Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 septembre 2010 5 17 /09 /septembre /2010 07:11

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - Amos 8, 4 - 7

4 Ecoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre
pour anéantir les humbles du pays,
5 car vous dites :
« Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée,
pour que nous puissions vendre notre blé ?
Quand donc le sabbat sera-t-il fini,
pour que nous puissions écouler notre froment ?
Nous allons diminuer les mesures,
augmenter les prix,
et fausser les balances.
6 Nous pourrons acheter le malheureux pour un peu d'argent,
le pauvre pour une paire de sandales.
Nous vendrons jusqu'aux déchets du froment ! »
7 Le Seigneur le jure par la Fierté d'Israël :
« Non, jamais je n'oublierai aucun de leurs méfaits. »


L'heure est sûrement grave puisque le prophète Amos termine par une formule extrêmement solennelle : « Le Seigneur le jure par la Fierté d'Israël ». Or la « Fierté d'Israël », c'est Dieu lui-même ; car c'est lui qui est (ou qui devrait être) la seule fierté de son peuple ; en d'autres termes, le Seigneur jure par lui-même. On trouve dans la Bible des expressions du même genre, par exemple « Le Seigneur le jure par sa Sainteté » ou bien « Par mon Nom, dit le Seigneur ». C'est logique : lorsque les hommes prêtent serment, ils le font au nom de quelqu'un qui les dépasse ; Dieu, lui, ne peut s'engager que par lui-même ! Qui pourrait-il invoquer de plus grand ?

Et à propos de quoi Dieu prête-t-il serment ? « Le Seigneur le jure par la Fierté d'Israël : Non, jamais je n'oublierai aucun de leurs méfaits. » Il s'agit des méfaits des gens qui ne cherchent qu'à s'enrichir aux dépens des autres. Amos est un prophète du huitième siècle av J.C. à l'époque où la terre de Palestine est partagée en deux royaumes. Petit berger d'un village du Sud, (Téqoa) près de Bethléem, il a été choisi par Dieu pour aller prêcher dans le royaume du Nord qu'on appelle aussi la Samarie, du nom de sa capitale. Nous sommes sous le règne de Jéroboam II, vers 750 av.J.C. : un règne faste à tout point de vue... du moins, c'est ce que tout le monde pense ; tous sauf un, le prophète Amos justement. La Samarie traverse une période de prospérité économique et, logiquement, c'est le niveau de vie de toute la population qui devrait s'améliorer... mais cette période faste ne profite pas à tout le monde ; au contraire Amos est bien obligé de constater que la richesse ne concerne qu'une catégorie privilégiée... mais, pire, cet enrichissement des uns naît de l'appauvrissement des autres ; tout simplement parce que les produits de première nécessité, le pain quotidien ou les sandales, sont entre les mains de vendeurs peu scrupuleux. Et alors on en arrive au point où des pauvres n'ont plus d'autre solution pour ne pas mourir de faim ou de froid que de se vendre comme esclaves : « Nous pourrons acheter le malheureux pour un peu d'argent, le pauvre pour une paire de sandales. »

Bien sûr, celui qui est lésé peut essayer de s'adresser à la justice ; oui, en théorie ; mais dans la pratique, chaque fois qu'il y a un procès pour des fraudes ou des escroqueries manifestes, les tribunaux prennent systématiquement le parti des riches contre les pauvres ; pourquoi ? Tout simplement parce que les riches paient les juges : Amos le dit très clairement dans son livre : « Ils changent le droit en poison et traînent la justice à terre ». La justice elle-même est faussée, corrompue ; le texte que nous avons entendu est donc l'un de ceux où Amos prend la parole pour annoncer le jugement de Dieu. Et il dresse un véritable réquisitoire : il énonce les faits, puis il rend son verdict. Les faits d'abord : « Vous écrasez les pauvres, vous anéantissez les humbles du pays ; vous dites : quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, que nous puissions vendre notre blé ? » Ce qu'on appelle « la nouvelle lune », c'est le premier jour du mois ; notre calendrier à nous se fonde sur le cycle du soleil, si bien que nous savons à peine quand est la nouvelle lune ou la pleine lune ; en Palestine au contraire le calendrier était lunaire ; dans les calendriers lunaires les mois sont de vingt-huit jours : ils débutent avec la nouvelle lune, et la pleine lune est au milieu du mois ; or la nouvelle lune, le premier jour du mois, (on l'appelait la « néoménie »), était un jour férié : ce qui veut dire que aucun travail, aucun déplacement, aucune activité commerciale n'étaient autorisés ; c'était par excellence le jour du repos et de la gratuité, exactement comme le sabbat (chaque samedi).

Ce répit dans les affaires visait à tourner l'homme vers Dieu. Mais ici il semble bien qu'il soit vécu avec impatience, car, désormais, l'homme a un autre maître, l'Argent. Evidemment pour quelqu'un dont le premier souci est de gagner de l'argent, un jour férié est sa bête noire : un jour de manque à gagner ; ce qui explique les reproches d'Amos : « Ecoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre... car vous dites : quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? » Pour autant, Amos ne vise évidemment pas tous les commerçants, comme si la profession tout entière méritait des reproches ; il vise ici des vendeurs malhonnêtes, pour qui commerce rime non pas avec service mais avec prix exorbitants et balances truquées : puisqu'il leur dit « vous avez l'intention de diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances ». L'image de la balance faussée est à double sens : très concrètement, d'abord, on voit bien comment un balancier sournoisement tordu peut fausser une mesure ; mais, plus profondément, ce sont toutes les balances de cette société qui sont faussées ; au fond, Amos reproche au peuple de Samarie de vivre sa vie tout entière dans l'injustice : les balances sont faussées, la justice est dévoyée, on continue bien à respecter les jours fériés, mais à contre-coeur et avec une arrière-pensée ; tout est faussé en somme.

Et voici le jugement : « Le Seigneur le jure par la Fierté d'Israël : jamais je n'oublierai aucun de leurs méfaits. » Traduisez « vous qui vous enrichissez injustement, vous oubliez bien facilement vos forfaits et les tribunaux vous suivent, mais le Seigneur vous déclare : ce sont des choses que l'on ne doit pas oublier. Vous ne devez pas vous habituer à l'injustice. » Pour autant, ne faisons pas dire à ce texte ce qu'il ne dit pas : la menace « Jamais je n'oublierai aucun de leurs méfaits » ne veut pas dire que Dieu gardera éternellement en mémoire nos fautes : toute la leçon de l'Ancien Testament sur le pardon de Dieu dit le contraire. Mais Amos prononce sa mise en garde volontairement de la façon la plus solennelle possible, parce qu'il y a là une leçon très grave : la première chose que Dieu demande à son peuple, c'est de vivre dans la justice ; un père de la terre ne supporterait pas que certains de ses enfants soient appauvris par leurs propres frères. A plus forte raison, notre société humaine fondée sur tant d'injustices et de misères de toute sorte, ne peut qu'offenser Dieu. Amos est d'autant plus virulent que, depuis cent ans, le royaume du Nord se vante d'avoir balayé l'idolâtrie en supprimant tous les cultes des divinités qu'on appelle les Baals ; en fait, ce qu'il reproche à ses contemporains, c'est d'être tombés dans une idolâtrie plus pernicieuse encore, celle de l'argent.
Peut-être faudrait-il aujourd'hui des Amos parmi nous ! Mais encore faudrait-il que nous les écoutions ...

PSAUME 112 (113)

1 Alleluia !
Louez, serviteurs du Seigneur,
louez le nom du Seigneur !
2 Béni soit le nom du Seigneur,
maintenant et pour les siècles des siècles !
3 Du levant au couchant du soleil,
loué soit le nom du Seigneur !
4 Le Seigneur domine tous les peuples,
sa gloire domine les cieux.

5 Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ?
Lui, il siège là-haut.
6 Mais il abaisse son regard
vers le ciel et vers la terre.
7 De la poussière il relève le faible,
il retire le pauvre de la cendre
8 pour qu'il siège parmi les princes,
parmi les princes de son peuple.
9 Il installe en sa maison la femme stérile,
heureuse mère au milieu de ses fils.



Ce psaume est le premier de ceux que Jésus a récités le soir du Jeudi-Saint. Quand Saint Matthieu raconte dans son évangile qu'ils partirent vers le Mont des Oliviers après avoir chanté les psaumes, il s'agit en particulier de ce psaume d'aujourd'hui. Et le premier mot que Jésus a chanté donc, c'est « ALLELUIA » ; Alleluia, qui veut dire littéralement « Louez-Dieu » : Allelu, c'est l'impératif tout simplement, louez ; et YA c'est la première syllabe du nom sacré. Donc, de toute évidence, il s'agit d'un psaume de louange, nous le savons dès ce premier mot « Alleluia ».

La composition de ce psaume est très intéressante ; il comporte deux parties de quatre versets chacune, qui encadrent un verset central ; ce verset central est une interrogation « Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ? » Et les deux parties contemplent les deux faces, si j'ose dire, du mystère de Dieu : sa Sainteté, d'une part, sa miséricorde, d'autre part. Une fois de plus, nous retrouvons cette double dimension de la Révélation : Dieu s'est fait connaître à la fois comme le TOUT-AUTRE (c'est ce que l'on appelle sa « transcendance » ou sa Sainteté, si vous préférez) ET comme le TOUT-PROCHE. Sa sainteté, c'est l'objet de la première partie ; il suffit de regarder d'un peu près le vocabulaire ! Pour manifester à quel point Il est le Tout-Autre, on répète inlassablement le fameux Nom, celui qu'on ne prononce jamais en entier, par respect. Vous savez pourquoi : pour l'homme de la Bible, dire le nom de quelqu'un, c'est déjà d'une certaine manière oser parler de lui, prétendre le connaître intimement ; et qui pourrait prétendre connaître Dieu ? Dieu seul peut parler de lui-même. Si bien que le Nom de Dieu, tel qu'il l'a révélé lui-même en quatre lettres, on ne le prononce jamais. Et vous savez bien que, dans la Bible, quand on rencontre ces fameuses quatre lettres, spontanément le lecteur juif les remplace par le mot « Adonaï » qui veut dire « Mon Seigneur », mais qui ne prétend pas décrire ni définir Dieu.

Parfois aussi, pour parler de Dieu sans dire son Nom, on emploie l'expression « LE NOM » et il faut entendre tout le respect, toute la déférence que cela implique. Or ici, le mot « Seigneur », qui dit si bien la distance entre Dieu et nous, est employé cinq fois ; l'expression « Le NOM » est employée trois fois, le verbe « louez » trois fois. Tout cela en quatre versets... « Alleluia ! Louez, serviteurs du Seigneur, louez le nom du Seigneur ! Béni soit le nom du Seigneur, maintenant et pour les siècles des siècles ! Du levant au couchant du soleil, loué soit le nom du Seigneur ! Le Seigneur domine tous les peuples, sa gloire domine les cieux. » Et la grandeur de Dieu rayonne sur la totalité du temps et de l'espace « Béni soit le Nom du Seigneur maintenant et pour les siècles... Du levant au couchant du soleil, loué soit le Nom du Seigneur ». Cette insistance traduit également une résolution, une profession de foi, la décision d'abandonner définitivement toute idolâtrie : « Le Seigneur domine tous les peuples, sa gloire domine les cieux. » Dernière remarque pour cette première partie, encore une fois, c'est le peuple élu qui parle, mais il n'oublie jamais le reste de l'humanité : « Le Seigneur domine tous les peuples ».

Puis vient le verset central : « Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ? » Sous-entendu la grande découverte (qui l'aurait cru ?), c'est que le Dieu de gloire est tout autant le Dieu de miséricorde. Et la deuxième strophe détaille l'action de Dieu auprès des plus petits, des plus pauvres. « De la poussière il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre ». En particulier, parmi les faibles et les pauvres, on comptait la femme stérile, qui vivait dans la crainte continuelle d'être répudiée : « Il installe en sa maison la femme stérile, heureuse mère au milieu de ses fils. » Et l'on sait qu'en hébreu, le mot « maison » veut aussi dire « descendance ». Sara, la femme d'Abraham, a connu ce miraculeux renversement de situation ; on imagine sans peine l'éblouissement de celle qui a cru être stérile à tout jamais, et qui se retrouve quelques années plus tard, avec sa maison remplie d'enfants !

La Bible se plaît à noter de tels renversements de situation : car « rien n'est impossible à Dieu », on le sait bien, c'est même le leit-motiv des croyants. Le Magnificat de la Vierge Marie est tout plein de cette certitude confiante : « Il s'est penché sur son humble servante ; désormais, tous les âges me diront bienheureuse... Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. » Sans oublier que si tout ceci peut s'appliquer aux individus, les psaumes visent d'abord le peuple d'Israël dans son ensemble.

Revenons au soir de la Cène où Jésus a chanté ce psaume avec ses disciples ; nul doute qu'en prenant le chemin du mont des Oliviers le soir du Jeudi-Saint, il a entendu résonner tout particulièrement le verset « De la poussière il relève le faible » : lui qui partait vers sa Passion et vers sa mort a certainement entendu là une annonce de sa résurrection ; poussière, nous sommes, à la poussière nous retournons ; mais « de la poussière Dieu relève (entendez il ressuscite) le faible pour qu'il siège parmi les princes »... C'est exactement ce qui s'est passé pour Jésus-Christ, et c'est ce qui nous attend.

****
Complément
A propos des renversements de situation : une toute petite étude de vocabulaire est très suggestive. En hébreu, à deux reprises, les mêmes mots sont employés pour parler de Dieu et pour parler des pauvres : malheureusement, notre traduction française ne peut pas toujours rendre toutes ces résonances ; par exemple le verbe « exalter » : une traduction littérale des versets 4a et 7b donnerait : « Que le Seigneur soit exalté sur toutes les nations » / « Du fumier il exalte le pauvre » ; ou encore le verbe « siéger » ou « trôner » : une traduction littérale, là encore, des versets 5b et 8a donnerait : « Lui il trône là-haut » / « Pour qu'il (le pauvre) trône parmi les princes ».

DEUXIEME LECTURE - 1 Timothée 2, 1-8

1 J'insiste avant tout
pour qu'on fasse des prières
de demande, d'intercession et d'action de grâce
pour tous les hommes,
2 pour les chefs d'Etat et tous ceux qui ont des responsabilités,
afin que nous puissions mener notre vie
dans le calme et la sécurité,
en hommes religieux et sérieux.
3 Voilà une vraie prière,
que Dieu, notre Sauveur, peut accepter,
4 car il veut que tous les hommes soient sauvés
et arrivent à connaître pleinement la vérité.
5 En effet, il n'y a qu'un seul Dieu,
il n'y a qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes :
un homme, le Christ Jésus,
6 qui s'est donné lui-même
en rançon pour tous les hommes.
Au temps fixé, il a rendu ce témoignage
7 pour lequel j'ai reçu la charge de messager et d'Apôtre
- je le dis en toute vérité -,
moi qui enseigne aux nations païennes la foi et la vérité.
8 Je voudrais donc qu'en tout lieu les hommes prient
en levant les mains vers le ciel,
saintement, sans colère ni mauvaises intentions.



Il y a au milieu de ce texte une phrase qui résume toute la Bible, une phrase de lumière, si j'ose dire ; je vous la rappelle : « Dieu, notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité. » Elle est au centre de ce texte, mais elle est aussi au centre de la pensée de Paul, et surtout elle est le centre, la chose la plus importante de l'histoire de l'humanité ; « Dieu, notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés ». Tous les mots comptent : « Dieu veut » : c'est le mystère de sa volonté, ce « dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement », comme dit la lettre aux Ephésiens (1, 9 - 10). La volonté de Dieu est une volonté de salut, et cette volonté de Dieu concerne tous les hommes : « Dieu, notre Sauveur, veut que tous les hommes soient sauvés ». Visiblement, Paul veut insister très fort sur la dimension universelle du projet de Dieu. Je reprends ses expressions : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés... j'insiste pour qu'on fasse des prières... pour tous les hommes... le Christ lui-même s'est donné en rançon pour tous les hommes ».

Je reprends notre fameuse phrase parce qu'elle nous donne la définition du salut : « Dieu, notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité. » On sait bien que dans ce genre de phrase, le mot ET peut être remplacé par « C'EST-A-DIRE » ; il faut donc entendre : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés c'est-à-dire arrivent à connaître pleinement la vérité. »

Et qu'est-ce que la vérité ? C'est que Dieu nous aime et est sans cesse auprès de nous pour nous combler de son amour ; être sauvé c'est connaître cette vérité, non pas d'une manière intellectuelle, mais connaître à la manière biblique, c'est-à-dire en vivre, se laisser aimer et combler. Tant que les hommes ne connaissent pas l'amour de Dieu pour eux, tant qu'ils n'en vivent pas, ils sont comme prisonniers. Le Christ est venu justement pour les libérer. D'où l'expression « il s'est donné en rançon » : chaque fois que nous rencontrons ce mot « rançon », nous pouvons le remplacer par le mot « libération ». Le Christ est venu pour annoncer en paroles et en actes l'amour de Dieu pour tous les hommes. Croire à cet amour, vivre de cet amour, c'est être sauvé.
Alors, la vraie prière, celle que Dieu peut accepter, comme dit Paul, c'est parler à Dieu de son projet, c'est entrer dans son projet, nous en imprégner, pour être capables ensuite de répandre la nouvelle comme une traînée de poudre. Dans ce sens-là, on peut comparer la messe du dimanche à une réunion de chantier, la réunion de chantier du royaume ; sur un chantier de construction, on fait le point chaque lundi matin sur l'avancement des travaux ; de la même manière, les Chrétiens se réunissent tous les dimanches pour faire le point sur l'avancement du chantier de Dieu. Et à en croire cette lettre à Timothée, le chantier de Dieu, c'est très clair, est à la dimension de l'univers tout entier. C'est bien pour cela que la prière autrefois appelée « prière des fidèles » s'appelle aujourd'hui « prière universelle » ; les deux termes sont équivalents.

« La Prière des fidèles », cela veut dire « la prière de ceux qui ont la foi » : c'est-à-dire ceux qui ont assez de foi pour croire que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ». Sûrs de cette foi, sûrs de l'amour de Dieu pour l'humanité tout entière, nous prions le Père : le texte officiel précise bien qu'il s'agit d'une prière de supplication ; mais il ne s'agit pas de mettre Dieu au courant des besoins du monde, comme s'il fallait lui apprendre quelque chose ; il s'agit d'une éducation de notre propre regard : nous apprenons à regarder le monde avec les yeux de Dieu. Les meilleurs outils pour préparer la Prière Universelle, ce sont le Livre de la Parole de Dieu dans une main, et dans l'autre, le journal qui nous tient au courant de l'actualité sur tous les continents. Ainsi armés, nous pourrons entendre l'Esprit nous souffler ce dont le monde a besoin, et dans quel sens orienter nos efforts pour le transformer.

Dernière remarque, on a ici une superbe description de ce qu'était la prière juive bien avant la prière chrétienne ; car si vous connaissez la prière juive, telle que nous la livre l'Ancien Testament, elle est faite exactement comme dit Saint Paul « de demande, d'intercession et d'action de grâce pour tous les hommes ». On n'a pas attendu le Nouveau Testament ni pour prier, ni pour demander, ni pour rendre grâce ; on n'a pas non plus attendu le Nouveau Testament pour savoir que le projet de Dieu concerne l'humanité tout entière. Et même la position de la prière les mains levées vers le ciel n'est pas une invention des Chrétiens. Il suffit de se rappeler la prière de Moïse, les bras levés, à Rephidim, dans le Sinaï. La prière chrétienne est vraiment la petite soeur, l'héritière de la prière juive. Et d'ailleurs, on trouve dans les catacombes des tombeaux sculptés représentant des hommes en prière dans cette position de Moïse, qu'on appelle la position de l'orant.

Notons que, dans la dernière phrase, l'insistance de Paul n'est pas sur la position à adopter, mais sur l'état d'esprit dans lequel on doit être pour la prière : « Je voudrais qu'en tout lieu, les hommes prient en levant les mains vers le ciel, saintement, sans colère ni mauvaises intentions. » Comment entrer dans le projet d'amour de Dieu pour tous si on a le coeur plein de colère et de mauvaises intentions ? Très certainement, là, on a une trace de difficultés graves, d'oppositions, de dissensions, de persécutions peut-être, dans la communauté à laquelle était destinée cette lettre. On ne peut pas aventurer d'hypothèses précises car on n'est pas très sûr de la date de composition de cette lettre, on n'est même pas sûr qu'elle soit de Paul lui-même, en tout ou en partie. Mais peu importe la date de cette lettre : ce qui compte à toute époque et quelles que soient les difficultés que nous rencontrons, c'est de ne jamais oublier que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité ».

EVANGILE - Luc 16, 1-13

1 Jésus racontait à ses disciples cette parabole :
« Un homme riche avait un gérant
qui lui fut dénoncé parce qu'il gaspillait ses biens.
2 Il le convoqua et lui dit :
Qu'est-ce que j'entends dire de toi ?
Rends-moi les comptes de ta gestion,
car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.
3 Le gérant pensa :
Que vais-je faire,
puisque mon maître me retire la gérance ?
Travailler la terre ? Je n'ai pas la force.
Mendier ? J'aurais honte.
4 Je sais ce que je vais faire,
pour qu'une fois renvoyé de ma gérance,
je trouve des gens pour m'accueillir.
5 Il fit alors venir, un par un,
ceux qui avaient des dettes envers son maître.
Il demanda au premier : Combien dois-tu à mon maître ?
6 - Cent barils d'huile.
Le gérant lui dit :
Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.
7 Puis il demanda à un autre :
Et toi, combien dois-tu ? - Cent sacs de blé.
Le gérant lui dit :
Voici ton reçu, écris quatre-vingts.
8 Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge :
effectivement, il s'était montré habile,
car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux
que les fils de la lumière.
9 Eh bien moi, je vous le dis :
Faites-vous des amis avec l'Argent trompeur,
afin que, le jour où il ne sera plus là,
ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
10 Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire
est digne de confiance aussi dans une grande.
Celui qui est trompeur dans une petite affaire
est trompeur aussi dans une grande.
11 Si vous n'avez pas été dignes de confiance
avec l'Argent trompeur,
qui vous confiera le bien véritable ?
12 Et si vous n'avez pas été dignes de confiance
pour des biens étrangers,
le vôtre, qui vous le donnera ?
13 Aucun domestique ne peut servir deux maîtres :
ou bien il détestera le premier, et aimera le second ;
ou bien il s'attachera au premier, et méprisera le second.
Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'Argent. »


Ce texte nous réserve une surprise de taille : Jésus a l'air de féliciter les escrocs ! « Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge, car il s'était montré habile... » Mais ses auditeurs ne s'y trompent pas car Jésus le qualifie de « trompeur », c'est-à-dire malhonnête et en ce temps-là comme aujourd'hui, l'honnêteté faisait bien partie de la morale élémentaire. Or le propos de Jésus n'est certainement pas d'aller contre la morale élémentaire. D'autre part, Jésus prend bien soin de préciser que le maître félicite cet homme pour son habileté. S'il emploie cet exemple un peu provocant, c'est pour nous faire réfléchir sur quelque chose de très grave, et c'est la dernière phrase qui nous le dit : nous avons un choix à faire, et il est urgent, entre Dieu et l'Argent. « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'Argent. »

Et Jésus dresse toute une série d'oppositions : entre les fils de ce monde et les fils de la lumière, entre une toute petite affaire et une grande affaire, entre l'Argent trompeur et le bien véritable, entre les biens étrangers et notre bien. Toutes ces oppositions n'ont qu'un but, nous faire découvrir que l'Argent n'est qu'une tromperie et que consacrer sa vie à « faire de l'argent » comme on dit, c'est faire fausse route. C'est aussi grave que l'idolâtrie que les prophètes ont tellement pourchassée. Dans la phrase « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'Argent », le mot « servir » a un sens religieux, bien sûr. Il n'y a qu'un seul Dieu, ne vous faites pas d'idoles, car toute idolâtrie fait de vous un esclave ; nous avions déjà entendu très fort ce message dans le livre de l'Exode, par la bouche de Moïse, la semaine dernière, dans l'épisode du veau d'or. Dieu seul libère (tout l'Ancien Testament nous l'a appris)... les idoles asservissent. Or l'argent peut fort bien devenir une idole, c'est-à-dire devenir une fin en soi et non plus un moyen ; quand on est obsédé par l'envie de gagner de l'argent, on devient vite esclave : bientôt nous n'aurons plus le temps de penser à autre chose ! « Se méfier de ce qu'on possède pour ne pas être possédé », dit la Sagesse populaire, et c'est un bon principe. Justement, le sabbat était fait entre autres pour cela : retrouver une fois par semaine le goût de la gratuité. C'est une manière de rester libre.

L'Argent est trompeur de deux manières : d'abord, il nous fait croire qu'il nous assurera le bonheur, mais viendra bien un jour, pourtant, où il nous faudra tout laisser. Dans la phrase de Jésus « Faites-vous des amis avec l'Argent trompeur, afin que le jour où il ne sera plus là... », la formule « il ne sera plus là » est une allusion à la mort. « Il n'y a pas grand intérêt à être le plus riche du cimetière ! » comme on dit. Ensuite, l'Argent nous trompe quand nous croyons qu'il nous appartient pour nous tout seuls. Jésus ne nous pousse pas à mépriser l'argent, mais à le mettre au service du Royaume, c'est-à-dire des autres. Les richesses méritent bien leur nom et il serait stupide et hypocrite de les bouder. Mais nous n'en sommes pas propriétaires pour notre seul usage égoïste, nous en sommes intendants. C'est pour cela que Jésus parle de « bien étranger », c'est parce qu'il ne nous appartient pas. Il est bien vrai « qu'il n'y a pas grand intérêt à être le plus riche du cimetière « , mais « il y a grand intérêt à être riche pour en faire profiter les autres ».

Dans la phrase « être digne de confiance avec l'Argent trompeur », le mot « confiance » est très important : Dieu nous fait confiance ; cet argent nous est confié, nous en sommes intendants, responsables ... toutes nos richesses, de tous ordres, nous sont confiées comme à des intendants pour que nous les partagions, pour que nous les transformions en bonheur pour ceux qui nous entourent. Alors on comprend mieux la parabole précédente : cet intendant menacé de licenciement et qui fait une dernière fois des cadeaux avec l'argent de son patron pour se faire des amis qui le lui rendront. Il est parfaitement malhonnête ; mais il a su trouver très vite une solution astucieuse pour assurer son avenir. Et l'astuce, ici, consiste à utiliser pour une fois l'Argent comme un moyen et non comme un but.

Ce n'est pas la malhonnêteté que Jésus admire, c'est l'habileté : qu'est-ce que nous attendons pour trouver des solutions astucieuses pour assurer l'avenir de tous ?... et il est vrai que l'envie de gagner de l'argent rend des quantités de gens très inventifs ; Jésus voudrait bien que l'ardeur pour la justice ou pour la paix nous rende aussi inventifs ! Le jour où nous consacrerons autant de temps et de matière grise à inventer des solutions de paix, de justice et de partage qu'à gagner de l'argent au-delà du nécessaire, la face du monde sera changée. Et déjà si nous passions autant de temps à parler de solidarité et de partage que nous passons de temps à parler d'argent, bien des choses changeraient, probablement.
Au fond la morale de l'histoire pourrait s'écrire ainsi : Choisissez Dieu, résolument, et mettez au service du Royaume l'habileté que vous mettriez à faire de l'argent. Les fils de la lumière savent que l'Argent n'est qu'une toute petite affaire, c'est le Royaume qui est la grande affaire. Ils ne « servent » pas l'Argent comme on sert une divinité, ils le mettent au service du Royaume.

Partager cet article

Repost0

commentaires