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28 février 2023 2 28 /02 /février /2023 23:02
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE LA GENÈSE  12, 1-4a

     En ces jours-là,
1   le SEIGNEUR dit à Abram :
     « Quitte ton pays,
     ta parenté et la maison de ton père,
     et va vers le pays que je te montrerai.
2   Je ferai de toi une grande nation,
     je te bénirai,
     je rendrai grand ton nom,
     et tu deviendras une bénédiction.
3   Je bénirai ceux qui te béniront ;
     celui qui te maudira, je le réprouverai.
     En toi seront bénies
     toutes les familles de la terre. »
4   Abram s’en alla, comme le SEIGNEUR le lui avait dit,
     et Loth s’en alla avec lui.
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ABRAM S’EN ALLA COMME LE SEIGNEUR LE LUI AVAIT DIT

Les quelques lignes que nous venons de lire sont le premier acte de toute l’aventure de notre foi, la foi des Juifs d’abord, bien sûr, puis dans l’ordre chronologique, des chrétiens, et des Musulmans. Nous sommes au deuxième millénaire av. J.-C. Abram* vivait en Chaldée, c’est-à dire en Irak, et plus précisément, à l’extrême Sud-Est de l’Irak, dans la ville de OUR, dans la vallée de l’Euphrate, près du golfe persique. Il y vivait avec sa femme, Saraï ; chez son père Térah, et avec ses frères, (Nahor et Haran), et son neveu Loth. Abram avait soixante-quinze ans, sa femme Saraï soixante-cinq ; ils n’avaient pas d’enfant, et donc, vu leur âge, ils n’en auraient plus jamais.

Un jour le vieux père, Térah, prit la route avec Abram, Saraï et son petit-fils Loth.  La caravane remonte la vallée de l’Euphrate du Sud-Est au Nord-Ouest avec l’intention de redescendre vers le pays de Canaan ; il y aurait une route plus courte, bien sûr, que ce grand triangle pour relier le golfe persique à la Méditerranée mais elle traverse un immense désert ; Térah et Abram préfèrent emprunter le « Croissant Fertile » qui porte bien son nom. Leur dernière étape au Nord-Ouest s’appelle Harran. C’est là que le vieux père, Térah, meurt.

C’est là, surtout, que pour la première fois, il y a donc presque 4000 ans, vers 1850 av. J.-C., Dieu parla à Abram. « Quitte ton pays », dit notre traduction liturgique, mais elle omet les deux premiers mots, probablement pour éviter les excès d’interprétation dont on ne s’est pas toujours privés. En réalité, en hébreu, les deux premiers mots sont « Toi, Va ! » Grammaticalement, cela ne veut rien dire d’autre. C’est un appel personnel, une mise à part : il s’agit bien d’un récit de vocation. Et c’est à ce simple appel qu’Abram a répondu. On aime souvent traduire « Va pour toi », mais c’est déjà une surinterprétation croyante. J’y reviendrai. Il y a eu pire : « Va vers toi-même » est de la pure fantaisie, injuste par rapport au texte.

Je reviens à la traduction « Va pour toi » : il faut être conscient que l’on s’éloigne de la littéralité du texte pour entrer dans une interprétation, un commentaire spirituel. C’est Rachi, le grand commentateur juif du 11ème siècle (à Troyes en Champagne), qui traduit « Va pour toi, pour ton bien et pour ton bonheur ». Effectivement, c’est ce qu’Abram a expérimenté au long des jours.

Si Dieu appelle l’homme, c’est pour le bonheur de l’homme, pas pour autre chose ! Le dessein bienveillant de Dieu sur l’humanité est dans ces deux petits mots « Pour toi ». Déjà Dieu se révèle comme celui qui veut le bonheur de l’homme, de tous les hommes** ; s’il faut retenir une chose, c’est celle-là ! « Va pour toi » : un croyant c’est quelqu’un qui sait que, quoi qu’il arrive, Dieu l’emmène vers son accomplissement, vers son bonheur. Voilà donc la première parole de Dieu à Abram, celle qui a déclenché toute son aventure... et la nôtre !

« Toi, Va, quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai ». Et la suite n’est que promesses : « Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction... En toi seront bénies toutes les familles de la terre ». Abram est arraché à son destin naturel, choisi, élu par Dieu, investi d’une vocation d’ampleur universelle.

Abram, pour l’heure, est un nomade, riche peut-être, mais inconnu, et il n’a pas d’enfant, et sa femme, Saraï, a largement passé l’âge d’en avoir. C’est lui, pourtant, que Dieu choisit pour en faire le père d’un grand peuple. Voilà ce que voulait dire le « pour toi » de tout à l’heure : Dieu lui promet tout ce qui, à cette époque-là, fait le bonheur d’un homme : une descendance nombreuse et la bénédiction de Dieu.

 

CE SONT LES CROYANTS QUI SONT FILS D’ABRAHAM

Mais ce bonheur promis à Abram n’est pas pour lui seul : dans la Bible, jamais aucune vocation, aucun appel n’est pour l’intérêt égoïste de celui qui est appelé. C’est même l’un des critères d’une vocation authentique : toute vocation est toujours pour une mission au service des autres. Ici, il y a cette phrase « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ». Elle veut dire au moins deux choses : premièrement, ta réussite sera telle que tu seras pris comme exemple : quand on voudra se souhaiter du bonheur, on se dira « puisses-tu être heureux comme Abram ». Ensuite, ce « en toi » peut signifier « à travers toi » ; et alors cela veut dire « à travers toi, moi, Dieu, je bénirai toutes les familles de la terre ».

Le projet de bonheur de Dieu passe par Abram, mais il le dépasse, il le déborde ; il concerne toute l’humanité : « En toi, à travers toi, seront bénies toutes les familles de la terre ». Tout au long de l’histoire d’Israël, la Bible restera fidèle à cette découverte première : Abraham et ses descendants sont le peuple élu, choisi par Dieu, dans le mystère impénétrable de sa volonté, mais c’est au bénéfice de l’humanité tout entière, et cela depuis le premier jour, depuis la première annonce à Abram. Reste que les autres nations demeurent libres de ne pas entrer dans cette bénédiction ; c’est le sens de la phrase un peu curieuse à première vue : « Je bénirai ceux qui te béniront, celui qui te maudira, je le réprouverai. » C’est une manière de dire notre liberté : tous ceux qui le désirent pourront participer à la bénédiction promise à Abram, mais personne n'est obligé d'accepter !

 Et voilà ! L’heure du grand départ a sonné ; le texte est remarquable par sa sobriété ; il dit simplement « Abram s’en alla comme le SEIGNEUR le lui avait dit, et Loth s'en alla avec lui ». On ne peut pas être plus laconique ! Ce départ, sur simple appel de Dieu, est la plus belle preuve de foi ; quatre mille ans plus tard, nous pouvons dire que notre propre foi a sa source dans celle d’Abraham ; et si nos vies tout entières sont illuminées par la foi, c’est grâce à lui ! Ce que saint Paul exprime dans la lettre aux Galates quand il dit « Ceux qui se réclament de la foi, ce sont eux, les fils d’Abraham... Ainsi, ceux qui se réclament de la foi sont bénis avec Abraham, le croyant » (Ga 3,7...9). Et toute l’histoire humaine est ainsi devenue le lieu de l’accomplissement de ces promesses de Dieu à Abraham. Accomplissement lent, accomplissement progressif, mais accomplissement sûr et certain.
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Note

*Au début de cette grande aventure, celui que nous appelons Abraham ne s’appelait encore que « Abram » ; c’est plus tard, après des années de pèlerinage, si l'on peut dire, qu’Abram recevra de Dieu son nouveau nom, celui sous lequel nous le connaissons, « Abraham » qui veut dire « père des multitudes ». Et c’est vrai que nous sommes des multitudes, répandus sur toute la terre, à le reconnaître comme notre père dans la foi. Saraï, elle aussi, plus tard, recevra de Dieu un nouveau nom et s’appellera Sara.

** Ce « pour toi » ne doit pas être entendu comme exclusif, mais on ne l’a pas compris tout de suite. Ce n’est qu’après une longue découverte de l’Alliance de Dieu que les croyants ont pu accéder à la vérité tout entière : le projet de Dieu ne concerne pas seulement Abraham et ses descendants, il concerne l’humanité tout entière. C’est ce que l’on appelle l’universalité du projet de Dieu. Cette découverte date de l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant J.C.

Complément

Dans un autre moment crucial de la vie d’Abraham, au moment de l’offrande d’Isaac, Dieu emploiera la même expression « Toi, Va » pour lui rappeler tout le chemin déjà parcouru et lui donner la force d’affronter l’épreuve.

Et quand l’auteur de la lettre aux Hébreux veut dire ce qu’est la foi, il prend pour exemple ce départ d’Abraham qui ressemblait fort à un saut dans l’inconnu, justifié par sa seule confiance en Dieu : « Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait. Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré dans la Terre Promise, comme en terre étrangère... Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré́ son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà̀ marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable. » (He 11,8...12).
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PSAUME 32 (33),4-5.18-19.20.22

4   Oui, elle est droite, la parole du SEIGNEUR ;
     il est fidèle en tout ce qu'il fait.
5   Il aime le bon droit et la justice ;
     la terre est remplie de son amour.

18 Dieu veille sur ceux qui le craignent,
     qui mettent leur espoir en son amour,
19 pour les délivrer de la mort,
     les garder en vie aux jours de famine.

20 Nous attendons notre vie du SEIGNEUR :
     il est pour nous un appui, un bouclier.
22 Que ton amour, SEIGNEUR, soit sur nous,
     comme notre espoir est en toi.
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UN CARÊME À L’IMAGE D’ADAM OU À L’IMAGE D’ABRAHAM ?

Nous avons entendu trois fois le mot « amour » dans ces quelques versets ; et cette insistance répond fort bien à notre première lecture de ce dimanche : Abraham est le premier de toute l’histoire humaine à avoir découvert que Dieu est amour et qu’il forme pour l’humanité des projets de bonheur. Encore fallait-il croire à cette révélation extraordinaire. Et Abraham a cru, il a accepté de faire confiance, simplement, aux paroles d’avenir que Dieu lui annonçait. Un vieillard sans enfant, pourtant, aurait eu toutes les bonnes raisons de douter de cette promesse invraisemblable de Dieu. Rappelons-nous le texte de notre première lecture : Dieu lui dit « Quitte ton pays... je ferai de toi une grande nation. » Et le texte de la Genèse conclut : « Abram s’en alla comme le SEIGNEUR le lui avait dit. »

Bel exemple pour nous en début de Carême : il faudrait croire en toutes circonstances que Dieu fait des projets de bonheur sur nous. C’était bien le sens de la phrase qui a été prononcée sur nous le mercredi des Cendres : « Convertissez-vous et croyez à l’évangile (ou à la Bonne Nouvelle) » : ce qui signifie : « Se convertir, c’est croire une fois pour toutes que la Nouvelle est Bonne ; que Dieu est Amour ». Jérémie disait de la part de Dieu : « Moi, je connais les pensées que je forme à votre sujet – oracle du SEIGNEUR -, pensées de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29,11).

Et ainsi, nos deux premiers dimanches de Carême nous invitent à un choix : pour le premier dimanche de Carême, nous avons relu dans le livre de la Genèse l’histoire d’Adam, c’est-à-dire l’homme qui soupçonne Dieu ; devant une interdiction (celle de manger du fruit d’un arbre) interdiction qui est seulement une mise en garde, l’homme qui ne croit pas résolument à l’amour de Dieu imagine que Dieu pourrait avoir des mauvaises intentions sur l’homme, et peut-être même qu’il pourrait être jaloux ! Ce sont les insinuations du serpent, ce qui veut bien dire que c’est du poison.

Pour ce deuxième dimanche de Carême, au contraire, nous lisons l’histoire d’Abraham, le croyant. Un peu plus loin, le livre de la Genèse dit de lui : « Abram eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu'il était juste. » Et, pour nous aider à prendre le même chemin qu’Abraham, ce psaume vient nous suggérer les mots de la confiance : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort... La terre est remplie de son amour » ... et vous avez remarqué au passage : l’expression « ceux qui le craignent » est expliquée à la ligne suivante : ce sont ceux qui « mettent leur espoir en son amour »... on est loin de la peur, c’est même tout le contraire !

Tout au long de son histoire, le peuple élu a oscillé d’une attitude à l’autre : tantôt confiant, sûr de son Dieu, conscient que son bonheur était au bout de l’observance fidèle des commandements, parce que si Dieu a donné la Loi, c’est pour le bonheur de l’homme... « Oui, elle est droite la Parole du SEIGNEUR » ; tantôt au contraire, le peuple était en révolte, attiré par des idoles : à quoi bon être fidèle à ce Dieu et à ses commandements ? C’est bien exigeant et au nom de quoi faudrait-il obéir ? Qui nous dit que c’est le bonheur assuré ? On veut être libres et faire tout ce qu’on veut... n’obéir qu’à soi-même.

Celui qui a composé ce psaume connaît les oscillations de son peuple, il l’invite à se retremper dans la certitude de la foi, seule susceptible de construire du bonheur durable ; cette certitude de la foi, elle est assise sur une expérience de plusieurs siècles. On peut dire, parce qu’on en a eu de nombreuses preuves, que « Dieu est fidèle en tout ce qu’il fait » ; et, ici, l’expression « ce qu’il fait » est beaucoup plus forte qu’en français ; le « faire » de Dieu, c’est son œuvre, son entreprise de libération de son peuple.

LA FOI D’ISRAËL EST AFFAIRE D’EXPÉRIENCE

Réellement, c’est d’expérience que le peuple élu peut dire : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour » car Dieu a veillé sur eux comme un père sur ses fils, comme le dit le Livre du Deutéronome, en parlant de la traversée du désert, après la libération d’Égypte. Le psalmiste continue : « Pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine » ; là encore, c’est l’expérience qui parle ; jamais on n’aurait survécu à la traversée de la Mer si le Seigneur ne s’en était mêlé ; on n’aurait pas non plus survécu à l’épreuve du désert... Quand on affirme « il les délivre de la mort » on ne parle évidemment pas de la mort biologique ; mais il faut savoir qu’à l’époque où ce psaume est composé, la mort individuelle n’est pas considérée comme un drame ; car ce qui compte, c’est la survie du peuple ; or on en est sûrs, Dieu fera survivre son peuple quoi qu’il arrive ; à tout moment, et particulièrement dans l’épreuve, Dieu accompagne son peuple et « le délivre de la mort » ; quant à l’expression « jours de famine », elle est certainement une allusion à la manne que Dieu a fait tomber à point nommé pendant l’Exode, quand la faim devenait menaçante...

 Cette expérience de la sollicitude de Dieu, tout le peuple croyant peut en témoigner à toutes les époques ; et quand on chante « Dieu est fidèle en tout ce qu’il fait », on redit tout simplement le nom du « Dieu de tendresse et de fidélité » qui s’est révélé à Moïse (Ex 34,6).

La fin est une prière de confiance : « que ton amour soit sur nous... comme notre espoir est en toi » et on connaît bien le sens du subjonctif : ce n’est pas l’expression d’un doute ou d’une incertitude « Son amour est toujours sur nous ! » Mais c’est une invitation pour le croyant à s’offrir à cet amour. La dimension d’attente est très forte dans les derniers versets : « Nous attendons notre vie du SEIGNEUR : il est pour nous un appui, un bouclier. » Sous-entendu « et lui seul » : c’est-à-dire, résolument, nous ne mettrons notre confiance qu’en lui. C’est dans cette confiance que le croyant puise sa force : non, pas SA force mais celle que Dieu lui donne.
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE    1,8b-10          

     Fils bien-aimé,
8   avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances
     liées à l’annonce de l’Évangile.
9   Car Dieu nous a sauvés,
     il nous a appelés à une vocation sainte,
     non pas à cause de nos propres actes,
     mais à cause de son projet à lui et de sa grâce.
     Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus
     avant tous les siècles,
10 et maintenant elle est devenue visible,
     car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté :
     il a détruit la mort,
     et il a fait resplendir la vie et l’immortalité
     par l’annonce de l’Évangile.
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DIEU NOUS A APPELÉS À UNE VOCATION SAINTE

Paul est en prison à Rome, il sait qu’il sera prochainement exécuté : il donne ici ses dernières recommandations à Timothée ; « Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile ». « Prends ta part de souffrance » : cette souffrance, c’est la persécution ; elle est inévitable pour un véritable disciple du Christ. Jésus l’avait dit lui-même « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu’il me suive... Celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. » (Mc 8, 34-35).

Je reviens à la lettre de Paul : l’expression « l’annonce de l’Évangile » se retrouve à l’identique à la fin de ce passage qui se présente donc comme une inclusion ; et le passage central, encadré par ces deux expressions identiques détaille ce que c’est que cet Évangile ; quand Paul emploie le mot « évangile », il ne pense pas aux quatre livres que nous connaissons aujourd’hui et que nous appelons les quatre évangiles ; il emploie le mot « évangile » dans son sens étymologique de « bonne nouvelle ». Tout comme Jésus lui-même l’employait quand il commençait sa prédication en Galilée en disant « Convertissez-vous, croyez à l’évangile, à la bonne nouvelle. » Et il ne s’agit pas de n’importe quelle bonne nouvelle : ce mot « évangile » était employé pour annoncer la naissance de l’empereur ou sa venue dans une ville. Il est évidemment intéressant d’entendre ce mot ici : cela veut dire que la prédication chrétienne est l’annonce que le royaume de Dieu est enfin inauguré.

En ce qui concerne Paul, c’est donc dans la phrase centrale de notre texte que nous allons découvrir en quoi consiste pour lui l’évangile : il tient finalement en quelques mots : « Dieu nous a sauvés par Jésus-Christ ».

 « Dieu nous a sauvés », c’est au passé, c’est acquis, mais en même temps, pour que les hommes entrent dans ce salut, il faut que l’évangile leur soit annoncé ; c’est donc vraiment d’une vocation sainte que nous sommes investis : « Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte » : ... « vocation sainte » parce qu’elle est confiée par le Dieu saint, vocation sainte parce qu’il s’agit ni plus ni moins d’annoncer le projet de Dieu, vocation sainte parce que le projet de Dieu a besoin de notre collaboration : chacun doit y prendre sa part, comme dit Paul.

Mais l’expression « vocation sainte » signifie aussi autre chose : le projet de Dieu sur nous, sur l’humanité, est tellement grand qu’il mérite bien cette appellation ; car si j’en crois ce que Paul dit ailleurs du « dessein bienveillant de Dieu », la vocation de toute l’humanité est de ne faire plus qu’un en Jésus-Christ, d’être le Corps dont le Christ est la tête, et d’entrer dans la communion de la Trinité sainte. La vocation particulière des apôtres s’inscrit dans cette vocation universelle de l’humanité.

Je reviens sur la phrase « Dieu nous a sauvés » : dans la Bible, le mot « sauver » veut toujours dire « libérer » ; il a fallu toute la découverte progressive de cette réalité par le peuple de l’Alliance : Dieu veut l’homme libre et il intervient sans cesse pour nous libérer de toute forme d’esclavage ; des esclavages, l’humanité en subit de toute sorte : esclavages politiques comme la servitude en Égypte, ou l’Exil à Babylone, par exemple, et chaque fois, Israël a reconnu dans sa libération l’œuvre de Dieu ; esclavages sociaux, et la Loi de Moïse comme les prophètes appellent sans cesse à la conversion des cœurs pour que tout homme ait les moyens de subsister dignement et librement ; esclavages religieux, plus pernicieux encore ; la phrase célèbre « Liberté, combien de crimes a-t-on commis en ton nom ! » pourrait se dire encore plus scandaleusement « Religion, combien de crimes a-t-on commis en ton nom ! » ... Et les prophètes n’ont cessé de répercuter cette volonté de Dieu de voir l’humanité enfin libérée de toutes ses chaînes.

MÊME LA MORT NE NOUS SÉPARERA PAS DE DIEU

Et Paul va jusqu’à dire que Jésus nous a libérés de la mort : « Notre Sauveur, le Christ Jésus, s'est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l'immortalité par l'annonce de l'Évangile. » Curieuse phrase au moment même où Paul se prépare à être exécuté ! Et Jésus lui-même est mort ; quant à nous, il faut bien l’admettre, nous devons tous mourir. On ne peut donc pas dire que Jésus a détruit la mort biologique... Alors de quelle victoire s’agit-il ?

Ce que Jésus nous donne, parce qu’il est rempli de l’Esprit Saint, c’est sa propre vie qu’il nous fait partager, spirituellement, et que rien ne peut détruire, même la mort biologique. Sa Résurrection est bien la preuve que la mort biologique ne peut l’anéantir ; et pour nous-mêmes, la mort biologique ne sera qu’un passage vers la lumière sans déclin. C’est ce que dit l’une des prières de la liturgie des funérailles : « La vie n’est pas détruite, elle est transformée ».                                                                                                                      

La bonne nouvelle, c’est que, si la mort biologique fait partie de notre constitution physique faite de poussière, comme dit le livre de la Genèse, elle ne réussit pas à nous séparer de Jésus-Christ (cf. Rm 8,39). En nous, il y a une vie, faite de notre relation à Dieu et que rien, même la mort biologique, ne peut détruire ; c’est ce que saint Jean appelle « la vie éternelle ».

 Et cela est don gratuit de Dieu : vous avez entendu comme moi l’insistance de Paul là-dessus : « Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce ».

Cette grâce devient visible par la vie terrestre de Jésus-Christ, mais Paul insiste fortement sur le fait que ce projet, Dieu l’a conçu de toute éternité ; le Christ Jésus s’est manifesté à nos yeux par sa vie, sa mort et sa résurrection, mais Il est depuis toujours présent auprès du Père. « Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible. »

Pour annoncer ce projet, Timothée, comme tout baptisé, n’a qu’une chose à faire, compter sur la puissance de Dieu : » Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile ». Cette petite phrase devrait nous donner toutes les audaces : chaque fois que nous sommes en service commandé pour l’annonce de l’évangile, nous pouvons compter sur la force de Dieu.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   17,1-9

     En ce temps-là,
1   Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère,
     et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne.
2   Il fut transfiguré devant eux ;
     son visage devint brillant comme le soleil,
     et ses vêtements, blancs comme la lumière.
3   Voici que leur apparurent Moïse et Élie,
     qui s’entretenaient avec lui.
4   Pierre alors prit la parole et dit à Jésus :
     « Seigneur, il est bon que nous soyons ici !
     Si tu le veux,
     je vais dresser ici trois tentes,
     une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
5   Il parlait encore,
     lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre,
     et voici que, de la nuée, une voix disait :
     « Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
     en qui je trouve ma joie :
     écoutez-le ! »
6   Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre
     et furent saisis d’une grande crainte.
7   Jésus s’approcha, les toucha et leur dit :
     « Relevez-vous et soyez sans crainte ! »
8   Levant les yeux,
     ils ne virent plus personne,
     sinon lui, Jésus, seul.
9   En descendant de la montagne,
     Jésus leur donna cet ordre :
     « Ne parlez de cette vision à personne,
     avant que le Fils de l’homme
     soit ressuscité d’entre les morts. »
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MON FILS BIEN-AIMÉ, EN QUI JE TROUVE MA JOIE. ÉCOUTEZ-LE

« Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère » : nous sommes là une fois de plus devant le mystère des choix de Dieu : c’est à Pierre que Jésus a dit tout récemment, à Césarée : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la Puissance de la mort ne l'emportera pas sur elle » (Mt 16,18). Mais Pierre, investi de cette mission capitale, au vrai sens du terme, n’est pas seul pour autant avec Jésus, il est accompagné des deux frères, Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée. 

« Et Jésus les emmena à l’écart sur une haute montagne » : sur une haute montagne, Moïse avait eu la Révélation du Dieu de l’Alliance et avait reçu les tables de la Loi ; cette loi qui devait éduquer progressivement le peuple de l’Alliance à vivre dans l’amour de Dieu et des frères. Sur la même montagne, Élie avait eu la Révélation du Dieu de tendresse dans la brise légère... Moïse et Élie, les deux colonnes de l’Ancien Testament ...

Sur la haute montagne de la Transfiguration, Pierre, Jacques et Jean, les colonnes de l’Église, ont la Révélation du Dieu de tendresse incarné en Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie ». Et cette révélation leur est accordée pour affermir leur foi avant la tourmente de la Passion.

Pierre écrira plus tard : « Ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été́ les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé́ ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. » (2 P 1,16-18).

Cette expression « mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. Écoutez-le » désigne Jésus comme le Messie : pour des oreilles juives, cette simple phrase est une triple allusion à l’Ancien Testament ; car elle évoque trois textes très différents, mais qui étaient dans toutes les mémoires ; d’autant plus que l’attente était vive au moment de la venue de Jésus et que les hypothèses allaient bon train : on en a la preuve dans les nombreuses questions qui sont posées à Jésus dans les évangiles.

« Fils », c’était le titre qui était donné habituellement au roi et l’on attendait le Messie sous les traits d’un roi descendant de David, et qui régnerait enfin sur le trône de Jérusalem, qui n’avait plus de roi depuis bien longtemps. « Mon bien-aimé, en qui je trouve ma joie », évoquait un tout autre contexte : il s’agit des « Chants du Serviteur » du livre d’Isaïe ; c’était dire que Jésus est le Messie, non plus à la manière d’un roi, mais d’un Serviteur, au sens d’Isaïe (Is 42,1). « Écoutez-le », c’était encore autre chose, c’était dire que Jésus est le Messie-Prophète au sens où Moïse, dans le livre du Deutéronome, avait annoncé au peuple : « Au milieu de vous, parmi vos frères, le SEIGNEUR votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez. » (Dt 18,15).

LA RÉALISATION EST ENCORE PLUS BELLE QUE LA PROMESSE

« Dressons trois tentes » : cette phrase de Pierre suggère que l’épisode de la Transfiguration a peut-être eu lieu lors de la Fête des Tentes ou au moins dans l’ambiance de la fête des Tentes... cette fête était célébrée en mémoire de la traversée du désert pendant l’Exode, et de l’Alliance conclue avec Dieu dans la ferveur de ce que les prophètes appelleront plus tard les fiançailles du peuple avec le Dieu de tendresse et de fidélité ; pendant cette fête, on vivait sous des tentes pendant huit jours... Et on attendait, on implorait une nouvelle manifestation de Dieu qui se réaliserait par l’arrivée du Messie ; et pendant la durée de la fête, de nombreuses célébrations, de nombreux psaumes célébraient les promesses messianiques et imploraient Dieu de hâter sa venue.

Sur la montagne de la Transfiguration, les trois apôtres se trouvent tout d’un coup devant cette révélation du mystère de Jésus : rien d’étonnant qu’ils soient saisis de la crainte qui prend tout homme devant la manifestation du Dieu saint ; on n’est pas surpris non plus que Jésus les relève et les rassure : déjà l’Ancien Testament a révélé au peuple de l’Alliance que le Dieu très saint est le Dieu tout proche de l’homme et que la peur n’est pas de mise.

Mais cette révélation du mystère du Messie, sous tous ses aspects, n’est pas encore à la portée de tous ; Jésus leur donne l’ordre de ne rien raconter pour l’instant, « avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ». En disant cette dernière phrase, Jésus confirme cette révélation que les trois disciples viennent d’avoir ; il est vraiment le Messie que le prophète Daniel voyait sous les traits d’un homme, venant sur les nuées du ciel : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » (Dn 7,13-14). 

Au passage, n’oublions pas que le même Daniel présente le Fils de l’homme non pas comme un individu solitaire, mais comme un peuple, qu’il appelle « le peuple des saints du Très-Haut »                 

La réalisation est encore plus belle que la promesse : en Jésus, l’Homme-Dieu, c’est l’humanité tout entière qui recevra cette royauté éternelle et sera éternellement transfigurée. Mais Jésus a bien dit « Ne dites rien à personne avant la Résurrection... » C’est seulement après la Résurrection de Jésus que les apôtres seront capables d’en être les témoins.
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Compléments

Verset 1 : Le texte grec commence par l’expression « Six jours après » qui confirme le lien supposé avec la fête des Tentes. Cela voudrait dire : « Six jours après le Yom Kippour », le jour du Grand Pardon.

Verset 3 : Pourquoi Moïse et Élie ? Les deux mêmes qui ont eu la révélation du Père sur le Sinaï ont ici la révélation du Fils. La mosaïque de la basilique de la Transfiguration au Monastère Sainte-Catherine dans le Sinaï confirme cette interprétation : dans cette mosaïque, Moïse est représenté déchaussé, ses sandales délacées à côté de lui : il s’est déchaussé comme devant le buisson ardent (Ex 3).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 05 03 2023, 2e dimanche de Carême A

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