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4 février 2008 1 04 /02 /février /2008 11:08
Voici un témoignage bouleversant publié initialement sur le site Ladiesroom. Ce texte et les commentaires qui l'accompagnent montrent qu'à l'occasion d'un avortement, si la liberté des enfants à naître n'est JAMAIS respectée, celle de la maman ou du papa ne l'est pas toujours.

Et bien oui, cela parle de l’avortement, et à plus de deux mois de grossesse. J’ai longtemps hésité à poster ça, et puis je me suis dis que peu importe, les gens pourront dire ce qu’ils veulent, parce que personne ne pourra jamais porter un jugement sur moi qui sera pire que le mien. Et si tu veux lire quand même, ça va être long, tu seras prévenue.

Je venais d’avoir dix-sept ans, et mon bac. Et je venais aussi de découvrir que j’étais enceinte. Je ne pouvais pas avoir de bébé, mais je crois qui si mon copain avait dit “Oui” je l’aurais gardé. Mais il a dit “Non”. Je ne voulais pas prévenir mes parents, lui ne voulait pas prévenir les siens. Alors c’est sa marraine qui nous a aidés. Rendez-vous avec la psy du planning familial pour qu’elle donne son accord. Puis j’ai couru chercher mes résultats du bac. C’était le même jour. L’hopital, j’en ai toujours eu peur, et une fois là-bas, comme pour me persuader que je suis vraiment trop jeune pour être mère, tout le monde m’appelle “la gamine”. Mais la gamine elle serre les dents pour ne pas courir vers la sortie. La gamine elle pense à sa mère qui va sûrement la mettre dehors, et son copain la quitter, si elle court vraiment vers la sortie. Deux heures plus tard, c’est fini. Je me sens vide, je me sens horrible.

Ca pourrait être la fin, j’aurais vraiment aimé que ce soit la fin, mais non. Pendant 3 mois tout allait bien, j’avais arrêté de pleurer quand je voyais un bébé, j’étais en grandes vacances, je m’amusais, je mangeais des churros tous le temps, sûrement la cause de mes 3 kilos en plus. Et puis un jour, je n’ai pas eu mes règles. Panique. Non, je ne voulais pas être enceinte à nouveau, et de toute façon, je n’ai jamais oublié ma pilule. C’est juste un retard. Deux jours plus tard, j’ai une montée de lait. J’ai peur, je vais voir sur Internet. Ils disent que peut-être il me reste un bout de placenta qui libère encore des hormones. J’ai peur. Je prends rendez-vous chez la gynéco. Qui pousse un grand cri “Oulala je sais pas de combien, mais c’est 100% sûr, t’es enceinte toi”. Je ne sais pas pourquoi je n’ai plus peur. Je souris. C’est mon bébé, je ne l’ai pas tué, je suis enceinte de 5 mois et maintenant c’est fini, je ne peux plus avorter, personne ne va me dire de tuer mon bébé. Et puis tout retombe d’un coup, parce que chéri, en moins de trois secondes, est sur Internet, pour voir quels pays pratiquent l’avortement à plus de cinq mois. Je le déteste. Nouvel espoir, il n’a trouvé que la Chine. Je me dis que je vais quand même prendre rendez-vous avec la gynéco qui m’avait fait l’avortement, pour voir ce qu’elle a à dire. Je prends mes dernières échos avec moi, c’est un garçon. Elle s’écroule sur son bureau, me plaint, me dit que de toute façon, quoi qu’il se passe je souffrirai beaucoup maintenant. Et là, elle me file la doc sur une clinique espagnole, qui fait jusqu’à 5 mois et demi. “Dépêchez vous” qu’elle me dit. Mais j’ai pas envie de me dépêcher moi, tout ça va trop vite, ça ne fait même pas une semaine. Et puis maintenant je le sens bouger mon bébé, mon fils. Il était beau à l’échographie, pourquoi elle me dit ca?

Et là j’ai compris je crois, à ce moment-là, que ce ne serait pas moi qui prendrait la décision finale. Ce serait les autres, tous les autres, parce que moi, je suis incapable de la prendre. Un bébé à 17 ans, moi qui ai toujours eu de grandes ambitions pour mes études? Ou avorter alors que c’est mon bébé, que je l’aime. Je me dis que de toute façon, ma mère devra le savoir. Alors je lui en parle, un soir, dehors. La première fois que j’ai allumé une cigarette devant ma mère aussi. Et même deux. Elle était sur le point de partir, et la seule phrase que j’entends de sa bouche c’est “Soit, tu vas aller en Espagne”. J’attendais, vous savez, comme dans les films “C’est ta décision et je te soutiendrai”. Mais non, elle est partie déjà. Et moi je n’arrive même pas à pleurer. Parce que les autres ont décidé pour moi. Le lendemain matin quand je me réveille, elle a déjà appelé la clinique. Mes échos sont sur la table, elle leur a donné toutes les mensurations qu’ils demandaient. Elle me dit qu’il ne faudra pas parler de la seconde écho que j’ai eu, celle où ils estiment ma grossesse à deux semaines de plus que la première. Elle a prévenu la mère de mon copain, et elle prend un avion demain depuis les USA, où elle vit. On est samedi. Et je me sens perdue. On est samedi, et je vois aussi sur la table des billets de train pour lundi matin, pour Barcelone. Le rendez-vous, c’est pour mardi qu’elle l’a pris.

Lundi, ça ne va pas bien. Je vois cette ville, et je me dis que c’est donc là que tout va finir. On a deux chambres à l’hôtel. Je suis censée dormir avec ma mère, mon copain avec la sienne. Mais je ne peux pas. Moi je veux dormir avec lui, partager cette nuit avec lui. Pour pouvoir pleurer autant que je veux. Ma mère le prend mal, on vient me dire qu’elle pleure dans “notre” chambre en disant qu’elle n’est pas un monstre quand même, pourquoi je ne veux pas dormir avec elle. C’est trop, je cours. Je ne sais pas où. Et je reviens dans l’hôtel, je me cache dans un des salons. Je vois tout le monde courir en bas pour me chercher dans la rue. Mon copain me trouve, il me gueule dessus. Qu’est-ce que je peux être gamine parfois qu’il me dit. J’ai dormi avec lui ce soir-là, et avec sa mère aussi, parce qu’elle ne connaît pas la mienne et veut rester avec son fils. Si seulement elles avaient su, toutes les deux, à quel point cette nuit-là j’aurais voulu pouvoir pleurer librement. Alors je pleure quand même, mais en silence, la main sur mon ventre, en chuchotant à mon bébé que tout ira bien.

Le lendemain, c’est à la clinique que je dois aller. Ils ne trouvent pas mon nom sur la liste des avortements du jour. Je souris, espoir. Vite mort, ils ont finalement trouvé mon nom. Echographie, pour vérifier le stade de la grossesse. On m’aura au moins épargné l’écran, c’est ma mère qui le voit. Dans la salle d’attente, je crois que 80% des gens sont français, et que 80% sont avec leurs parents aussi, jeunes aussi. Moi, ça ne se voit pas encore, mais certaines ont un gros ventre, j’ai envie de pleurer. Parce que je me rends compte que c’est dans la clinique de la mort que je me trouve. Où on ne tue pas que des bébés, mais aussi le dernier soupçon de bonheur que peuvent avoir toutes ces filles de mon âge. Qui pleurent elles aussi, avec une cigarette dans la main elles aussi, avec leurs parents stoïques à côté elles aussi. On me donne des cachets pour provoquer des contractions, je ne les prends pas. Je les recrache discrètement. Si je dois tuer mon bébé pour eux, au moins je ne les y aiderai pas.

A ce qu’il paraît, la loi c’est que l’on doit vérifier que la fille qui se fait avorter est consciente de son choix, et que c’est le sien. Je me dis que je vais crier au monde que merde, il y a une semaine je ne savais même pas que j’étais enceinte, alors comment je pourrais être consciente de ce qu’il se passe. Mais en fait, les parents assistent aux rendez-vous, qui n’en est pas vraiment un. “Vous êtes sûre que c’est ce que vous voulez ?”. Silence. Je ne veux pas répondre. Regard glacé de ma mère. “Oui”. Et voilà, le rendez-vous avec la psy est fini. Maintenant on me change, ça parle espagnol de partout. Je panique. Je demande à ressortir, pour aller voir ma mère. On me dit que je peux, mais vite alors. Je cours dehors, je pleure, je supplie, je ne peux pas faire ça. Je le sens bouger, je veux rentrer à la maison, je trouverai un moyen. “C’est rater ta vie que tu veux ? Tu retournes là-bas et plus vite que ça”, qu’elle me dit. Je vois trouble, j’ai trop pleuré. Je regarde autour de moi. Personne ne me regarde, tout le monde pleure ici de toute façon. Alors j’y retoune, en tremblant, en serrant mon ventre aussi. On me fait me lever, on m’emmène au bloc. On me dit d’écarter les jambes, de compter jusqu’à trois.

Je me réveille. Je regarde mon ventre. Où est-ce qu’ils ont mis mon bébé? Il est où? On me lève, je suis encore dans le même bloc. Je finirai mon réveil dans ma “chambre”, qui est en fait un lit dans le couloir. Parce qu’ici c’est à la chaîne, il n’y a pas de salle de réveil. On me met un genre de couche, on me dit d’appuyer pour que le sang sorte. Et mon bébé il est où? Je suis assez réveillée pour tenir debout maintenant, mais pas pour marcher. Qu’à cela ne tienne, on me portera. Mon copain et sa mère sont arrivés à la clinique maintenant. Il me prend par les bras, m’aide à marcher, m’emmène dehors. Vers la gare, parce que le retour c’est dans trois heures. Et il est où mon bébé? Je connais la réponse, mais elle ne me convient pas. Alors je me tais, je ne pleure pas, l’ansthésie aidant surûement, et je monte dans le train. Lorsque les derniers effets de l’anesthésie s’estompent, je suis déjà en France. On me propose de jouer à la belote pendant le reste du voyage, ils me prennent pour une conne ou quoi ? Mais je joue quand même à la belote. La mère de mon copain m’emmène dans un wagon, elle me parle comme elle peut, dans son français plutot mauvais. C’est la première personne qui m’écoute vraiment, qui me parle vraiment, depuis une semaine. Elle me dit qu’elle m’a acheté du fer, parce que je vais perdre beaucoup de sang, et que le fer c’est bon pour moi. Elle me regarde et je vois dans ses yeux qu’elle, elle comprend.

De retour dans mon appart avec mon copain et sa mère. Elle prend soin de moi. Elle me fait à manger. Elle me laisse pleurer. Elle a compris que je ne veux pas sortir, non, je ne pourrais pas voir un bébé ou une femme enceinte, ce serait au-dessus de mes forces. Ma mère elle est rentrée chez elle, elle n’a pas appelé. La vie reprend son cours, mais pas pour moi. Pourquoi ils font des pubs avec des bébés à la télé? Est-ce qu’ils se rendent comptent que pour moi, c’est cruel ? Que j’ai envie d’aller aux toilettes juste après, comme par hasard. Que je saigne toujours, littéralement.

Mais je crois que le pire ce fût deux semaines plus tard, chez ma mère, dans la voiture. Qui me dit “Hier au marché, j’ai vu un nouveau-né. Et tu sais, même pour moi c’est dur de ne pas y penser”. Elle n’aurait pas été ma mère, je l’aurais tuée.

Trois ans plus tard, elle ne pleure plus. Mais moi, je ne peux toujours pas voir un nouveau-né sans penser au mien, qui ne naîtra jamais.

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