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14 mai 2022 6 14 /05 /mai /2022 00:29
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 14 mai 2022).

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   14, 21b-27

     En ces jours-là, Paul et Barnabé,
21 retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ;
22 ils affermissaient le courage des disciples ;
     ils les exhortaient à persévérer dans la foi,
     en disant :
     « Il nous faut passer par bien des épreuves
     pour entrer dans le royaume de Dieu. »
23 Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises
     et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur
     ces hommes qui avaient mis leur foi en lui.
24 Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie.
25 Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé,
     ils descendirent au port d’Attalia,
26 et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie,
     d'où ils étaient partis ;
     c'est là qu'ils avaient été remis à la grâce de Dieu
     pour l'œuvre qu'ils avaient accomplie.
27 Une fois arrivés, ayant réuni l'Église,
     ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux,
     et comment il avait ouvert aux nations païennes la porte de la foi.
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 LES TOUTES PREMIÈRES COMMUNAUTÉS CHRÉTIENNES EN TURQUIE

 Ceci se passe au cours du premier voyage missionnaire de saint Paul, sur le trajet du retour. Je vous rappelle le début de cette première mission : d’Antioche de Syrie, Paul et Barnabé étaient partis par bateau vers la côte sud de ce que nous appelons aujourd’hui la Turquie en passant par Chypre. Puis ils avaient fait étape à Antioche de Pisidie, Iconium (Konya aujourd’hui), Lystres et Derbé. Partout, nous l’avons vu dimanche dernier, les choses se passent de la même façon : Paul et Barnabé s’adressent d’abord aux Juifs, et reçoivent un accueil plutôt « contrasté » : à la fois enthousiasme de la part de certains qui se convertissent, et refus violent de la part d’autres qui se situeront résolument en opposition et qui finiront par les chasser. Et c’est à Antioche de Pisidie qu’ils ont décidé d’adresser la parole non seulement aux Juifs mais également à ceux que l’on appelait des « craignant Dieu », c’est-à-dire des pratiquants de la religion juive mais non encore intégrés par la circoncision, donc encore en rigueur de termes, des païens. C’est pour cette raison que Paul dit que « Dieu a ouvert aux nations païennes la porte de la foi ».

 Aujourd’hui, nous les retrouvons sur le chemin du retour : ils refont le même périple en sens inverse et revisitent les communautés qu’ils ont récemment fondées : elles aussi certainement sont affrontées déjà à des persécutions puisque Luc précise : « Paul et Barnabé les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant ‘il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu’ ». Jésus, déjà, avait employé à son propre sujet des expressions analogues : par exemple « il faut qu’il (le Fils de l’Homme) souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération » (Luc 17,25) ... ou encore en s’adressant aux disciples d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » (Luc 24,26). Ce « il faut » ne dit pas, bien sûr, une exigence qui viendrait de Dieu : Dieu ne nous impose pas des épreuves ou des souffrances préalables ; cette formule « il faut » dit une nécessité malheureusement due à la dureté de cœur des hommes, c’est-à-dire concrètement l’inévitable opposition à laquelle se heurtent les véritables prophètes tant que le monde n’est pas converti à l’amour, à la justice, au partage.

 Paul et Barnabé se préoccupent donc d’affermir la foi et le courage des nouveaux convertis ; ils doivent également veiller à la bonne organisation des communautés ; et là on peut remarquer deux choses : tout d’abord, ils désignent des responsables, ceux qu’ils appellent les « Anciens » ; c’est le mot grec « presbuteros » (d’où vient notre mot français « prêtre »).

 

ILS CONFIÈRENT CES HOMMES AU SEIGNEUR 

 Deuxième remarque : Luc dit bien « Ils désignèrent des Anciens... puis après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en Lui ». Il s’agit ici précisément de ces Anciens qu’ils viennent de désigner à la tête des communautés. Luc insiste ici sur la place de la prière et du jeûne : l’équilibre est bien gardé ; on veille à l’organisation mais on ne se fie pas qu’à elle : prière, et jeûne sont aussi importants ! Tout à fait dans la même veine, un évêque d’Amérique-Latine, au congrès Eucharistique de Lourdes, en 1981, disait : » Un évangélisateur qui ne prie plus, bientôt n’évangélisera plus » ; petite phrase peut-être pas superflue pour nous qui sommes si préoccupés d’organisation... ?

 Luc nous dit encore que tout ceci se passe dans la confiance : « ils confièrent ces hommes au Seigneur » ; ils leur ont donné des responsabilités : maintenant, à eux de « jouer », le Seigneur les accompagne. Les apôtres en sont bien convaincus ; ils l’expérimentent déjà pour eux-mêmes : la mission qu’ils assument n’est pas leur œuvre à eux tout seuls ; il suffit de reprendre le texte : « Ils s’embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie ». Ils ont été remis à la grâce de Dieu, et à leur tour ils viennent de remettre à la grâce de Dieu les responsables qu’ils ont désignés pour les jeunes communautés.  

 Luc continue : « Une fois arrivés, ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux. » Le rapprochement est intéressant : Luc parle ET de « l’œuvre que les Apôtres viennent d’accomplir » ET de « ce que Dieu avait fait avec eux » ; on ne peut pas dire plus clairement que la mission que Dieu confie aux croyants est une œuvre commune : œuvre de Dieu confiée à l’homme, œuvre de l’homme soutenu, accompagné, sans cesse inspiré par Dieu. Si nous nous souvenions en permanence que l’évangélisation est d’abord l’œuvre de Dieu, peut-être serions-nous plus sereins ?
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PSAUME 144 (145), 8-13 

 8   Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
      lent à la colère et plein d'amour ;
 9   la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
      sa tendresse pour toutes ses œuvres.

10 Que tes œuvres, SEIGNEUR, te rendent grâce
     et que tes fidèles te bénissent !
11 Ils diront la gloire de ton règne,
     ils parleront de tes exploits.

12 Ils annonceront aux hommes tes exploits,
     la gloire et l'éclat de ton règne :
13 ton règne, un règne éternel,
     ton empire, pour les âges des âges.
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LE SENS DES PSAUMES ALPHABÉTIQUES

 Le psaume 144 (145) que la liturgie a sélectionné pour ce cinquième dimanche de Pâques comporte en réalité vingt et un versets alors que nous venons d'en entendre seulement six... Bien sûr, c'est un peu frustrant de ne l'entendre que partiellement, mais on peut aussi se demander pourquoi ces six versets-là précisément et alors, cela devient très intéressant.

 Vingt-et-un versets, autant que de lettres dans l'alphabet hébreu* ; nous savons déjà que ce n'est pas un hasard : qui plus est, ce psaume est vraiment alphabétique en ce sens qu'il s'agit de ce qu'on appelle un acrostiche ; chaque verset commence réellement par une des lettres de l'alphabet hébreu, dans l'ordre alphabétique... nous avons acquis le réflexe : en face d'un psaume alphabétique, nous savons d'avance qu'il s'agit d'un psaume d'action de grâce pour l'Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de aleph à tav) baigne dans l'Alliance, dans la tendresse de Dieu.

 Mais pourquoi ce psaume 144 (145) aujourd'hui ? Et pourquoi non pas la totalité du psaume, mais ces six versets précisément ?

 Première remarque : ce psaume figure dans la prière juive de chaque matin : pour le Juif croyant, le matin (l'aube du jour neuf) évoque irrésistiblement l'aube du JOUR définitif, celui du monde à venir, celui de la création renouvelée... On voit immédiatement la résonance qu'il prend alors pour nous, chrétiens, en ce temps pascal... notre foi, c'est précisément que le Jour du Règne définitif de Dieu est déjà inauguré sous nos yeux par la Résurrection du Christ.

 Si nous allons un peu plus loin dans la spiritualité juive, le Talmud (c'est-à-dire l'enseignement des rabbins des premiers siècles après J.-C.), affirme que celui qui récite ce psaume trois fois par jour, « peut être assuré d’être un fils du monde à venir ». Or pour nous chrétiens, encore une fois, le monde à venir dont parle la foi juive, c’est justement la création renouvelée par Jésus-Christ.

 Si l’on regarde d’un peu plus près les six versets précis qui ont été retenus pour aujourd’hui, il me semble premièrement qu’on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis... et, deuxièmement, qu’il entre en résonance parfaite avec les accents du temps pascal et, en particulier, les autres lectures de ce dimanche... 

 Premier verset entendu aujourd’hui : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ». C’est le meilleur résumé qu’on puisse donner de toute la révélation biblique : puisque c’est le nom que Dieu a donné de lui-même à Moïse (Ex 34,6).

 Deuxième verset : « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse pour toutes ses œuvres » ; la tendresse et la pitié du Seigneur dont le peuple élu a eu le premier la Révélation, elles sont POUR TOUS ! Et cela, c’est une énorme découverte pour l’humanité... une découverte que nous devons au peuple élu... C’est un thème que nous avons rencontré déjà à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament : Dieu aime toute l’humanité et son projet d’amour, son « dessein bienveillant », comme dit Paul, concerne toute l’humanité.

 Aujourd’hui, nous entendons une résonance particulière avec le livre des Actes des Apôtres que nous lisons pendant tout le temps pascal : en particulier, le récit du livre des Actes proposé en première lecture dans la même messe de ce cinquième dimanche de Pâques insiste justement sur le fait que l’annonce de l’amour de Dieu n’est pas réservée aux Juifs, mais est proposée à toutes les nations païennes comme dit saint Luc... soit dit en passant, c’est pour cela que nous sommes nous aussi croyants, plus de deux mille ans plus tard, même si nous ne sommes pas d’origine juive.

 

NOTRE PÈRE, QUE TON RÈGNE VIENNE !

 Une autre particularité de ce psaume, et surtout des versets lus aujourd’hui : il insiste sur la royauté de Dieu : « Tes fidèles diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits, ils annonceront aux hommes tes exploits, la gloire et l’éclat de ton règne : ton règne, un règne éternel, ton empire pour les âges des âges »... quatre fois le mot  « règne », (sans parler du mot « empire »)... deux fois le mot « exploit ». 

 Nous savons bien que le mot « exploit » dans la Bible est toujours une référence à la libération d’Égypte : Dieu a libéré son peuple... je ne devrais pas dire « Dieu A LIBÉRÉ » comme si c’était du passé... la foi juive dit « Dieu libère aujourd’hui son peuple, et ce depuis la première libération » ...)

 Et, bien sûr, la libération ultime, c’est la victoire sur la mort. Ce psaume est donc tout particulièrement indiqué pour le temps pascal ; le Ressuscité du matin de Pâques expérimente dans sa chair la royauté de Dieu.

 Si vous avez le courage de vous rapporter au texte complet de ce psaume, vous verrez qu’il y a une parenté très grande entre ce texte et celui du Notre Père : par exemple, le Notre Père s’adresse à Dieu à la fois comme à un Père : « Notre Père... donne-nous... pardonne-nous... délivre-nous du mal... »... un père qui est le Dieu de tendresse et de pitié dont parle ce psaume... ET comme à un roi (que ton Règne vienne) ... Soit dit en passant, ce rapprochement n’a rien d’étonnant quand on sait que toutes les phrases rassemblées par Jésus dans le Notre Père faisaient déjà partie, de son temps, des prières habituelles des Juifs !

 Je reviens à notre psaume : très certainement, quand le peuple d’Israël composait ce psaume, cette insistance sur la royauté de Dieu, ou sur son empire, était une manière de dire : plus jamais nous ne ferons confiance à des idoles : notre seul roi, notre seul maître, c’est Dieu, le Dieu d’amour... » le Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour » ...

 Quand les fidèles du Christ disent ce psaume à leur tour, ils savent de quoi ils parlent, si j’ose dire : en Jésus-Christ, le roi serviteur, le roi humble de la Passion ET triomphant de la mort par la Résurrection, ils ont découvert la présence du roi de l’univers : » Qui m’a vu a vu le Père » disait Jésus à ses apôtres.

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 * Selon que l’on compte pour une ou deux lettres le signe Sin/Shin (le même signe se prononce tantôt Sin, tantôt Shin), on comptabilisera 21 ou 22 lettres dans l’alphabet hébreu. Les grammairiens nomment les deux signes Sin et Shin, et comptent donc 22 lettres dans l’alphabet, le psalmiste, lui, n’a utilisé que la lettre Shin et donc 21 versets.

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LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN    21, 1-5a 

      Moi, Jean,
1   j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle,
     car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés
     et, de mer, il n’y en a plus.
2   Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle,
     je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu,
     prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari.
3   Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône.
     Elle disait :
     « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ;
     il demeurera avec eux,
     et ils seront ses peuples,
     et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu.
4   Il essuiera toute larme de leurs yeux,
     et la mort ne sera plus,
     et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur :
     ce qui était en premier s’en est allé. »
     5     Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara :
     « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »
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 « VOICI QUE JE FAIS TOUTES CHOSES NOUVELLES »

 « Voici que je fais toutes choses nouvelles » : ciel nouveau, terre nouvelle, Jérusalem nouvelle ; voilà notre avenir, nous dit saint Jean, notre « à-venir » en deux mots, ce qui vient. Finies les larmes, la mort, finis les pleurs, les cris, la tristesse... c’est du passé : premier ciel, première terre ont disparu. Autrement dit, le passé est passé, FINI. Évidemment Jean anticipe ; il nous a bien prévenus : son livre est un livre de visions, il révèle l’avenir pour donner le courage d’affronter le présent.

 Premier ciel, première terre, cela nous renvoie au récit biblique de la Création ; donc pour aborder ce passage de l’Apocalypse, il faut ouvrir le livre de la Genèse. Le premier chapitre présentait la Création, ce que l’Apocalypse appelle « premier ciel, première terre » comme tout entière bonne : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici, cela était très bon. » (Gn 1,31).

 Et pourtant, nous faisons chaque jour l’expérience des pleurs, des cris, de la tristesse, de la mort, comme dit encore l’Apocalypse. Et c’est la suite du livre de la Genèse, le récit du fruit défendu, qui nous dit ce qui pervertit la bonté de la Création ; il nous dit que la racine de toutes nos souffrances est dans la faille qui s’est creusée entre Dieu et l’humanité : ce soupçon originel qui ruine sans merci l’Alliance proposée... soupçon qui pousse l’humanité à prendre des chemins qui ne lui réservent que des échecs.

 Tout au long de l’histoire biblique, le peuple élu s’est entendu rappeler par les prophètes dans la voie de l’Alliance : la seule voie du vrai bonheur, c’est que Dieu habite vraiment parmi nous... que nous soyons son peuple, qu’il soit notre Dieu, que l’Alliance soit restaurée sans faille, comme un dialogue d’amour, comme des fiançailles... c’est la soif d’Israël tout au long de son histoire. Et des textes prophétiques innombrables annoncent très exactement ce que l’auteur de l’Apocalypse voit désormais réalisé ; le prophète Isaïe, par exemple :

 « Oui, voici : je vais créer un ciel nouveau et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l’esprit. Soyez plutôt dans la joie, exultez sans fin pour ce que je crée. Car je vais recréer Jérusalem, pour qu’elle soit exultation, et que son peuple devienne joie. J’exulterai en Jérusalem, je trouverai ma joie dans mon peuple. On n’y entendra plus de pleurs ni de cris. Là, plus de nourrisson emporté en quelques jours, ni d’homme qui ne parvienne au bout de sa vieillesse ; le plus jeune mourra centenaire, ne pas atteindre cent ans sera malédiction. » (Is 65,17-20).

 Symboliquement, ce renouvellement de toutes choses est représenté par la disparition de la mer : Israël n’est pas un peuple de marins, c’est clair ! Rappelons-nous aussi que la Création de l’univers est réfléchie dans la Bible à partir de la création du peuple élu ; or cette naissance du peuple extirpé à l’esclavage en Égypte, a été une victoire sur la mer : Dieu a fait apparaître la terre ferme pour le passage de son peuple ; le peuple sauvé a traversé à pied sec, et les forces du mal, les forces de l’esclavage, de l’oppression ont été englouties... Plus tard, cette fois dans le Nouveau Testament, au cours de sa vie terrestre, le Fils de Dieu fait homme a manifesté sa victoire sur le mal, sur les forces de l’abîme en marchant sur la mer...

 

LES NOCES DE DIEU AVEC L’HUMANITÉ

 Désormais la victoire est totale, suggère l’Apocalypse : la mer a disparu ! Et avec elle, toute forme de mal : toute forme de souffrance, de larmes, de cris, de mort. Ce que l’humanité attend, sans toujours le savoir, ce que l’univers tout entier attend, c’est l’accomplissement de ce grand projet que Dieu forme depuis la création du monde : instaurer avec l’humanité une Alliance sans ombre, un dialogue d’amour. Le thème des noces de Dieu avec l’humanité nous paraît toujours audacieux, mais il est très présent dans la Bible dès l’Ancien Testament, chez les prophètes Osée ou Isaïe, par exemple, et dans le Cantique des Cantiques. Il est présent aussi dans le Nouveau Testament, à commencer par le récit des noces de Cana, pour ne citer que lui. Et dans notre texte de l’Apocalypse, on réentend cette promesse sous deux formes : d’abord, dans l’image de la Jérusalem nouvelle, « prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari » ; et ensuite dans l’expression « Dieu avec eux » : le mot « avec » ici est très fort, il dit l’Alliance de l’amour, l’Alliance d’un couple. » Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : ‘Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. » Tous ceux qui, parmi nous, portent le merveilleux prénom d’Emmanuel (qui signifie littéralement « Dieu avec nous ») sont des rappels vivants des promesses de Dieu...  

 Et voici que la Jérusalem nouvelle « descend d’auprès de Dieu ». Le centre de la nouvelle Création porte le nom de la ville sainte qui, depuis tant de siècles, symbolise l’attente du peuple élu : le nom même de Jérusalem signifie « Ville de la justice et de la paix ». Et, en même temps, cette nouvelle cité « descend d’auprès de Dieu », et elle est dite « nouvelle » : ce qui veut dire qu’elle n’est pas seulement œuvre humaine. Cela signifie que le Royaume de Dieu que nous attendons et auquel nous essayons de travailler est à la fois en continuité ET en rupture avec cette terre : voilà de quoi galvaniser notre énergie ! Nous sommes invités tout simplement à collaborer avec Dieu. Notre œuvre sur cette terre contribue au renouvellement de la Création, car l’intervention de Dieu transfigurera nos efforts.

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 Complément

 On entend résonner ici les paroles de Paul : « J’estime, en effet, qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous. En effet, la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu... Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. » 

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 ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN  13, 31..35 

      Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples
 31 quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara :
      « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié,
      et Dieu est glorifié en lui.
 32 Si Dieu est glorifié en lui,
      Dieu aussi le glorifiera ;
      et il le glorifiera bientôt.

 33 Petits enfants,
      c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous.
 34 Je vous donne un commandement nouveau :
      c’est de vous aimer les uns les autres.
      Comme je vous ai aimés,
      vous aussi aimez-vous les uns les autres.
35  À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples :
      si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
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 QUI M’A VU A VU LE PÈRE 

 Les premières phrases de ce texte sont comme une sorte de variations sur le mot « gloire » : « quand Judas fut sorti, Jésus déclara : « Maintenant, le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera » : tout ceci nous paraît un peu compliqué, mais en fait, c’est une manière bien juive de parler : elle dit la réciprocité des relations entre le Père et le Fils, ou mieux leur union fondamentale : « Celui qui m’a vu a vu le Père », c’est aussi une phrase que saint Jean a retenue (14,9) ; ou encore « Le Père et moi, nous sommes UN. » (10,30) ; ici, dire que « le Fils de l’homme est glorifié, ou que Dieu est glorifié en lui », c’est dire que le Fils est le reflet du Père ; au passage, nous notons une fois de plus l’effort qu’il nous faut faire pour comprendre le vocabulaire de Jésus et de ses contemporains.

 Je reviens au texte : d’après Jésus, c’est donc au moment précis où Judas part dans la nuit de la trahison, que lui, Jésus accomplit sa vocation d’être le reflet du Père. Mais Jean ne l’a pas compris tout de suite. Remettons-nous dans l’état d’esprit des apôtres au moment de la sortie de Judas et dans les heures qui vont suivre : ils ont d’abord assisté impuissants à la Passion et à la mort du Christ ; ils ont vécu cette succession d’événements comme un moment d’horreur ; mais après coup, Jean a compris que c’était en réalité l’heure de la gloire de Jésus : car c’est là que le Fils révélait jusqu’où va l’amour du Père.

 Et parce que le Fils trahi, abandonné de tous, persécuté par tous, persiste, lui seul contre tous, à n’être qu’amour, bienveillance, pardon, il révèle au monde jusqu’où va l’amour du Père, c’est-à-dire jusqu’à l’infini, sans limites : et alors, et c’est la deuxième partie de notre texte, ceux qui contemplent ce mystère de l’amour fou de Dieu deviennent capables d’aimer comme lui à leur tour. Car Jésus lie bien les deux choses : il dit équivalemment ‘maintenant, je vais révéler au monde jusqu’où va l’amour du Père’ et « maintenant je vous donne un commandement nouveau, c’est d’aimer de la même manière ». (Sous-entendu, maintenant vous en serez capables parce que vous puiserez en moi mon propre amour).

 Je m’attarde un peu là-dessus : en fait, la nouveauté, ce n’est pas le commandement d’aimer, Jésus ne l’invente pas ; le commandement d’amour existe bel et bien dans l’enseignement des rabbins de son temps. Ce qui est nouveau, c’est d’aimer comme lui, mais non pas seulement à sa manière, c’est-à-dire au point d’être prêt à donner sa vie, en refusant toute puissance, toute domination, toute violence ; ce qui est nouveau, c’est encore plus que cela, c’est d’aimer vraiment comme lui, c’est-à-dire en étant complètement guidé par son Esprit ; et alors nous comprenons désormais tout autrement la fameuse phrase « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». Bien plus qu’un commandement, c’est un constat : si nous sommes réellement ses disciples, c’est son propre Esprit qui dicte nos comportements. Pour le dire autrement, Dieu sait si l’amour au jour le jour est difficile ; c’est presque un miracle ! Eh bien, si nous y parvenons dans nos communautés chrétiennes, le monde sera bien obligé d’admettre cette évidence que l’Esprit du Christ agit en nous !

 

L’ESPRIT D’AMOUR NOUS HABITÉ

 Nous sommes donc invités d’abord à un acte de foi ! Croire que son Esprit d’amour nous habite, que ses ressources d’amour nous habitent : que nous avons désormais des capacités d’amour insoupçonnées, parce que ce sont les siennes... et alors il nous devient possible d’aimer « comme » lui parce que c’est son Esprit qui agit en nous.

 Tout cela n’est-il pas un peu trop beau ? Nous savons par expérience que cela ne va pas de soi d’aimer notre entourage : il y a des gens avec qui cela va tout seul, comme on dit ; il y en a d’autres avec qui c’est bien difficile... sans parler de ceux pour lesquels nous éprouvons une véritable allergie... ou pire encore, ceux qui ont agi envers nous d’une manière impardonnable. Jésus n’ignore certainement pas tout cela quand il donne ce commandement à ses disciples ; mais il ne faut pas confondre amour et sensibilité : Jésus vient de montrer en actes de quel amour nous devons nous aimer ; rappelons-nous le contexte : cela se passe pendant son dernier repas avec ses disciples. Jésus a commencé par leur laver les pieds, à leur grand étonnement : lui, le Seigneur et le Maître, s’est fait leur serviteur. Et il a terminé en disant : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » (Jn 13,15).

C’est donc cela aimer « comme » il nous a aimés... et, après tout, si on y réfléchit, il est possible de se mettre au service les uns des autres, même de ceux pour lesquels nous n’éprouvons pas d’attirance. Or notre fidélité à ce commandement est vitale, nous dit-il, puisque c’est à cela que nos communautés seront jugées : d’après lui, le plus important, ce n’est pas la qualité de nos discours, de notre théologie, ou de nos connaissances, pas non plus la beauté de nos cérémonies ; c’est la qualité de l’amour que nous nous offrons les uns aux autres. (Pourtant il est rare qu’on ait l’idée de juger l’histoire de l’Église sur ce critère).

En attendant, nous ne devons jamais oublier ce cri de victoire de Jésus le dernier soir : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié (c’est-à-dire révélé comme Dieu), et Dieu est glorifié en lui. » En Jésus, l’humanité est introduite dans la gloire de Dieu, dans la présence de Dieu, dans la vie de Dieu, par l’événement de la passion-Mort-Résurrection. Et parce qu’ils sont désormais introduits dans la gloire de Dieu, les disciples de Jésus-Christ peuvent vivre leur vie sous le signe de l’amour... puisque Dieu est amour et que désormais sa présence rayonne à travers eux. Peut-être suffit-il d’y croire pour le laisser agir en nous.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 15 05 2022, 5e dimanche de Pâques C

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4 mai 2022 3 04 /05 /mai /2022 22:28
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
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Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 7 mai 2022).

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES    13,14.43-52  

      En ces jours-là,
     Paul et Barnabé
14 poursuivirent leur voyage au-delà de Pergé
     et arrivèrent à Antioche de Pisidie.
     Le jour du sabbat, ils entrèrent à la synagogue et prirent place.

 43 Une fois l’assemblée dispersée,
     beaucoup de Juifs et de convertis qui adorent le Dieu unique
     les suivirent.
     Paul et Barnabé, parlant avec eux,
     les encourageaient à rester attachés à la grâce de Dieu.
44 Le sabbat suivant, presque toute la ville se rassembla
     pour entendre la parole du Seigneur.
45 Quand les Juifs virent les foules,
     ils s’enflammèrent de jalousie ;
     ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient.
46 Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance :
     « C’est à vous d’abord
     qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu.
     Puisque vous la rejetez
     et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle,
     eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes.
47 C’est le commandement que le Seigneur nous a donné :
     J’ai fait de toi la lumière des nations
 pour que, grâce à toi,

     le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »

48 En entendant cela, les païens étaient dans la joie
     et rendaient gloire à la parole du Seigneur ;
     tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle
     devinrent croyants.
49 Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans toute la région.
50 Mais les Juifs provoquèrent l’agitation
     parmi les femmes de qualité adorant Dieu,
     et parmi les notables de la cité ;
     ils se mirent à poursuivre Paul et Barnabé,
     et les expulsèrent de leur territoire.
51 Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds
     et se rendirent à Iconium,
52 tandis que les disciples étaient remplis de joie et d’Esprit Saint.
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 PAUL ET BARNABÉ EN ASIE MINEURE

 Nous sommes à la synagogue d’Antioche de Pisidie (en plein milieu de l’Asie Mineure, c’est-à-dire l’ouest de la Turquie actuelle) un samedi matin pour une célébration du shabbat. Le public est plus mélangé que nous ne le pensons spontanément : pour prendre une image, on pourrait dire qu’il y a trois cercles concentriques ; il y a au centre d’abord, évidemment, les Juifs de naissance ; le deuxième cercle, ce sont les prosélytes : c’est-à-dire des non-Juifs de naissance qui ont été attirés par la religion juive au point de se convertir et d’en accepter toutes les pratiques, y compris la circoncision. Luc les appelle « les convertis au judaïsme ».

 Le troisième cercle, ce sont les « craignant Dieu » ; Luc ici les appelle les « païens », mais vous voyez qu’ils ne sont plus tout à fait des païens, puisqu’ils ont été attirés eux aussi par la religion juive et qu’ils se rendent le samedi matin à la synagogue pour le shabbat ; ils connaissent donc les Écritures juives. En revanche, ils ne sont pas allés jusqu’à la circoncision et à l’ensemble des pratiques juives.

 Au départ, le projet de Paul est clair : à peine arrivé dans la ville, il compte se rendre à la synagogue le plus tôt possible pour s’adresser à ses frères juifs ; il leur parlera de Jésus de Nazareth ; pour lui, c’est la démarche qui s’impose de toute évidence ; les Apôtres qui sont tous juifs, ne l’oublions pas, considèrent le Christ comme le Messie attendu par tous les Juifs : ils vivent un accomplissement ; dans leur logique, un Juif qui lit l’Écriture et découvre Jésus de Nazareth deviendra évidemment chrétien : ils ont donc tout naturellement commencé par essayer de rallier les autres Juifs à leur découverte... et Paul compte bien faire la tournée des synagogues ; dans son idée, quand tout le peuple juif sera converti, on entreprendra la conversion des païens.

 Car, aux yeux de Paul, comme de tous ses contemporains, le plan de Dieu comportait deux étapes : d’abord le choix du peuple élu à qui Dieu s’est révélé (c’est ce qu’on appelle « l’élection d’Israël ») et ensuite c’est ce peuple élu qui devait annoncer le salut de Dieu aux autres peuples, aux païens ; pour exprimer cette « logique de l’élection » dans le plan de Dieu, le prophète Isaïe disait : « J’ai fait de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ». D’ailleurs, dans un premier temps, Jésus, lui-même, avait donné cette consigne à ses apôtres : « Ne prenez pas le chemin des païens... allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 10,5).

 
LE GRAND TOURNANT D’ANTIOCHE DE PISIDIE

 Donc, dès le premier sabbat, Paul et Barnabé se rendent à la synagogue d’Antioche de Pisidie ; et ils reçoivent au premier abord un accueil plutôt favorable ; du coup, ils peuvent espérer que certains deviendront chrétiens à leur tour. Le sabbat suivant (c’est-à-dire le samedi suivant), ils recommencent à prendre la parole à la synagogue, et, apparemment, beaucoup de gens se sont dérangés pour les écouter ; mais cette fois leur succès commence à indisposer les gens influents ! Luc dit : « Quand les Juifs virent les foules, ils s’enflammèrent de jalousie ; ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient. » Là, se pose un petit problème de vocabulaire, parce que Luc ici appelle « Juifs » ceux qui vont s’opposer à Paul ; en réalité, il y a des Juifs qui deviendront chrétiens (comme Paul lui-même), et des Juifs qui refuseront absolument de reconnaître Jésus comme le Messie (ce sont ceux-là que Luc appelle « Juifs » ici).

 En revanche, Luc note que les « païens » (c’est-à-dire les craignant Dieu) semblent mieux disposés, il dit : « Les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants. »

 Alors se produit un grand tournant dans la vie de Paul ; car c’est là, à Antioche de Pisidie qu’il va décider de modifier ses plans ; voilà comment le problème se pose : d’une part, seuls quelques Juifs acceptent de les suivre, et il faut abandonner l’espoir de convertir l’ensemble du peuple juif au christianisme. D’autre part, le refus de la majorité des Juifs ne doit pas retarder l’annonce du Messie aux païens. Alors Paul se souvient qu’Isaïe avait déjà prédit que le petit Reste d’Israël sauverait l’ensemble du peuple et l’humanité. Concrètement, Paul comprend que c’est ce petit Reste qui assumera la vocation d’apôtre des nations qui était celle du peuple juif tout entier. Paul et Barnabé et ceux qui voudront bien les suivre seront ce petit Reste.

C’est exactement ce que Paul et Barnabé disent à Antioche : « C’est à vous, d’abord qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez, et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes. » Et donc, à partir de ce moment-là, ils tournent leur énergie missionnaire vers les « craignant Dieu » d’abord, puis plus tard, vers les païens.

 Décidément, à Antioche de Pisidie, un tournant décisif vient d’être pris dans la vie des premiers chrétiens !
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 PSAUME  99 (100) 1-3.5

1   Acclamez le SEIGNEUR, terre entière,
2   servez le SEIGNEUR dans l'allégresse,
     venez à lui avec des chants de joie !

3   Reconnaissez que le SEIGNEUR est Dieu :
     il nous a faits et nous sommes à lui,
     nous, son peuple, son troupeau.

5   Oui, le SEIGNEUR est bon,
     éternel est son amour,
     sa fidélité demeure d'âge en âge.
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 « VENEZ À LUI AVEC DES CHANTS DE JOIE ! » 

 Si vous avez la curiosité de vous rapporter au texte de la Bible pour ce psaume, vous verrez que son utilisation dans la liturgie nous est précisée, ce qui n’est pas toujours le cas : pour celui-ci on nous dit qu’il a été composé tout spécialement pour accompagner un sacrifice d’action de grâce. Il s’appelle « psaume pour la todah » : vous savez qu’aujourd’hui encore en hébreu, merci se dit « todah ».

 Effectivement, dès les premiers versets, on voit bien qu’il est fait pour accompagner une célébration au Temple ! « Acclamez... Servez... Venez à lui avec des chants de joie ! » Nous sommes en pleine liturgie, c’est évident ! Comme on trouve à l’entrée de nos églises des manuels de chants pour toutes sortes de circonstances, le livre des psaumes est le livre de cantiques du Temple de Jérusalem, après l’Exil à Babylone, et il comporte lui aussi des psaumes divers adaptés aux divers types de célébrations

 Ce psaume précis a donc été composé pour un sacrifice d’action de grâce ; et, en Israël, quand on rend grâce, c’est toujours pour l’Alliance ; là aussi, c’est très clair : il est très court mais chaque ligne évoque l’histoire tout entière d’Israël, la foi tout entière d’Israël ! Chacun de ses mots, presque, est un rappel de l’Alliance. Il ne faut jamais oublier que le centre de la tradition d’Israël, la mémoire qu’on se transmet de génération en génération, c’est « Dieu nous a libérés et a fait Alliance avec nous » ; c’est le centre de la foi et de la prière de ce peuple. Ou, plus exactement, ce qui fait d’Israël un peuple, c’est cette foi commune. L’élection, la libération, l’Alliance, toute la Bible est là.

 « Acclamez » : le mot qui est employé ici, c’est le mot utilisé pour une acclamation spéciale, celle qui est réservée au nouveau roi, le jour de son sacre... Manière de dire « le vrai roi, c’est Dieu lui-même ! »

 « Acclamez le SEIGNEUR » c’est la traduction pour le chant liturgique ; mais dans le texte hébreu, ce sont les quatre lettres YHVH : Israël est le peuple à qui Dieu a révélé son NOM. C’était au cours de la grande vision de Moïse, quand Dieu lui est apparu dans le buisson ardent (Exode 3) : Moïse a découvert là à la fois la grandeur de Dieu, le Tout-Autre ET la proximité de Dieu, le Tout-Proche. Le Nom que Dieu a révélé alors à Moïse dit tout cela : ces fameuses quatre lettres YHVH (le tétragramme), que nous ne savons même pas prononcer, que nous ne savons pas non plus traduire : elles disent bien que Dieu n’est pas à notre portée ! ET en même temps Moïse a eu la révélation de cette totale proximité de Dieu : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple... J’ai entendu ses cris... Je connais ses souffrances... »

 « Terre entière » : là on anticipe : Israël entrevoit déjà le jour où l’humanité tout entière viendra acclamer son Seigneur ! Décidément toutes les lectures de ce dimanche des vocations nous rappellent que Dieu est impatient que son salut soit annoncé à l’humanité tout entière... La question qu’on pourrait peut-être se poser, c’est « sommes-nous aussi impatients que lui ? » En tout cas, il est très important de remarquer que le peuple d’Israël a découvert que son élection est une vocation au service de tous. Dans les psaumes, en particulier, on retrouve constamment liés les deux thèmes de l’élection d’Israël ET de l’universalisme du salut proposé par Dieu

 « Reconnaissez que le SEIGNEUR est Dieu » : on entend ici la profession de foi d’Israël : Shema Israël : « ÉCOUTE Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le Seigneur UN ».

 « Servez le SEIGNEUR dans l’allégresse » : dans la mémoire d’Israël, l’Égypte de leur esclavage sera appelée la « maison de servitude »... Désormais le peuple élu apprendra le « service » qui est un choix d’homme libre. On peut dire que la période de l’Exode fut pour le peuple hébreu le temps du passage « de la servitude au service ».

 « IL NOUS A FAITS ET NOUS SOMMES À LUI » 

 « Il nous a faits et nous sommes à Lui » : cette formule n’est pas d’abord un rappel de la Création, elle est un rappel de la libération d’Égypte : le peuple n’oublie pas qu’il était en esclavage en Égypte : c’est Dieu qui d’esclaves a fait des hommes libres ; c’est Dieu qui, de ces fuyards, a fait un peuple. Et, tout au long de la traversée du Sinaï, sous la conduite de Moïse, ce peuple a appris à vivre dans l’Alliance proposée par Dieu. Si bien que cette expression « Il nous a faits et nous sommes à Lui » est devenue une formule habituelle de l’Alliance.

 Le premier article du « Credo » d’Israël, ce n’est pas « je crois au Dieu créateur », c’est « je crois au Dieu libérateur ». La Bible, on le sait bien, n’a pas été écrite dans l’ordre où nous la lisons : on n’a pas commencé par raconter la Création, puis, dans l’ordre, les événements de la vie du peuple élu, comme s’il s’agissait d’un reportage. La réflexion sur la Création n’est venue qu’après. C’est parce qu’on a d’abord fait l’expérience du Dieu libérateur que, plus tard, on en viendra à comprendre que cette œuvre de libération n’a pas commencé avec nous, qu’elle dure depuis la Création du monde. Dans la Bible, la réflexion sur la Création est inspirée par la foi au Dieu qui libère. C’est ce qui fait l’une des grandes particularités d’Israël.

 « Nous, son peuple » : c’est une formule très typique de la foi juive ; à elle seule elle est un rappel de l’Alliance ; parce que Dieu, en proposant l’Alliance, avait promis : « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu. »

 « Nous, son peuple, son troupeau » : cette image est évidemment plus parlante sur la terre d’Israël que dans nos régions ! Le troupeau est la richesse de son propriétaire, sa fierté, mais aussi l’objet de sa sollicitude et de tous ses soins. C’est pour les besoins du troupeau que le pasteur nomade déplace sa tente dans le désert, en fonction des plaques d’herbe pour la nourriture des bêtes ; ainsi Dieu se déplaçait-il avec son peuple tout au long de sa marche dans le désert du Sinaï.

 « Éternel est son amour » : cette phrase également est un refrain de l’Alliance, un refrain que nous connaissons bien parce qu’on le retrouve dans d’autres psaumes. Ici il est couplé au verset suivant par une autre formule traditionnelle : « Sa fidélité demeure d’âge en âge » : « amour et fidélité » c’est l’une des seules manières de parler de Dieu sans le trahir !
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LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN     7, 9 ... 17  

     Moi, Jean,
9   j’ai vu :
     et voici une foule immense,
     que nul ne pouvait dénombrer,
     une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
     Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
     vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
14 L’un des Anciens me dit :
     « Ceux-là viennent de la grande épreuve ;
     ils ont lavé leurs robes,
     ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau.
15 C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu,
     et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire.
     Celui qui siège sur le Trône
     établira sa demeure chez eux.
16 Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif,
     ni le soleil ni la chaleur ne les accablera,
17 puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône
     sera leur pasteur
     pour les conduire aux sources des eaux de la vie.
     Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »
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 TOUS LES LOINTAINS DE LA TERRE ONT VU LE SALUT DE NOTRE DIEU 

 Cette foule « que personne ne peut dénombrer » fait irrésistiblement penser à Abraham ; Dieu lui avait en effet promis une postérité innombrable : « Je rendrai nombreuse ta descendance, autant que la poussière de la terre : si l’on pouvait compter les grains de poussière, on pourrait compter tes descendants ! (Gn 13,16) ; et un peu plus loin, toujours dans le livre de la Genèse : « Regarde le ciel, et compte les étoiles si tu le peux... telle sera ta descendance ! » (Gn 15,5) ; et encore « Je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer » (Gn 22,17). 

 L’Apocalypse, qui est le dernier livre de la Bible, nous fait contempler ce projet de Dieu enfin réalisé. Nous voyons une foule de toutes nations, races, peuples et langues : quatre termes pour signifier que c’est bien l’humanité tout entière qui est concernée. « Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu » avait annoncé Isaïe (Is 52,10).

  Ce salut de Dieu dont parle Isaïe, c’est précisément la suppression de toute faim, de toute soif, de toutes larmes ; au chapitre 49 du même livre d’Isaïe, on lit textuellement à propos du salut : « Ils n’auront ni faim ni soif ; le vent brûlant et le soleil ne les frapperont plus. Lui, plein de compassion, les guidera, les conduira vers les eaux vives. » (Is 49,10).

 Et par-dessus tout, le salut, c’est la présence de celui qui est à la racine du véritable bonheur : Celui qui est « plein de compassion » dit Isaïe ; Jean traduit : « Celui qui siège sur le Trône établira sa demeure chez eux » ; quand saint Jean emploie cette expression, ses lecteurs savent à quoi il fait allusion ; depuis toujours le peuple juif n’aspire qu’à cela : que Dieu « plante sa tente » chez eux, comme ils disent, que Dieu habite définitivement au milieu d’eux ; mystère de proximité, d’intimité, de présence permanente. Au passage, notons que Jean, dans son évangile, a repris les mêmes termes au sujet du Christ : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14).

 Dans le peuple juif, certains avaient l’honneur de vivre déjà d’une certaine manière un avant-goût de cette intimité, c’étaient les prêtres : ils servaient Dieu jour et nuit dans le Temple de Jérusalem qui était le signe visible de la présence de Dieu ; saint Jean entrevoit ici le jour où l’humanité tout entière sera introduite dans cette intimité de Dieu : « J’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer... ils sont devant le trône de Dieu et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire. »

 Pour décrire cette foule, saint Jean mêle des images de la liturgie juive et de la liturgie chrétienne : c’est ce qui fait la difficulté de ce texte, mais aussi sa richesse ! 

 LA LITURGIE, UN AVANT-GOUT DU CIEL

 En référence à la liturgie juive, Jean fait allusion à la fête des Tentes : cette fête était à la fois un rappel du passé et une anticipation de l’avenir promis par Dieu ; en mémoire de la période du désert, cette période où on avait découvert l’Alliance proposée par ce Dieu de proximité et de tendresse, on vivait sous des tentes pendant les huit jours de la fête, (on les construisait tout exprès, même en ville, et on le fait encore de nos jours). C’est de là que la fête tient son nom, bien sûr. Et, en même temps, ces huit jours de fête annonçaient l’avenir promis par Dieu, la création nouvelle (comme chaque fois que nous rencontrons le chiffre huit) : d’avance on célébrait le triomphe du Messie futur ; et avec lui la réalisation du projet de Dieu, c’est-à-dire le bonheur pour tous. Parmi les rites de la fête des Tentes, Jean a retenu les palmes : on faisait des processions autour de l’autel des sacrifices, au Temple de Jérusalem. Pendant ces processions, chacun des participants agitait un bouquet (le loulav) composé de plusieurs branchages dont une palme (à laquelle on ajoutait une branche de myrte, une branche de saule et une espèce de citron, le cédrat).

 Pendant ces processions, on chantait « Hosanna » qui signifie à la fois « c’est Dieu qui donne le salut » et « s’il te plaît, Seigneur, donne-nous le salut » : or si nous avions lu aujourd’hui le texte de l’Apocalypse en entier (sans coupure) nous aurions lu : « J’ai vu : voici une foule immense que nul ne pouvait dénombrer...  Ils se tenaient debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. Et ils s’écriaient d’une voix forte : " Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau ! ".

 Autre rite de la fête des Tentes, la procession à la piscine de Siloé, le huitième et dernier jour de la fête : un cortège en rapportait de l’eau avec laquelle on aspergeait l’autel ; ce rite de purification annonçait la purification définitive que Dieu avait promise par la bouche des prophètes, et en particulier de Zacharie : » Ce jour-là, des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer orientale, moitié vers la mer occidentale. » (Za 14,8). C’est au cours d’une fête des Tentes, justement, le huitième jour, que Jésus avait dit (et c’est encore saint Jean qui le rapporte) : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi. Comme dit l’Écriture, de son cœur couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7,37). Ici, en écho, Jean prédit « l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. »

 De la liturgie chrétienne, saint Jean a repris l’aube blanche des baptisés et aussi le sang de l’Agneau : le sang, rappelons-nous est le signe de la vie donnée ; Jean nous dit ici : tout ce que la fête des Tentes annonçait symboliquement est désormais réalisé ; depuis l’Exode, le peuple de Dieu attendait cette purification définitive, cette Alliance renouvelée, cette présence parfaite de Dieu au milieu d’eux ; eh bien, en Jésus-Christ, toute cette attente est accomplie : par le Baptême et l’Eucharistie, l’humanité partage la vie du Ressuscité et entre donc définitivement dans l’intimité de Dieu.
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 Complément

 Que représente la « foule immense » du verset 9 ? L’explication classique y voit l’Église ; mais à la fin du premier siècle, l’Église constituait-elle une foule immense ?

 Il y a une autre interprétation possible : dans les versets précédents (versets 3-8), Jean a décrit une première foule « des serviteurs de notre Dieu » dont le « front est marqué du sceau » : on peut penser que ce sont les baptisés. Ce serait donc l’Église.

 La foule immense vêtue de robes blanches (la robe des noces) serait alors la multitude des sauvés. Ce serait dans la droite ligne de la théologie du Serviteur (cf les quatre chants du deuxième livre d’Isaïe), dont les écrits johanniques sont imprégnés tout comme les autres. On peut alors penser que cette foule immense (des versets 9 et suivants) est la « multitude » justifiée par le Serviteur. (« Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes » Is 53,11). Les premiers chrétiens, affrontés à la persécution, trouvent ici un argument pour tenir bon : leur sacrifice est semence de salut pour la multitude.
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 ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN        10, 27-30 

 

      En ce temps-là, Jésus déclara :
27 « Mes brebis écoutent ma voix ;
     moi, je les connais,
     et elles me suivent.
28 Je leur donne la vie éternelle :
     jamais elles ne périront,
     et personne ne les arrachera de ma main.
29 Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout,
     et personne ne peut les arracher de la main du Père.
30 Le Père et moi,
     nous sommes UN. »
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 SI TU ES LE CHRIST, DIS-LE

 Nous ne nous imaginons peut-être pas à quel point les quelques phrases de Jésus rapportées ici étaient explosives ; les Juifs, eux, ont réagi très fort, puisque si on lit seulement quelques lignes de plus, saint Jean nous dit : « Les Juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider. » Qu’a-t-il donc dit de si extraordinaire ? En réalité, ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de ce discours ; il ne fait que répondre à une question. Saint Jean nous raconte qu’il était dans le Temple de Jérusalem, sous la colonnade qu’on appelait le « Portique de Salomon » et que les Juifs, bien décidés à le mettre au pied du mur, ont fait cercle autour de lui et lui ont demandé : « Jusqu’à quand vas-tu nous tenir en suspens ? Si tu es le Christ, dis-le-nous ouvertement » ; c’est une sorte d’ultimatum, du genre « oui ou non ? Es-tu le Christ (c’est-à-dire le Messie) ? Décide-toi à le dire clairement, une fois pour toutes ».

Au lieu de répondre « oui, je suis le Messie », Jésus parle de ses brebis, mais cela revient au même ! Car le peuple d’Israël se comparait volontiers à un troupeau : » Nous sommes le peuple de Dieu, le troupeau qu’il conduit » est une formule qui revient plusieurs fois dans les psaumes. En particulier dans le psaume de ce dimanche : « Il nous a faits et nous sommes à lui, nous, son peuple, son troupeau » ; troupeau bien souvent malmené, maltraité, ou mal guidé par les rois qui s’étaient succédé sur le trône de David... mais on savait que le Messie, lui, serait un berger attentif et dévoué. Donc, tout naturellement, Jésus pour affirmer qu’il est bien le Messie, emprunte le langage habituel sur le pasteur et les brebis. Et ses interlocuteurs l’ont très bien compris.

 Mais Jésus les emmène beaucoup plus loin ; parlant de ses brebis, il ose affirmer : » Je leur donne la vie éternelle, jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main »... formule très audacieuse : qui donc peut donner la vie éternelle ? Quant à l’expression « être dans la main de Dieu », elle était habituelle dans l’Ancien Testament ; chez Jérémie, par exemple : « Oui, comme l’argile est dans la main du potier, ainsi êtes-vous dans ma main, maison d’Israël ! » (Jr 18,16). Ou encore dans le livre de Qohélet (l’Ecclésiaste) : « Les justes, les sages et leurs actions sont dans la main de Dieu. » (Qo 9,1). Ou enfin, dans le Livre du Deutéronome : « C’est moi qui fais mourir et vivre, si j’ai frappé, c’est moi qui guéris, et personne ne délivre de ma main. » (Dt 32,39), et un peu plus loin : « Tous les saints sont dans ta main. » (Dt 33,3).

 C’est bien à cela que Jésus fait référence puisqu’il ajoute aussitôt : « Personne ne peut rien arracher de la main du Père » ; il met donc clairement sur le même pied les deux formules « ma main » et « la main du Père ». Il ne s’arrête pas là ; au contraire, il persiste et signe, dirait-on aujourd’hui : « le Père et moi, nous sommes UN ». C’est encore beaucoup plus osé que de dire « oui, je suis bien le Christ, c’est-à-dire le Messie » : il prétend carrément être l’égal de Dieu, être Dieu lui-même. Pour ses interlocuteurs, c’était intellectuellement inacceptable.

 

IL EST VENU CHEZ LUI ET LES SIENS NE L’ONT PAS REÇU

 On attendait un Messie qui serait un homme, on n’imaginait pas qu’il puisse être Dieu  : car la foi au Dieu unique était affirmée avec tant de force en Israël qu’il était pratiquement impossible pour des Juifs fervents de croire à la divinité de Jésus ! Ceux qui récitaient tous les jours la profession de foi juive : « Shema Israël », « Écoute Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN » ne pouvaient supporter d’entendre Jésus affirmer « le Père et moi, nous sommes UN ». Cela explique peut-être que l’opposition la plus farouche à Jésus soit venue des chefs religieux. Leur réaction ne se fait pas attendre ; en se préparant à le lapider, ils l’accusent : « Ce que tu viens de dire est un blasphème, parce que toi qui es un homme, tu te fais Dieu ».

 Une fois de plus, Jésus se heurte à l’incompréhension de ceux qui, pourtant, attendaient le Messie avec le plus de ferveur ; on retrouve là un thème de méditation permanent chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu. » Tout le mystère de la personne du Christ est là et aussi en filigrane son procès.

 Et pourtant, tout n’est pas perdu ; Jésus a essuyé l’incompréhension, voire la haine, il a été persécuté, éliminé, mais certains ont cru en lui ; le même Jean le dit bien dans le Prologue de l’évangile : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu... mais à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1,11-12). Et on sait bien que c’est grâce à ceux-là que la révélation a continué à se répandre. De ce petit Reste est né le peuple des croyants : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle. »

Malgré l’opposition que Jésus rencontre ici, malgré l’issue tragique déjà prévisible, il y a là, incontestablement un langage de victoire : « Personne ne les arrachera de ma main » ... « Personne ne peut les arracher de la main du Père » : on entend là comme un écho d’une autre phrase de Jésus rapportée par le même évangéliste : « Courage, j’ai vaincu le monde ». Les disciples de Jésus, tout au long de l’histoire, ont bien besoin de s’appuyer sur cette certitude : « Personne ne peut les arracher de la main du Père ».

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 08 05 2022, 4e dimanche de Pâques C

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26 avril 2022 2 26 /04 /avril /2022 22:40
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 30 avril 2022).

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES  5, 27b-32.40b-41 

      En ces jours-là,
     les Apôtres comparaissaient devant le Conseil suprême.
27 Le grand prêtre les interrogea :

28 « Nous vous avions formellement interdit
     d'enseigner au nom de celui-là,
     et voilà que vous remplissez Jérusalem
     de votre enseignement.
     Vous voulez donc faire retomber sur nous
     le sang de cet homme ! »
29 En réponse, Pierre et les Apôtres déclarèrent :
     « Il faut obéir à Dieu
     plutôt qu'aux hommes.
30 Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus,
     que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice.
31 C'est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé,
     en faisant de lui le Prince et le Sauveur,
     pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés.
32 Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela,
     avec l'Esprit Saint,
     que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » 

40 Après avoir fait fouetter les Apôtres,
     ils leur interdirent de parler au nom de Jésus,
     puis ils les relâchèrent.
41 Quant à eux, quittant le Conseil Suprême,
     ils repartaient tout joyeux d'avoir été jugés dignes
     de subir des humiliations pour le nom de Jésus.
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IL FAUT OBÉIR À DIEU PLUTÔT QU’AUX HOMMES

 Les Apôtres viennent d’être flagellés à cause de leur prise de parole sur Jésus. On les relâche et, voilà qu’en sortant du tribunal, saint Luc nous dit : « Ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus ». Comme s’ils avaient été décorés... décorés du titre de « prophètes ». Peut-être ont-ils alors repensé à la parole de Jésus : « Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes » (Lc 6,22-23). Ils se rappellent aussi cette phrase que Jésus leur avait dite : « Si l’on m’a persécuté, on vous persécutera, vous aussi » (Jn 15,20).

 Ici, que s’est-il passé ? Ce n’est pas la première fois que les Apôtres Pierre et Jean comparaissent devant le Sanhédrin, c’est-à-dire le tribunal de Jérusalem, le même qui a condamné Jésus quelques semaines plus tôt ; déjà, une fois, après la guérison du boiteux de la Belle Porte, un miracle qui avait fait beaucoup de bruit dans la ville, ils avaient été arrêtés, emprisonnés une nuit, puis interrogés et interdits de parole ; mais on les avait finalement relâchés. Dès leur remise en liberté, ils avaient recommencé à prêcher et à faire des miracles. Ils ont donc été arrêtés une deuxième fois, mis en prison... mais ils ont été délivrés miraculeusement pendant la nuit par un Ange du Seigneur. Évidemment, cette délivrance miraculeuse n’a fait que galvaniser leurs énergies ! Et ils ont recommencé à prêcher de plus belle. Et c’est là que nous en sommes avec la lecture de ce dimanche. Ils sont donc de nouveau arrêtés et traduits devant le tribunal. Le grand prêtre les interroge, ce qui nous vaut la très belle réponse de Pierre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Et Pierre adresse au tribunal un petit résumé de ses discours précédents ; il leur dit à peu près ceci : il y a deux logiques, la logique de Dieu et celle des hommes ; la logique des hommes (sous-entendu la vôtre, vous tribunal juif), consiste à dire : un malfaiteur, on le supprime, et après sa mort, on ne va quand même pas lui faire de la publicité ! Jésus, aux yeux des autorités religieuses, était un imposteur, on l’a supprimé, c’est logique ! C’est même un devoir de l’empêcher d’endoctriner un peuple trop enclin à se fier à n’importe quel prétendu Messie. Condamné, exécuté, suspendu à la Croix, c’est un maudit : même de Dieu il est maudit. C’était écrit dans la Loi.

Seulement voilà, la logique de Dieu, c’est autre chose : oui, vous l’avez exécuté, pendu au gibet de la croix... Mais, contre toute attente, non seulement il n’est pas maudit par Dieu, mais au contraire, il est élevé par Dieu, il devient le Chef, le Sauveur : « C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. » Cette dernière phrase est une énormité pour des oreilles juives : si la conversion et le pardon des péchés sont apportés à Israël, cela signifie que les promesses sont accomplies.
 

LA SAGESSE DE GAMALIEL 

 Cette assurance des Apôtres, que rien ne semble faire taire, ne peut qu’exaspérer les juges ; et plusieurs d’entre eux ne voient plus qu’une solution : les supprimer comme on a supprimé Jésus ; c’est là qu’intervient un homme extraordinaire, Gamaliel, dont le raisonnement devrait être un modèle pour nous, quand nous nous trouvons face à des initiatives qui ne nous plaisent pas.

 Malheureusement, la lecture liturgique de ce dimanche ne retient pas l’épisode de Gamaliel : on passe directement des paroles de Pierre à la décision du tribunal ; les apôtres ne sont pas condamnés à mort comme certains le voudraient, on se contente de les fouetter et on les relâche. Mais prenons le temps de lire les versets qui manquent. Pierre vient donc de dire : « Nous sommes les témoins de tout cela avec l’Esprit Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent » (sous-entendu, vous, en ce moment, vous n’obéissez pas à Dieu). Luc raconte : « Ceux qui les avaient entendus étaient exaspérés et projetaient de les supprimer. Alors, dans le Conseil Suprême, intervint un pharisien nommé Gamaliel, docteur de la Loi, qui était honoré par tout le peuple » ; (entre parenthèses, c’est lui qui fut le professeur de Saül de Tarse, le futur saint Paul ; cf Ac 22, 3). Il ordonne de faire sortir un moment Pierre et Jean, et il s’adresse aux autres juges ; en substance, son raisonnement est le suivant : de deux choses l’une, ou bien leur entreprise vient de Dieu... ou bien non, ce sont des imposteurs ; et voici la fin de son discours : « Si leur résolution ou leur entreprise vient des hommes, elle tombera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire tomber. Ne risquez donc pas de vous trouver en guerre contre Dieu ! » (Ac 5,38-39). 

 Si Gamaliel prenait la parole aujourd’hui, sans doute reconnaîtrait-il que l’Église est bien une entreprise de Dieu : depuis deux mille ans, elle a résisté à tout, même à nos faiblesses et à nos insuffisances !
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 Complément

 Gamaliel est un bel exemple de Pharisien et nous donne l’occasion de rendre justice à la majorité d’entre eux qui étaient des hommes de foi et de bonne volonté. À travers cet épisode, nous approchons la réalité historique des débats au sein du Judaïsme à propos de la jeune communauté chrétienne.
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 PSAUME  29 (30),3-4,5-6ab,6cd.12,13

 

 Le psaume 29 (30) est très court, il ne comporte que treize versets (dont huit seulement sont retenus par la liturgie de ce dimanche) ; ici, nous le lirons en entier, nous le comprendrons beaucoup mieux.

 Mais avant de le lire, rappelons-nous l'histoire qu’il évoque : il faut imaginer quelqu'un qui est tombé au fond d'un puits : il a crié, supplié, appelé au secours... il donnait même des arguments pour qu'on lui vienne en aide (du genre je vous serai plus utile, vivant que mort !) ; apparemment il y a des gens qui ne sont pas mécontents de le voir dans le trou et qui ricanent... mais il continue à appeler au secours : quelqu'un finira bien par avoir pitié ...

 Il a eu raison de crier : quelqu'un a entendu ses appels, quelqu'un est venu le délivrer, l'a tiré de là comme on dit. Ce « quelqu'un », il faut l'écrire avec une majuscule, c'est Dieu lui-même. Une fois en haut, revenu à la lumière et en quelque sorte à la vie, notre homme explose de joie !

 Ce psaume raconte exactement cela :

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 2   Je t'exalte, SEIGNEUR : tu m'as relevé,
     tu m'épargnes les rires de l'ennemi.
3   Quand j'ai crié vers toi, SEIGNEUR,
     Mon Dieu, tu m'as guéri ;
4   SEIGNEUR, tu m'as fait remonter de l'abîme
     et revivre quand je descendais à la fosse.

5   Fêtez le SEIGNEUR, vous, ses fidèles,
     Rendez grâce en rappelant son nom très saint.
6   Sa colère ne dure qu'un instant,
     sa bonté toute la vie.

     Avec le soir viennent les larmes,
     Mais au matin, les cris de joie !

7   Dans mon bonheur, je disais :
     Rien, jamais, ne m'ébranlera !
8   Dans ta bonté, SEIGNEUR, tu m'avais fortifié
     sur ma puissante montagne ;

     Pourtant tu m'as caché ta face
     et je fus épouvanté.
9   Et j'ai crié vers toi, SEIGNEUR,
     J'ai supplié mon Dieu :
10 « À quoi te servirait mon sang
     si je descendais dans la tombe ?
     La poussière peut-elle te rendre grâce
     et proclamer ta fidélité ?
11 Écoute, SEIGNEUR, pitié pour moi !
     SEIGNEUR, viens à mon aide ! »

12 Tu as changé mon deuil en une danse,
     Mes habits funèbres en parure de joie !

13 Que mon cœur ne se taise pas,
    Qu'il soit en fête pour toi ;
    Et que sans fin, SEIGNEUR, mon Dieu,
    Je te rende grâce !
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JE T'EXALTE, SEIGNEUR : TU M'AS RELEVÉ

 Le premier verset donne le ton de l’action de grâce : « Je t'exalte, SEIGNEUR : tu m'as relevé ». Mais auparavant, il y a eu la chute terrible dans un abîme et les moqueries des gens qui ricanaient. C’est ce qui inspire des versets comme « tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse… tu m’épargnes les rires de l’ennemi ».

 Notre malheureux ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Jusque-là il était confiant dans la vie ; apparemment, il était né sous une bonne étoile : « Dans mon bonheur, (c’est-à-dire au temps où j’étais heureux), je disais : Rien, jamais, ne m’ébranlera ». Mais le malheur est arrivé, et avec lui, l’effondrement de toutes ses certitudes, l’angoisse, la supplication ; et enfin le dénouement, la délivrance.

 Tout cela, d’un bout à l’autre, c’est l’histoire d’Israël. Car il y a, comme toujours dans les psaumes, deux niveaux de lecture : l’histoire qu’on nous raconte est celle d’un individu tombé dans un puits ; en réalité, c’est le peuple tout entier qui parle, ou plutôt qui chante, qui explose de joie au retour de l’Exil à Babylone... comme il avait chanté, dansé, explosé de joie après le passage de la Mer Rouge. L’Exil à Babylone, c’est aussi une chute mortelle dans un puits sans fond, dans un gouffre... et nombreux sont ceux qui ont pensé qu’Israël ne s’en relèverait pas. Au sein même du peuple, on a pu être pris de désespoir... Et il y en a eu des ennemis, pas mécontents, qui riaient bien de cette déchéance...

 Et pourtant, jusque-là, Israël pouvait être confiant dans la vie : « Dans mon bonheur, je disais : ‘Rien, jamais, ne m’ébranlera’ »... (Mais peut-être est-ce l’une des clés du problème ? Pendant l’Exil à Babylone, on a eu tout loisir de méditer sur les diverses causes possibles de ce malheur ; et on s’est justement demandé si le malheur du peuple n’avait pas été la conséquence de cette attitude).
 

QUAND J'AI CRIÉ VERS TOI, SEIGNEUR, MON DIEU, TU M'AS GUÉRI

 Pendant toute cette période d’épreuve, le peuple soutenu par ses prêtres, ses prophètes, a gardé espoir malgré tout et force pour appeler au secours : « J’ai crié vers toi, SEIGNEUR, j’ai supplié mon Dieu... Écoute, SEIGNEUR, pitié pour moi ! SEIGNEUR, viens à mon aide !... » Dans sa prière, il n’hésitait pas à employer tous les arguments, par exemple du genre « tu seras bien avancé quand je serai mort » ... parce que, quand ce psaume a été écrit, on ne croyait pas encore en la Résurrection : on imaginait que les morts étaient dans un séjour d’ombre, le « shéol » où il ne se passe rien. Alors on disait à Dieu : « À quoi te servirait mon sang si je descendais dans la tombe ? » « Sang » ici veut dire « vie ». Quand le psalmiste dit « À quoi te servirait mon sang si je descendais dans la tombe ? La poussière peut-elle te rendre grâce et proclamer ta fidélité ? », il faut donc entendre : puisqu’il n’y a rien après la mort, je ne t’offrirai plus ni prières ni offrandes ni sacrifices.

 Et Dieu a entendu cette prière, le miracle s’est produit : Dieu a sauvé son peuple : « Quand j’ai crié vers toi, SEIGNEUR, mon Dieu, tu m’as guéri ; SEIGNEUR, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse... ». Comme dans d’autres textes bibliques, la vision d’Ézéchiel des ossements desséchés, par exemple, la restauration du peuple, le retour de l’Exil est décrit en termes de résurrection, à un moment où personne ne songe à une possibilité de résurrection individuelle. Plus tard, quand la foi biblique aura franchi le pas décisif et accueilli la révélation de la foi en la résurrection, ces textes seront relus et on leur découvrira une profondeur nouvelle.

 « Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie. » À l’époque de la composition du psaume, ce n’était qu’une image. Mais, désormais, pour tous ceux qui croient à la résurrection, Juifs et chrétiens, cette dernière phrase a pris un sens nouveau : irrésistiblement, elle donne envie de chanter « Alléluia »... parce que c’est le sens même du mot « Alléluia » dans la tradition juive ! Dans les commentaires des rabbins sur l’Alléluia, il y a ce petit texte extraordinaire que nous devrions nous redire chaque fois que, à notre tour, nous entonnons des Alléluia :

 « Dieu nous a amenés de la servitude à la liberté, de la tristesse à la joie, du deuil au jour de fête, des ténèbres à la brillante lumière, de la servitude à la Rédemption. C’est pourquoi chantons devant lui l’Alléluia ! »
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LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN   5,11-14 

 
     Moi, Jean,
11 j’ai vu :
     et j’entendis la voix d’une multitude d’anges
     qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens ;
     ils étaient des myriades de myriades,
     par milliers de milliers.
12 Ils disaient d’une voix forte :
     « Il est digne, l’Agneau immolé,
     de recevoir puissance et richesse,
     sagesse et force,
     honneur, gloire et louange. »
13 Toute créature dans le ciel et sur la terre,
     sous la terre et sur la mer,
     et tous les êtres qui s’y trouvent,
     je les entendis proclamer :
     « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau,
     la louange et l’honneur,
     la gloire et la souveraineté
     pour les siècles des siècles. »
14 Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! » ;
     et les Anciens, se jetant devant le Trône, se prosternèrent.
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 LE SACRE DU ROI

Avec l’Apocalypse, nous voici en présence d’une vision, avec tout ce que cela comporte d’inhabituel ; mais d’avance nous savons une chose : c’est que le livre entier de l’Apocalypse est un chant de victoire ; dans le passage ci-dessus, c’est clair ! Au ciel, des millions et des centaines de millions d’anges crient à pleine voix quelque chose comme « vive le roi ! »... et, dans tout l’univers, que ce soit sur terre, sur mer, ou même sous la terre, tout ce qui respire acclame aussi comme on le fait au jour du sacre d’un nouveau roi. Le nouveau roi, ici, bien sûr, c’est Jésus-Christ : c’est lui, « l’Agneau immolé », qui est acclamé et reçoit « puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » Pour décrire la royauté du Christ, cette vision utilise un langage symbolique, fait d’images et de chiffres. C’est dire la richesse et aussi la difficulté de ces textes. La richesse, parce que, seul, le langage symbolique peut nous faire pénétrer dans le monde de Dieu ; l’ineffable, l’indicible ne se décrit pas ; il peut seulement être suggéré ; par exemple, il faut être attentif à certaines images, à certaines couleurs, à certains chiffres qui reviennent fréquemment et ce n’est certainement pas par hasard.

 Mais la difficulté réside dans l’interprétation des symboles. Notre imagination est sollicitée, elle peut nous aider, mais jusqu’où pouvons-nous faire confiance à notre intuition pour comprendre ce que l’auteur a voulu suggérer ? Il faut donc toujours rester très humble dans l’interprétation des symboles ! Nous ne pouvons pas prétendre comprendre le sens caché d’un texte biblique quel qu’il soit. L’expression « les quatre Vivants » en est un bon exemple : le chapitre précédent de l’Apocalypse nous les a décrits comme quatre animaux ailés ; le premier a un visage d’homme, les trois autres ressemblent à des animaux, un lion, un aigle, un taureau... et nous avons l’habitude de les voir sur de nombreuses peintures, sculptures et mosaïques... et nous croyons savoir sans hésitation de qui il s’agit ; c’est saint Irénée qui, au deuxième siècle, en a proposé une lecture symbolique : pour lui, les quatre vivants sont, à n’en pas douter, les quatre évangélistes ; saint Augustin a repris la même idée en la modifiant un peu. C’est l’interprétation d’Augustin qui est restée dans la tradition : d’après lui, Matthieu serait le Vivant à face d’homme, Marc le lion (les amoureux de Venise ne peuvent pas l’oublier !), Luc le taureau, Jean l’aigle. Mais les biblistes ne sont pas bien à l’aise avec cette interprétation : car il semble bien que l’auteur de l’Apocalypse ait repris ici une image d’Ézéchiel dans laquelle quatre animaux soutiennent le trône de Dieu, et ils représentent tout simplement le monde créé.

 Parlons des chiffres, justement : toutes ces précautions prises, il semble bien que le chiffre 3 symbolise Dieu ; et 4 le monde créé, peut-être à cause des quatre points cardinaux ; 7 (3+4) évoque à la fois Dieu et le monde créé ; il suggère donc la plénitude, la perfection... par conséquent, 6 (7-1) est incomplet, imparfait. L’acclamation des Anges revêt alors une portée singulière : « Lui, l’Agneau immolé, il est digne de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange »  : quatre termes de réussite terrestre ajoutés à trois termes réservés à Dieu (honneur, gloire, louange) ; au total sept termes : c’est dire que l’Agneau immolé (les lecteurs de Jean savent qu’il s’agit de Jésus) est pleinement Dieu et pleinement homme ; et là on voit bien la force de suggestion d’un tel langage symbolique !

 
LA VICTOIRE DE L’AGNEAU IMMOLÉ

 Continuons notre lecture : « Toute créature dans le ciel et sur la terre, sous la terre et sur la mer (là encore quatre termes : il s’agit bien de toute la création), et tous les êtres qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : ‘À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, la louange et l’honneur, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles.’ » C’est le monde créé qui proclame sa soumission à celui qui siège sur le Trône (Dieu bien sûr), et à l’Agneau. Ce n’est pas un hasard, non plus, si les Vivants qui soutiennent le trône de Dieu chez Ézéchiel et qui représentent le monde créé sont au nombre de quatre.

 Toute cette insistance de Jean, ici, vise à mettre en valeur cette victoire de l’Agneau immolé : apparemment vaincu, aux yeux des hommes, il est en réalité le grand vainqueur ; c’est le grand mystère qui est au centre du Nouveau Testament, ou le paradoxe, si l’on préfère : le Maître du monde se fait le plus petit, le Juge des vivants et des morts a été jugé comme un criminel ; lui qui est Dieu, il a été traité de blasphémateur et c’est au nom de Dieu qu’il a été rejeté. Pire, Dieu a laissé faire.

Quand saint Jean développe cette méditation à l’adresse de sa communauté, on peut penser que son objectif est double : premièrement, il faut trouver une réponse au scandale de la croix, et donner des arguments aux chrétiens en ce sens. Car, à l’époque, chrétiens et Juifs sont en pleine polémique sur ce sujet : pour les Juifs, la mort du Christ suffit à prouver qu’il n’était pas le Messie ; le livre du Deutéronome avait résolu la question : « Lorsqu’un homme ayant commis une faute passible de mort a été condamné à mort et pendu à un arbre, on ne laissera pas son cadavre sur l’arbre durant la nuit. Tu devras le mettre au tombeau le jour même, car un pendu est une malédiction de Dieu. » (Dt 21,22-23). Or c’est bien ce qui s’est passé pour Jésus.

 Pour les chrétiens, témoins de la Résurrection, ils y voient au contraire l’œuvre de Dieu. Mystérieusement, la Croix est le lieu de l’exaltation du Fils. Jésus l’avait annoncé lui-même dans l’évangile de Jean : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, Je Suis » (Jn 8,28). Ce qui veut dire « vous reconnaîtrez enfin ma divinité » (puisque « Je Suis » est exactement le nom de Dieu). Il faut donc apprendre à lire sur les traits défigurés de ce misérable condamné la gloire même de Dieu. Dans la vision que Jean nous décrit, l’Agneau reçoit les mêmes honneurs, les mêmes acclamations que celui qui siège sur le Trône. Deuxième objectif de Jean, aider ses frères à tenir bon dans l'épreuve : les forces de l'amour ont déjà vaincu les forces de la haine ; c'est tout le message de l'Apocalypse.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   21,1-19 

 
     En ce temps-là,
1   Jésus se manifesta encore aux disciples
     sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment.
2   Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre,
     avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau),
     Nathanaël, de Cana de Galilée,
     les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples.
3   Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. »
     Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. »
     Ils partirent et montèrent dans la barque ;
     or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.
4   Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage,
     mais les disciples ne savaient pas que c’était lui.
5   Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? »
     Ils lui répondirent : « Non. »
6   Il leur dit :
     « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. »
     Ils jetèrent donc le filet,
     et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons.
7   Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre :
     « C’est le Seigneur ! »
     Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur,
     il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau.
8   Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ;
     la terre n’était qu’à une centaine de mètres.
9   Une fois descendus à terre,
     ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise
     avec du poisson posé dessus, et du pain.
10 Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. »
11 Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons :
     il y en avait cent cinquante-trois.
     Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré.
12 Jésus leur dit alors : « Venez manger. »
     Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? »
     Ils savaient que c’était le Seigneur.
13 Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ;
     et de même pour le poisson.
14 C’était la troisième fois
     que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.
15 Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre :
     « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? »
     Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
     Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. »
16 Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? »
     Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
     Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. »
17 Il lui dit, pour la troisième fois :
     « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? »
     Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? »
     Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. »
     Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis.
18 Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune,
     tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ;
     quand tu seras vieux, tu étendras les mains,
     et c’est un autre qui te mettra ta ceinture,
     pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »
19 Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu.
     Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »
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 LA VOCATION DE PIERRE

 Voici de nouveau un récit d’apparition du Christ ressuscité ; le mot « apparition » ne doit pas nous tromper (peut-être vaudrait-il mieux dire « manifestation ») ; Jésus ne vient pas d’ailleurs pour disparaître ensuite : il est là en permanence auprès de ses disciples, et auprès de nous désormais, lui qui a dit « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Il est invisible, mais non pas absent ; lors des apparitions, il se rend visible ; le mot grec dit : « il se donne à voir ». Ces manifestations de la présence du Christ au milieu des siens sont un soutien pour nous ; leur rôle est d’affermir notre foi : elles sont émaillées de détails concrets, dont certains peuvent nous paraître étonnants, mais qui ont probablement une valeur symbolique. Par exemple, les cent cinquante-trois poissons : plus tard, au quatrième siècle, saint Jérôme commentera ce chiffre en disant qu’à l’époque du Christ, on connaissait exactement cent cinquante-trois espèces de poissons ; ce serait donc une manière symbolique de dire que c’était la pêche maximum en quelque sorte

 Jean précise qu’ils étaient sept disciples (verset 2) : comme les sept Églises de l’Apocalypse de Jean représentent l’Église tout entière, on peut penser que les sept disciples évoqués ici représentent les disciples de tous les temps, c’est-à-dire là encore l’Église tout entière

 Première question à propos de ce texte : en débarquant sur le rivage, les disciples trouvent un feu de braise avec du poisson posé dessus et du pain ; et malgré cela, Jésus leur dit d’apporter du poisson qu’ils viennent de prendre. Peut-on penser qu’il en manquait ? Il n’est pas certain qu’on puisse se contenter de cette explication arithmétique. Il faut probablement plutôt en déduire que dans l’œuvre d’évangélisation symbolisée par la pêche (depuis que Jésus a appelé Pierre « pêcheur d’hommes »), Jésus nous précède (c’est le sens du poisson déjà posé sur le feu avant l’arrivée des disciples) mais en même temps, il sollicite notre collaboration.

 Autre surprise de ce texte : le dialogue entre Jésus et Pierre ; malheureusement, notre traduction ne peut pas rendre compte de la subtilité du vocabulaire grec. En Français, nous n’avons qu’un verbe « aimer ». Le grec, lui, emploie deux verbes différents : le premier verbe, « agapao », signifie l'amour sans réserve, total et inconditionnel. Le deuxième verbe « phileo » exprime l'amour d'amitié, tendre mais pas totalisant. Les deux premières fois, Jésus demande à Pierre : « Simon... m'aimes-tu ? » avec le verbe « agapaô », c’est-à-dire « m'aimes-tu de cet amour total et inconditionnel dont je t’aime moi-même ? » (Jn 21,15)
Or, Pierre, lui, surtout, après la triste expérience de son triple reniement dans la nuit de la Passion, ne répond pas par le même verbe. Il aime Jésus, oui, mais à la manière des hommes, pas à la manière de Dieu.

 La troisième fois, Jésus reprend sa question, mais avec le verbe « phileô ». Le Pape Benoît XVI commentait : « Simon comprend alors que son pauvre amour suffit à Jésus, l'unique dont il est capable… On pourrait dire que Jésus s'est adapté à Pierre, plutôt que Pierre à Jésus ! C'est précisément cette adaptation divine qui donne de l'espérance au disciple, qui a connu la souffrance de l'infidélité. C'est de là que naît la confiance qui le rendra capable de suivre le Christ jusqu'à la fin. »

 De la même manière que, dans la nuit du Jeudi au Vendredi, Pierre a trois fois affirmé qu’il ne connaissait pas cet homme, cette fois Jésus l’interroge trois fois : infinie délicatesse qui permet à Pierre d’effacer son triple reniement. À chaque fois, Jésus s’appuie sur cet engagement, cette adhésion de Pierre pour lui confier la mission de pasteur de la communauté : « Sois le pasteur de mes brebis ». Notre relation au Christ n’a de sens et de vérité que si elle s’accomplit dans une mission au service des autres. Jésus précise bien « mes » brebis : Pierre est invité à partager la charge du Christ ; il ne devient pas propriétaire du troupeau ; mais le soin qu’il prendra du troupeau du Christ sera le lieu de vérification de son amour pour le Christ lui-même.1  

 Pourquoi cette précision de Jésus « m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il ne faut pas entendre ici une espèce de brevet de bonne conduite, du genre : « puisque tu m’aimes plus que les autres, je te confie la charge » ; au contraire, il faut entendre : « C’est parce que je te confie cette charge, qu’il faudra que tu m’aimes davantage ! » Peut-être est-ce comme un discret rappel à ceux qui détiennent l’autorité ? L’autorité qui nous est confiée, dans quelque domaine que ce soit, est d’abord une exigence : accepter une charge pastorale implique beaucoup d’amour.
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 Notes

 1 - Saint Augustin commente : « Si tu m’aimes, ne pense pas que c’est toi le pasteur ; mais pais mes brebis comme les miennes, non comme les tiennes »

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 Compléments

 - L’Évangile de Jean (au chapitre 20) se terminait par « il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-ci y ont été mis afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu et afin que par votre foi, vous ayez la vie en son nom. » C’était donc une très belle finale pour l’Évangile ! Les spécialistes se demandent si le chapitre 21 n’aurait pas été rajouté après coup. Il se présente comme une sorte de post-scriptum, peut-être destiné à mettre au point le problème de la prééminence de Pierre, qui se posait déjà sans doute dans les communautés chrétiennes de l’époque.

 Pour le dire autrement, on peut être étonné de la place occupée par Pierre dans un récit d’apparition du Christ, sous la plume de saint Jean : cela reflète peut-être un des problèmes des premières communautés chrétiennes. Il faut croire qu’il n’était pas inutile de rappeler à la communauté attachée à la mémoire de Jean que, par la volonté du Christ, le pasteur de l’Église universelle était Pierre et non pas Jean.

  •  - « Quand tu seras vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui te mettra ta ceinture pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » : cette phrase suit tout juste ce qu’on serait tentés d’appeler la nomination de Pierre, « sois le berger de mes brebis » ; il semble qu’elle dise clairement que la mission confiée à Pierre est une mission de « service » et non de domination ! Car, à l’époque, la ceinture est portée par les voyageurs et par les serviteurs : elle sera doublement indiquée pour les serviteurs de l’Évangile. Pierre mourra de sa fidélité au service de l’évangile ; c’est pourquoi Jean explique : « Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. » Cela signifie que ce chapitre est postérieur à la mort de Pierre (pendant la persécution de Néron, en 66 ou 67). Ce n’est pas pour nous étonner, puisqu’on admet communément que l’Évangile de Jean est très tardif. Certains supposent même (d’après Jn 21,23-24) que la rédaction finale de l’évangile de Jean serait postérieure à sa propre mort.
Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 01 05 2022, 3e dimanche de Pâques C

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19 avril 2022 2 19 /04 /avril /2022 20:59
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 23 avril 2022).

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   5,12-16 

     À Jérusalem,
12 par les mains des Apôtres,
     beaucoup de signes et de prodiges
     s’accomplissaient dans le peuple.
     Tous les croyants, d'un même cœur,
     se tenaient sous le portique de Salomon.
13 Personne d'autre n'osait se joindre à eux ;
     cependant tout le peuple faisait leur éloge,
14 de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes,
     en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur.
15 On allait jusqu'à sortir les malades sur les places,
     en les mettant sur des civières et des brancards :
     ainsi, au passage de Pierre,
     son ombre couvrirait l'un ou l'autre.
16 La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem,
     en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs.
     Et tous étaient guéris.
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 LA PREMIÈRE COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE

 Cette description d’une communauté idéale nous paraît presque trop belle ! Après vingt siècles, nos communautés chrétiennes en sont parfois si loin... Il y a comme cela, dans le livre des Actes des Apôtres, quatre petits tableaux, des résumés de la vie des tout débuts de l’Église, de quoi nous faire rêver. N’en déduisons pas que tout était rose pour les premiers chrétiens ; nous aurons l’occasion au cours des dimanches qui viennent de voir qu’ils ont rencontré des difficultés de toute sorte ; et ils étaient des hommes, nos premiers chrétiens, pas des surhommes. Pourquoi Luc, l’auteur des Actes des Apôtres, a-t-il émaillé son livre de ces tableaux trop beaux ? En retenant de préférence les réussites des premières communautés, il veut peut-être nous encourager à avancer dans le même sens : car une communauté fraternelle est une condition indispensable de l’annonce de la Bonne Nouvelle ; or la seule chose qui compte, c’est que la Bonne Nouvelle soit annoncée. Et ce qui a frappé Luc, c’est que rien n’a pu empêcher l’Église naissante de se développer : la contagion de la Bonne Nouvelle s’est répandue irrésistiblement. Jésus les avait prévenus : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). C’est exactement ce qui s’est réalisé progressivement.

 Pour l’instant, nous sommes encore à Jérusalem, ce qui veut dire que la résurrection du Christ est encore proche dans le temps : plus précisément, nous sommes au temple de Jérusalem, sous la colonnade de Salomon ; tout le mur Est du Temple était en fait une colonnade bordant une allée couverte très large ; c’était un lieu de passage et de rencontre, accessible à tous, parce qu’il ne faisait pas partie des enceintes réservées aux Juifs. Cette remarque de Luc « Tous les croyants, d’un même cœur, se tenaient sous le portique de Salomon » est très révélatrice : elle prouve que, dans un premier temps, après la mort et la Résurrection de Jésus, les Apôtres n’ont pas tout de suite cessé de fréquenter le Temple : ils sont Juifs et ils le restent ! Leur foi juive n’est d’ailleurs que plus forte après tous ces événements : puisque, à leurs yeux, les promesses de l’Ancien Testament sont enfin accomplies. Le fossé entre les chrétiens et les Juifs qui ne reconnaissent pas Jésus comme le Messie ne se creusera que peu à peu. Mais on sent un peu déjà dans le texte d’aujourd’hui l’amorce de cette séparation : « Tous les croyants (sous-entendu disciples du Christ), d’un même cœur, se tenaient sous le portique de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ». Cela veut dire qu’ils formaient déjà un groupe à part au sein du peuple juif.

 

DANS LES PAS DU CHRIST

 Dans la deuxième partie du texte de ce dimanche, Luc fait, de toute évidence, un parallèle avec les débuts de la prédication de Jésus, quelques années auparavant. À propos des Apôtres, il écrit : « La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem, en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs.  Et tous étaient guéris. » Le même Luc écrivait dans son évangile à propos de Jésus : « Au coucher du soleil, tous ceux qui avaient des malades atteints de différentes infirmités les lui amenèrent. Et Jésus, imposant les mains à chacun d’eux, les guérissait. Et même des démons sortaient de beaucoup d’entre eux... » (Lc 4,40-41). Or, quand le prophète Isaïe annonçait la venue du Messie, il disait : « Alors, se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. » (Is 35,5-6).

Et quand les disciples de Jean-Baptiste sont venus demander à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir (sous-entendu le Messie) ? », Jésus a répondu dans les mêmes termes : « Allez annoncer à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres reçoivent la bonne nouvelle. » (Lc 7,22-23). En insistant sur les guérisons opérées par Pierre et les Apôtres, Luc veut donc nous dire : c’est bien la même œuvre du Messie qui continue ; les apôtres ont pris le relais.

 Alors on comprend où il veut en venir ; il fait l’histoire des Apôtres dans le but bien précis de dire à sa communauté : à vous de prendre le relais des Apôtres maintenant, le Christ compte sur vous ! Grâce à ce témoignage des apôtres, « de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur. » Ils s’attachaient au Seigneur, non aux apôtres... mais au Seigneur PAR les apôtres. L’évangélisation du monde ne se fait pas toute seule ! Ou, pour le dire autrement, l’évangélisation a besoin d’évangélisateurs ! Luc nous dit encore une fois : « À bon entendeur, salut ! »

 À relire d’un peu plus près encore ces versets, on remarque une chose : saint Luc n’attribue pas d’abord ces conversions nombreuses aux miracles opérés par les apôtres : « Tous les croyants, d’un même cœur, se tenaient sous le portique de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge, de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur.  

 Du coup, on peut se demander : le jour où on pourra dire de nos communautés paroissiales « qu’elles ont un même cœur », peut-être ce jour-là, des hommes et des femmes de plus en plus nombreux adhéreront-ils au Seigneur... C’est bien le souhait du Seigneur : « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13,35). Cela n’est pas au-dessus de nos forces : les premiers chrétiens étaient des hommes et des femmes comme nous ! Dans d’autres passages du livre des Actes, on en a largement la preuve : les désaccords, les disputes, et autres tentations n’ont pas manqué !

 Faut-il en déduire que les miracles non plus ne sont pas au-dessus de nos forces ? Saint Pierre et les autres apôtres n’étaient pas des surhommes ; Pierre lui-même dira à Corneille qui s’agenouillait devant lui : « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi ». (Ac 10,26). C’est peut-être seulement la foi qui nous manque ?
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PSAUME 117 (118), 2-4, 22-24, 25-27a

2   Oui, que le dise Israël :
     Éternel est son amour !
3   Oui, que le dise la maison d’Aaron :

     Éternel est son amour !
4   Qu'ils le disent, ceux qui craignent le SEIGNEUR :

     Éternel est son amour ! 

22 La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
     est devenue la pierre d'angle :
23 c'est là l'œuvre du SEIGNEUR,
     la merveille devant nos yeux.
24 Voici le jour que fit le SEIGNEUR,
     qu'il soit pour nous jour de fête et de joie !

25 Donne, SEIGNEUR, donne le salut !
     Donne, SEIGNEUR, donne la victoire !
26 Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient !
     De la maison du SEIGNEUR, nous vous bénissons
27 Dieu, le SEIGNEUR, nous illumine.
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 Nous avons déjà chanté ce psaume 117 (118 dans la Bible) pendant la nuit pascale et le jour même de Pâques. Et chaque dimanche ordinaire, il fait partie de l’Office des Laudes dans la liturgie des Heures (ou le Bréviaire si vous préférez). Pas étonnant : pour les Juifs, ce psaume concerne le Messie ; pour nous, Chrétiens, quand nous célébrons la Résurrection du Christ, nous reconnaissons en lui le Messie attendu par tout l’Ancien Testament, le roi véritable, le vainqueur de la mort. C’est donc à ce double niveau de l’attente juive et de la foi chrétienne que je vous propose de l’entendre.

LE SENS DE CE PSAUME DANS LA FOI JUIVE : 

C’est un psaume de louange : il commence d’ailleurs par le mot « Alléluia » qui signifie « louez Dieu » et qui donne bien le ton de l’ensemble ; ensuite, il comporte vingt-neuf versets et sur cet ensemble de vingt-neuf versets, il y a plus  de trente fois le mot « SEIGNEUR » (les fameuses quatre lettres du nom de Dieu en hébreu) ou au moins Yah, qui en est la première syllabe... et ce sont autant de phrases de louange pour la grandeur de Dieu, l’amour de Dieu, l’œuvre de Dieu pour son peuple... Une vraie litanie !

 Ce psaume de louange est chanté pour accompagner un sacrifice d’action de grâce au cours de la fête des tentes, cette fête très importante qui dure huit jours en automne. Je commence par vous raconter le déroulement de la fête des tentes : le ri­te le plus vi­si­ble pour des étran­gers se si­tue hors du Tem­ple : pen­dant tou­te cet­te se­mai­ne, on ha­bi­te - mê­me en ville - dans des hut­tes de bran­cha­ge, les « Ten­tes » ou « Ta­ber­na­cles », (d’où le nom de cet­te fê­te) en mé­moi­re des ten­tes du dé­sert et aus­si de la pro­tec­tion de l’ombre de Dieu, pen­dant l’Exode ; d’autres ri­tes se dé­rou­lent à l’intérieur du Tem­ple : des cé­lé­bra­tions de tou­te sor­te (dont le point com­mun est le re­nou­vel­le­ment de l’Alliance), au cours des­quel­les cha­que pè­le­rin bran­dit des rameaux en les agitant. Plus exactement, il s’agit d’un petit bouquet soigneusement lié, le bou­quet de « lou­lav » com­po­sé d’une pal­me, d’une bran­che de myr­te, d’une branche de sau­le et d’un cé­drat (sor­te de pe­tit ci­tron). En­fin, pen­dant cer­tains of­fi­ces, on fait une im­men­se pro­ces­sion au­tour de l’autel en agi­tant ces bou­quets de lou­lav et en chan­tant des psau­mes en­tre­cou­pés de « Ho­san­na » qui si­gni­fie à la fois « Dieu sau­ve » et « Dieu, sau­ve-nous ». Il y a éga­le­ment des ri­tes de li­ba­tion d’eau et une gran­de illu­mi­na­tion du Tem­ple le soir du dernier jour : saint Jean y fait al­lu­sion. 

 C’est une fê­te plei­ne de fer­veur et de joie car el­le an­ti­ci­pe la ve­nue du Mes­sie : on rend grâ­ce pour le sa­lut dé­jà ac­com­pli et on ac­cueille le sa­lut qui vient, qui ne sau­rait tar­der (le Mes­sie). C’est le sens de l’acclamation « Bé­ni soit ce­lui qui vient au nom du SEI­GNEUR ».

 Dans les quelques versets retenus pour la liturgie de ce dimanche, nous ne retrouvons pas tous les éléments de la fête des tentes, mais nous avons ressenti la joie qui habite les croyants : « Voici le jour que fit le SEIGNEUR, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! … Oui, que le dise Israël : Éternel est son amour ! » 

 Cette bonté du Seigneur, le peuple d’Israël l’a expérimentée tout au long de son histoire. Pour le dire, le psaume raconte l’histoire d’un roi qui vient d’affronter une guerre sans merci et qui a remporté la victoire ; et ce roi vient rendre grâce à son Dieu de l’avoir soutenu. Il dit par exemple : « On m’a poussé, bousculé pour m’abattre, mais le SEIGNEUR m’a défendu » (v.13), « Toutes les nations m’ont encerclé : au nom du SEIGNEUR, je les détruis » (v.10) et encore : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du SEIGNEUR » (v.17). C’est donc un individu qui parle ici, un roi qui a miraculeusement échappé à toutes les attaques des pays qui l’assaillaient ; mais, en réalité, nous savons qu’il faut lire entre les lignes : c’est l’histoire du peuple d’Israël. De nombreuses fois au cours de son histoire, il a frôlé l’anéantissement ; mais à chaque fois le Seigneur l’a relevé et il chante dans cette grande fête des tentes : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncerai les actions du SEIGNEUR ». Ce rôle de témoin des œuvres du Seigneur, c’est la vocation propre d’Israël ; et c’est dans la conscience même de cette vocation qu’il a puisé la force de survivre à toutes ses épreuves au long de l’histoire.

 

LE SENS DE CE PSAUME POUR LES CHRÉTIENS 

 Tout d’abord, on remarque la parenté entre la fête juive des tentes et l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, que nous commémorons dans la fête des Rameaux.

 Mais surtout, la jubilation qui court dans ce psaume convient au Ressuscité du matin de Pâques ! Il est ce roi victorieux : les évangélistes, chacun à sa manière, nous l’ont présenté comme le roi véritable : pour n’en citer qu’un, par exemple, Matthieu a construit l’épisode de la visite des Mages de manière à bien nous faire comprendre que le véritable roi n’est pas celui que disent les historiens (c’est-à-dire Hérode) mais l’enfant de Bethléem... ou bien Jean, dans le récit de la Passion, nous présente Jésus comme le vrai roi des Juifs...

 En méditant le mystère de ce messie rejeté, méprisé, crucifié, les apôtres ont découvert un nouveau sens à ce psaume : Jésus est cette pierre angulaire, rejetée par les bâtisseurs et qui devient la pierre maîtresse1... Rejeté par son peuple, il est devenu la pierre de fondation de l’Israël nouveau.    

 Il est vraiment « celui qui vient au nom du SEIGNEUR » comme dit le psaume : l’expression même a été employée lors de son entrée solennelle à Jérusalem.

 Enfin, on se souvient que ce psaume était chanté à Jérusalem à l’occasion d’un sacrifice d’action de grâce ; Jésus, lui, vient d’accomplir LE sacrifice d’action de grâce par excellence ! Il est l’Israël nouveau qui rend grâce à Dieu son Père : c’est même ce qui caractérise Jésus : toute son attitude envers son Père n’est qu’action de grâce et c’est cela justement qui inaugure entre Dieu et l’humanité l’Alliance nouvelle : celle où l’humanité n’est que réponse d’amour à l’amour du Père.

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 Note

 1 – la pierre angulaire : pour cette expression, voir le commentaire de ce psaume 117 (118) pour le dimanche de Pâques.

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LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN  1, 9-11a.12-13.17-19 

9   Moi, Jean, votre frère,
     partageant avec vous la détresse,
     la royauté et la persévérance en Jésus,
     je me trouvai dans l’île de Patmos
     à cause de la parole de Dieu
     et du témoignage de Jésus.
10   Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur,
     et j’entendis derrière moi une voix forte,
     pareille au son d’une trompette.
11 Elle disait :
     « Ce que tu vois, écris-le dans un livre
     et envoie-le aux sept Églises :
     à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire,
     Sardes, Philadelphie et Laodicée. »
12   Je me retournai pour regarder
     quelle était cette voix qui me parlait.
     M’étant retourné,
     j’ai vu sept chandeliers d’or,
13 et au milieu des chandeliers un être
     qui semblait un Fils d’homme,
     revêtu d’une longue tunique,
     une ceinture d’or à hauteur de poitrine.
17   Quand je le vis,
     je tombai à ses pieds comme mort,
     mais il posa sur moi sa main droite, en disant :
     « Ne crains pas.
     Moi, je suis le Premier et le Dernier,
18   le Vivant :
     j’étais mort,
     et me voilà vivant pour les siècles des siècles ;
     je détiens les clés de la mort et du séjour des morts.
19   Écris donc ce que tu as vu,
     ce qui est,
     ce qui va ensuite advenir. »
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UN GENRE LITTÉRAIRE AU SERVICE DE LA RÉVÉLATION : L’APOCALYPSE

Pendant six dimanches de suite, nous allons lire en deuxième lecture des passages de l’Apocalypse de saint Jean : c’est une chance qui nous permettra de faire un peu connaissance avec l’un des textes les plus attachants du Nouveau Testament ; livre difficile à première vue, il nous demande un effort mais nous serons vite récompensés. Aujourd’hui donc, premier contact. Le mot « Apocalypse » vient du grec : cela signifie « révélation », « dévoilement » au sens de « retirer un voile » ; il s’agit pour Jean de nous révéler le mystère de l’histoire du monde, mystère caché à nos yeux. Parce qu’il s’agit de nous révéler ce que nos yeux ne voient pas spontanément, le livre se présente sous forme de visions : par exemple, le verbe « voir » (ou regarder) est employé cinq fois dans le simple passage d’aujourd’hui !

 Ce mot « Apocalypse » malheureusement n’a pas eu de chance : il est devenu presque un épouvantail, ce qui est le pire des contresens ! Car, à sa manière, l’Apocalypse est, comme tous les autres livres bibliques, une Bonne Nouvelle. Toute la Bible, dès l’Ancien Testament, est le dévoilement du mystère du « dessein bienveillant de Dieu », (comme dit saint Paul dans la Lettre aux Éphésiens), le projet d’amour de Dieu pour l’humanité. Les Apocalypses sont un genre littéraire particulier, mais comme tous les autres livres bibliques, elles n’ont pas d’autre message que l’amour de Dieu et la victoire définitive de l’amour sur toutes les formes du mal. Si nous ne sommes pas convaincus de cela en ouvrant les Apocalypses, et en particulier celle de Jean, mieux vaut ne pas les ouvrir ! Nous risquons de les lire de travers !

Ce qui fait l’une des difficultés de ce genre littéraire, ce sont les visions souvent fantastiques et difficiles à décrypter, pour nous tout au moins. Tout est là : ce n’était pas difficile pour les destinataires, c’est difficile pour nous qui ne sommes plus dans leur situation. Pourquoi parler sous forme de visions ? Pourquoi ne pas parler en clair ? Ce serait tellement plus simple... non, justement ; l’Apocalypse de saint Jean, comme tous les livres du même genre (il y a eu plusieurs apocalypses écrites par des auteurs différents entre le deuxième siècle av. J.-C. et le deuxième siècle ap. J.-C.), est écrite en temps de persécution ; on le lit bien ici : « Moi, Jean, votre frère, partageant avec vous la détresse, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvai dans l’île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. » À Patmos, Jean ne fait pas du tourisme, il y a été exilé.

L’APOCALYPSE : UN DISCOURS DE VICTOIRE

Parce qu’on est en pleine persécution, une Apocalypse est un écrit qui circule sous le manteau, pour remonter le moral des troupes ; le thème majeur, c’est la victoire finale de ceux qui actuellement sont opprimés. Le discours, en gros, c’est : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage ; Christ a vaincu le monde : regardez, il est vainqueur. Il a vaincu la mort. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Le vrai roi, c’est le Christ ; ceci, Jean le dit dès la première phrase : « Moi, Jean, votre frère partageant avec vous la détresse, la royauté et la persévérance en Jésus. » 

 Évidemment, un tel discours ne peut pas être trop explicite, puisque le danger est grand de le voir saisi par le persécuteur ; alors on raconte des histoires d’un autre temps et des visions fantasmagoriques, tout ce qu’il faut pour décourager la lecture par des non-initiés. Par exemple, saint Jean dit tout le mal possible de Babylone, qu’il appelle « la grande prostituée ». Pour qui sait lire entre les lignes, il s’agit évidemment de Rome. Le message de toute Apocalypse, c’est celui-là : les forces du mal pourront se déchaîner, elles ne l’emporteront pas !

 C’est ce qui explique le triste contresens que nous faisons souvent sur le mot « Apocalypse » : car on y trouve effectivement la description du mal déchaîné, mais on y trouve bien plus encore l’annonce de la victoire de Dieu et de ceux qui lui seront restés fidèles.

 Je reviens à l’Apocalypse de saint Jean : puisqu’elle fait partie du Nouveau Testament, son personnage central est bien évidemment Jésus-Christ : il est au centre de toutes les visions.

 Dans la lecture de ce dimanche, cette victoire du Christ nous est présentée dans une vision grandiose : c’est un dimanche, également, c’est-à-dire le jour où l’on célèbre la Résurrection du Christ. Jean a l’impression de revivre comme une nouvelle Pentecôte : une voix puissante comme une trompette, le souffle de l’Esprit... il est saisi... au milieu de sept chandeliers d’or, un être de lumière lui apparaît ; un « fils d’homme » ; dans le vocabulaire du Nouveau Testament, le fils de l’homme est l’une des expressions pour dire le Messie ; pour Jean, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, c’est le Christ. Alors, comme tout homme mis soudainement en présence de Dieu, Jean tombe à ses pieds et il s’entend dire « Ne crains pas »... et il entend les paroles de victoire : « Je suis » (le nom même de Dieu)... « Je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort et me voilà vivant... je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. » 

 Et comme toujours, ce genre de vision est vocation, pour une mission au service de ses frères : « Écris ce que tu as vu... » sous-entendu va encourager tes frères ; le passé, le présent, l’avenir m’appartiennent : on entend résonner ici la promesse du Christ : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11,25).

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 Note

 Les exégètes s’entendent pour dire que l’Apocalypse de Jean a été écrite sous le règne de l’empereur Domitien (81-96). Or cet empereur ne s’est pas livré à une persécution systématique des chrétiens. Mais la communauté de Jean vit réellement dans un climat d’insécurité : lui-même est exilé et, d’autre part, dans le cours du livre, il sera fait mention de martyrs ; les chrétiens sont affrontés aux exigences du culte impérial promu par Domitien et il semble que certains gouverneurs locaux aient fait du zèle. D’autre part, les chrétiens rencontrent l’opposition des Juifs restés réfractaires au christianisme. C’est ce qui semble ressortir des lettres aux sept Églises.

 Compléments sur les apocalypses

 Dans l’Ancien Testament, le message du livre de Daniel était de type apocalyptique : écrit vers 165 av. J.-C. pour encourager ses frères persécutés par le roi grec Antiochus Épiphane, Daniel n’attaquait pas directement le problème : il racontait les actes d’héroïsme accomplis par des Juifs fidèles sous la persécution de Nabuchodonosor quatre cents ans plus tôt ; ce n’était qu’une leçon d’histoire, en apparence ; mais, pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair.

 Voici un exemple de texte de style « apocalyptique » dans l'histoire récente : au temps de la domination russe sur la Tchécoslovaquie, une jeune actrice tchèque a composé et joué de nombreuses fois dans son pays une pièce sur Jeanne d'Arc : de toute évidence, l'histoire de Jeanne d'Arc boutant les Anglais hors de France au quinzième siècle n'était pas le premier souci des Tchèques ; et si le scénario tombait entre les mains du pouvoir occupant, ce n'était pas compromettant ; mais pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair : ce que la jeune fille de dix-neuf ans a su faire, avec l'aide de Dieu, nous le pouvons nous aussi.
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 ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   20,19-31  

       C'était après la mort de Jésus.
19 Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
     alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
     étaient verrouillées par crainte des Juifs,
     Jésus vint, et il était là au milieu d'eux.
     Il leur dit :
     « La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
     Les disciples furent remplis de joie
     en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau : 
     « La paix soit avec vous !
     De même que le Père m'a envoyé,
     moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
     et il leur dit :
     « Recevez l'Esprit Saint.

23 À qui vous remettrez ses péchés,
     ils seront remis ;
     à qui vous maintiendrez ses péchés,
     ils seront maintenus. »
24 Or, l'un des Douze, Thomas
     appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau)
     n'était pas avec eux quand Jésus était venu.
25 Les autres disciples lui disaient :
    « Nous avons vu le Seigneur ! »

     Mais il leur déclara :
     « Si je ne vois pas
     dans ses mains la marque des clous,
     si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
     si je ne mets pas la main dans son côté,
     non, je ne croirai pas ! »
26 Huit jours plus tard,
     les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
     et Thomas était avec eux.
     Jésus vient,
     alors que les portes étaient verrouillées,
     et il était là au milieu d'eux.
     Il dit :
     « La paix soit avec vous ! »
27 Puis il dit à Thomas :
     « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
     avance ta main, et mets-la dans mon côté :
     cesse d'être incrédule,
     sois croyant. »
28 Alors Thomas lui dit :
     « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29 Jésus lui dit :
     « Parce que tu m'as vu, tu crois.
     Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30 Il y a encore beaucoup d'autres signes
     que Jésus a faits en présence des disciples
     et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Mais ceux-là ont été écrits 
     pour que vous croyiez
     que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
     et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
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 LE JOUR DE LA CRÉATION NOUVELLE

 C’est la première fois que Jésus Ressuscité rencontre ses disciples. Ils ont encore dans la tête les derniers mots qu’il a prononcés sur la croix : « Tout est accompli » (Jn 19,30). C’est ainsi que se termine le récit de la Passion dans l’évangile de saint Jean. Il me semble que cette phrase « Tout est accompli », c’est-à-dire « le projet de Dieu est accompli » devient à ce moment-là une évidence pour Jean, et c’est dans cet esprit qu’il vit cette première rencontre avec le Ressuscité.

 Par exemple, comme par hasard, cela se passe à Jérusalem ! La ville faite pour la paix, comme son nom l’indique (Yerushalaïm : dans ce nom, il y a le mot hébreu « shalom ») et Jésus y annonce et y donne sa paix ; il dit « Shalom » et parce qu’il est Dieu, et enfin reconnu comme tel, sa Parole est efficace, créatrice. Réellement, sa paix s’accomplit...

 Dire cela aujourd’hui ne relève-t-il pas de l’inconscience ? de l’utopie ? Au contraire, il est plus que jamais urgent d’y croire ! Mais la paix ne vient pas d’un coup de baguette magique ! Elle exige des cœurs prêts à l’accueillir.

 Jean a certainement en tête toutes les promesses des prophètes, par exemple Isaïe : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné... Prince de la paix... » (Is 9,5) ; ou encore Jérémie : « Moi, dit Dieu, je connais les pensées que je forme à votre sujet… pensées de paix (de « shalom ») et non de malheur... » (Jr 29,11). Et les disciples sont dans la joie : Jean se souvient de la parole du Christ, le dernier soir : « Maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera » (Jn 16,22).

 Ensuite, c’était « le soir du premier jour de la semaine » : au temps de Jésus, en Israël, ce premier jour de la semaine, c’est-à-dire le dimanche, était un jour comme les autres, un jour de travail comme les autres... en revanche, le septième jour, le samedi était jour de repos, de prière, de rassemblement, le shabbat. Or, c’est un lendemain de shabbat que Jésus est ressuscité, et, plusieurs fois de suite, il s’est montré vivant à ses apôtres après sa résurrection, chaque fois le premier jour de la semaine : si bien que pour les chrétiens, le premier jour de la semaine, le dimanche, a pris un sens particulier. Ce « premier jour de la semaine » leur paraît à eux être le premier jour des temps nouveaux : comme la semaine de sept jours des Juifs rappelait les sept jours de la Création, cette nouvelle semaine qui a commencé par la Résurrection du Christ a été comprise par les chrétiens comme le début de la nouvelle Création.

 Si bien que quand Jean écrit « C’était le soir du premier jour de la semaine », ce n’est pas seulement une précision matérielle qu’il nous donne : c’est plutôt comme un clin d’œil ; quand il écrit son évangile, il y a déjà à peu près cinquante ans que les faits se sont passés... cinquante ans que les chrétiens se réunissent chaque dimanche pour fêter la résurrection de Jésus. Le clin d’œil, c’est « vous comprenez pourquoi on se rassemble chaque dimanche ? » Et d’ailleurs, notre mot français vient du latin « dies dominicus » qui veut dire « Jour du Seigneur ». Chaque dimanche, nous annonçons que le Jour du Seigneur, le Jour de la Création Nouvelle est enfin venu. Le « dessein bienveillant » de Dieu est accompli.

 « JE VOUS ENVOIE »

 C’est précisément ce jour-là, le premier jour de la semaine que le Christ donne l’Esprit à ses disciples, comme le prophète Ézéchiel l’avait annoncé : « Je mettrai en vous mon propre Esprit ». Jésus « souffle » sur ses disciples et dit « Recevez l’Esprit Saint » ; Jean a repris intentionnellement le mot du livre de la Genèse (Gn 2,7) : comme Dieu a insufflé à l’homme l’haleine de vie, Jésus inaugure la création nouvelle en insufflant à l’homme son esprit. En écho, la quatrième prière eucharistique rend grâce pour le don de l’Esprit, « le premier don fait aux croyants ».

 Dans la Bible, l’Esprit est toujours donné pour une mission, et effectivement, Jésus est venu pour confier à ses disciples leur mission : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». À Pilate, trois jours avant, il a dit « Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37) et Pilate avait posé la question « Qu’est-ce que la vérité ? » Jésus confie à ses disciples la mission d’annoncer à leur tour au monde la vérité, la seule dont les hommes aient besoin pour vivre : ‘Dieu est Père, il est Amour, il est pardon et miséricorde’.

 « Je vous envoie » : on se rappelle que les disciples étaient verrouillés : il leur dit « je vous envoie », c’est-à-dire, il n’est plus question de rester verrouillés ! La mission est urgente, le monde meurt de ne pas savoir la vérité ; il est, comme dit Jésus, « maintenu dans son péché », c’est-à-dire dans son éloignement d’avec Dieu. Il n’y a pas d’autre mission en définitive que de réconcilier les hommes avec Dieu : tout le reste en découle.

 « À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis. À qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » On pourrait traduire : ‘Allez annoncer que les péchés sont remis, c’est-à-dire pardonnés. Soyez les ambassadeurs de la réconciliation universelle. Et, si vous n’y allez pas, cette Nouvelle de la Réconciliation ne sera pas annoncée : le Père vous confie cette mission urgente et indispensable.’

 « De même que le Père m’a envoyé... » : on a ici, de la bouche même de Jésus-Christ un résumé de toute sa mission ; c’est comme s’il nous disait : ‘Le Père m’a envoyé pour annoncer la réconciliation universelle, pour annoncer que les péchés sont pardonnés. Que Dieu ne tient pas des comptes des péchés des hommes ... annoncer une seule chose : que Dieu est Amour et Pardon. À votre tour, je vous envoie pour la même mission. Le premier péché, celui qui est la racine de tous les autres, c’est de ne pas croire à l’amour de Dieu : vous donc, je vous envoie, allez annoncer à tous les hommes l’amour de Dieu’.

 Reste la phrase « À qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » : être maintenu dans son péché, c’est vivre hors de l’amour de Dieu. Il dépend de vous, dit Jésus, que vos frères connaissent l’amour de Dieu et en vivent ... Le projet de Dieu ne sera définitivement accompli que quand vous, à votre tour, aurez accompli votre mission...  « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ».

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 Complément

« C’était le soir du premier jour de la semaine » : dans la lecture juive du récit de la Création, ce premier jour était appelé « Jour UN » au sens de « premier jour » mais aussi « jour unique », parce que d’une certaine manière il englobait tous les autres, comme la première gerbe de la récolte annonce toute la moisson... Et le peuple juif attend encore le Jour Nouveau qui sera le jour de Dieu, lorsqu’il renouvellera la première Création.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 24 04 2022, 2e dimanche de Pâques C

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12 avril 2022 2 12 /04 /avril /2022 23:57
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 09 avril 2022).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 11 au 16 04 2022, Semaine sainte C

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4 avril 2022 1 04 /04 /avril /2022 22:07
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 09 avril 2022).

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE   50, 4-7

 4   Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples,
     pour que je puisse, d’une parole,
     soutenir celui qui est épuisé.
     Chaque matin, il éveille,
     il éveille mon oreille
     pour qu’en disciple, j’écoute.
5   Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille,
     et moi, je ne me suis pas révolté,
     je ne me suis pas dérobé.
6   J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
     et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
     Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
7   Le SEIGNEUR mon Dieu vient à mon secours ;
     c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
     c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre :
     je sais que je ne serai pas confondu.
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ISRAËL, SERVITEUR DE DIEU

Depuis des années, nous avons lu et relu ces textes étonnants qui font partie du livre d’Isaïe et qu’on appelle les « Chants du Serviteur » ; ils nous intéressent tout particulièrement, nous chrétiens, pour deux raisons : d’abord par le message qu’Isaïe lui-même voulait donner à ses contemporains ; ensuite, parce que les premiers chrétiens les ont appliqués à Jésus-Christ.

Je commence par le message du prophète Isaïe à ses contemporains : une chose est sûre, Isaïe ne pensait évidemment pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av. J.-C., pendant l’Exil à Babylone. Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.

Dans ce texte, Isaïe nous décrit la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples... Chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute. Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille ».

« Écouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; les auteurs bibliques opposent fréquemment ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne... ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu... et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.

Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Écoute, Israël » ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu ? » Et, dans leur bouche, la recommandation « Écoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et saint Paul dira pourquoi : parce que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (c’est-à-dire qui lui font confiance). » (Rm 8,28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.

C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « Pour que je puisse soutenir celui qui est épuisé », dit le Serviteur. En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples »... Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu

LE COURAGE DU SERVITEUR

Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé... » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.

Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour... d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter : « Chaque matin, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j'écoute. » Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu ma face dure comme pierre »* : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit parfois « avoir le visage défait », eh bien ici le Serviteur affirme ‘vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive’ ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force : « Le SEIGNEUR mon Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages. »

Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Écoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.
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Note

*Luc a repris exactement cette expression en parlant de Jésus : le texte grec dit « Jésus durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem » (Luc 9,51) ; notre traduction liturgique dit « Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem ».
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PSAUME 21 (22), 2, 8-9, 17-20, 22b-24

 

2   Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?
8   Tous ceux qui me voient me bafouent,
     ils ricanent et hochent la tête :
9   « Il comptait sur le SEIGNEUR : qu’il le délivre !
     Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »

17 Oui, des chiens me cernent,
     une bande de vauriens m'entoure ;
     ils me percent les mains et les pieds,
18 je peux compter tous mes os.

19 Ils partagent entre eux mes habits
     et tirent au sort mon vêtement.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne sois pas loin :
     ô ma force, viens vite à mon aide !

22 Tu m'as répondu !
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
     je te loue en pleine assemblée.
24 Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR.
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DU CRI DE DÉTRESSE À L’ACTION DE GRÂCE

Ce psaume 21/22 nous réserve quelques surprises : il commence par cette fameuse phrase « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui a fait couler beaucoup d’encre et même de notes de musique ! L’ennui, c’est que nous la sortons de son contexte, et que du coup, nous sommes souvent tentés de la comprendre de travers : pour la comprendre, il faut relire ce psaume en entier. Il est assez long, trente-deux versets dont nous lisons rarement la fin : or que dit-elle ? C’est une action de grâce : « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. » Celui qui criait « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » dans le premier verset, rend grâce quelques versets plus bas pour le salut accordé. Non seulement, il n’est pas mort, mais il remercie Dieu justement de ne pas l’avoir abandonné.

Ensuite, à première vue, on croirait vraiment que le psaume 21/22 a été écrit pour Jésus-Christ : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os ». Il s’agit bien du supplice d’un crucifié ; et cela sous les yeux cruels et peut-être même voyeurs des bourreaux et de la foule : « Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure »… « Ces gens me voient, ils me regardent. Ils partagent entre eux mes habits, et tirent au sort mon vêtement ».

Mais, en réalité, ce psaume n’a pas été écrit pour Jésus-Christ : il a été composé au retour de l’Exil à Babylone : ce retour est comparé à la libération d’un condamné à mort ; car l’Exil était bien la condamnation à mort de ce peuple ; encore un peu, et il aurait été rayé de la carte !

Et donc, dans ce psaume 21/22, Israël est comparé à un condamné qui a bien failli mourir sur la croix. N’oublions pas que la croix était un supplice très courant, depuis la période de la domination perse ; c’est pour cela qu’on prend l’exemple d’une crucifixion : le condamné a subi les outrages, l’humiliation, les clous, l’abandon aux mains des bourreaux... et puis, miraculeusement, il en a réchappé, il n’est pas mort. Traduisez : Israël est rentré d’Exil. Et, désormais, il se laisse aller à sa joie et il la dit à tous, il la crie encore plus fort qu’il n’a crié sa détresse. Le récit de la crucifixion n’est donc pas au centre du psaume, il est là pour mettre en valeur l’action de grâce de celui (Israël) qui vient d’échapper à l’horreur. 

Du sein de sa détresse, Israël n’a jamais cessé d’appeler au secours et il n’a pas douté un seul instant que Dieu l’écoutait. Son grand cri que nous connaissons bien : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est bien un cri de détresse devant le silence de Dieu, mais ce n’est ni un cri de désespoir, ni encore moins un cri de doute. Bien au contraire ! C’est la prière de quelqu’un qui souffre, qui ose crier sa souffrance. Au passage, nous voilà éclairés sur notre propre prière quand nous sommes dans la souffrance quelle qu’elle soit : nous avons le droit de crier, la Bible nous y invite.

Ce psaume est donc en fait le chant du retour de l’Exil : Israël rend grâce. Il se souvient de la douleur passée, de l’angoisse, du silence apparent de Dieu ; il se sentait abandonné aux mains de ses ennemis ... Mais il continuait à prier, la prière à elle toute seule prouve bien qu’on n’a pas complètement perdu espoir, sinon on ne prierait même plus ! Israël continuait à se rappeler l’Alliance, et tous les bienfaits de Dieu.

LE PSAUME 21 COMME UN EX-VOTO

Au fond, ce psaume est l’équivalent de nos ex-voto : au milieu d’un grand danger, on a prié et on a fait un vœu ; du genre « si j’en réchappe, j’offrirai un ex-voto à tel ou tel saint » ; (le mot « ex-voto » veut dire justement « à la suite d’un vœu ») ; une fois délivré, on tient sa promesse. Dans certaines églises du Midi de la France, par exemple, les murs sont couverts de tableaux qui représentent les circonstances du danger auquel on a échappé ; ce peut être un incendie, un accident, un naufrage... on voit aussi parfois une jeune femme en train de mourir en couches avec déjà toute une ribambelle d’enfants autour de son lit ; la représentation de ce qui a failli arriver est toujours dramatique ; et on voit les parents et les proches éplorés qui assistent impuissants ; ce sont eux qui ont promis de faire exécuter ce tableau si celui qui était en danger en réchappait. En général, le tableau est divisé en trois parties ; le danger encouru... les proches en prière, et, en haut de la toile, dans un coin du ciel, le saint ou la sainte qui nous a secourus, ou bien la Vierge. Et c’est l’ex-voto tout entier lui-même qui est l’action de grâce dont on a le cœur plein quand enfin tout se termine bien.

Notre psaume 21/22 ressemble exactement à cela : il décrit l’horreur de l’Exil, la détresse du peuple d’Israël et de Jérusalem assiégée par Nabuchodonosor, le sentiment d’impuissance devant l’épreuve ; et ici l’épreuve, c’est la haine des hommes ; il dit la prière de supplication : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qu’on peut traduire « Pourquoi, en vue de quoi, m’as-tu abandonné à la haine de mes ennemis ? » Et Dieu sait si le peuple d’Israël a affronté de nombreuses fois la haine des hommes. Mais ce psaume dit encore plus, tout comme nos ex-voto, l’action de grâce de celui qui reconnaît devoir à Dieu seul son salut. « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères... Je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR ! » Et les derniers versets du psaume ne sont qu’un cri de reconnaissance ; malheureusement, nous ne les chanterons pas pendant la messe de ce dimanche des Rameaux ... (peut-être parce que nous sommes censés les connaître par cœur ?) : « Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ; ils loueront le SEIGNEUR, ceux qui le cherchent. À vous toujours, la vie et la joie ! La terre se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR, chaque famille de nations se prosternera devant lui... Moi, je vis pour lui, ma descendance le servira. On annoncera le Seigneur aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre ! » 

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX PHILIPPIENS  2, 6-11

 

6   Le Christ Jésus,
     ayant la condition de Dieu,
     ne retint pas jalousement
     le rang qui l’égalait à Dieu.

7   Mais il s’est anéanti,
     prenant la condition de serviteur,
     devenant semblable aux hommes.

8   Reconnu homme à son aspect,
     il s’est abaissé,
     devenant obéissant jusqu’à la mort,
     et la mort de la croix.

9   C’est pourquoi Dieu l’a exalté :
     il l’a doté du Nom
     qui est au-dessus de tout nom,

10 afin qu’au nom de Jésus
     tout genou fléchisse
     au ciel, sur terre et aux enfers,

11   et que toute langue proclame :
     « Jésus Christ est Seigneur »
     à la gloire de Dieu le Père.
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JÉSUS, SERVITEUR DE DIEU

Pendant l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe, de la part de Dieu bien sûr, avait assigné une mission et un titre à ses contemporains ; le titre était celui de Serviteur de Dieu. Il s’agissait, au cœur même des épreuves de l’Exil, de rester fidèles à la foi de leurs pères et d’en témoigner au milieu des païens de Babylone, fut-ce au prix des humiliations et de la persécution. Dieu seul pouvait leur donner la force d’accomplir cette mission.

Lorsque les premiers chrétiens ont été affrontés au scandale de la croix, ils ont médité le mystère du destin de Jésus, et n’ont pas trouvé de meilleure explication que celle-là : « Jésus s’est anéanti, prenant la condition de serviteur ». Lui aussi a bravé l’opposition, les humiliations, la persécution. Lui aussi a cherché sa force auprès de son Père parce qu’il n’a jamais cessé de lui faire confiance.

Mais il était Dieu, me direz-vous. Pourquoi n’a-t-il pas recherché la gloire et les honneurs qui reviennent à Dieu ? Mais, justement, parce qu’il est Dieu, il veut sauver les hommes. Il agit donc en homme et seulement en homme pour montrer le chemin aux hommes. Paul dit : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » C’est justement parce qu’il est de condition divine, qu’il ne revendique rien. Il sait, lui, ce qu’est l’amour gratuit... il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu... Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau. Et c’est effectivement cela qui lui a été donné en définitive.*

J’ai bien dit comme un cadeau et non pas comme une récompense. Car il me semble que l’un des pièges de ce texte est la tentation que nous avons de le lire en termes de récompense ; comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Si j’ose parler de tentation, c’est que toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, ce que j’appelle des termes arithmétiques est contraire à la « grâce » de Dieu... La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Et, curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; nous sommes toujours tentés de parler de mérites ; mais si Dieu attendait que nous ayons des mérites, c’est là que nous pourrions être inquiets... La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont découvert grâce à la Révélation. On s’expose à des contresens si on oublie que tout est don gratuit de Dieu.  

LE PROJET DE DIEU EST GRATUIT

Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Essayons de résumer la pensée de Paul : le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est de nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait. Ce projet est absolument gratuit, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire. Avec Dieu, tout est cadeau. Mais nous nous excluons nous-mêmes de ce don gratuit si nous adoptons une attitude de revendication ; si nous nous conduisons à l’image de la femme du jardin d’Éden : elle prend le fruit défendu, elle s’en empare, comme un enfant « chipe » sur un étalage... Jésus-Christ, au contraire, n’a été qu’accueil (ce que saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été que accueil du don de Dieu et non revendication, il a été comblé. Et il nous montre le chemin, nous n’avons qu’à suivre, c’est-à-dire l’imiter.

Il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : c’est bien le Nom de Dieu justement ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »... C’est une allusion à une phrase du prophète Isaïe: « Devant moi tout genou fléchira, dit Dieu » (Is 45,23).

Jésus a vécu sa vie d’homme dans l’humilité et la confiance, même quand le pire est arrivé, c’est-à-dire la haine des hommes et la mort. J’ai dit « confiance » ; Paul, lui, parle « d’obéissance ». « Obéir », « ob-audire » en latin, c’est littéralement « mettre son oreille (audire) « devant » (ob) la parole : c’est l’attitude du dialogue parfait, sans ombre ; c’est la totale confiance ; si on met son oreille devant la parole, c’est parce qu’on sait que cette parole n’est qu’amour, on peut l’écouter sans crainte.

 L’hymne se termine par « toute langue proclame ‘Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père’ » : la gloire, c’est la manifestation, la révélation de l’amour infini ; autrement dit, en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, et accepter de mourir pour nous révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »... puisque Dieu, c’est l’amour.
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Note

* C’est bien la même question dans l’épisode des Tentations (dans les évangiles de Matthieu et de Luc) : le diviseur (c’est le sens du mot diable/diabolos en grec) ne propose à Jésus que des biens qui font partie du plan de Dieu ! Mais lui refuse de s’en emparer. Il compte sur son Père pour les lui donner. Le Tentateur lui dit en substance : ‘Si tu es le Fils de Dieu, tu peux tout te permettre, ton Père ne peut rien te refuser : transforme les pierres en pains quand tu as faim... jette-toi en bas de la montagne, il te protègera... adore-moi, je te ferai régner sur le monde entier’. Mais Jésus attend tout de Dieu seul.

Complément

Nous connaissons bien ce texte : on l’appelle souvent « l’Hymne de l’Épître aux Philippiens » : parce qu’on a l’impression que Paul ne l’a pas écrite lui-même, mais qu’il a cité une hymne que l’on chantait habituellement dans la liturgie.
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Commentaire de la Passion de Notre Seigneur Jésus Christ selon saint Luc

Chaque année, pour le dimanche des Rameaux, nous lisons le récit de la Passion dans l’un des trois évangiles synoptiques ; cette année, c’est donc dans l’Évangile de Luc. En fait, dans les quelques minutes de cette émission, je ne peux pas lire en entier le récit de la Passion, mais je vous propose de nous arrêter aux épisodes qui sont propres à Luc ; bien sûr, dans les grandes lignes, les quatre récits de la Passion sont très semblables ; mais si on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que chacun des évangélistes a ses accents propres. Ce n’est pas étonnant : on sait bien que plusieurs témoins d’un même événement racontent les faits chacun à leur manière ; eh bien, les évangélistes rapportent l’événement de la Passion du Christ de quatre manières différentes : ils ne retiennent pas les mêmes épisodes ni les mêmes phrases ; voici donc quelques épisodes et quelques phrases que Luc est seul à rapporter.

Pour commencer, vous vous rappelez qu’après le dernier repas, avant même de partir pour le jardin des Oliviers, Jésus avait annoncé à Pierre son triple reniement ; cela les quatre évangiles le racontent ; mais Luc est le seul à rapporter une phrase de Jésus à ce moment- là : « (Simon), j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22,32). Ce qui est, je pense, une suprême délicatesse de Jésus, qui aidera Pierre à se relever au lieu de sombrer dans le désespoir après sa trahison.

Et Luc est le seul également à noter le regard que Jésus a posé sur Pierre après son reniement : trois fois de suite, dans la maison du Grand Prêtre, Pierre a affirmé ne rien connaître de Jésus de Nazareth ; aussitôt, Luc note : « Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre. » (Lc 22,61). Dans le texte d’Isaïe que nous lisons ce dimanche en première lecture, celui que le prophète Isaïe appelait le Serviteur de Dieu disait : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples, pour que je puisse, d’une parole, soutenir celui qui est épuisé. » (Is 50,4). C’est bien ce que Jésus a soin de faire avec son disciple : réconforter à l’avance celui qui l’aura renié et risquera bien de se décourager.

Autre épisode propre à l’évangile de Luc dans la Passion de Jésus, la comparution devant Hérode Antipas ; vous vous rappelez que c’est Hérode le Grand qui régnait (sous l’autorité de Rome, évidemment) sur l’ensemble du territoire au moment de la naissance de Jésus ; lorsque Hérode le Grand est mort (en - 4), le territoire a été divisé en plusieurs provinces ; et au moment de la mort de Jésus (en 30 de notre ère, probablement), la Judée, c’est-à-dire la province de Jérusalem, était gouvernée par un procurateur romain, tandis que la Galilée était sous l’autorité d’un roi reconnu par Rome, qui était un fils d’Hérode le Grand, on l’appelait Hérode Antipas.

Je vous lis ce récit : « Apprenant qu’il (Jésus) relevait de l’autorité d’Hérode, il (Pilate) le renvoya devant ce dernier, qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là. À la vue de Jésus, Hérode éprouva une joie extrême : en effet, depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire un miracle. Il lui posa bon nombre de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. Les grands prêtres et les scribes étaient là et l’accusaient avec véhémence. Hérode, ainsi que ses soldats, le traita avec mépris et se moqua de lui : il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate. Ce jour là, Hérode et Pilate devinrent des amis, alors qu’auparavant il y avait de l’hostilité entre eux. » (Lc 23,7-12).

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur trois phrases qui sont propres à Luc dans le récit de la Passion ; deux sont des paroles de Jésus et si Luc les a notées, c’est parce qu’elles révèlent bien ce qui est important à ses yeux : d’abord cette prière extraordinaire de Jésus : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! » (Lc 23,34). C’est au moment précis où les soldats romains viennent de crucifier Jésus : « ils ne savent pas ce qu’ils font ! » Que font-ils ? Ils ont expulsé au-dehors de la Ville sainte celui qui est le saint par excellence. Ils ont expulsé leur Dieu ! Ils mettent à mort le Maître de la Vie. Au Nom de Dieu, le Sanhédrin, c’est-à-dire le tribunal de Jérusalem, a condamné Dieu. Que fait Jésus ? Sa seule parole est de pardon ! C’est bien dans le Christ pardonnant à ses frères ennemis que nous découvrons jusqu’où va l’amour de Dieu (« Qui m’a vu a vu le Père » avait dit Jésus, la veille. Jn 14,9).

Deuxième phrase : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23,43). Je resitue le passage : tout le monde agresse Jésus ; trois fois retentit la même interpellation à Jésus crucifié : « Si tu es... »  ; « Si tu es le Messie », ricanent les chefs... » Si tu es le roi des Juifs », se moquent les soldats romains ... » Si tu es le Messie », injurie l’un des deux malfaiteurs crucifiés en même temps que lui.

Et c’est là qu’intervient celui que nous appelons « le bon larron », qui n’était pourtant pas un « enfant de chœur » comme on dit ! Alors en quoi est-il admirable ? En quoi est-il un exemple ? Il commence par dire la vérité : « Pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. »

Puis il s’adresse humblement à Jésus : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » Il reconnaît Jésus comme le Sauveur, il l’appelle au secours... prière d’humilité et de confiance... Il lui dit « Souviens-toi », ce sont les mots habituels de la prière que l’on adresse à Dieu : à travers Jésus, c’est donc au Père qu’il s’adresse : « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton Royaume » ; on a envie de dire « Il a tout compris ».*

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur une phrase que Luc, là encore, est seul à dire : « Déjà brillaient les lumières du sabbat » (23,54). Luc termine le récit de la Passion et de la mort du Christ par une évocation insistante du sabbat ; il précise que les femmes qui accompagnaient Jésus depuis la Galilée sont allées regarder le tombeau pour voir comment le corps de Jésus avait été placé, elles ont préparé d’avance aromates et parfums, puis elles ont observé le repos du sabbat. Le récit de ces heures terribles s’achève donc sur une note de lumière et de paix ; n’est-ce pas curieux ?

Pour les Juifs, et, visiblement Luc était bien informé, le sabbat était la préfiguration du monde à venir : un jour où l’on baignait dans la grâce de Dieu ; le jour où Dieu s’était reposé de toute l’œuvre de création qu’il avait faite, comme dit le livre de la Genèse ; le jour où, par fidélité à l’Alliance, on scrutait les Écritures dans l’attente de la nouvelle création.

«  Déjà brillaient les lumières du sabbat » : combien Luc a-t-il raison d’insister ! Dans la Passion et la mort de Jésus de Nazareth, l’humanité nouvelle est née : le règne de la grâce a commencé. Désormais, nos crucifix nous montrent le chemin à suivre : celui de l’amour des autres, quoi qu’il en coûte, celui du pardon.
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Complément

*  Le bon larron connaissait-il cette phrase de Ben Sirac : « Avant le jugement fais ton examen de conscience : lors de la visite du Seigneur, tu trouveras le pardon » (Si 18,20) ? C’est très exactement ce qu’il a fait.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 10 04 2022, dimanche des Rameaux C

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1 avril 2022 5 01 /04 /avril /2022 00:20
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 02 avril 2022).

LECTURE DU LIVRE D’ISAÏE 43,16-21

 

16 Ainsi parle le SEIGNEUR,
     lui qui fit un chemin dans la mer,
     un sentier dans les eaux puissantes,
17 lui qui mit en campagne des chars et des chevaux,
     des troupes et de puissants guerriers ;
     les voilà tous couchés pour ne plus se relever,
     ils se sont éteints,   consumés comme une mèche.
     Le Seigneur dit :
18 « Ne faites plus mémoire des événements passés,
     ne songez plus aux choses d'autrefois.
19 Voici que je fais une chose nouvelle :
     elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ?
     Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert,
     des fleuves dans les lieux arides.
20 Les bêtes sauvages me rendront gloire,
     - les chacals et les autruches -
     parce que j'aurai fait couler de l'eau dans le désert,
     des fleuves dans les lieux arides,
     pour désaltérer mon peuple, celui que j’ai choisi.
21 Ce peuple que je me suis façonné
     redira ma louange. »
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COMME DIEU VOUS A LIBÉRÉS D’ÉGYPTE…

Ce texte est surprenant ! À première vue, il comporte deux parties absolument contradictoires : la première partie est un rappel de la sortie d’Égypte, donc du passé ; la seconde, au contraire, recommande de faire table rase du passé… Mais peut-être pas de n’importe quel passé ? Tout est là. Je reprends ces deux parties l’une après l’autre.

Tout commence par la formule « Ainsi parle le SEIGNEUR », qui annonce toujours des paroles très importantes. Puis vient l’évocation de ce fameux « chemin dans la mer » : « Ainsi parle le SEIGNEUR, lui qui fit un chemin dans la mer, un sentier dans les eaux puissantes ». C’est le miracle mémorable de la Mer des Joncs, lorsque les Hébreux s’enfuyaient d’Égypte. Dans tous les livres de la Bible, une évocation de cet ordre est un rappel de cette fameuse nuit de la libération d’Égypte (rapportée par le livre de l’Exode, au chapitre 14). Isaïe précise encore « (le SEIGNEUR), lui qui mit en campagne des chars et des chevaux, des troupes et de puissants guerriers ; les voilà tous couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, consumés comme une mèche. » Ce sont les Égyptiens, bien sûr, lancés à la poursuite des fuyards. Et Dieu a fait échapper son peuple. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si Isaïe a employé le Nom « SEIGNEUR » (le Tétragramme YHVH), puisque c’est ce nom-là, précisément, qui qualifie le Dieu du Sinaï, notre libérateur.

Voilà donc l’œuvre de Dieu dans le passé. C’est le meilleur soutien de l’espérance d’Israël pour l’avenir. Et c’est de cela qu’Isaïe va parler maintenant : « Voici que je fais une chose nouvelle ». De quoi s’agit-il ? À qui Isaïe promet-il un monde nouveau ? Ici, nous avons besoin de nous remettre dans le contexte historique de cette prédication. Le deuxième Isaïe, celui que nous lisons aujourd'hui, vit au sixième siècle pendant l'Exil à Babylone (qui a duré de 587 à 538 av. J.-C.).

Nous avons souvent eu l'occasion d’évoquer cette période qui fut une terrible épreuve. Et, franchement, on ne voyait pas bien pourquoi l'horizon s'éclaircirait ! S'ils sont déportés à Babylone, c'est parce que Nabuchodonosor, roi de Babylone, a vaincu le tout petit royaume juif dont Jérusalem est la capitale. Et pour l'instant les affaires de Nabuchodonosor marchent encore très bien ! Et puis, à supposer que l'on arrive à s'enfuir un jour... de la Babylonie à Jérusalem, il faudrait traverser le désert de Syrie qui couvre des centaines de kilomètres, et en fuyards, c'est-à-dire dans les pires conditions qui soient.

Le prophète a donc fort à faire pour redonner le moral à ses contemporains : mais il le fait si bien qu’on appelle son livre « le livre de la Consolation d’Israël » parce que le chapitre 40 commence par cette phrase superbe : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » ; et le seul fait de dire « votre Dieu » est un rappel de l’Alliance, une manière de dire « l’Alliance de Dieu n’est pas rompue, Dieu ne vous a pas abandonnés ». Car l’une des formulations de l’Alliance entre Dieu et son peuple était « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu » ; et chaque fois que l’on entend cette expression « mon Dieu » ou « votre Dieu », ce possessif est un rappel de l’Alliance en même temps qu’une profession de foi.

IL VOUS LIBÈRERA DE BABYLONE

Isaïe va donc, de toutes ses forces, raviver l’espoir chez les exilés : Dieu ne les a pas abandonnés, au contraire, il prépare déjà leur retour au pays. On ne le voit pas encore, mais c’est sûr ! Pourquoi est-ce sûr ? Parce que Dieu est fidèle à son Alliance, parce que, depuis qu’il a choisi ce peuple, il n’a cessé de le libérer, de le maintenir en vie à travers toutes les vicissitudes de son histoire.

Ce sont ces arguments-là qu’Isaïe développe ici : Nabuchodonosor vous fait peur ? Mais Dieu a déjà fait mieux : il vous a délivrés de Pharaon ! Le désert vous fait peur ? Mais le désert du Sinaï, c’était bien pire et Dieu a protégé son peuple tout du long ! Or, vous êtes toujours le peuple de Dieu, son élu. Sous-entendu « ce que Dieu a fait pour vous une fois, il le refera ». Comme il a fait passer son peuple à travers la Mer à pied sec au moment de la sortie d’Égypte, le SEIGNEUR saura faire passer son peuple « à pied sec » à travers toutes les eaux troubles de son histoire.

L’espérance d’Israël s’appuie toujours sur son passé : c’est le sens du mot « Mémorial » ; on fait mémoire de l’œuvre de Dieu depuis toujours, pour découvrir que cette œuvre de Dieu se poursuit pour nous aujourd’hui, et pour y puiser la certitude qu’elle se poursuivra demain. Passé, Présent, Avenir : Dieu est à jamais présent aux côtés de son peuple. C’est l’un des sens du Nom de Dieu « Je suis » (sous-entendu, « Je suis avec vous en toutes circonstances).

Je reviens à notre texte : c’est précisément au cours de cette période difficile de l’Exil, au moment où on risquait de s’installer dans la désespérance, que les prophètes ont développé une nouvelle métaphore, celle du germe : « Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » dit Isaïe ici. Dans la Bible, ce n’est pas seulement un terme de botanique : à partir de l’expérience éminemment positive d’une minuscule graine capable de devenir un grand arbre, on voit bien comment le mot « germe » a pu devenir en Israël un symbole d’espérance. Le même prophète avait déjà dit équivalemment la même chose au chapitre précédent (preuve qu’il n’était pas inutile de le répéter) : « Je vous an­non­ce de nou­veaux évé­ne­ments, avant qu’ils ger­ment, je vous les lais­se en­ten­dre. » (Is 42,2). Il nous reste à apprendre aujourd’hui à déceler les germes du monde nouveau, du Royaume que Dieu est en train de construire.

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PSAUME  125 (126)

 

1   Quand le SEIGNEUR ramena les captifs à Sion,
     nous étions comme en rêve !
2   Alors notre bouche était pleine de rires,
     nous poussions des cris de joie.   

     Alors on disait parmi les nations :
     « Quelles merveilles fait pour eux le SEIGNEUR ! »
3   Quelles merveilles le SEIGNEUR fit pour nous :
     nous étions en grande fête !   

4   Ramène, SEIGNEUR, nos captifs,          
     comme les torrents au désert.
5   Qui sème dans les larmes 
     moissonne dans la joie.   

6   Il s'en va, il s'en va en pleurant,
     il jette la semence ;
     il s'en vient, il s'en vient dans la joie,
     il rapporte les gerbes.
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QUELLES MERVEILLES LE SEIGNEUR FIT POUR NOUS !

Dans notre première lecture, le prophète Isaïe annonçait le retour au pays du peuple exilé à Babylone... et ce retour a eu lieu ! Très spontanément, on a chanté ce miracle par ce psaume, comme on avait chanté le miracle de la sortie d’Égypte. Vous connaissez l'histoire : en 587, c'est Nabuchodonosor, roi de Babylone, qui avait conquis Jérusalem et déporté la population ; mais le vainqueur est vaincu à son tour. La nouvelle puissance montante dans cette région, c'est le royaume perse : le roi Cyrus vole de victoire en victoire ; dès avant cette conquête, ses succès sont vus d'un très bon œil par les captifs de Babylone parce que Cyrus est précédé d'une très bonne réputation : les troupes de Nabuchodonosor, comme beaucoup d'autres, volaient, pillaient, violaient, massacraient, dévastaient... et les populations étaient systématiquement déplacées, déportées ; c'est un phénomène tristement connu à la surface du globe, depuis que le monde est monde.

Cyrus, lui, a une tout autre politique : probablement parce qu'il préfère être le maître de peuples riches, il autorise toutes les populations déplacées à rentrer dans leur pays d'origine, et il leur en donne les moyens : très concrètement, cela veut dire qu'il a conquis Babylone en 539, et que, dès 538, il a renvoyé les Juifs à Jérusalem mais aussi qu'il leur en a donné les moyens sous forme de subventions ; il est même allé jusqu'à restituer les biens du Temple pillés par les hommes de Nabuchodonosor.  

Mais vous avez remarqué : on ne dit pas « Quand le roi de Perse Cyrus laissa les exilés rentrer à Sion », on dit « Quand le SEIGNEUR ramena les captifs à Sion*... » : c’est une manière d’affirmer que Dieu reste le maître de l’histoire. Pendant bien longtemps (et c’est encore le cas dans ce texte d’Isaïe), l’Ancien Testament a laissé penser que Dieu tirait toutes les ficelles de l’histoire : manière de dire qu’aucun autre dieu n’agissait sur les événements (il s’agissait alors pour les prophètes de lutter contre l’idolâtrie) ; aujourd’hui, nous pressentons bien, sans savoir l’exprimer de manière satisfaisante, que l’humanité est, partiellement au moins, libre et responsable des événements.

Je reviens à notre psaume : écrit plus tard, on ne sait pas exactement quand, mais bien longtemps peut-être après le retour de l’Exil, il évoque la joie, l’émotion de la libération et du retour. En Exil, là-bas, on en avait tant de fois rêvé... Et quand cela s’est réalisé, on osait à peine y croire : « Quand le SEIGNEUR ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve !... Quelles merveilles le SEIGNEUR fit pour nous : nous étions en grande fête ! »

Et on va jusqu’à s’imaginer que les autres peuples sont eux aussi émerveillés par ce miracle ! « Alors on disait parmi les nations : « Quelles merveilles fait pour eux le SEIGNEUR ! »... Soyons francs « les nations », comme on dit, c’est-à-dire les peuples païens, ont peut-être d’autres sujets de préoccupation : en fait, cette affirmation que même les païens s’inclinent devant l’œuvre de Dieu pour son peuple élu est pour Israël un double rappel qui n’a rien à voir avec de la prétention ; il s’agit d’affirmer deux choses : premièrement une infinie reconnaissance pour la gratuité du choix de Dieu ; deuxièmement, on n’oublie jamais que le peuple élu l’est pour le monde : sa vocation est d’être un peuple témoin de l’œuvre de Dieu, justement. Cette vocation, c’est pendant l’Exil, précisément, qu’on en a pris conscience.

La gratuité du choix de Dieu, d’abord, est un sujet toujours renouvelé d’étonnement : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme tu as vu le SEIGNEUR ton Dieu le faire pour toi en Égypte ? Il t’a été donné de voir tout cela pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu, il n’y en a pas d’autre. » (Dt 4,32-35).

Dans le psaume, cet émerveillement devant le choix de Dieu est traduit en français par le mot « merveilles » ; lequel fait toujours référence à l’œuvre de libération de Dieu et d’abord à la libération d’Égypte. Les mots « exploit », « œuvre », « hauts faits », « merveilles » que l’on rencontre souvent dans les psaumes sont toujours un rappel de l’Exode, c’est-à-dire la libération d’Égypte. Ici, il s’y ajoute la nouvelle œuvre de libération de Dieu, la fin de l’Exil.

RAMÈNE, SEIGNEUR, TOUS LES CAPTIFS

Cette libération de l’Exil est ressentie par le peuple comme une véritable résurrection : pour l’exprimer, le psalmiste utilise deux images : première image, « les torrents au désert » : « Ramène, SEIGNEUR, nos captifs, comme les torrents au désert. » ; au sud de Jérusalem, le Néguev est un désert ; mais au printemps, des torrents dévalent les pentes et tout-à-coup éclosent des myriades de fleurs. Deuxième image, « la semence » : quand le grain de blé est semé en terre, c’est pour y pourrir, apparemment y mourir... quand viennent les épis, c’est comme une naissance... cette image est d’autant plus valable que le retour des exilés signifie pour la terre elle-même une véritable renaissance.

Dernière remarque, quand on chante ce psaume, le retour de l’Exil à Babylone est déjà loin dans le temps ; alors, pourquoi en parler encore ? Là-bas, on ne chante jamais le passé pour le seul plaisir de faire de l’histoire : il y a toujours un message pour l’avenir ; car cette libération, ce retour à la vie que l’on peut dater historiquement... devient une raison d’espérer d’autres résurrections, d’autres libérations. Chaque année, pour la fête des Tentes, à l’automne, ce cantique était chanté au cours du pèlerinage, tandis que l’on « montait » à Jérusalem. On chantait la libération déjà accomplie, on priait Dieu de hâter le Jour de la libération définitive, quand viendra Celui qu’on attend, le Messie promis... Car il y a encore aujourd’hui sur la surface de la terre, bien des lieux de captivité de toute sorte, bien des « Égypte », bien des « Babylone ». C’est à eux que l’on pense désormais quand on chante : « Ramène, SEIGNEUR, nos captifs, comme les torrents au désert. »

Aujourd’hui, quand nous, chrétiens, chantons ce psaume, nous demandons la grâce de savoir seconder de toutes nos forces l’œuvre de libération inaugurée par le Messie : il nous appartient de hâter le jour où enfin l’humanité tout entière chantera à pleine voix : « Quelles merveilles le SEIGNEUR fit pour nous : nous étions en grande fête ! »
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Note

* « Quand le SEIGNEUR ramena les captifs à Sion » : ici, c’est clair, il s’agit de la ville de Jérusalem ; mais, selon les textes, ce n’est pas toujours aussi clair : quand on parle de Sion, cela peut désigner soit la petite colline du début de l’histoire, celle sur laquelle David a bâti son palais, soit la ville tout entière de Jérusalem (et, en particulier, le Temple), soit toute la Judée, soit même le peuple d’Israël tout entier. Il suffit de se rappeler la phrase d’Isaïe : « Dis à Sion : Tu es mon peuple » (Is 51,16-17). Et aujourd’hui, si l’on regarde un plan de Jérusalem, c’est une autre colline qui a pris le nom de Sion !
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX PHILIPPIENS 3,8-14

 

     Frères,
     tous les avantages que j'avais autrefois,
8   je les considère comme une perte
     à cause de ce bien qui dépasse tout :
     la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur.
     À cause de lui, j'ai tout perdu ;
     je considère tout comme des ordures,
     afin de gagner un seul avantage, le Christ,
9   et, en lui, d’être reconnu juste
     non pas de la justice venant de la loi de Moïse
     mais de celle qui vient de la foi au Christ,
     la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi.
10 Il s'agit pour moi de connaître le Christ,
     d'éprouver la puissance de sa résurrection
     et de communier aux souffrances de sa Passion,
     en devenant semblable à lui dans sa mort,
11 avec l'espoir de parvenir    à la résurrection d'entre les morts.
12 Certes, je n’ai pas encore obtenu cela
     je n’ai pas encore atteint la perfection,
     mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir,
     puisque j'ai moi-même été saisi par le Christ Jésus.
13 Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela
     Une seule chose compte :
     oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l'avant,
14 je cours vers le but en vue du prix
     auquel Dieu nous appelle là-haut
     dans le Christ Jésus.
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UNE SEULE CHOSE COMPTE

Nous retrouvons ici l’image de la course que saint Paul emploie à plusieurs reprises dans ses lettres. Et, dans la course, c’est le but qui compte ! Le point de départ, il faut se dépêcher de l’oublier ! Imaginez un coureur qui se retournerait sans arrêt, il est assuré de perdre : « Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix... » Il faut donc savoir tourner le dos en quelque sorte : et depuis qu’il a été « saisi » par le Christ, comme il dit, Paul a tourné le dos à bien des choses, à bien des certitudes. Le mot « saisi » est très fort dans le langage de Paul : sa vie a été réellement complètement bouleversée depuis le jour où le Christ s’est littéralement emparé de lui sur le chemin de Damas.

D’habitude, pourtant, Paul présente sa foi chrétienne comme la suite logique de sa foi juive. À ses yeux, Jésus-Christ accomplit vraiment l’attente de l’Ancien Testament et il y a continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testaments. Mais ici, il insiste sur la nouveauté apportée par Jésus-Christ : « Tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. »

Cette nouveauté apportée par Jésus-Christ est donc radicale : désormais nous sommes réellement une « création nouvelle » ; cette expression, nous l’avons rencontrée dimanche dernier dans la deuxième lettre aux Corinthiens ; ici, Paul le dit autrement : « À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste… » Traduisez : « Ce qui, auparavant, me paraissait le plus important, mes avantages, mes privilèges, désormais cela ne compte pas plus pour moi que des ordures ».

Ces « avantages » dont il parle : c’était la fierté d’appartenir au peuple d’Israël ; c’était la foi, la fidélité, l’espérance indéracinable de ce peuple ; c’était la pratique assidue, scrupuleuse de tous les commandements, ce qu’il appelle « l’obéissance à la loi de Moïse ». Mais, désormais, Jésus-Christ a pris toute la place dans sa vie : « Je considère tout comme des balayures en vue d’un seul avantage, le Christ ». Désormais Paul possède le bien qui dépasse tout, la seule richesse au monde à ses yeux : la « connaissance » du Christ ; pour parler de cela, Jésus employait des paraboles : il disait par exemple « le Royaume des cieux est comparable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme a découvert : il le cache à nouveau et, dans sa joie, il s’en va, met en vente tout ce qu’il a, et il achète ce champ. » (Mt 13,44).

 Le vrai trésor de notre existence, nous dit saint Paul, c’est d’avoir découvert le Christ ; et il sait de quoi il parle, lui qui a d’abord été un persécuteur des apôtres ! Sa vie a été complètement bouleversée par cette découverte, par cette « connaissance » du Christ. Une connaissance qui n’est pas d’ordre intellectuel : au sens biblique, connaître quelqu’un, c’est vivre dans son intimité, c’est l’aimer et partager sa vie. C’est bien dans ce sens d’intimité partagée que Paul parle du lien qui l’unit désormais, et avec lui tous les baptisés, à Jésus-Christ.

LA NOUVELLE ALLIANCE

Pourquoi insiste-t-il tellement sur ce lien ? Parce que nous sommes dans le contexte d’un conflit très grave qui traversait la communauté des Philippiens à propos de la circoncision ; nous l’avons rencontré déjà il y a quelques semaines, dans la deuxième lecture du deuxième dimanche de Carême : certains chrétiens d’origine juive auraient voulu qu’on impose la circoncision à tous les chrétiens, préalablement au baptême ; on sait dans quel sens les Apôtres ont tranché cette question qui risquait de diviser les communautés, au cours d’une Assemblée à Jérusalem, une sorte de mini-Concile : parce que, dans la Nouvelle Alliance, la Loi de Moïse est dépassée ; le baptême au Nom de Jésus fait de nous des fils de Dieu : « Vous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ », dit Paul dans la lettre aux Galates (Ga 3,27). La circoncision n’est donc plus indispensable pour faire partie du peuple de la Nouvelle Alliance, puisque cette Alliance est définitivement scellée une fois pour toutes en Jésus-Christ

L’une des grandes découvertes de Paul, c’est que notre salut n’est pas au bout de nos mérites, de nos efforts... Le salut de Dieu est gratuit ! C’est le sens même du mot « grâce » si on y réfléchit... Le livre de la Genèse disait déjà : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR, et le SEIGNEUR estima qu’il était juste. » (Gn 15,6). Pour le dire autrement, notre justice vient uniquement de Dieu, il suffit de croire !

Mais alors pourquoi Paul parle-t-il de « communier aux souffrances de la Passion du Christ, de devenir semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts » ? Il ne s’agit évidemment pas d’accumuler des mérites pour faire bonne mesure ! Paul vient de nous dire exactement le contraire ! Ce qu’il veut dire, c’est que cette nouvelle vie que nous menons désormais en Jésus-Christ, comme greffés sur lui (pour reprendre l’image de la vigne chez saint Jean) nous amène à prendre le même chemin que lui. « Communier aux souffrances de la Passion du Christ », c’est accepter de reproduire le comportement du Christ, accepter de courir les mêmes risques, qui sont les risques de l’annonce de l’évangile ; Jésus l’avait dit : « Nul n’est prophète en son pays » et il avait bien prévenu ses apôtres qu’ils ne seraient pas mieux traités que leur maître.

Reste à savoir si nous serions capables de dire comme saint Paul que le seul bien qui compte à nos yeux, c’est la connaissance du Christ ? Tout le reste n’est qu’« ordures » !    
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Complément

- Une des idées maîtresses de saint Paul c’est que le Christ est venu accomplir les Écritures : le rapport entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle Alliance est fait à la fois de continuité et de rupture : c’est parce que Paul est Juif qu’il est chrétien, et voilà la continuité... mais désormais, il faut abandonner les pratiques juives pour se laisser « saisir » par le Christ, et voilà la rupture.
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 8, 1-11

 

     En ce temps-là,
1   Jésus s’en alla au mont des Oliviers.
2   Dès l’aurore, il retourna au Temple.
     Comme tout le peuple venait à lui,
     il s'assit et se mit à enseigner.
3   Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme
     qu’on avait surprise en situation d’adultère.
     Ils la mettent au milieu,
4   et disent à Jésus :
     « Maître, cette femme
     a été surprise en flagrant délit d'adultère.
5   Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là.
     Et toi, que dis-tu ? »
6   Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve,
     afin de pouvoir l'accuser.
     Mais Jésus s'était baissé
     et, du doigt, il écrivait sur la terre.
7   Comme on persistait à l'interroger,
     il se redressa et leur dit :
     « Celui d'entre vous qui est sans péché,
     qu'il soit le premier à lui jeter une pierre. »
8   Il se baissa de nouveau
     et il écrivait sur la terre.
9   Eux, après avoir entendu cela,
     s'en allaient, un par un,
     en commençant par les plus âgés.
     Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu.
10 Il se redressa et lui demanda :
     « Femme, où sont-ils donc ?
     Personne ne t'a condamnée ? »
11 Elle répondit :
     « Personne, Seigneur. »
     Et Jésus lui dit :
     « Moi non plus, je ne te condamne pas.
     Va, et désormais ne pèche plus. »
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DIEU N’A PAS ENVOYÉ SON FILS DANS LE MONDE POUR CONDAMNER LE MONDE

Nous sommes déjà dans le contexte de la Passion : la première ligne mentionne le Mont des Oliviers, or les évangélistes ne parlent jamais du Mont des Oliviers avant les derniers jours de la vie publique de Jésus ; d’autre part, le désir des Pharisiens de prendre Jésus au piège signifie que son procès se profile déjà à l’horizon. Raison de plus pour être particulièrement attentifs à tous les détails de ce texte : il s’agit de beaucoup plus qu’une anecdote de la vie de Jésus, il s’agit du sens même de sa mission. Au début de la scène, Jésus est en position d’enseignant (« Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner »), mais voici que par la question des scribes et des Pharisiens, il est placé en position de juge : on l’aura remarqué, de tous les protagonistes, il est le seul assis. Le thème du jugement, chez saint Jean, est assez important pour qu’on ne s’étonne pas de cette insistance à ce moment. Cette scène de la femme adultère est la mise en pratique de la phrase qu’on trouve au début du même évangile : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » (Jn 3,17).

Dans ce simulacre de procès, les choses sont apparemment simples : la femme adultère a été prise en flagrant délit, il y a des témoins ; la Loi de Moïse condamnait l’adultère, cela faisait partie des commandements de Dieu révélés au Sinaï (« Tu ne commettras pas d’adultère » Ex 20,14 ; Dt 5,18) ; et le Livre du Lévitique prévoyait la peine capitale : « Quand un homme commet l’adultère avec la femme de son prochain, homme adultère et cette femme seront mis à mort. » (Lv 20,10). Les scribes et les Pharisiens qui viennent trouver Jésus sont très attachés au respect de la Loi de Moïse : on ne peut quand même pas le leur reprocher ! Mais ils oublient de dire que la Loi prévoyait la peine capitale pour les deux complices, l’homme aussi bien que la femme adultère ; tout le monde le sait, mais personne n’en parlera, ce qui prouve bien que la vraie question posée par les Pharisiens ne porte pas sur l’observance exacte de la Loi ; leur question est ailleurs et le texte le dit très bien : « Dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. »

LA QUESTION-PIÈGE

Où est le piège tendu à Jésus ? De quoi espérait-on l’accuser ? On se doute bien qu’il n’approuve pas la lapidation, ce serait contraire à toute sa prédication sur la miséricorde ; mais s’il ose publiquement plaider pour la libération de la femme adultère, on pourra l’accuser de pousser le peuple à désobéir à la Loi. Dans l’évangile de Jean (au chapitre 5), on l’a déjà vu donner au paralytique guéri l’ordre de porter son grabat, ce qui est un acte interdit le jour du sabbat. Ce jour-là, on n’a rien pu contre lui, mais cette fois l’incitation à la désobéissance va être publique. Au fond, malgré l’apparent respect de l’apostrophe « Maître, qu’en dis-tu ? » Jésus n’est pas en meilleure posture que la femme adultère : les deux sont en danger de mort.

Jésus ne répond pas tout de suite : « Jésus s’était baissé, et, du doigt, il écrivait sur la terre. » Ce silence est certainement destiné à laisser à chacun le soin de répondre : très respectueux, il n’humilie personne ; celui qui incarne la miséricorde ne cherche pas à mettre qui que ce soit dans l’embarras, pas plus les scribes et les Pharisiens que la femme adultère ! Aux uns comme à l’autre, il veut faire faire un bout de chemin. Son silence est constructif : il va faire découvrir aux Pharisiens et aux scribes le vrai visage du Dieu de miséricorde.

Quand il se décide à répondre, sa phrase ressemble plutôt à une question : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Sur cette réponse, ils s’en vont, « un par un, en commençant par les plus âgés ». Rien d’étonnant : les plus anciens sont les plus prêts à entendre l’appel à la miséricorde. Tant de fois, ils ont expérimenté pour eux-mêmes la miséricorde de Dieu... Tant de fois, ils ont lu, chanté, médité la phrase « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour » (Ex 34,6), tant de fois ils ont chanté le psaume 50/51 « Pitié pour moi, SEIGNEUR, en ta bonté, dans ta grande miséricorde efface mon péché »... Ils viennent de prendre conscience de tous les pardons reçus.

NE VOUS TROMPEZ PAS DE DIEU, SOYEZ MISÉRICORDIEUX 

Plus encore, peut-être ont-ils compris que leur manquement à la miséricorde était en soi une faute, une infidélité au Dieu de miséricorde. La Loi n’est-elle pas devenue leur idole ? Peut-être est-ce la phrase de Jésus qui leur a suggéré cette réflexion : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Être « le premier à jeter une pierre » était une expression connue de tous, dans le contexte de la lutte contre l’idolâtrie. La Loi ne disait pas que c’était le témoin de l’adultère qui devait lancer la première pierre ; mais elle le disait expressément pour le cas d’idolâtrie (Dt 13,9-10 ; Dt 17,7). Si bien que la réponse de Jésus peut se traduire : « Cette femme est coupable d’adultère, au premier sens du terme, c’est entendu ; mais vous, n’êtes-vous pas en train de commettre un adultère autrement plus grave, c’est-à-dire une infidélité au Dieu de l’Alliance ? » (On sait que, très souvent, les prophètes ont parlé de l’idolâtrie en termes d’adultère.)

Les Pharisiens et les scribes voulaient sincèrement être les fils du Très-Haut, alors Jésus leur dit « Ne vous trompez pas de Dieu, soyez miséricordieux ». Jésus, le Verbe, vient d’accomplir parmi eux sa mission de Révélation.

Alors, Jésus et la femme restent seuls : c’est le face-à-face, comme le dit saint Augustin, de la misère et de la miséricorde. Pour elle, le Verbe va là encore accomplir sa mission, dire la parole de Réconciliation. Isaïe parlant du véritable serviteur de Dieu l’avait annoncé : « Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit... » (Is 42,3). Ce n’est pas du laxisme : Jésus dit bien « ne pèche plus », tout n’est pas permis, le péché reste condamné... mais seul le pardon peut permettre au pécheur d’aller plus loin.
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Complément - La première lecture et l’évangile de ce dimanche ont le même discours : oublie le passé, ne t'attarde pas sur lui... que rien, pas même les souvenirs, ne t'empêche d'avancer. Dans la première lecture, Isaïe s'adresse au peuple exilé... dans l'Évangile, Jésus parle à une femme prise en flagrant délit d'adultère : apparemment, ce sont deux cas bien différents mais, dans les deux cas, le discours est le même : tourne-toi résolument vers l'avenir, ne songe plus au passé.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 03 04 2022, 5e dimanche de Carême C

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22 mars 2022 2 22 /03 /mars /2022 00:12
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 26 mars 2022).

LECTURE DU LIVRE DE JOSUÉ  5, 9a.10- 12

     En ces jours-là,
    le SEIGNEUR dit à Josué :
     « Aujourd’hui, j’ai enlevé de vous le déshonneur de l’Égypte. »
10 Les fils d'Israël campèrent à Guilgal
     et célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du mois,
     vers le soir, dans la plaine de Jéricho.
11 Le lendemain de la Pâque, en ce jour même,
     ils mangèrent les produits de cette terre :
     des pains sans levain et des épis grillés.
12 À partir de ce jour, la manne cessa de tomber,
     puisqu'ils mangeaient des produits de la terre.
     Il n'y avait plus de manne pour les fils d'Israël,
     qui mangèrent cette année-là
     ce qu'ils récoltèrent sur la terre de Canaan.
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LA PREMIÈRE PÂQUE EN TERRE PROMISE

Tout le monde sait que Moïse n'est pas entré en Terre Promise ; il est mort au mont Nébo (c'est-à-dire au niveau de la Mer Morte du côté que nous appellerions aujourd'hui la rive Jordanienne) : mais, ne le plaignons pas, il est entré ainsi tout de suite dans la véritable Terre Promise.  Ce n'est donc pas lui qui a fait entrer le peuple d'Israël sur sa terre, c'est son serviteur et successeur, Josué.

Et tout le livre de Josué est le récit de cette entrée du peuple en Terre Promise, depuis la traversée du Jourdain. S'il a fallu le traverser, c'est parce que les tribus d'Israël sont entrées dans le pays par l'Est. Ceci dit, la Bible ne fait jamais de l'histoire pour de l'histoire ; ce qui l'intéresse, ce sont les leçons de l'histoire ; on ne sait pas qui a écrit le livre de Josué, mais l'objectif est assez clair : si l'auteur du livre rappelle l'œuvre de Dieu en faveur d'Israël, c'est pour exhorter le peuple à la fidélité.

Dans le texte d'aujourd'hui, c'est plus vrai que jamais ; sous ces quelques lignes un peu rapides, c'est un véritable sermon qui se cache ! Un sermon qui tient en deux points : ce qu'il ne faudra jamais oublier, c'est premièrement, Dieu nous a libérés d'Égypte ; deuxièmement, si Dieu nous a libérés d'Égypte, c'était pour nous donner cette terre comme il l'avait promis à nos pères. La grande leçon c'est que nous recevons tout de Dieu ; et quand nous l'oublions, nous nous mettons nous-mêmes dans des situations sans issue.

C’est pour cela que le texte fait des parallèles incessants entre la sortie d’Égypte, la vie au désert et l’entrée en Canaan. Par exemple, au chapitre 3 du livre de Josué, la traversée du Jourdain est racontée très solennellement comme la répétition du miracle de la Mer Rouge.

Ici, dans notre texte de ce dimanche, l’auteur insiste sur la Pâque : il dit « ils célébrèrent la Pâque, le quatorzième jour du mois, vers le soir » : la célébration de la Pâque avait marqué la sortie d’Égypte et le miracle de la Mer Rouge ; cette fois-ci, la nouvelle Pâque suit l’entrée en Terre promise et le miracle du Jourdain.

 Ces parallèles sont évidemment intentionnels. Le message de l’auteur, c’est que d’un bout à l’autre de cette incroyable aventure, c’est le même Dieu qui agissait pour libérer son peuple, en vue de la Terre Promise. D’ailleurs, « JOSUÉ », ce n’est pas son nom, c’est un surnom donné par Moïse : au début, il s’appelait simplement « Hoshéa » (ou « Osée » si vous préférez) qui signifie « Il sauve »... Son nouveau nom, « JOSUÉ » (« Yeoshoua ») contient le nom de Dieu ; il signifie donc plus explicitement que c’est Dieu et Dieu seul qui sauve ! Effectivement, Josué a bien compris que ce n’est pas lui-même, pauvre homme qui, seul, peut sauver, libérer son peuple ! La méditation du livre de Josué suit de très près ici celle du Deutéronome.

Dans le même esprit, le Psaume 11 3/114 reprend à sa manière le parallèle entre les deux traversées miraculeuses de la mer Rouge et du Jourdain : « La mer voit et s’enfuit, le Jourdain retourne en arrière… Qu’as-tu, mer, à t’enfuir ? Jourdain, à retourner en arrière ? … Tremble, terre, devant la face du Maître, devant la face du Dieu de Jacob. »

Désormais la célébration annuelle de la Pâque sera le mémorial, non seulement de la nuit de l’Exode, mais aussi de l’arrivée en Terre Promise : ces deux événements n’en font qu’un seul ; c’est toujours la même œuvre de Dieu pour libérer son peuple !

DU NOMADISME À LA SÉDENTARISATION

La deuxième partie du texte d’aujourd’hui est un peu surprenante, tellement le texte est laconique ; apparemment, il n’est question que de nourriture, mais là encore, il s’agit de beaucoup plus que cela : « Le lendemain de la Pâque, ils mangèrent les produits de cette terre : des pains sans levain et des épis grillés. À partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient les produits de la terre. Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan. » Ce changement de nourriture est significatif, il fait penser à un sevrage : une page de l’histoire est tournée, une nouvelle vie commence ; on dit quelque chose d’analogue pour les enfants petits : ils passent progressivement (sur le plan de l’alimentation) de ce que l’on appelle le premier âge, à un deuxième puis un troisième et un quatrième âges...

Ici, on a un phénomène analogue : la période du désert est terminée, avec son cortège de difficultés, de récriminations, de solutions-miracle aussi ! Désormais, Israël est arrivé sur la Terre donnée par Dieu : il ne sera plus nomade, il va devenir sédentaire, il sera un peuple d’agriculteurs ; il mangera les produits du sol. Peuple adulte, il est devenu responsable de sa propre subsistance.

Autre leçon : à partir du moment où le peuple a les moyens de subvenir lui-même à ses besoins, Dieu ne se substitue pas à lui : il a trop de respect pour notre liberté. Mais on n’oubliera jamais la manne et on retiendra la leçon : à nous de prendre exemple sur la sollicitude de Dieu pour ceux qui ne peuvent pas (pour une raison ou une autre) subvenir à leurs propres besoins ; le Targum du Livre du Deutéronome (c’est-à-dire la traduction en araméen qui était lue dans les synagogues à partir du sixième siècle avant notre ère, parce que de nombreux Juifs ne comprenaient plus l’hébreu1) (à propos de Dt 34, 6) le dit très bien : « Dieu nous a enseigné à nourrir les pauvres pour avoir fait descendre le pain du ciel pour les fils d’Israël » ; sous-entendu à nous d’en faire autant.

Pour finir, ne l’oublions pas : en hébreu, Josué et Jésus, c’est le même nom ; les premiers chrétiens ont évidemment fait le rapprochement ! Du coup, la traversée du Jourdain, entrée en Terre Promise, la terre de liberté, faisait mieux comprendre le Baptême dans le Jourdain : il signe notre entrée dans la véritable terre de liberté !
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Note

1 - Après le retour de l’Exil à Babylone, Cyrus, nouveau maître du Moyen Orient a imposé sa langue, l’araméen, comme langue commune pour tout son empire. On a désormais pris l’habitude dans les synagogues en Israël de traduire le texte biblique hébreu en araméen. C’est cette traduction, agrémentée parfois de commentaires, que l’on appelle le « Targum ».
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PSAUME  33 (34), 2-3, 4-5, 6-7

 2   Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps,
     sa louange sans cesse à mes lèvres.
3   Je me glorifierai dans le SEIGNEUR :
     que les pauvres m'entendent et soient en fête !   

4   Magnifiez avec moi le SEIGNEUR,
     exaltons tous ensemble son Nom.
5   Je cherche le SEIGNEUR, il me répond ;
     de toutes mes frayeurs, il me délivre.   

6   Qui regarde vers lui resplendira,
     sans ombre ni trouble au visage.
7   Un pauvre crie ; le SEIGNEUR entend :
     il le sauve de toutes ses angoisses.
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JE BÉNIRAI LE SEIGNEUR EN TOUT TEMPS

Une fois de plus, vous avez remarqué le parallélisme : chaque verset est construit en deux lignes qui se répondent ; l'idéal serait de le chanter à deux chœurs alternés, ligne par ligne.

Il est important également de noter que ce psaume 33/34 est alphabétique : non seulement il comporte vingt-deux versets, vingt-deux étant le nombre de lettres de l'alphabet hébreu, mais en plus, il est ce qu'on appelle en poésie un acrostiche : dans la Bible en hébreu, l'alphabet est écrit verticalement dans la marge en face du psaume, une lettre devant chaque verset, dans l'ordre...  et chaque verset commence par la lettre qui lui correspond dans la marge ; ce procédé, assez fréquent dans les psaumes, indique toujours qu'on se trouve en présence d'un psaume d'action de grâces pour l'Alliance ; ceci ne nous étonne pas en réponse à la première lecture de ce même dimanche ! Vous avez en mémoire les petites phrases du livre de Josué qui, sous couvert de nous raconter une histoire, étaient en fait une invitation à l'action de grâce pour toute l’œuvre de Dieu en faveur d’Israël.

D’ailleurs, le vocabulaire de l’action de grâce est omniprésent dans ce psaume, dès les premiers versets retenus aujourd’hui ! Il suffit de lire cette foison de mots : « bénir, louange, glorifier, fête, magnifier, exalter, resplendir » ! « Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le SEIGNEUR... Magnifiez avec moi le SEIGNEUR, exaltons tous ensemble son Nom... Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage. »

Au passage, vous avez entendu une autre particularité du vocabulaire biblique : « Qui regarde vers lui resplendira » ; l’expression « regarder vers » (on trouve aussi parfois « lever les yeux vers ») est l’expression de l’adoration rendue à celui qu’on reconnaît comme Dieu.

C’est toute l’expérience d’Israël qui parle ici, témoin de l’œuvre de Dieu : un Dieu qui « répond, délivre, entend, sauve... » ; « Je cherche le SEIGNEUR, il me répond ; de toutes mes frayeurs, il me délivre... Un pauvre crie ; le SEIGNEUR entend : il le sauve de toutes ses angoisses. »

Cette attention de Dieu pour celui qui souffre, nous l’avons lue dans le passage très fort du chapitre 3 de l’Exode, dans le récit du buisson ardent : « J'ai vu, oui, j'ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j'ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. » C’était notre première lecture du troisième dimanche de Carême, dimanche dernier.

Dans sa propre histoire, Israël est lui-même ce pauvre qui a fait l’expérience de la miséricorde de Dieu : quand il chante le psaume 33/34 (« Un pauvre crie ; le SEIGNEUR entend : il le sauve de toutes ses angoisses »), il parle d’abord de lui. Mais ce psaume l’invite aussi à élargir les horizons, car il dit bien « Un pauvre crie », c’est-à-dire n’importe quel pauvre, n’importe où sur la planète. Du coup, Israël découvre sa vocation : elle est double.

 

DIEU ENTEND LE CRI DES PAUVRES

Premièrement, il doit être le peuple qui enseigne à tous les humbles du monde la confiance ! La foi apparaît alors comme un dialogue entre Dieu et l’homme : l’homme crie sa détresse vers Dieu ... Dieu l’entend ... Dieu le libère, le sauve, vient à son secours ... et l’homme reprend la parole, cette fois pour rendre grâce : si on y réfléchit, la prière comprend toujours ce double mouvement de demande, et de louange... d’abord la demande et la réponse de Dieu : « Je cherche le SEIGNEUR, il me répond ; de toutes mes frayeurs, il me délivre... » Puis l’action de grâce : « Magnifiez avec moi le SEIGNEUR, exaltons tous ensemble son Nom. »

Le deuxième aspect de la vocation d’Israël, (et la nôtre, désormais) c’est de seconder l’œuvre de Dieu, d’être son instrument ; de même que Moïse ou Josué ont été les instruments de Dieu libérant son peuple et l’introduisant dans la Terre promise, Israël est invité à être lui-même l’oreille ouverte aux pauvres et l’instrument de la sollicitude de Dieu pour eux.

Ceci nous permet peut-être de mieux entendre cette fameuse béatitude de la pauvreté : exprimée chez Luc par la phrase : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. » (Lc 6,20) et ici : « que les pauvres m’entendent et soient en fête ! » (Ce qui prouve une fois de plus que Jésus était profondément inséré dans les manières de parler et le vocabulaire de ses pères en Israël).

J’y entends au moins deux choses : premièrement, « réjouissez-vous, Dieu n’est pas sourd, il va intervenir » ; deuxièmement, « il a choisi des instruments sur cette terre pour venir à votre secours. »  La vocation d’Israël au long des siècles sera de faire retentir ce cri, je devrais dire cette polyphonie mêlée de souffrance, de louange et d’espoir. Et aussi de tout faire pour soulager les innombrables formes de pauvreté.

Il n’y a qu’une sorte de pauvreté dont il ne faudra jamais se débarrasser, celle du cœur : le réalisme de ceux qui acceptent de se reconnaître tout-petits, et qui osent appeler Dieu à leur secours. Comme dit saint Matthieu « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux ». (Mt 5,3).

Il reste que la sollicitude de Dieu n’est pas une baguette magique qui ferait disparaître tout désagrément, toute souffrance de nos vies... Au désert, derrière Moïse, ou en Canaan derrière Josué, le peuple n’a pas été miraculeusement épargné de tout souci ! Mais la présence de Dieu l’accompagnait en toutes circonstances pour lui faire franchir les obstacles ; dans sa leçon sur la prière, l’évangile de Luc nous dit exactement la même chose : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? Ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent. » (Luc 11,9-13).
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS  5,17-21

     Frères,
17 si quelqu'un est dans le Christ,
     il est une créature nouvelle.
     Le monde ancien s'en est allé,
     un monde nouveau est déjà né.
18 Tout cela vient de Dieu :
     il nous a réconciliés avec lui par le Christ,
     et il nous a donné le ministère
     de la réconciliation.
19 Car c'est bien Dieu
     qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui ;
     il n’a pas tenu compte des fautes,
     et il a déposé en nous la parole de la réconciliation.
20 Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ,
     et par nous c'est Dieu lui-même qui lance un appel :
     nous le demandons au nom du Christ,
     laissez-vous réconcilier avec Dieu.
21 Celui qui n'a pas connu le péché,
     Dieu l'a pour nous identifié au péché,
     afin qu’en lui,
     nous devenions justes de la justice même de Dieu.
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DIEU NE TIENT PAS DES COMPTES

« Il n’a pas tenu compte des fautes » : c’est peut-être la plus belle révélation du jour ! Dieu ne tient pas des comptes avec nous. Comme le disait déjà le psaume 102/103 bien avant la venue du Christ, « Dieu met loin de nous nos péchés ».

Un Dieu comptable, c’est une idée qui nous vient malheureusement assez spontanément à l’esprit : probablement parce que nous sommes un peu comptables nous-mêmes à l’égard des autres ? Cette idée était incontestablement celle du peuple élu au début de l’histoire de l’Alliance ; rien d’étonnant : pour que l’homme découvre Dieu tel qu’il est vraiment, il faut que Dieu se révèle à lui. Et nous voyons, dimanche après dimanche, le travail de la révélation biblique.

Commençons par Abraham : Dieu n’a jamais parlé de péché avec lui ; il lui a parlé d’Alliance, de Promesse, de bénédiction, de descendance : on ne trouve le mot « mérite » nulle part. La Bible note « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu’il était juste » (Gn 15,6). La foi, la confiance, c’est la seule chose qui compte. Nos comportements suivront. Dieu n’en fait pas des comptes : ce qui ne veut pas dire que nous pouvons désormais faire n’importe quoi ; nous gardons notre entière responsabilité dans la construction du royaume. Ou encore, rappelons-nous les révélations successives de Dieu à Moïse, en particulier, le « SEIGNEUR miséricordieux et bienveillant, lent à la colère et plein d’amour » ; et puis David qui a découvert (à l’occasion de son péché justement) que le pardon de Dieu précède même nos repentirs. Ou encore cette magnifique phrase où Isaïe nous dit que Dieu nous surprendra toujours parce que ses pensées ne sont pas nos pensées, précisément parce qu’il n’est que pardon pour les pécheurs (Is 55,6-8).

Impossible de tout citer, mais l’Ancien Testament, déjà, avait compris que Dieu est tendresse et pardon et n’oublions pas que le peuple d’Israël a appelé Dieu « Père » bien avant nous. La fable de Jonas par exemple a été écrite justement pour qu’on n’oublie pas que Dieu s’intéresse au sort de ces païens de Ninivites, les ennemis héréditaires de son peuple.

LA MISSION DU CHRIST

Première conviction, donc, Dieu n’a jamais fait le moindre compte des péchés des hommes ; deuxième conviction, le Christ est venu dans le monde pour nous le prouver. Comme il l’a dit à Pilate « Je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). C’est-à-dire pour nous montrer que Dieu est depuis toujours Amour et Pardon. Il est rare que Jésus fasse des confidences sur sa mission. En voici une. Dans l’évangile de Marc, on lit une autre de ses confidences à ses disciples : alors que ceux-ci voulaient le retenir à Capharnaüm au lendemain d’une journée bien remplie, il s’était éloigné : « Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent : « Tout le monde te cherche. » Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. » (Mc 1,35-38). « C’est pour cela, c’est-à-dire proclamer l’Évangile » qu’il est « sorti », c’est-à-dire venu dans notre monde. Et cet Évangile, c’est cette nouvelle que nous dit saint Paul : Dieu n’a pas tenu compte des fautes.

La question rebondit : pourquoi Jésus est-il mort ? Le Christ est venu pour témoigner de ce Dieu d’amour auprès de ses contemporains ; il a essuyé le refus de cette révélation ; et il a accepté de mourir d’avoir eu trop d’audace, d’avoir été trop gênant pour les autorités en place qui savaient mieux que lui qui était Dieu. Il est mort de cet orgueil des hommes qui s’est mué en haine sans merci.

Au sein même de ce déchaînement d’orgueil, il a subi l’humiliation ; mais au sein de la haine, il n’a eu que des paroles de pardon. Voilà le vrai visage de Dieu enfin exposé au regard des hommes. « Qui m’a vu a vu le Père » (dit-il à Philippe, Jn 14, 9).

On comprend mieux alors la phrase : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu. » Sur le visage du Christ en croix, nous contemplons jusqu’où va l’horreur du péché des hommes ; mais aussi jusqu’où vont la douceur et le pardon de Dieu. Et de cette contemplation peut jaillir notre conversion. « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » disait déjà Zacharie (Za 12,10), repris par saint Jean (Jn 19,37). Alors nos cœurs de pierre pourront enfin devenir des cœurs de chair, comme disait Ézéchiel, c’est-à-dire, pleins de douceur et de pardon comme lui. À nous maintenant de devenir à notre tour les ambassadeurs de son message. Il nous faut de toute urgence effacer des têtes de nos contemporains toutes les fausses idées sur un Dieu comptable.
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT LUC 15, 1-3.11-32

      En ce temps-là,
1   les publicains et les pécheurs
     venaient tous à Jésus pour l'écouter.
2   Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :
     « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs
     et il mange avec eux ! »
3   Alors Jésus leur dit cette parabole :

11 « Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père :
     ‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’
     Et le père leur partagea ses biens.
13 Peu de jours après,
     le plus jeune rassembla tout ce qu'il avait,
     et partit pour un pays lointain,
     où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
14 Il avait tout dépensé,
     quand une grande famine survint dans ce pays,
     et il commença à se trouver dans le besoin.
15 Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays,
     qui l'envoya dans ses champs garder les porcs.
16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre
     avec les gousses que mangeaient les porcs,
     mais personne ne lui donnait rien.
17 Alors, il rentra en lui-même et se dit :
     ‘Combien d'ouvriers de mon père ont du pain en abondance,
     et moi, ici je meurs de faim !
18 Je me lèverai, j’irai vers mon père,
     et je lui dirai :
     Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi.
19 Je ne suis plus digne d'être appelé ton fils.

     Traite-moi comme l'un de tes ouvriers.’
20 Il se leva et s’en alla vers son père.
     Comme il était encore loin,
     son père l'aperçut et fut saisi de compassion ;
     il courut se jeter à son cou
     et le couvrit de baisers.
21 Le fils lui dit :
     ‘Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi.
     Je ne suis plus digne d'être appelé ton fils.’
22 Mais le père dit à ses serviteurs :
     ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l'habiller,
     mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds,
23 allez chercher le veau gras, tuez-le,
     mangeons et festoyons,
24 car mon fils que voilà était mort,
     et il est revenu à la vie ;
     il était perdu,
     et il est retrouvé.’
     Et ils commencèrent à festoyer.
25 Or le fils aîné était aux champs.
     Quand il revint et fut près de la maison,
     il entendit la musique et les danses.
26 Appelant un des serviteurs,
     il s’informa de ce qui se passait.
27 Celui-ci répondit :
     ‘Ton frère est arrivé,
     et ton père a tué le veau gras,
     parce qu'il a retrouvé ton frère en bonne santé.’
28 Alors le fils aîné se mit en colère,
     et il refusait d'entrer.
     Son père sortit le supplier.
29 Mais il répliqua à son père :
     ‘Il y a tant d'années que je suis à ton service
     sans avoir jamais transgressé tes ordres,
     et jamais tu ne m'as donné un chevreau
     pour festoyer avec mes amis.
30 Mais, quand ton fils que voilà est revenu
     après avoir dévoré ton bien avec des prostituées,
     tu as fait tuer pour lui le veau gras !’
31 Le père répondit :
     ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi,
     et tout ce qui est à moi est à toi.
32 Il fallait festoyer et se réjouir ;
     car ton frère que voilà était mort,
     et il est revenu à la vie ;
     il était perdu,
     et il est retrouvé.’ »
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UN PÈRE QUI FAIT LA FÊTE POUR CELUI QUI REVIENT

La clé de ce passage est peut-être bien dans les premières lignes : d’une part des gens qui se pressent pour écouter Jésus : ce sont ceux qui de notoriété publique sont des pécheurs (Luc dit « Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter ») ; de l’autre des gens honnêtes, qui, à chaque instant et dans les moindres détails de leur vie quotidienne, essaient de faire ce qui plaît à Dieu : des Pharisiens et des scribes ; il faut savoir que les Pharisiens étaient réellement des gens très bien : très pieux et fidèles à la Loi de Moïse ; ceux-là ne peuvent qu’être choqués : si Jésus avait un peu de discernement, il verrait à qui il a affaire ! Or, dit toujours saint Luc « cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! » Plus grave encore, les Pharisiens étaient très conscients de la sainteté de Dieu et il y avait à leurs yeux incompatibilité totale entre Dieu et les pécheurs ; donc si Jésus était ami de Dieu, il ne pourrait pas côtoyer des pécheurs.

Alors Jésus raconte cette parabole pour les faire aller plus loin, pour leur faire découvrir un visage de Dieu qu’ils ne connaissent pas encore, le vrai visage de leur Père : car nous avons l’habitude de parler de la parabole de l’enfant prodigue... Mais, en fait, le personnage principal dans cette histoire, c’est le père, le Père avec un P majuscule, bien sûr. Ce Père a deux fils et ce qui est frappant dans cette histoire, c’est que ces deux fils ont au moins un point commun : leur manière de considérer leur relation avec leur père. Ils se sont conduits de manière très différente, c’est vrai, mais, finalement, leurs manières d’envisager leur relation avec leur père se ressemblent !... Il est vrai que le fils cadet a gravement offensé son père, l’autre non en apparence, mais ce n’est pas si sûr... car l’un et l’autre, en définitive, font des calculs. Celui qui a péché dit « je ne mérite plus » ; celui qui est resté fidèle dit « je mériterais bien quand même quelque chose ». L’un et l’autre envisagent leur attitude filiale en termes de comptabilité.

Le Père, lui, est à cent lieues des calculs : il ne veut pas entendre parler de mérites, ni dans un sens, ni dans l’autre ! Il aime ses fils, c’est tout. Il n’y a rien à comptabiliser. Le cadet disait « donne-moi ma part, ce qui me revient... » Le Père va beaucoup plus loin, il dit à chacun « tout ce qui est à moi est à toi ». Il ne laisse même pas le temps au fautif d’exprimer un quelconque repentir, il ne demande aucune explication ; il se précipite pour faire la fête « car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ».

Elle est bien là la leçon de cette parabole : avec Dieu, il n’est pas question de calcul, de mérites, d’arithmétique : or c’est une logique que nous abandonnons très difficilement ; toute la Bible, dès l’Ancien Testament est l’histoire de cette lente, patiente pédagogie de Dieu pour se faire connaître à nous tel qu’il est et non pas tel que nous l’imaginons. Avec lui il n’est question que d’amour gratuit... Il n’est question que de faire la fête chaque fois que nous nous rapprochons de sa maison.

Deux remarques pour terminer : d’abord un lien avec la première lecture qui est tirée du livre de Josué : elle nous rappelle que le peuple d’Israël a été nourri par la manne pendant sa traversée du désert ; mais ici il n’y a pas de manne pour le fils qui refuse de vivre avec son père ; il s’en est coupé lui-même, en faisant usage de sa liberté. Deuxième remarque ; dans la parabole de la brebis perdue, dans ce même chapitre 15 de Luc, le berger va aller chercher lui-même et rattraper sa brebis perdue, mais le père ne va pas faire revenir son fils de force, il respecte trop sa liberté.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 27 03 2022, 4e dimanche de Carême C

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15 mars 2022 2 15 /03 /mars /2022 00:54
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 19 mars 2022).

LECTURE DU LIVRE DE L’EXODE 3, 1-8a.10.13-15

 

     En ces jours-là,
1   Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro,
     prêtre de Madiane.
     Il mena le troupeau au-delà du désert
     et parvint à la montagne de Dieu, à l'Horeb,
2   L'Ange du SEIGNEUR lui apparut
     dans la flamme d'un buisson en feu.
     Moïse regarda : le buisson brûlait
     sans se consumer.
3   Moïse se dit alors :
     « Je vais faire un détour
     pour voir cette chose extraordinaire :
     pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? »
4   Le SEIGNEUR vit qu'il avait fait un détour pour voir,
     et Dieu l'appela du milieu du buisson :
     « Moïse ! Moïse ! »
     Il dit : « Me voici ! »
5   Dieu dit alors :
     « N'approche pas d'ici !
     Retire les sandales de tes pieds,
     car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! »
6   Et il déclara :
     « Je suis le Dieu de ton père,
     le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob. »
     Moïse se voila le visage
     car il craignait de porter son regard sur Dieu.
7   Le SEIGNEUR dit :
     « J'ai vu, oui, j'ai vu la misère de mon peuple
     qui est en Égypte,
     et j'ai entendu ses cris sous les coups des surveillants.
     Oui, je connais ses souffrances.
8   Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens
     et le faire monter de ce pays
     vers un beau et vaste pays,
     vers un pays ruisselant de lait et de miel.   

10 Maintenant donc, va !
     Je t'envoie chez Pharaon :
     tu feras sortir d'Égypte mon peuple, les fils d'Israël. »

13 Moïse répondit à Dieu :
     « J'irai donc trouver les fils d'Israël, et je leur dirai :
     Le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous.
     Ils vont me demander quel est son nom ;
     que leur répondrai-je ? »
14 Dieu dit à Moïse :
     « Je suis qui je suis.
     Tu parleras ainsi aux fils d'Israël :
     Celui qui m'a envoyé vers vous, c'est JE-SUIS. »
15 Dieu dit encore à Moïse :
     « Tu parleras ainsi aux fils d'Israël :
     Celui qui m'a envoyé vers vous, c'est LE SEIGNEUR,
     le Dieu de vos pères,
     le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob.
     C'est là mon nom pour toujours,
     c'est par lui que vous ferez mémoire de moi, d'âge en âge. »
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J’AI VU LA MISÈRE DE MON PEUPLE

Ce récit magnifique est capital pour la foi d'Israël et donc aussi pour la nôtre : c’est la première fois que l’humanité découvrait qu’elle était aimée de Dieu ; au point qu’il voit, qu’il entend, qu’il connaît nos souffrances. Seul, le peuple élu pouvait accéder à cette découverte, parce que personne au monde n’y a pensé tout seul, il a fallu la Révélation. C’est sur ce socle, cette conviction désormais inébranlable que s’est construite la foi d’Israël, et donc, encore une fois, la nôtre. Il faut entendre la force du texte biblique. Notre traduction liturgique est presque trop faible ; quand nous lisons « J'ai vu, oui, j'ai vu la misère de mon peuple », le texte hébreu est beaucoup plus insistant ; il faudrait traduire « pour voir, j’ai vu » ou « vraiment j’ai vu, oui, j’ai vu » la misère de mon peuple en Égypte.

Cette misère du peuple était bien réelle, effectivement. L’immigration des Hébreux avait eu lieu des siècles plus tôt, à l’occasion d’une famine, et au début les choses allaient bien ; mais au fil des siècles, ces Hébreux s’étaient multipliés et au moment de la naissance de Moïse, ils commençaient à inquiéter le pouvoir. On les gardait parce que c’était une main-d’œuvre à bon marché, mais on venait de décider de les empêcher de se reproduire ; un bon moyen, tout bébé garçon serait tué par la sage-femme dès sa naissance. On sait comment Moïse avait échappé miraculeusement à cette mort programmée et comment il avait finalement été adopté par la fille du Pharaon et élevé à la cour. Mais il n’avait pas oublié ses origines : il était sans cesse écartelé entre sa famille adoptive et ses frères de race, réduits à l’impuissance et à la révolte.

Un jour, il prit parti : témoin des violences des Égyptiens contre les Hébreux, il tua un Égyptien. Consciemment ou non, il venait de choisir son camp. Le lendemain, voyant deux Hébreux s’empoigner, il leur avait fait la morale ; mais il avait essuyé une fin de non-recevoir ; on l’avait accusé de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Ce qui signifiait que personne n’était prêt à lui confier la responsabilité de mener une quelconque révolte contre le Pharaon. En même temps, il avait entendu dire que le Pharaon avait décidé de le châtier pour le meurtre de l’Égyptien. Finie la vie à la cour, il fut obligé de s’exiler pour échapper aux représailles. Il s’enfuit dans le désert du Sinaï, il y rencontra et épousa une Madianite, Cippora, la fille de Jéthro.

LE DIEU TOUT-AUTRE SE FAIT TOUT-PROCHE

C’est là que commence notre texte d’aujourd’hui : « Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint la montagne de Dieu, à l’Horeb. » Moïse, est certainement à ce moment-là dans les meilleures conditions qui soient pour rencontrer Dieu et recevoir sa vocation : il est sensible à la misère de ses frères, puisqu’il a pris des risques pour s’engager à leurs côtés, en tuant un Égyptien pour sauver un Hébreu ; mais en même temps, il a pris la mesure de son impuissance : le seul geste qu’il ait osé est un échec ; il est un paria désormais, et même ses frères de race ne lui reconnaissent aucune autorité. C’est cet homme pauvre qui s’approche d’un étrange buisson en feu.

Je ferai deux remarques : tout d’abord, Dieu se révèle en même temps comme le Tout-Autre et comme le Tout-proche ; Il est le Tout-Autre, celui qu’on ne peut approcher qu’avec crainte et respect ET en même temps, il est le Tout Proche, celui qui voit la misère de son peuple et lui suscite un libérateur. Commençons par les expressions qui manifestent la sainteté de Dieu et l’immense respect de l’homme qui se trouve en sa présence : la phrase « L’Ange du SEIGNEUR lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu », par exemple, est caractéristique ; pour dire la présence de Dieu lui-même dans le buisson, on prend une circonlocution ; l’expression « L’Ange du SEIGNEUR » est une manière pudique de parler de Dieu. Ou encore, des expressions comme « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! »  Ou enfin « Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. »  En même temps, Dieu se révèle comme le Tout Proche des hommes, celui qui se penche sur leur malheur.

Deuxième remarque, il faut retenir l’articulation de l’intervention de Dieu. Il voit la souffrance des hommes, donc il intervient, donc il envoie Moïse : l’action de Dieu suppose la collaboration de celui que Dieu appelle… Encore faut-il que celui que Dieu appelle accepte de répondre à cet appel… Encore faut-il que celui qui souffre accepte d’être secouru.
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PSAUME  102 (103), 1-2, 3-4, 6-7, 8.11

 

1   Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
     bénis son nom très saint, tout mon être !
2   Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
     n'oublie aucun de ses bienfaits !   

3   Car il pardonne toutes tes offenses          
     et te guérit de toute maladie ;
4   il réclame ta vie à la tombe
     et te couronne d'amour et de tendresse.   

6   Le SEIGNEUR fait œuvre de justice,
     il défend le droit des opprimés.
7   Il révèle ses desseins à Moïse,
     aux enfants d'Israël ses hauts faits.   

8   Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
     lent à la colère et plein d'amour.
11 Comme le ciel domine la terre,
     fort est son amour pour qui le craint.
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À LA LUMIÈRE DU BUISSON ARDENT

La première lecture, avec le récit du buisson ardent (extrait du livre de l’Exode au chapitre 3) a révélé le Nom de Dieu : « JE SUIS » sous-entendu « avec vous » au plus profond de vos souffrances et de vos révoltes. En écho, notre psaume chante : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint. » Ces deux formulations du Mystère de Dieu (« JE SUIS » et « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié ») se complètent mutuellement.

Revenons d’abord à l’épisode du Buisson Ardent : on sait bien qu’il ne faut pas entendre l’expression « JE SUIS » ou « Je suis qui je suis » comme une définition, comme en philosophie on cherche à définir un concept ; la répétition du verbe « Je suis » est une tournure de la langue hébraïque, pour dire l’intensité. Dieu a commencé par rappeler la longue histoire d’Alliance avec les Pères : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Ce qui voulait déjà dire la fidélité de Dieu à son peuple depuis des siècles et à travers toute l’épaisseur d’une histoire. Puis il a dit sa compassion pour le peuple humilié, réduit à l’esclavage en Égypte ; enfin seulement il révèle son Nom « JE SUIS ». La première découverte que Moïse a faite au Sinaï, c’est donc cette Présence intense de Dieu au cœur de la détresse des hommes. Il aura retenu pour toujours cette révélation surprenante : « J’ai vu, (dit Dieu) oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer... » Moïse l’a tellement bien retenue qu’il a puisé là l’incroyable énergie qui a fait d’un homme seul, exilé, rejeté par tous, le meneur infatigable que l’on sait et le libérateur de son peuple.

Quand le peuple d’Israël se souvient de cette aventure inouïe, il sait bien que son premier libérateur, c’est Dieu, Moïse n’en est que l’instrument. Le « Me voici » de Moïse (comme celui d’Abraham, comme celui de tant d’autres depuis) est la réponse qui permet à Dieu de réaliser sa grande œuvre de libération de l’humanité. Et, désormais, quand on dit « LE SEIGNEUR », qui est la traduction française des quatre lettres (YHVH) du Nom de Dieu, on pense à cette Présence libératrice.

La vision de Moïse qui accompagnait cette révélation du Nom permet de mieux entrer dans ce mystère de la Présence de Dieu ; rappelons-nous le début du récit du Buisson Ardent : « L’Ange du SEIGNEUR apparut (à Moïse) dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. » (Ex 3,2).

Dieu se révèle donc de deux manières à la fois : dans cette vision et dans la parole qui dit son Nom. Devant cette flamme qui jaillit d’un buisson sans le consumer, Moïse est invité à comprendre que Dieu, comparé à un feu, est au milieu de son peuple (le buisson). Et cette Présence de Dieu au milieu de son peuple ne le détruit pas, ne le consume pas. Moïse, dont le premier réflexe a été de se voiler le visage, comprend alors qu’il n’y a pas à avoir peur. Du coup, la vocation du peuple est dite en même temps : il est le lieu choisi par Dieu pour manifester sa Présence ; et, désormais, le peuple choisi témoignera au milieu du monde que Dieu est au milieu des hommes et que ceux-ci n’ont rien à craindre.

LE SEIGNEUR DÉFEND LE DROIT DES OPPRIMÉS

Dans le psaume d’aujourd’hui, ce Nom de Dieu est explicité par la formule que nous connaissons bien « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié ». C’est la reprise exacte d’une autre révélation de Dieu à Moïse (Ex 34,6). Ces deux révélations n’en font qu’une et le psaume développe : « Le SEIGNEUR fait œuvre de justice, il défend le droit des opprimés. Il révèle ses desseins à Moïse, aux enfants d’Israël ses hauts faits. » Il s’agit de l’Exode, bien sûr. Mais Dieu est toujours le même, de toujours à toujours, il est cette Présence, cette flamme, au milieu de nous, feu de tendresse et de pitié.

Et c’est de cela que nous avons à témoigner ; si Dieu a choisi un peuple pour être son témoin au milieu du monde, c’est d’abord parce que le monde a besoin de ce témoignage : les hommes meurent de ne pas connaître cette flamme ; mais aussi, parce que seul le témoignage d’un peuple qui vit de cette flamme pourra la faire connaître. D’où la prédication des prophètes sur ces deux aspects de la vocation d’Israël : premièrement, oser témoigner de sa foi, de la révélation dont il est porteur ; deuxièmement, à l’image de son SEIGNEUR, faire œuvre de justice et défendre le droit des opprimés.

Sur le premier point, celui du témoignage, c’est la lutte opiniâtre des prophètes contre l’idolâtrie : le peuple qui a expérimenté dans son histoire la présence du Dieu qui voit ses souffrances, et qui entend ses cris, ne peut plus se confier à des idoles de bois ou de pierre : « elles ont des yeux, et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas... » comme dit le psaume 115 (113B),5-6. Dans la même veine, le prophète Isaïe raille ceux qui coupent un morceau de bois en deux pour se chauffer avec l'un des morceaux et de l'autre faire une statue devant laquelle ensuite ils se prosterneront. (Is 44,12-18). Et il ajoute « On a beau crier vers lui (ce dieu), il ne répond pas, il ne sauve personne de sa détresse. » (Is 46,7).

Sur le deuxième point, les prophètes sont tout aussi catégoriques ; témoin, par exemple, ce passage d’Isaïe que nous réentendons chaque année pendant le Carême : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? » (Is 58,6-7). À ce prix seulement, nous serons à l’image et à la ressemblance du Dieu de tendresse et de pitié.
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS  10, 1-6.10-12

 

1   Frères,
     je ne voudrais pas vous laisser ignorer
     que, lors de la sortie d'Égypte,
     nos pères étaient tous sous la protection de la nuée,
     et que tous ont passé à travers la mer.
2   Tous, ils ont été unis à Moïse
     par un baptême dans la nuée et dans la mer ;
3   tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ;
4   tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ;
     car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait,
     et ce rocher, c'était le Christ.
5   Cependant, la plupart n'ont pas su plaire à Dieu :
     leurs ossements, en effet, jonchèrent le désert.
6   Ces événements devaient nous servir d'exemple,
     pour nous empêcher de désirer ce qui est mal
     comme l'ont fait ces gens-là.

10 Cessez de récriminer
     comme l'ont fait certains d'entre eux :
     ils ont été exterminés.
11 Ce qui leur est arrivé devait servir d'exemple,
     et l'Écriture l'a raconté pour nous avertir,
     nous qui nous trouvons à la fin des temps.
12 Ainsi donc, celui qui se croit solide,
     qu'il fasse attention à ne pas tomber.
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LES LEÇONS DE L’HISTOIRE

Apparemment, la communauté de Corinthe n'était pas à l'abri des tentations : dans les premiers chapitres de sa lettre, Paul a traité de quelques cas bien concrets : il a nommé les débauchés, les idolâtres, les adultères, les voleurs, les accapareurs, les ivrognes, les calomniateurs et les filous. Ici, de nouveau, Paul avertit ses lecteurs : la leçon qu’il va développer est grave ; il commence solennellement par la phrase « Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer (ce qui s’est passé) lors de la sortie d’Égypte... » et il termine par « celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber ». Pour le dire autrement, ne vous surestimez pas, personne n’est à l’abri de la tentation.

Pour appuyer ces conseils d’humilité, il nous propose une lecture de toute l’histoire du peuple d’Israël pendant l’Exode : histoire faite des dons de Dieu, d’une part, mais histoire faite aussi de la versatilité de l’homme : Dieu s’est montré comme il l’avait dit à Moïse... le Dieu fidèle, le Dieu présent à son peuple dans son difficile chemin vers la liberté, à travers le désert du Sinaï. En réponse, il n’a rencontré bien souvent qu’ingratitude : à de multiples reprises, le peuple a trahi l’Alliance.

Reprenons les diverses étapes de l’Exode, telles que Paul les relit ; dès le départ des fuyards, avant même le passage de la Mer Rouge, le livre de l’Exode note que Dieu avait pris lui-même la direction des opérations : « Le SEIGNEUR lui-même marchait à leur tête : le jour dans une colonne de nuée, pour leur ouvrir la route, la nuit dans une colonne de feu, pour les éclairer ; ainsi pouvaient-ils marcher jour et nuit. Le jour, la colonne de nuée ne quittait pas la tête du peuple ; ni la nuit, la colonne de feu. » (Ex 13,21-22).

Mais, dès le premier campement, le peuple reprend peur en voyant les Égyptiens à leur poursuite, et se révolte contre Moïse : « Les fils d’Israël eurent très peur… et ils crièrent vers le SEIGNEUR. Ils dirent à Moïse : L’Égypte manquait-elle de tombeaux, pour que tu nous aies emmenés mourir dans le désert ? Quel mauvais service tu nous as rendu en nous faisant sortir d’Égypte ! C’est bien là ce que nous te disions en Égypte : “Ne t’occupe pas de nous, laisse-nous servir les Égyptiens. Il vaut mieux les servir que de mourir dans le désert !” »  (Ex 14,10-11).

Et la même histoire va se répéter à chaque nouvelle difficulté : le chemin de la liberté est semé d’embûches et la tentation est grande de retomber dans son ancien esclavage. C’est exactement le message que Paul adresse aux Corinthiens : traduisez ‘Christ vous a libérés, mais vous êtes bien souvent tentés de retomber dans vos errances antérieures, sans vous apercevoir que toutes ces mauvaises conduites font de vous des esclaves. Le chemin du Christ vous paraît rude, mais faites-lui confiance, lui seul est libérateur.’

L’étape suivante de l’Exode, ce fut le passage de la mer : à vues humaines, la situation était désespérée ; quelques fuyards acculés à la mer, et derrière eux, une armée bien équipée et décidée à les rattraper. C’est alors que Dieu intervient : « L’ange de Dieu qui marchait en avant d’Israël se déplaça et marcha à l’arrière. La colonne de nuée se déplaça depuis l’avant-garde et vint se tenir à l’arrière entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël. » (Ex 14,19). Ainsi protégé, le peuple put traverser la mer qui s’écarta pour les laisser passer : « Le SEIGNEUR chassa la mer toute la nuit par un fort vent d’est ; il mit la mer à sec et les eaux se fendirent. » (Ex 14,21).

Mais les épreuves n’étaient pas finies pour autant et à bien des reprises les Israélites ont eu tout loisir de regretter la sécurité de l’Égypte : ils étaient libres, certes, mais dans ce désert, on manquait de tout et les dangers, eux, ne manquaient pas. Ils ont connu la faim, ils ont connu la soif ; mais à chaque nouvelle difficulté, au lieu de faire confiance, de savoir d’avance que Dieu interviendrait, le peuple a commencé par se plaindre et se révolter.

LA CONFIANCE À L’ÉPREUVE

L’épisode qui résume le mieux ce problème sans cesse renaissant, c’est celui du manque d’eau et du Rocher. Quand le peuple a commencé à ressentir vraiment la soif, les récriminations ont commencé et Moïse a eu bien peur d’être lapidé. Mais à travers lui, c’est Dieu lui-même qu’on accusait : « Pourquoi, lui disait-on, nous as-tu fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir de soif, avec nos fils et nos troupeaux ? » (Ex 17,3). C’est là que Moïse a frappé le Rocher et il en est sorti de l’eau. Ensuite il a baptisé ce lieu Massa et Meriba, qui veut dire « Épreuve et Querelle » car, disait-il, « les fils d’Israël avaient cherché querelle au SEIGNEUR, et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve, en disant Le SEIGNEUR est-il au milieu de nous, oui ou non ? » (Ex 17,7).

Les problèmes qui se posent aux Corinthiens ne sont plus les mêmes, évidemment ; mais il existe d’autres Égypte, d’autres esclavages ; pour ces nouveaux chrétiens, il y a des choix à faire au nom de leur baptême, il y a des conduites qu’on ne peut plus tenir. Et ces choix peuvent être douloureux ; pensez par exemple aux exigences du catéchuménat pour les premiers chrétiens : elles signifiaient de vrais renoncements à des comportements, à des relations, à un métier, parfois ; renoncements auxquels on ne peut consentir que si on met toute sa confiance en Jésus-Christ. Dans la société mélangée et particulièrement laxiste de Corinthe, afficher un comportement chrétien relevait du courage. Mais ce qui semble folie pour les hommes est véritable sagesse aux yeux de Dieu.

Ce n’est peut-être pas un hasard si, pendant le temps du Carême, l’Église nous donne à méditer ce texte de Paul fait à la fois d'exigence pour nous-mêmes et de confiance en Dieu.
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT LUC  13, 1-9

 

1   Un jour, des gens rapportèrent à Jésus
     l'affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer
     mêlant leur sang à celui des sacrifices qu'ils offraient.
2   Jésus leur répondit :
     « Pensez-vous que ces Galiléens
     étaient de plus grands pécheurs
     que tous les autres Galiléens,
     pour avoir subi un tel sort ?
3   Eh bien, je vous dis : pas du tout !
     Mais si vous ne vous convertissez pas,
     vous périrez tous de même.
4   Et ces dix-huit personnes
     tuées par la chute de la tour de Siloé,
     pensez-vous qu'elles étaient plus coupables
     que tous les autres habitants de Jérusalem ?
5   Eh bien, je vous dis : pas du tout !
     Mais si vous ne vous convertissez pas,
     vous périrez tous de même. »
6   Jésus disait encore cette parabole :
     « Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne.
     Il vint chercher du fruit sur ce figuier,
     et n'en trouva pas.
7   Il dit alors à son vigneron :
     Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier,
     et je n'en trouve pas.
     Coupe-le.   À quoi bon le laisser épuiser le sol ?
8   Mais le vigneron lui répondit :
     Maître, laisse-le encore cette année,
     le temps que je bêche autour
     pour y mettre du fumier.
9   Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir.
     Sinon, tu le couperas. »
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QU’EST-CE QUE J’AI FAIT AU BON DIEU ? C’EST LA MAUVAISE QUESTION

Voilà bien un texte étonnant ! Il rassemble deux « faits divers », un commentaire de Jésus et la parabole du figuier. À première vue, ce rapprochement nous surprend, mais si Luc nous le propose, c’est certainement intentionnel ! Et alors on peut penser que la parabole est là pour nous faire comprendre ce dont il est question dans le commentaire de Jésus sur les deux faits divers.

Premier fait divers, l’affaire des Galiléens : en soi, il n’a rien de surprenant, la cruauté de Pilate était connue ; l’hypothèse la plus vraisemblable, c’est que des Galiléens venus en pèlerinage à Jérusalem ont été accusés (à tort ou à raison ?) d’être des opposants au pouvoir politique romain ; on sait que l’occupation romaine était très mal tolérée par une grande partie du peuple juif, et c’est bien de Galilée qu’à l’époque de la naissance de Jésus était partie la révolte de Judas, le Galiléen. Ces pèlerins auraient donc été massacrés sur ordre de Pilate au moment où ils étaient rassemblés dans le temple de Jérusalem pour offrir un sacrifice. Quant à l’écroulement de la tour de Siloé, deuxième fait divers, c’était une catastrophe comme il en arrive tous les jours.

D’après la réponse de Jésus, on devine la question qui est sur les lèvres de ses disciples : elle devait ressembler à celle que nous formulons souvent dans des occasions semblables : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour qu’il m’arrive ceci ou cela ? »

C’est l’éternelle question de l’origine de la souffrance, le problème jamais résolu ! Dans la Bible, c’est le livre de Job qui pose ce problème de la manière la plus aiguë et il énumère toutes les explications que les hommes inventent depuis que le monde est monde. Parmi les explications avancées par l’entourage de Job accablé par toutes les souffrances possibles, la plus fréquente était que la souffrance serait la punition du péché. J’ai bien dit « serait » ! Car la conclusion du livre de Job est très claire : la souffrance n’est pas la punition du péché ! À la fin du livre, d’ailleurs, c’est Dieu lui-même qui parle : il ne nous donne aucune explication et déclare nulles toutes celles que les hommes ont inventées ; mais il demande à Job de reconnaître deux choses : premièrement, que la maîtrise des événements lui échappe et deuxièmement, qu’il lui faut les vivre sans jamais perdre confiance en son Créateur.

Devant l’horreur du massacre des Galiléens et de la catastrophe de la tour de Siloé, Jésus est sommé de répondre à son tour ; la question du mal se pose évidemment et les disciples n’échappent pas à la tentative d’explication : l’idée d’une relation avec le péché semble être venue spontanément à leur esprit. La réponse de Jésus est catégorique : il n’y a pas de lien direct entre la souffrance et le péché. Non, ces Galiléens n’étaient pas plus pécheurs que les autres... non, les dix-huit personnes écrasées par la tour de Siloé n’étaient pas plus coupables que les autres habitants de Jérusalem. En cela, Jésus reprend exactement la même position que la conclusion du Livre de Job.

Mais il poursuit et à partir de ces deux faits, il va inviter ses apôtres à une véritable conversion. Il le fait avec énergie et il insiste sur l’urgence de la conversion. Là, on croit entendre les prophètes comme Amos ou Isaïe, ou tant d’autres.

DIEU EST PATIENT

Mais il ajoute aussitôt la parabole du figuier qui vient tempérer la rudesse apparente de ses propos. Elle nous dit combien les mœurs divines sont différentes des mœurs humaines, car elle nous révèle un Dieu plein de patience et d’indulgence ! À vues humaines, un figuier stérile qui épuise inutilement le sol de la vigne, il n’y a qu’une chose à faire, c’est le couper ! Traduisez, ‘si on était Dieu, les pécheurs, on les éliminerait !’ Mais les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes !

 « Par ma vie - Oracle du SEIGNEUR Dieu – je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais bien plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive » disait déjà Ézéchiel (Ez 33,11). La conversion que Jésus demande à ses disciples ne porte donc pas d’abord sur des comportements ; ce qu’il faut changer de toute urgence, c’est notre représentation d’un Dieu punisseur.

Bien plus, c’est en face du mal justement, qu’il faut nous rappeler que Dieu est « tendresse et pitié » comme dit le psaume de ce dimanche ; qu’il est « miséricordieux », c’est-à-dire penché sur nos misères. La conversion qui nous est demandée ne serait-ce pas tout simplement celle-ci ? À savoir nous mettre une fois pour toutes à croire à l’infinie patience et miséricorde de Dieu ? Et là encore, Jésus reprend bien à son compte les conclusions du livre de Job : ne cherchez pas à expliquer la souffrance ni par le péché, ni par autre chose, mais vivez dans la confiance en Dieu.

Alors les deux phrases « si vous ne vous convertissez pas... vous périrez tous de même » voudraient dire quelque chose comme : ‘L’humanité court à sa perte parce qu’elle ne fait pas confiance à Dieu.’ C’est toujours la même histoire : nous sommes comme le peuple d’Israël au désert, dont Paul rappelait l’aventure dans la deuxième lecture ; notre liberté doit choisir entre la confiance en Dieu et le soupçon : choisir la confiance, c’est croire une fois pour toutes que le dessein de Dieu est bienveillant ; ce simple retournement de nos cœurs changerait la face du monde !

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 20 03 2022, 3e dimanche de Carême C

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6 mars 2022 7 06 /03 /mars /2022 23:42
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • donnant des explications historiques ;
  • donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "croire", "juste", "crainte" (de Dieu)", "Fils (de Dieu)", "choisi", "écouter" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 12 mars 2022).

      En ces jours-là,
     Le SEIGNEUR parlait à Abraham dans une vision.
5   Il le fit sortir et lui dit :     
     « Regarde le ciel,  
     et compte les étoiles si tu le peux... »      
     Et il déclara :        
     « Telle sera ta descendance ! »
6   Abram eut foi dans le SEIGNEUR,        
     et le SEIGNEUR estima qu'il était juste.
7            Puis il dit :                
     « Je suis le SEIGNEUR,  
     qui t'ai fait sortir d'Our en Chaldée          
     pour te donner ce pays en héritage. »
8   Abram répondit :  
     « SEIGNEUR mon Dieu, comment vais-je savoir          
     que je l’ai en héritage ? »
9   Le SEIGNEUR lui dit :    
     « Prends-moi une génisse de trois ans,    
     une chèvre de trois ans,    
     un bélier de trois ans,       
     une tourterelle et une jeune colombe. »
10 Abram prit tous ces animaux,      
     les partagea en deux,        
     et plaça chaque moitié en face de l'autre ;                       
     mais il ne partagea pas les oiseaux.
11 Comme les rapaces descendaient sur les cadavres,         
     Abram les chassa.
12          Au coucher du soleil,          
     un sommeil mystérieux tomba sur Abram,         
     une sombre et profonde frayeur tomba sur lui.

17 Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses.          
     Alors un brasier fumant et une torche enflammée          
     passèrent entre les morceaux d'animaux.
18 Ce jour-là, le SEIGNEUR conclut une Alliance avec Abram    
     en ces termes :      
     « À ta descendance           
     je donne le pays que voici,
     depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »
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REGARDE LE CIEL ET COMPTE LES ÉTOILES

À l’époque d’Abraham*, lorsque deux chefs de tribus faisaient alliance, ils accomplissaient tout un cérémonial semblable à celui auquel nous assistons ici : des animaux adultes, en pleine force de l’âge, étaient sacrifiés ; les animaux « partagés en deux », écartelés, étaient le signe de ce qui attendait celui des contractants qui ne respecterait pas ses engagements. Cela revenait à dire : « Qu’il me soit fait ce qui a été fait à ces animaux si je ne suis pas fidèle à l’alliance que nous contractons aujourd’hui ». Ordinairement, les contractants passaient tous les deux entre les morceaux, pieds nus dans le sang : ils partageaient d’une certaine manière le sang, donc la vie ; ils devenaient en quelque sorte « consanguins ».

Pourquoi cette précision que les animaux devaient être âgés de trois ans ? Tout simplement parce que les mamans allaitaient généralement leurs enfants jusqu’à trois ans ; ce chiffre était donc devenu symbolique d’une certaine maturité : l’animal de trois ans était censé être adulte.

Ici Abraham accomplit donc les rites habituels des alliances ; mais pour une alliance avec Dieu, cette fois. Tout est semblable aux habitudes et pourtant tout est différent, précisément parce que, pour la première fois de l’histoire humaine, l’un des contractants est Dieu lui-même.

Commençons par ce qui est semblable : « Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les morceaux, Abram les chassa. » La mention des rapaces est intéressante : Abraham les écarte parce qu’il les considère comme des oiseaux de mauvais augure ; cela nous prouve que le texte est très ancien : Abraham découvre le vrai Dieu, mais la superstition n’est pas loin.

Ce qui est inhabituel maintenant : « Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. » À propos d’Abraham, le texte parle de « sommeil mystérieux » : ce n’est pas le mot du vocabulaire courant ; c’était déjà celui employé pour désigner le sommeil d’Adam pendant que Dieu créait la femme ; manière de nous dire que l’homme ne peut pas assister à l’œuvre de Dieu : quand l’homme se réveille (Adam ou Abraham), c’est une aube nouvelle, une création nouvelle qui commence. Manière aussi de nous dire que l’homme et Dieu ne sont pas à égalité dans l’œuvre de création, dans l’œuvre d’Alliance ; c’est Dieu qui a toute l’initiative, il suffira à l’homme de faire confiance : « Abram eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu’il était juste ».

 

ABRAM EUT FOI DANS LE SEIGNEUR

« Un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux » : la présence de Dieu est symbolisée par le feu comme souvent dans la Bible ; depuis le Buisson ardent… la fumée du Sinaï… la colonne de feu qui accompagnait le peuple de Dieu pendant l’Exode dans le désert… jusqu’aux langues de feu de la Pentecôte.

Venons-en aux termes de l’Alliance ; Dieu promet deux choses à Abraham : une descendance et un pays. Les deux mots « descendance » et « pays » sont utilisés en inclusion dans ce récit ; au début, Dieu avait dit : « Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux... Telle sera ta descendance !... Je suis le SEIGNEUR qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage » et à la fin « À ta descendance je donne le pays que voici. » Soyons francs, cette promesse adressée à un vieillard sans enfant est pour le moins surprenante ; ce n’est pas la première fois que Dieu fait cette promesse et pour l’instant, Abraham n’en a pas vu l’ombre d’une réalisation. Depuis des années déjà, il marche et marche encore en s’appuyant sur la seule promesse de ce Dieu jusqu’ici inconnu pour lui. Rappelons-nous le tout premier récit de sa vocation : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation... » (Gn 12,1). Et dès ce jour-là, le texte biblique notait l’extraordinaire foi de l’ancêtre qui était parti tout simplement sans poser de questions : « Abram s’en alla comme le SEIGNEUR le lui avait dit » (Gn 12,4).

Ici, le texte constate : « Abram eut foi dans le SEIGNEUR, et le SEIGNEUR estima qu’il était juste. » C’est la première apparition du mot « foi » dans la Bible : c’est l’irruption de la foi dans l’histoire des hommes. Le mot « croire » en hébreu vient d’une racine qui signifie « tenir fermement » (notre mot « Amen » vient de la même racine). Croire c’est « TENIR », faire confiance jusqu’au bout, même dans le doute, le découragement, ou l’angoisse. Telle est l’attitude d’Abraham ; et c’est pour cela que Dieu le considère comme un juste. Car, le Juste, dans la Bible, c’est l’homme dont la volonté, la conduite sont accordées à la volonté, au projet de Dieu. Plus tard, saint Paul s’appuiera sur cette phrase du livre de la Genèse pour affirmer que le salut n’est pas une affaire de mérites. « Si tu crois... tu seras sauvé » (Rm 10,9). Si je comprends bien, Dieu donne : il ne demande qu’une seule chose à l’homme.... y croire.

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Note

Abraham est le nom qui est passé à la postérité ; mais à l’origine son nom était Abram. Nous lisons ici le chapitre 15 de la Genèse. C’est seulement au chapitre 17 que nous lirons le nouveau nom qui lui sera donné par Dieu.

Compléments

- v.7 : « Je suis le SEIGNEUR qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée » ; c'est le même mot que pour la sortie d'Égypte avec Moïse, six cents ans plus tard : l'œuvre de Dieu est présentée dès le début comme une œuvre de libération.

- v. 12 : « Un sommeil mystérieux tomba sur Abram » (verset 12) : le même mot (« tardémah » en hébreu) sera employé pour Adam (Gn 2), Abraham, Saül (1 S 26).
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PSAUME  26 (27), 1.7-8.9a-d.13-14

 

             1            Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ;     
                           de qui aurais-je crainte ?  
                           Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ;           
                           devant qui tremblerais-je ?                         

             7            Écoute, SEIGNEUR, je t'appelle !           
                           Pitié ! Réponds-moi !
             8            Mon cœur m'a redit ta parole :     
                           « Cherchez ma face. »

                           C'est ta face, SEIGNEUR, que je cherche :         
             9            ne me cache pas ta face.   
                           N'écarte pas ton serviteur avec colère :    
                           tu restes mon secours.

             13          J'en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR
                           sur la terre des vivants.
             14          « Espère le SEIGNEUR, sois fort et prends courage ;    
                           Espère le SEIGNEUR. »
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C'EST TA FACE, SEIGNEUR, QUE JE CHERCHE

En peu de mots, tout est dit ; la tranquille certitude : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? » mais aussi l’ardente supplication : « Écoute, SEIGNEUR, je t’appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! » Et ces états d’âme sont si contrastés qu’on pourrait presque se demander si c’est bien la même personne qui parle d’un bout à l’autre. Mais oui, bien sûr, c’est la même foi qui s’exprime dans l’exultation ou dans la supplication selon les circonstances. Et nous nous sentons autorisés à tout dire dans notre prière.

Circonstances gaies, circonstances tristes, le peuple d’Israël a tout connu ! Et au milieu de toutes ces aventures, il a gardé confiance, ou mieux « il a approfondi » sa foi. Enfin, entre la première et la dernière strophes, il faut noter le passage du présent au futur : première strophe, « Le SEIGNEUR EST ma lumière et mon salut », voilà le langage de la foi, cette confiance indéracinable ; dernière strophe, « Je VERRAI la bonté du SEIGNEUR... » et la fin « ESPÈRE » : l’espérance, c’est la foi conjuguée au futur.

Nous avons déjà rencontré ce psaume à plusieurs reprises au cours des trois années liturgiques ; aujourd’hui, arrêtons-nous sur deux expressions, « C’est ta face, SEIGNEUR, que je cherche » et « Je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants. » Tout d’abord, « C’est ta face, SEIGNEUR, que je cherche » ; voir la face de Dieu, c’est le désir, la soif de tous les croyants : l’homme créé à l’image de Dieu est comme aimanté par son Créateur. Et, plus que jamais, pendant le temps du Carême, nous cherchons la face de Dieu !

Moïse a supplié : « Je t’en prie, laisse-moi contempler ta gloire » et le Seigneur lui a répondu : « Tu ne pourras pas voir mon visage, car un être humain ne peut pas me voir et rester en vie... Voici une place près de moi, tu te tiendras sur le rocher ; quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et je t’abriterai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. Puis je retirerai ma main, et tu me verras de dos, mais mon visage, personne ne peut le voir » (Ex 33,18... 23). Ce qui est magnifique dans ce texte, c’est qu’il préserve à la fois la grandeur de Dieu, son inaccessibilité, et en même temps sa proximité et sa délicatesse.

Dieu est tellement immense pour nous que nous ne pouvons pas le voir de nos yeux ; le rayonnement de sa Présence ineffable, inaccessible, ce que les textes appellent sa gloire, est trop éblouissant pour nous ; nos yeux ne supportent pas de fixer le soleil, comment pourrions-nous regarder Dieu ? Mais en même temps, et c’est la merveille de la foi biblique, cette grandeur de Dieu n’écrase pas l’homme, bien au contraire, elle le protège, elle est sa sécurité. L’immense respect qui envahit le croyant mis en présence de Dieu n’est donc pas de la peur, mais ce mélange de totale confiance et d’infini respect que la Bible appelle « crainte de Dieu ».

DE QUI AURAIS-JE CRAINTE ?

Ceci peut nous permettre de comprendre le premier verset : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? » ; cela veut dire deux choses, au moins : premièrement, le peuple croyant n’a plus peur de rien ni de personne, y compris de la mort. Deuxièmement, aucun autre dieu ne lui inspirera jamais plus ce sentiment religieux de crainte. Le verset suivant ne fait que redire la même chose : « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? »

Cette confiance s’exprime encore dans la dernière strophe de notre psaume : « J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants. » À la suite de Moïse, le peuple libéré par lui compte sur les bienfaits de Dieu. Mais quelle est cette « terre des vivants » ? Certainement, d’abord, la terre donnée par Dieu à son peuple et dont la possession est devenue tout un symbole pour Israël ; symbole des dons de Dieu, elle est aussi le rappel des exigences de l’Alliance : la terre sainte a été donnée au peuple élu pour qu’il y vive « saintement ».

C’est l’un des thèmes majeurs du livre du Deutéronome par exemple : « Vous veillerez à agir comme vous l’a ordonné le SEIGNEUR votre Dieu sans dévier ni à droite ni à gauche. En tout, vous suivrez le chemin que le SEIGNEUR votre Dieu vous a tracé : alors vous vivrez, vous aurez bonheur et longue vie dans le pays dont vous allez prendre possession. » (Dt 5,32-33). Les « vivants » au sens biblique, ce sont les croyants.

Ne voyons donc pas dans cette expression « terre des vivants » une allusion consciente à une quelconque vie éternelle : quand le psaume a été composé, il ne venait à l’idée de personne que l’homme puisse espérer un horizon autre que terrestre ; personne n’imaginait que nous soyons appelés à ressusciter ; on sait que cette foi ne s’est développée en Israël qu’à partir du deuxième siècle av. J.-C. Mais, désormais, pour nous, chrétiens, brille la lumière de la Résurrection du Christ ; à sa suite et avec lui, nous pouvons dire : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? J’en suis sûr, je verrai les bontés du SEIGNEUR sur la terre des vivants », et pour nous, désormais, cela veut dire la terre des ressuscités.                                             
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX PHILIPPIENS  3, 17-4,1

3, 17    Frères,            
     ensemble imitez-moi,       
     et regardez bien ceux qui se conduisent  
     selon l'exemple que nous vous donnons.
18 Car je vous l'ai souvent dit,          
     et maintenant je le redis en pleurant :      
     beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ.
19 Ils vont à leur perte.         
     Leur dieu, c'est leur ventre,          
     et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ;      
     ils ne pensent qu’aux choses de la terre.
20 Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux,           
     d’où nous attendons comme sauveur       
     le Seigneur Jésus Christ,
21 lui qui transformera nos pauvres corps    
     à l'image de son corps glorieux,   
     avec la puissance active qui le rend même capable
     de tout mettre sous son pouvoir.
4, 1      Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection,
     vous, ma joie et ma couronne,     
     tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.
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CELUI QUI CROIRA ET SERA BAPTISÉ SERA SAUVÉ 

L’heure est grave, certainement, puisque, Paul l’avoue lui-même, c’est en pleurant qu’il dit aux Philippiens : « Tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés. » On croit entendre « tenez bon comme moi-même je tiens bon ». Puisqu’il dit : « Frères, ensemble imitez-moi » : une telle phrase nous surprend un peu ! D’autant plus qu’au moment où il écrit, Paul est loin et il est en prison. Mais justement, le problème des Philippiens, c’est qu’en l’absence de Paul, certains autres se présentent comme modèles et Paul veut à tout prix empêcher ses chers Philippiens de tomber dans le panneau. Au début de sa lettre, il leur a dit : « Dans ma prière, je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la pleine connaissance et en toute clairvoyance pour discerner ce qui est important. » (1,9-10). Quel est le problème ? Pour le comprendre, il faut se rappeler le contexte ; il apparaît un peu plus haut dans cette lettre. Des « mauvais ouvriers », comme dit Paul, se sont introduits dans la communauté et sèment le trouble : ils prétendent que la circoncision est nécessaire pour tous les chrétiens. Paul a tout de suite saisi la gravité de l’enjeu théologique : si la circoncision est nécessaire, c’est que le Baptême ne suffit pas. Mais alors que devient la phrase de Jésus : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » ?

La question est fondamentale, et on sait par les Actes des Apôtres et les autres lettres de Paul qu’elle a pendant un temps divisé les chrétiens ; de deux choses l’une : ou bien l’événement de la « Croix du Christ » a eu lieu... ou bien non ! Et quand Paul dit « croix du Christ », il veut dire tout ensemble sa passion, sa mort, et sa résurrection... Si cet événement a eu lieu...  la face du monde est changée : Christ a fait la  paix par le sang de sa croix... On trouve de nombreuses affirmations de ce genre sous la plume de Paul ; pour lui, la croix du Christ est vraiment l’événement central de l’histoire de l’humanité. Et alors on ne peut plus penser comme avant, raisonner comme avant, vivre comme avant. Ceux qui affirment que le rite de la circoncision reste indispensable font comme si l’événement de la « croix du Christ » n’avait pas eu lieu. C’est pour cela que Paul les appelle les « ennemis de la croix du Christ ».

CITOYENS DES CIEUX

Apparemment, les Philippiens sont hésitants puisque Paul les met très sévèrement en garde. Dans un passage précédent, il a dit : « Prenez garde à ces chiens, prenez garde à ces mauvais ouvriers, avec leur fausse circoncision, prenez garde. Car c’est nous qui sommes les vrais circoncis, nous qui rendons notre culte par l’Esprit de Dieu, nous qui mettons notre fierté́ dans le Christ Jésus et qui ne plaçons pas notre confiance dans ce qui est charnel. » Là, Paul manie un peu le paradoxe : pour lui, les « vrais circoncis », ce sont ceux qui ne sont pas circoncis dans leur chair, mais qui sont baptisés en Jésus-Christ : ils misent toute leur existence et leur salut sur Jésus-Christ ; ils attendent leur salut de la Croix du Christ et non de leurs pratiques.

À l’inverse, et c’est là le paradoxe, il traite de « faux circoncis » ceux qui, justement, ont reçu la circoncision dans leur chair, selon la loi de Moïse. Car ils attachent à ce rite plus d’importance qu’au Baptême. Quand Paul dit « leur dieu c’est leur ventre », c’est à la circoncision qu’il fait allusion. Comment peut-on mettre en balance le rite extérieur de la circoncision et le Baptême qui transforme l’être tout entier des chrétiens en les plongeant dans le mystère de la mort et de la Résurrection du Christ ?

Nous sommes là au niveau du contenu de la foi ; mais Paul voit encore un autre danger, au niveau de l’attitude même du croyant ; là encore, de deux choses l’une : ou bien nous gagnons notre salut par nous-mêmes et par nos pratiques, ou bien nous le recevons gratuitement de Dieu. L’expression « leur dieu c’est leur ventre » va jusque-là : ces gens-là misent sur leurs pratiques juives mais ils se trompent. « Ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne tendent que vers les choses de la terre. » Adopter cette attitude-là, c’est faire fausse route : « Ils vont tous à leur perte », dit Paul.

Et il continue, indiquant ainsi le bon choix à ses chers Philippiens : « Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. » Dire que nous attendons Jésus Christ comme sauveur, c’est dire que nous mettons toute notre confiance en lui et pas en nous-mêmes et en nos mérites. Reprenons ce qu’il disait plus haut : « Car c’est nous qui sommes les vrais circoncis, nous qui rendons notre culte par l’Esprit de Dieu, nous qui mettons notre fierté dans le Christ Jésus et qui ne plaçons pas notre confiance dans ce qui est charnel. 

Et c’est là qu’il peut se poser en modèle : s’il y en avait un qui avait des mérites à faire valoir, selon la loi juive, c’était lui ; quelques versets plus haut, il écrivait : « J’aurais pourtant, moi aussi, des raisons de placer ma confiance dans la chair. Si un autre pense avoir des raisons de le faire, moi, j’en ai bien davantage : circoncis à huit jours, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils d’Hébreux ; pour l’observance de la loi de Moïse, j’étais pharisien ; pour ce qui est du zèle, j’étais persécuteur de l’Église ; pour la justice que donne la Loi, j’étais devenu irréprochable. Mais tous ces avantages que j’avais, je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte » (Phi 3,4-7). En résumé, prendre modèle sur Paul, c’est faire de Jésus Christ et non de nos pratiques le centre de notre vie ; c’est cela qu’il appelle être « citoyens des cieux ».
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT LUC  9, 28-36

            En ce temps-là,
28 Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques,          
            et il gravit la montagne pour prier.
29 Pendant qu'il priait,          
            l’aspect de son visage devint autre,  
            et son vêtement devint d'une blancheur éblouissante.
30 Voici que deux hommes s'entretenaient avec lui :          
            c'étaient Moïse et Élie,
31 apparus dans la gloire.      
            Ils parlaient de son départ     
            qui allait s’accomplir à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ;
            mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus,   
            et les deux hommes à ses côtés.
33 Ces derniers s’éloignaient de lui,
            quand Pierre dit à Jésus :      
            « Maître, il est bon que nous soyons ici !     
            Faisons trois tentes :  
            une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »    
            Il ne savait pas ce qu'il disait.
34 Pierre n'avait pas fini de parler,   
            qu'une nuée survint et les couvrit de son ombre ;    
            ils furent saisis de frayeur     
            lorsqu'ils y pénétrèrent.
35 Et, de la nuée, une voix se fit entendre :  
            « Celui-ci est mon Fils,         
            celui que j'ai choisi,   
            écoutez-le. »
36 Et pendant que la voix se faisait entendre,          
            il n’y avait plus que Jésus, seul.       
            Les disciples gardèrent le silence     
            et, en ces jours-là,
             ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu'ils avaient vu.
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UN MESSIE INATTENDU

Quelques jours avant la Transfiguration, au cours d'un temps de prière avec ses disciples, Jésus leur a posé la question cruciale : « Qui suis-je au dire des foules ? » Pierre a su répondre : « Tu es le Christ (c’est-à-dire le Messie) de Dieu ». Mais Jésus, aussitôt, a mis les choses au point : le Messie, oui, mais pas comme on l’attendait : la gloire, oui, mais pas à la manière des hommes : la gloire, c’est-à-dire la Présence de Dieu, mais sur la croix, la gloire de l’amour et aucune autre : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » (Lc 9,22).

Environ huit jours plus tard, Jésus conduit ses disciples Pierre, Jacques et Jean sur la montagne, il veut de nouveau aller prier avec eux. C’est ce moment de prière sur la montagne que Dieu choisit pour révéler à ces trois privilégiés le mystère du Messie. Car, ici, ce ne sont plus des hommes, la foule ou les disciples, qui donnent leur opinion, c’est Dieu lui-même qui apporte la réponse et nous donne à contempler le mystère du Christ : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le ! ».

Cette montagne de la Transfiguration nous fait penser au Sinaï ; et d’ailleurs Luc a choisi son vocabulaire de façon à évoquer le contexte de la révélation de Dieu au Sinaï : la montagne, la nuée, la gloire, la voix qui retentit, les tentes... Nous sommes moins étonnés, du coup, de la présence de Moïse et Élie aux côtés de Jésus. Quand on sait que Moïse a passé quarante jours sur le Sinaï en présence de Dieu et qu’il en est redescendu le visage tellement rayonnant que tous furent étonnés.

Quant à Élie, lui aussi marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne ; et c’est là que Dieu se révéla à lui de manière totalement inattendue : non pas dans la puissance du vent, du feu, du tremblement de terre, mais dans le doux murmure de la brise légère.

Ainsi, les deux personnages de l’Ancien Testament qui ont eu le privilège de la révélation de la gloire de Dieu sur la montagne sont également présents lors de la manifestation de la gloire du Christ. Luc est le seul évangéliste à nous préciser le contenu de leur entretien avec Jésus : « Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem » (en réalité, Luc emploie le mot « Exode »). Décidément, impossible de séparer la gloire du Christ de sa Croix. Ce n’est pas pour rien que Luc emploie le mot « Exode » en parlant de la Pâque du Christ. Comme la Pâque de Moïse avait inauguré l’Exode du peuple, de l’esclavage en Égypte vers la terre de liberté, la Pâque du Christ ouvre le chemin de la libération pour toute l’humanité.

« Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le ! » : « Fils », « Choisi », « Écoutez-le » : ces trois mots exprimaient au temps du Christ la diversité des portraits sous lesquels on imaginait le Messie : un Messie-Roi, un Messie-Serviteur, un Messie-Prophète. Je les reprends l’un après l’autre.

Le titre de « Fils de Dieu » était décerné aux rois le jour de leur sacre : « Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » était l’une des phrases du sacre ; « Choisi », c’est l’un des noms du serviteur de Dieu dont parle Isaïe dans les « Chants du serviteur » : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon Élu » (Is 42,1) ; quant à l’expression « Écoutez-le », c’est une allusion à la promesse que Dieu a faite à Moïse de susciter à sa suite un prophète : « Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles... » (Dt 18,18). Certains en déduisaient que le Messie attendu serait un prophète.

« Écoutez-le », ce n’est pas un ordre donné par un maître exigeant ou dominateur... mais une supplication ... « Écoutez-le », c’est-à-dire faites-lui confiance.

Pierre, émerveillé du visage transfiguré de Jésus, parle de s’installer : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes... » Mais Luc dit bien que « Pierre ne savait pas ce qu’il disait. » Il n’est pas question de s’installer à l’écart du monde et de ses problèmes : le temps presse ; Pierre, Jacques et Jean, ces trois privilégiés, doivent se hâter de rejoindre les autres. Car le projet de Dieu ne se limite pas à quelques privilégiés : au dernier jour, c’est l’humanité tout entière qui sera transfigurée ; comme dit saint Paul dans la lettre aux Philippiens « nous sommes citoyens des cieux. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 13 03 2022, 2e dimanche de Carême C

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