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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 22:02

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Isaïe 55, 6 - 9

6 Cherchez le SEIGNEUR tant qu'il se laisse trouver.
Invoquez-le tant qu'il est proche.
7 Que le méchant abandonne son chemin,
et l'homme pervers, ses pensées !
Qu'il revienne vers le SEIGNEUR qui aura pitié de lui,
vers notre Dieu, qui est riche en pardon.
8 Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
et mes chemins ne sont pas vos chemins,
déclare le SEIGNEUR.
9 Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,
autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres,
et mes pensées, au-dessus de vos pensées.
« Cherchez le SEIGNEUR tant qu'il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu'il est proche » : cela ne veut pas dire « Dépêchez-vous, il pourrait s'éloigner ! » Voilà, je crois, le contresens à ne pas faire ! Il n'existe pas de temps où Dieu ne se laisse pas trouver, il n'existe pas de temps où Dieu ne serait pas proche ! Il faut comprendre (et c'est le texte de la Traduction Oecuménique de la Bible, la TOB), « Cherchez le SEIGNEUR puisqu'il se laisse trouver. Invoquez-le puisqu'il est proche ». C'est toujours nous qui nous éloignons de Dieu. Et il est vrai que, dans notre liberté, nous nous éloignons parfois tellement de lui que nous perdons jusqu'au goût de le chercher.

Il faut bien voir dans quel esprit ces lignes sont écrites : Isaïe s'adresse ici à des gens complètement découragés ; en Exil à Babylone, dans des conditions extrêmement dures, le peuple d'Israël est tenté de croire que Dieu l'a abandonné. Et il en vient à se demander s'il est encore possible d'oser espérer le pardon de Dieu et la restauration du peuple élu. Ce doute et ce soupçon, il faut résolument leur tourner le dos ; ce sont, dit le prophète, des pensées méchantes, perverses. Elles nous trompent sur Dieu et nous éloignent de lui. La pensée perverse, précisément, ce serait de croire que Dieu pourrait n'être pas proche, que Dieu pourrait être inaccessible, que Dieu pourrait ne pas pardonner. Voilà déjà certainement une leçon très importante de ce texte. Ce n'est pas parce que Dieu semble silencieux qu'il est absent ou lointain.

On a là, comme très souvent dans la Bible, le thème du chemin : douter de Dieu, l'imaginer méchant, dur, vengeur, c'est prendre le chemin à l'envers, c'est nous éloigner de lui de plus en plus ; et du coup, puisque nous ne croyons pas à sa tendresse et à sa sollicitude, c'est nous en priver nous-mêmes ; l'adolescent soupçonneux ne profite plus des marques de tendresse que ses parents lui donnent pourtant ; il ne les voit plus puisqu'il leur tourne le dos. Isaïe dit : retournez-vous, revenez vers Dieu, vous redécouvrirez que Dieu a pitié de vous et qu'il est riche en pardon.

Cette découverte du Dieu de tendresse et de pardon est très présente dans l'Ancien Testament, bien avant la venue de Jésus sur la terre. Il suffit de relire les prophètes ; Osée, par exemple, a su trouver des phrases magnifiques pour dire les pensées de Dieu : « Mon coeur est bouleversé en moi, dit Dieu, en même temps ma pitié s'est émue. Je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère... Car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi, je suis saint. » (Osée 11, 8-9). En langage biblique, le mot « Saint » veut dire le Tout-Autre. Et c'est en cela que Dieu est le Tout-Autre, le Saint : Il est miséricorde, et Pitié et Pardon.

Ou encore Jérémie : « Moi, je sais les projets que j'ai formés à votre sujet - oracle du SEIGNEUR - projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance ». (Jr 29, 11) Et bien sûr, on pense à cette phrase magnifique de l'évangile : « Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45).

Il y a aussi ce merveilleux dialogue dans le livre de Jonas ; Jonas prend très mal l'indulgence de Dieu pour ces affreux Ninivites, l'ennemi héréditaire d'Israël : et il reproche à Dieu d'être trop bon « Je savais bien moi, que tu es un Dieu bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et plein de fidélité » (Jonas 4, 2). Et Dieu se défend en disant « Et moi, je n'aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne savent même pas choisir entre le bonheur et le malheur ? » (Jonas 4,11).

La Bible, dès l'Ancien Testament, est donc pleine de cette révélation du pardon de Dieu... à partir du moment où on l'a découvert, on ne voit plus que cela. A l'inverse, chaque fois que nous ne trouvons pas dans la Parole de Dieu cette annonce de la miséricorde et du pardon de Dieu toujours offert, c'est que nous n'avons pas compris le texte ! Le peuple d'Israël a eu le privilège de faire cette double découverte extraordinaire : Dieu est à la fois le Tout-Autre, le Saint et aussi le Tout-Proche, le « Dieu de tendresse et de pitié » révélé à Moïse (Exode 34, 6).

Isaïe ramasse cette découverte dans cette phrase superbe : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Cette distance infinie qui sépare le ciel de la terre est une image très parlante pour nous dire que Dieu, décidément, est le Tout-Autre. En même temps, il est le Tout-Proche, celui qui est « riche en pardon ».

Et je crois même qu'il faut aller plus loin : c'est précisément cette richesse de pardon qui constitue la distance infinie dont parle Isaïe et qui nous sépare de Dieu, autant que le ciel est séparé de la terre. Notre texte dit bien : « Notre Dieu est riche en pardon »... « CAR vos pensées ne sont pas mes pensées ... » Tout tient dans cette petite conjonction « Car » ; mais, malheureusement, elle risque de passer inaperçue. Ce qu'Isaïe nous dit là, c'est que nous ne sommes pas sur le même registre que Dieu : Lui qui est l'amour même, Il est sur le registre de la gratuité, on dit « la grâce », le registre du pardon sans conditions. Nous, nous sommes sur le registre du calcul, du donnant-donnant. Nous voulons que les bons soient récompensés et les méchants punis. Nous parlons de « gagner » notre ciel ; nous calculons nos mérites ; ou bien nous disons « je ne mérite pas » sans nous apercevoir qu'en disant cela, nous nous permettons de calculer à sa place ! Dieu, lui, ne nous demande pas de mériter quoi que ce soit ! Il dit seulement : « Que le méchant abandonne ses chemins, et l'homme pervers ses pensées. Qu'il revienne vers notre Dieu qui est riche en pardon. CAR vos pensées ne sont pas mes pensées... » Il nous propose de vivre tout simplement une relation d'amour, donc gratuite, par définition. Il n'y a pas de banque ni de chéquier dans le royaume de l'amour, nous le savons bien.

Dernière remarque : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » ; cette distance infinie qui nous sépare de Dieu explique la faiblesse de notre langage sur Lui ! Du coup, cette phrase devrait être pour nous une invitation à l'humilité et à la tolérance : humilité quand nous osons parler de Dieu, tolérance pour la façon dont les autres parlent de Lui : qui d'entre nous peut prétendre sonder les pensées de Dieu ?

********************
Complément
- Il y a encore cette phrase magnifique dans le livre des Chroniques : « Si mon peuple s'humilie, s'il prie, cherche ma face et revient de ses voies mauvaises, moi, j'écouterai des cieux, je pardonnerai son péché et je guérirai son pays ». (2 Ch 7, 14). Malheureusement, tant qu'on n'a pas découvert que Dieu est toujours et seulement Amour et Pardon, on risque encore de lire à l'envers des phrases comme celle-ci : comme si Dieu mettait une condition à son pardon : « Si mon peuple s'humilie »... En réalité, c'est nous qui mettons une condition : comment recevoir le pardon si nous ne le désirons pas ?

PSAUME 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18

2 Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
3 Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué :
à sa grandeur, il n'est pas de limite.

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d'amour ;
9 la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses oeuvres.

17 Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu'il fait.
18 Il est proche de ceux qui l'invoquent,
de tous ceux qui l'invoquent en vérité.
On ne pouvait pas trouver mieux que ce psaume 144/145 pour faire écho à la première lecture de ce dimanche ! Le prophète Isaïe résumait en quelques versets toute la foi d'Israël : la découverte d'un Dieu plein de pitié, riche en pardon et qui appelle son peuple en lui disant « reviens vers moi ». Ce psaume est la réponse du peuple qui revient à son Dieu : « Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais » ; c'est vraiment le cantique de la foi retrouvée.

Nous avons déjà rencontré ce psaume et admiré sa composition : si vous vous reportez à votre Bible, vous verrez qu'il est ce qu'on appelle un psaume « alphabétique » ; nous savons donc d'avance qu'il s'agit d'un psaume d'action de grâce pour l'Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de Aleph à Tav) baigne dans l'Alliance, dans la tendresse de Dieu. Deuxième remarque quant à la forme : le parallélisme d'une ligne à l'autre de chaque verset est particulièrement accentué : cela vaudrait la peine de le lire à deux voix ou deux choeurs alternés.

Si on regarde d'un peu plus près les six versets précis qui ont été retenus aujourd'hui, on remarquera deux choses : premièrement on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis ; et, deuxièmement ils entrent en résonance parfaite avec les autres lectures de ce dimanche.

Je prends un exemple : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, dit le psaume ; à sa grandeur, il n'est pas de limite. » Et Isaïe, dans la première lecture, avec ses mots à lui, nous dit également cette grandeur de Dieu : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Mais Isaïe nous entraîne dans une voie imprévue et nous risquons d'être surpris : car la grandeur de ce roi n'est pas ce que nous croyons parfois, elle ne ressemble en rien aux fausses gloires et aux fausses grandeurs de la terre. C'est uniquement la grandeur de l'amour. Je résume sa prédication : « Que le méchant revienne vers Dieu qui est riche en pardon... CAR mes pensées ne sont pas vos pensées... » Il semble bien qu'aux yeux du prophète, la grandeur de Dieu réside précisément dans son pardon.

Et vous vous souvenez que nous avons lu il y a quelques semaines (seizième dimanche) un passage du livre de la Sagesse qui faisait écho à Isaïe : « Seigneur, tu prends soin de toute chose... ta domination sur toute chose te rend patient envers toute chose... L'homme dont la puissance est discutée fait montre de sa force, mais toi, Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence. » (Sg 12).

Soyons francs, cette chanson-là n'est pas souvent celle des médias modernes ; et, pourtant, chacun de nous, dans l'intime de sa conscience, sait que c'est la vérité. La seule vraie grandeur d'un être humain, c'est sa capacité d'aimer. Après tout, ce n'est pas étonnant si nous sommes à l'image de Dieu !

Autre consonance entre le psaume et la lecture d'Isaïe, l'amour et le pardon de Dieu pour tous les êtres sans exception. « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses oeuvres. » dit le psaume. Et Isaïe insistait sur ce pardon qui semble bien être la caractéristique de Dieu : « Que le méchant abandonne son chemin, et l'homme pervers, ses pensées ! Qu'il revienne vers le SEIGNEUR qui aura pitié de lui, vers notre Dieu, qui est riche en pardon. » Mais, là encore, Isaïe nous entraîne plus loin que nous ne voudrions aller, peut-être : nous voulons bien entendre ici l'assurance que nos faiblesses, nos péchés seront pardonnés. Mais, au nom de ce que nous appelons la justice, il nous semble impensable que tous les grands pécheurs de tous les temps reçoivent le pardon de Dieu tout comme nous !

Et pourtant, si nous prenons au sérieux la prédication d'Isaïe, il va falloir convertir notre conception de la justice, tout simplement ! A vrai dire, Isaïe avait prévu notre difficulté à entendre ce genre de vérité, car il avait pris la précaution de préciser que ce qu'il annonçait ne représentait pas sa pensée à lui, mais qu'il s'agissait réellement d'une parole de Dieu. Il disait « Vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le SEIGNEUR ».

Et, d'ailleurs, l'évangile de ce dimanche va nous encourager à changer de logique !

Il s'agit de ce que nous appelons la parabole des ouvriers de la onzième heure. Le verset du psaume parle de la justice de Dieu, précisément ; il dit « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu'il fait » ; la parabole, quant à elle, nous racontera l'histoire d'un chef d'entreprise donnant à tous ses serviteurs le même salaire, quelle que soit leur ancienneté dans la maison ou leur nombre d'heures de travail ; cela bien sûr au grand scandale de ceux qui ont fait le plus grand nombre d'heures. Le message de Jésus, ici, est très clair : « Ne vous y trompez pas » ; la plus grande justice au monde n'est pas celle de la balance, elle est celle de l'amour ; si vous aimez vos frères autant que vous-mêmes, vous vous réjouirez de mes largesses à leur égard.

Pour terminer, je m'arrête sur le dernier verset du psaume : « Le SEIGNEUR est proche de ceux qui l'invoquent, de tous ceux qui l'invoquent en vérité ». Ici peut-être, il y a une lecture perverse à éviter : le psalmiste ne dit pas que Dieu n'est proche que de ceux qui l'invoquent ! Mais Dieu respecte trop notre liberté pour forcer notre porte.

DEUXIEME LECTURE - Philippiens 1, 20c-24. 27a

Frères,
20 soit que je vive, soit que je meure,
la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps.
21 En effet, pour moi vivre, c'est le Christ,
et mourir est un avantage.
22 Mais si, en vivant en ce monde,
j'arrive à faire un travail utile,
je ne sais plus comment choisir.
23 Je me sens pris entre les deux :
je voudrais bien partir
pour être avec le Christ,
car c'est bien cela le meilleur ;
24 mais, à cause de vous, demeurer en ce monde
est encore plus nécessaire.
27 Quant à vous,
menez une vie digne de l'Evangile du Christ.
Il est toujours émouvant de lire la lettre aux Philippiens : elle est pleine à la fois de la passion de Paul pour sa mission d'apôtre, de sa passion pour le Christ, et aussi de son affection toute simple et fraternelle pour ceux qu'il a connus là-bas ; cela nous vaut des développements théologiques qui volent très haut, comme on dit, et des confidences tout humaines d'un homme comme les autres à ses amis.

« Soit que je vive, soit que je meure » : Paul est en prison, c'est clair, d'après le reste de l'épître, mais on ne sait pas où ; à Rome, peut-être puisque, d'après cette lettre, il est visiblement en attente de jugement ; mais il a connu d'autres emprisonnements, une nuit à Philippes même, deux nuits à Jérusalem, une longue durée à Ephèse, probablement, sans compter deux années à Césarée maritime et au moins autant à Rome. En tout cas, lorsqu'il écrit cette lettre aux Philippiens, son procès est visiblement commencé et il sait très bien qu'il risque la mort. « Soit que je vive, soit que je meure, la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps » : le mot « corps » ici veut dire la personne tout entière. S'il est libéré, il pourra continuer sa mission d'évangélisation, et même son temps de captivité et son procès lui auront permis de témoigner du Christ au tribunal. Il a écrit quelques versets plus tôt : « Dans tout le prétoire, et partout ailleurs, il est maintenant bien connu que je suis en captivité pour le Christ. Et la plupart des frères, encouragés dans le Seigneur par ma captivité, redoublent d'audace pour annoncer sans peur la Parole. » Mieux, il s'est réjoui de ce que certains, moins bien intentionnés, aient profité de sa mise à l'ombre pour se poser en apôtres, à sa place. Qu'importe, pense Paul, de toutes manières, le Christ est annoncé.

S'il est condamné à mort, son martyre, affronté dans la joie, constituera un témoignage suprême de la foi des Chrétiens en la Résurrection.

On est toujours extrêmement étonnés de l'assurance dont faisaient preuve les premiers Chrétiens face au martyre. Alors que les persécuteurs espéraient étouffer la religion chrétienne naissante, cette assurance a été l'occasion de nombreuses conversions. Ce qui veut dire que, quoi qu'il arrive, tout contribuera au progrès de l'Evangile et c'est la seule chose qui compte pour Paul. Cela ne nous étonne pas de la part d'un apôtre... Le critère de l'apôtre, justement, c'est qu'il n'a qu'un objectif, prêcher l'Evangile ! Quant à nous, même si nous ne connaissons pas des circonstances aussi extraordinaires, nous pouvons retenir que notre vie concrète peut contribuer à exalter le Christ (c'est-à-dire à manifester sa grandeur) dans toutes les situations.

Paul continue : « Pour moi, vivre, c'est le Christ, et mourir est un avantage ». On pourrait traduire « Pour moi, vivre pleinement, c'est vivre en Christ » ou encore « ma raison de vivre, c'est le Christ » sous-entendu ma vie ne s'épanouira pleinement que dans la rencontre définitive, donc mourir est un avantage. « Je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c'est bien cela le meilleur » dit-il un peu plus loin. On retrouve là un écho de cette solidarité intime qui nous unit au Christ et que Paul exprime si souvent dans ses écrits ; son thème majeur, c'est justement que notre destinée est de ne faire qu'un en Jésus-Christ. Par exemple « Il a plu à Dieu de faire habiter en Lui toute la plénitude et de tout réconcilier par Lui et pour Lui » (Col 1,19) ; ou encore dans la lettre aux Ephésiens, ce texte qui donne la clé de tout : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté... réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ » (Ep 1,9-10).

Au passage, on peut noter que pour Paul, la mort nous permet d'être aussitôt pleinement unis au Christ ; il a l'air de n'envisager aucun délai ; voici ce qu'il dit dans la lettre aux Corinthiens « Nous sommes pleins de confiance, tout en sachant que demeurer dans ce corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur ; car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous sommes pleins de confiance et nous préférons quitter la demeure de ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur. » (2 Co 5, 6-8).

Pour autant, Paul ne veut pas « abandonner le bateau », comme on dit ; et littéralement, il avoue être écartelé ; « mourir est un avantage, mais si en vivant en ce monde, j'arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c'est bien cela le meilleur, mais à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire ». Cela ne veut certainement pas dire qu'il se considère comme indispensable, parce qu'il sait bien que c'est le Christ qui agit dans le coeur des fidèles ... mais il souhaite ardemment être là où il doit être. A vrai dire, ce dilemme n'est pas à proprement parler un cas de conscience, car ce n'est pas lui qui décidera de son sort, il le sait bien.

Mais son raisonnement est un modèle d'abnégation au vrai sens du terme, en ce sens que son seul souci reste la mission auprès de ceux qui lui ont été confiés.

Pour terminer, il revient à eux « Quant à vous, menez une vie digne de l'Evangile ». C'est tout un programme ! Mais je crois qu'il y a là beaucoup plus qu'une leçon de morale : Paul veut nous dire par là que la seule manière d'être digne de l'Evangile, c'est de le prendre au sérieux et de l'annoncer ! Car cette recommandation « menez une vie digne de l'Evangile » vient à la suite de ce que j'ai appelé son « dilemme » : « Si, en vivant en ce monde, j'arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ... mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. » Et aussitôt il ajoute : « Quant à vous, menez une vie digne de l'Evangile du Christ. »

Si je comprends bien, à ses yeux, mener une vie digne de l'Evangile, c'est tout simplement consacrer nos vies à l'évangélisation. Voilà qui interroge un certain nombre de nos préoccupations !

EVANGILE Matthieu 20, 1 - 16a

Jésus disait cette parabole :
1 « Le Royaume des cieux est comparable
au maître d'un domaine qui sortit au petit jour
afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne.
2 Il se mit d'accord avec eux sur un salaire d'une pièce d'argent pour la journée,
et il les envoya à sa vigne.
3 Sorti vers neuf heures,
il en vit d'autres qui étaient là, sur la place, sans travail.
4 Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne,
et je vous donnerai ce qui est juste.
5 Ils y allèrent.
Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même.
6 Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d'autres qui étaient là et leur dit :
Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée sans rien faire ?
7 Ils lui répondirent : Parce que personne ne nous a embauchés.
Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne.
8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant :
Appelle les ouvriers et distribue le salaire,
en commençant par les derniers pour finir par les premiers.
9 Ceux qui n'avaient commencé qu'à cinq heures s'avancèrent
et reçurent chacun une pièce d'argent.
10 Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage,
mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'argent.
11 En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine :
12 Ces derniers venus n'ont fait qu'une heure,
et tu les traites comme nous,
qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !
13 Mais le maître répondit à l'un d'entre eux :
Mon ami, je ne te fais aucun tort.
N'as-tu pas été d'accord avec moi
pour une pièce d'argent ?
14 Prends ce qui te revient,
et va-t-en.
Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi :
15 n'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ?
Vas-tu regarder avec un oeil mauvais
parce que moi, je suis bon ?
16 Ainsi les derniers seront premiers,
et les premiers seront derniers. »

Imaginez un patron d'entreprise qui emploierait des méthodes pareilles ! Il aurait certainement une bonne partie de ses ouvriers en grève dès le deuxième matin ! Mais Jésus a bien dit qu'il ne parlait pas d'une entreprise comme les autres puisqu'il a introduit sa parabole en disant : « Le Royaume des cieux est comparable au maître d'un domaine... » : d'entrée de jeu, nous savons qu'il est question du Royaume des cieux ; et nous savons bien, Isaïe nous l'a rappelé, que « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées... »

Et donc, dans cette vigne très particulière, il y a des ouvriers embauchés à toute heure du jour... Apparemment, le travail ne manque pas. Mais la pointe de la parabole n'est pas là : comme toujours, il faut chercher d'abord ce que ce texte dit sur Dieu. « Moi, je suis bon » dit Dieu ; « Vas-tu regarder avec un oeil mauvais parce que moi, je suis bon ? » Dieu est bon, et d'une bonté qui ne fait pas de comptes. Cela veut dire que sa bonté surpasse tout, y compris le fait que nous ne la méritons pas ; cela veut dire qu'il faut que nous abandonnions une fois pour toutes notre logique de comptables : dans le Royaume des cieux, il n'y a pas de machine à calculer les mérites... Elle est là, peut-être, la conversion qui nous est demandée ; cette logique de comptables, nous avons bien du mal à nous en défaire : nos efforts, nos sacrifices, nos souffrances, nous voudrions toujours les comptabibliser pour nous rassurer ; cela nous donne, pensons-nous, des droits sur le Royaume, sur l'amour de Dieu...

A l'inverse, il nous paraîtrait juste que Dieu ne traite quand même pas tout le monde de la même manière : « Tu les traites comme nous ! », reprochent les ouvriers de la première heure, sous-entendu nous méritons mieux. Et justement, Jésus veut nous faire sortir de cette logique du mérite : l'amour ne compte pas. L'amour ne s'achète pas, il est donné. Cette leçon-là, pourtant, n'était pas nouvelle ; allez lire le psaume 126/127 : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort »... Il n'est pas question de mérites là-dedans ; pire, le même psaume affirme : « En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur... » autrement dit : ne calcule pas tes mérites et tes heures supplémentaires, Dieu te comble au-delà de tout. Le psaume d'aujourd'hui nous faisait chanter « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies »... visiblement ce n'est pas une justice calculée comme nous l'entendons ! La justice de Dieu, c'est d'aimer, sans distinction, tous ses enfants également, c'est-à-dire infiniment, sans mesure.

Pour rester dans l'Ancien Testament, Jonas lui aussi, trouvait scandaleux que Dieu pardonne si facilement à ces mécréants de Ninivites : le peuple élu s'efforçait laborieusement depuis si longtemps d'être fidèle à la loi ; ces affreux païens n'avaient eu qu'un geste à esquisser pour être pardonnés. Dès l'Ancien Testament, donc, on savait bien qu'il y a des derniers qui deviennent premiers. De la même manière, au temps de Matthieu, l'arrivée massive d'anciens païens dans les communautés chrétiennes faisait murmurer ceux qui venaient du Judaïsme et se savaient les héritiers d'une longue lignée de fidèles. Et Jésus lui-même a rencontré l'hostilité des croyants de longue date quand il a côtoyé amicalement des publicains et des pécheurs.

Jusque sur la croix, nous en connaissons au moins un qui était « dernier » et qui est devenu « premier », c'est le bon larron...Voilà bien un ouvrier de la dernière heure. (C'est dans l'évangile de Luc et non de Matthieu, mais la leçon est bien la même !) C'est à la dernière minute seulement que le bon larron crucifié en même temps que Jésus, enfin, se tourne vers lui ; et là, il a suffi d'une parole de vérité dans sa bouche et il s'est entendu dire ce dont nous rêvons tous pour notre dernière heure « Aujourd'hui même tu seras avec moi dans le Paradis ».

Mais si on veut bien regarder la vérité en face, elle devrait nous faire plutôt plaisir, cette parabole... Qui d'entre nous peut se vanter d'être un ouvrier de la première heure ? Qui que nous soyons, nous ne sommes tous que des ouvriers de la onzième heure ! C'est lorsque nous l'oublions que notre regard devient mauvais. « Vas-tu regarder avec un oeil mauvais parce que moi, je suis bon ? » Les ouvriers de la première heure récriminent contre le maître de maison dont ils ne comprennent pas la logique ; Jonas récriminait contre Dieu qui pardonnait trop facilement à ces pécheurs de Ninivites ; les Pharisiens récriminaient contre Jésus, trop accueillant aux gens de mauvaise vie ; le fils aîné murmurait contre le père trop accueillant pour le fils prodigue... Quand la logique de Dieu est trop différente de la nôtre, la tentation qui nous prend est de contester.

C'est le moment ou jamais de nous rappeler la phrase d'Isaïe dans la première lecture : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, dit Dieu... Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées au-dessus de vos pensées. »

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