveau à respecter la Loi. Le psaume 111/112 était certainement chanté à cette occasion.

         L’ensemble de ce psaume est à lui seul un petit traité de la vie dans l’Alliance : pour mieux le comprendre, il faut le lire depuis le début. Je vous lis le premier verset : « Alléluia !  Heureux qui craint le SEIGNEUR, qui aime entièrement sa volonté ! »

Tout d’abord, donc, il commence par le mot Alléluia, littéralement « Louez Dieu » qui est le maître-mot des croyants : quand l’homme de la Bible nous invite à louer Dieu, c’est pour le don de l’Alliance précisément. Ensuite, ce psaume se présente comme un psaume alphabétique : c’est-à-dire qu’il comporte vingt-deux lignes, autant qu’il y a de lettres dans l’alphabet hébreu ; le premier mot de chaque ligne commence par une lettre de l’alphabet dans l’ordre alphabétique ; manière d’affirmer que l’Alliance avec Dieu concerne toute la vie de l’homme et que la Loi de Dieu est le seul chemin du bonheur pour la totalité de la vie, de A à Z. Enfin, le premier verset commence par le mot « heureux » adressé à l’homme qui sait se maintenir sur le chemin de l’Alliance.

         Cela fait immédiatement penser à l’évangile des Béatitudes qui résonne de ce même mot « heureux » : Jésus employait là un mot très habituel dans la Bible mais que malheureusement notre traduction française ne peut pas rendre complètement ; dans son commentaire des psaumes, André Chouraqui faisait remarquer que la racine hébraïque de ce mot « a pour sens fondamental la marche, le pas de l’homme sur la route sans obstacle qui conduit vers le Seigneur. » Il s’agit donc « moins du bonheur que de la démarche qui y conduit. » C’est pour cela que le même Chouraqui traduisait le mot « Heureux » par « En Marche », sous-entendu, vous êtes sur la bonne voie, continuez ».

         Généralement, dans la Bible, le mot « heureux » ne va pas tout seul, il est opposé à son contraire « malheureux » : l’idée générale étant qu’il y a dans la vie des fausses pistes à éviter ; certains chemins (traduisez choix, comportements) vont dans le bon sens et d’autres, opposés, ne sèmeront que du malheur. Et si on lit ce psaume en entier dans la Bible, on s’aperçoit qu’il est construit de cette manière ; le psaume 1 qui est plus connu est, lui aussi, construit exactement de la même façon : il commence par détailler longuement quels sont les bons choix, ce qui est chemin de bonheur pour tous et, beaucoup plus brièvement, parce que cela ne vaut pas la peine d’en parler, les mauvais choix.     

         Ici, le bon choix est précisé dès le premier verset : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR ! » Nous retrouvons cette expression si fréquente dans l’Ancien Testament : « la crainte de Dieu » ; malheureusement, la lecture liturgique est coupée ici et ne nous fait pas entendre la seconde ligne de ce premier verset ; je vous le lis en entier : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR, qui aime entièrement sa volonté. » Voilà donc une définition de la « crainte de Dieu » : c’est l’amour de sa volonté. Parce qu’on est en confiance, tout simplement. La crainte du Seigneur, on le sait bien, n’est pas de l’ordre de la peur : d’ailleurs, un peu plus bas, un autre verset le précise bien : « L’homme de bien... s’appuie sur le SEIGNEUR ; son cœur est confiant... »

          La « crainte de Dieu » au sens biblique, c’est à la fois la conscience de la sainteté de Dieu, la reconnaissance de tout ce qu’il fait pour l’homme, et, puisqu’il est notre Créateur, le souci de lui obéir ; car, s’il est notre Créateur, lui seul sait ce qui est bon pour nous. C’est une attitude filiale de respect et d’obéissance confiante. La double découverte d’Israël c’est à la fois que Dieu est le Tout-Autre ET qu’il se fait le Tout-Proche. Il est infiniment puissant, oui, mais cette toute-puissance est celle de l’amour. Nous n’avons donc rien à craindre puisqu’il peut et veut notre bonheur ! Vous connaissez ce verset du psaume 102/103 : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint ». Craindre le Seigneur, c’est bien avoir à son égard une attitude de fils à la fois respectueux et confiant. C’est aussi « s’appuyer sur lui » : « L’homme de bien... s’appuie sur le SEIGNEUR ; son cœur est confiant ».

         Voici donc la juste attitude envers Dieu, celle qui met l’homme sur la bonne voie : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR ! » Voici maintenant la juste attitude envers les autres : « L’homme de bien a pitié, il partage ; homme de justice, de tendresse et de pitié...  À pleines mains, il donne au pauvre. »       La formule « homme de justice, de tendresse et de pitié » fait irrésistiblement penser à la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse : « Le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté ... » (Ex 34, 6). Et d’ailleurs, le psaume précédent (110/111) qui ressemble beaucoup à celui-ci emploie exactement les mêmes mots « justice, tendresse et pitié » pour Dieu et pour l’homme. Manière de dire que l’observation quotidienne de la Loi, dans toute notre vie, de A à Z, comme le symbolise l’alphabétisme de ce psaume, finit par nous modeler à l’image et à la ressemblance de Dieu.

         J’ai bien dit ressemblance : le psalmiste n’oublie pas que le Seigneur est le Tout-Autre : les formules ne sont donc pas exactement les mêmes : pour Dieu on dit qu’Il  « EST » justice, tendresse et pitié... alors que pour l’homme, le psalmiste dit « il est homme DE justice, DE tendresse, DE pitié », ce qui veut dire que ce sont des vertus qu’il pratique, ce n’est pas son être même. Ces vertus, il les tient de Dieu, il les reflète en quelque sorte.

         Et alors parce que son action est à l’image de celle de Dieu, l’homme de bien est une lumière pour les autres : « Lumière des cœurs droits, il s’est levé dans les ténèbres ». Nous entendons là un écho de la lecture d’Isaïe « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement... alors ta lumière jaillira comme l’aurore ». C’est quand nous donnons et partageons, que nous sommes le plus à l’image de Dieu, lui qui n’est que don. Alors, à notre petite mesure, nous reflétons sa lumière.

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS  2,1-5

 

1   Frères,
     quand je suis venu chez vous,
     je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu
     avec le prestige du langage ou de la sagesse.
2   Parmi vous, je n'ai rien voulu connaître d'autre que Jésus Christ
     ce Messie crucifié.
3   Et c'est dans la faiblesse,
     craintif et tout tremblant,
     que je me suis présenté à vous.
4   Mon langage, ma proclamation de l'Évangile,
     n'avaient rien d’un langage
     de sagesse qui veut convaincre ;
     mais c'est l'Esprit et sa puissance qui se manifestaient,
5   pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes,
     mais sur la puissance de Dieu.
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         Saint Paul, comme souvent, procède par contrastes : première opposition, le mystère de Dieu est tout différent de la sagesse des hommes ; deuxième opposition, le langage de l’apôtre qui annonce le mystère est tout différent du beau langage humain, de l’éloquence. Je reprends ces deux oppositions : mystère de Dieu / sagesse humaine ; langage du prédicateur / éloquence, (ou art oratoire, si vous préférez).

          Et, tout d’abord l’opposition mystère de Dieu ou sagesse humaine : Paul dit qu’il est venu « annoncer le mystère de Dieu » ; il faut entendre par là le « dessein bienveillant » de Dieu que la lettre aux Éphésiens développera plus tard : ce dessein bienveillant, c’est de faire de l’humanité une communion parfaite d’amour autour de Jésus-Christ : il est donc fondé sur les valeurs de l’amour, du service mutuel, du don, du pardon ; et on voit bien que Jésus le met en œuvre déjà tout au long de sa vie terrestre. On est donc très loin  d’un Dieu de puissance au sens militaire du terme que certains imaginent.

          Ce mystère de Dieu s’accomplit par un « Messie crucifié » : c’est tout à fait contraire à notre logique humaine ; c’est même presque un paradoxe ; Paul l’affirme, Jésus de Nazareth est bien le Messie ; mais pas comme on l’attendait. On ne l’attendait pas crucifié ; et même, selon notre logique humaine, le fait qu’il soit crucifié tendait à prouver qu’il n’était pas le Messie : tout le monde avait en tête une célèbre phrase du Deutéronome : d’après laquelle un homme qui avait été condamné à mort au nom de la Loi, et exécuté, était maudit de Dieu. (Dt 21,22-23).

          Et pourtant, ce dessein du Dieu tout-puissant, ce n’est « rien d’autre que Jésus-Christ » comme dit Paul... Quand il témoigne de sa foi, il n’a rien d’autre à dire que Jésus-Christ ; pour lui, Jésus-Christ est vraiment le centre de l’histoire humaine, le centre du projet de Dieu, le centre de sa foi. Il ne veut rien connaître d’autre : « Je n’ai rien voulu connaître d’autre » ; derrière cette phrase, on perçoit les difficultés de ne pas céder aux pressions de toute sorte, aux injures, à la persécution déjà.

        Ce Messie crucifié nous fait connaître ce qu’est la véritable sagesse, la sagesse de Dieu : c’est-à-dire don et pardon, refus de la violence... C’est tout le message de l’évangile des Béatitudes

          Face à cette sagesse divine, la sagesse humaine est raison raisonnante, persuasion, force, puissance ; cette sagesse-là ne peut même pas entendre le message de l’évangile ; et, d’ailleurs, Paul a  essuyé un échec à Athènes, le haut lieu de la philosophie.

          Deuxième opposition dans ce texte : langage de prédicateur, ou art oratoire. Paul n’a aucune prétention du côté de l’éloquence : voilà déjà de quoi nous rassurer, si nous n’avons pas la parole trop facile ! Mais Paul va plus loin : pour lui, l’éloquence, l’art oratoire, la faculté de persuasion seraient une gêne parce que totalement incompatibles avec le message de l’évangile. Annoncer l’Évangile ce n’est pas faire étalage d’un savoir ni asséner des arguments. Il est intéressant, d’ailleurs, de remarquer que dans le mot « convaincre », il y a « vaincre ». Il n’est peut-être pas à sa place quand on prétend annoncer la religion de l’Amour. La foi, comme l’amour, n’est pas affaire de persuasion... Allez donc persuader quelqu’un de vous aimer... On sait bien que l’amour ne se raisonne pas, ne se démontre pas... Le mystère de Dieu non plus ; on peut seulement y pénétrer peu à peu.

         Le mystère d’un Messie pauvre, d’un Messie-Serviteur, d’un Messie crucifié, ne peut pas s’annoncer par des moyens de puissance : ce serait le contraire du mystère annoncé ! C’est dans la pauvreté que l’évangile s’annonce : voilà qui devrait nous redonner du courage ! Le Messie pauvre ne peut être annoncé que par des moyens pauvres, le Messie serviteur ne peut être annoncé que par des serviteurs.

         Il ne faut donc pas nous inquiéter de n’être pas de très bons orateurs, car notre pauvreté de langage est seule compatible avec le message de l’évangile ; mais Paul va même jusqu’à dire que notre pauvreté de prédicateurs est une condition incontournable de la prédication ! Elle seule peut laisser le champ libre à l’action de Dieu. Ce n’est pas lui, Paul, qui a convaincu les Corinthiens, c’est l’Esprit de Dieu qui a donné à la prédication de Paul la force de la vérité en leur faisant découvrir le Christ.

         J’en déduis que ce n’est pas non plus la force de notre raisonnement qui convaincra nos contemporains : leur foi ne reposera pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de l’Esprit de Dieu. Nous ne pouvons que lui prêter notre voix. Évidemment cela exige de nous un terrible acte de foi : « C’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant que je suis arrivé chez vous. Mon langage, ma proclamation de l’évangile n’avaient rien à voir avec le langage d’une sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu ».

         Au moment où nous avons l’impression que le cercle des croyants rétrécit comme une peau de chagrin, au moment où nous rêverions de moyens de puissance médiatique, télématique, électronique de toute sorte, et alors que nos moyens financiers sont révisés à la baisse, il nous est bon de nous entendre dire que l’annonce de l’évangile s’accommode mieux des moyens de pauvreté... Mais pour accepter cette vérité-là, il faut admettre que l’Esprit-Saint est meilleur prédicateur que nous ! Et que, peut-être, le témoignage de notre pauvreté serait la meilleure des prédications ?
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   5, 13 -16

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à ses disciples :
13   « Vous êtes le sel de la terre.
       Mais si le sel devient fade,
       avec quoi sera-t-il salé ?
       Il ne vaut plus rien :
       on le jette dehors et il est piétiné par les gens.

14   Vous êtes la lumière du monde.
       Une ville située sur une montagne
       ne peut être cachée.
15   Et l’on n’allume pas une lampe
       pour la mettre sous le boisseau ;
       on la met sur le lampadaire,
       et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16   De même, que votre lumière brille devant les hommes :
       alors, voyant ce que vous faites de bien,
       ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »
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        Tant mieux si une lampe est jolie, mais franchement, ce n’est pas le plus important ! Ce qu’on lui demande d’abord, c’est d’éclairer ; et d’ailleurs, si elle n’éclaire pas bien, si on n’y voit rien, comme on dit, on ne verra pas non plus qu’elle est jolie ! Quant au sel, sa vocation est de disparaître en remplissant son office : mais s’il manque, le plat sera moins bon.

         Je veux dire par là que sel et lumière n’existent pas pour eux-mêmes ; d’ailleurs, je remarque au passage, que Jésus leur dit « Vous êtes le sel de la terre... Vous êtes la lumière du monde » : ce qui compte, c’est la terre, c’est le monde ; le sel et la lumière ne comptent que par rapport à la terre et au monde ! En disant à ses disciples qu’ils sont le sel et la lumière, Jésus les met en situation missionnaire. Il leur dit : « Vous qui recevez mes paroles, vous devenez, par le fait même, sel et lumière pour ce monde : votre présence lui est indispensable ». Ce qui revient à dire que l’Église n’existe que POUR le monde. Voilà qui nous remet à notre place, comme on dit ! Déjà la Bible avait répété au peuple d’Israël qu’il était le peuple élu, certes, mais au service du monde ; cette leçon-là reste valable pour nous.

         Je reviens au sel et à la lumière : on peut se demander quel point commun il y a entre ces deux éléments, auxquels Jésus compare ses disciples. Réponse : ce sont des révélateurs ; le sel met en valeur la saveur des aliments, la lumière fait connaître la beauté des êtres et du monde. Les aliments existent avant de recevoir le sel ; les êtres, le monde existent avant d’être éclairés. Cela nous en dit long sur la mission que Jésus confie à ses disciples, à nous. Personne n’a besoin de nous pour exister, mais apparemment, nous avons un rôle spécifique à jouer.

         Sel de la terre, nous sommes là pour révéler aux hommes la saveur de leur vie. Les hommes ne nous attendent pas pour vivre des gestes d’amour et de partage parfois magnifiques. Évangéliser, c’est dire « le Royaume est au milieu de vous, dans tout geste, toute parole d’amour ». C’est là qu’ils nous attendent si j’ose dire : pour leur révéler le Nom de Celui qui agit à travers eux. Puisque « là où il y a de l’amour, là est Dieu ».

         Lumière du monde, nous sommes là pour mettre en valeur la beauté de ce monde : c’est le regard d’amour qui révèle le vrai visage des personnes et des choses. L’Esprit Saint nous a été donné précisément pour que nous puissions entrer en résonance avec tout geste ou parole qui vient de lui.

          Mais cela ne peut se faire que dans la discrétion et l’humilité. Trop de sel dénature le goût des aliments au lieu de le mettre en valeur. Une lumière trop forte écrase ce qu’elle veut éclairer. Pour être sel et lumière, il faut beaucoup aimer

         Il suffit d’aimer, mais il faut vraiment aimer. C’est ce que les textes de ce jour nous répètent selon des modes d’expression différents mais de façon très cohérente. L’évangélisation n’est pas une conquête. La Nouvelle Évangélisation n’est pas une reconquête. L’annonce de la Bonne Nouvelle ne se fait que dans une présence d’amour. Rappelons-nous la mise en garde de Paul aux Corinthiens : il leur rappelle que seuls les pauvres et les humbles peuvent prêcher le Royaume.

         Cette présence d’amour peut être très exigeante si j’en crois la première lecture : le rapprochement entre le texte d’Isaïe et l’évangile est très suggestif. Être la lumière du monde selon l’expression de l’évangile, c’est se mettre au service de nos frères ; et Isaïe est très concret : c’est partager le pain ou les vêtements, c’est faire tomber tous les obstacles qui empêchent les hommes d’être libres

         Et le psaume de ce dimanche ne dit pas autre chose : « l’homme de bien », c’est-à-dire « celui qui partage ses richesses de toute sorte à pleines mains » est une lumière pour les autres. Parce qu’à travers ses paroles et ses gestes d’amour, les autres découvriront la source de tout amour : comme dit Jésus, « En voyant ce que les disciples font de bien, les hommes rendront gloire au Père qui est aux cieux. » c’est-à-dire qu’ils découvriront que le projet de Dieu sur les hommes est un projet de paix et de justice.

         À l’inverse, on peut se demander comment les hommes pourront croire au projet d’amour de Dieu tant que nous, qui sommes répertoriés comme ses ambassadeurs, nous ne multiplions pas les gestes de solidarité et de justice que notre société exige ; on peut penser d’ailleurs que le sel est sans cesse en danger de s’affadir : car il est tentant de laisser tomber dans l’oubli les paroles fortes du prophète Isaïe, celles que nous avons entendues dans la première lecture ; ce n’est peut-être pas un hasard, d’ailleurs, si l’Église nous les donne à entendre peu de temps avant l’ouverture du Carême, ce moment où nous nous demanderons de très bonne foi quel est le jeûne que Dieu préfère. 

         Dernière remarque : cet évangile d’aujourd’hui (sur le sel et la lumière) suit immédiatement dans l’évangile de Matthieu la proclamation des Béatitudes : il y a donc certainement un lien entre les deux. Et nous pouvons probablement éclairer ces deux passages l’un par l’autre. Peut-être le meilleur moyen d’être sel et lumière pour le monde est-il tout simplement de développer chacun la Béatitude à laquelle nous sommes appelés ? Être sel de la terre, être lumière du monde, c’est vivre selon l’esprit des Béatitudes, c’est-à-dire exactement à l’opposé de l’esprit du monde ; c’est accepter de vivre selon des valeurs d’humilité, de douceur, de pureté, de justice. C’est être artisans de paix en toute circonstance, et, plus important que tout peut-être, accepter d’être pauvres et démunis, en n’ayant en tête qu’un seul objectif : « qu’en voyant ce que les disciples font de bien, les hommes rendent gloire à notre Père qui est aux cieux. »

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Compléments

- D’après l'un des textes du Concile sur l'Église (« Lumen Gentium »), la vraie lumière du monde, ce n'est pas nous, c'est Jésus-Christ.

- En disant à ses disciples qu'ils sont lumière, Jésus leur révèle ni plus ni moins que c'est Dieu lui même qui brille à travers eux, car, dans les écrits bibliques, comme dans le Concile, il est toujours bien précisé que toute lumière vient de Dieu.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 02 09, 5e dimanche du temps ordinaire A

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27 janvier 2020 1 27 /01 /janvier /2020 23:28

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 1er février 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE MALACHIE    3,1-4

 

       Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu :
1     Voici que j'envoie mon Messager
       pour qu'il prépare le chemin devant moi ;
       et soudain viendra dans son Temple
       le Seigneur que vous cherchez.
       Le messager de l'Alliance que vous désirez,
       le voici qui vient, dit le SEIGNEUR de l'univers.
2     Qui pourra soutenir le jour de sa venue ?
       Qui pourra rester debout lorsqu'il se montrera ?
       Car il est pareil au feu du fondeur,
       pareil à la lessive des blanchisseurs.
3     Il s'installera pour fondre et purifier.
       Il purifiera les fils de Lévi,
       il les affinera comme l'or et l'argent :
       ainsi pourront-ils aux yeux du SEIGNEUR,
       présenter l'offrande en toute justice.
4     Alors, l'offrande de Juda et de Jérusalem
       sera bien accueillie du SEIGNEUR,
       comme il en fut aux jours anciens,
       dans les années d'autrefois.
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LE MESSAGER DE L'ALLIANCE QUE VOUS DÉSIREZ

On ne sait pas trop comment accueillir ce texte : est-il bonne ou mauvaise nouvelle ? D’autre part, pourquoi le prophète Malachie insiste-t-il si fortement sur le Temple, les lévites (ou les prêtres si vous préférez), les offrandes et tout ce qui relève du culte ? Pour comprendre cette insistance, il faut se rappeler le contexte historique : il y a à cela au moins trois raisons :

Premièrement, Malachie écrit vers 450 av. J.-C. à un moment où il n’y a plus de roi, descendant de David, en Israël ; le pays est sous domination perse ; au sein du peuple juif, ce sont les prêtres qui détiennent l’autorité ; un prédicateur de cette époque-là insiste donc tout normalement sur l’alliance que Dieu a conclue avec la famille sacerdotale. Ils sont les représentants de Dieu au milieu de son peuple ; pour le dire autrement, l’Alliance entre Dieu et son peuple passe par eux en quelque sorte.

Deuxièmement, pour oser dire que l’Alliance passe par eux, il faut bien rappeler la légitimité de ce lien privilégié entre Dieu et cette descendance de Lévi : on va donc auréoler le passé et rappeler à satiété que Dieu a choisi cette famille tout spécialement pour lui confier le sacerdoce.

Troisièmement, Malachie assiste à une dégradation de la conduite de cette caste sacerdotale : ils accomplissent le culte n’importe comment, ils négligent leur devoir d’enseignement et leurs décisions de justice sont partiales. Peu avant Malachie, Néhémie disait : « Souviens-toi d’eux, mon Dieu, parce qu’ils ont souillé le sacerdoce et l’alliance avec le sacerdoce et les lévites ! » (Ne 13,29). Il est donc très important de rappeler l’idéal et la responsabilité du sacerdoce.

Cette alliance avec les prêtres est bien sûr au service de l’Alliance de Dieu avec son peuple (tout comme l’Alliance avec David était au service du peuple) ; et c’est de celle-là qu’il est question dans le début de notre texte d’aujourd’hui : « Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez, l’Ange de l’Alliance que vous désirez... » Malachie s’adresse à tous ceux qui attendent, qui désirent, qui cherchent ; il vient leur dire « vous n’avez pas attendu, cherché, désiré pour rien : votre désir, votre attente vont être comblés ». Et c’est pour bientôt.

LE SEIGNEUR VIENDRA DANS SON TEMPLE

« Soudain » (on peut traduire également « subitement »), est un mot qui signifie à la fois soudaineté et proximité. C’est aussi fort que l’expression « Le voici qui vient » ; je vous propose de regarder d’un peu plus près la construction de ces versets : ces deux expressions synonymes « Soudain viendra » et « Le voici qui vient » encadrent (inclusion) l’annonce de la venue du Seigneur. « Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez, l’Ange de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient... »

Cet Ange de l’Alliance vient pour rétablir l’Alliance, justement : l’alliance avec les fils de Lévi, d’abord, mais surtout à travers elle, l’Alliance avec le peuple tout entier. Cet Ange de l’Alliance, c’est Dieu lui-même ; dans la Bible, pour ne pas citer Dieu lui-même, par respect, on emploie souvent l’expression « l’Ange de Dieu » ; c’est donc de la venue de Dieu qu’il s’agit ici ; dans son tout petit livre qui ne fait que quatre pages dans nos Bibles, Malachie parle plusieurs fois du jour de sa venue ; il l’appelle le « Jour du Seigneur », et chaque fois, ce jour nous paraît à la fois souhaitable et inquiétant : par exemple, au verset qui suit immédiatement notre texte d’aujourd’hui, Dieu dit « je m’approcherai de vous pour le jugement » (verset 5), c’est-à-dire « je vais vous débarrasser du mal » ; cela c’est souhaitable. Souhaitable pour les justes, au moins, redoutable pour les méchants, pourrait-on dire en première approximation. Mais on sait bien que la frontière entre le bien et le mal passe au milieu de chacun de nous : seul le mal sera éliminé et nous en serons débarrassés. L’objectif du fondeur, c’est la beauté de l’œuvre ; l’objectif du blanchisseur aussi.

Justement, pour nous préparer à ce tri qui doit être fait en nous au jour du jugement, un messager doit précéder la venue du Seigneur ; il appellera le peuple entier à la conversion, comme dit Malachie, il préparera le chemin devant lui.

Plus tard, Jésus a cité précisément cette prophétie de Malachie à propos de Jean-Baptiste (Mt 11,7-10) : « Comme ils s’en allaient, Jésus se mit à parler de Jean aux foules : Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? Un roseau agité par le vent ? Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu d’habits élégants ? Mais ceux qui portent des habits élégants sont dans les demeures des rois. Alors qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le déclare, et plus qu’un prophète. C’est celui dont il est écrit : Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi... » Par le fait même, Jésus s’identifiait lui-même à l’Ange de l’Alliance qui vient dans son temple ; nous verrons cela en étudiant l’évangile de saint Luc pour cette fête de la Présentation.
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PSAUME  23 ( 24 ), 7, 8, 9, 10

 

7     Portes, levez vos frontons,
       élevez-vous, portes éternelles :
       qu'il entre, le roi de gloire !

8     « Qui est ce roi de gloire ?
       C'est le SEIGNEUR, le fort, le vaillant,
       le SEIGNEUR, le vaillant des combats.

9     Portes, levez vos frontons,
       levez-les, portes éternelles :
       qu'il entre le roi de gloire !

10   Qui donc est ce roi de gloire ?
       C'est le SEIGNEUR, Dieu de l'univers ;
       c'est lui, le roi de gloire.
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PORTES, LEVEZ VOS FRONTONS !

« Portes, levez vos frontons ... » Vous avez remarqué cette formule un peu étonnante : « Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles ... ». On imagine mal que les linteaux des portes puissent se lever ! On comprendrait mieux une formule du genre « Ouvrez vos portes à deux battants » (sous-entendu pour laisser passer le cortège) ! Mais, bien sûr, on est en poésie, ici ! C’est une hyperbole pour dire la grandeur de ce roi de gloire qui entre solennellement dans le temple de Jérusalem. Cette expression « roi de gloire » désigne Dieu lui-même, le Seigneur de l’univers.

On ne peut pas ne pas penser à la grande fête de la Dédicace du Premier Temple par le roi Salomon vers 950 av. J.-C. Imaginez l’immense procession, les marches grouilllantes de fidèles... Comme dit le psaume 67/68 : « Dieu, ils ont vu tes cortèges, les cortèges de mon Dieu, de mon roi, dans le sanctuaire : en tête les chanteurs, les musiciens derrière, parmi les filles jouant du tambourin » (Ps 67/68,25).

La Dédicace du premier Temple par Salomon est décrite dans le premier livre des Rois : « Salomon rassembla à Jérusalem - auprès de lui, le roi Salomon - les anciens d’Israël, tous les chefs des tribus, les princes des familles des fils d’Israël, pour faire monter de la cité de David, c’est-à-dire de Sion, l’Arche du SEIGNEUR... Tous les hommes d’Israël se rassemblèrent près du roi Salomon (au mois d’Étanim), le septième mois pendant la fête (sous-entendu la fête des tentes). Quand tous les anciens d’Israël furent arrivés, les prêtres portèrent l’Arche. Ils firent monter l’Arche du SEIGNEUR, la tente de la rencontre et tous les objets sacrés qui étaient dans la tente - ce sont les prêtres et les lévites qui les firent monter. Le roi Salomon et toute la communauté d’Israël réunie près de lui, présente avec lui devant l’Arche, sacrifiaient tant de petit et gros bétail qu’on ne pouvait ni le compter, ni le dénombrer. Les prêtres amenèrent l’Arche de l’Alliance du SEIGNEUR à sa place, dans la chambre sacrée de la Maison, dans le lieu très saint, sous les ailes des chérubins. »

Au passage, il faut préciser que les chérubins, dans la Bible, ne ressemblent pas aux petits angelots de notre imagination. Ce sont des animaux ailés à visage humain qui ressemblent plutôt aux sphinx égyptiens. En Mésopotamie, c’étaient les gardiens des temples. Dans le Temple de Jérusalem, au-dessus de l’Arche d’Alliance étaient disposées deux statues en bois doré représentant ces animaux. Leurs ailes déployées au-dessus de l’Arche symbolisaient le trône de Dieu

 

QU’IL ENTRE LE ROI DE GLOIRE, LE MESSIE SAUVEUR

Dans ce contexte, on imagine bien (ce n’est bien sûr qu’une hypothèse), la foule ou une chorale chantant « Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles ; qu’il entre le roi de gloire ! » Et un autre chœur répond « Qui est ce roi de gloire ? C’est le SEIGNEUR, le fort, le vaillant, le SEIGNEUR le vaillant des combats. » Derrière ces titres guerriers qui nous surprennent aujourd’hui, il faut entendre le rappel de toutes les batailles qu’il a fallu livrer pour se faire une place au soleil, si j’ose dire : depuis le don de la Loi au Sinaï, l’arche accompagnait le peuple d’Israël dans tous ses combats, signe de la présence de Dieu au milieu de son peuple.

Je reviens à notre cortège qui entre dans le Temple : si l’on retient cette hypothèse d’une grande procession avec l’Arche d’Alliance, cela oblige à imaginer que ce psaume soit très ancien, puisqu’on a perdu toute trace de l’Arche depuis l’Exil à Babylone : aucun texte biblique ne parle plus d’elle de façon claire ni pendant ni après l’Exil ; on ne sait pas ce qu’elle est devenue : a-t-elle fait partie du butin emporté par Nabuchodonosor au moment de la prise de Jérusalem et de l’Exil ? A-t-elle été cachée par Jérémie au mont Nébo, comme certains le racontent ? Personne n’en sait rien.

Et pourtant ce psaume a été chanté régulièrement dans les cérémonies au temple de Jérusalem bien après l’installation de l’Arche par Salomon, et même bien après l’Exil à Babylone ; à une époque, donc, où il n’y avait plus de procession autour de l’Arche. Il n’en a pris que plus d’importance d’ailleurs ; après qu’on a définitivement perdu ce signe tangible de la présence de Dieu, ce psaume était tout ce qui restait de la splendeur passée ; il enseignait au peuple le dépouillement nécessaire : la présence de Dieu n’est pas attachée à un objet si chargé de mémoire soit-il !

Et puis, peu à peu, au cours des siècles, il se chargeait d’un sens nouveau : « qu’il entre le roi de gloire ! » est devenu le cri de l’impatience pour la venue du Messie ; oui, qu’il vienne enfin, le roi éternel qui régnera sur l’humanité renouvelée de la fin des temps. Il sera vraiment « le Seigneur des combats », celui qui remporte la victoire définitive sur le Mal et les puissances de mort ; il sera vraiment le « Seigneur, Dieu de l’univers1 », car c’est l’humanité tout entière qui partagera sa victoire.

Cela, c’était l’attente d’Israël qui se creusait de siècle en siècle ; évidemment, on ne s’étonne pas que la liturgie chrétienne chante précisément ce psaume 23/22 le jour où elle célèbre la fête de la Présentation de l’enfant Jésus au Temple de Jérusalem : manière d’affirmer que cet enfant est le roi de gloire, c’est-à-dire Dieu lui-même.

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Note

1 – La traduction liturgique donne au verset 10 un accent nouveau : en hébreu, on peut lire « Qui donc est ce roi de gloire ? C’est le SEIGNEUR des armées » (SEIGNEUR Sabbaoth), ce qui est tout à fait parallèle au verset 8. Dans les deux cas, quand on dit « le Seigneur des combats », on évoque le Dieu qui accompagnait le peuple dans sa lutte pour sa liberté et pour sa survie. Tandis que la traduction liturgique donne : « C’est le SEIGNEUR, Dieu de l’univers » ; aujourd’hui, on aime traduire « Dieu Sabbaoth » par « Dieu de l’univers ». Parce que, dans cette formule, nous entendons que Dieu n’est pas seulement le Dieu d’Israël. Manière de dire que Dieu a choisi Israël, certes, mais au sein d’un projet qui concerne l’humanité tout entière. Ce choix des traducteurs modernes donne un accent universaliste qui n’y était peut-être pas à l’origine.
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LECTURE DE LA LETTRE AUX HÉBREUX  2,14-18

 

14   Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair,
       Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition :
       ainsi, par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance
       celui qui possédait le pouvoir de la mort,
       c’est-à-dire le diable,
15   et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort,
       passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves.
16   Car ceux qu’il prend en charge, ce ne sont pas les anges,
       c’est la descendance d’Abraham.
17   Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères,
       pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi
       pour les relations avec Dieu,
       afin d’enlever les péchés du peuple.
18   Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion,
       il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve.
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         Il faut se rappeler que la lettre aux Hébreux a été écrite dans un contexte de querelle ; et c’est précisément par cette lettre qu’on peut deviner quel genre de querelles devaient affronter les premiers chrétiens d’origine juive : ils s’entendaient dire à tout bout de champ : « Votre Jésus n’est pas le Messie, nous avons besoin d’un prêtre et il ne l’est pas. »

         Il était donc important pour un chrétien du premier siècle de savoir que le Christ est vraiment prêtre. Parce que l’institution du sacerdoce était capitale dans l’Ancien Testament ; nous l’avons vu, d’ailleurs, avec la première lecture extraite du livre de Malachie. Et une institution qui avait été capitale dans l’Ancien Testament ne pouvait pas être ignorée du Nouveau.

         Mais selon la loi juive, Jésus n’était pas et ne pouvait pas prétendre devenir prêtre et encore moins grand prêtre ; il n’avait aucune chance d’y parvenir, puisqu’il descendait de David, donc de la tribu de Juda et non pas de Lévi ; notre auteur le sait très bien puisqu’il affirme un peu plus loin : « Il est notoire que notre Seigneur est issu de Juda, d’une tribu dont Moïse n’a rien dit dans ses textes sur les prêtres. » (He 7,14).

         Qu’à cela ne tienne, dit la lettre aux Hébreux : Jésus n’est pas grand-prêtre descendant d’Aaron, soit ; mais il peut l’être à la manière de Melchisédech ! Celui dont parle le chapitre 14 de la Genèse vivait bien avant Moïse et Aaron et pourtant la Bible le nomme « prêtre du Dieu Très-Haut ». Donc Jésus est bien, à sa manière, dans la continuité de l’Ancien Testament.

         C’est très exactement le propos de la lettre aux Hébreux : nous montrer en quoi Jésus accomplit l’institution du sacerdoce : il « accomplit » en langage biblique, cela ne veut pas dire qu’il reproduit le modèle de l’Ancien Testament ; cela veut dire qu’il le mène à sa perfection.

         Il faut d’abord se rappeler quels étaient les éléments constitutifs du sacerdoce ancien : le prêtre de l’Ancien Testament a un rôle de médiateur ; 1) le prêtre est un membre du peuple 2) il est admis à communiquer avec la sainteté de Dieu. 3) En retour, si j’ose dire, il transmet au peuple les dons et bénédictions de Dieu.

         L’une des grandes insistances du texte d’aujourd’hui porte sur le premier point : Jésus est bien un membre du peuple. « Puisque les hommes ont tous une nature de chair et de sang, Jésus a voulu partager cette condition humaine... Il lui fallait devenir en tout semblable à ses frères, pour être, dans leurs relations avec Dieu, un grand prêtre miséricordieux et fidèle, capable d’enlever les péchés du peuple. » Et qui dit « semblable » dit partager les mêmes faiblesses : les tentations, les épreuves, la mort. Jésus partage cette condition humaine, faite de chair et de sang. Il fallait que le Christ s’approche de nous au point de se faire l’un des nôtres, pour que la distance entre Dieu et l’homme soit comblée.

         Mais il faut également que le prêtre soit admis à communiquer avec la sainteté de Dieu. Or Dieu est le Saint, c’est-à-dire le Tout-Autre ; c’est l’un des grands accents de la pensée biblique, nous l’avons vu souvent. Et donc, pour pouvoir approcher du Dieu saint, il faut être mis à part des autres ; d’où tout un système de séparations rituelles auquel on soumettait les prêtres pour les rendre aptes à s’approcher du Dieu saint ; voici rapidement quelles étaient les séparations successives : parmi toutes les nations, Dieu a choisi un peuple ; à l’intérieur de ce peuple, une tribu (Lévi) ; dans cette tribu, une famille (Aaron) ; puis individuellement, chaque prêtre était soumis à des rites de séparation : bain, onction, vêture, sacrifices. De la même manière, le lieu où officient les prêtres est séparé des lieux de vie du peuple ; il est le lieu sacré par opposition aux autres lieux considérés comme profanes.

         Or, dans le cas de Jésus, rien de tout cela : au contraire, il s’est constamment mêlé à la vie de son peuple, y compris et presque surtout des petits, des exclus, des impurs. Tout ceci est vrai, dit la lettre aux Hébreux, mais pourtant, nous avons la preuve incontestable qu’il est le Juste par excellence, le Fils de Dieu, le Saint de Dieu : c’est sa résurrection. Il a vaincu la mort ; l’Alliance avec Dieu est rétablie, c’était bien l’objectif des prêtres.

         Désormais nous sommes libres : le plus sûr ennemi de la liberté, c’est la peur ! Or, désormais, nous n’avons plus peur de rien. On entend là des accents de saint Paul : nous étions comme des esclaves, tant que nous ne connaissions pas l’amour de Dieu pour nous. Qui nous faisait douter de l’amour de Dieu ? Le diable bien sûr. « Par sa mort, il (Jésus) a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et il a rendu libres ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves. » L’épreuve de la Passion était le passage obligé en quelque sorte : nos pires ennemis, ce sont la mort, la solitude, la haine ; il fallait qu’il les subisse lui-même, qu’il nous accompagne jusque-là pour nous en libérer. Dans l’épisode des disciples d’Emmaüs, saint Luc emploie une expression analogue : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24,26) : il fallait qu’il souffrît pour nous montrer jusqu’où allait l’amour de Dieu.

         Mais pourquoi l’auteur parle-t-il des « fils d’Abraham » et non pas des « fils d’Adam ? « Ceux qu’il vient aider, ce ne sont pas les anges, ce sont les fils d’Abraham. » Ce ne sont pas les anges, non, ce sont des êtres de chair et de sang ; mais l’auteur aurait pu dire « ce ne sont pas les anges, ce sont les fils d’Adam » ; pourquoi au lieu de « fils d’Adam », parle-t-il des «  fils d’Abraham » ? Ce qui caractérise Abraham, dans toute la méditation biblique, c’est sa foi. Une foi qui est synonyme de confiance. Ce qui veut dire que Jésus rétablit l’Alliance, oui, mais que nous restons libres de ne pas être des fils d’Abraham (des croyants), de ne pas entrer dans cette Alliance, de refuser d’entrer dans le projet de Dieu.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC  2, 22 - 40

(On trouvera un autre commentaire pour la Fête de la Sainte Famille – Année B)

 

22   Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse
       pour la purification,
       les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem
       pour le présenter au Seigneur,
23   selon ce qui est écrit dans la loi :
       « Tout premier-né de sexe masculin
       sera consacré au Seigneur. »
24   Ils venaient aussi offrir
       le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur :
       un couple de tourterelles
       ou deux petites colombes.
25   Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon.
       C'était un homme juste et religieux,
       qui attendait la Consolation d'Israël,
       et l'Esprit Saint était sur lui.
26   Il avait reçu de l'Esprit Saint l’annonce
       qu'il ne verrait pas la mort
       avant d'avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur.
27   Sous l’action de l'Esprit, Syméon vint au Temple.
       Au moment où les parents présentaient l'enfant Jésus
       pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait,
28   Syméon reçut l'enfant dans ses bras,
       et il bénit Dieu en disant :
29   « Maintenant, ô Maître souverain,
       tu peux laisser ton serviteur s'en aller en paix,
       selon ta parole.
30    Car mes yeux ont vu le salut,
31    que tu préparais à la face des peuples :
32   lumière qui se révèle aux nations
       et donne gloire à ton peuple Israël. »
33   Le père et la mère de l'enfant
       s'étonnaient de ce qui était dit de lui.
34   Syméon les bénit,
       puis il dit à Marie sa mère :
       « Voici que cet enfant
       provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël.
       Il sera un signe de contradiction
35   - Et toi, ton âme sera traversée d’un glaive -      :
       ainsi seront dévoilées
       les pensées qui viennent du cœur d'un grand nombre. »
36   Il y avait aussi une femme prophète,
       Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser.
37   Elle était très avancée en âge ;
       après sept ans de mariage, demeurée veuve,
       elle était arrivée à l'âge de quatre-vingt-quatre ans.
       Elle ne s'éloignait pas du Temple,
       servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière.
38   Survenant à cette heure même,
       elle proclamait les louanges de Dieu
       et parlait de l'enfant
       à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
39    Lorsqu'ils eurent achevé
       tout ce que prescrivait la loi du Seigneur,
       ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
40   L'enfant, lui, grandissait et se fortifiait,
       rempli de sagesse,
       et la grâce de Dieu était sur lui.
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         Voilà un récit minutieusement composé ! Vous avez remarqué comme moi la double insistance de Luc, sur la Loi d'abord, sur l'Esprit ensuite : dans les premiers versets (v. 22-24), il cite trois fois la Loi ; on peut dire que la vie de cet enfant débute sous le signe de la Loi ; entendons-nous bien, quand Luc cite la Loi d'Israël, il ne pense pas d'abord à une série de commandements écrits qui dictent ce qu'on doit faire ou ne pas faire... on peut ici remplacer le mot Loi par Foi d'Israël. La vie de Joseph et Marie, et désormais de l'enfant, est tout entière imprégnée de la foi et de l'attente de leur peuple ; et quand ils se présentent au temple de Jérusalem pour satisfaire aux coutumes juives, c'est de leur part une démarche de ferveur.

         Premier message de Luc, donc, dans ce texte de la Présentation de Jésus au temple de Jérusalem : c’est dans le cadre de la Loi d’Israël que le salut de toute l’humanité a vu le jour... C’est dans le cadre de la Loi d’Israël que le Verbe de Dieu s’est incarné... en un mot, que le dessein bienveillant de Dieu pour l’humanité s’est accompli. 

         Puis Syméon entre en scène, poussé par l’Esprit (lui aussi nommé trois fois) ; et c’est l’Esprit qui inspire à Syméon les paroles qui révèlent le mystère de ce petit garçon : « Mes yeux ont vu ton salut ».

         Je reprends les phrases de Syméon une à une : « Mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé à la face de tous les peuples » : tout l’Ancien Testament est l’histoire de cette longue, patiente préparation par Dieu du salut de l’humanité. Et il s’agit bien du « salut de l’humanité » et pas seulement du peuple d’Israël : c’est très exactement ce que Syméon précise : « lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d’Israël ton peuple ». La gloire d’Israël, justement, c’est d’avoir été élu non pas pour lui seul, mais pour l’humanité tout entière. Au fur et à mesure que l’histoire avançait, l’Ancien Testament découvrait de plus en plus que le projet de salut de Dieu concerne toute l’humanité.

         Et tout ceci se passe dans le temple de Jérusalem ; bien sûr, c’est capital aux yeux de Luc : nous assistons déjà à l’entrée glorieuse de Jésus, Seigneur et Sauveur, dans le temple de Jérusalem, comme l’avait annoncé le prophète Malachie : (voici les paroles de Malachie, qui sont notre première lecture de cette fête) « Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que j’envoie mon Messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez... l’Ange de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient, dit le SEIGNEUR de l’univers ».

         Luc reconnaît bien en Jésus l’Ange de l’Alliance qui vient dans son Temple : les phrases de Syméon sur la gloire et la lumière sont tout-à-fait dans cette ligne : « Mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples : lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d’Israël ton peuple. »

         Autre résonance de l’évangile d’aujourd’hui dans l’Ancien Testament : « Qu’il entre le roi de gloire ! Élevez-vous, portes éternelles... » chantait le psaume, qui attendait un Messie-roi descendant de David ; et nous savons que le roi de gloire, c’est cet enfant ; bien sûr, pour un nouveau-né, les portes éternelles n’ont pas besoin d’être bien hautes, mais Luc nous décrit quand même une scène majestueuse, une scène de gloire : toute la longue attente d’Israël est représentée par ces deux personnages, Syméon et Anne. « Il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux qui attendait la Consolation d’Israël » ; quant à Anne, on peut penser que si « elle parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem », c’était parce qu’elle était pleine d’impatience, elle aussi.

         Cette attente, c’est celle du Messie. Quand Syméon proclame « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut, que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations, et donne gloire à ton peuple Israël », il affirme bien que cet enfant est le Messie, le reflet de la gloire de Dieu. Avec Jésus, c’est la Gloire de Dieu qui entre dans le Sanctuaire ; ce qui revient à dire que Jésus est la Gloire, qu’il est  Dieu lui-même.

         Désormais le temps de la Loi est révolu. L’Ange de l’Alliance est entré dans son Temple pour répandre l’Esprit sur toute chair, et éclairer les nations païennes.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 02 02, Présentation du Seigneur au Temple A

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19 janvier 2020 7 19 /01 /janvier /2020 22:35

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

  •  des explications historiques ou géographiques ;
  • le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "revêtement", "amen", "foi" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 25 janvier 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  8, 23b - 9, 3

 

8,23b   Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte
       le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ;
       mais ensuite, il a couvert de gloire
       la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain,
       et la Galilée des nations.
9,1  Le peuple qui marchait dans les ténèbres
       a vu se lever une grande lumière ;
       et sur les habitants du pays de l’ombre,
       une lumière a resplendi.
9,2  Tu as prodigué la joie,
       tu as fait grandir l’allégresse :
       ils se réjouissent devant toi,
       comme on se réjouit de la moisson,
       comme on exulte au partage du butin.
9,3  Car le joug qui pesait sur lui,
       la barre qui meurtrissait son épaule,
       le bâton du tyran,
       tu les as brisés comme au jour de Madiane.
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                        À l’époque dont il est question, le royaume d’Israël est divisé en deux : vous vous souvenez que David puis Salomon ont été rois de tout le peuple d’Israël ; mais, dès la mort de Salomon, en 933 av. J.-C., l’unité a été rompue, (on parle du schisme d’Israël);  et il y a eu deux royaumes bien distincts et même parfois en guerre l’un contre l’autre : au Nord, il s’appelle Israël, c’est lui qui porte le nom du peuple élu ; sa capitale est Samarie ; au Sud, il s’appelle Juda, et sa capitale est Jérusalem. C’est lui qui est véritablement le royaume légitime : car c’est la descendance de David sur le trône de Jérusalem qui est porteuse des promesses de Dieu.

                        Isaïe prêche dans le royaume du Sud, mais, curieusement, tous les lieux qui sont cités ici appartiennent au royaume du Nord : “Le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali... il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain et la Galilée... comme au jour de la victoire sur Madiane” : Zabulon, Nephtali, la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, la Galilée, Madiane, ce sont six noms de lieux qui sont au Nord ; Zabulon et Nephtali : ce sont deux des douze tribus d’Israël ; et leur territoire correspond à la Galilée, à l’Ouest du lac de Tibériade ; on est bien au Nord du pays d’Israël. La route de la mer, comme son nom l’indique, c’est la plaine côtière à l’Ouest de la Galilée ; enfin, ce qu’Isaïe appelle le pays au-delà du Jourdain, c’est la Transjordanie.

                        Ces précisions géographiques permettent d’émettre des hypothèses sur les événements historiques auxquels Isaïe fait allusion ; car ces trois régions, la Galilée, la Transjordanie et la plaine côtière, ont eu un sort particulier pendant une toute petite tranche d’histoire, entre 732 et 721 av. J.-C. Vous savez qu’à cette époque-là, la puissance montante dans la région est l’empire assyrien dont la capitale est Ninive. Or ces trois régions-là ont été les premières annexées par le roi d’Assyrie, Tiglath-Pilézer III, en 732. Puis, en 721, c’est la totalité du royaume de Samarie qui a été annexée (y compris la ville de Samarie)

                        C’est donc très certainement à cette tranche d’histoire qu’Isaïe fait référence. C’est à ces trois régions précisément qu’Isaïe promet un renversement radical de situation : “Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée, carrefour des païens”.

                        Je n’oublie pas ce que je disais plus haut à savoir qu’Isaïe prêche à Jérusalem ; et on peut évidemment se demander en quoi ce genre de promesses au sujet du royaume du Nord peut intéresser le royaume du Sud.

                        On peut répondre que le royaume du Sud n’est pas indifférent à ce qui se passe au Nord, au moins pour deux raisons : d’abord, étant donné leur proximité géographique, les menaces qui pèsent sur l’un, pèseront tôt ou tard sur l’autre : quand l’empire assyrien prend possession du Nord, le Sud a tout à craindre. Et, d’ailleurs, ce royaume du Sud (Jérusalem) est déjà vassal de l’empire assyrien ; il n’est pas encore écrasé, mais il a perdu son autonomie. D’autre part, deuxième raison, le royaume du Sud interprète le schisme comme une déchirure dans une robe qui aurait dû rester sans couture : il espère toujours une réunification, sous sa houlette, bien sûr.

                        Or, justement, ces promesses de relèvement du royaume du Nord résonnent à ce niveau : “Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur les habitants du pays de l’ombre une lumière a resplendi”, voilà deux phrases qui faisaient partie du rituel du sacre de chaque nouveau roi. Traditionnellement, l’avènement d’un nouveau roi est comparé à un lever de soleil, car on compte bien qu’il rétablira la grandeur de la dynastie. C’est donc d’une naissance royale qu’il est question. Et ce roi assurera à la fois la sécurité du royaume du Sud et la réunification des deux royaumes.

                      Et effectivement, un peu plus bas, Isaïe l’exprime en toutes lettres : “Un enfant nous est né, un fils nous a été donné... Ces phrases, elles aussi, sont des formules habituelles des couronnements. Ici, il s’agit du petit dauphin Ézéchias qui a sept ans. Il est ce fameux Emmanuel promis huit ans plus tôt par le prophète Isaïe au roi Achaz. Vous vous souvenez de cette promesse : « Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » (Is 7,14). Ce petit Ézéchias, dès l'âge de sept ans, a été associé au règne de son père.

                      Avec lui, l’espoir peut renaître : « Il sera le prince de la paix » affirme Isaïe. Car, il en est certain, Dieu soutient son peuple dans sa volonté de liberté, il ne le laissera pas indéfiniment sous la tutelle des grandes puissances

                        Pourquoi cette assurance qui défie toutes les évidences de la réalité ? Simplement parce que Dieu ne peut pas se renier lui-même, comme dira plus tard saint Paul : Dieu veut libérer son peuple contre toutes les servitudes de toute sorte. Cela, c’est la certitude de la foi.

                        Cette certitude s’appuie sur la mémoire : Moïse y avait insisté souvent : “Garde-toi d’oublier ce que le SEI­GNEUR a fait pour toi” : parce que si nous perdons cette mémoire-là, nous sommes perdus ; rappelez-vous encore le même Isaïe disant au roi Achaz : “Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas” ; à chaque époque d’épreuve, de ténèbres, la certitude du prophète que Dieu ne manquera pas à ses promesses lui dicte une prophétie de victoire.

                        Une victoire qui sera “Comme au jour de la victoire sur Madiane” : une fameuse victoire de Gédéon sur les Madianites était restée célèbre : en pleine nuit, une poignée d’hommes, armés seulement de lumières, de trompettes et surtout de leur foi en Dieu avait mis en déroute le camp des Madianites.

                        Le message d’Isaïe, c’est : “Ne crains pas. Dieu n’abandonnera jamais la dynastie de David”. On pourrait traduire pour aujourd’hui : ne crains pas, petit troupeau : c’est la nuit qu’il faut croire à la lumière. Quelles que soient les ténèbres qui recouvrent le monde et la vie des hommes, et aussi la vie de nos communautés, réveillons notre espérance : Dieu n’abandonne pas son projet d’amour sur l’humanité

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PSAUME  26 (27)

       

1     Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut,
       de qui aurais-je crainte ?
       Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie,
       devant qui tremblerais-je ?

4     J'ai demandé une chose au SEIGNEUR,
       la seule que je cherche :
       habiter la maison du SEIGNEUR
       tous les jours de ma vie.

13   Mais j'en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR
       sur la terre des vivants.
14   Espère le SEIGNEUR, sois fort et prends courage ;
       espère le SEIGNEUR.
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         « Le Seigneur est MA lumière et MON salut »... ces expressions à la première personne du singulier ne nous trompent pas : il s’agit d’un singulier collectif : c’est le peuple d’Israël tout entier qui exprime ici sa confiance invincible en Dieu, en toutes circonstances. Périodes de lumière, périodes de ténèbres, circonstances gaies, circonstances tristes, ce peuple a tout connu ! Et au milieu de toutes ses aventures, il a gardé confiance, il a approfondi sa foi. Ce psaume en est un superbe témoignage.

         Ici il exprime en images les diverses péripéties de son histoire : vous connaissez ce procédé qui est très fréquent dans les psaumes et qu’on appelle le revêtement ; le texte fait allusion à des situations individuelles très précises : un malade, un innocent injustement condamné, un enfant abandonné, ou un roi, ou un lévite... (et d’ailleurs, si nous lisions en entier ce psaume 26/27, nous verrions qu’elles y sont toutes) ; mais en fait, toutes ces situations apparemment individuelles ont été à telle ou telle époque la situation du peuple d’Israël tout entier ; il faut lire : « Israël est comme un malade guéri par Dieu, comme un innocent injustement condamné, comme un enfant abandonné, comme un roi assiégé » et c’est de Dieu seul qu’il attend sa réhabilitation, ou sa délivrance... En parcourant l’Ancien Testament, on retrouve sans peine toute les situations historiques précises auxquelles on fait allusion.

         Dans les versets retenus par le missel pour aujourd’hui, il y a deux images : la première, c’est celle d’un roi ; parfois on a pu comparer Israël à un roi assiégé par des ennemis ; son Dieu l’a toujours soutenu ; « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? » (voici les versets 2-3 : « Si des méchants s’avancent contre moi pour me déchirer, ce sont eux, mes adversaires, qui perdent pied et succombent. Qu’une armée se déploie devant moi, mon cœur est sans crainte ; que la bataille s’engage contre moi, je garde confiance »). Que ce soit l’attaque par surprise des Amalécites dans le désert du Sinaï, au temps de Moïse, ou bien la menace des rois de Samarie et de Damas contre le pauvre roi Achaz terrorisé vers 735, ou encore le siège de Jérusalem en 701 par le roi assyrien, Sennachérib, et j’en oublie, les occasions n’ont pas manqué.

         Face à ces dangers, il y a deux attitudes possibles : la première, c’est celle du roi David, un homme comme les autres, pécheur comme les autres (son histoire avec Bethsabée était célèbre), mais un croyant assuré en toutes circonstances de la présence de Dieu à ses côtés. Il est resté un modèle pour son peuple. En revanche, nous avons rencontré pendant l’Avent dans un texte du prophète Isaïe le roi Achaz, qui n’avait pas la même foi sereine : je vous avais cité à ce propos une phrase très expressive du livre d’Isaïe pour dire que le roi cédait à la panique au moment du siège de Jérusalem : « Le cœur du roi et le cœur de son peuple se mirent à trembler comme les arbres de la forêt sont agités par le vent. » (Is 7,2). Et la mise en garde d’Isaïe avait été très ferme ; il avait dit au roi : « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas » (on pourrait dire en français d’aujourd’hui « vous ne tiendrez pas le coup »). Soit dit en passant, Isaïe faisait un jeu de mots sur le mot « Amen » car c’est le même mot, en hébreu, qui signifie « croire, tenir dans la foi » et « tenir fermement » : cela peut nous aider à comprendre le sens du mot « foi » dans la Bible.

         Je reviens aux deux attitudes contrastées de David et d’Achaz : le peuple d’Israël a, bien sûr, connu tour à tour ces deux types d’attitude, mais dans sa prière, il se ressource dans la foi de David.

         Ou encore, et c’est la deuxième image, Israël peut être comparé à un lévite, un serviteur du  Temple, dont toute la vie se déroule dans l’enceinte du temple de Jérusalem : « J’ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche, c’est d’habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie. » Quand on sait que les lévites étaient attachés au service du Temple de Jérusalem et montaient la garde jour et nuit dans le Temple, l’allusion est très claire ; derrière ce lévite, on voit bien se profiler le portrait du peuple tout entier. Comme la tribu des lévites est, parmi les douze tribus d’Israël, celle qui est consacrée au service de la maison du Seigneur, le peuple d’Israël tout entier, est, parmi l’ensemble des peuples de la terre, celui qui est consacré à Dieu, qui appartient à Dieu.

         Enfin, la dernière strophe « J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants » fait irrésistiblement penser à Job : « Je sais bien, moi, que mon libérateur est vivant, que le dernier, il surgira sur la poussière. Et après qu’on aura détruit cette peau qui est mienne (sous-entendu même si on en arrivait à m’arracher la peau), c’est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu ». Ni l’auteur du psaume 26/27 ni celui du livre de Job n’envisageaient encore la possibilité de la résurrection individuelle ; l’expression « terre des vivants » vise bien cette terre-ci. Ils n’en ont que plus de mérite, peut-être : en Israël l’espérance est tellement forte qu’on est sûrs que Dieu interviendra pour nous. Bien sûr, ces textes prennent encore plus de force à partir du moment où la foi en la résurrection est née. « J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants. »

         Quant à la dernière phrase (« Espère le SEIGNEUR, sois fort et prends courage ; espère le SEIGNEUR. »), elle est peut-être une allusion à la parole que Dieu avait adressée à Josué, au moment d’entreprendre la marche vers la terre promise, la terre des vivants : « Sois fort et courageux. Ne tremble pas, ne te laisse pas abattre, car le SEIGNEUR ton Dieu sera avec toi partout où tu iras. » (Jos 1,9).

         Cette dernière strophe reflète, une fois encore, la confiance indéracinable du peuple d’Israël : « J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants. »  Cette confiance, on le sait, est fondée sur la mémoire de l’œuvre de Dieu et c’est elle qui autorise l’espérance : « Espère le SEIGNEUR, sois fort et prends courage ; espère le SEIGNEUR. » L’espérance, c’est la foi conjuguée au futur. André Chouraqui l’appelait la « mémoire du futur ».

         On ne s’étonne donc pas que ce psaume soit proposé pour les célébrations de funérailles : les jours de deuil sont ceux où nous avons bien besoin de nous ré-enraciner, de nous ressourcer dans la foi et l’espérance de nos pères.

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS  1, 10 - 13. 17

 

10   Frères,
       je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ :
       ayez tous un même langage ;
       qu’il n’y ait pas de division entre vous,
       soyez en parfaite harmonie de pensées et d’opinions.
11   Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères,
       par les gens de chez Chloé,
       qu’il y a entre vous des rivalités.
12   Je m’explique.
       Chacun de vous prend parti en disant :
       « Moi, j’appartiens à Paul »,
       ou bien :
       « Moi, j’appartiens à Apollos »,
       ou bien :
       « Moi, j’appartiens à Pierre »,
       ou bien :
       « Moi, j’appartiens au Christ ».
13   Le Christ est-il donc divisé ?
       Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ?
       Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?
17   Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser,
       mais pour annoncer l’Évangile,
       et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine,
       ce qui rendrait vaine la croix du Christ.
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De par sa situation, le port de Corinthe était un lieu de trafic intense avec tous les autres ports de la Méditerranée. Par le fait même, tous les courants de pensée du monde méditerranéen trouvaient des échos à Corinthe. Il n'est pas étonnant que des voyageurs originaires de différents pays aient témoigné de leur foi chrétienne chacun à leur manière. L'enthousiasme des néophytes les portait à comparer la qualité du message apporté par les différents prédicateurs. Et, apparemment, si on en juge par la suite de la lettre, les Corinthiens étaient très sensibles, trop sensibles, aux belles paroles...

Du coup des clans se sont formés et les discussions, voire même les querelles vont bon train. Vous savez bien que c’est sur les sujets religieux que nous sommes les moins tolérants ! Paul cite quatre clans : d’abord des chrétiens qui se réclament de lui ; puis il y a les disciples d’Apollos ; un troisième clan se réclame de saint Pierre ; on ne sait pas si lui-même y est jamais allé, mais peut-être des membres de l’entourage de Pierre y sont-ils passés... Enfin un quatrième clan se dit le « parti du Christ », sans qu’on sache bien ce que cela recouvre.

Je reviens à Apollos, dont nous n'aurons plus jamais l'occasion de parler et qui, pourtant, a certainement joué un rôle important dans les débuts de l'Église. Nous le connaissons par les Actes des Apôtres (au chapitre 18) ; c’était un Juif, originaire d’Alexandrie (en Égypte), certainement un intellectuel : on disait de lui qu’il était savant, versé dans les Écritures. Où a-t-il adhéré à la foi chrétienne ? D’après certains manuscrits, ce serait déjà en Égypte, son pays d’origine ; ce qui supposerait que le christianisme aurait très tôt essaimé en Égypte. Les manuscrits les plus nombreux ne précisent pas ; en tout cas, il est clair qu’il est devenu chrétien fervent, même si sa catéchèse est encore bien incomplète. Voici la phrase des Actes : « Il avait été informé de la Voie du Seigneur et, l’esprit plein de ferveur, il prêchait et enseignait exactement ce qui concernait Jésus, tout en ne connaissant que le baptême de Jean. » Le voilà qui arrive à Éphèse et qu’il se présente à la synagogue (à cette époque, les chrétiens n’avaient pas encore été chassés des synagogues) ; là, il fait ce que Paul a toujours fait, c’est-à-dire qu’il annonce que Jésus est le Messie qu’on attendait ; deux auditeurs de la synagogue d’Éphèse reconnaissent ses talents d’orateur mais jugent utile de compléter son bagage théologique. « Lorsqu’ils l’eurent entendu, Priscille et Aquilas le prirent avec eux et lui présentèrent plus exactement encore la Voie de Dieu. »

Là-dessus, Apollos a décidé de se rendre à Corinthe : recommandé par les frères d’Éphèse, il y fut bien accueilli et il eut très vite un grand succès : « Car la force de ses arguments avait raison des Juifs en public, quand il prouvait par les Écritures que le Messie, c’était Jésus ».

Visiblement donc, si j’en crois saint Luc dans ce passage des Actes des Apôtres, Apollos est un chrétien fervent et il parle bien : il enthousiasme les foules ; il est précieux aussi dans les débats qui opposent Juifs et chrétiens. Il est certainement plus éloquent que Paul qui reconnaît lui-même ne pas avoir la même habileté : « Jésus m’a envoyé annoncer l’Évangile sans avoir recours à la sagesse du langage humain » ; ce qu’il appelle « la sagesse du langage humain », c’est l’art oratoire, la force de l’argumentation : pour Paul l’évangélisation ne se fait pas à coup de discours et d’arguments.

« Le Christ m’a envoyé pour annoncer l’Évangile, sans avoir recours à la sagesse du langage humain, ce qui viderait de son sens la croix du Christ. » C’est-à-dire pour prêcher l’évangile de l’amour, pas besoin d’éloquence et de beaux arguments qui cherchent à convaincre ; dans le mot « convaincre », si on y réfléchit bien, il y a le mot « vaincre » ; or, il est évident que la forme du discours doit être cohérente avec le contenu du message : on ne peut pas annoncer un Dieu de tendresse en employant la violence même seulement verbale ! Nous l’avons peut-être parfois oublié...

La suite de la lettre nous prouve qu’Apollos ne fait rien pour s’attirer des admirateurs ; il n’est resté que peu de temps à Corinthe puis il a rejoint Paul à Éphèse ; Paul lui-même le pousse à retourner à Corinthe mais Apollos refuse, probablement pour ne pas aggraver les tensions dans la communauté chrétienne.            

En tout cas Paul, qui a quitté Corinthe, continue à en recevoir des nouvelles par les commerçants qui vont régulièrement de Corinthe à Éphèse. En particulier, des employés d’une certaine Chloé ont fait état de véritables querelles qui divisent la communauté ; alors Paul se décide à prendre la plume. Il ne leur fait pas la morale : à ses yeux, c’est beaucoup plus grave que cela.

Pour lui, c’est le sens même de notre baptême qui est en jeu. Et c’est la simplicité de l’argumentation de Paul qui peut nous étonner. Pour lui, c’est très simple : être baptisé, c’est être uni au Christ. Il n’est donc plus possible d’être divisés entre nous !  Les chrétiens, comme leur nom l’indique, ont tous été baptisés « au nom » du Christ : c’est-à-dire que le nom du Christ a été prononcé sur eux. Désormais ils lui appartiennent. Personne ne peut dire « j’ai été baptisé au nom d’untel ou untel, Paul ou Apollos ou Pierre » ; tous ont été baptisés « au nom » du Christ. Le Concile Vatican II le dit bien « Quand le prêtre baptise, c’est le Christ qui baptise ». Être baptisé au nom du Christ, c’est être greffé sur lui... Dans une greffe c’est la réussite de la greffe qui compte, peu importe le jardinier.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   4, 12-23

 

12   Quand Jésus apprit l'arrestation de Jean Baptiste,
       il se retira en Galilée.
13   Il quitta Nazareth
       et vint habiter à Capharnaüm,
       ville située au bord du lac,
       dans les territoires de Zabulon et de Nephtali.
14   Ainsi s'accomplit
       ce que le Seigneur avait dit par le prophète Isaïe :
15   Pays de Zabulon et pays de Nephtali,
       route de la mer et pays au-delà du Jourdain,
       Galilée, toi le carrefour des païens :
16   le peuple qui habitait dans les ténèbres
       a vu se lever une grande lumière.
       Sur ceux qui habitaient
       dans le pays de l'ombre et de la mort,
       une lumière s'est levée.
17   À partir de ce moment, Jésus se mit à proclamer :
       « Convertissez-vous,
       car le Royaume des cieux est tout proche. »
18   Comme il marchait au bord du lac de Galilée,
       il vit deux frères,
       Simon appelé Pierre,
       et son frère André,
       qui jetaient leurs filets dans le lac :
       c'étaient des pêcheurs.
19   Jésus leur dit :
       « Venez derrière moi,
       et je vous ferai pêcheurs d'hommes. »
20   Aussitôt, laissant leurs filets,
       ils le suivirent.
21   Plus loin, il vit deux autres frères,
       Jacques, fils de Zébédée
       et son frère Jean,
       qui étaient dans leur barque avec leur père,
       en train de préparer leurs filets.
       Il les appela.
22   Aussitôt, laissant leur barque et leur père,
       ils le suivirent.
23   Jésus, parcourant toute la Galilée,
       enseignait dans leurs synagogues,
       proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume,
       guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.
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         Nous sommes au chapitre 4 de l’évangile de Matthieu ; vous vous souvenez des trois premiers chapitres : d’abord une longue généalogie qui resitue Jésus dans l’histoire de son peuple, et en particulier dans la descendance de David ; ensuite l’annonce faite à Joseph par l’ange du Seigneur « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit Dieu avec nous » : c’était une citation d’Isaïe ; et il précisait « Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète » manière de nous dire « enfin les promesses sont accomplies, enfin le Messie tant attendu est là ».

         Et tous les épisodes suivants redisent ce message d’accomplissement, chacun à leur manière : la visite des mages, la fuite en Égypte, le massacre des enfants de Bethléem, le retour d’Égypte et l’installation de Joseph, Marie et l’enfant Jésus en Galilée, à Nazareth... la prédication de Jean-Baptiste, le baptême de Jésus et enfin le récit des Tentations de Jésus ; tous ces récits fourmillent de citations explicites des Écritures et d’une multitude d’allusions bibliques.

         Et nous voilà tout préparés à entendre le texte d’aujourd’hui ; lui aussi est truffé d’allusions et dès le début, d’ailleurs, Matthieu cite le prophète Isaïe pour bien montrer les enjeux de l’installation de Jésus à Capharnaüm.

         La ville de Capharnaüm est en Galilée, au bord du lac de Tibériade, tout le monde le sait ; pourquoi saint Matthieu éprouve-t-il le besoin de préciser qu’elle est située dans les territoires de Zabulon et de Nephtali ? Ces deux noms des anciennes tribus d’Israël ne faisaient pas partie du langage courant, c’étaient des noms du passé ! Et d’ailleurs, pourquoi lier les deux noms « Zabulon et Nephtali » ? Quand on lit au livre de Josué la description du territoire de ces tribus, on voit bien qu’au moment du partage de la Palestine entre les tribus, le principe a justement été de bien délimiter le territoire de chaque tribu ; une même ville n’appartient pas à deux tribus à la fois ; cela prouve que les préoccupations de saint Matthieu ne sont pas d’ordre géographique.

            Il veut rappeler à ses auditeurs une fameuse promesse d'Isaïe : « Dans les temps anciens, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la Galilée, carrefour des païens. » (Is 8,23). (Au moment de l'expansion assyrienne, au huitième siècle, ces deux tribus dont les territoires étaient limitrophes, avaient ceci de commun qu'elles avaient été annexées en même temps.) Et le prophète continuait : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre une lumière a resplendi. » Cette formule était employée lors de la cérémonie du sacre d’un nouveau roi : son avènement, tel la promesse d’une ère nouvelle, était comparé à un lever de soleil.

         En évoquant cette prophétie, Matthieu applique à l'arrivée de Jésus en Galilée ces phrases rituelles du sacre : manière de nous dire que le vrai roi du monde est venu habiter chez nous. Oui, enfin la lumière s’est levée sur Israël et sur l’humanité tout entière ; la Galilée, carrefour des nations, comme on disait, est la porte ouverte sur le monde : à partir d’elle, le salut de Dieu apporté par le Messie rayonnera sur toutes les nations.

         En même temps, Matthieu annonce déjà en quelques mots le déroulement des événements qui vont suivre ; en racontant le départ de Jésus vers la Galilée, après l’arrestation de Jean-Baptiste, Matthieu nous montre bien deux choses : premièrement que toute la vie du Christ est sous le signe de la persécution... mais deuxièmement aussi la victoire finale sur le mal : Jésus fuit la persécution, c’est vrai, mais ce faisant, il porte plus loin la Bonne Nouvelle. Du mal, Dieu fait surgir un bien... la fin  de l’Évangile nous montrera que de la souffrance et de la mort, Dieu fait surgir la Vie.

         Voici Jésus à Capharnaüm et Matthieu emploie une formule apparemment banale « À partir de ce moment ». Or si on regarde bien, il ne l’emploie qu’une seule autre fois, bien plus tard, au chapitre 16 : ce n’est pas un hasard. Les deux fois, il s’agit d’un grand tournant. Ici « À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : Convertissez-vous, le Règne des cieux s’est approché ». Au chapitre 16, ce sera « À partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands-prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter ».

         Effectivement, dans l’épisode d’aujourd’hui, qui nous relate le début de la vie publique de Jésus, nous sommes à un grand tournant. Avec l’effacement de Jean-Baptiste et le début de la prédication de Jésus, l’humanité a franchi une étape décisive : du temps de la promesse nous sommes passés au temps de l’accomplissement.

         Et désormais, le Royaume est là, parmi nous, non seulement en paroles mais en actes : car la finale du texte d’aujourd’hui est tout un programme : « Jésus, parcourant toute la Galilée, enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple ».

         La prophétie d’Isaïe que nous avons lue en première lecture trouve ici sa pleine réalisation et saint Matthieu le souligne puissamment. Jésus proclame : « Le Royaume de Dieu est là ! »

         Immédiatement il annonce que, pour faire connaître cette Bonne Nouvelle, il compte sur des témoins, des hommes qu’il choisit pour être ses collaborateurs. La démarche est significative ; Jésus ne se lance pas seul dans l’accomplissement de sa mission : il fait à des hommes ordinaires l’honneur d’y être associés. Ces collaborateurs qu’il choisit parmi des hommes dont le métier est la pêche, il les nomme pêcheurs d’hommes : tirer des hommes de la mer, c’est les empêcher de se noyer ; c’est les sauver.

         Jésus associe les apôtres à sa mission de Sauveur.

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 01 26, 3e dimanche du temps ordinaire A

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12 janvier 2020 7 12 /01 /janvier /2020 23:48

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

  •  des explications historiques ou géographiques ;
  • le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "splendeur (de Dieu)", "reste (d'Israël)", "sacrifice", "ordinaire", "invoquer le nom", "saint", "Église", "messie" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 18 janvier 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  49,3...6

 

3   Le SEIGNEUR m’a dit :
     « Tu es mon serviteur, Israël,
     en toi je manifesterai ma splendeur. »
5   Maintenant le SEIGNEUR parle,
     lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère
     pour que je sois son serviteur,
     que je lui ramène Jacob,
     que je lui rassemble Israël.
     Oui, j’ai de la valeur aux yeux du SEIGNEUR,
     c’est mon Dieu qui est ma force.
6   Et il dit :
     « C’est trop peu que tu sois mon serviteur
     pour relever les tribus de Jacob,
     ramener les rescapés d’Israël :
     je fais de toi la lumière des nations,
     pour que mon salut parvienne
     jusqu’aux extrémités de la terre. »
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          Ce passage fait partie d’un ensemble de quatre textes dans le livre du prophète Isaïe, quatre textes très particuliers que l’on appelle « Les Chants du Serviteur ». Ce sont des prédications qui datent de la période très noire de l’Exil à Babylone, au sixième siècle, des prédications adressées donc à un peuple en grande détresse qui se demande parfois si Dieu ne l’a pas oublié. Or le prophète, ici, vient dire à ses contemporains en exil « vous êtes encore le serviteur de Dieu ». Ce qui veut dire que l’Alliance n’est pas rompue, bien au contraire. Non seulement Dieu n’a pas abandonné son peuple, mais il compte encore sur lui pour une mission bien précise.

          Car si, parfois, on a pu se demander qui est ce « Serviteur de Dieu » désigné par Isaïe dans les chants du serviteur, dans ce texte-ci, c’est très clair : il ne s’agit pas d’un individu particulier, il s’agit du peuple d’Israël lui-même. Je vous rappelle la première phrase du texte : « Le SEIGNEUR m’a dit : Tu es mon serviteur, Israël ». Et sa vocation est elle aussi clairement définie : « En toi je manifesterai ma splendeur ».

          Or, la splendeur de Dieu (son titre de gloire, si vous préférez), c’est son œuvre de salut ; très concrètement, ici, il s’agit du retour de l’Exil à Babylone. Indirectement donc, Isaïe ici annonce la fin prochaine de l’Exil. Effectivement, lorsque le peuple sera sauvé, libéré, il sera la preuve vivante que Dieu est sauveur ! C’est de cette manière que des sauvés peuvent devenir des sauveurs ; non pas par eux-mêmes seulement, car Dieu seul est sauveur, mais par le fait même d’être sauvé et d’en être les témoins à la face du monde !

          Car, dans la mentalité de l’époque, la déchéance du peuple vaincu, déporté pouvait passer pour un échec de son Dieu, mais sa libération manifestera aux yeux du monde païen la supériorité de Dieu.

          Le titre de serviteur décerné au peuple d’Israël en exil signifie donc deux choses : il est d’abord une assurance du soutien de Dieu, mais il est en même temps une lettre de mission. Israël doit continuer à croire au salut et à en témoigner à la face du monde ; car en reconnaissant à travers lui l’œuvre de Dieu, les autres reconnaîtront que Dieu est sauveur, et, à leur tour, l’accueilleront comme leur sauveur. Ainsi Dieu sera enfin connu et reconnu par tous ceux qui l’auront vu à l’œuvre pour sauver son peuple. C’est en ce sens-là qu’Israël aura manifesté la présence de Dieu. C’est le sens de l’expression : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur ».

 

          Alors on comprend la dernière phrase de notre texte : « Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ». Une fois de plus, la Bible nous dit que le projet de Dieu est un projet de salut, de bonheur, et qu’il concerne l’humanité tout entière « jusqu’aux extrémités de la terre ».

          Jusque-là, on pensait que l’œuvre de salut de Dieu passait par un individu, qu’on appelait le Messie. Et on l’imaginait comme un roi. Ici, l’attente du Messie évolue considérablement : d’une part, le Messie n’est plus un individu particulier, c’est un personnage collectif : c’est le peuple d’Israël qui est investi d’une mission au service du monde. Et d’autre part, il n’exerce plus un pouvoir royal, il se présente comme un serviteur.

          Reste une question difficile. Au début du texte, c’est le SEIGNEUR qui parle et s’adresse au Serviteur. Mais, ensuite, le Serviteur lui-même prend la parole : « Le SEIGNEUR m’a formé dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob et que je lui rassemble Israël ». Si le Serviteur est Israël, comment peut-on dire qu’il rassemblera Israël ?

          En fait, Isaïe s’adresse à ses proches, le petit noyau des fidèles, ceux qu’on appelait le « Reste », ceux dont la foi n’a pas chancelé, malgré les années d’exil et de captivité. Ce petit « Reste » d’Israël a pour première tâche de rassembler tout Israël et de le ramener à son Dieu, c’est-à-dire de le convertir.

          Mais ce n’est que la première étape de leur mission : « C'est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob », dit Isaïe qui ajoute : « Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu'aux extrémités de la terre. » Car c’est précisément cette œuvre inespérée de relèvement du peuple par quelques-uns qui sera aux yeux du monde entier un témoignage rendu au Dieu d’Israël. Pour le dire autrement, le rétablissement du peuple s’inscrit dans le projet de Dieu comme le prélude au salut de toute l’humanité.

          Toutes ces belles nouvelles devaient paraître un peu irréalistes à certains ; c’est pour cela que le prophète affirme avec insistance qu’il n’a rien inventé : il n’est que le porte-parole de Dieu. Par deux fois, il précise : « Le SEIGNEUR m’a dit… Maintenant, le SEIGNEUR parle ». Et, d’autre part, il souffle à ses contemporains des paroles d’espérance : « J’ai de la valeur aux yeux du SEIGNEUR, c’est mon Dieu qui est ma force. » Ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, au contraire c’est de l’humilité : la reconnaissance qu’au creux même de sa désespérance, le Serviteur n’a qu’une ressource, le soutien de Dieu lui-même.

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PSAUME  39 (40)

 

2     D'un grand espoir, j'espérais le SEIGNEUR,   
       Il s'est penché vers moi
4     Dans ma bouche il a mis un chant nouveau      
       une louange à notre Dieu.

7     Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice    
       tu as ouvert mes oreilles ;           
       tu ne demandais ni holocauste ni victime
8     alors j'ai dit : « Voici, je viens. »

       Dans le livre est écrit pour moi
9     ce que tu veux que je fasse.       
       Mon Dieu, voilà ce que j'aime : 
       ta loi me tient aux entrailles.

10   Vois, je ne retiens pas mes lèvres,         
       SEIGNEUR, tu le sais.
11   J'ai dit ton amour et ta vérité     
       à la grande assemblée.
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« Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu ne demandais ni holocauste ni victime... » : curieuse phrase dans un psaume quand on sait que les psaumes, justement, étaient faits pour être chantés au temple de Jérusalem au moment même où on offrait des sacrifices !1 En fait on voulait dire par là : je sais, Seigneur, que ce qui compte le plus à tes yeux, ce n’est pas le sacrifice en lui-même, c’est l’attitude du cœur qu’il représente. « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime alors j’ai dit : Voici, je viens. »

Toute la Bible est l’histoire d’un long apprentissage et, avec ce psaume 39/40, nous sommes à la phase finale de ce qu’on peut appeler la pédagogie des prophètes. Je reprends rapidement cette histoire des sacrifices en Israël : elle se développe en même temps que se développe la connaissance de Dieu. C’est logique : « sacrifier », (« sacrum facere » en latin) signifie « faire du sacré », entrer en contact ou mieux en communion avec Dieu. Tout dépend évidemment de l’idée qu’on se fait de Dieu. Donc au fur et à mesure qu’on découvre le vrai visage de Dieu, la pratique sacrificielle va changer.

       Je commence par le début. Première chose à retenir : ce n’est pas Israël qui a inventé la démarche du sacrifice ou de l’offrande (il y en a chez les autres peuples du Moyen Orient bien avant que le peuple hébreu ne mérite le nom de peuple).

       Deuxième constatation lorsqu’on s’intéresse à la pratique sacrificielle d’Israël : il y a toujours eu des offrandes et des sacrifices en Israël tout au long de l’histoire biblique. Il y a une très grande variété de sacrifices mais tous sont un moyen de communiquer avec Dieu. D’ailleurs le mot utilisé en hébreu pour dire « offrir un sacrifice » veut dire « s’approcher ».

       Troisième point : les sacrifices pratiqués par le peuple élu ressemblent à ceux de leurs voisins... oui, mais à une exception près et une exception qui est colossale : la spécificité des sacrifices en Israël, c’est que les sacrifices humains sont strictement interdits. C’est une constante dans la Bible : les sacrifices humains sont de tout temps considérés comme une horreur ; Jérémie, par exemple, dit de la part de Dieu : « Cela je ne l’ai jamais demandé et je n’ai jamais eu l’idée de faire commettre une telle horreur... » (Jr 7, 31 ; 19, 6 ; 32, 35). Et dans le fameux récit du sacrifice d’Abraham, celui-ci a découvert que « sacrifier » (« faire sacré ») ne veut pas dire « tuer » ! Abraham a offert son fils, il ne l’a pas tué. Cet épisode que les juifs appellent « la ligature d’Isaac » est lu justement comme la preuve que, depuis le début de l’Alliance entre Dieu et ce peuple qu’il s’est choisi, les sacrifices humains sont strictement interdits.

       Si on y réfléchit, c’est tout ce qu’il y a de plus logique ! Dieu est le Dieu de la vie : impensable que pour nous rapprocher de Lui, il faille donner la mort ! Cette interdiction des sacrifices humains sera la première insistance de la religion de l’Alliance.

On continuera à pratiquer des sacrifices, mais seulement des sacrifices d’animaux. Puis, peu à peu, on va assister au long des siècles à une véritable transformation, on pourrait dire une conversion du sacrifice. Cette conversion va porter sur deux points : sur le sens des sacrifices d’abord, sur la matière des sacrifices ensuite

       1) sur le sens des sacrifices : dans la Bible, au fur et à mesure que l’on découvre Dieu, les sacrifices vont évoluer. En fait, on pourrait dire : « Dis-moi tes sacrifices, je te dirai quel est ton Dieu ». Notre Dieu est-il un Dieu qu’il faut apprivoiser ? Dont il faut obtenir les bonnes grâces ? Auprès duquel il faut acquérir des mérites ? Un Dieu courroucé qu’il faut apaiser ? Un Dieu qui exige des morts ? Alors nos sacrifices seront faits dans cet esprit là, ce seront des rites magiques pour acheter Dieu en quelque sorte.

       Ou bien notre Dieu est-il un Dieu qui nous aime le premier... un Dieu dont le dessein n’est que bienveillant... dont la grâce est acquise d’avance, parce qu’il n’est que Grâce... le Dieu de l’Amour et de la Vie. Et alors nos sacrifices seront tout autres. Ils seront des gestes d’amour et de reconnaissance. Les rites ne seront plus des gestes magiques mais des signes de l’Alliance conclue avec Dieu.

       Toute la Bible est l’histoire de ce lent apprentissage pour passer de la première image de Dieu à la seconde. C’est nous qui avons besoin d’être apprivoisés, qui avons besoin de découvrir que tout est « cadeau », qui avons besoin d’apprendre à dire simplement « Merci » (Ce que la Bible appelle le « sacrifice des lèvres »). Toute la pédagogie biblique vise à nous faire quitter la logique du « donnant-donnant », du calcul, des mérites, pour entrer dans la logique de la grâce, du don gratuit. Et notre apprentissage n’est jamais fini.

       2) la conversion va également porter sur la matière des sacrifices : les prophètes ont joué un grand rôle dans ce lent apprentissage du peuple élu. Ils lui ont fait découvrir peu à peu le véritable sacrifice que Dieu attend : tout se passe comme si les prophètes nous disaient : « Tu veux entrer en relation avec Dieu...? Fort bien ! ... à condition de ne pas te tromper de Dieu ! »

       C’est peut-être une phrase du prophète Osée (au huitième siècle) qui résume le plus parfaitement cette prédication des prophètes : « C’est l’amour que je veux et non les sacrifices. » (Os 6,6). On découvre peu à peu que le véritable « sacrifice », « faire sacré » consiste non plus à tuer mais à faire vivre. Dieu est le Dieu des vivants : donner la mort ne peut pas être la meilleure façon de nous rapprocher de Lui !  Faire vivre nos frères, voilà la seule manière de nous rapprocher de Lui.

       Et l’ultime étape de cette pédagogie des prophètes nous présentera l’idéal du sacrifice : c’est le service de nos frères. Nous trouvons cela dans les quatre « Chants du Serviteur » qui sont inclus dans le deuxième livre d’Isaïe. L’idéal du Serviteur qui est l’idéal du sacrifice, c’est « une vie donnée pour faire vivre ». Le psaume 39/40 résume donc admirablement la découverte biblique sur le Sacrifice : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice ... Tu as ouvert mes oreilles »  : depuis l’aube de l’humanité, Dieu « ouvre l’oreille » de l’homme pour entamer avec lui le dialogue de l’amour ; le psaume 39/40 reflète le long apprentissage du peuple élu pour entrer dans ce dialogue : dans l’Alliance du Sinaï, les sacrifices d’animaux symbolisaient la volonté du peuple d’appartenir à Dieu ; dans l’Alliance Nouvelle, l’appartenance est totale : le dialogue est réalisé ; offrandes et sacrifices sont « spirituels » comme dira saint Paul ; « Tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit voici, je viens ».

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Note - Des sacrifices d’animaux ont été célébrés à Jérusalem jusqu’à la destruction définitive du temple, en 70 après J.-C.

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS  1,1-3

 

1   Paul, appelé par la volonté de Dieu
     pour être apôtre du Christ Jésus,
     et Sosthène notre frère,
2   à l’Église de Dieu qui est à Corinthe,
     à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus
     et sont appelés à être saints
     avec tous ceux qui, en tout lieu,
     invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ,
     leur Seigneur et le nôtre.
3   À vous, la grâce et la paix,
     de la part de Dieu notre Père
     et du Seigneur Jésus Christ.
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          Voilà un texte magnifique pour dire notre dignité de baptisés ! Il est heureux qu’il ait été choisi pour ce dimanche qui marque notre retour au temps qu’on appelle « ordinaire » dans la liturgie. Cela nous donne l’occasion de retrouver le sens de ce mot : « ordinaire » en liturgie ne veut pas dire « sans importance », cela veut dire tout simplement « dans l’ordre de l’année ». Car évidemment, ce que nous célébrons chaque dimanche n’a rien d’ordinaire au sens courant de ce mot ! Saint Paul vient ici à point nommé nous dire la grandeur de notre titre de chrétiens.

          Pour reprendre les termes de Paul, nous sommes ceux qui, en tout lieu, invoquons « le nom de notre Seigneur Jésus Christ ». « Invoquer le nom », cela veut dire « reconnaître comme Dieu ». Mais d’ailleurs, quand Paul emploie pour Jésus le mot « Seigneur », cela veut dire la même chose, car, à l’époque, le mot « Seigneur » ne s’appliquait qu’à Dieu.

          Le point commun de tous les chrétiens, c'est que Jésus-Christ est vraiment pour nous le Seigneur, c’est-à-dire le maître de nos vies, le centre du monde et de l'histoire. C’est pour cela, d’ailleurs, que Paul nous appelle « le peuple saint ». Saint ne veut pas dire « parfait », cela veut dire « qui appartient à Dieu » : nous appartenons à Dieu, par le baptême, nous avons été consacrés à Dieu : c’est pour cela que l’assemblée mérite elle aussi d’être encensée au cours de la messe.

          À l'inverse, je crois que si Jésus-Christ n'est pas vraiment pour nous le Seigneur, s’il n’est pas pour nous, dans nos conversations et nos agissements, le centre du monde et de l'histoire, il faut nous interroger sur le contenu de notre foi. Vous avez remarqué, d'ailleurs, que, dans ces quelques lignes, Paul cite plusieurs fois le nom du Christ : « Moi, Paul, appelé par la volonté de Dieu, pour être Apôtre du Christ Jésus... je m'adresse à vous qui avez été sanctifiés dans le Christ Jésus ... vous qui êtes le peuple saint, avec ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ... que la grâce et la paix soient avec vous de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ le Seigneur ».

          Autre point commun à tous les chrétiens du monde, de quelque race, nationalité ou confession : nous sommes des « appelés » ! Je cite : « Appelé par la volonté de Dieu, je m’adresse à vous qui êtes, à Corinthe, l’Église de Dieu ». Paul est « apôtre du Christ Jésus », non par choix personnel mais parce qu’il a été appelé à cette mission par une volonté explicite de Dieu. On sait à quel point c’est vrai ! Paul n’a pas choisi cette mission d’apôtre du Christ, c’est Jésus lui-même qui l’a choisi sur le chemin de Damas. L’autorité de Paul lui vient de là : il a été appelé, il est en service commandé.

          Et il s’adresse à « l’Église qui est à Corinthe ». Le mot « Église » à lui tout seul est aussi une référence à l’appel de Dieu : en grec, le mot « ecclesia » est de la même famille que le verbe « appeler » (Kaleo). Et comme si le mot « ecclesia » n’était pas assez clair, Paul précise « vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint ». L’expression « L’Église de Dieu qui est à Corinthe » (par exemple), ou à Jérusalem ou à Paris, est devenue traditionnelle. Où que nous soyons, nous sommes les « appelés » de Dieu. Nous aussi, nous sommes en service commandé ! Nous sommes appelés à être des « serviteurs » au sens que le prophète Isaïe donne à ce mot dans la première lecture de ce dimanche « pour que le salut de Dieu parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49,6).

          En même temps, Paul rappelle bien le lien qui unit la communauté de Corinthe aux autres communautés chrétiennes : « Je m’adresse à vous qui êtes, à Corinthe, l’Église de Dieu... vous qui êtes le peuple saint avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, leur Seigneur et le nôtre ». Il est intéressant de noter que Paul emploie le mot Église tout aussi bien pour désigner une communauté locale que l’Église dans son ensemble. Chaque communauté particulière est, par appel de Dieu, pleinement témoin de l’amour universel du Père : une Église locale ne se réduit donc pas à sa réalité géographique ou sociologique, elle a toujours vocation à l’universel. Voilà qui devrait élargir nos prières dites « universelles ».

          L’étendue de la mission ne doit pas nous décourager pour autant : ce qui nous est demandé est à notre portée. Le Seigneur ne nous demande pas des gestes extraordinaires : il nous suffit d’être tout simplement disponibles à la volonté du Père. Vous vous rappelez les termes du psaume de ce dimanche : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j'ai dit : « Voici, je viens. » Nous pouvons donc faire sereinement au jour le jour notre petit possible et avoir le cœur en paix. C’est ce que nous souhaite Paul : « Que la grâce et la paix soient avec vous ». C’est vraiment le plus beau souhait que l’on puisse s’adresser les uns aux autres en cette période de vœux de début d’année !

          Je remarque, au passage, qu’à plusieurs reprises, la liturgie eucharistique fait écho à cette phrase de Paul, en gestes et en paroles. Le plus marquant est évidemment le geste de paix, avec la parole qui l’accompagne : nous reprenons la phrase de Paul chaque fois que nous transmettons à notre voisin « la paix du Christ ». Et chaque fois que le prêtre nous dit « Le Seigneur soit avec vous », c’est bien dans la grâce et la paix du Christ qu’il nous invite à nous laisser immerger.

          En ce début de semaine de prière pour l’unité des chrétiens, ce texte de Paul est particulièrement bien venu ! Il nous rappelle tout ce qui unit entre eux les chrétiens du monde entier, à quelque confession qu’ils appartiennent.

          Car le peuple chrétien, dans la variété de toutes ses sensibilités, est appelé à être dans le monde le germe de l'humanité nouvelle, celle qui sera un jour réunie dans la grâce et la paix autour de Jésus-Christ : quand viendra le dernier jour, l'humanité tout entière, ressuscitée, se lèvera « comme un seul homme », comme on dit, et cet homme aura pour nom « Jésus-Christ ».

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Compléments

Corinthe était la ville de toutes les richesses et de toutes les pauvretés : elle était le lieu de passage obligé entre deux grands ports, l'un sur la mer Adriatique, l'autre sur la mer Égée ; le canal de Corinthe, que nous connaissons aujourd'hui, n'était pas encore creusé mais une route dallée reliait les deux ports et on faisait transiter les bateaux d'un port à l'autre en les halant sur des rouleaux. Ce passage était très fréquenté parce qu'il évitait aux bateaux de faire le grand détour.

Cette situation privilégiée faisait de Corinthe une ville de passage, donc de mélanges de toute sorte ; mélanges de races, d'idées, de religions : car l'Orient et l'Occident s'y rencontraient ; on y trouvait de tout et tout y était possible dans tous les domaines ; l'expression « vivre à la Corinthienne » était passée dans le vocabulaire et ce n'était pas un compliment : elle signifiait luxe et débauche. La ville était marquée aussi par les contrastes sociaux : financiers et commerçants y réglaient leurs affaires pendant que s'affairaient les dockers et les esclaves. La richesse d'une minorité s'étalait devant la misère des autres. La parabole du riche et du pauvre Lazare pouvait résonner particulièrement bien à Corinthe.

Paul connaissait bien cette ville, il y a passé environ dix-huit mois, dans les années 50 : par sa prédication, il a peu à peu rassemblé une communauté chrétienne qui reproduisait les contrastes de la population de Corinthe. Au fur et à mesure de nos lectures dans les dimanches qui viennent, nous la découvrirons mieux.

Ce n'est peut-être pas la première fois que saint Paul écrit aux Corinthiens : on croit savoir qu'il a déjà pris une fois la plume quand il a su qu'il y avait des difficultés dans la communauté de Corinthe. Cette fois-ci, il écrit pour répondre à des questions précises qui lui ont été posées ; nous sommes en 55 ou 56.

En tout cas, cette lettre dont nous inaugurons la lecture ce dimanche est la « première » lettre aux Corinthiens qui nous soit restée de Paul.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN  1,29-34

 

       En ce temps-là,
29   voyant Jésus venir vers lui,
       Jean le Baptiste déclara :
       « Voici l’Agneau de Dieu,
       qui enlève le péché du monde ;
30   c’est de lui que j’ai dit :
       L’homme qui vient derrière moi
       est passé devant moi,
       car avant moi il était.
31   Et moi, je ne le connaissais pas ;
       mais, si je suis venu baptiser dans l’eau,
       c’est pour qu’il soit manifesté à Israël. »
32   Alors Jean rendit ce témoignage :
       « J’ai vu l’Esprit
       descendre du ciel comme une colombe
       et il demeura sur lui.
33   Et moi, je ne le connaissais pas,
       mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit :
       ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer,
       celui-là baptise dans l’Esprit Saint.’
34   Moi, j’ai vu, et je rends témoignage :
       c’est lui le Fils de Dieu. »
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          La dernière formule est très solennelle : « Oui, j'ai vu et je rends ce témoignage : c'est lui le Fils de Dieu. » À l’époque de Jean-Baptiste, il ne s’agissait pas encore de l’affirmation théologique au sens où nous disons aujourd’hui que Jésus est le Fils de Dieu, ou au sens de saint Jean dans son Prologue, quand il dit « le Fils Unique, plein de grâce et de vérité » ; pour Jean-Baptiste, l’expression « Fils de Dieu » était synonyme de Messie ; l’appliquer à Jésus était donc une manière de dire que celui-ci était bien le Messie qu’on attendait, celui qui devait apporter le bonheur parfait sur la terre. Jean-Baptiste ne pouvait pas encore tout percevoir du mystère de Jésus, (la suite a prouvé qu’il s’est posé bien des questions), mais appliquer ce titre de Messie à son cousin, le fils de Marie, c’était déjà considérable !

          Pourquoi ce titre de « Messie » et de fils de Dieu étaient-ils équivalents ? Parce que chaque roi, lorsqu’il prenait possession du trône de Jérusalem, recevait ces deux titres. Le rite de l’onction d’huile faisait de lui un consacré, un « messie » (le mot veut dire « frotté d’huile », tout simplement) et d’autre part, il recevait le titre de fils de Dieu, du seul fait qu’il était le roi et que, désormais, il pouvait être assuré que Dieu l’inspirait et le soutenait à tout instant.

          Voilà donc Jésus désigné par Jean-Baptiste comme le Messie qu’on attendait déjà depuis quelques siècles. Évidemment, on se demande ce qui permet à Jean-Baptiste d’affirmer avec assurance que Jésus est bien le Messie d’Israël : c’est qu’il a vu de ses yeux l’Esprit Saint demeurer sur lui. Et, là encore, la formule est très solennelle : « J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : L'homme sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est celui-là qui baptise dans l'Esprit Saint. » Le mot « demeurer » ici est important : chaque roi, le jour de son sacre, recevait l’onction d’huile, signe de l’Esprit qui l’accompagnait dans toute sa mission. De David, par exemple, on disait que l’Esprit de Dieu avait fondu sur lui à ce moment-là ; seulement voilà, les uns après les autres, les rois d’Israël avaient fait la preuve qu’ils pouvaient fort bien ne pas suivre les inspirations de l’Esprit. De Jésus au contraire, Jean-Baptiste nous dit qu’il est celui sur qui l’Esprit demeure, manière de nous dire que toute son action sera aussi celle de l’Esprit.

          Le Messie, on le savait donc, serait habité, guidé en permanence par l’Esprit de Dieu et c’est lui qui devait apporter l’Esprit Saint à toute l’humanité. Le prophète Joël avait annoncé de la part de Dieu : « En ces jours-là, je répandrai mon Esprit sur toute chair » (Jl 3,1). Donc, quand Jean-Baptiste dit « Jésus est le fils de Dieu » ou « j’ai vu l’Esprit descendre et demeurer sur lui », ce sont deux manières absolument équivalentes de dire : le Messie est enfin parmi nous.

          Ce mystère de Jésus, Jean-Baptiste le décrit encore d’une troisième manière, mais cette fois, totalement inattendue, ou presque : il dit « Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». La majorité du peuple d’Israël attendait un Messie-roi : il régnerait à Jérusalem (ce qui supposait que les Romains ne seraient plus les maîtres), le pays serait libéré de la tutelle étrangère (l’occupation romaine), on connaîtrait enfin la sécurité, la paix, le bonheur. Mais un Messie-agneau, bien peu de gens en parlaient ! Il semble donc que Jean-Baptiste a bien deviné que Jésus serait bien le Messie qu’on attendait, mais pas du tout comme on l’attendait !

          L’agneau, cela fait penser d’abord à l’agneau pascal : le rite de la Pâque chaque année, rappelait au peuple que Dieu l’avait libéré ; la nuit de la libération d’Égypte, Moïse avait fait pratiquer par le peuple le rite traditionnel, mais il avait insisté « désormais, chaque année, ce rite vous rappellera que Dieu est passé parmi vous pour vous libérer. Le sang de l’agneau signe votre libération ».

          L’Agneau, cela fait penser aussi au Serviteur de Dieu dont parle le deuxième livre d’Isaïe (53) : il était comparé à un agneau innocent qui portait les péchés de la multitude.

          Enfin « l’Agneau de Dieu » signifie l’Agneau donné par Dieu : là, nous sommes renvoyés à l’offrande d’Abraham : quand Isaac avait posé à son père la question « mais où est donc l’agneau pour l’holocauste ? » Abraham avait répondu : « C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste, mon fils ».

          Quand Jean-Baptiste dit que Jésus est l’agneau de Dieu, il le présente donc comme le libérateur de l’humanité (c’est l’agneau pascal) ; cet agneau est envoyé par Dieu, choisi par Dieu comme dans le récit d’Abraham ; mais en faisant référence au serviteur d’Isaïe, il laisse entendre que cette œuvre de libération de l’humanité sera accomplie par un innocent qui donne sa vie pour sauver ses frères.1

          Il reste que le péché n’a pas encore disparu, que je sache ! Jean Baptiste en voyant venir Jésus le désigne comme celui « qui enlève le péché du monde ». Or depuis cette proclamation, rien apparemment n’a changé dans le monde ; les péchés de toute sorte y ont proliféré et le spectacle de notre temps ne nous fait pas espérer que les choses puissent s’arranger ! On ne peut pourtant pas mettre en doute la parole du Baptiste. Alors, que veut-il dire ? Sûrement pas la disparition pure et simple du péché sous toutes ses formes, comme par un coup de baguette magique ; sinon où serait notre liberté ?

          En quoi pouvons-nous dire que Jésus est réellement le Messie, le libérateur de l’humanité ? La vérité, c’est que le péché n’est plus une fatalité : le Christ nous apporte la possibilité de nous libérer de son engrenage. Si nous restons greffés résolument sur lui dans toutes les circonstances de notre vie, si nous nous laissons en permanence guider par l’Esprit Saint dans lequel nous sommes plongés depuis notre baptême, nous pouvons découvrir en nous cette liberté nouvelle. Nous pouvons vivre comme lui l’amour, la gratuité, le pardon.

          Par ailleurs, la référence au serviteur d’Isaïe nous donne la clé du mystère : Isaïe avait deviné que l’œuvre du salut de l’humanité ne serait pas l’œuvre d’un homme solitaire mais d’un peuple ; les chrétiens du monde entier forment ce peuple que saint Paul appelle le « Corps du Christ » qui grandit d’heure en heure si nous laissons l’Esprit de Dieu agir en nous.

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Note

1 – Le livre de l’Apocalypse reprend cette image de l’Agneau immolé, vainqueur du mal : cf Ap 5,6.12.

Compléments

- L’Esprit, c’est l’Esprit d’amour : désormais, en Jésus, l’humanité est délivrée du soupçon et de la haine : Jésus inaugure donc l’humanité nouvelle. Depuis le Jardin d’Éden, Dieu propose à l’homme d’entrer avec lui dans un dialogue d’amour : Adam refuse, soupçonne, conteste. Jésus-Christ au contraire est tourné vers le Père dans l’attitude du dialogue parfait, sans ombre ; comme dit saint Jean dans le Prologue, il est « tourné vers Dieu » (pros ton theon). Il est le OUI de l’humanité à Dieu. Jésus est donc bien celui en qui s’accomplit le dessein de Dieu : en lui, homme, toute l’humanité entre dans la communion trinitaire

- Désormais Jean-Baptiste peut s’effacer : comme Syméon, lors de la présentation de Jésus au Temple avait dit « désormais tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix, car mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé à la face de tous les peuples »... Jean-Baptiste dit quelque chose d’analogue : « Derrière moi vient un homme qui a sa place devant moi » ; Jean-Baptiste était venu préparer la venue du Messie, maintenant, il lui laisse la place.

- Lien avec le psaume : Jean-Baptiste nous montre ici le véritable agneau préparé par Dieu : désormais les sacrifices sanglants sont abolis comme l’avait dit le psaume 39/40 : « Tu ne voulais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit « voici, je viens » : c’est la disponibilité, la confiance du Fils (ce que saint Paul appellera son « obéissance ») qui efface les péchés des hommes ; la disponibilité et non le sacrifice sanglant.

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 01 19, 2e dimanche du temps ordinaire A

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6 janvier 2020 1 06 /01 /janvier /2020 10:13

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

  •  des explications historiques ou géographiques ;
  • le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "jugement (de Dieu)", "gloire (de Dieu)" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 11 janvier 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAIE 42, 1-4. 6-7

 

     Ainsi parle le SEIGNEUR :
1   Voici mon serviteur que je soutiens,
     mon élu qui a toute ma faveur.
     J'ai fait reposer sur lui mon esprit ;
     aux nations, il proclamera le droit.
2   Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton,
     il ne fera pas entendre sa voix au-dehors.
3   Il ne brisera pas le roseau qui fléchit ;
     il n'éteindra pas la mèche qui faiblit,
     il proclamera le droit en vérité.
4   Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas,
     jusqu'à ce qu'il établisse le droit sur la terre,
     et que les îles lointaines
     aspirent à recevoir ses lois.

6   Moi, le SEIGNEUR, je t'ai appelé selon la justice,
     je te saisis par la main, je te façonne,
     je fais de toi l’alliance du peuple,
     la lumière des nations :
7   tu ouvriras les yeux des aveugles,
     tu feras sortir les captifs de leur prison,
     et de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres.
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          La difficulté de ce texte vient de sa richesse ! Comme beaucoup de prédications des prophètes, celle-ci est très touffue : beaucoup de choses sont dites en quelques phrases. Je vais essayer de décomposer le texte.

          Pour commencer, visiblement, il comprend deux parties : c’est Dieu qui parle d’un bout à l’autre, mais, dans la première partie, il parle de celui qu’il appelle « son serviteur » (« Voici mon serviteur que je soutiens... »), tandis que, dans la seconde, il parle directement à son serviteur (« Moi, le SEIGNEUR, je t'ai appelé »).

          Je m’attache d’abord à la première partie : première remarque, je devrais dire premier étonnement : le mot « droit » (au sens de jugement) revient trois fois. « Aux nations, il proclamera le droit… il proclamera le droit en vérité. Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas, jusqu'à ce qu'il établisse le droit sur la terre. »

          Or c’est peut-être là que nous allons avoir des surprises, car ce jugement, curieusement, ne ressemble pas à un verdict ; pourtant, spontanément, pour nous, le mot « jugement » est souvent évocateur de condamnation, surtout quand il s’agit du jugement de Dieu. Mais ici, il n’est pas question de condamnation, il n’est question que de douceur et de respect pour tout ce qui est fragile, « le roseau qui fléchit », « la mèche qui faiblit » : « Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, il ne fera pas entendre sa voix au-dehors. Il ne brisera pas le roseau qui fléchit ; il n’éteindra pas la mèche qui faiblit ». 

          Autre caractéristique de ce jugement, il concerne toute l’humanité : tout le développement sur le jugement est encadré par deux affirmations concernant les nations, c’est-à-dire l’humanité tout entière ; voici la première : « Aux nations, il proclamera le droit » et la deuxième : « Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas, jusqu'à ce que les îles lointaines aspirent à recevoir ses lois. »

          On ne peut pas mieux dire que la volonté de Dieu est une volonté de salut, de libération, et qu’elle concerne toute l’humanité. Il attend avec impatience « que les îles lointaines aspirent à recevoir ses lois », c’est-à-dire son salut.

          Tout cela veut dire qu’à l’époque où ce texte a été écrit, on avait compris deux choses : premièrement, que le jugement de Dieu n’est pas un verdict de condamnation mais une parole de salut, de libération. (Dieu est ce « juge dont nous n’avons rien à craindre » comme le dit la liturgie des funérailles). Deuxièmement, que la volonté de salut de Dieu concerne toute l’humanité. Enfin, dernier point très important, dans le cadre de cette mission, le serviteur est assuré du soutien de Dieu : « Voici mon serviteur que je soutiens... J'ai fait reposer sur lui mon esprit ».

          La deuxième partie du texte reprend ces mêmes thèmes : c’est Dieu lui-même qui explique à son serviteur la mission qu’il lui confie : « Tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leur prison, et de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres. » Ici, non seulement il n’est pas question de condamnation, mais le jugement est un véritable « non-lieu » ou même plus exactement une levée d’écrou ! L’image est forte : vous avez entendu le lien entre le mot « cachot » et le mot « ténèbres ». Je m’explique : les cellules des prisons de l’époque étaient dépourvues de fenêtres ; sortir de prison, c’était retrouver la lumière du jour, au point d’en être ébloui après un long temps passé dans l’obscurité.

          Le caractère universel de la mission du serviteur est également bien précisé. Dieu lui dit : « Je fais de toi la lumière des nations ». Enfin, le soutien de Dieu est également rappelé : « Moi, le SEIGNEUR, je t'ai appelé... je te saisis par la main ».

          Évidemment, une question se pose tout de suite : de qui parle Isaïe ? Une telle description d’un serviteur de Dieu, investi d’une mission de salut pour son peuple et pour toute l’humanité, et sur qui repose l’esprit de Dieu, c’était exactement la définition du Messie qu’on attendait en Israël. C’est lui qui devait instaurer le règne de Dieu sur la terre et apporter à tous le bonheur et la liberté.

          Qui est ce serviteur, investi d’une telle mission ? Le prophète Isaïe qui prêchait au sixième siècle avant notre ère, pendant l’Exil à Babylone, ne nous précise pas l’identité de ce serviteur : sans doute cela était-il trop évident pour avoir besoin d’être dit. Heureusement pour nous, lorsque la Bible hébraïque a été traduite en grec, à partir du 3e siècle (cette traduction que nous appelons la Septante), les traducteurs juifs ont éclairé ce point.

          Voici le début de notre texte dans la Septante : « Ainsi parle le Seigneur : Voici mon serviteur, Jacob, que je soutiens, mon élu, Israël, en qui j’ai mis toute ma joie ».

          Alors on comprend mieux l’intention du prophète lorsqu’il adressait cette prédication à ses contemporains : l’auteur (qu’on appelle le Deuxième Isaïe) a vécu et prêché au temps de l’Exil à Babylone donc au sixième siècle av. J.-C. C’était une période particulièrement dramatique et le peuple d’Israël croyait être condamné à disparaître et n’avoir plus aucun rôle à jouer dans l’histoire. Alors le prophète Isaïe a consacré toutes ses forces à redonner courage à ses compatriotes, à tel point qu’on appelle son œuvre « le livre de la consolation d’Israël ». Or, une bonne manière de remonter le moral des troupes consistait à leur dire : tenez bon, Dieu compte encore sur vous, le petit noyau que vous formez est appelé à être son serviteur privilégié dans son œuvre de salut du monde.

          Déjà, le prophète Michée, au huitième siècle, avait eu l’intuition que le Messie ne serait pas un individu, mais un être collectif ; désormais, avec cette prédication d’Isaïe, l’idée d’un Messie collectif s’affirme de plus en plus.

Le jour de son baptême dans le Jourdain, Jésus est venu prendre la tête de ce peuple.

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 Compléments

- La lecture liturgique ajoute la première phrase : « Ainsi parle le Seigneur » probablement pour compenser la suppression du verset 5 au milieu du texte.

- Voici le verset 5 : « Ainsi parle Dieu, le Seigneur, qui crée les cieux et les déploie : il dispose la terre avec  sa végétation, il donne la vie au peuple qui l’habite, et le souffle à ceux qui la parcourent. » La deuxième partie du livre d’Isaïe (celle qu’on appelle « le livret de la consolation d’Israël) est riche d’évocations superbes de la Création : c’est dans les périodes les plus difficiles que l’on développe ce thème de la puissance créatrice de Dieu et de son amour pour ses créatures : c’est le meilleur argument pour garder l’espoir. Sa puissance créatrice et sa fidélité sont le meilleur gage de notre libération.

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PSAUME 28 (29)

 

1     Rendez au SEIGNEUR, vous les dieux,
       Rendez au SEIGNEUR gloire et puissance.
2     Rendez au SEIGNEUR la gloire de son Nom,
       adorez le SEIGNEUR, éblouissant de sainteté.

3a   La voix du SEIGNEUR domine les eaux,
3c   le SEIGNEUR domine la masse des eaux.
4     Voix du SEIGNEUR dans sa force,

       voix du SEIGNEUR qui éblouit.

3b   Le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre.
9c   Et tous, dans son temple, s'écrient : « Gloire ! »
10   Au déluge, le SEIGNEUR a siégé ;
       il siège, le SEIGNEUR, il est roi pour toujours !
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         Pour entendre ce psaume dans toute sa force, il faut imaginer la violence d’un orage : les vents déchaînés ont balayé le pays tout entier, du Liban et de l’Hermon au Nord jusqu’au désert de Qadesh au Sud. Nous en avons entendu un écho, déjà : « Le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre » ; mais ce thème se retrouve surtout dans les versets centraux de ce psaume, que nous n’avons pas entendus ; je vous les lis : « Voix du SEIGNEUR dans sa force, voix du SEIGNEUR qui éblouit, voix du SEIGNEUR : elle casse les cèdres. Le SEIGNEUR fracasse les cèdres du Liban ; il fait bondir comme un poulain le Liban, le Siryon comme un jeune taureau (le Siryon est un autre nom de l’Hermon). Voix du SEIGNEUR, elle taille des lames de feu (ce sont les éclairs bien sûr) ; voix du SEIGNEUR, elle épouvante le désert ; le SEIGNEUR épouvante le désert de Qadesh.... Voix du SEIGNEUR qui affole les biches en travail, qui ravage les forêts... ».

         Mais où donc la voix de Dieu a-t-elle ainsi résonné dans le désert ? Au Sinaï, bien sûr. Rappelez-vous la description du livre de l’Exode au moment où Dieu proposait son Alliance à Moïse : « Le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d’un cor très puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. Le mont Sinaï n’était que fumée, parce que le SEIGNEUR était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s’amplifia : Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre. » (Ex 19,16-19). Et vous savez que le targum (la traduction en araméen du texte hébreu) du livre de l’Exode compare la voix de Dieu à des flammes de feu : chaque parole de Dieu donnant à Moïse les dix paroles des commandements (le Décalogue) était comme du feu. Je vous en lis un passage : « Le premier commandement, lorsqu’il sortait de la bouche du Saint - Béni soit son nom ! -, c’était comme des étincelles, des éclairs et des lampes de feu, une lampe de feu à sa droite et une lampe de feu à sa gauche. Il volait et filait dans l’air des cieux... Puis il revenait et se gravait sur les tables de l’Alliance... »

         Au passage, on notera dans notre psaume l’emploi répété (« litanique » pourrait-on dire) du nom de Dieu révélé au Sinaï : le mot « SEIGNEUR » (le fameux nom en quatre lettres YHVH) apparaît à presque toutes les lignes (dix-huit fois pour l’ensemble du psaume !)

         Autre rapprochement suggéré par ce psaume : nous avons entendu ici trois fois l’expression « voix du SEIGNEUR » ; dans l’ensemble du psaume, elle est répétée sept fois, ce qui n’est pas un chiffre anodin, évidemment : cela fait immédiatement penser à la Création. Le poème du premier chapitre de la Genèse répète indéfiniment « Dieu dit... et cela fut ». Manière de dire que la Parole de Dieu est efficace, et elle seule ; traduisez : les idoles ne parlent pas et ne font rien, elles en sont bien incapables. Nous avons déjà eu l’occasion de voir que le poème de la création ne manque pas d’envoyer quelques pointes contre les idoles.

         Ceci nous amène à un autre thème de ce psaume qui est la royauté de Dieu : car, s’il fallait résumer ce psaume, on pourrait dire « Dieu seul est roi ; toute autre royauté est usurpée, lui seul mérite hommages et adoration. Bientôt tous le reconnaîtront et se soumettront. » Tous, à commencer par son peuple, bien sûr, mais aussi et surtout, les usurpateurs qui ont osé revendiquer une gloire qui ne revient qu’à Dieu seul : « Rendez au SEIGNEUR, vous les dieux, (sous-entendu les faux-dieux), rendez au SEIGNEUR gloire et puissance. » La pointe anti-idolâtrique est très nette : et l’orage est souvent utilisé dans la Bible pour décrire la venue du règne de Dieu, le jugement final de Dieu sur le monde, quand enfin disparaîtront les puissances du mal. La domination universelle de Dieu sera enfin manifestée.

         Comme elle le fut (autre image) sur les eaux déchaînées du déluge : «  La voix du SEIGNEUR domine les eaux, le SEIGNEUR domine la masse des eaux... Au déluge, le SEIGNEUR a siégé ». Le prophète Isaïe emploie les mêmes images pour annoncer la victoire finale de Dieu : « Les écluses d’en-haut sont ouvertes, les fondements de la terre sont ébranlés. La terre se brise, la terre vole en éclats, elle est violemment secouée... Ce jour-là, le SEIGNEUR interviendra, là-haut contre l’armée d’en-haut, et sur terre contre les rois de la terre... La lune sera humiliée, le soleil sera confondu. Oui, le SEIGNEUR, le tout-puissant est roi sur la montagne de Sion et à Jérusalem, dans sa gloire, en présence des Anciens. » (C’est un extrait de ce que l’on appelle l’Apocalypse d’Isaïe : Is 24,18... 23).

         Autre harmonique de ce psaume à propos de la domination de Dieu sur les eaux, toujours : où donc, en-dehors de la création, en-dehors du déluge, où donc Dieu a-t-il dominé la masse des eaux ? Lors de la sortie d’Égypte, bien sûr, lors de la traversée de la Mer, lorsque le peuple s’enfuyait d’Égypte, « la maison de servitude ». Et c’est le plus grand titre de gloire de Dieu. Désormais, le peuple élu, libéré gratuitement par son Dieu, prend à témoin les autres nations : leurs dieux n’ont plus qu’à s’incliner ! Vous avez remarqué l’insistance sur le mot « gloire » qui revient quatre fois : « Rendez au SEIGNEUR, vous les dieux, rendez au SEIGNEUR gloire et puissance. Rendez au SEIGNEUR la gloire de son Nom... Le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre. Et tous, dans son temple, s’écrient : Gloire ! »

         Dernière remarque : oui, dans le temple, déjà, les croyants rassemblés chantent à pleins poumons la gloire de Dieu, comme les y invite ce psaume ; mais pour le reste de l’humanité, ce n’est pas encore le cas ! Lorsque le psaume affirme : « Il siège, le SEIGNEUR, il est roi pour toujours ! », c’est encore une anticipation. Mais on ne doute pas qu’un jour viendra où Dieu sera enfin reconnu roi par tous ses enfants.

         Du coup, nous comprenons mieux le choix de ce psaume pour la fête du Baptême du Christ : avec Jésus, « Le Royaume des cieux s’est approché ».

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LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 10,34-38

 

       En ces jours-là, quand Pierre arriva à Césarée,
       chez un centurion de l’armée romaine,
34   il prit la parole et dit :
       « En vérité, je le comprends,
       Dieu est impartial :
35   mais, quelle que soit leur race,
       il accueille, quelle que soit la nation,
       celui qui le craint et dont les œuvres sont justes.
36   Telle est la Parole qu’il a envoyée aux fils d’Israël,
       en leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ,
       lui qui est le Seigneur de tous.
37   Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs,
       depuis les commencements en Galilée,
       après le baptême proclamé par Jean :
38   Jésus de Nazareth,
       Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance.
       Là où il passait, il faisait le bien,
       et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable,
       car Dieu était avec lui. »
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         C’est presque une révolution : Pierre est en train d’enfreindre toutes les convenances ; le voilà chez un païen, le centurion romain, Corneille. Il faut dire que l’Esprit Saint lui a carrément forcé la main !

         Je vous rappelle les événements. Imaginez deux maisons distantes de cinquante kilomètres, la maison de Corneille à Césarée, celle de Simon, le tanneur, à Joppé (autrement dit Jaffa ou Tel Aviv). C’est dans la maison de Simon que loge l’apôtre Pierre, qui a quitté provisoirement Jérusalem pour ce qu’on pourrait appeler une tournée missionnaire.

         Dans ces deux maisons, il se passe des choses étranges et tout à fait inattendues : cela commence à Césarée. Corneille est un officier de l’empire romain (on dirait aujourd’hui un italien) en garnison à Césarée-sur-mer, c’est-à-dire sur la côte méditerranéenne du pays des Juifs.  Aux yeux des Juifs, c’est un homme estimable, pieux, un de ceux qu’on appelle les « craignant Dieu ». Ce qui veut dire concrètement qu’il est pratiquement converti au Judaïsme, ou au moins très sympathisant, mais sans aller jusqu’à la circoncision. Il est connu aussi pour ses générosités et ses aumônes envers la synagogue de Césarée. Voici donc Corneille dans sa maison.

         Un beau jour, vers trois heures de l’après-midi, il a une vision : un ange de Dieu est devant lui et l’appelle : « Corneille ! » Il répond tout frémissant : « Qu’y a-t-il, Seigneur ? » L’ange lui explique : « Dieu entend tes prières, il voit tes aumônes ; et maintenant, envoie chercher Pierre à Joppé ; tes hommes le trouveront facilement, il loge actuellement au bord de la mer chez un tanneur du nom de Simon. »

         L’ange à peine disparu, Corneille choisit deux hommes de confiance et il les envoie à Joppé escortés d’un soldat. Et les voilà partis pour Joppé ; ils en ont pour une bonne journée de marche.

         Le lendemain, juste un peu avant qu’ils n’arrivent à destination, c’est à Joppé qu’il se passe des choses étranges : Pierre est monté faire ses prières sur la terrasse vers midi. Mais c’est presque l’heure de déjeuner et la faim le prend ; et voilà qu’il a une vision, lui aussi : du ciel descend une espèce de nappe remplie de toutes sortes d’animaux ; et une voix dit : « Allez, Pierre, tue et mange ! » Impossible pour un bon Juif d’obéir à un ordre pareil ! D’abord, il faudrait distinguer soigneusement parmi tous ces animaux ceux qui sont purs (c’est-à-dire permis par la Loi) et ceux qui ne le sont pas ; alors Pierre répond instinctivement : « Jamais, Seigneur ! De ma vie, je n’ai jamais mangé rien d’immonde ni d’impur. » Et la voix reprend : « Ce que Dieu a déclaré pur, ce n’est quand même pas toi, Pierre, qui vas le déclarer immonde ! »

         En d’autres termes, à qui est-ce de décider de ce qui est pur ou impur ? Est-ce bien aux hommes d’en décider ? Paul, plus tard, dans la lettre aux Romains, dira : « Je le sais, j’en suis convaincu par le Seigneur Jésus : rien n’est impur en soi. » (Rm 14,18).

         Pierre a certainement du mal à se rendre à ces arguments-là puisque Luc précise que la même scène se reproduit trois fois. Et il ajoute que Pierre ne comprend toujours pas, même une fois la vision définitivement disparue.

         C’est à ce moment-là, précisément, que les envoyés de Corneille frappent à la porte, au rez de chaussée ; et là-haut, sur la terrasse, l’Esprit Saint dit à Pierre « on te demande en bas, suis ces hommes sans hésiter, c’est moi qui les envoie. » Vous devinez la suite : Pierre descend, rencontre les envoyés de Corneille, leur demande ce qui les amène ; puis il leur offre l’hospitalité ; et dès le lendemain, il prend la route de Césarée ; je remarque au passage qu’il ne part pas tout seul, il emmène quelques chrétiens avec lui ; il se doute que l’affaire est importante puisque l’Esprit Saint s’en est mêlé, et s’il y a des décisions à prendre, on est toujours plus avisés à plusieurs. Encore une journée de marche, donc, pour Césarée où l’on arrive le lendemain.

         L’arrivée chez Corneille est superbe : Corneille a convoqué le ban et l’arrière-ban ; quand Pierre arrive, Corneille se jette à ses pieds ; mais Pierre a cette phrase magnifique : « Relève-toi ; moi aussi, je ne suis qu’un homme. » Puis, devant tout le monde, il dit ce qu’il a enfin compris de sa vision à Joppé : « Dieu vient de me faire comprendre qu’il ne fallait déclarer immonde ou impur aucun homme. » Sous-entendu, jusqu’ici, moi, Pierre, le Juif, je croyais être fidèle à l’Alliance de Dieu en m’interdisant tout contact avec les païens. Désormais, je comprends que, aux yeux de Dieu, personne n’est infréquentable. Et c’est pour cela que, pour la première fois de ma vie, je m’autorise, moi le Juif, à franchir le seuil de la maison d’un païen.  Puis Corneille raconte pourquoi il a fait venir Pierre, sur l’ordre de l’ange de Dieu. Et c’est à ce moment-là que Pierre entame le discours dont nous avons entendu le début tout à l’heure : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. »

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Compléments

Vous savez la suite : Pierre était peut-être parti pour faire un long discours, comme le matin de la Pentecôte, mais l’Esprit Saint, encore une fois, le devance : « Pierre exposait encore ces événements quand l’Esprit Saint tomba sur tous ceux qui avaient écouté la Parole. Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre ; (traduisez les anciens Juifs devenus chrétiens) ; ainsi sur les nations païennes, le don de l’Esprit Saint était ainsi répandu ! Ils entendaient ces gens, en effet, parler en langues et célébrer la grandeur de Dieu. »  Alors Pierre en tire la conclusion qui s’impose et il fait ce qui ne lui serait jamais venu à l’idée sans toutes ces interventions de l’Esprit Saint, il les baptise : « Quelqu’un pourrait-il empêcher de baptiser par l’eau ces gens qui, tout comme nous, ont reçu l’Esprit Saint ? »

Le programme que Jésus a fixé à ses apôtres le jour de l’Ascension est en train de s’accomplir (Ac 1, 8) ; il leur avait dit : « vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »

L’élection d’Israël n’est pas niée pour autant : « Il (Dieu) a envoyé la Parole aux fils d’Israël » ; mais désormais tous peuvent accéder à la foi en Jésus-Christ.

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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 3,13-17

 

13   Alors paraît Jésus.
       Il était venu de Galilée jusqu’au Jourdain
       auprès de Jean, pour être baptisé par lui.
14   Jean voulait l’en empêcher et disait :
       « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi,
       et c’est toi qui viens à moi ! »
15   Mais Jésus lui répondit :
       « Laisse faire pour le moment,
       car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. »
       Alors Jean le laisse faire.
16   Dès que Jésus fut baptisé,
       il remonta de l’eau,
       et voici que les cieux s’ouvrirent :
       il vit l’Esprit de Dieu
       descendre comme une colombe et venir sur lui.
17   Et des cieux, une voix disait :
       « Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
       en qui je trouve ma joie. »
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         Le baptême de Jésus est sa première manifestation publique : il n’est encore, à son arrivée au bord du Jourdain, (pour beaucoup à l’exception de quelques-uns) que Jésus de Nazareth, et Matthieu l’appelle seulement Jésus : « Jésus, arrivant de Galilée, paraît sur les bords du Jourdain, et il vient à Jean pour se faire baptiser par lui. » Son baptême sera le premier dévoilement aux yeux de tous de ce qu’il est réellement.

         La scène est très courte, mais chaque mot, chaque image compte. Je commence par les images. Il y en a trois : la marche de Jésus depuis la Galilée et jusqu’aux rives du Jourdain, un peu au nord de la Mer Morte. Jésus accomplit la même démarche que beaucoup des membres de son peuple : Matthieu raconte que les gens de « Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain venaient à Jean-Baptiste et ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés. »

         La deuxième image nous montre le geste de recul de Jean-Baptiste ; et le dialogue s’instaure entre les deux hommes ; Jean finit par s’incliner devant l’insistance du nouveau-venu. Alors on voit Jésus descendre dans le Jourdain pour y être baptisé.

         Puis c’est la dernière scène, grandiose : les cieux s’ouvrent, une colombe vient se poser sur le nouveau baptisé. Pour commencer, lorsque les cieux s’ouvrent, on comprend que la grande attente d’Israël est enfin comblée. Cette grande attente, Isaïe l’exprimait ainsi : « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais... pour faire connaître ton Nom à tes adversaires... » (Is 63,19 - 64,1). Quant à la colombe, pour un Juif, elle représente évidemment l’esprit de Dieu, celui qui planait sur les eaux de la Création, celui qui devait un jour reposer sur le Messie lorsqu’il viendrait enfin pour sauver son peuple et l’humanité tout entière. L’apôtre Pierre le rappellera dans son discours chez Corneille (que nous lisons en deuxième lecture ce dimanche) : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les débuts en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu l’a consacré par l’Esprit Saint ». (Ac 10,37-38).

         Quant aux paroles, il y en a trois également. Tout d’abord, le refus de Jean-Baptiste : « C’est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c’est toi qui viens à moi ! » Il semble bien que Jean-Baptiste, lui, ait tout de suite compris qui était Jésus. Il reconnaît en lui celui dont il a dit : « Moi, je vous baptise dans l’eau pour vous amener à la conversion. Mais celui qui est derrière moi est plus fort que moi et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. » (Mt 3,11).

         La deuxième parole, c’est la réponse de Jésus : « Laisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice » (c’est-à-dire que nous soyons accordés au projet de Dieu).

         Alors Jean-Baptiste se laisse convaincre. Lui aussi veut de tout son cœur être accordé au projet de Dieu. Sa première réaction était empreinte d’humilité, mais elle exprimait les vues humaines. Une question analogue, d’ailleurs, nous brûle les lèvres : pourquoi donc Jésus a-t-il choisi de demander le baptême de Jean-Baptiste ? Pourquoi se mettre en quelque sorte à l’école d’un autre ? Pourquoi, surtout, prendre place au rang des pécheurs ?

         Jésus, lui, dit les vues de Dieu. « Ce qui est juste », dans l’Ancien Testament, c’est ce qui est conforme au projet de Dieu, aux pensées de Dieu. Jean-Baptiste voulait distinguer Jésus du reste des hommes. Mais ce ne sont pas les vues de Dieu. Le mystère de l’Incarnation, c’est cela précisément : Jésus vient s’intégrer complètement à l’humanité. L’étonnement de Jean-Baptiste dit assez la singularité de Jésus ; homme parmi les hommes, il n’est pourtant pas comme les autres : lui, le non-pécheur, va prendre la tête des pécheurs.

         La troisième parole, c’est celle de Dieu lui-même : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour. » Pour percevoir la richesse de cette phrase apparemment si simple, il faut la décomposer. L’expression « Celui-ci est mon Fils » désigne aussitôt Jésus comme le Messie-roi que la majorité des Juifs attendaient en Israël. Car le titre de « fils de Dieu » était appliqué à chaque roi le jour de son sacre. De la part de Dieu, le prophète disait au nouveau souverain : « Tu es mon fils, aujourd’hui, je t’ai engendré » en souvenir de la promesse adressée  jadis au roi David par le prophète Nathan : « Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils » (2 S 7,14). Attribuer ce titre de « fils de Dieu » à Jésus, fils du charpentier de Nazareth, c’était donc proclamer que, malgré toutes les apparences, le vrai roi-Messie qu’on attendait, c’était lui.

         La fin de la phrase dit tout autre chose : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour. » Cette expression est la reprise d’une prophétie d’Isaïe qui disait de la part de Dieu :  « Voici mon serviteur Jacob que je soutiens, mon élu Israël en qui j’ai mis toute ma joie. J’ai fait reposer sur lui mon esprit ». Et la suite du texte énonçait la mission de ce serviteur, c’était exactement celle du Messie (nous avons entendu cela dans la première lecture de ce dimanche).

         À la figure de Messie-roi, s’ajoute donc celle de Messie-serviteur : une fois de plus, on est frappés de l’insistance du Nouveau Testament sur ce thème. Il faut dire que Jésus a dérouté nombre de ses contemporains : il ressemblait si peu à l’idée que l’on se faisait du Messie. La figure du Serviteur d’Isaïe a été pour eux l’un des grands textes qui ont nourri leur méditation ; on en trouve des traces et des allusions dans de nombreux textes du Nouveau Testament.

         À la suite de cette annonce d’Isaïe, certains Juifs avaient compris que le Messie ne serait pas un individu isolé mais un peuple. Alors on comprend mieux pourquoi Jésus ne craint pas de prendre place dans la file de ses frères juifs qui s’approchent de Jean-Baptiste pour demander le Baptême. Serviteur annoncé par Isaïe, Jésus n’est pas un Messie solitaire : déjà là, dès le début de sa vie publique, il se veut solidaire. Par notre baptême, à notre tour, nous sommes intégrés au Corps du Christ en train de se construire.

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         Compléments

         Après avoir entendu la voix qui déclare : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour », nous comprenons mieux la présence de la colombe qui symbolise l’Esprit Saint : nous venons d’assister au sacre du Messie.

         La présence de l’Esprit sur les eaux du Baptême dit bien qu’il s’agit d’une nouvelle création ; et ces eaux ne sont pas n’importe lesquelles : dans le Jourdain, Jésus est le nouveau Josué qui mène son peuple vers la vraie Terre promise, celle qu’habite l’Esprit.

           Matthieu nous offre ici une magnifique représentation de la Trinité : Jésus est déclaré « Fils », l’Esprit est reconnu sous la forme de la colombe, et le Père invisible mais présent se manifeste par sa Parole : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour. » « Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu » avait prédit Jean-Baptiste : par notre baptême, c’est dans le feu de l’amour trinitaire que tous, nous sommes réellement plongés.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 01 12 Le baptême du Seigneur A

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30 décembre 2019 1 30 /12 /décembre /2019 01:13

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

  •  des explications historiques ou géographiques ;
  • le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "jour (de Dieu", "Royaume des cieux", "dessein (bienveillant de Dieu)", "mystère" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 4 janvier 2020).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

PREMIÈRE  LECTURE - Isaïe 60,1-6

 

1     Debout, Jérusalem, resplendis !
       Elle est venue, ta lumière,
       et la gloire du SEIGNEUR s'est levée sur toi.
2     Voici que les ténèbres couvrent la terre,
       et la nuée obscure couvre les peuples.
       Mais sur toi se lève le SEIGNEUR,
       Sur toi sa gloire apparaît.
3     Les nations marcheront vers ta lumière,
       et les rois, vers la clarté de ton aurore.
4     Lève les yeux alentour, et regarde :
       tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ;
       tes fils reviennent de loin,
       et tes filles sont portées sur la hanche.
5     Alors tu verras, tu seras radieuse,
       ton cœur frémira et se dilatera.
       Les trésors d'au-delà des mers afflueront vers toi,
       vers toi viendront les richesses des nations.
6     En grand nombre, des chameaux t'envahiront,
       de jeunes chameaux de Madiane et d'Épha.
       Tous les gens de Saba viendront,
       apportant l'or et l'encens ;
       ils annonceront les exploits du SEIGNEUR.
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         Vous avez remarqué toutes les expressions de lumière, tout au long de ce passage : « Resplendis, elle est venue ta lumière... la gloire  (le rayonnement) du SEIGNEUR s’est levée sur toi (comme le soleil se lève)... sur toi se lève le SEIGNEUR, sa gloire brille sur toi...ta lumière, la clarté de ton aurore...tu seras radieuse ».

         On peut en déduire tout de suite que l’humeur générale était plutôt sombre ! Je ne dis pas que les prophètes cultivent le paradoxe ! Non ! Ils cultivent l’espérance.

         Alors, pourquoi l’humeur générale était-elle sombre, pour commencer. Ensuite, quel argument le prophète avance-t-il pour inviter son peuple à l’espérance ?

          Pour ce qui est de l’humeur, je vous rappelle le contexte : ce texte fait partie des derniers chapitres du livre d’Isaïe ; nous sommes dans les années 525-520 av. J.-C., c’est-à-dire une quinzaine ou une vingtaine d’années après le retour de l’exil à Babylone. Les déportés sont rentrés au pays, et on a cru que le bonheur allait s’installer. En réalité, ce fameux retour tant espéré n’a pas répondu à toutes les attentes.

         D’abord, il y avait ceux qui étaient restés au pays et qui avaient vécu la période de guerre et d’occupation. Ensuite, il y avait ceux qui revenaient d’Exil et qui comptaient retrouver leur place et leurs biens. Or si l’Exil a duré cinquante ans, cela veut dire que ceux qui sont partis sont morts là-bas... et ceux qui revenaient étaient leurs enfants ou leurs petits-enfants ... Cela ne devait pas simplifier les retrouvailles. D’autant plus que ceux qui rentraient ne pouvaient certainement pas prétendre récupérer l’héritage de leurs parents : les biens des absents, des exilés ont été occupés, c’est inévitable, puisque, encore une fois, l’Exil a duré cinquante ans !

         Enfin, il y avait tous les étrangers qui s’étaient installés dans la ville de Jérusalem et dans tout le pays à la faveur de ce bouleversement et qui y avaient introduit d’autres coutumes, d’autres religions...

         Tout ce monde n’était pas fait pour vivre ensemble...

         La pomme de discorde, ce fut la reconstruction du Temple : car, dès le retour de l’exil, autorisé en 538 par le roi Cyrus, les premiers rentrés au pays (nous les appellerons la communauté du retour) avaient rétabli l’ancien autel du Temple de Jérusalem, et avaient recommencé à célébrer le culte comme par le passé ; et en même temps, ils entreprirent la reconstruction du Temple lui-même.

         Mais voilà que des gens qu’ils considéraient comme hérétiques ont voulu s’en mêler ; c’étaient ceux qui avaient habité Jérusalem pendant l’Exil : mélange de juifs restés au pays et de populations étrangères, donc païennes, installées là par l’occupant ; il y avait eu inévitablement des mélanges entre ces deux types de population, et même des mariages, et tout ce monde avait pris des habitudes jugées hérétiques par les Juifs qui rentraient de l’Exil.

         Alors la communauté du retour s’est resserrée et a refusé cette aide dangereuse pour la foi : le Temple du Dieu unique ne peut pas être construit par des gens qui, ensuite, voudront y célébrer d’autres cultes ! Comme on peut s’en douter, ce refus a été très mal pris et désormais ceux qui avaient été éconduits firent obstruction par tous les moyens. Finis les travaux, finis aussi les rêves de rebâtir le Temple !

         Les années ont passé et on s’est installés dans le découragement. Mais la morosité, l’abattement ne sont pas dignes du peuple porteur des promesses de Dieu. Alors, Isaïe et un autre prophète, Aggée, décident de réveiller leurs compatriotes : sur le thème : fini de se lamenter, mettons-nous au travail pour reconstruire le Temple de Jérusalem. Et cela nous vaut le texte d’aujourd’hui :

         Connaissant le contexte difficile, ce langage presque triomphant nous surprend peut-être ; mais c’est un langage assez habituel chez les prophètes ; et nous savons bien que s’ils promettent tant la lumière, c’est parce qu’elle est encore loin d’être aveuglante... et que, moralement, on est dans la nuit. C’est pendant la nuit qu’on guette les signes du lever du jour ; et justement le rôle du prophète est de redonner courage, de rappeler la venue du jour. Un tel langage ne traduit donc pas l’euphorie du peuple, mais au contraire une grande morosité : c’est pour cela qu’il parle tant de lumière !

         Pour relever le moral des troupes, nos deux prophètes n’ont qu’un argument, mais il est de taille : Jérusalem est la Ville sainte, la ville choisie par Dieu, pour y faire demeurer le signe de sa Présence ; c’est parce que Dieu lui-même s’est engagé envers le roi Salomon en décidant « Ici sera Mon Nom », que le prophète Isaïe, des siècles plus tard, peut oser dire à ses compatriotes « Debout, Jérusalem ! Resplendis... »

         Le message d’Isaïe aujourd’hui, c’est donc : « vous avez l’impression d’être dans le tunnel, mais au bout, il y a la lumière. Rappelez-vous la Promesse : le JOUR vient où tout le monde reconnaîtra en Jérusalem la Ville sainte. » Conclusion : ne vous laissez pas abattre, mettez-vous au travail, consacrez toutes vos forces à reconstruire le Temple comme vous l’avez promis.

         J’ajouterai trois remarques pour terminer. Premièrement, une fois de plus, le prophète nous donne l’exemple : quand on est croyants, la lucidité ne parvient jamais à étouffer l’espérance.        

         Deuxièmement, la promesse ne vise pas un triomphe politique... Le triomphe qui est entrevu ici est celui de Dieu et de l’humanité qui sera un jour enfin réunie dans une harmonie parfaite dans la Cité sainte ; reprenons les premiers versets : si Jérusalem resplendit, c’est de la lumière et de la gloire du SEIGNEUR : « Debout, Jérusalem ! Resplendis : elle est venue ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi... sur toi se lève le SEIGNEUR, et sa gloire brille sur toi... »

         Troisièmement, quand Isaïe parlait de Jérusalem, déjà à son époque, ce nom désignait plus le peuple que la ville elle-même ; et l’on savait déjà que le projet de Dieu déborde toute ville, si grande ou belle soit-elle, et tout peuple, il concerne toute l’humanité.

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Psaume  71 (72)

 

1     Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
       à ce fils de roi ta justice.
2     Qu'il gouverne ton peuple avec justice,
       qu'il fasse droit aux malheureux !

7     En ces jours-là, fleurira la justice,
       grande paix jusqu'à la fin des lunes !
8     Qu'il domine de la mer à la mer,
       et du Fleuve jusqu'au bout de la terre !

10   Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents.
       Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
11   Tous les rois se prosterneront devant lui,
       tous les pays le serviront.

12   Il délivrera le pauvre qui appelle
       et le malheureux sans recours.
13   Il aura souci du faible et du pauvre,
       du pauvre dont il sauve la vie.
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         Imaginons que nous sommes en train d’assister au sacre d’un nouveau roi. Les prêtres expriment à son sujet des prières qui sont tous les souhaits, j’aurais envie de dire tous les rêves que le peuple formule au début de chaque nouveau règne : vœux de grandeur politique pour le roi, mais surtout vœux de paix, de justice pour tous. Les « lendemains qui chantent », en quelque sorte ! C’est un thème qui n’est pas d’aujourd’hui... On en rêve depuis toujours ! Richesse et prospérité pour tous... Justice et Paix... Et cela pour tous... d’un bout de la terre à l’autre... Or le peuple élu a cet immense avantage de savoir que ce rêve des hommes coïncide avec le projet de Dieu lui-même.

         La dernière strophe de ce psaume, elle, change de ton (malheureusement, elle ne fait pas partie de la liturgie de cette fête) : il n’est plus question du roi terrestre, il n’est question que de Dieu : « Béni soit le SEIGNEUR, le Dieu d’Israël, lui seul fait des merveilles ! Béni soit à jamais son nom glorieux, toute la terre soit remplie de sa gloire ! Amen ! Amen ! » C’est cette dernière strophe qui nous donne la clé de ce psaume : en fait, il a été composé et chanté après l’Exil à Babylone, (donc entre 500 et 1 00 av. J.-C.) c’est-à-dire à une époque où il n’y avait déjà  plus de roi en Israël ; ce qui veut dire que ces vœux, ces prières ne concernent pas un roi en chair et en os... ils  concernent le roi qu’on attend, que Dieu a promis, le roi-messie. Et puisqu’il s’agit d’une promesse de Dieu, on peut être certain qu’elle se réalisera.

         La Bible tout entière est traversée par cette espérance indestructible : l’histoire humaine a un but, un sens ; et le mot « sens » veut dire deux choses : à la fois « signification » et « direction ». Dieu a un projet. Ce projet inspire toutes les lignes de la Bible, Ancien Testament et Nouveau Testament : il porte des noms différents selon les auteurs. Par exemple, c’est le JOUR de Dieu pour les prophètes, le Royaume des cieux pour saint Matthieu, le dessein bienveillant pour saint Paul, mais c’est toujours du même projet qu’il s’agit. Comme un amoureux répète inlassablement des mots d’amour, Dieu propose inlassablement son projet de bonheur à l’humanité. Ce projet sera réalisé par le messie et c’est ce messie que les croyants appellent de tous leurs vœux lorsqu’ils chantent les psaumes au temple de Jérusalem

         Ce psaume 71, particulièrement, est vraiment la description du roi idéal, celui qu’Israël attend depuis des siècles : quand Jésus naît, il y a 1 000 ans à peu près que le prophète Natan est allé trouver le roi David de la part de Dieu et lui a fait cette promesse dont parle notre psaume. Je vous redis les paroles du prophète Natan à David : « Quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, je maintiendrai après toi le lignage issu de tes entrailles et j’affermirai sa royauté... Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils... Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi, ton trône sera affermi à jamais » (2 S 7,12-16).1

         De siècle en siècle, cette promesse a été répétée, répercutée, précisée. La certitude de la fidélité de Dieu à ses promesses en a fait découvrir peu à peu toute la richesse et les conséquences ; si ce roi méritait vraiment le titre de fils de Dieu, alors il serait à l’image de Dieu, un roi de justice et de paix.

         À chaque sacre d’un nouveau roi, la promesse était redite sur lui et on se reprenait à rêver... Depuis David, on attendait, et le peuple juif attend toujours... et il faut bien reconnaître que le règne idéal n’a encore pas vu le jour sur notre terre. On finirait presque par croire que ce n’est qu’une utopie...

         Mais les croyants savent qu’il ne s’agit pas d’une utopie : il s’agit d’une promesse de Dieu, donc d’une certitude. Et la Bible tout entière est traversée par cette certitude, cette espérance invincible : le projet de Dieu se réalisera, nous avançons lentement mais sûrement vers lui. C’est le miracle de la foi : devant cette promesse à chaque fois déçue, il y a deux attitudes possibles : le non-croyant dit « je vous l’avais bien dit, cela n’arrivera jamais » ; mais le croyant affirme tranquillement « patience, puisque Dieu l’a promis, il ne saurait se renier lui-même », comme dit saint Paul (1 Tm 2,13).

         Ce psaume dit bien quelques aspects de cette attente du roi idéal : par exemple « pouvoir » et « justice » seront enfin synonymes ; c’est déjà tout un programme : de nombreux pouvoirs humains tentent loyalement d’instaurer la justice et d’enrayer la misère mais n’y parviennent pas ; ailleurs, malheureusement, « pouvoir » rime parfois avec avantages de toute sorte et autres passe-droits ; parce que nous ne sommes que des hommes.

         En Dieu seul le pouvoir n’est qu’amour : notre psaume le sait bien puisqu’il précise « Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice ».

         Et alors puisque notre roi disposera de la puissance même de Dieu, une puissance qui n’est qu’amour et justice, il n’y aura plus de malheureux dans son royaume. « En ces jours-là fleurira la justice, grande paix jusqu’à la fin des lunes !... Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. »

         Ce roi-là, on voudrait bien qu’il règne sur toute la planète ! C’est de bon cœur qu’on lui souhaite un royaume sans limite de temps ou d’espace ! « Qu’il règne jusqu’à la fin des lunes... » et « Qu’il domine de la mer à la mer et du Fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ». À l’époque de la composition de ce psaume, les extrémités du monde connu, c’étaient l’Arabie et l’Égypte et c’est pourquoi on cite les rois de Saba et de Seba : Saba, c’est au Sud de l’Arabie, Seba, c’est au Sud de l’Égypte... Quant à Tarsis, c’est un pays mythique, qui veut dire « le bout du monde ».

         Aujourd’hui, le peuple juif chante ce psaume dans l’attente du roi-Messie2 ; nous, chrétiens, l’appliquons à Jésus-Christ et il nous semble que les mages venus d’Orient ont commencé à réaliser la promesse « Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents, les rois de Saba et de Seba feront leur offrande... Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront ».        

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Notes

1 - Quand le chant « Il est né le divin enfant » nous fait dire « Depuis plus de 4 000 ans nous le promettaient les prophètes », le compte n’est pas tout à fait exact, peut-être le nombre 4 000 n’a-t-il été retenu que pour les nécessités de la mélodie.

2 - De nos jours, encore, dans certaines synagogues, nos frères juifs disent leur impatience de voir arriver le Messie en récitant la profession de foi de Maïmonide, médecin et rabbin à Tolède en Espagne, au douzième siècle : « Je crois d’une foi parfaite en la venue du Messie, et même s’il tarde à venir, en dépit de tout cela, je l’attendrai jusqu’au jour où il viendra. »                       

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DEUXIÈME  LECTURE - Éphésiens 3, 2-3a. 5-6

 

       Frères,
2     vous avez appris, je pense,
       en quoi consiste la grâce que Dieu m'a donnée pour vous :
3     par révélation, il m'a fait connaître le mystère.
5     Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance
       des hommes des générations passées,
       comme il a été révélé maintenant
       à ses saints Apôtres et aux prophètes,
       dans l'Esprit.
6     Ce mystère,
       c'est que toutes les nations sont associées au même héritage,
       au même corps,
       au partage de la même promesse,
       dans le Christ Jésus,
       par l'annonce de l'Évangile.
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         Ce passage est extrait de la lettre aux Éphésiens au chapitre 3 ; or c’est dans le premier chapitre de cette même lettre que Paul a employé sa fameuse expression « le dessein bienveillant de Dieu » ; ici, nous sommes tout à fait dans la même ligne ; je vous rappelle quelques mots du chapitre 1 : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ».

         Dans le texte d’aujourd’hui, nous retrouvons ce mot de « mystère ». Le « mystère », chez saint Paul, ce n’est pas un secret que Dieu garderait jalousement pour lui ; au contraire, c’est son intimité dans laquelle il nous fait pénétrer. Paul nous dit ici : « Par révélation, Dieu m’a fait connaître le mystère du Christ » : ce mystère, c’est-à-dire son dessein bienveillant, Dieu le révèle progressivement ; tout au long de l’histoire biblique, on découvre toute la longue, lente, patiente pédagogie que Dieu a déployée pour faire entrer son peuple élu dans son mystère ; nous avons cette expérience qu’on ne peut pas, d’un coup, tout apprendre à un enfant : on l’enseigne patiemment au jour le jour et selon les circonstances ; on ne fait pas d’avance à un enfant des leçons théoriques sur la vie, la mort, le mariage, la famille... pas plus que sur les saisons ou les fleurs... l’enfant découvre la famille en vivant les bons et les mauvais jours d’une famille bien réelle ; il découvre les fleurs une à une, il traverse avec nous les saisons... quand la famille célèbre un mariage ou une naissance, quand elle traverse un deuil, alors l’enfant vit avec nous ces événements et, peu à peu, nous l’accompagnons dans sa découverte de la vie.

         Dieu a déployé la même pédagogie d’accompagnement avec son peuple et s’est révélé à lui progressivement ; pour saint Paul, il est clair que cette révélation a franchi une étape décisive avec le Christ : l’histoire de l’humanité se divise nettement en deux périodes : avant le Christ et depuis le Christ. « Ce mystère1, n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l'Esprit. » À ce titre, on peut se réjouir que nos calendriers occidentaux décomptent les années en deux périodes, les années avant J.-C. et les années après J.-C.

         Ce mystère, ici, Paul l’appelle simplement « le mystère du Christ », mais on sait ce qu’il entend par là : à savoir que le Christ est le centre du monde et de l’histoire, que l’univers entier sera un jour réuni en lui, comme les membres le sont à la tête ; d’ailleurs, dans la phrase « réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ », le mot grec que nous traduisons « chef » veut dire tête. 

         Il s’agit bien de « l’univers entier » et ici Paul précise : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus » ; on pourrait dire encore autrement : l’Héritage, c’est Jésus-Christ... la Promesse, c’est Jésus-Christ... le Corps, c’est Jésus-Christ... Le dessein bienveillant de Dieu, c’est que Jésus-Christ soit le centre du monde, que l’univers entier soit réuni en lui. Dans le Notre Père, quand nous disons « Que ta volonté soit faite », c’est de ce projet de Dieu que nous parlons et, peu à peu, à force de répéter cette phrase, nous nous imprégnons du désir de ce Jour où enfin ce projet sera totalement réalisé.

         Donc le projet de Dieu concerne l’humanité tout entière, et non pas seulement les Juifs : c’est ce qu’on appelle l’universalisme du plan de Dieu. Cette dimension universelle du plan de Dieu fut l’objet d’une découverte progressive par les hommes de la Bible, mais à la fin de l’histoire biblique, c’était une conviction bien établie dans le peuple d’Israël, puisqu’on fait remonter à Abraham la promesse de la bénédiction de toute l’humanité : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12,3). Et le passage d’Isaïe que nous lisons en première lecture de cette fête de l’Épiphanie est exactement dans cette ligne. Bien sûr, si un prophète comme Isaïe a cru bon d’y insister, c’est qu’on avait tendance à l’oublier.

         De la même manière, au temps du Christ, si Paul précise : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus », c’est que cela n’allait pas de soi. Et là, nous avons un petit effort d’imagination à faire : nous ne sommes pas du tout dans la même situation que les  contemporains de Paul ; pour nous, au vingt-et-unième siècle, c’est une évidence : beaucoup d’entre nous ne sont pas juifs d’origine et trouvent normal d’avoir part au salut apporté par le Messie ; pour un peu, même, après deux mille ans de christianisme, nous aurions peut-être tendance à oublier qu’Israël reste le peuple élu parce que, comme dit ailleurs saint Paul, « Dieu ne peut pas se renier lui-même ». Aujourd’hui, nous avons un peu tendance à croire que nous sommes les seuls témoins de Dieu dans le monde.

         Mais au temps du Christ, c’était la situation inverse : c’est le peuple juif qui, le premier, a reçu la révélation du Messie. Jésus est né au sein du peuple juif : c’était la logique du plan de Dieu et de l’élection d’Israël ; les Juifs étaient le peuple élu, ils étaient choisis par Dieu pour être les apôtres, les témoins et l’instrument du salut de toute l’humanité ; et on sait que les Juifs devenus chrétiens ont eu parfois du mal à tolérer l’admission d’anciens païens dans leurs communautés. Saint Paul vient leur dire « Attention... les païens, désormais, peuvent aussi être des apôtres et des témoins du salut »...  Au fait, je remarque que Matthieu, dans l’évangile de la visite des mages, qui est lu également pour l’Épiphanie, nous dit exactement la même chose.

         Les derniers mots de ce texte résonnent comme un appel : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus par l’annonce de l’évangile » : si je comprends bien, Dieu attend notre collaboration à son dessein bienveillant : les mages ont aperçu une étoile, pour laquelle ils se sont mis en route ; pour beaucoup de nos contemporains, il n’y aura pas d’étoile dans le ciel, mais il faudra des témoins de la Bonne Nouvelle.

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ÉVANGILE  Matthieu 2, 1-12

 

1     Jésus était né à Bethléem en Judée,
       au temps du roi Hérode le Grand.
       Or, voici que des mages venus d'Orient
       arrivèrent à Jérusalem
2     et demandèrent :
       « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?
       Nous avons vu son étoile à l’orient
       et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
3     En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé,
       et tout Jérusalem avec lui.
4     Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple,
       pour leur demander où devait naître le Christ.
       Ils lui répondirent :
5     « À Bethléem en Judée,
       car voici ce qui est écrit par le prophète :
6     Et toi, Bethléem, terre de Juda,
       tu n'es certes pas le dernier
       parmi les chefs-lieux de Juda,
       car de toi sortira un chef,
       qui sera le berger de mon peuple Israël. »

7     Alors Hérode convoqua les mages en secret

       pour leur faire préciser à quelle date l'étoile était apparue ;
8     Puis il les envoya à Bethléem, en leur disant :
       « Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant.
       Et quand vous l'aurez trouvé, venez me l’annoncer
       pour que j'aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
9     Après avoir entendu le roi, ils partirent.
       Et voici que l'étoile qu'ils avaient vue à l’orient
       les précédait,
       jusqu’à ce qu’elle vienne s'arrêter au-dessus de l’endroit
       où se trouvait l'enfant.
10   Quand ils virent l'étoile,
       ils se réjouirent d’une très grande joie.
11   Ils entrèrent dans la maison,
       ils virent l'enfant avec Marie sa mère ;
       et, tombant à ses pieds,
       ils se prosternèrent devant lui.
       Ils ouvrirent leurs coffrets,
       et lui offrirent leurs présents :
       de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12   Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode,
       ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
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         On sait à quel point l’attente du Messie était vive au temps de Jésus. Tout le monde en parlait, tout le monde priait Dieu de hâter sa venue. La majorité des Juifs pensait que ce serait un roi : ce serait un descendant de David, il régnerait sur le trône de Jérusalem, il chasserait les Romains, et il établirait définitivement la paix, la justice et la fraternité en Israël ; et les plus optimistes allaient même jusqu’à dire que tout ce bonheur s’installerait dans le monde entier.

         Dans ce sens, on citait plusieurs prophéties convergentes de l’Ancien Testament : d’abord celle de Balaam dans le Livre des Nombres. Je vous la rappelle : au moment où les tribus d’Israël s’approchaient de la terre promise sous la conduite de Moïse, et traversaient les plaines de Moab (aujourd’hui en Jordanie), le roi de Moab, Balaq, avait convoqué Balaam pour qu’il maudisse ces importuns ; mais, au lieu de maudire, Balaam, inspiré par Dieu avait prononcé des prophéties de bonheur et de gloire pour Israël ; et, en particulier, il avait osé dire : « Je le vois, je l’observe, de Jacob monte une étoile, d’Israël jaillit un sceptre ... » (Nb 24,17). Le roi de Moab avait été furieux, bien sûr, car, sur l’instant, il y avait entendu l’annonce de sa future défaite face à Israël ; mais en Israël, dans les siècles suivants, on se répétait soigneusement cette belle promesse ; et peu à peu on en était venu à penser que le règne du Messie serait signalé par l’apparition d’une étoile. C’est pour cela que le roi Hérode, consulté par les mages au sujet d’une étoile, prend l’affaire très au sérieux.

         Autre prophétie concernant le Messie : celle de Michée : « Toi, Bethléem, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, c’est de toi que sortira le Messie » ; prophétie tout à fait dans la ligne de la promesse faite par Dieu à David : que sa dynastie ne s’éteindrait pas et qu’elle apporterait au pays le bonheur attendu.

         Les mages n’en savent peut-être pas tant : ce sont des astrologues ; ils se sont mis en marche tout simplement parce qu’une nouvelle étoile s’est levée ; et, spontanément, en arrivant à Jérusalem, ils vont se renseigner auprès des autorités. Et c’est là, peut-être, la première surprise de ce récit de Matthieu : il y a d’un côté, les mages qui n’ont pas d’idées préconçues ; ils sont à la recherche du Messie et ils finiront par le trouver. De l’autre, il y a ceux qui savent, qui peuvent citer les Écritures sans faute, mais qui ne bougeront pas le petit doigt ; ils ne feront même pas le déplacement de Jérusalem à Bethléem. Évidemment, ils ne rencontreront pas l’enfant de la crèche.

         Quant à Hérode, c’est une autre histoire. Mettons-nous à sa place : il est le roi des Juifs, reconnu comme roi par le pouvoir romain, et lui seul... Il est assez fier de son titre et férocement jaloux de tout ce qui peut lui faire de l’ombre ... Il a fait assassiner plusieurs membres de sa famille, y compris ses propres fils, il ne faut pas l’oublier. Car dès que quelqu’un devient un petit peu populaire... Hérode le fait tuer par jalousie. Et voilà qu’on lui rapporte une rumeur qui court dans la ville : des astrologues étrangers ont fait un long voyage jusqu’ici et il paraît qu’ils disent : « Nous avons vu se lever une étoile tout à fait exceptionnelle, nous savons qu’elle annonce la naissance d’un enfant-roi... tout aussi exceptionnel... Le vrai roi des juifs vient sûrement de naître » ! ... On imagine un peu la fureur, l’extrême angoisse d’Hérode !

         Donc, quand saint Matthieu nous dit : « Hérode fut bouleversé et tout Jérusalem avec lui », c’est certainement une manière bien douce de dire les choses ! Évidemment, Hérode ne va pas montrer sa rage, il faut savoir manœuvrer : il a tout avantage à extorquer quelques renseignements sur cet enfant, ce rival potentiel... Alors il se renseigne :

         D’abord sur le lieu : Matthieu nous dit qu’il a convoqué les chefs des prêtres et les scribes et qu’il leur a demandé où devait naître le Messie ; et c’est là qu’intervient la prophétie de Michée : le Messie naîtra à Bethléem.

         Ensuite, Hérode se renseigne sur l’âge de l’enfant car il a déjà son idée derrière la tête pour s’en débarrasser ; il convoque les mages pour leur demander à quelle date au juste l’étoile est apparue. On ne connaît pas la réponse mais la suite nous la fait deviner : puisque, en prenant une grande marge, Hérode fera supprimer tous les enfants de moins de deux ans.

         Très probablement, dans le récit de la venue des mages, Matthieu nous donne déjà un résumé de toute la vie de Jésus : dès le début, à Bethléem, il a rencontré l’hostilité et la colère des autorités politiques et religieuses. Jamais, ils ne l’ont reconnu comme le Messie, ils l’ont traité d’imposteur... Ils l’ont même supprimé, éliminé. Et pourtant, il était bien le Messie : tous ceux qui le cherchent peuvent, comme les mages, entrer dans le salut de Dieu.

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Compléments

1-Au passage, on notera que c'est l'un des rares indices que nous ayons de la date de naissance exacte de Jésus ! On connaît avec certitude la date de la mort d'Hérode le Grand : 4 avant J.-C. (il a vécu de 73 à 4 avant J.-C.)... or il a fait tuer tous les enfants de moins de 2 ans : c'est-à-dire des enfants nés entre 6 et 4 (avant J.-C.) ; donc Jésus est probablement né entre 6 et 4 ! Probablement en 6 ou 5... Mais, quand au sixième siècle on a voulu - à juste titre - compter les années à partir de la naissance de Jésus, (et non plus à partir de la fondation de Rome) il y a eu tout simplement une erreur de comptage.

2-On a ici une illustration de l’Élection d'Israël : les mages païens ont vu l'étoile, car elle est visible par tout un chacun.

Mais ce sont les scribes d'Israël qui peuvent en révéler le sens : encore faut-il qu'eux-mêmes se laissent guider par les Écritures.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 01 05 Épiphanie du Seigneur A

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23 décembre 2019 1 23 /12 /décembre /2019 01:02

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en donnant

  •  des explications historiques ou géographiques ;
  • le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "heureux", "crainte (du Seigneur)", "obéir", "(se) supporter" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 28 décembre 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE BEN SIRA LE SAGE  3,2-6.12-14                                 

 

3, 2 Le Seigneur glorifie le père dans ses enfants,
       il renforce l'autorité de la mère sur ses fils.
3     Celui qui honore son père obtient le pardon de ses péchés,
4     celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor.
5     Celui qui honore son père aura de la joie dans ses enfants,
       au jour de sa prière il sera exaucé.
6       Celui qui glorifie son père verra de longs jours,
       celui qui obéit au Seigneur donne du réconfort à sa mère...

12   Mon fils, soutiens ton père dans sa vieillesse,
       ne le chagrine pas pendant sa vie.
13   Même si son esprit l'abandonne, sois indulgent,
       ne le méprise pas, toi qui es en pleine force.
14   Car ta miséricorde envers ton père ne sera pas oubliée
       et elle relèvera ta maison
       si elle est ruinée par le péché.
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                        Ben Sira dit encore bien d'autres choses sur le respect dû aux parents ; et s'il éprouve le besoin d'y insister, c'est parce qu'à son époque, l'autorité des parents n'était plus ce qu'elle avait été : les mœurs étaient en train de changer et Ben Sira ressentait le besoin de redresser la barre. Nous sommes au deuxième siècle av. J.-C., vers 180. Ben Sira tient une école de Sagesse (on dirait « Philosophie » aujourd'hui) à Jérusalem ; on est sous la domination grecque : les souverains sont libéraux et les Juifs peuvent continuer à pratiquer intégralement leur Loi ; (la situation changera un peu plus tard avec Antiochus Épiphane) ; mais c'est cette tranquillité, justement, qui inquiète Ben Sira, car, insidieusement, de nouvelles habitudes de penser se répandent : à côtoyer de trop près des païens, on risque de penser et de vivre bientôt comme eux. Et c'est bien ce qui pousse Ben Sira à défendre les fondements de la religion juive, à commencer par la famille. Car si la structure familiale s'affaiblit, qui transmettra aux enfants la foi, les valeurs, et les pratiques du judaïsme ?

                        Notre texte d'aujourd'hui est donc avant tout un plaidoyer pour la famille parce qu'elle est le premier sinon le seul lieu de transmission des valeurs.

                        C’est aussi un commentaire magnifique, une variation sur le quatrième commandement. Les plus âgés d’entre nous le connaissent sous la forme du catéchisme de leur enfance : « Tes père et mère honoreras afin de vivre longuement ». Et le voici dans sa forme primitive au livre de l’Exode : « Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne le SEIGNEUR ton Dieu » (Ex 20,12) ; et le livre du Deutéronome ajoutait « et afin que tu sois heureux » (Dt 5,16).

                        Le texte que nous lisons aujourd’hui a donc été écrit vers 180 av. J.-C. ; et puis, cinquante ans plus tard, le petit-fils de Ben Sira a traduit l’œuvre de son grand-père et il a voulu préciser les choses : il a donc ajouté deux versets pour justifier ce respect dû aux parents : son argument est le suivant : nos parents nous ont donné la vie, ils sont donc les instruments de Dieu qui donne la vie : « De tout ton cœur glorifie ton père, et n’oublie pas les souffrances de ta mère. Souviens-toi que tu leur dois la naissance, comment leur rendras-tu ce qu’ils ont fait pour toi ? » (Si 7,27-28).

                        Bien sûr, ce commandement rejoint le simple bon sens : on sait bien que la cellule familiale est la condition primordiale d’une société équilibrée. Actuellement, nous ne faisons que trop l’expérience des désastres psychologiques et sociaux entraînés par la brisure des familles. Mais, plus profondément, j’entends aussi là que notre rêve d’harmonie familiale fait partie du plan de Dieu.

                        Cette défense des valeurs familiales ne nous étonne donc pas : mais dans le texte de Ben Sira on a un peu l’impression d’un calcul : « Celui qui honore son père obtient le pardon de ses fautes, celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor. Celui qui honore son père aura de la joie dans ses enfants, au jour de sa prière il sera exaucé. Celui qui glorifie son père verra de longs jours... » Même chose pour le commandement : « Tes père et mère honoreras afin de vivre longuement » ; comme si on nous disait « si tu te conduis bien, Dieu te le revaudra ».

                        Or, il n’est jamais question de calcul avec Dieu, puisqu’avec lui tout est grâce, c’est-à-dire gratuit ! Ce qu’on veut nous dire, c’est que chaque fois que Dieu nous donne un commandement, c’est pour notre bonheur.

                       Si vous en avez le courage, reportez-vous au livre du Deutéronome, en particulier au chapitre 6, celui dont est extraite la plus célèbre prière d’Israël, le « Shema Israël » (Écoute Israël) ; vous serez étonnés de l’insistance de ce texte pour nous dire que la loi est chemin de bonheur et de liberté. Voici quelques versets du Deutéronome : « Tu feras ce qui est droit et bien aux yeux du SEI­GNEUR, pour être heureux et entrer prendre possession du bon pays que le SEI­GNEUR a promis par serment à tes pères... » (Dt 6,18) 1.

            Revenons à Ben Sira ; nous y lisons une phrase un peu étonnante : « Celui qui honore son père obtient le pardon de ses fautes ». Tout d’abord, on peut penser qu’une telle phrase prouve que ce texte est récent ; on sait bien qu’il a fallu des siècles de pédagogie de Dieu, par la bouche de ses prophètes, pour que l’on découvre que le seul chemin de réconciliation avec Dieu n’est pas le sacrifice sanglant comme on le croyait primitivement ; le seul chemin de réconciliation avec Dieu, c’est la réconciliation avec le prochain. On entend là comme un écho de la célèbre phrase du prophète Osée « C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice » (Os 6, 6).

            En quelque sorte, Ben Sira nous dit : « Vous voulez être sûrs d’honorer Dieu ? C’est bien simple, honorez vos parents : être filial à leur égard, c’est être filial aussi à l’égard de Dieu. On sait que sur les dix commandements, deux seulement sont des ordres positifs : le commandement sur le sabbat et celui-ci sur le respect des parents. « Du jour du sabbat, tu feras un mémorial... », « Honore ton père et ta mère » ; tous les autres commandements sont négatifs, ils indiquent seulement des limites à ne pas dépasser : « Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne commettras pas d’adultère »...

            Mais c’est bien un ordre positif qui résume tous les commandements : vous le trouvez dans l’Ancien Testament au Livre du Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ; or, notre premier prochain, au vrai sens du terme, ce sont nos parents. En cette période de fêtes où des liens familiaux se resserrent ou se redécouvrent, ce texte de Ben Sira est donc bien trouvé.

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Note

1 - Inversement, le même livre affirmait : « Maudit soit celui qui méprise son père et sa mère ! » (Dt 27,16). Et ce commandement était assorti de peines très sévères : la peine de mort, en particulier, pour celui qui avait « frappé son père ou sa mère » même si ses coups n’avaient pas entraîné la mort (Ex 21,15). La même sanction était prévue pour celui qui « insultait » son père ou sa mère (Ex 21,17). Rappelons-nous, il n’est pas si loin le temps où le Droit français prévoyait des sanctions particulièrement sévères pour les parricides.

Complément

La lecture liturgique ne nous propose que les versets 2 à 6 et 12 à 14 du chapitre 3 du livre de Ben Sira ; on peut se demander pourquoi elle supprime plusieurs versets au beau milieu du texte ? Les voici, ils ne font que donner plus de vigueur à l'ensemble : « (Celui qui obéit au Seigneur) sert ses parents comme des maîtres. En actes et en paroles, honore ton père, afin que sa bénédiction vienne sur toi ; car la bénédiction d’un père affermit la maison de ses enfants, mais la malédiction d’une mère en arrache les fondations*. Ne te glorifie pas du déshonneur de ton père ; ce n’est pas une gloire pour toi que le déshonneur de ton père ; car la gloire d’un homme vient de l’honneur de son père et c’est un opprobre pour ses enfants qu’une mère dans le déshonneur. »

N.B.* Je cite ici le verset 9 « la bénédiction d’un père affermit la maison de ses enfants, mais la malédiction d’une mère en arrache les fondations » d’après la version grecque en usage dans notre tradition chrétienne ; mais le texte primitif hébreu (de Ben Sira lui-même) disait : la bénédiction d’un père enracine, mais la malédiction d’une mère arrache la plantation. » Voici la note de la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible) : « Le grec a transposé la métaphore agraire de l’hébreu, en une comparaison citadine, plus intelligible pour des lecteurs grecs. » Bel exemple d’adaptation à un auditoire.

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PSAUME  127 (128)

 

1     Heureux qui craint le SEIGNEUR
       et marche selon ses voies !
2     Tu te nourriras du travail de tes mains :
       Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !

3     Ta femme sera dans ta maison
       comme une vigne généreuse,
       et tes fils, autour de la table,
       comme des plants d'olivier.

4     Voilà comment sera béni
       l'homme qui craint le SEIGNEUR.
5     De Sion, que le SEIGNEUR te bénisse !
       Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie.
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              Si vous avez la curiosité d’aller lire ce psaume dans votre Bible, vous verrez qu’on l’appelle « Cantique des montées » : ce qui veut dire qu’il a été composé pour être chanté pendant le pèlerinage, dans la montée vers Jérusalem. Vu son contenu, on peut penser qu’il était chanté à la fin du pèlerinage, sur les dernières marches du Temple. Dans la première partie, les prêtres, à l’entrée du Temple, accueillent les pèlerins  et leur font une dernière catéchèse : « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR et marche selon ses voies ! Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi le bonheur ! Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils autour de la table comme des plants d’olivier ». Une chorale ou bien l’ensemble des pèlerins répond : « Oui, voilà comment sera béni l’homme qui craint le SEIGNEUR ».

              Alors les prêtres prononcent la formule liturgique de bénédiction : « De Sion, que le SEIGNEUR te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie, et tu verras les fils de tes fils » (versets 5 et 6 qui ne sont que partiellement retenus pour notre chant au cours de cette fête).

              Au passage, nous lisons une formule qui pourrait en révolter plus d’un : « Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi le bonheur ! »  Il faut croire que les problèmes de chômage n’existaient pas !  L’objet de la bénédiction peut nous sembler bien terre à terre ; mais pourtant l’insistance de toute la Bible sur le bonheur et la réussite devraient nous rassurer. Notre soif de bonheur bien humain, notre souhait de réussite familiale rejoignent le projet de Dieu sur nous... sinon, l’Église n’aurait pas fait du mariage un sacrement !!! Dieu nous a créés pour le bonheur et pour rien d’autre. RÉJOUISSONS-NOUS !

              Et le mot « HEUREUX » revient très souvent dans la Bible ; il revient si souvent, même, qu’on pourrait lui reprocher d’être bien loin de nos réalités concrètes ; ne risque-t-il pas de paraître ironique face à tant d’échecs humains et de malheurs dont nous voyons le spectacle tous les jours ? Vous avez remarqué sûrement combien ce psaume, lui aussi, multiplie les mots « heureux », « bonheur », bénédiction » : « Heureux qui craint le SEIGNEUR et marche selon ses voies !... Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !... Voilà comment sera béni l’homme qui craint le SEIGNEUR. Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie. »

              En réalité, le mot « heureux » ne prétend pas être un constat un peu facile, comme si, automatiquement, les hommes droits et justes étaient assurés d’être heureux... Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir des hommes faire du bien et ne récolter que du malheur. Il s’agit en réalité du seul bonheur qui compte, c’est-à-dire la proximité de Dieu. En fait, le mot « Heureux » a deux facettes ; il est à la fois un compliment et un encouragement ; André CHOURAQUI, dont la traduction était toujours très proche du texte hébreu, traduisait le mot « Heureux » par « En marche ». Sous-entendu « vous êtes sur la bonne voie, bravo, et courage, continuez ! » La particularité du peuple d’Israël est d’avoir su très tôt que son Dieu l’accompagne dans son désir de bonheur et lui ouvre le chemin. Écoutez le prophète Jérémie : « Moi, je sais les projets que j’ai formés à votre sujet, dit le SEIGNEUR, projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29, 11).

            Et toute la Bible en est tellement convaincue qu’elle affirme qu’il faut avoir une langue de vipère pour mettre en doute les intentions de Dieu envers l’homme et la femme qu’il a créés pour leur bonheur. (C’est le sens du récit du Paradis terrestre). Saint Paul, qui était un expert de l’Ancien Testament, a résumé en quelques mots les intentions de Dieu : il les appelle « le dessein bienveillant de Dieu ».

            Il y a toujours donc deux aspects dans le mot biblique « Heureux » : c’est d’abord le projet, le dessein de Dieu, qui est le bonheur de l’homme, mais c’est aussi le choix de l’homme, en ce sens que le bonheur (le vrai bonheur qui est la proximité avec Dieu) est à construire : le chemin est tracé, il est tout droit : il suffit d’être fidèle à la loi qui se résume dans le commandement d’aimer Dieu et l’humanité ; Jésus a simplement suivi ce chemin-là. « Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout » (Jn 13,1). Et il invite ses disciples à le suivre, pour leur bonheur : « Heureux serez-vous si vous mettez mes paroles en pratique ».

            Mais là où notre texte se complique un peu, c’est avec la formule « Heureux l’homme qui craint le SEIGNEUR » ; elle peut même sembler paradoxale : peut-on en même temps craindre et être heureux ? André Chouraqui, encore, traduisait ce verset de la manière suivante : « En marche, toi qui es tout frémissant de Dieu ». C’est le frémissement de l’émotion et non pas de la peur. Nous connaissons cela déjà, parfois, lorsque devant un grand bonheur, nous nous sentons tout petits.

            L’homme biblique a mis longtemps à découvrir que Dieu est amour ; mais dès lors qu’il a découvert un Dieu d’amour, il n’a plus peur. Le peuple d’Israël a eu ce privilège de découvrir à la fois la grandeur du Dieu qui nous dépasse infiniment ET la proximité, la tendresse de ce même Dieu. Du coup, la « crainte de Dieu », au sens biblique, n’est plus la peur de l’homme primitif (parce qu’on ne peut pas avoir peur de Celui qui est la Bonté en personne, si j’ose dire) ; la « crainte de Dieu » est alors l’attitude du petit enfant qui voit en son père à la fois la force et la tendresse. Le livre du Lévitique utilise d’ailleurs exactement le même mot hébreu pour dire « Chacun de vous doit craindre sa mère et son père » (Lv 19,3), ce qui veut bien dire qu’à la fin de l’histoire biblique la « crainte » de Dieu est synonyme d’attitude filiale.

            La foi, c’est d’abord la certitude fondamentale que Dieu veut le bonheur de l’homme et qu’il nous suffit donc de l’écouter, de le suivre avec confiance et simplicité. Le suivre signifiant être fidèle à la loi, tout simplement. La phrase « Heureux qui craint le SEIGNEUR et marche selon ses voies ! » est en fait une répétition : pour l’homme biblique « craindre le SEIGNEUR » et « marcher selon ses voies » sont synonymes.

            Quand tous les habitants de Jérusalem seront fidèles à ce programme, alors elle accomplira sa vocation d’être, comme son nom l’indique, la « ville de la paix ». C’est pourquoi notre psaume anticipe un peu et affirme : « Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie.      

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX COLOSSIENS 3,12-21          

 

12   Frères, puisque vous avez été choisis par Dieu,
       que vous êtes sanctifiés, aimés par lui,
       revêtez-vous de tendresse et de compassion,
       de bonté, d'humilité, de douceur et de patience.
13   Supportez-vous les uns les autres,
       et pardonnez-vous mutuellement
       si vous avez des reproches à vous faire.
       Le Seigneur vous a pardonné : faites de même.
14   Par-dessus tout cela, ayez l'amour :
       qui est le lien lu plus parfait.
15   Et que, dans vos cœurs, règne la paix du Christ
       à laquelle vous avez été appelés
       vous qui formez un seul corps.
       Vivez dans l'action de grâce.
16   Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ;
       instruisez-vous et reprenez-vous les uns les autres
       en toute sagesse ;
       par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés,
       chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance.
17   Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites,
       que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus,
       en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père.
18   Vous les femmes, soyez soumises à votre mari ;
       dans le Seigneur, c'est ce qui convient.
19   Et vous les hommes, aimez votre femme,
       ne soyez pas désagréables avec elle.
20   Vous les enfants, obéissez en toute chose à vos parents ;
       cela est beau dans le Seigneur.
21   Et vous les parents, n'exaspérez pas vos enfants ;
       vous risqueriez de les décourager.
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                        La liturgie d’aujourd’hui nous invite à contempler la Sainte Famille. Au cœur de la fête, une famille toute simple : Joseph, Marie et Jésus. C’est la famille terrestre de Dieu : c’est pour cela, d’ailleurs, qu’on l’appelle la « sainte » famille, car le mot « saint » désigne précisément Dieu et lui seul.

                        Ceci dit, ne nous y trompons pas, cette famille « sainte » n’a pas vécu dans les nuages : tout ce que les évangélistes nous disent de l’enfance de Jésus n’a rien d’un conte de fées ! Joseph perturbé devant la grossesse miraculeuse de Marie, les misérables conditions de la naissance de l’enfant, l’exil forcé en Égypte, et, quelques années plus tard, le fameux pèlerinage à Jérusalem où l’enfant est perdu et retrouvé... et l’évangile nous dit  clairement que ses parents n’y comprenaient rien. Tout cela pour dire que cette « sainte famille » a été une vraie famille, avec des problèmes comme tout le monde en connaît.

                        Voilà qui nous rassure ! Et si, dans sa lettre aux Chrétiens de Colosses, saint Paul fait des recommandations de patience et de pardon... c’est bien qu’il en faut ! Nous en savons quelque chose...

              La ville de Colosses est en Turquie, à 200 km à l’est d’Éphèse ; Paul n’y est jamais allé : c’est un de ses disciples, Épaphras, un Colossien, qui s’est lui-même, d’abord, converti au christianisme, et qui, ensuite, a fondé une communauté chrétienne dans sa ville.

                        On ne sait pas très bien ce qui a décidé Paul à écrire à ces chrétiens. D’après le contenu de la lettre, on sait seulement que Paul est en prison et qu’il a reçu des nouvelles un peu inquiétantes : la foi chrétienne est en danger. Le ton de sa lettre est mélangé : tantôt c’est l’éblouissement de Paul lui-même, devant le projet de Dieu : c’est le théologien émerveillé, le mystique, le converti du chemin de Damas qui parle ! Tantôt ce sont des mises en garde très fermes pour dire à ces chrétiens : « N’écoutez pas n’importe qui, ne vous laissez pas détourner de la vraie foi » et il n’y va pas de main morte ! Par exemple, il leur dit : « Veillez à ce que personne ne vous prenne au piège de la philosophie, cette creuse duperie... »

                        Donc le ton de la lettre, le style est changeant. Mais, dans le fond, son message est toujours le même : pour lui, le centre du monde et de l’histoire, c’est Jésus-Christ ; et quand il parle aux chrétiens de leur vie concrète, il les invite d’abord à contempler Jésus-Christ. « Revêtez vos cœurs de tendresse et de bonté, agissez comme le Seigneur, que la paix soit dans vos cœurs, vivez dans l’action de grâce, faites tout au nom du Seigneur Jésus... » Voilà la clé du comportement nouveau des baptisés : tout faire au nom du Seigneur Jésus puisqu’ils sont le Corps du Christ.

                        On se souvient que, dans la lettre aux Corinthiens, Paul parlait déjà de la communauté chrétienne comme d’un corps composé de plusieurs membres. Dans cette lettre aux Colossiens (notre lecture d’aujourd’hui), il pousse plus loin la comparaison : le Christ est la tête et nous sommes son Corps qui se construit progressivement jusqu’à la fin des temps. C’est pour cela qu’il dit « Supportez-vous les uns les autres » dans le sens où les divers éléments d’une construction s’étaient mutuellement et soutiennent l’ensemble.1

            Dernière remarque : il arrive que certaines femmes en entendant ce texte réagissent à la phrase « Vous les femmes, soyez soumises à votre mari ; dans le Seigneur, c’est ce qui convient. » Mais nous aurions tort de nous en agacer : et ceci pour deux raisons. Premièrement, c’était probablement une phrase habituelle à l’époque puisqu’on la trouve aussi dans la première lettre de saint Pierre (1 P 3,1), et lui, on ne l’a jamais accusé de misogynie !

              Deuxièmement, la soumission au sens biblique n’a rien à voir avec de l’esclavage ! Dans une société fondée sur la responsabilité du père de famille, ce qui était le cas au temps de Paul, c’est lui (le père de famille) qui, de droit et de fait, a le dernier mot ; Paul commence donc par dire la phrase que tout le monde attend : « femmes soyez soumises à vos maris » mais il continue par une phrase extrêmement exigeante adressée aux maris, et celle-là, on ne l’attendait pas ! « Et vous les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréables avec elle. »

              Pour lui, il va de soi que l’époux chrétien est, dans toutes ses paroles, inspiré uniquement par l’amour et le souci des siens ; dans un tel contexte, la femme n’a aucune raison de se rebiffer devant des paroles qui ne sont que tendresse et respect ; on retrouve là le thème biblique habituel de l’obéissance : le croyant n’a aucun mal à mettre son oreille sous la parole de Dieu (c’est le sens du verbe « obéir-obaudire ») parce qu’il sait que Dieu est Amour.

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Note

1 – Toutes les vies, toutes les destinées s’appuient les unes sur les autres. Saint Pierre et saint Paul comparent les communautés des hommes à des constructions de pierres vivantes qui doivent leur solidité à leur cohésion. Se « supporter » ne veut donc pas dire accepter en soupirant les inévitables défauts des uns et des autres, mais, plus positivement, s’étayer mutuellement, compter les uns sur les autres pour tenir debout dans la vie.

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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   2,13-15.19-23    

 

13   Après le départ des Mages,
       l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph
       et lui dit :
       « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère,
       et fuis en Égypte :
       Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse,
       car Hérode va rechercher l’enfant,
       pour le faire périr. »
14   Joseph se leva ;
       dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère,
       et se retira en Égypte,
15   où il resta jusqu’à la mort d’Hérode.
       Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète :
       « D’Égypte, j’ai appelé mon fils »…

19   Après la mort d’Hérode,
       l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph en Égypte
20   et lui dit :
       « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère,
       et reviens au pays d’Israël,
       car ils sont morts,
       ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. »
21   Joseph se leva,
       prit l’enfant et sa mère,  
       et rentra au pays d’Israël.
22   Mais, apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée
       à la place de son père Hérode,
       il eut peur de s’y rendre.
       Averti en songe,
       il se retira dans la région de Galilée
23   et vint habiter dans une ville appelée Nazareth.
       Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par les prophètes :
       il sera appelé Nazaréen.
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            L’aventure de la « Sainte Famille » en Égypte fait spontanément penser à une autre aventure d’une autre famille, douze siècles auparavant sur cette même terre d’Égypte. Le peuple d’Israël y était en esclavage. Le Pharaon avait ordonné de tuer tous les garçons à la naissance. Un seul avait échappé, celui que sa mère avait déposé sur le Nil dans une corbeille bien calfeutrée : Moïse. Cet enfant, sauvé de la cruauté du tyran allait devenir le libérateur de son peuple... Et voilà que l’histoire se renouvelle : Jésus a échappé au massacre... Il va devenir le sauveur de l’humanité. Matthieu nous invite certainement à faire le rapprochement : à nous de découvrir que Jésus est le nouveau Moïse ; ce qui veut dire que l’une des promesses de l’Ancien Testament est accomplie ; car Dieu avait dit à Moïse : « C’est un prophète comme toi que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. » (Dt 18,18).

            Deuxième signe de l’accomplissement des Écritures d’après Matthieu : la phrase « D’Égypte, j’ai appelé mon fils ».  C’est une citation du prophète Osée ; elle signifiait la très grande tendresse de Dieu qui agissait envers Israël comme un père : voici la phrase d’Osée : « Quand Israël était jeune, je l’ai aimé, et d’Égypte j’ai appelé mon fils ». (Os 11,1)1. Le prophète parlait bien du peuple d’Israël tout entier ; mais saint Matthieu, lui, l’applique à Jésus seul... Comme si Jésus représentait en quelque sorte le peuple élu tout entier. C’est peut-être une manière de nous dire : « Jésus est le Nouvel Israël. C’est lui qui accomplit l’Alliance que Dieu avait proposée à son peuple ». Le titre de « fils de Dieu » était également appliqué à chaque roi le jour de son sacre et était devenu peu à peu un des titres du Messie ; en l’appliquant à Jésus, Matthieu nous signale certainement Jésus comme le Messie.

            Enfin, les contemporains de Jésus ne pouvaient pas imaginer que le Dieu unique ait un fils, mais quand l’écrivain Matthieu rédige son évangile, longtemps après la résurrection de Jésus et la venue de l’Esprit Saint sur les croyants, ceux-ci ont découvert que ce titre de Fils de Dieu appliqué à Jésus voulait dire encore beaucoup plus : il est vraiment Fils de Dieu, et Dieu lui-même, au sens de notre credo actuel : « il est Dieu, né de Dieu, engendré non pas créé, de même nature que le Père et par lui tout a été fait ».

            Troisième signe de l’accomplissement des Écritures d’après Matthieu : « Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par les prophètes : il sera appelé Nazaréen. » Le petit problème pour nous c’est que jamais dans les Écritures il n’est dit que le Messie sortira de Nazareth ! Et d’ailleurs le nom même de Nazareth n’est jamais cité dans l’Ancien Testament, ce qui veut dire tout simplement qu’il ne s’était jamais passé quoi que ce soit d’important dans ce village avant le temps de Jésus. Est-cela justement qui intéresse Matthieu ? Une fois de plus Dieu a surpris les hommes, il a choisi ce qui apparaissait insignifiant. D’autre part, il ne faut pas l’oublier, l’oreille juive de Matthieu est très sensible aux assonances : or le mot « Nazareth » est très proche du mot hébreu « Netser » qui signifie « rejeton » et qu’on appliquait au Messie, rejeton attendu sur la souche de David. C’est très proche aussi du mot « nazir », ces juifs très pieux qui se consacraient à Dieu et prononçaient des vœux. L’homme de Nazareth méritait bien au moins ce titre-là. Enfin, le mot Nazareth peut être rapproché d’un verbe (natsar) qui signifie « garder » : Jésus comme Marie méritent bien le nom de « gardiens » (de l’Alliance). Quand Matthieu écrit la dernière rédaction de son évangile, les chrétiens sont traités du terme de Nazaréens qui n’a rien de flatteur dans la bouche de leurs adversaires (on en a la preuve dans le livre des Actes des Apôtres) ; l’évangéliste trouve certainement bon de leur rappeler que leur maître portait le même titre qu’eux et que ce titre que l’on voulait péjoratif était en réalité magnifique. C’est donc peut-être un message d’encouragement et de réconfort que Matthieu leur adresse, du genre : « Jésus, lui aussi, était traité avec mépris, comme vous, et c’était pourtant bien lui le Fils de Dieu ».

             Voici donc déjà dans notre texte d’aujourd’hui trois titres de Jésus : « Nazaréen », « nouvel Israël, « nouveau Moïse ». Maintenant, pour comprendre la portée du message de Matthieu, il faut regarder la composition de ce passage : vous l’avez remarqué, on pourrait dire qu’il y a deux actes dans ce récit. Premier acte : ce qu’on a appelé « la fuite en Égypte » ; deuxième acte : le retour d’Égypte. Et, curieusement, ces deux actes sont construits exactement de la même façon.

             L’auteur rappelle d’abord le contexte historique. Dans un cas, c’est « Après le départ des Mages », dans l’autre « Après la mort d’Hérode » ; puis, chaque fois, une apparition : l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph la nuit, et lui donne un ordre : la fuite, puis le retour. Joseph se lève et obéit. Et, dans les deux cas, l’auteur conclut : « Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète » (ou « par les prophètes »). Cette construction en parallèle montre bien qu’il faut aussi mettre les deux citations en parallèle. « D’Égypte, j’ai appelé mon fils » ... « Il sera appelé Nazaréen ».

             Ce rapprochement entre le titre peu flatteur de « Nazaréen » et le titre de « Fils de Dieu » est donc certainement voulu par Matthieu. Manière de nous dire : « Préparez-vous, ce Messie ne se présente pas comme on l’attendait ».

             Du coup nous comprenons mieux pourquoi nous lisons ce texte pour la fête de la Sainte Famille : Jésus est Fils de Dieu et pourtant il sort de ce pays perdu de Nazareth. On ne peut pas trouver de paradoxe plus étonnant... Mais c’est bien le nôtre : chacun d’entre nous, chacune de nos familles vit une histoire divine dans la réalité la plus banale de son histoire humaine.

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Note

1 – La citation de la phrase du prophète Osée n’est pas exactement la même dans le texte hébreu et dans sa traduction en grec ; mais cette différence est très instructive. En hébreu, on peut lire « Dès l’Égypte, je l’appelais mon fils » ; ce qui veut dire : « Dès ce temps-là, alors qu’il était esclave en Égypte, j’aimais ce peuple comme un père aime son fils ». En grec, la phrase est devenue : « D’Égypte j’ai appelé mon fils », c’est-à-dire « je l’ai libéré, je l’ai fait sortir d’Égypte ». Ces deux manières de comprendre la phrase du prophète Osée ne sont pas contradictoires, elles se complètent. Israël a fait l’expérience de l’amour paternel ET libérateur de Dieu.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2019 12 29 La Sainte Famille A

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