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11 juin 2019 2 11 /06 /juin /2019 22:42

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 15 juin 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DES PROVERBES    8, 22-31

 

       Écoutez ce que déclare la Sagesse de Dieu :
22   « Le SEIGNEUR m’a faite pour lui,
       principe de son action,
       première de ses œuvres, depuis toujours.
23   Avant les siècles j’ai été formée,
       dès le commencement, avant l’apparition de la terre.
24   Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée,
       quand n’étaient pas les sources jaillissantes.
25   Avant que les montagnes ne soient fixées,
       avant les collines, je fus enfantée,
26   avant que le SEIGNEUR n’ait fait la terre et l’espace,
       les éléments primitifs du monde.
27   Quand il établissait les cieux, j’étais là,
       quand il traçait l’horizon à la surface de l’abîme,
28   qu’il amassait les nuages dans les hauteurs
       et maîtrisait les sources de l’abîme,
29   quand il imposait à la mer ses limites,
       si bien que les eaux ne peuvent enfreindre son ordre,
       quand il établissait les fondements de la terre.
30   Et moi, je grandissais à ses côtés.
       Je faisais ses délices jour après jour,
       jouant devant lui à tout moment
31   jouant dans l’univers, sur sa terre,
       et trouvant mes délices avec les fils des hommes. »
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Pour les hommes de la Bible, il ne fait pas de doute que Dieu conduit le monde avec sagesse !  « Tu as fait toutes choses avec sagesse » dit le psaume 103 (104) que nous avons chanté pour la Pentecôte. C’est même tellement une évidence qu’on en arrive à écrire des discours entiers sur ce sujet. C’est le cas du texte que nous venons de lire : il s’agit d’une véritable prédication sur le thème : « Mes frères, n’engagez pas vos vies sur des fausses pistes. Dieu seul connaît ce qui est bon pour l’homme ; conformez-vous à l’ordre des choses qu’il a établi depuis les origines du monde, c’est le seul moyen d’être heureux. »

Pour donner plus de poids à sa prédication, l’auteur fait parler la sagesse elle-même comme si elle était une personne. Mais ne nous y trompons pas : ce n’est qu’un artifice littéraire ; la preuve, c’est qu’au chapitre suivant, Dame Folie parle aussi. 

Pour l’instant donc, c’est Dame Sagesse qui se présente à nous : première remarque, elle ne parle pas d’elle toute seule... elle ne parle d’elle qu’en fonction de Dieu, comme s’ils étaient inséparables. « Le SEIGNEUR m’a faite POUR LUI principe de son action... Avant les siècles, j’ai été fondée (sous-entendu par Dieu)... Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée (sous-entendu par Dieu)... Lorsque Dieu établissait les fondements de la terre, j’étais là à ses côtés... » Donc entre Dieu et la Sagesse existe une relation de très forte intimité... La foi juive au Dieu unique n’a jamais envisagé un Dieu-Trinité : mais il semble bien ici, que, sans abandonner l’unicité de Dieu, elle pressent qu’au sein même du Dieu UN, il y a un mystère de dialogue et de communion.

Deuxième remarque : « AVANT » est un mot qui revient très souvent dans ce passage ! « Le SEIGNEUR m’a faite AVANT ses œuvres les plus anciennes... AVANT les siècles, j’ai été fondée ... DÈS LE COMMENCEMENT, AVANT l’apparition de la terre. Quand les abîmes n’existaient PAS ENCORE, qu’il n’y avait PAS ENCORE les sources jaillissantes, je fus enfantée. AVANT que les montagnes ne soient fixées, AVANT les collines, je fus enfantée. Alors que Dieu n’avait fait ni la terre, ni les champs, ni l’argile primitive du monde, lorsqu’il affermissait les cieux, J’ÉTAIS LA ... » C’est clair : le leitmotiv est bien : « J’étais là de toute éternité, AVANT toute création »...  Il y a donc là une insistance très forte sur l’antériorité de celle qui se prénomme la Sagesse par rapport à toute création.

Troisième remarque, la Sagesse joue un rôle dans la Création : « Lorsque Dieu imposait à la mer ses limites, pour que les eaux n’en franchissent pas les rivages, lorsqu’il établissait les fondements de la terre, j’étais à ses côtés, comme un maître d’œuvre ». Pour une œuvre si belle qu’elle engendre une véritable jubilation : « J’y trouvais mes délices jour après jour, jouant devant lui à tout instant, jouant sur toute la terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes. »  La Sagesse est auprès de Dieu et « elle trouve ses délices » auprès de Dieu... elle est auprès de nous... et « elle trouve ses délices » auprès de nous. On entend là comme un écho du refrain de la Genèse : « Dieu vit que cela était bon » ; plus encore, au sixième jour, tout de suite après la création de l’homme qui était comme le couronnement de toute son œuvre, « Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voilà, c’était très bon ! » (Gn 1,31).

Du coup, ce texte nous révèle un aspect particulier et éminemment positif de la foi d’Israël : la Sagesse éternelle a présidé à toute l’œuvre de Création : l’insistance du texte est très forte là-dessus ; on peut en déduire deux choses : premièrement, depuis l’aube du monde, l’humanité et le cosmos baignent dans la Sagesse de Dieu. Deuxièmement, le monde créé n’est donc pas désordonné puisque la Sagesse en est le maître d’œuvre. Cela devrait nous engager à ne jamais perdre confiance. Enfin, c’est bien la folie de la foi d’oser croire que Dieu est sans cesse présent à la vie des hommes, et plus encore qu’il trouve ses délices en notre compagnie... C’est une folie, mais le fait est là : si Dieu continue inlassablement de proposer son Alliance d’amour, c’est bien parce qu’il « trouve jour après jour ses délices avec les fils des hommes ».

Reste une question : pourquoi ce texte nous est-il proposé pour la fête de la Trinité ? Pas une fois on n’entend parler de Trinité dans ces lignes, ni même des mots Père, Fils et Esprit.

En ce qui concerne le Livre des Proverbes, cela n’a rien d’étonnant puisque quand il a été écrit, il n’était pas question de Trinité : non seulement, le mot n’existait pas, mais l’idée même de Trinité n’effleurait personne. Au début, pour le peuple élu, la première urgence était de s’attacher au Dieu Unique ; d’où la lutte farouche de tous les prophètes contre l’idolâtrie et le polythéisme parce que la vocation de ce peuple est précisément d’être témoin du Dieu unique ; n’oublions pas cette phrase du livre du Deutéronome : « À toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu ; il n’y en a pas d’autre que lui. »

Première étape, donc, découvrir que Dieu est UN ; pas question de parler de plusieurs personnes divines ! Plus tard seulement, les croyants apprendront que ce Dieu unique n’est pas pour autant solitaire, il est Trinité. Ce mystère de la vie trinitaire n’a commencé à être deviné que dans la méditation du Nouveau Testament, après la résurrection du Christ. À ce moment-là, quand les Apôtres et les écrivains du Nouveau Testament ont commencé à entrevoir ce mystère, ils se sont mis à scruter les Écritures et ils ont donc fait ce qu’on appelle une relecture ; et en particulier, ils ont relu les lignes que nous venons d’entendre et qui parlent de la Sagesse de Dieu et ils y ont lu en filigrane la personne du Christ.

Saint Jean, par exemple, écrira : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu... » et vous savez combien cette expression en grec dit une communion très profonde, un dialogue d’amour ininterrompu. Le livre des Proverbes, lui, n’en était pas encore là.

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Complément

Irénée et Théophile d’Antioche ont identifié la Sagesse avec l’Esprit, tandis qu’Origène l’identifiait avec le Fils. C’est cette deuxième interprétation qui a finalement été retenue par la théologie.

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PSAUME  8

 

4             À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts,           
               la lune et les étoiles que tu fixas,
5             qu'est-ce que l'homme pour que tu penses à lui ?    
               le fils d'un homme, que tu en prennes souci ?

6             Tu l'as voulu un peu moindre qu'un dieu,    
               le couronnant de gloire et d'honneur ;
7             tu l'établis sur les œuvres de tes mains,       
               tu mets toute chose à ses pieds :             

8             les troupeaux de bœufs et de brebis,           
               et même les bêtes sauvages,
9             les oiseaux du ciel et les poissons de la mer,           
               tout ce qui va son chemin dans les eaux.
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« À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas... » Peut-être sommes-nous dans le cadre d’une célébration de nuit ; hypothèse tout à fait vraisemblable, puisque le prophète Isaïe fait parfois allusion à des célébrations nocturnes, par exemple quand il dit : « Vous chanterez comme la nuit où l’on célèbre la fête, vous aurez le cœur joyeux... » (Is 30,29). Imaginons donc que nous sommes un soir d’été, à Jérusalem, au cours d’un pèlerinage, une célébration à la belle étoile.

Nous n’avons pas lu ce psaume en entier, mais si nous nous reportons à notre Bible, ce qui saute aux yeux dès la lecture de ce psaume, c’est que la première et la dernière phrases sont exactement identiques ! « O SEIGNEUR notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! » Donc pas besoin de chercher plus loin le thème de ce psaume : c’est une hymne à la grandeur de Dieu !

Au passage, d’ailleurs, remarquons que le nom employé pour Dieu ici, c’est une fois de plus le nom de l’Alliance, les fameuses quatre lettres, YHVH, le Nom très saint qu’on ne prononce jamais : donc, même si le mot Alliance n’est pas employé une seule fois, il est sous-entendu ; c’est le peuple de l’Alliance qui s’exprime ici.

Revenons à cette phrase qui est répétée au début et à la fin : « O SEIGNEUR notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! »  On a donc là une parfaite symétrie... Elle encadre quoi ? Une méditation sur l’homme. Cette construction est très intéressante. À la fois, l’homme est bien au centre de la création, ET en même temps tout, y compris l’homme, est rapporté à Dieu : Lui seul agit et l’homme contemple...Tout est « ouvrage des doigts de Dieu », tout est « œuvre de tes mains... Tu fixas les étoiles...Tu penses à l’homme, Tu en prends souci, Tu le couronnes de gloire et d’honneur, Tu l’établis sur l’œuvre de tes mains, Tu mets toute chose à ses pieds ».

La « couronne » de l’homme, c’est le cosmos justement : et ce n’est certainement pas un hasard si le psaume est construit de telle manière que l’énumération des œuvres créées par Dieu encadrent l’homme, lui faisant comme une couronne. Si on reprend la structure globale de ce psaume, il se présente comme des cercles concentriques : au centre l’homme « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ; tu l’établis sur l’œuvre de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds  »... Puis un premier cercle, la Création : de part et d’autre des versets concernant l’homme : d’un côté le ciel étoilé, et la lune... de l’autre tous les êtres vivants : troupeaux, bêtes sauvages, oiseaux, poissons... Puis deuxième cercle, la fameuse phrase répétée : l’homme contemple le vrai roi de la Création : « O SEIGNEUR notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! »

La royauté de Dieu est dite déjà par le mot « grand », un mot du langage de cour qui dit la puissance du roi vainqueur. Elle est dite aussi bien entendu par le mot « splendeur ». Ce roi est vainqueur de l’adversaire, de l’ennemi, sans difficulté apparemment, puisqu’il se contente pour rempart d’un gazouillis de nourrisson ; (la traduction de ce verset est très discutée... nous choisissons ici la traduction liturgique, puisque c’est celle-ci que nous entendons à la Messe et elle est très suggestive) : « Jusqu’aux cieux, ta splendeur est chantée par la bouche des enfants, des tout-petits : rempart que tu opposes à l’adversaire, où l’ennemi se brise en sa révolte ». (Sous-entendu le chant des tout-petits : voilà le rempart que tu opposes à tes ennemis ; cela suffit).

Cette royauté, Dieu ne la garde pas jalousement pour lui : puisqu’il couronne l’homme à son tour. L’homme aussi a droit à un vocabulaire royal : l’homme est « à peine moindre qu’un dieu »... il est « couronné »... toutes choses sont « à ses pieds » : il y a là l’image d’un trône royal : les sujets se prosternent en bas des marches. Pour dire la même chose, le livre de la Genèse avait raconté la création de l’homme comme intervenant en dernier après toutes les autres choses, après tous les autres êtres vivants, pour bien montrer que l’homme était au sommet ; et puis le livre de la Genèse encore avait montré l’homme donnant un nom à toutes les créatures, ce qui est un signe de supériorité, de maîtrise... Dans la Création, la vocation de l’homme est bien d’être le roi de la Création : Au premier couple humain, Dieu avait dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! » (Gn 1,28).

Je reviens sur la phrase : « À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? »  Belle manière de dire la présence de Dieu auprès de l’homme, sa sollicitude.

Évidemment, un tel psaume respire la joie de vivre ! Mais il peut bien arriver dans nos vies des jours où cette présence de Dieu auprès de l’homme sera ressentie comme pesante. C’est ce qui arrive à Job un jour de grande souffrance : il était un grand croyant, un priant et il connaissait ce psaume par cœur, très certainement ; eh bien, un jour, dans son désespoir, il en arrive à regretter d’avoir chanté ce psaume avec tant d’enthousiasme, quand tout allait bien : et il va jusqu’à dire : « Laisse-moi... Quand cesseras-tu de m’épier ?... Espion de l’homme... Qu’est-ce qu’un mortel pour en faire si grand cas, pour fixer sur lui ton attention ? » Ce jour-là, sa foi a bien failli basculer ; et certains d’entre nous, trop éprouvés, connaissent ce vertige ; mais pour eux, comme pour nous tous, comme pour Job, Dieu veille et continue quoi qu’il arrive à « prendre souci de l’homme ».

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Complément

La Bible est un livre « heureux » ! Tout ce psaume respire la joie. La joie devant la splendeur de Dieu, et aussi devant la splendeur de l’homme. Ce roi humain de la Création se soumet à son tour à Celui qui en est le vrai Maître : il reconnaît sa petitesse, il reconnaît qu’il doit tout à son Créateur.

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   5,1-5

 

       Frères,
1     nous qui sommes devenus justes par la foi,
       nous voici en paix avec Dieu
       par notre Seigneur Jésus Christ,
2     lui qui nous a donné, par la foi,
       l’accès à cette grâce
       dans laquelle nous sommes établis ;
       et nous mettons notre fierté
       dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu.
3     Bien plus, nous mettons notre fierté
       dans la détresse elle-même,
       puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ;
4     la persévérance produit la vertu éprouvée ;
       la vertu éprouvée produit l’espérance ;
5     et l’espérance ne déçoit pas,
       puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs
       par l’Esprit Saint qui nous a été donné.
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Nous sommes à Rome, au temps de l'empereur Néron, en l’an 57 ou 58 après Jésus Christ ; comme dans presque toutes les villes du Bassin Méditerranéen, il y a une colonie juive ; on l'évalue à quelques dizaines de milliers de personnes ; et comme partout, certains de ces Juifs ont reconnu en Jésus de Nazareth le Messie promis, d'autres non ; première scission grave parmi les Juifs : désormais il y aura les Juifs et ceux qu'on appelle les Judéo-chrétiens, chaque clan traitant l'autre d'hérétique ou de déviant. Et puis il y a aussi tous les anciens païens devenus chrétiens : on les appelle les pagano-chrétiens ; les relations sont difficiles entre ces chrétiens d'origine païenne avec toutes les séquelles possibles d'idolâtrie et les chrétiens d'origine juive, restés parfois très attachés à leurs pratiques religieuses ; nous avons déjà rencontré des traces de ces difficultés dans les lettres de Paul aux Philippiens et aux Galates. Dans toutes les communautés, et particulièrement à Rome, ces conflits se durcissent au fil des années et dans sa lettre aux Romains, Paul se donne pour tâche de ramener la paix.

La communauté chrétienne est donc composée d’anciens Juifs et d’anciens païens. Or la grande question qui se pose, comme dans beaucoup des premières communautés est la suivante : puisque Dieu a choisi le peuple juif pour annoncer le salut au monde, puisque Jésus, le Messie était Juif, ne devrait-on pas demander aux anciens païens de devenir juifs avant de devenir chrétiens ? Concrètement, ne devrait-on pas leur imposer la circoncision et toutes les pratiques juives ?

Le grand argument de Paul : vous, chrétiens, quel que soit votre passé, vous êtes tous égaux devant le salut ; car c'est le Christ qui vous sauve, et lui seul. Bien sûr, les Juifs n'avaient pas attendu les chrétiens pour savoir que c'est la foi qui sauve et non les mérites de l'homme. Mais certains chrétiens d'origine juive revendiquent le privilège d'être l'unique peuple de l'Alliance. Ils sont, eux, les descendants d'Abraham, les païens ne peuvent pas en dire autant. À ceux-ci Paul a répondu au chapitre 4 en faisant remarquer qu'Abraham a été déclaré juste par Dieu bien avant d'être circoncis !  Car Abraham était un païen quand il a entendu l'appel de Dieu et c'est la confiance et elle seule qui l’a inspiré quand il a obéi : Dieu lui a dit « Va pour toi, quitte ton pays, va vers le pays que je te montrerai » ... et la suite du texte dit simplement : « Abram partit comme le SEIGNEUR le lui avait dit » (Gn 12). Et, un peu plus loin, le même livre de la Genèse dit encore : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et, pour cela, le SEIGNEUR le considéra comme juste » (Gn 15, 6). Et saint Paul, ici, se réfère évidemment à cette histoire exemplaire d’Abraham. Dans ce chapitre 4 de la lettre aux Romains, il cite quatre fois cette phrase de la Genèse ; ce qui veut dire qu’il y a là pour lui un argument de poids. Ailleurs, dans la lettre aux Galates, il le dit expressément : « Puisque Abraham eut foi en Dieu et que cela lui fut compté comme justice, comprenez-le donc, ce sont les croyants qui sont fils d’Abraham » (Gal 3, 6). Ce qui revient à dire : Abraham, le croyant, est le père de tous les croyants, qu’ils soient ou non circoncis. Donc pas question de se battre entre chrétiens sur ce terrain.

Voilà qui explique la première phrase de notre texte d’aujourd’hui : « Dieu a fait de nous des justes par la foi » ; et pour bien faire entendre que le salut est pur don gratuit de Dieu, et que seul l’abandon confiant de la foi nous est demandé, il répète l’expression « par la foi » : « Dieu a fait de nous des justes par la foi ; nous sommes ainsi en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a donné, par la foi, l’accès au monde de la grâce dans lequel nous sommes établis. » Et les verbes sont au passé : justifiés, nous le sommes tous depuis la mort et la résurrection du Christ, c’est chose faite. Désormais, nous vivons dans l’intimité de Dieu, ce que Paul appelle « le monde de la grâce ».

L’émerveillement de saint Paul, et de tout croyant, c’est que par pure grâce de Dieu, nous participons à la justice du Christ : par notre foi en lui, et par elle seule, nous sommes réintégrés dans l’Alliance de Dieu, dans la communion trinitaire. Ici, pas plus que dans le livre des Proverbes, nous ne lisons le mot « Trinité »... mais quand Paul parle du « monde de la grâce », c’est bien de cela qu’il est question ; d’ailleurs, on ne peut pas s’empêcher de remarquer que Paul, contemplant le mystère de Dieu, le fait spontanément en termes trinitaires ; en particulier dans ces deux phrases : « Nous sommes en paix avec Dieu par Jésus-Christ »... et « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ».

Cela ne veut pas dire que tout sera toujours facile ! Paul parle de « détresse » que traversent ses lecteurs ; mais la détresse elle-même peut être chemin vers Dieu. « La détresse produit la persévérance ; la persévérance produit la valeur éprouvée ; la valeur éprouvée produit l’espérance... »  L’espérance est une vertu de pauvre : elle est au bout d’un long chemin de dépouillement ; elle est au-delà de nos découragements, de nos acharnements, de nos « quand même », elle naît quand nous sommes complètement remis à la confiance en Dieu, quand nous avons acquis la sérénité parce que notre œuvre n’est pas la nôtre en réalité, mais la sienne... Car « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » : au fait, « l’amour DE Dieu » : on pourrait évidemment se demander le sens de la préposition « de » ici : est-ce l’amour que Dieu nous porte ou l’amour que nous portons à Dieu ? Mais c’est une mauvaise question : l’Esprit Saint répand en nos cœurs l’amour même que Dieu porte à l’humanité et, à notre tour, nous devenons capables d’aimer. Et ainsi, peu à peu, nous entrons davantage dans la communion trinitaire dès maintenant. C’est cela que Paul appelle « avoir part à la gloire de Dieu ». « Notre orgueil, c’est d’espérer avoir part à la gloire de Dieu... et l’espérance ne trompe pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ».

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Complément

Il est particulièrement suggestif de lire cette lettre de Paul aux Romains et surtout le verset 5 juste après la fête de la Pentecôte !

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN     16, 12 - 15

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à ses disciples :
12   « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire,
       mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.
13   Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité,
       il vous conduira dans la vérité tout entière.
       En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même :
       mais ce qu’il aura entendu, il le dira ;
       et ce qui va venir, il vous le fera connaître.
14   Lui me glorifiera,
       car il recevra ce qui vient de moi
       pour vous le faire connaître.
15   Tout ce que possède le Père est à moi ;
       voilà pourquoi je vous ai dit :
       L’Esprit reçoit ce qui vient de moi
       pour vous le faire connaître. »
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Avant de nous aventurer dans ce texte de saint Jean, il faut plus que jamais nous « habiller le cœur » (comme disait Saint-Exupéry) : en cette dernière soirée de sa vie terrestre, Jésus n’emploie pas le mot « Trinité » ; il fait beaucoup plus et beaucoup mieux : il nous introduit dans ce grand mystère, dans l’intimité même de la Trinité. Mais pour percevoir ce mystère d’amour et de communion, il faudrait que nous lui soyons accordés, que nous soyons nous-mêmes feu brûlant d’amour et de communion ; or, nous ressemblons plutôt à du bois trop vert mis au contact du feu : bien difficile de le faire « prendre ».

Ce que Jésus nous dit ici, entre autres choses, c’est que l’Esprit de Dieu, le feu, va venir en nous : il va s’installer au cœur du bois vert. Nous sommes encore dans le contexte du dernier repas de Jésus avec ses disciples, au soir du Jeudi saint : Jésus fait ses adieux et prépare ses disciples aux événements qui vont suivre. Il révèle le maximum de son mystère, mais il y a des choses qu’ils ne peuvent pas encore comprendre : « J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous n’avez pas la force de les porter ».

L’histoire de l’humanité, comme toute histoire humaine est celle d’un long cheminement. Comme nous, parents ou éducateurs, accompagnons ceux qui nous sont confiés dans leur éveil progressif, Dieu accompagne l’humanité dans sa longue marche. Tout au long de l’histoire biblique, Dieu s’est révélé progressivement à son peuple : ce n’est que peu à peu que le peuple élu a abandonné ses croyances spontanées pour découvrir toujours un peu mieux le vrai visage de Dieu. Mais ce n’est pas fini : la preuve, c’est la difficulté des propres disciples de Jésus à le reconnaître comme le Messie, tellement il était différent du portrait qu’on s’en était fait d’avance.

Et ce long chemin de découverte de Dieu n’est pas encore terminé, il n’est jamais terminé : il continuera jusqu’à l’accomplissement du projet de Dieu. Tout au long de ce cheminement, l’Esprit de vérité nous accompagne pour nous guider vers la vérité tout entière... La vérité semble bien être l’un des maîtres-mots de ce texte : à en croire ce que nous lisons, la vérité est un but et non pas un acquis : « L’Esprit de vérité vous guidera vers la vérité tout entière »... Cela devrait nous interdire de nous disputer sur des questions de théologie... puisqu’aucun de nous ne peut prétendre posséder la vérité tout entière !

D’autre part, elle n’est pas d’ordre intellectuel, elle n’est pas un savoir ; puisque, dans le même évangile de Jean, Jésus dit « je suis la Vérité ». Alors nous comprenons pourquoi dans le texte d’aujourd’hui, il emploie plusieurs fois le verbe « connaître » : « Ce qui va venir, il vous le fera connaître... il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître ». En langage biblique on sait bien que « connaître » désigne une expérience de vie et non pas un savoir. À tel point que ce mot « Connaître », est celui qui est employé pour l’union conjugale. L’expérience de l’amour ne s’explique pas, on peut seulement la vivre et s’en émerveiller.

L’Esprit va habiter en nous, nous pénétrer, nous guider vers le Christ qui est la Vérité... alors, peu à peu,  la révélation du mystère de Dieu ne nous sera plus extérieure : nous en aurons la perception intime : là encore, j’entends un écho des promesses des prophètes : « ils me connaîtront tous du plus grand au plus petit ».

Je reviens sur la phrase : « J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant vous n'avez pas la force de les porter. » Pourquoi les apôtres n’ont-ils pas « la force de les porter » ? Parce qu’ils n’ont pas encore reçu l’Esprit-Saint, semble-t-il. Cela veut dire que si nous désirons vraiment pénétrer un peu plus dans la connaissance des mystères de Dieu, il nous faut résolument invoquer l’Esprit-Saint.

Dernière remarque : « Ce qui va venir, il vous le fera connaître ». « Ce qui va venir » : n’attendons pas des révélations à la manière des voyants... il s’agit de beaucoup plus grand : c’est le grand projet de Dieu qui se réalise dans l’histoire humaine : ce que saint Paul appelle « le dessein bienveillant » et qui est, justement, l’entrée de l’humanité tout entière dans la vie intime de la Trinité. « Il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » : il n’est pas question, là non plus, de nous placer sur un plan intellectuel : ce ne sont pas les idées de Jésus qu’il va nous faire comprendre. C’est l’expérience même de sa vie qu’il va nous faire revivre à notre tour. Le cheminement même de l’homme-Jésus vécu avec l’Esprit-Saint devient le nôtre.

Les Tentations au désert, c’est l’Esprit d’amour qui lui permet de les surmonter ; c’est encore l’Esprit qui le conduit dans toute sa mission, qui inspire ses paroles et ses actes... qui lui donne l’audace des miracles... jusqu’à la dernière audace de l’abandon total à Gethsémani. C’est cela la vérité tout entière du Christ, celle vers laquelle nous cheminons à travers l’expérience de nos vies. C’est cet Esprit qui nous habite désormais et qui nous donne à notre tour toutes les audaces de la mission. On est loin d’un savoir intellectuel ! C’est à l’expérience même de l’intimité de Dieu que nous sommes invités...

Au fond, quand nous célébrons la Fête de la Trinité, nous ne contemplons pas de loin un mystère impénétrable, nous célébrons déjà la grande fête de la fin des temps : celle de l’entrée de l’humanité dans la Maison de Dieu.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, la Sainte Trinité (16 juin 2019)

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