Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 22:58
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   1, 15… 26

15 En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères
     qui étaient réunis au nombre d’environ cent vingt personnes
     et il déclara :
16 « Frères, il fallait que l’Écriture s’accomplisse :
     En effet, par la bouche de David,
     l’Esprit-Saint avait d’avance parlé de Judas,
     qui en est venu à servir de guide
     aux gens qui ont arrêté Jésus :
17 ce Judas était l’un de nous
     et avait reçu sa part de notre ministère.
20 Il est écrit au livre des Psaumes :
     Qu’un autre prenne sa charge.
21 Or, il y a des hommes qui nous ont accompagnés
     durant tout le temps où le Seigneur Jésus
     a vécu parmi nous,
22 depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean,
     jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous.
     Il faut donc que l’un d’entre eux devienne, avec nous,
     témoin de sa résurrection. »
23 On en présenta deux :
     Joseph appelé Barsabbas, puis surnommé Justus, et Matthias.
24 Ensuite, on fit cette prière :
     « Toi, Seigneur, qui connais tous les cœurs,
     désigne lequel des deux tu as choisi
25 pour qu’il prenne, dans le ministère apostolique,
     la place que Judas a désertée
     en allant à la place qui est désormais la sienne. »
26 On tira au sort entre eux, et le sort tomba sur Matthias,
     qui fut donc associé par suffrage aux onze Apôtres.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

TÉMOINS DU SEIGNEUR RESSUSCITÉ

« En ces jours-là » : il s’agit des jours qui précèdent la Pentecôte ; nous avons donc là un témoignage sur un moment tout proche encore de la Résurrection de Jésus, très peu de temps après l’Ascension. Il est clair, déjà, que c’est Pierre qui mène les affaires ; ce qui est bien normal puisque c’est à lui que Jésus a confié ses brebis, comme il disait. Le moment est venu, estime Pierre, d’organiser la communauté : et là, on voit à quel point Pierre allie l’esprit de décision, l’initiative et le souci de fidélité à son Seigneur. Du côté de l’esprit de décision, on note sa fermeté : il dit très clairement ce qu’il faut faire : » Voici ce qu’il faut faire »... » il faut que l’un d’entre eux devienne avec nous témoin de sa résurrection ».

Du côté de la fidélité, et cela ne nous étonne pas de la part d’un Juif, c’est dans l’Écriture qu’il puise son inspiration : « Il est écrit au livre des psaumes : Que sa charge passe à un autre ». Ensuite, les critères de choix du candidat sont bien évidemment inspirés du souci de fidélité : pour remplacer Judas, on a cherché quelqu’un qui ait accompagné les apôtres depuis le début de la vie publique de Jésus, c’est-à-dire son baptême par Jean-Baptiste, jusqu’à l’Ascension. Jusqu’ici, dans les évangiles, nous n’avions jamais entendu le nom de Joseph Barsabbas, surnommé Justus, ni celui de Matthias ; mais nous découvrons ici que le cercle des très proches de Jésus était plus large que les douze apôtres. Pierre le dit clairement : « Il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis son baptême donné par Jean jusqu’au jour où il fut enlevé ».

Bienheureuse exigence de Pierre : c’est sur elle que nous pouvons fonder notre propre certitude de foi. Le témoignage rendu à la résurrection du Christ l’a été par des hommes qui avaient le droit d’en parler parce qu’ils avaient bien connu Jésus du début à la fin de sa vie publique. Chose étonnante, Pierre n’émet pas d’autre exigence que celle-là, il ne parle pas des qualités de caractère ou des vertus de celui qu’on recherche : ce qui prime, c’est sa fidélité à suivre Jésus depuis le début, pour être à même de parler de lui. Voilà qui devrait rassurer ceux d’entre nous qui se trouvent dépourvus de qualités : apparemment, ce n’est pas le plus important ! Le plus important est d’être un simple témoin de la résurrection du Christ ! C’est bien la mission que Jésus leur a confiée : au moment de les quitter, il leur avait dit : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1,8). On peut penser aussi à cette phrase de Jésus qui légitime tous nos engagements : « Vous me rendrez témoignage, vous qui êtes avec moi depuis le commencement. » (Jn 15,27).

 

UNE DÉCISION COLLÉGIALE

Pierre a indiqué la route à suivre, mais il ne décide pas tout seul : cela se déroule en trois temps ; à sa demande, on présente deux candidats : qui désigne ce « on » ?  Le texte ne le dit pas, mais ce n’est pas Pierre en tout cas ; ensuite, l’assemblée (les cent vingt cités par Luc au début du texte) se met en prière : « Toi, Seigneur, qui connais le cœur de tous les hommes, montre-nous lequel des deux tu as choisi... » ; enfin, le recours au tirage au sort manifeste la place que l’on veut laisser à l’Esprit Saint dans ce choix : dans la mentalité de l’époque, tirer au sort, c’est remettre le choix dans les mains de Dieu.

Chose curieuse, le nom de Matthias ne sera plus jamais mentionné dans les Actes des Apôtres : si donc, Luc raconte un peu longuement son entrée dans le groupe des Douze, ce n’est pas à cause de la personnalité de Matthias, mais parce que cette volonté de Pierre de reconstituer le groupe après la défection de Judas lui paraît symbolique : est-ce parce que douze est le nombre des tribus d’Israël ? Luc ne le dit pas. Peut-être, tout simplement, faut-il voir là le souci de Pierre de rester fidèle aux dispositions de Jésus lui-même : Jésus avait choisi douze apôtres, l’un des douze, Judas, a abandonné, on le remplace.

Je reviens sur l’abandon de Judas : il avait pourtant reçu, comme les autres Apôtres, une part du ministère, car il faisait partie des douze choisis par Jésus après une nuit de prière : « En ces jours-là, Jésus s’en alla dans la montagne pour prier et il passa la nuit à prier Dieu ; puis, le jour venu, il appela ses disciples et en choisit douze auxquels il donna le nom d’apôtres : Simon, auquel il donna le nom de Pierre, André son frère, Jacques, Jean, Philippe, Barthélémy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d’Alphée, Simon qu’on appelait le zélote, Judas fils de Jacques et Judas Iscarioth qui devint traître. » (Lc 6,12-15).

Cela veut dire que, même choisi par Jésus, dans un choix inspiré par l’Esprit-Saint, on reste libre. Judas, choisi comme les autres après une nuit de prière, est resté libre de trahir. Pierre a cette formule amère : » Judas a déserté sa place », une place qu’il a tenue pourtant jusqu’au soir du jeudi saint ; c’est au cours du repas de la Cène que Jésus a dit : « Le Fils de l’homme s’en va selon ce qui a été fixé. Mais malheureux cet homme par qui il est livré ! » (Luc 22,22). Et encore « La main de celui qui me livre se sert à table avec moi. » (Lc 22,21). Chez Luc, ceci se passe après le récit de l’institution de l’Eucharistie ; ce qui veut dire que Judas a participé avec les autres apôtres au repas de la Nouvelle Alliance. Mais il ne faut pas s’attarder sur le passé : « Il faut, dit Pierre, que sa charge passe à un autre » : parce que l’urgence de la mission est telle qu’on ne peut laisser des places vides !
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

La phrase de Pierre nous surprend peut-être : « Par la bouche de David, l'Esprit Saint avait d'avance parlé de Judas... » ; l'expression « Par la bouche de David » désigne les psaumes ; elle prouve deux choses : premièrement que Pierre, comme ses contemporains, attribue les psaumes à David ; ce n'est plus le cas aujourd'hui : parce qu'on a mille traces dans les psaumes d'une composition échelonnée sur plusieurs siècles ; deuxièmement, cela prouve également  qu'au tout début de l'Église, les psaumes étaient fréquemment cités dans les discussions théologiques. Cela revient à dire qu'ils étaient très certainement souvent priés pour être si bien connus. Sur ce point, nous aurions beaucoup à faire pour retrouver cet usage aujourd'hui.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 102 (103), 1-2.11-12.19-20ab 

1   Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
     bénis son nom très saint, tout mon être !
2   Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
     n'oublie aucun de ses bienfaits !

11 Comme le ciel domine la terre,
     fort est son amour pour qui le craint :
12 aussi loin qu'est l'Orient de l'Occident,
     il met loin de nous nos péchés.

 19 Le SEIGNEUR a son trône dans les cieux :
     sa royauté s'étend sur l'univers.
20 Messagers du SEIGNEUR, bénissez-le,
     invincibles porteurs de ses ordres !
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE CHANT DE LOUANGE D’ISRAËL…

Vous vous rappelez la visite de Pierre chez le centurion romain Corneille ; nous en avons lu le récit dans les Actes des Apôtres, dimanche dernier. Pierre avait entendu Corneille chanter la gloire de Dieu et il en avait déduit que l’Esprit-Saint était là ; ou, pour le dire autrement, la preuve de la présence de l’Esprit sur quelqu’un, c’est qu’il est dans l’action de grâce. « Tous les croyants qui accompagnaient Pierre furent stupéfaits, eux qui étaient Juifs, de voir que même les païens avaient reçu à profusion le don de l’Esprit Saint. Car on les entendait dire des paroles mystérieuses et chanter la gloire de Dieu. »    

Pas étonnant donc, qu’en écho au livre des Actes des Apôtres, que nous lisons encore ce dimanche et qui est tout rempli de la présence de l’Esprit, nous soyons invités à chanter ce psaume 102/103 qui est d’un bout à l’autre un chant d’action de grâce pour toutes les bénédictions dont le compositeur (entendez le peuple d’Israël) a été comblé par Dieu.

Effectivement, d’un bout à l’autre, ce psaume rayonne d’action de grâce : cela se voit déjà au seul fait qu’il comporte vingt-deux versets (la liturgie de ce dimanche ne nous en propose que six, mais en réalité il en comporte vingt-deux). Or vous le savez bien, l’alphabet hébreu comporte vingt-deux lettres ; donc on dit de ce psaume qu’il est « alphabétisant » ; et quand un psaume est alphabétisant, on sait d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance.

D’un bout à l’autre, ce psaume rayonne d’action de grâce ! Cela commence dès le premier verset : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, bénis son Nom très saint, tout mon être ! » Pour commencer, on est frappés par le  « parallélisme » entre les deux lignes de ce verset qui se répondent comme en écho ; et cela se répète tout au long de ce psaume ; l’idéal pour le chanter serait l’alternance ligne par ligne ; il a peut-être, d’ailleurs, été composé pour être chanté par deux chœurs alternés. Ce parallélisme, ce « balancement », nous le rencontrons souvent dans la Bible, dans les textes poétiques, mais aussi dans de nombreux passages en prose.

Ici, en particulier, il y a un double parallélisme qui est intéressant : d’abord « Bénis le SEIGNEUR »... « Bénis son NOM très saint » : la deuxième fois, au lieu de dire « le SEIGNEUR », on dit « le NOM » : une fois de plus, nous voyons que le NOM, dans la Bible, c’est la personne.1

Deuxième parallèle, toujours dans ce premier verset : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être » : les mots « âme » et « tout mon être » sont mis en parallèle : parce que, dans la mentalité biblique, quand on dit « l’âme », il s’agit de l’être tout entier.2

Enfin, je voudrais attirer votre attention également sur la construction de l’ensemble de ce psaume : pour cela je vous lis sa première et sa dernière strophe en entier : première strophe : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, bénis son Nom très saint, tout mon être !  Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ! » ; dernière strophe : « Messagers du SEIGNEUR, bénissez-le, invincibles porteurs de ses ordres, attentifs au son de sa parole ! Bénissez-le, armées du SEIGNEUR, serviteurs qui exécutez ses désirs ! Toutes les œuvres du SEIGNEUR, bénissez-le, sur toute l’étendue de son empire ! Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ! »

Première remarque : il est encadré au début et à la fin par une même phrase « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme » : première inclusion qui dit bien le sens général du psaume.

Deuxième remarque : maintenant, je compare la première et la dernière strophes en entier : première strophe : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, bénis son Nom très saint, tout mon être !  Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ! » Nous savons bien que celui qui parle ici à la première personne du singulier est le peuple d’Israël tout entier : ce « JE » est collectif. Donc première strophe, l’invitation à la prière s’adresse à Israël ; dernière strophe : « Messagers du SEIGNEUR, bénissez-le, invincibles porteurs de ses ordres, attentifs au son de sa parole ! Bénissez-le, armées du SEIGNEUR, serviteurs qui exécutez ses désirs ! Toutes les œuvres du SEIGNEUR, bénissez-le, sur toute l’étendue de son empire ! » Les messagers de Dieu, ce sont les anges ; on imagine, comme dans les tableaux de Fra Angelico, les Anges embouchant leurs trompettes... « Toutes les œuvres du SEIGNEUR », c’est la création tout entière, l’univers visible et invisible.

 

… EN ATTENDANT LE CHANT DE LOUANGE DE L’UNIVERS ENTIER

Nous avons donc là encore une inclusion : la première strophe est une invitation à la louange des serviteurs de Dieu sur la terre ; la dernière strophe est une invitation à la louange des serviteurs de Dieu dans le ciel, puis, en définitive à la totalité de l’univers. Voilà de quoi nous habiller le cœur pour chanter ce psaume à notre tour !

Troisième remarque sur la construction de ce psaume : la strophe du milieu (dans notre lecture d’aujourd’hui) est aussi celle qui est au centre du psaume : « Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint : aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés. » Cette phrase est au centre du psaume comme elle est au centre de la foi d’Israël, de sa merveilleuse découverte du vrai visage de Dieu : un Dieu dont nous n’avons rien à craindre parce qu’il nous aime sans cesse et nous pardonne, parce que, sans cesse, il met loin de nous nos péchés ; la « crainte » a définitivement changé de signification ; elle est devenue simple obéissance confiante de l’enfant.

Je reviens sur les mots Orient et Occident ; pour la mentalité biblique, ils sont bien les points cardinaux de la géographie, mais pas seulement ; parce que c’est à l’Est que le soleil se lève, l’Orient évoque la lumière et particulièrement celle de la vérité ; le mot « orienter » vient de là ; et, par contraste, l’Occident évoque l’erreur et le péché. Dans la phrase « Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés », on entend cette distance qui sépare la lumière des ténèbres, la vérité de l’erreur ; loin, loin de nos erreurs passées, Dieu nous attire vers sa lumière et sa vérité.

Désormais ce qui est au centre de l’action de grâce d’Israël, c’est le pardon sans cesse renouvelé de Dieu. La seule vraie conversion qui nous est demandée, c'est de croire que Dieu est amour.

Pour terminer, vous savez que cette symbolique de l’Orient et l’Occident se retrouvait dans la liturgie du Baptême des premiers siècles : les baptisés se tournaient vers l’Occident pour renoncer au mal, puis faisaient demi-tour sur place : pour bien signifier que, désormais, ils tournaient résolument le dos à l’erreur ; ils se tournaient alors vers l’Orient (d’où vient la lumière) pour prononcer leur profession de foi et ensuite entrer dans le baptistère.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Notes

1 - Dire le Nom de quelqu’un c’est le connaître. Et c’est bien pour cela que les Juifs ne s’autorisent jamais à prononcer le NOM de Dieu, parce qu’ils ne prétendent pas “connaître” Dieu. Encore aujourd’hui, les Bibles écrites en hébreu ne transcrivent pas les voyelles qui permettraient de prononcer le NOM. Il est donc transcrit uniquement avec les quatre consonnes YHVH, ce qu’on appelle le “tétragramme”. Et quand le lecteur voit ce mot, aussitôt il le remplace par un autre (Adonaï) qui signifie “le SEIGNEUR” mais qui ne prétend pas définir Dieu.

2 - À la suite des penseurs grecs, nous avons tendance à nous représenter l’homme comme l’addition de deux composants différents, étrangers l’un à l’autre, l’ÂME et le CORPS. Mais les progrès des sciences humaines, au vingtième siècle, ont confirmé que ce dualisme ne rendait pas compte de la réalité. Dans la mentalité biblique, au contraire, on a une conception beaucoup plus unifiée et quand on dit “l’âme”, il s’agit de l’être tout entier. “Bénis le Seigneur, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être”.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT JEAN 4, 11-16

11 Bien-aimés,
     puisque Dieu nous a tellement aimés,
     nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.
12 Dieu, personne ne l'a jamais vu.
     Mais si nous nous aimons les uns les autres,
     Dieu demeure en nous,
     et, en nous, son amour atteint la perfection.
13 Voici comment nous reconnaissons
     que nous demeurons en lui,
     et lui en nous :
     il nous a donné part à son Esprit.
14 Quant à nous, nous avons vu,
     et nous attestons
     que le Père a envoyé son Fils
     comme Sauveur du monde.
15 Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu,
      Dieu demeure en lui,
     et lui en Dieu.
16 Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous,
     et nous y avons cru.
     Dieu est Amour :
     qui demeure dans l'amour
     demeure en Dieu,
     et Dieu demeure en lui.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

CELUI QUI M’A VU A VU LE PÈRE 

La phrase centrale de ce texte, c’est : « Le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde. » Le raisonnement de Jean est le suivant : 1) « Dieu est Amour » ; 2) Jésus est venu dans le monde pour révéler aux hommes le visage d’amour du Père ; 3) ceux qui croient en lui, reçoivent l’Esprit de Dieu, entrent dans la communion d’amour du Père, du Fils et de l’Esprit ; 4) ils deviennent à leur tour des sources d’amour, comme leur Père. Alors on peut dire que Jésus est le Sauveur du monde : car, enfin, les hommes deviennent ce pour quoi ils sont créés, à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Pour s’imprégner de ce raisonnement, il faut le reprendre pas à pas : d’abord, premier point, « Dieu est Amour » ; nous ne réalisons pas à quel point cette phrase est absolue ; pour Jean, les deux mots « Dieu » et « Amour » sont synonymes ; on peut toujours remplacer l’un par l’autre ! Dieu est Amour... et l’Amour est Dieu.  Cela veut dire que tout amour vient de Dieu : aucun amour humain ne vient de l’homme seulement ; tout amour humain est dans l’homme une parcelle, une manifestation de l’amour de Dieu. Voilà une nouvelle fantastique et qui peut modifier notre regard sur l’amour humain ! Dimanche dernier, nous lisions déjà dans cette même lettre de Jean : « L’amour vient de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu, puisque Dieu est Amour. » (1 Jn 4,8). C’était donc le premier point de la méditation de saint Jean.

Deuxième point, Jésus est venu habiter parmi nous pour nous faire découvrir cela justement, que Dieu est Amour. Désormais, en Jésus, les hommes ont vu Dieu et ont pu constater de leurs yeux qu’il n’est qu’Amour. Il suffit de rappeler quelques phrases de l’évangile de Jean : « Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé. » (Jn 1,18)... « Nul n’a vu le Père, si ce n’est celui qui vient de Dieu. Lui a vu le Père. » (Jn 6,46)... « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9).

Troisième point, ceux qui acceptent de croire en Jésus, de reconnaître en lui le visage d’amour du Père, se mettent par le fait même au diapason de l’Esprit de Dieu, ils deviennent une demeure pour l’Esprit d’amour ; c’est une véritable renaissance, celle dont Jésus parlait à Nicodème. Le même évangile de Jean dit que nous sommes « enfants » de Dieu : « À ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu. » (Jn 1,12). Saint Paul le dit, lui aussi, à sa manière, dans la lettre aux Romains : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » (Rm 5,5). Et le Christ est venu dans le monde, justement, pour que l’Esprit d’amour soit répandu sur la terre.

On peut relire le début de la Bible à cette lumière-là ; car dès les premiers chapitres de la Bible, l’enjeu de la vie humaine est bien situé : l’auteur inspiré dit bien que Dieu a créé l’homme « à son image et à sa ressemblance ». Et donc, si Dieu est Amour, nous sommes faits pour aimer.

À L’IMAGE ET À LA RESSEMBLANCE DE DIEU

Quatrième point, parce qu’ils sont remplis de l’Esprit d’amour, les croyants deviennent à leur tour des sources d’amour : saint Paul dit que nous sommes désormais « héritiers de Dieu » : cela veut dire que nous pouvons puiser dans les trésors de Dieu. Et, bien sûr, on pense à cette phrase de l’évangile de Jean : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive celui qui croit en moi... De son sein couleront des fleuves d’eau vive... Il désignait ainsi l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » (Jn 7,37-38).

Mais il nous faut bien l’assistance de l’Esprit ! Tous les jours, nous mesurons notre difficulté à aimer vraiment ; mais après tout, ce n’est pas étonnant ! Si l’amour est la caractéristique de Dieu, rien d’étonnant à ce qu’il ne nous soit pas naturel ! Si, réellement, Dieu est Amour et l’Amour est Dieu, cela revient à dire que l’amour dépasse les limites humaines, qu’il est surhumain ; ce que nous savons bien !

Alors, ce texte de Jean devrait nous déculpabiliser : cessons d’avoir honte de ne pas savoir aimer ; simplement, il suffit de puiser dans l’amour de Dieu pour le donner aux autres. Alors on comprend pourquoi Jean insiste tant sur le verbe « demeurer » : « Dieu est Amour, celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en lui. » Nous ne pouvons aimer que dans la mesure où nous sommes habités par Dieu. Ce qui est possible si nous restons fermement greffés sur Jésus-Christ.

Conclusion, on peut donc dire que Jésus est le sauveur du monde. C’est-à-dire : il est celui qui va permettre au monde d’accomplir sa vocation ; il est clair que le monde est perdu parce qu’il ne vit pas dans l’amour, ou si vous préférez qu’il ne vit pas d’amour. Jésus est venu habiter parmi nous pour nous transformer, pour nous faire découvrir que Dieu est Amour, et nous permettre de vivre de cet amour. En cela, Jésus est bien le sauveur du monde : comme le dit Jean dans son évangile : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3,16-17).
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 17,11b - 19

     En ce temps-là,
     les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi :
11 « Père saint,
     garde mes disciples unis dans ton nom,
     le nom que tu m’as donné,
     pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes.
12 Quand j’étais avec eux,
     je les gardais unis dans ton nom,
     le nom que tu m’as donné.
     J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu,
     sauf celui qui s’en va à sa perte
     de sorte que l’Écriture soit accomplie.
13 Et maintenant que je viens à toi,
     je parle ainsi, dans le monde,
     pour qu’ils aient en eux ma joie,
     et qu’ils en soient comblés.
14 Moi, je leur ai donné ta parole,
     et le monde les a pris en haine
     parce qu’ils n’appartiennent pas au monde,
     de même que moi je n’appartiens pas au monde.
15 Je ne prie pas pour que tu les retires du monde,
     mais pour que tu les gardes du Mauvais.
16 Ils n’appartiennent pas au monde,
     de même que moi, je n’appartiens pas au monde.
17 Sanctifie-les dans la vérité :
     ta parole est vérité.
18 De même que tu m’as envoyé dans le monde,
     moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
19 Et pour eux je me sanctifie moi-même,
     afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE PROJET DE DIEU POUR L’HUMANITÉ

À la différence de Matthieu et de Luc, l’évangile de Jean ne rapporte pas le Notre Père, mais ce que nous lisons ici est tout-à-fait dans la même ambiance : « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom » fait écho à « Notre Père qui es aux cieux, que ton NOM soit sanctifié... » Et à la fin de ce texte, « Je ne te demande pas de les retirer du monde, mais que tu les gardes du Mauvais » fait écho à « Ne nous laisses pas entrer en tentation mais délivre-nous du Mal ». Quant à la phrase « Que ta volonté soit faite », elle n’est pas dite ici, mais Jésus n’a que cela en tête.

Au moment de quitter ses disciples, Jésus n’a qu’un souci, ou plutôt un souhait, l’accomplissement du projet de Dieu. Le projet de Dieu, c’est que le monde créé tout entier devienne lieu d’amour et de vérité : lente transformation, on pourrait dire germination, à laquelle tous les croyants sont invités à coopérer. Ainsi, les croyants ne quittent pas le monde, ils sont dans le monde, ils y travaillent de l’intérieur ; mais s’ils veulent le transformer, cela veut dire qu’ils savent en permanence rester libres, se maintenir à distance des conduites du monde qui ne sont pas conformes au mode de vie du royaume qu’ils veulent instaurer.

Mgr Coffy disait « les croyants ne vivent pas une autre vie que la vie ordinaire, mais ils vivent autrement la vie ordinaire. » Il ne s’agit donc pas de mépriser le monde, notre vie quotidienne, les gens que nous rencontrons, les soucis matériels, l’argent et toutes les réalités humaines ; il s’agit au contraire d’habiter ce monde pour le transformer de l’intérieur. Le Père Teilhard de Chardin disait « on ne convertit que ce qu’on aime. »

À l’heure où Jésus fait cette dernière grande prière, ce projet de Dieu est en train de franchir une étape décisive : lui, Jésus, sait bien que son destin est scellé ; curieusement, il ne prie pas pour lui-même, il prie pour ceux à qui il passe le relais. « De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. » Une seule chose compte, que le monde soit sauvé.

Saint Jean revient souvent sur ce thème dans son évangile : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3,17) ; au moment de la guérison de l’aveugle-né, Jean fait remarquer que le nom de la piscine, Siloé, signifie « envoyé », manière de dire que Jésus est « envoyé » pour ouvrir les yeux des hommes.    

C’est une constante dans toute l’histoire biblique : depuis Abraham, en passant par Moïse et par tous les prophètes, chaque fois qu’un homme ou un groupe (ou aussi bien le peuple d’Israël) est choisi par Dieu, ce n’est jamais pour son propre bénéfice solitaire, c’est toujours pour être envoyé en mission au service des autres. Et l’Église, à son tour, celle qui commence fragilement son existence le soir du Jeudi saint autour de Jésus, et tout autant celle d’aujourd’hui, n’a pas d’autre raison d’exister que sa mission dans le monde.

Dans cette grande prière de Jésus pour ses disciples, trois mots reviennent sans cesse, qui sont les trois maîtres-mots de notre mission désormais : fidélité, unité, vérité. Premièrement, la fidélité : « Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, le nom tu m’as donné... Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné ». Cette fidélité, pour Jésus, consistait à être parmi les hommes le reflet fidèle du Père ; désormais, en l’absence de Jésus, ce sont les croyants qui sont appelés à être les fidèles reflets du Père.

NOTRE MISSION : REFLETS DU PÈRE

Deuxième maître-mot, « unité » : « garde-les... pour qu’ils soient UN comme nous-mêmes » ; et nous avons tous en tête, bien sûr, la phrase qui suit tout juste le texte d’aujourd’hui : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17,21). Ce qui veut dire que l’unité n’est pas un but en soi ! Nous n’avons pas à la rechercher pour elle-même ; l’objectif, ce n’est pas l’unité d’abord, c’est que le monde croie. Nos divisions, nos querelles mangent nos énergies et sont un contre-témoignage scandaleux. Comment être témoins dans le monde de la Trinité d’amour si tous ceux qui invoquent la Trinité ne s’aiment pas entre eux ? En revanche, si l’objectif commun de tous les croyants était que le monde croie, cet objectif commun serait le meilleur chemin de notre unité. Rien de tel pour se découvrir frères que d’avoir un projet commun au service des autres.

Troisième maître-mot de la mission que nous confie Jésus, la « vérité ». « Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité ». Au début de l’histoire biblique, le mot « sanctifier » signifiait « mettre à part », retirer du monde ; désormais, avec l’incarnation du Christ, le mot « sanctifier » a changé de sens. Il signifie « participer à la sainteté de Dieu », et cela est accordé aux croyants, non pas pour qu’ils désertent le monde, mais pour qu’ils l’habitent à la manière de Dieu. Cette participation à la sainteté de Dieu est le fruit en nous de la Parole de vérité : nous ne croyons sûrement pas assez à l’efficacité de la Parole de Dieu, et, bien souvent, nous lui substituons nos propres paroles. Erreur : la parole de Dieu est Vérité, la nôtre n’est qu’approximation, balbutiement, (quand elle n’est pas défiguration) du Tout-Autre que nos pauvres mots ne peuvent pas dire.

Enfin, au centre de ce passage très solennel et si dense, Jésus parle de joie ! Au moment même où il prévoit les affrontements inévitables (les disciples seront persécutés comme le Maître), « Je leur ai fait don de ta Parole et le monde les a pris en haine », au moment d’affronter pour lui-même les heures terribles, il parle quand même de joie ! Il ose dire : « Maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. » 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 12 05 2024 7e dimanche de Pâques B

Partager cet article

Repost0
8 mai 2024 3 08 /05 /mai /2024 23:40
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 1, 1-11

       Cher Théophile,
1     dans mon premier livre
       j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné
       depuis le moment où il commença,
2     jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel,
       après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions
       aux Apôtres qu’il avait choisis.
3     C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ;
       il leur en a donné bien des preuves,
       puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu
       et leur a parlé du royaume de Dieu.
4     Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux,
       il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem,
       mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père.
       Il déclara :
       « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche :
5     alors que Jean a baptisé avec l’eau,
       vous, c’est dans l’Esprit Saint
       que vous serez baptisés d’ici peu de jours. »
6     Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient :
       « Seigneur, est-ce maintenant le temps
       où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? »
7     Jésus leur répondit :
       « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments
       que le Père a fixés de sa propre autorité.
8     Mais vous allez recevoir une force
       quand le Saint-Esprit viendra sur vous ;
       vous serez alors mes témoins
       à Jérusalem,
       dans toute la Judée et la Samarie,
       et jusqu’aux extrémités de la terre. »
9   Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient,
     il s’éleva,
     et une nuée vint le soustraire à leurs yeux.
10 Et comme ils fixaient encore le ciel
     où Jésus s’en allait,
     voici que, devant eux,
     se tenaient deux hommes en vêtements blancs,
11 qui leur dirent :
     « Galiléens,
     pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?
     Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous,
     viendra de la même manière
     que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DE JÉRUSALEM JUSQU’AUX EXTRÉMITÉS DE LA TERRE

Nous sommes au tout début des Actes des Apôtres : les premiers versets font bien le lien avec l’évangile de Luc, lui aussi adressé à un certain Théophile ; car il ne fait de doute pour personne que les Actes des Apôtres et l’évangile de Luc sont du même auteur ; l’un commence où l’autre finit, c’est-à-dire par le récit de l’Ascension de Jésus, même si ces deux récits ne concordent pas exactement. Le premier livre, l’évangile, rapporte la mission et la prédication de Jésus, le second se consacre à la mission et à la prédication des Apôtres, d’où son nom « d’Actes des Apôtres ».

On peut pousser le parallèle un peu plus loin : l’évangile commence et finit à Jérusalem, le centre du monde juif et de la Première Alliance ; les Actes commencent à Jérusalem, car la Nouvelle Alliance prend  bien la suite de la Première, mais ils se terminent à Rome, carrefour de toutes les routes du monde connu à l’époque : la Nouvelle Alliance déborde désormais les frontières d’Israël. Pour Luc, il est clair que cette expansion est le fruit de l’Esprit-Saint ; il est l’Esprit même de Jésus, et il sera l’inspirateur des Apôtres, à partir de la Pentecôte, à tel point qu’on appelle souvent les Actes « l’évangile de l’Esprit ».

Et comme Jésus s’était préparé à sa mission par les quarante jours au désert après son Baptême, de même à son tour, il prépare son Église pendant quarante jours : « Pendant quarante jours, il leur est apparu, et leur a parlé du royaume de Dieu. » Au cours d’un dernier repas, il leur donne ses consignes : un ordre, une promesse, un envoi en mission.

L’ordre est presque surprenant : attendre et ne pas bouger ; « Il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. » Que les promesses du Père se réalisent à Jérusalem n’étonnait certainement pas les onze qui étaient tous Juifs : toute la prédication des prophètes donnait à Jérusalem une part prépondérante dans l’accomplissement du projet de Dieu : il suffit de se rappeler Isaïe : « Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le SEIGNEUR, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. » (Is 60,1-3). Ou encore : « Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau, que la bouche du SEIGNEUR dictera. » (Is 62,1-2).

 

VOUS SEREZ MES TÉMOINS

Luc précise le contenu de la promesse : « Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Cela aussi était familier aux apôtres ; ils avaient en tête la phrase du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair » (Jl 3,1) et aussi celle de Zacharie : « Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem ; elle les lavera de leur péché et de leur souillure... Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication... » (Za 13,1 ; 12,10) ; ou encore (chez Ézéchiel) : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés... Je mettrai en vous un esprit nouveau... Je mettrai en vous mon  esprit. » (Ez 36,25... 27).

La question des apôtres « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » n’est donc pas incongrue ; elle manifeste qu’ils ont bien compris que le fameux Jour de Dieu s’est levé. La réponse de Jésus ne devrait pas nous étonner non plus ; car Dieu sollicite la collaboration des hommes pour réaliser son projet ; le salut de Dieu est arrivé grâce à Jésus-Christ, il reste aux hommes la liberté d’y entrer ; pour cela encore faut-il qu’ils le sachent ; d’où la mission et la responsabilité des Apôtres ; l’Esprit leur est donné pour cela : « Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins. » Cela veut dire qu’entre le don de l’Esprit et l’avènement définitif du Royaume, il y a un délai qui est le temps du témoignage : un délai d’autant plus long qu’il s’agit d’aller porter la nouvelle à l’humanité tout entière. « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »  Le livre des Actes suit exactement ce plan.

Comme au matin de Pâques, « deux hommes avec un vêtement éblouissant » avaient arraché les femmes à leur contemplation en leur disant « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité », au jour de l’Ascension, deux hommes en vêtements blancs jouent le même rôle auprès des Apôtres : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » Il reviendra, nous en sommes certains, c’est pourquoi nous disons à chaque Eucharistie : « Nous attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur. »
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

- La nuée est dans la Bible le signe visible de la présence de Dieu (par exemple lors du passage de la Mer Rouge (Ex 13,21), ou lors de la Transfiguration du Christ (Lc 9,34). La nuée dérobe Jésus au regard des hommes : c'est dire qu'il est entré dans le monde de Dieu. Il cesse avec nous un certain mode de présence charnelle, visible, pour en inaugurer une autre, spirituelle.

- Il nous faut accepter l’idée qu’il est impossible de reconstituer exactement ce qui s’est passé entre la Résurrection de Jésus, la nuit de Pâques et le jour où il a quitté définitivement ses apôtres pour retourner auprès du Père. Commençons par les récits de Luc : entre l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres du même Luc, les deux récits sont tout-à-fait semblables : le départ de Jésus se situe près de Jérusalem puisque l’évangile parle de Béthanie, et que les Actes parlent du Mont des Oliviers ; et dans les deux textes Luc précise que Jésus a donné comme recommandation à ses disciples de ne pas quitter Jérusalem avant d’avoir reçu l’Esprit Saint. La seule divergence entre les deux récits de Luc concerne le délai : dans l’évangile, il semble bien que le départ de Jésus ait eu lieu le soir même de Pâques ; après l’apparition aux disciples d’Emmaüs, ceux-ci sont retournés à Jérusalem pour tout raconter aux Onze apôtres ; et c’est pendant qu’ils parlaient tous ensemble que Jésus est apparu, a passé un moment avec eux, leur expliquant les Écritures ; puis il les a emmenés à Béthanie et c’est là qu’il a disparu définitivement à leurs yeux.

Tandis que dans les Actes des Apôtres, Luc précise qu’il y a eu entre Pâques et l’Ascension un délai de quarante jours ; et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons pris l’habitude de célébrer la fête de l’Ascension, juste quarante jours après Pâques.

Dans les autres évangiles, on ne trouve presque rien sur ce sujet : chez Matthieu, par exemple, il n’y a pas du tout de récit d’Ascension ; il raconte seulement une apparition de Jésus à deux femmes (Marie de Magdala et l’autre Marie) qui s’étaient rendues au tombeau et une apparition aux disciples en Galilée au cours de laquelle il leur dit cette phrase que nous connaissons bien : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples ; baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,18-20).

Jean, lui, rapporte plus longuement plusieurs apparitions de Jésus ressuscité, l’une à Marie de Magdala, et trois autres à ses disciples, dont la dernière au bord du lac de Tibériade ; mais il ne raconte pas non plus l’Ascension. Quant à Marc, il raconte l’apparition de Jésus à Marie de Magdala, puis à deux disciples qui se rendaient à la campagne et enfin aux Onze apôtres. Les Onze, Jésus les envoie prêcher l’évangile au monde entier et Marc termine son évangile en disant : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. » (Mc 16,19).

Ces différences entre les Évangiles prouvent que les précisions qu’ils nous donnent ne visent pas la réalité historique ou géographique : Matthieu a ses raisons pour parler de la Galilée, comme Luc a les siennes pour insister sur Jérusalem.

Car c’est bien là que Jésus leur a dit d’attendre le don de l’Esprit : l’évangile de Luc se termine sur cette dernière consigne de Jésus : « Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » (Lc 24,49).
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 46 (47), 2-3, 6-7, 8-9

2     Tous les peuples, battez des mains,
       acclamez Dieu par vos cris de joie !
3     Car le SEIGNEUR est le Très-Haut, le redoutable,
       le grand roi sur toute la terre.

6     Dieu s'élève parmi les ovations,
       le SEIGNEUR, aux éclats du cor.
7     Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
       Sonnez pour notre roi, sonnez !

8     Car Dieu est le roi de la terre :
       que vos musiques l'annoncent !
9     Il règne, Dieu, sur les païens,
       Dieu est assis sur son trône sacré.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DIEU, ROI D’ISRAËL

C'est le peuple d'Israël qui parle ici, ou plutôt qui chante, qui acclame Dieu comme son roi. Cela ne nous surprend pas. Mais, chose beaucoup plus étonnante, il dit que Dieu est le roi de toute la terre. Or, cela, on ne l'a pas toujours pensé en Israël. Avant l’Exil à Babylone, aucun des rois d’Israël n’a jamais imaginé que Dieu soit le Maître de l’Univers entier. Cela veut dire que ce psaume a été composé tard dans l'histoire du peuple élu.

Je reviens sur la première affirmation très forte de ce psaume : Dieu est le roi d'Israël. Pendant toute une période de l'histoire biblique, le peuple d'Israël a eu des rois, tout comme les peuples voisins, mais sa conception de la royauté était particulière, et cette spécificité a duré tout au long de l’histoire. En Israël, le roi ne pouvait jamais prétendre être le plus haut personnage du pays, il n'avait pas tout pouvoir, Dieu restait le maître. Pour le dire autrement, le véritable roi en Israël n’était autre que Dieu lui-même.

Le roi, par exemple, ne disposait pas des lois à sa guise ; il devait, comme tout le monde, se soumettre à la Loi de Dieu, c'est-à-dire les Lois données par Dieu à Moïse au Sinaï. D’après le livre du Deutéronome, il devait lire l’intégralité de la Loi tous les jours de sa vie. Même assis sur son trône, il n’était (en principe) qu’un exécutant des ordres de Dieu transmis par les prophètes. Dans les Livres des Rois, par exemple, on voit fréquemment l’un ou l’autre roi demander l’accord du prophète du moment avant de partir en campagne ou même, dans le cas de David, avant d’entreprendre la construction d’un Temple. Et l’on voit à de multiples reprises les prophètes intervenir librement dans la vie des rois et critiquer violemment parfois leurs agissements.

Cette affirmation de la souveraineté de Dieu fut même un frein à l'institution de la monarchie. On se souvient de la réaction très violente du prophète Samuel, au temps des Juges, lorsque les chefs des tribus d’Israël sont venus lui dire qu’ils voulaient avoir un roi « pour être comme les autres nations ». Souhaiter être « comme les autres nations » quand on a l’honneur d’être le peuple choisi par Dieu pour faire alliance, c’était un véritable blasphème à ses yeux. Il a fini par céder aux instances des chefs des tribus, mais non sans les prévenir qu’ils faisaient leur propre malheur.

Et lorsqu’il a consacré le premier roi, Saül, il a pris soin de préciser que celui-ci devenait le chef du patrimoine de Dieu. Le peuple restait le peuple de Dieu et non celui du roi et celui-ci n’était qu’un serviteur de Dieu. Et, tout au long de la monarchie, en Israël, les prophètes se sont chargés de rappeler aux rois cette vérité élémentaire. Au point que les livres des Rois, lorsqu’ils racontent les règnes successifs, n’ont qu’un critère d’évaluation : la fidélité de chacun des rois à la volonté de Dieu. Une formule revient tout le temps : « Tel roi fit ce qui ce qui est droit aux yeux du SEIGNEUR », ou au contraire « Tel roi fit ce qui ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR ».

 

DIEU, ROI DE TOUTE L'HUMANITÉ

C’est donc en l’honneur de Dieu lui-même que notre psaume déploie ici tout le vocabulaire adressé ailleurs aux rois de la terre. Le mot « redoutable » lui-même est un compliment, c’est un mot habituel du vocabulaire de cour. Le roi n’est pas « redoutable » pour ses sujets, évidemment, mais au contraire, le terme est rassurant : les ennemis sont prévenus, notre roi sera invincible.

À chaque ligne de ce psaume, c’est une évidence, il s’agit bien de Dieu, notre Dieu, celui du Sinaï, le SEIGNEUR. En même temps, il est acclamé comme Dieu et roi de tout l’univers. Pas question de le garder pour nous tout seuls : il est « le grand roi sur toute la terre » (v.3) et tous les peuples sont associés à la fête : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! » Cette dimension universelle est très présente dans ce psaume jusqu’à dire « Dieu règne sur les païens » (v.9).

Or, la découverte du monothéisme date seulement de l’Exil à Babylone : jusque-là, le peuple d’Israël n’était pas encore monothéiste : être monothéiste, c’est affirmer qu’il n’existe qu’un seul Dieu, le même pour tout le cosmos et l’humanité. Avant l’Exil, ce n’était pas le cas : on dit qu’Israël était monolâtre ; c’est-à-dire qu’il ne reconnaissait pour lui-même qu’un seul Dieu, celui de l’Alliance du Sinaï. Mais il considérait que les autres peuples avaient leurs propres dieux qui régnaient sur leurs pays et combattaient pour eux.

Ce psaume a donc été probablement composé après le retour de l’Exil et ce n’est pas dans la salle du trône que ces acclamations ont retenti, c’est dans le Temple de Jérusalem reconstruit. À l’occasion d’une célébration liturgique, nos frères juifs évoquent le grand projet de Dieu sur l’humanité et ils anticipent. Ils imaginent déjà le Jour où enfin Dieu sera reconnu pour ce qu’il est, le Père de toute bonté.

Nous, chrétiens, reprenons ce psaume à notre tour. Et la phrase « Dieu s'élève parmi les ovations » nous paraît convenir tout particulièrement pour la célébration de l’Ascension de Jésus-Christ. Même si nous devons reconnaître, malheureusement, que la royauté du Christ est encore bien discrète : les évangélistes n’ont pas de cérémonie de couronnement à raconter. Raison de plus pour lui décerner déjà ce superbe hommage qui ne fait qu’anticiper le chant qu’entonneront au dernier jour les fils de Dieu enfin rassemblés : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! »
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL, APÔTRE, AUX ÉPHÉSIENS  4, 1-13

     Frères,
1   moi qui suis en prison à cause du Seigneur,
     je vous exhorte donc à vous conduire
     d’une manière digne de votre vocation :
2   ayez beaucoup d'humilité, de douceur et de patience,
     supportez-vous les uns les autres avec amour ;
3   ayez soin de garder l'unité dans l'Esprit
     par le lien de la paix.
4   Comme votre vocation vous a tous appelés
     à une seule espérance,
     de même, il y a un seul Corps et un seul Esprit.
5   Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême,
6   un seul Dieu et Père de tous,
     au-dessus de tous,
     par tous, et en tous.
7   À chacun d'entre nous, la grâce a été donnée
     selon la mesure du don fait par le Christ.
8   C'est pourquoi l'Écriture dit :
     ‘il est monté sur la hauteur, il a capturé des captifs,
     il a fait des dons aux hommes.
9   Que veut dire : « il est monté » ?
     - Cela veut dire qu'il était d'abord descendu
     dans les régions inférieures de la terre.
10 Et celui qui était descendu
     est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux
     pour remplir l'univers.
11 Et les « dons qu'il a faits »,
     ce sont les Apôtres,
     et aussi les prophètes, les évangélisateurs,
     les pasteurs et ceux qui enseignent.
12 De cette manière, les fidèles sont organisés
     pour que les tâches du ministère soient accomplies,
     et que se construise le corps du Christ,
13 jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble
     à l'unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu,
     à l'état de l'Homme parfait,
     à la stature du Christ dans sa plénitude.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

SUPPORTEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES AVEC AMOUR

Comme toujours chez Paul, les recommandations d’ordre moral sont d’abord une leçon de dogme : Paul contemple le mystère du projet de Dieu et il nous invite à nous y conformer ; car ce mystère se présente pour nous comme un appel auquel nous avons répondu par notre Baptême, et qui, désormais, se répercute dans toute notre vie : « Je vous exhorte donc à vous conduire d’une manière digne de votre vocation... ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix... votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance... » Paul y insiste parce que c’est notre fidélité à répondre à cet appel qui construira l’Église : le mot même « Église », d’ailleurs (« ecclesia » en grec), est de la même racine que le mot « vocation (appel) ». C’est bien le sens de tout ce passage, même si le mot « église » n’apparaît pas dans ces quelques lignes : il est remplacé par le mot « corps » : « Il y a un seul Corps et un seul Esprit... les fidèles sont organisés pour que se construise le corps du Christ. »

Et tout l’ensemble de ce passage est une magnifique leçon sur l’Église : pour décrire son mystère, Paul utilise deux termes, un corps humain et une construction1, ou, pour être plus précis, l’Église est un corps qui se construit comme une maison. Ce corps est un être vivant qui se développe et grandit ; cette construction exige la participation de chacun d’entre nous et un ciment de qualité. On retrouve ici la méditation de la lettre aux Romains et de la première lettre aux Corinthiens : « Nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul Corps dans le Christ, et membres les uns des autres, chacun pour sa part. » (Rm 12,5) ; « Vous êtes corps de Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps. » (1 Co 12, 27). En écho, notre texte reprend : « Il n’y a un seul Corps et un seul Esprit... Votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance...  ayez à cœur de garder l’unité dans l’Esprit par le lien (le ciment) de la paix. »

 

LE CORPS DU CHRIST EN PLEINE CROISSANCE

La croissance de ce corps est d’abord l’œuvre de Dieu : « Il y a un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. » Et, par la grâce de Dieu, chaque membre devient capable de coopérer à la croissance du corps : « À chacun d’entre la grâce a été donnée selon la mesure du don fait par le Christ », c’est-à-dire sans mesure, mais chacun selon sa mission. Car, dans cette construction, tous ne jouent pas le même rôle : il y a « les Apôtres, et aussi les prophètes et les évangélisateurs, les pasteurs et ceux qui enseignent. De cette manière, les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies, et que se construise le corps du Christ. » Le contexte2 laisse supposer qu’il n’était peut-être pas inutile de rappeler à tous ces ministres qu’ils étaient « des dons que Dieu a faits aux hommes », et à l’ensemble de la communauté l’importance de la fidélité à ceux que Dieu lui donne pour « garder l’unité dans l’Esprit ».

Aux yeux de Paul, les ministres de l’Église sont un cadeau au même titre que la Loi d’Israël : comme la Loi, en effet, était le guide du peuple, désormais, ce sont les ministres ; lourde responsabilité pour eux, si l’on se souvient que la Loi était considérée comme le meilleur guide sur le chemin de la liberté. Pour faire ce rapprochement, Paul compare le Christ à Moïse en citant le psaume 67/68 qui faisait allusion au don de la Loi par Dieu à Moïse au Sinaï : « Il est monté sur la hauteur, il a capturé des captifs, il a fait des dons aux hommes. » Dans l’Ancien Testament, on considérait en effet que l’homme ignorant de la Loi ne connaissait pas la vraie liberté, d’où le mot de « captif ». Et Moïse avait été doublement libérateur en faisant sortir le peuple d’Égypte et en lui donnant la Loi à sa descente du Sinaï. À son tour, et combien plus profondément, Christ apporte la vraie liberté aux hommes, lui « qui est monté au-dessus de tous les cieux pour remplir l’univers. » Désormais, ceux qui sont chargés par lui de maintenir l’Église dans la liberté, ce sont « les Apôtres, et aussi les prophètes, les évangélisateurs, les pasteurs et ceux qui enseignent. » Et Paul continue : « De cette manière, les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies, et que se construise le corps du Christ. » Jusqu’au jour où toute l’humanité, enfin libérée, sera « réunie autour d’un seul chef, le Christ », comme Paul dit l’a dit dès le début de sa lettre (1,10) : « jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Notes

1 – « Supportez-vous » : c’est bien la métaphore de la construction que Paul file ici. « Supportez-vous », cela veut dire soutenez-vous mutuellement, comme les étais d’une construction.

2 - Le verset 14 semble aller dans ce sens : « Alors, nous ne serons plus des enfants, nous laissant secouer et mener à la dérive par tous les courants d'idées, au gré des hommes, eux qui emploient leur astuce à nous entraîner dans l'erreur. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC 16, 15-20

     En ce temps-là,
     Jésus ressuscité se manifesta aux onze apôtres et leur dit :
15 « Allez dans le monde entier.
     Proclamez l’Évangile à toute la création.
16 Celui qui croira et sera baptisé
     sera sauvé ;
     celui qui refusera de croire
     sera condamné.
17 Voici les signes qui accompagneront
     ceux qui deviendront croyants :
     en mon nom, ils expulseront les démons ;
     ils parleront en langues nouvelles ;
18 ils prendront des serpents dans leurs mains
     et, s'ils boivent un poison mortel,
     il ne leur fera pas de mal ;
     ils imposeront les mains aux malades,
     et les malades s'en trouveront bien. »
19 Le Seigneur Jésus,
     après leur avoir parlé,
     fut enlevé au ciel
     et s'assit à la droite de Dieu.
20 Quant à eux,
     ils s'en allèrent proclamer partout l’Évangile.
     Le Seigneur travaillait avec eux
     et confirmait la Parole par les signes qui l'accompagnaient.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

CELUI QUI CROIRA ET SERA BAPTISÉ SERA SAUVÉ

L’Évangile de Marc termine comme il avait commencé : le mot « Évangile » (littéralement « bonne nouvelle » au sens de grande nouvelle du début du règne de l’empereur) apparaît trois fois dans le premier chapitre, et deux fois ici ; l’évangile commence ainsi : « Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu. » (1,1), et un peu plus loin, Marc note : « Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » (1,15). Cette reprise, bien évidemment intentionnelle, du même terme à la fin du livre laisse entendre que, désormais, les Apôtres ont pris le relais : « Quant à eux, ils s’en allèrent proclamer partout l’Évangile. » (sous-entendu la Bonne Nouvelle que le Règne de Dieu est inauguré sur la terre).

C’est Jésus qui leur confie cette mission qui était la sienne jusqu’ici : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création. » Et aussitôt il explicite ce qu’est le contenu de cette Bonne Nouvelle : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » ; en d’autres termes, l’humanité est sauvée, à une seule condition, croire en Jésus-Christ. L’engrenage de la haine, des guerres, des jalousies, des violences n’est plus une fatalité à laquelle l’humanité est vouée de siècle en siècle. Jésus-Christ a cassé cet engrenage ; à sa suite, nous pouvons vivre en hommes libres à condition d’être comme lui.

C’est le sens du mot « Croire » qui signifie « adhérer, être fixé, attaché ». Comme le dit Jésus, il suffit de « demeurer » en lui, ou d’être comme le sarment attaché au cep : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit... De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi… car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15,4-5).

Voilà qui permet de comprendre la deuxième partie de la phrase : « Celui qui refusera de croire sera condamné. » Nous ne sommes pas sous le couperet d’un juge qui condamne au gré de sa volonté, nous sommes entre les mains d’un Père qui accueille tous ceux qui veulent bien accompagner le Fils aîné ; mais il nous laisse libres : nous pouvons refuser et nous couper nous-mêmes de la source du salut.

LE SEIGNEUR TRAVAILLAIT AVEC EUX

Voilà donc les apôtres envoyés au monde entier, porteurs d’une nouvelle de salut. Et leur annonce est accompagnée de preuves tangibles : « Ils s’en allèrent proclamer partout l’Évangile. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient. » Jésus le leur avait promis : « Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils expulseront les démons ; ils parleront en langues nouvelles ; ils prendront des serpents dans leurs mains, et, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s’en trouveront bien. »

Effectivement, les Actes des Apôtres relatent des faits de ce genre : « Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même les voyaient. Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. » (Ac 8,6-7). La possibilité de parler en d’autres langues est attestée plusieurs fois dans les Actes des Apôtres : le jour de la Pentecôte (2,4), et chez le centurion Corneille (10,46), ou encore lors de l’arrivée de Paul à Éphèse : « Quand Paul leur eut imposé les mains, l’Esprit Saint vint sur eux, et ils se mirent à parler en langues mystérieuses et à prophétiser. » (19,6). Enfin, Luc raconte que Paul, arrivant à Malte, échappe à la morsure d’un serpent : « Comme Paul avait ramassé une brassée de bois mort et l’avait jetée dans le feu, la chaleur a fait sortir une vipère qui s’est accrochée à sa main... Or Paul a secoué la bête pour la faire tomber dans le feu, et il n’en a éprouvé aucun mal. » (28,3...5).

Pour autant, Jésus ne transmet pas aux croyants des pouvoirs magiques ; Luc a retenu une de ses paroles qui met bien les apôtres en garde à ce sujet : « Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. » (Lc 10,19-20). Ces faits extraordinaires sont le signe que la création nouvelle est déjà inaugurée ; on entend ici résonner la célèbre prophétie d’Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâturage, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère l’enfant étendra la main. Il n’y aura plus rien de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du SEIGNEUR remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. » (Is 11,6-9). Le même Marc avait déjà fait allusion à ce vieux rêve d’harmonie universelle dans le récit des tentations de Jésus, en notant que Jésus cohabitait avec les bêtes sauvages (Mc 1,13).

Le récit d’Ascension proprement dit tient en quelques mots : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. » Mais pour les lecteurs de Marc, ces mots sont lourds de sens, ils évoquent les promesses de l’Ancien Testament concernant le Messie et notamment celle du prophète Daniel (Dn 7,14) : le Fils de l’homme, venant sur les nuées du ciel, reçoit « domination, gloire et royauté. » Il entend Dieu proclamer pour lui-même la phrase rituelle du sacre royal : « Siège à ma droite1... »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - Le temple de Jérusalem, signe de la Présence de Dieu, était construit au nord du palais royal ; de l'esplanade du Temple, si l'on regardait vers l'orient, le trône du roi se trouvait donc à la droite de Dieu.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 9 05 2024 Ascension du Seigneur B

Partager cet article

Repost0
3 mai 2024 5 03 /05 /mai /2024 23:42
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 10, 25 48

25 Comme Pierre arrivait à Césarée
     chez Corneille, centurion de l’armée romaine,
     celui-ci vint à sa rencontre,
     et tombant à ses pieds, il se prosterna.
26 Mais Pierre le releva en disant :
     « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi. »

34 Alors Pierre prit la parole et dit :
     « En vérité, je le comprends :
     Dieu est impartial ;
35 il accueille, quelle que soit la nation,
     celui qui le craint
     et dont les œuvres sont justes. »

44 Pierre parlait encore
     quand l’Esprit Saint
     descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole.
45 Les croyants qui accompagnaient Pierre,
     et qui étaient Juifs d’origine,
     furent stupéfaits de voir que, même sur les nations,
     le don de l’Esprit Saint avait été répandu.
46 En effet, on les entendait parler en langues
     et chanter la grandeur de Dieu.
     Pierre dit alors :
47 « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême
     à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint
     tout comme nous ? »
48 Et il donna l'ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ.
     Alors ils lui demandèrent
     de rester quelques jours avec eux.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

QUAND L’ESPRIT SAINT ABOLIT LES FRONTIÈRES

Il faut peser l’importance de la première phrase de notre texte : « Pierre arriva à Césarée chez Corneille, centurion de l’armée romaine... » Jusqu’à la veille, Pierre n’aurait jamais eu l’idée de faire une chose pareille !

Tout les oppose, ces deux hommes : Pierre, le Juif, croyant, convaincu, depuis peu devenu disciple de Jésus... et ce païen, quelqu’un qu’on ne fréquente pas : parce que, d’une part, il est l’occupant, mais plus encore parce qu’il est païen... Et, d’ailleurs, ce n’est pas Pierre, tout seul, qui a eu cette idée bizarre, d’aller chez Corneille, à Césarée. C’est Dieu qui a tout organisé, si j’ose dire : il a préparé les deux hommes à ce qui devait être un événement très important pour la jeune communauté chrétienne. Chacun des deux hommes a eu ce jour-là une vision : Corneille a entendu un ange de Dieu lui dire « Le Seigneur t’a entendu ; fais chercher Pierre pour qu’il vienne chez toi. »

Quant à Pierre, à des kilomètres de là, lui aussi, il a eu une vision : une vision curieuse, qui a l’air de vouloir déranger ses habitudes. Dans cette vision, il a devant les yeux des quantités d’animaux, dont certains considérés par la loi juive comme impurs étaient strictement interdits, et une voix le pousse à désobéir : tue et mange ! Pierre qui est un scrupuleux, ne veut pas désobéir aux règles de son enfance ; alors la voix lui fait remarquer qu’il appartient à Dieu seul de décider ce qui est pur ou impur... pour l’instant, il ne s’agit que d’alimentation, mais, déjà, ses certitudes sur les sacro-saintes règles juives de pureté sont sérieusement battues en brèche ; il faut bien cela pour le préparer à ce qui l’attend !

Trois fois de suite, cette curieuse vision se reproduit... et Pierre reste perplexe ; c’est à ce moment précis que les envoyés de Corneille arrivent ; ils viennent demander à Pierre quelque chose de plus grave encore que de manquer chez soi aux règles alimentaires : ils viennent lui demander d’aller chez ce païen de Corneille !

On se rappelle le tollé quand Jésus allait manger chez n’importe qui ! Et encore, il s’agissait de Juifs ; cette fois, il s’agit d’un incirconcis, comme on disait.

Mais, comme chacun sait, Dieu a de la suite dans les idées ; Luc précise que l’Esprit Saint lui-même rassure Pierre sur ce qu’il va faire : « Pierre était toujours préoccupé de sa vision, mais l’Esprit lui dit : Voici deux hommes qui te cherchent. Descends donc tout de suite avec eux et prends la route avec eux sans te faire aucun scrupule : car c’est moi qui les envoie ». Au passage, on remarque que c’est l’Esprit Saint qui dit à Pierre « ne te fais pas de scrupule » ... Ce qui prouve au moins que tous nos scrupules ne sont pas toujours inspirés par l’Esprit Saint ... Et qu’il nous faut apprendre à distinguer parmi nos scrupules ceux qui sont bien inspirés... de ceux qui le sont moins. Évidemment, Pierre a obéi à cette voix, et le voilà chez Corneille.

Et c’est là que commence notre texte d’aujourd’hui. Corneille, en voyant entrer Pierre, se jette à ses pieds, mais Pierre le relève : « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme moi aussi. » Il ne peut évidemment pas accepter des manifestations de respect qui ne sont dues qu’à Dieu seul.

Et, tout d’un coup, Pierre comprend la vision qui l’avait tellement intrigué : les animaux n’étaient qu’une image destinée à lui faire comprendre autre chose ; à table, on sait qu’il était interdit par la loi religieuse de manger certains animaux considérés comme impurs : or la fameuse vision l’invitait à dépasser cet interdit parce que Dieu seul en définitive peut déterminer ce qui est pur ou impur.

UN TOURNANT DÉCISIF

Mais il était également interdit de fréquenter les païens. Ce que Pierre est invité à découvrir, c’est que cette barrière-là, elle aussi, doit tomber. Pourquoi cette interdiction de fréquenter des païens ? Ce n’était pas du mépris ; mais, tout simplement, parce que leurs pratiques étant différentes, la fréquentation des païens risquait d’entraîner les Juifs à délaisser leurs propres pratiques. Pierre vient de comprendre : Dieu l’invite à dépasser cette loi ; tout comme la vision l’invitait à ne plus faire de distinction entre animaux purs et animaux impurs, désormais il ne faut plus faire de distinction entre hommes purs et hommes impurs ; cela permettra de fréquenter sans scrupule tout le monde.

C’est un tournant décisif qui s’amorce : comment annoncer la Bonne Nouvelle aux païens si on s’interdisait de les fréquenter ? Dans une première étape du plan de salut de Dieu, le peuple juif a été choisi et, pendant tout un temps de maturation nécessaire, il fallait préserver la foi et donc rester entre croyants. Mais, désormais, c’est une nouvelle étape : il faut ouvrir les portes aux païens pour pouvoir leur annoncer à eux aussi la Bonne Nouvelle. Jésus, lui aussi, avait plusieurs fois fait comprendre à ses apôtres que, désormais, la loi ancienne était caduque, et qu’une nouvelle étape s’ouvrait. Être fidèle à la foi des pères ne signifie pas répéter indéfiniment leurs manières d’agir et de parler. À questions nouvelles, solutions nouvelles.

C’est ce que Pierre comprend d’un coup et explique à Corneille et à son entourage : « Vous savez que c’est un crime pour un Juif de fréquenter des étrangers ; mais Dieu vient de me faire comprendre que, désormais, il ne faut plus faire de différence entre les hommes : car Dieu lui-même ne fait pas de différence entre les hommes ». Et Pierre commence la catéchèse de ce nouvel auditoire ; et là encore, l’Esprit Saint intervient : saint Luc note « Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint descendit sur ceux qui écoutaient la Parole. »

Décidément, c'est toujours grâce à L'Esprit Saint que l'Église progresse !
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

- On dit volontiers que Paul est l'apôtre des païens ; mais, pour être juste, il faut dire que Pierre l'a précédé : ici, on peut dire qu'il est l'apôtre des Romains ! Puisque, Corneille, on nous l'a dit, est centurion de l'armée d'occupation, l'armée romaine. Corneille faisait certainement partie des sympathisants qui gravitaient autour des synagogues, peut-être même était-il un « craignant Dieu » : c’est-à-dire un non-Juif qui adhère de cœur à la religion juive sans pour autant se soumettre à la circoncision et aux innombrables règles de la religion juive.

- Nous sommes souvent surpris que les Actes des Apôtres nomment si facilement l'Esprit Saint ; son action est reconnue à chaque page et c'est grâce à lui que l'Église affronte des questions nouvelles, et ose aborder des auditoires nouveaux... Évidemment, nous ne pouvons pas nous permettre de penser qu'il serait moins actif aujourd'hui que dans les premiers temps de l'Église ! J'en déduis que c'est à nous d'ouvrir un peu mieux les yeux pour détecter son action. Si nous le laissons faire, Jésus l'a bien promis, « l'Esprit nous mènera vers la vérité tout entière ».

- Dernière remarque : c’est en entendant Corneille chanter la gloire de Dieu que Pierre a reconnu la présence de l’Esprit Saint. Doit-on en déduire que nos moments moroses sont ceux où nous avons mis de côté l’Esprit Saint ?
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 97 (98), 1.2-3ab.3cd-4

1   Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
     car il a fait des merveilles ;
     par son bras très saint, par sa main puissante,
     il s'est assuré la victoire.

2   Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire
     et révélé sa justice aux nations ;
3   il s'est rappelé sa fidélité, son amour,
     en faveur de la maison d'Israël.

     La terre tout entière a vu
     la victoire de notre Dieu.
4   Acclamez le SEIGNEUR, terre entière.
     Sonnez, chantez, jouez !
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LES DEUX AMOURS DE DIEU

« La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu » : c’est le peuple d’Israël qui parle ici et qui dit « NOTRE Dieu », affichant ainsi la relation tout à fait privilégiée qui existe entre ce petit peuple et le Dieu de l’univers ; mais Israël a peu à peu compris que sa mission dans le monde est précisément de ne pas garder jalousement pour lui cette relation privilégiée mais d’annoncer l’amour de Dieu POUR TOUS les hommes, afin d’intégrer peu à peu l’humanité tout entière dans l’Alliance. Car la terre tout entière n’a pas seulement vocation à voir la victoire de notre Dieu, elle a vocation à en bénéficier.

Ce psaume dit très bien ce que j’appellerais « les deux amours de Dieu » : son amour pour son peuple choisi, élu, Israël... ET son amour pour l’humanité tout entière, ce que le psalmiste appelle tantôt « les nations », tantôt « La terre tout entière ». Les « nations », ce sont tous les autres, les païens, ceux qui ne font pas partie du peuple élu.  Car une des grandes certitudes que les hommes de la Bible ont acquises peu à peu, c’est que Dieu aime toute l’humanité, et pas seulement Israël.

Dans ce psaume, cette certitude marque la composition même du texte ; puisque la phrase centrale sur ce qu’on appelle « l’élection d’Israël » est encadrée par deux phrases sur l’humanité tout entière. L’élection d’Israël est centrale mais on n’oublie pas qu’elle doit rayonner sur l’humanité tout entière et cette construction le manifeste bien.

Je vous relis les versets 2 et 3 : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations… Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël…La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ». La phrase centrale (« Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël ») est l’expression consacrée pour rappeler ce qu’on appelle « l’élection d’Israël ». Derrière cette toute petite phrase, il faut deviner tout le poids d’histoire, tout le poids du passé : les simples mots « sa fidélité », « son amour » sont le rappel vibrant de l’Alliance : c’est par ces mots-là que, dans le désert, Dieu s’est fait connaître au peuple qu’il a choisi. « Dieu d’amour et de fidélité ». Cette phrase veut dire : oui, Israël est le peuple choisi, le peuple élu.

Mais les deux phrases qui l’encadrent et qui parlent des nations, rappellent bien que si Israël est choisi, ce n’est pas pour en jouir égoïstement, pour se considérer comme fils unique, mais pour se comporter en frère aîné.

Et quand le peuple d’Israël, au cours de la fête des Tentes à Jérusalem, acclame Dieu comme roi, ce peuple sait bien qu’il le fait déjà au nom de l’humanité tout entière ; en chantant cela, on anticipe en quelque sorte, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre.

La première dimension de ce psaume, très importante, c’est donc l’insistance sur ce que j’ai appelé « les deux amours de Dieu », pour son peuple choisi et pour toute l’humanité. Une deuxième dimension de ce psaume est la proclamation très appuyée de la royauté de Dieu.

DANS L’ATTENTE DE L’ULTIME VICTOIRE

Par exemple, on chante au Temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR. » Mais quand je dis « on chante », c’est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah » en l’honneur du vainqueur. Le mot de victoire revient trois fois dans les premiers versets. « Par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire » ... « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations »...  « La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ».

La victoire de Dieu dont on parle ici est double : c’est d’abord la victoire de la libération d’Égypte ; la mention « par son bras très saint, par sa main puissante » est une allusion au premier exploit de Dieu en faveur des fils d’Israël, la traversée miraculeuse de la mer qui les séparait définitivement de l’Égypte, leur terre de servitude. L’expression « Le SEIGNEUR t’a fait sortir de là d’une main forte et le bras étendu » (Dt 5,15) était devenue la formule-type de la libération d’Égypte ; on la retrouve par exemple dans le livre du Deutéronome et dans les psaumes. La formule « il a fait des merveilles » est aussi un rappel de la libération d’Égypte.

Mais quand on chante la victoire de Dieu, on chante également la victoire attendue pour la fin des temps, la victoire définitive de Dieu contre toutes les forces du mal. Et déjà on acclame Dieu comme jadis on acclamait le nouveau roi le jour de son sacre en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes et dans les applaudissements de la foule. Mais alors qu’avec les rois de la terre, on allait toujours vers une déception, cette fois, on sait qu’on ne sera pas déçus ; raison de plus pour que cette fois la « terouah » soit particulièrement vibrante !

Désormais les chrétiens acclament Dieu avec encore plus de vigueur parce qu’ils ont vu de leurs yeux le roi du monde : depuis l’Incarnation du Fils, ils savent et ils affirment (envers et contre tous les événements apparemment contraires), que le Règne de Dieu, c’est-à-dire le Règne de l’amour est déjà commencé.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

- Ce cri de victoire a pris sa place dans la liturgie du peuple juif, chaque année à l’automne, au cours de la Fête des Tentes, à Jérusalem. Cette fête durait huit jours et comportait de nombreuses cérémonies de toute sorte : célébrations pénitentielles, sacrifices d’action de grâce… et aussi des « fêtes pour le roi ». Et c’est ce roi que l’on acclamait en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes, et dans les applaudissements de la foule. Or, l’étonnant, c’est que lorsqu’on célébrait ces « fêtes pour le roi », après l’Exil à Babylone (c’est-à-dire à partir du sixième siècle av.J.C.), il n’y avait plus de roi en Israël ! Plus de roi visible, en tout cas.

Mais, d’une part, on se rappelait la promesse de Dieu : on savait qu’un roi, fils (c’est-à-dire descendant) de David, viendrait un jour et on le fêtait déjà. C’était un moyen d’encourager l’espérance. D’autre part, en Israël, même lorsqu’il y avait un roi sur le trône, on n’a jamais oublié que le seul roi au monde, le seul pouvoir, le seul maître est Dieu. C’est lui que l’on acclame dans ce psaume 97/98.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT JEAN 4, 7-10

7   Bien-aimés,
     aimons-nous les uns les autres,
     puisque l'amour vient de Dieu.
     Celui qui aime
     est né de Dieu,
     et connaît Dieu.
8   Celui qui n'aime pas
     n’a pas connu Dieu,
     car Dieu est amour.
9   Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous :
     Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde
     pour que nous vivions par lui.
10 Voici en quoi consiste l'amour :
     ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu,
     mais c'est lui qui nous a aimés,
     et il a envoyé son Fils
     en sacrifice de pardon pour nos péchés.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LÀ OÙ EST L’AMOUR, LÀ EST DIEU

Ce texte parle d'amour à toutes les lignes, ou presque ! (Il est donc bien dans la tonalité des autres lectures de ce dimanche.)

Pour autant, on n'imagine pas Saint Jean baignant dans une communauté à l’eau de rose ! S’il en parle tant, c’est que ce n’est pas si simple ! La communauté à laquelle il écrit (probablement à la fin du premier siècle) est en crise. Des faux prophètes de toute sorte risquent d’égarer les esprits dans d’interminables discussions théologiques. Pendant ce temps, on oublie l’essentiel.  Dans ce texte, Saint Jean ramène sa communauté à l’essentiel, c’est-à-dire Dieu, c’est-à-dire l’Amour. S’il fallait résumer ce passage, on pourrait dire : Dieu est amour, tout amour humain vient de Dieu. Vous cherchez à connaître Dieu, dit Jean, vous avez bien raison, mais ne vous égarez pas avec toutes vos discussions sur la connaissance de Dieu : c’est bien simple, mettez-vous à son diapason. Puisque Dieu est Amour, tout ce qui en vous est Amour vient de Dieu ; et chaque fois que vous aimez, vous êtes au diapason de Dieu.

Un chant très ancien de l’Église dit « Ubi caritas et amor, Deus ibi est » ; ce qui veut dire « Là où il y a de l’amour, là est Dieu ». Cette phrase pourrait être signée par Jean, il dit la même chose : « Celui qui aime est né de Dieu, et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n’a pas connu Dieu,         car Dieu est amour. » Là, nous avons un critère extrêmement simple et clair pour juger tout ce que nous faisons et tout ce que nous voyons faire. Il y a toute une éducation du regard ! Et il semble bien que ce soit la grande leçon que Saint Jean veut donner aux croyants. Peut-être est-ce cela le rôle des croyants : être à l’affût, détecter tout ce qui est parcelle d’amour, regards d’amour, gestes d’amour, et, à chaque fois, savoir dire « Dieu est là ».

C’est dans ce sens-là, peut-être, que Jésus disait « le royaume de Dieu est au milieu de vous ». Et c’est valable tous les jours, sous nos yeux, sur toute la surface du globe, chez les jeunes et chez les vieux, dans toutes les races et toutes les religions, y compris chez ceux qui n’ont pas de religion. (C’est Saint Jean qui nous le dit aujourd’hui.)

Ce qui revient à dire que si on sait ouvrir les yeux, Dieu nous est donné à contempler tous les jours de mille manières. L’Ancien Testament, déjà, avait très bien compris que connaître Dieu et aimer, c’est la même chose et que le jour où l’humanité connaîtra vraiment Dieu, elle deviendra fraternelle.

Isaïe, pour faire entendre ce message-là a inventé sa merveilleuse fable des animaux : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits même gîte. Le lion comme le bœuf mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du SEIGNEUR comme la mer que comblent les eaux » (Is 11,6-9).

UN JOUR, L’HUMANITÉ CONNAÎTRA ENFIN SON DIEU

C’est bien le projet de Dieu pour l’humanité depuis toujours, un projet d’harmonie universelle.

Un peu plus haut, dans cette même lettre, Jean dit « Tel est le message que vous avez entendu dès le commencement : que nous nous aimions les uns les autres » (1 Jn 3,11) ; « dès le commencement », c’est-à-dire depuis les origines. Nous lisions la semaine dernière, dans la même lettre de Jean : « Voici son commandement : adhérer avec foi à son Fils Jésus Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous en a donné le commandement. » (1 Jn 3,23). Et Jean continue : « Voici comment Dieu a manifesté son amour parmi nous : Dieu a envoyé son Fils Unique dans le monde pour que nous vivions par lui. »

On entend résonner ici l’évangile de Jean : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jn 17,3). Vivre, (au sens de la vie éternelle) c’est connaître Dieu ; et pour que nous le connaissions vraiment tel qu’Il est, et pas tel que nous l’imaginons, Il a envoyé son Fils. Tant que Dieu est invisible, comment le connaîtrions-nous vraiment ? En Jésus, parce qu’Il est Dieu fait homme, nous voyons enfin Dieu sur un visage d’homme et dans des gestes d’homme. « Dieu a envoyé son Fils Unique dans le monde pour que nous vivions par lui », c’est-à-dire pour que nous le connaissions.

 Toute sa vie, Jésus a révélé dans ses paroles et dans ses gestes ce qu’est l’amour de Dieu pour l’humanité : paroles qui relèvent et qui pardonnent, gestes qui guérissent et qui rassurent ; le dernier soir, Jean raconte qu’il a laissé à ses apôtres un dernier geste qui parle mieux que des paroles : « Jésus sachant que son Heure était venue, l’Heure de passer de ce monde au Père, lui, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême... »

« Sachant que le Père a remis toutes choses entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il va vers Dieu, Jésus se lève de table, dépose son vêtement... » Le lavement des pieds est en quelque sorte la signature de sa vie : « il est sorti de Dieu... il va vers Dieu », c’est l’amour même qui avait planté sa tente parmi les hommes ; et l’admirable de ce texte, c’est la leçon qu’il en donne : ce n’est pas « malgré qu’il soit Dieu », par condescendance, en quelque sorte, qu’il se met à genoux devant les hommes pour leur laver les pieds ; c’est « parce qu’il est Dieu » qu’il se met à leur service. « Vous m’appelez le Maître et le Seigneur, et vous dites bien car je le suis. » Et il ajoute « Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13,13).

Cette découverte du vrai visage de Dieu change la face du monde : jusque-là on croyait que Dieu avait des comptes à régler avec l’humanité pécheresse ; pour obtenir l’effacement de tous ces péchés, on croyait bon d’offrir des sacrifices, des victimes ; en Jésus-Christ, on découvre un Dieu qui est Amour et Pardon, qui n’a pas de comptes à régler mais qui nous demande simplement de lui ressembler en nous aimant les uns les autres.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 15, 9-17

     En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
9   « Comme le Père m'a aimé,
     moi aussi je vous ai aimés.
     Demeurez dans mon amour.
10 Si vous gardez mes commandements,
     vous demeurerez dans mon amour,
     comme moi,
     j'ai gardé les commandements de mon Père,
     et je demeure dans son amour.
11 Je vous ai dit cela
     pour que ma joie soit en vous,
     et que votre joie soit parfaite.
12 Mon commandement, le voici :
     Aimez-vous les uns les autres
     comme je vous ai aimés.
13 Il n'y a pas de plus grand amour
     que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
14 Vous êtes mes amis
     si vous faites ce que je vous commande.
15 Je ne vous appelle plus serviteurs,
     car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ;
     je vous appelle mes amis,
     car tout ce que j'ai entendu de mon Père,
     je vous l'ai fait connaître.
16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi,
     c'est moi qui vous ai choisis et établis,
     afin que vous alliez,
     que vous portiez du fruit,
     et que votre fruit demeure.
     Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom,
     il vous le donnera.
17 Voici ce que je vous commande :
     c'est de vous aimer les uns les autres. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DIEU VEUT LA JOIE DES HOMMES

« Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » Voilà une bonne nouvelle dans ce texte ! Quand le Christ parle à ses apôtres, c’est pour les combler de joie. Et la raison de cette joie, c’est que la vie de Jésus n’a été qu’amour, à l’image de son Père : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. » Nous sommes tout à fait dans la ligne de la deuxième lecture : quand l’humanité connaîtra enfin Dieu tel qu’Il est, elle sera comblée de joie. Plus on lit la Bible, plus on est frappé de cette insistance : le seul problème de l’humanité, c’est de ne pas connaître Dieu, de se tromper sur Lui. Elle le prend pour un Juge terrible, alors que c’est un Père qui se réjouit de la joie de ses enfants.

Dès l’Ancien Testament, tout le travail des prophètes a consisté à révéler ce vrai visage du Dieu de tendresse et de pitié, comme le disent les psaumes, un Dieu qui veut notre joie. Voici quelques phrases d’Isaïe, par exemple : « Ils reviendront, ceux que le SEIGNEUR a rachetés, ils arriveront à Sion avec des cris de joie. Sur leurs visages, une joie sans limite ! Allégresse et joie viendront à leur rencontre, tristesse et plainte s’enfuiront. » (Is 35,10)... « C’est un enthousiasme et une exultation perpétuels que je vais créer : en effet l’exultation que je vais créer, ce sera Jérusalem, et l’enthousiasme, ce sera son peuple ; oui, j’exulterai au sujet de Jérusalem et je serai dans l’enthousiasme au sujet de mon peuple ! » (Is 65,18-19).

À noter que ces passages sont des textes tardifs de l’Ancien Testament, cela veut dire que la Révélation a déjà fait du chemin ; Sophonie, à son tour, insiste sur la joie de Dieu de voir ses enfants heureux : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem ! Le SEIGNEUR a levé les sentences qui pesaient sur toi, il a écarté tes ennemis. Le roi d’Israël, le SEIGNEUR, est en toi. Tu n’as plus à craindre le malheur. Ce jour-là, on dira à Jérusalem : Ne crains pas, Sion ! Ne laisse pas tes mains défaillir ! Le SEIGNEUR ton Dieu est en toi, c’est lui le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il exultera pour toi et se réjouira, comme aux jours de fête. » (So 3,14-18).

Malheureusement, nous avons du mal à y croire, comme si c’était trop beau ; c’est seulement à la fin des temps que l’humanité connaîtra enfin Dieu et donc vivra dans la joie ; c’est pour cela que, dans l’Ancien Testament, la joie est toujours présentée comme une caractéristique du salut que l’humanité attend. Quand Dieu « répandra son Esprit sur toute chair », comme le dit le prophète Joël (3,1), alors nous connaîtrons que Dieu est amour et nous serons dans la joie.

UNE JOIE QUE NUL NE NOUS RAVIRA

Le Nouveau Testament dit quelle joie, déjà, a accompagné la venue de Celui qui est venu révéler le visage de Dieu aux hommes ; à propos de la naissance de Jean-Baptiste, par exemple, l’ange dit à Zacharie : « Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée. Ta femme Élisabeth mettra au monde pour toi un fils et tu lui donneras le nom de Jean. Tu seras dans la joie et l’allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance. » (Lc 1,13-14). Puis, à propos de la naissance de Jésus, l’ange dit aux bergers : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » (Lc 2,10).

Visiblement, c’est un thème qui a beaucoup marqué Jean ; du dernier soir de son Maître, il a retenu une grande impression de joie plus forte que l’épreuve pourtant toute proche ; par exemple : « Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens à vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. » (Jn 14,28)... « Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée.  Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. » (Jn 16,20-24). Et dans sa dernière prière, Jésus dit à son Père : « Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi dans le monde pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. » (Jn 17,13).

Les apôtres, à leur tour, promettent aux hommes la joie : saint Jean y insiste dans ses lettres : « Et nous écrivons cela, afin que notre joie soit parfaite. » (1 Jn 1,4)... « J’ai bien des choses à vous écrire ; je n’ai pas voulu le faire avec du papier et de l’encre, mais j’espère me rendre chez vous et vous parler de vive voix, pour que notre joie soit parfaite. » (2 Jn 12).

C’est peut-être à cela que l’on reconnaît les prophètes ou les apôtres : ce sont ceux qui révèlent aux hommes le vrai visage du Dieu de la joie. Ceux-là, quand leur heure sera venue, s’entendront dire : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton Seigneur. » (Mt 25,21).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 5 05 2024 6e dimanche de Pâques B

Partager cet article

Repost0
14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 21:21

Chers lecteurs de mon blogue,

Je crois utile de vous faire part de la mise en ligne, par la paroisse de Boulogne (92), d'une série de "capsules" (courtes vidéos - quelques minutes), présentées par le père Bernard Klasen, directeur du Centre pour l'Intelligence de la foi, sur le thème des rites de la messe. Voici un lien pour accéder à ce parcours, puis les 31 vidéos qui le composent.

Partager cet article

Repost0
14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 20:56
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 4, 8-12

     En ces jours-là,
8   Pierre, rempli de l'Esprit Saint, déclara :
     « Chefs du peuple et anciens,
9   nous sommes interrogés aujourd'hui
     pour avoir fait du bien à un infirme,
     et l’on nous demande comment cet homme a été sauvé.
10 Sachez-le donc, vous tous,
     ainsi que tout le peuple d'Israël :
     c'est par le nom de Jésus le Nazaréen,
     lui que vous avez crucifié
     mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts,
     c'est par lui que cet homme
     se trouve là devant vous, bien portant.
11 Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs,
     mais devenue la pierre d'angle.
12 En nul autre que lui, il n'y a de salut,
     car, sous le ciel,
     aucun autre nom n’est donné aux hommes,
     qui puisse nous sauver. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PIERRE ET JEAN DEVANT LE TRIBUNAL

Luc prend soin de préciser d’entrée de jeu que Pierre était rempli de l’Esprit Saint quand il fit cette déclaration solennelle devant le Sanhédrin, c’est-à-dire le tribunal. Cela veut dire premièrement, que ce que dit Pierre est particulièrement important, deuxièmement, qu’il y faut un certain courage ! Ceci se passe après la guérison d’un boiteux au Temple de Jérusalem, près de la Belle Porte : aussitôt après ce miracle, Pierre avait improvisé un discours dans lequel il disait aux Juifs qui l’écoutaient : c’est ce Jésus, crucifié par vous et ressuscité, qui vient d’opérer ce miracle sous vos yeux, par notre intermédiaire, à nous, ses apôtres. Il est vrai que vous n’avez agi que par ignorance, et Jésus lui-même vous a pardonné, à preuve sa phrase sur la croix, « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » ; vous n’avez plus qu’à vous convertir à votre tour.

Ce petit discours en a effectivement converti un certain nombre, mais il n’a pas été du goût de tout le monde ; ce qui se comprend : les mêmes qui ont décidé la mort de Jésus il n’y a pas si longtemps aimeraient bien ne plus jamais en entendre parler ! Luc raconte : « Pierre et Jean parlaient encore au peuple quand les prêtres, le commandant du Temple et les Sadducéens les abordèrent. Ils étaient excédés de les voir instruire le peuple et annoncer, dans le cas de Jésus, la résurrection des morts. Ils les firent appréhender et mettre en prison jusqu’au lendemain, car le soir était déjà venu... Le lendemain, les chefs, les anciens et les scribes qui se trouvaient à Jérusalem s’assemblèrent. Il y avait le grand-prêtre Caïphe, Hanne, Jean, Alexandre et tous les membres des familles de grands prêtres. Ils firent amener Pierre et Jean devant eux et procédèrent à leur interrogatoire : « À quelle puissance ou à quel nom avez-vous eu recours pour faire cela ? » 

Aujourd’hui, nous ne pouvons pas mesurer la gravité de cette question, parce que nous ne sommes plus dans le même contexte, mais Pierre, lui, ne peut pas s’y tromper : dans le cadre de la lutte farouche menée dans tout l’Ancien Testament contre tout ce qui pouvait ressembler à de l’idolâtrie, de la magie, de la sorcellerie, invoquer un autre nom que celui de Dieu revenait à prier un autre Dieu, c’était de l’idolâtrie, et donc cela méritait la lapidation.

Oui, mais, justement, en invoquant le Nom de Jésus, précisément, Pierre avait conscience d’invoquer le Dieu d’Israël lui-même. Tout le problème est là, et notre texte d’aujourd’hui ne parle que de cela : c’est l’Esprit Saint lui-même qui inspire à Pierre sa réponse : « On nous demande comment cet homme a été sauvé. Sachez-le donc, vous tous, ainsi que le peuple d’Israël : c’est grâce au Nom de Jésus le Nazaréen... En dehors de lui, il n’y a pas de salut. Son Nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver ». Pierre n’y va pas par quatre chemins ! Il reconnaît avoir invoqué le Nom de Jésus, et, ce qui revient au même, il lui décerne le titre de « sauveur », qui était strictement réservé à Dieu. Les prophètes étaient très fermes là-dessus.

Par exemple Osée (13,4 ; 12,10) : « Et moi, (je suis) le SEIGNEUR ton Dieu, depuis le pays d’Égypte, moi excepté, tu ne connais pas de Dieu, et de sauveur, il n’y en a point sauf moi ». Ou Isaïe : « ... Nul autre n’est Dieu, en dehors de moi ; un dieu juste et qui sauve, il n’en est pas, excepté moi » (Is 45,21).

LE NOM DE JÉSUS PEUT SAUVER LES HOMMES

Première affirmation absolument scandaleuse de Pierre, donc, Jésus est Dieu ; il y en a une deuxième : il dit « Son Nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver » ; à l’infirme lui-même qui tendait la main pour de l’argent, Pierre avait dit « de l’or ou de l’argent, je n’en ai pas ; mais ce que j’ai, je te le donne : au Nom de Jésus Christ le Nazôréen, marche ! » (Ac 3,6). Pour des oreilles juives, c’était proprement inacceptable : le Nom de Dieu avait bien été révélé au peuple élu, mais il s’interdisait de le prononcer, par respect : parce que l’homme ne peut pas posséder Dieu.

Voilà des juges bien embarrassés : d’un côté, cet infirme connu de tous, qui a plus de quarante ans, nous dit Luc et dont la guérison spectaculaire n’est pas contestable ; de l’autre ces forcenés qui leur font la leçon sur ce Jésus dont on se croyait débarrassé. Luc raconte : « Ils constataient l’assurance de Pierre et de Jean et, se rendant compte qu’il s’agissait d’hommes sans instruction et de gens quelconques, ils en étaient étonnés. » Ils reconnaissaient en eux des compagnons de Jésus, ils regardaient l’homme qui se tenait près d’eux, guéri, et ils ne trouvaient pas de riposte.

Alors nos juges ont fait comme on fait toujours en pareil cas, ils ont renvoyé les prévenus et annoncé qu’ils allaient délibérer. C’est encore Luc qui parle : « Qu’allons-nous faire de ces gens-là, se disaient-ils. Ils sont bien les auteurs d’un miracle évident : la chose est manifeste pour toute la population de Jérusalem et nous ne pouvons pas le nier. Néanmoins il faut en limiter les suites parmi le peuple : nous allons donc les menacer pour qu’ils ne mentionnent plus ce nom devant qui que ce soit. Ils les firent alors rappeler et leur interdirent formellement de prononcer ou d’enseigner le nom de Jésus. »

Mais rien ni personne n’a plus jamais pu faire taire les témoins du Christ. Et cela grâce à la force de l’Esprit Saint. Jésus le leur avait bien dit juste au moment de les quitter : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ».

Dernière remarque : le Nom de Jésus est donné aux hommes, dit Pierre. « Chrétiens », nous portons le nom même du Christ, son Nom nous est confié ; d’où notre responsabilité d’annoncer le salut.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

Au passage, Luc cite Jean à côté de Pierre, plusieurs fois, mais Jean ne dit pas un mot ; c'est Pierre qui dirige les événements ; manière de montrer que les apôtres restent unis mais que Pierre est vraiment le chef de l'Église naissante. Si Luc y insiste, c'est que peut-être ce n'était pas inutile !
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 117 (118), 1.8-9.21-23.26.28-29

1   Rendez grâce au SEIGNEUR : il est bon !
     Éternel est son amour !
8   Mieux vaut s'appuyer sur le SEIGNEUR
     que de compter sur les hommes ;
9   mieux vaut s'appuyer sur le SEIGNEUR
     que de compter sur les puissants !

21 Je te rends grâce car tu m’as exaucé :
     tu es pour moi le salut
22 La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
     est devenue la pierre d'angle :
23 c'est là l'œuvre du SEIGNEUR,
     la merveille devant nos yeux.

26 Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient !
     De la maison du SEIGNEUR, nous vous bénissons !
28 Tu es mon Dieu, je te rends grâce,
     mon Dieu, je t'exalte !
29 Rendez grâce au SEIGNEUR : il est bon !
     Éternel est son amour !
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le premier et le dernier versets sont exactement identiques : « Rendez grâce au SEIGNEUR : Il est bon ! Éternel est son amour ! » Ces deux versets disent toute l’expérience d’Israël, la découverte qu’il a faite, grâce à la révélation par Dieu lui-même de son mystère ; un Dieu d’amour, un Dieu fidèle : il fallait bien la Révélation pour qu’on puisse oser penser une chose pareille !

Au cœur de la méditation de ce psaume, nous retrouvons encore une fois cette phrase que nous connaissons bien : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ; c’est là l’œuvre du SEIGNEUR, la merveille devant nos yeux. » Pour commencer, Jésus lui-même a cité cette phrase quelque temps avant sa Passion : ce qui veut dire qu’elle lui paraissait éclairer un aspect de son propre mystère.

JÉSUS, PIERRE ANGULAIRE

Cela se passait au cours d’une de ses discussions avec les grands prêtres et les anciens : il leur avait raconté une parabole, celle qu’on appelle des « vignerons homicides » (Mt 21,33-46) : « Il était une fois un propriétaire qui planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour » ; pour les interlocuteurs de Jésus, tous ces détails étaient d’une très grande importance ; ils disaient tout de suite de quelle vigne Jésus voulait parler. Car Isaïe avait employé exactement ces mots-là pour parler du peuple d’Israël. Et le propriétaire représentait Dieu, bien sûr. Dans la parabole d’Isaïe, le propriétaire se plaignait parce que, malgré tous ses soins, cette vigne ne donnait rien. Jésus reprend cette parabole, mais il y ajoute un nouveau chapitre : le propriétaire a confié sa vigne à des vignerons et il est parti en voyage. Ce qui prouve, déjà, qu’il faisait confiance. Quand est arrivé le temps des fruits, il a envoyé ses serviteurs réclamer son dû aux vignerons. Mais les vignerons ont empoigné les serviteurs ; ils ont battu à mort le premier, tué le second, lapidé le troisième ; qu’a fait le maître ? Il a envoyé d’autres serviteurs, plus nombreux, mais ils ont subi le même sort ; finalement, le propriétaire a envoyé son propre Fils ; lui, quand même, les vignerons le respecteraient, pensait-il. Au contraire, les vignerons l’ont tué, lui aussi, justement parce qu’il était le fils et donc l’héritier.

Comme souvent, à la fin d’une parabole, Jésus pose une question à ses auditeurs : à votre avis, que va faire maintenant le maître de la vigne ? Réponse évidente : il va traiter ces premiers vignerons comme ils le méritent et confier sa vigne à d’autres ; alors Jésus enchaîne : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue la pierre angulaire ; c’est là l’œuvre du SEIGNEUR : Quelle merveille à nos yeux. » C’est la citation littérale de notre psaume d’aujourd’hui. Mais Jésus continue : Aussi je vous le déclare : le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits. Celui qui tombera sur cette pierre sera brisé, et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera. » Cette pierre angulaire est donc à double tranchant, si l’on peut dire : précieuse pour les uns, qui peuvent s’y appuyer, et on parle alors d’œuvre merveilleuse de Dieu, elle est redoutable pour les autres. En matière de construction, c’est logique : la pierre inutilisée restée sur le chantier devient un obstacle sur lequel on trébuche.

À noter que cette parabole prononcée à Jérusalem était particulièrement parlante pour les auditeurs de Jésus qui avaient sous les yeux le Temple de Jérusalem : car les pierres utilisées pour la construction du mur du Temple sont absolument gigantesques : c’est dire leur solidité, mais aussi le danger qu’elles représentent pour celui qui trébuche dessus.

CROIRE OU NE PAS CROIRE, TOUT EST LÀ

Isaïe, déjà, employait cette image pour parler de Dieu : « C’est le SEIGNEUR, le tout-puissant que vous tiendrez pour saint, c’est lui que vous craindrez, c’est lui que vous redouterez. Il sera (à la fois) un sanctuaire pour vous (c’est-à-dire lieu de protection pour les fidèles) et une pierre que l’on heurte, et un rocher où l’on trébuche... Beaucoup y trébucheront, tomberont, se briseront... » (Is 8,13-14). Il veut dire par là que Dieu est source de vie pour les croyants, mais que ceux qui le méprisent font leur propre malheur.

On retrouve là, d’une certaine manière, un thème très habituel de la Bible : il y a deux chemins possibles dans la vie : celui qui nous mène à Dieu et le chemin opposé ; (et le propre d’un chemin, c’est qu’il va quelque part ;) si on prend la bonne direction, chaque pas nous rapproche du but ; si on se trompe au carrefour, chaque pas nous éloigne du but ; ceux qui ont accepté de croire en Jésus, qui l’ont « reçu », comme dit l’évangile de Jean, grandissent tous les jours dans la paix, la lumière, la connaissance de Dieu. Ceux qui, au contraire, et par ignorance, tout simplement, ont refusé de croire, sont entraînés dans un aveuglement croissant. Dans le texte des Actes des Apôtres de ce dimanche, par exemple, il est frappant de voir comme les autorités religieuses de Jérusalem s’enferrent et, après avoir liquidé Jésus, ne songent qu’à faire taire ses disciples sans accepter de laisser remettre en question leurs certitudes, même quand les miracles leur crèvent les yeux.

Pour ceux qui ont accepté de croire, au contraire, tout est devenu lumineux, l’Esprit Saint les a ouverts peu à peu à l’intelligence des Écritures. Déchiffrant le dessein de Dieu qui se réalise peu à peu dans l’histoire des hommes, ils peuvent dire : « Rendez grâce au SEIGNEUR : Il est bon ! Éternel est son amour ! »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

Dans les trois évangiles synoptiques qui rapportent la parabole des vignerons homicides, celle-ci est située très peu après l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, celle où toute la foule l'a acclamé comme le Messie, alors que les chefs des prêtres restaient de marbre. Ce sont eux, les humbles qui seront les nouveaux vignerons, eux qui ont su reconnaître le Fils alors que ceux à qui la vigne avait été confiée en premier l'ont tué.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT JEAN 3, 1-2

     Bien-aimés,
1   voyez quel grand amour nous a donné le Père
     pour que nous soyons appelés enfants de Dieu,
     - et nous le sommes -.
     Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas :
     c’est qu'il n'a pas connu Dieu.
2   Bien-aimés,
     dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
     mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
     Nous le savons : quand cela sera manifesté,
     nous lui serons semblables
     car nous le verrons tel qu'il est.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LES DEUX SENS DU MOT MONDE

Je m’arrête sur la phrase : « Le monde ne peut pas nous connaître ». Pour la comprendre, il faut se souvenir que, pour Jean, le mot « monde » (cosmos en grec) a deux sens : parfois, il vise le monde que Dieu aime de toute éternité et qu’il veut sauver. Parfois, il vise tout ce qui est hostile ou au moins imperméable à Dieu.

Dans son évangile, par exemple, Jean nous rapporte ce que Jésus a dit à ses disciples le soir du Jeudi saint à propos du monde : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartiendrait ; mais vous n’êtes pas du monde : c’est moi qui vous ai mis à part du monde et voilà pourquoi le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : le serviteur n’est pas plus grand que son maître ; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi ; s’ils ont épié ma parole, ils épieront aussi la vôtre. Tout cela, ils vous le feront à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé. » (Jn 15,18-21). Manière de dire : Il n’y a pas de raison que les disciples soient mieux traités que le maître.

C’est dire les rapports inévitablement très ambigus entre Jésus et le monde, puis entre les chrétiens et le monde. D’une part, Jésus est venu pour sauver le monde ; et l’Église, à son tour, n’a pas d’autre raison d’être que de se mettre au service du monde ; et donc, il faut commencer par aimer le monde*. D’autre part, Jésus puis ses disciples sont « à part » du monde et nécessairement méconnus, haïs, persécutés par le monde. Je reprends ces deux points :

Premièrement, Jésus est venu dans le monde pour le sauver ; le salut consistant à connaître le vrai visage de Dieu ; c’est le sens de la parole de Jésus à Pilate « Je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). Et si Dieu veut sauver le monde, c’est parce qu’il l’aime : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils Unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. » (Jn 3,16). Jean, dans la suite de sa première lettre, répète : « Voici comment s’est manifesté l’amour de Dieu au milieu de nous : Dieu a envoyé son Fils Unique dans le monde afin que nous vivions par lui. » (1 Jn 4,9). Et Jésus accepte d’aller jusqu’au bout pour que le monde découvre cet amour du Père ; dans sa prière, le dernier soir, il dit son grand désir : « Que le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17,23). Donc Dieu aime le monde et veut son salut ; Jésus aime le monde et veut son salut ; j’ai envie de dire : vous voyez ce qu’il nous reste à faire !

Saint Augustin disait : « Étends ta charité sur le monde entier, si tu veux aimer le Christ ; parce que les membres du Christ sont étendus sur le monde... Le Christ, lui, aime son corps. »... Et le Père Teilhard de Chardin disait : « On ne convertit que ce qu’on aime. »

OSER RAMER À CONTRE-COURANT

Mais, deuxièmement, aimer quelqu’un, on le sait bien, ne veut pas dire être toujours d’accord avec ses agissements ! Aimer le monde consistera justement parfois à oser le contredire. Et le mot « monde », alors, chez saint Jean, vise certains agissements, ce que Paul appellerait l’attitude d’Adam, la manière de vivre de ceux qui s’éloignent de Dieu. « Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu » (Jn 1,10).

Et la distance se creuse de plus en plus entre l’Envoyé de Dieu et le monde qui le refuse. Le dernier soir, encore, Jésus a bien prévenu : « Je vous ai dit tout cela afin que vous ne succombiez pas à l’épreuve. On vous exclura des synagogues. Bien plus, l’heure vient où celui qui vous fera périr aura le sentiment de présenter un sacrifice à Dieu. Ils agiront ainsi pour n’avoir connu ni le Père ni moi. » (Jn 16,2-3). Et il continue : « Désormais je ne suis plus dans le monde... ils (les disciples) ne sont pas du monde, comme je ne suis pas du monde... » (Jn 17,11-18). Dans ce sens-là, non pas d’un mépris des hommes, mais du courage de témoigner, Jean a dit un peu plus haut, dans cette lettre que nous lisons aujourd’hui : « N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui, puisque tout ce qui est dans le monde - la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, la confiance orgueilleuse dans les biens - ne vient pas du Père, mais provient du monde. Or le monde passe, lui et sa convoitise ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure à jamais. » (1 Jn 2,15-17). Et Jésus a dit dans le même sens « En ce monde, vous faites l’expérience de l’adversité, mais soyez pleins d’assurance, j’ai vaincu le monde » (Jn 16,33).

Autrement dit, le jour vient où, enfin, le monde saura, acceptera de croire à l’amour de Dieu, et où les hommes se conduiront en fils de Dieu et en frères les uns des autres. Parce que c’est bien cela le dernier mot de toute l’histoire humaine. Comme dit Paul : « J’estime que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu... elle garde l’espérance... car elle aura part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,19-21).

En attendant, il y a ceux qui ont cru en Jésus-Christ et ceux qui, encore, s’y refusent. Comme dit Jean dans le prologue de son évangile : « À tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. » (Jn 1,12). Ceux-là, dès maintenant, sont conduits par l’Esprit de Dieu et cet esprit leur apprend à traiter Dieu comme leur Père. « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’esprit de son Fils qui crie Abba, Père ! » (Ga 4,4).

C’est le sens de l’expression « connaître le Père » chez saint Jean ; c’est le reconnaître comme notre Père, plein de tendresse et de miséricorde, comme disait déjà l’Ancien Testament. À ceux qui ne le connaissent pas encore, c’est-à-dire qui ne voient pas encore en lui leur Père, il nous appartient de le révéler par notre parole et par nos actes. Alors, quand le Fils de Dieu paraîtra, l’humanité tout entière sera transformée à son image. Oui, vraiment, il est grand, l’amour dont le Père nous a comblés !
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

* « On ne convertit que ce qu’on aime » disait le Père Teilhard de Chardin.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 10, 11-18

     En ce temps-là, Jésus déclara :
11 « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger,
     qui donne sa vie pour ses brebis.
12 Le berger mercenaire n'est pas le pasteur,
     les brebis ne sont pas à lui :
     s'il voit venir le loup,
     il abandonne les brebis et s'enfuit ;
     le loup s'en empare et les disperse.
13 Ce berger n'est qu'un mercenaire,
     et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.
14 Moi, je suis le bon pasteur ;
     je connais mes brebis,
     et mes brebis me connaissent,
15 comme le Père me connaît,
     et que je connais le Père ;
     et je donne ma vie pour mes brebis.
16 J'ai encore d'autres brebis,
     qui ne sont pas de cet enclos :
     celles-là aussi, il faut que je les conduise.
     Elles écouteront ma voix :
     il y aura un seul troupeau
     et un seul pasteur.
17 Voici pourquoi le Père m'aime :
     parce que je donne ma vie,
     pour la recevoir de nouveau.
18 Nul ne peut me l'enlever :
     je la donne de moi-même.
     J'ai le pouvoir de la donner,
     j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau :
     voilà le commandement que j'ai reçu de mon Père. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DIEU COMME UN BERGER POUR SON PEUPLE

Cette comparaison du berger nous parle évidemment moins qu’aux contemporains de Jésus ; elle nous parle d’autant moins que qui dit berger dit troupeau, or nous ne rêvons pas d’être comparés à un troupeau ! Nous ne trouvons pas le terme très flatteur ; mais il faut nous replacer dans le contexte biblique.

À l’époque biblique, le troupeau était peut-être la seule richesse de son propriétaire ; il n’y a qu’à voir comment le livre de Job décrit l’opulence puis la déchéance de son héros. Cela se chiffre en nombre d’enfants, d’abord, puis en nombre de bêtes, tout de suite après : « Il y avait au pays de Ouç un homme du nom de Job. Il était, cet homme, intègre et droit, craignait Dieu et s’écartait du mal. Sept fils et trois filles lui étaient nés. Il possédait sept mille moutons, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cents ânesses et une nombreuse domesticité. Cet homme était le plus grand des fils de l’Orient. » Et quand on vient annoncer à Job tous les malheurs qui s’abattent sur lui, cela concerne ses troupeaux et ses enfants.

Déjà d’Abraham, on disait « Abram était riche en troupeaux, en argent et en or » (Gn 13,2). Première remarque : si les troupeaux sont considérés comme une richesse, nous pouvons oser penser que Dieu nous considère comme une de ses richesses. Ce qui est quand même une belle audace sur le plan théologique ! Dieu est donc habituellement comparé à un berger, dont le troupeau est le peuple d’Israël ; par exemple : « Le SEIGNEUR est mon berger, rien ne saurait me manquer... » (Ps 22/23). Ou encore : « Berger d’Israël, écoute, toi qui conduis ton troupeau, resplendis... » (Ps 79/80).

Cette image du berger dit la sollicitude de Dieu qui rassemble son peuple ; et, très souvent, ce thème du berger est associé à l’expérience de l’Exode, la libération d’Égypte ; on sait bien que c’est grâce à Dieu, et à lui seul, qu’on peut parler de peuple ! Sans lui, on ne s’en serait jamais sortis. Par exemple, le psaume 94/95 affirme : « Oui, il est notre Dieu, nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main ».

LE ROI, BERGER À L’IMAGE DE DIEU

Son troupeau, Dieu le confie à des lieutenants (tenant-lieu) ; dans cette optique, les rois d’Israël sont comparés à leur tour à des bergers ; et toute une idéologie de la royauté va se développer sur ce thème-là : faite à la fois de sollicitude et de fermeté. Car un berger sérieux sait faire preuve des deux : c’est avec le même bâton, son bâton de marcheur, qu’il guide et rassemble les brebis qui ont du mal à suivre, mais aussi qu’il éloigne les indésirables, qu’il sépare les brebis et les boucs... et qu’il chasse les bêtes sauvages qui menacent le troupeau. Et l’on sait bien que, primitivement, le sceptre des rois était un bâton de berger. Vers 1750 av. J.-C. le fameux roi Hammourabi de Babylone se comparait déjà, lui aussi, à un berger, et disait « je suis le berger qui sauve et dont le sceptre est juste ».

Malheureusement, il y a les rêves, l’idéal, et puis la réalité... les rois d’Israël, comme bien d’autres ont trop souvent failli à leur mission, ils ont oublié qu’ils n’étaient que des lieu-tenants de Dieu et ils ont recherché leur propre intérêt et non celui de leur peuple. Au lieu de veiller sur leur troupeau, ils se sont préoccupés d’eux-mêmes, de leur richesse, de leur honneur, de leur grandeur ; et au lieu de faire régner la justice dans le pays, ils ont laissé s’installer l’injustice au profit de l’opulence des uns, au risque de la misère des autres. Les prophètes ont des paroles très dures pour eux : « Malheur aux bergers d’Israël qui se paissent eux-mêmes ! N’est-ce pas le troupeau que les bergers doivent paître ? » (Ez 34,2).

LE MESSIE SERA UN BERGER DIGNE DE DIEU

Mais, à travers ou malgré toutes les déceptions, les croyants ne perdent jamais l’espérance ; puisque le vrai berger d’Israël, c’est Dieu lui-même, et puisque Dieu est fidèle, on sait qu’on est en bonnes mains. Et on attend le roi idéal, celui qui gardera le troupeau au nom de Dieu, qui sera un instrument docile dans la main de Dieu. Par exemple, dans le livre d’Ézéchiel : « Moi-même je ferai paître mon troupeau, moi-même le ferai coucher, dit Dieu. La bête perdue, je la chercherai ; celle qui se sera écartée, je la ferai revenir ; celle qui aura une patte cassée, je lui ferai un bandage ; la malade, je la fortifierai. » (Ez 34,16).

Donc, quand Jésus s’attribue le titre de Bon Pasteur, cela revient exactement à dire « Je suis le Messie, celui que vous attendiez ; le Sauveur, c’est moi ». D’ailleurs, ses interlocuteurs ne s’y sont pas trompés ; puisque saint Jean note dans les versets suivants que cette déclaration a provoqué à nouveau la division parmi les Juifs. Les prêtres et les chefs du peuple ont très bien compris derrière les propos de Jésus une attaque à peine déguisée contre eux qui sont les pasteurs en titre du troupeau qui leur a été confié par Dieu. Plus tard, les chrétiens découvriront ce qu’Ézéchiel ne pouvait pas encore deviner : que, réellement, le Messie serait non seulement un lieu-tenant de Dieu mais le Fils de Dieu lui-même. Son sceptre à lui, c’est sa croix : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi » (Jn 12,32).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

Jésus (berger donnant librement sa vie) répond bien au portrait du Serviteur dessiné par Isaïe

Je donne ma vie pour mes brebis

Jean a retenu avec soin toutes les phrases de son maître qui disaient sa détermination à donner sa vie pour son troupeau : « Je donne ma vie... Personne n’a pu me l’enlever : je la donne de moi-même. » (Jn 10,18). Jean souligne ici la liberté de Jésus ; la liberté n’est-elle pas le premier attribut d’un roi ? Voilà bien, nous dit Jean, le roi que l’on attendait, non pas le roi que nous présentent les magazines, mais celui qui sera prêt à tout pour sauver son peuple. Décidément, les vues de Dieu ne sont pas les nôtres !

Jean le notera encore au moment de l’arrestation de Jésus « Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver » ; (Jn 18, 4) et, au sein même du récit de la Passion, il note l’attitude souverainement libre de Jésus (19,28).

Il y aura un seul troupeau et un seul pasteur

Cet horizon est loin d’être atteint, nous ne le savons que trop. Il ne l’était pas non plus lorsque Jean a écrit son évangile et pourtant, il a osé l’affirmer. Depuis la Résurrection, il sait que plus rien ne pourra empêcher ces promesses de Jésus de s’accomplir.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 21 04 2024 4e dimanche de Pâques B

Partager cet article

Repost0
10 avril 2024 3 10 /04 /avril /2024 16:04
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 3, 13... 19

     En ces jours-là, devant tout le peuple,
     Pierre prit la parole :
     « Hommes d’Israël,
13 le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob,
     le Dieu de nos pères,
     a glorifié son serviteur Jésus,
     alors que vous, vous l’aviez livré ;
     vous l’aviez renié en présence de Pilate, qui était décidé à le relâcher,
     vous l’aviez rejeté.
14 Vous avez renié le Saint et le Juste
     et vous avez demandé
     qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier.
15 Vous avez tué le Prince de la vie
     lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts,
     nous en sommes témoins.
17 D’ailleurs, frères, je sais bien
     que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs.
18 Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé
     par la bouche de tous les prophètes :
     que le Christ, son Messie, souffrirait.
19 Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu
     pour que vos péchés soient effacés. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LA GUÉRISON DE L’INFIRME DE LA BELLE PORTE

Pierre s’adresse à un public juif : « Hommes d’Israël ». Il leur parle comme à des frères, il dit « frères » d’ailleurs, mais en même temps on voit bien qu’il n’est plus tout à fait du même bord, si l’on peut dire ; il est clair qu’il a pris parti pour Jésus-Christ et il s’adresse à ceux qui sont responsables de sa mort, « responsables mais pas coupables », dirait-on aujourd’hui. Ce public auquel il s’adresse est certainement tout ouïe parce qu’il vient d’assister à quelque chose d’extraordinaire : nous sommes au Temple de Jérusalem, vers trois heures de l’après-midi, l’heure de la prière. À l’une des portes du Temple, celle qu’on appelle la Belle Porte, un infirme tendait la main aux passants, comme chaque jour, depuis des années ; parmi ces passants, se trouvaient Pierre et Jean ; et Pierre a dit au mendiant « De l’or ou de l’argent, je n’en ai pas ; mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, marche ! » Et, raconte Luc, prenant l’infirme par la main droite, Pierre l’a fait lever ; à l’instant même l’homme a senti ses pieds et ses chevilles s’affermir ; d’un bond, il était debout, lui qui n’avait jamais marché, et il est entré dans le Temple, en marchant, en bondissant plutôt, et en louant Dieu.

Évidemment, après une chose pareille, les spectateurs sont prêts à écouter les explications. Pierre improvise donc un discours : « Israélites, pourquoi vous étonner de ce qui vient d’arriver ? Et pourquoi nous regardez-vous comme des bêtes curieuses ? Ce n’est ni notre piété personnelle ni notre propre puissance qui ont fait ce miracle...  C’est Jésus lui-même qui l’a guéri. » Voilà donc le contexte dans lequel Pierre prend la parole : c’est une véritable plaidoirie ; pour lui, il s’agit de faire franchir à ses interlocuteurs une étape capitale dans la foi ; tous partagent la même foi dans le Dieu des Pères, tous attendent le Messie, tous connaissent les prophéties de l’Ancien Testament ; mais comment les convaincre que ces prophéties sont réalisées en Jésus-Christ ? Au fond Pierre essaie d’ouvrir les yeux des Juifs sur ce qu’on peut appeler une « erreur judiciaire ».

 

UNE ERREUR JUDICIAIRE

L’erreur, d’après Pierre, c’est d’avoir livré à tort un innocent à la justice, d’avoir fait grâcier un meurtrier, Barabbas, et obtenu la peine de mort contre l’innocent, tout cela par ignorance. L’erreur, c’est de n’avoir pas reconnu dans cet homme juste le Messie. Jésus lui-même l’a dit sur la croix : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34).

Il faut reconnaître qu’il y avait de quoi se tromper ; Jésus de Nazareth ne ressemblait guère au Messie qu’on attendait. Et sa mort même, sa déchéance plaidait contre lui ; sûrement, si Dieu était comme l’on croyait, il lui aurait évité de souffrir...

Pierre affirme tranquillement « Dieu avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes que son Messie souffrirait ». En fait, on ne trouve nulle part dans l’Ancien Testament une affirmation aussi claire du genre « le Messie de Dieu sera d’abord rejeté, injustement condamné, mais c’est comme cela qu’il sauvera l’humanité » ; on trouve beaucoup d’annonces du Messie sous les traits d’un roi qui libérera son peuple, d’un prêtre qui obtiendra le pardon des péchés, d’un prophète qui apportera le salut de Dieu, d’un Fils de l’homme victorieux de toutes les forces du mal ; mais dans toutes ces annonces, on entend surtout un langage de victoire ; restent les fameux chants du Serviteur et en particulier le chant du Serviteur souffrant dans le livre d’Isaïe, mais, visiblement, ils n’inspiraient guère les chefs des prêtres à l’époque de Jésus. Bien sûr, après coup, pour ceux qui ont été témoins de la résurrection du Christ, pour ceux dont le cœur a été « ouvert à l’intelligence des Écritures », comme dit ailleurs saint Luc, tout est lumineux ; ils relisent les prophéties d’Isaïe et ils redécouvrent ces fameux textes qui présentaient le Messie sous les traits d’un Serviteur innocent mais persécuté et finalement mis à mort avant d’être glorifié par Dieu, et ils les relisent comme une annonce des souffrances et de la glorification de Jésus.

 

LE SERVITEUR SOUFFRANT ANNONCÉ PAR ISAÏE

Le quatrième chant du Serviteur, en particulier, s’applique parfaitement à la Passion du Christ : « Il n’avait ni aspect, ni prestance tels que nous le remarquions, ni apparence telle que nous le recherchions. Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui on cache son visage ; oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement. En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, et nous, nous l’estimions frappé par Dieu et humilié… Brutalisé, il s’humilie ; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent : elle est muette ; lui n’ouvre pas la bouche. Sous la contrainte, sous le jugement, il a été enlevé... Il a été retranché de la terre des vivants... »

Ce texte dit aussi la glorification du Serviteur souffrant : « Voici que mon Serviteur triomphera, il sera haut placé, exalté, élevé à l’extrême. De même que les foules ont été horrifiées à son sujet, de même à son sujet des foules de nations vont être émerveillées... Sitôt reconnu comme juste, il dispensera la justice, lui, mon Serviteur, au profit des foules... » (Is 53,2... 11).

On voit bien l’importance qu’un tel texte a pu prendre pour les premiers chrétiens dans leur méditation sur le mystère du Christ. Et c’est à cette découverte-là que Pierre veut amener les Juifs aux quels il adresse son discours ; et il leur dit en substance : « rien n’est jamais perdu ; il est toujours temps de réparer une erreur judiciaire, de réhabiliter un innocent ; et la merveille de la miséricorde de Dieu, c’est qu’elle s’applique à vous, justement, la prière du Christ : Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. Je sais bien que vous agi dans l’ignorance, vous et vos chefs... Convertissez-vous donc et revenez à Dieu pour que vos péchés soient effacés ».
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 4,2.4.7.9

2   Quand je crie, réponds-moi,
     Dieu, ma justice !
     Toi qui me libères dans la détresse,
     pitié pour moi, écoute ma prière !   

4   Sachez que le SEIGNEUR a mis à part son fidèle
     Le SEIGNEUR entend quand je crie vers lui.
7   Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? »
     Sur nous, SEIGNEUR, que s'illumine ton visage !

9   Dans la paix, moi aussi,
     je me couche et je dors ;
     car tu me donnes d'habiter, SEIGNEUR,
     seul, dans la confiance.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE SEIGNEUR ENTEND QUAND JE CRIE VERS LUI

Il est bien court, ce psaume 4 qui ne comporte en tout que neuf versets (nous en lisons quatre ici) ; mais il est riche de toute la foi d’Israël, de toute cette longue histoire d’Alliance entre le peuple élu et son Dieu, pendant des siècles. Confiance et supplication mêlées, fierté et bonheur d’être le peuple élu, découverte du Dieu libérateur, tout y est.

Premièrement, la prière du peuple d’Israël est faite de confiance et supplication mêlées : « Quand je crie, réponds-moi, Dieu, ma justice ! Toi qui me libères dans la détresse, pitié pour moi, écoute ma prière ! » Et encore : « Le Seigneur entend quand je crie vers lui » (verset 4). Dans toute prière juive, nous trouvons ce mélange d’action de grâce et de supplication ; à tel point que le même mot « Hosanna » est employé pour dire à la fois « Seigneur, tu nous sauves, gloire à toi » ET « S’il te plaît, Seigneur, sauve-nous ».

Un autre psaume dit : « Dieu notre Dieu nous bénit, Que notre Dieu nous bénisse » ! C’est logique : quand on adresse une prière à quelqu’un, on reconnaît implicitement qu’il peut et veut notre bien ; sinon, on ne le prierait pas ! Et quand nos enfants nous demandent quelque chose, nous sommes heureux et fiers, car c’est une preuve de confiance qu’ils nous donnent.

Le peuple d’Israël ne nous a pas attendus pour savoir que le dessein de Dieu n’est que bienveillant et que sa toute puissance est celle de l’amour. Jésus disant à son Père « Je sais bien que tu m’exauces toujours » était bien un fils d’Israël. Au sein même de cette certitude, la prière peut se faire « cri » parce que la foi la plus pure ne dispense pas de souffrir ; et il y a bien dans nos vies des moments où la détresse nous fait non pas « prier » mais « crier »... C’est l’un des cadeaux de la Bible que de nous révéler qu’il est permis de « crier »...

Deuxième trait de la foi juive, la fierté, le bonheur d’être le peuple élu, mis à part, consacré. C’est le sens du dernier verset : « Tu me donnes d’habiter, SEIGNEUR, seul, dans la confiance » : en réalité, ici, le mot « seul » veut dire « à part ». « Habiter à part, dans la confiance », en langage biblique, cela signifie qu’on sait où est le vrai bonheur : les étrangers nous demandent « qui nous fera voir le bonheur ? » Eh bien, nous, nous savons où réside le bonheur de l’homme, c’est dans l’Alliance avec notre Dieu.

Nous avons entendu également : « Le SEIGNEUR a mis à part son fidèle », et le mot « fidèle », en hébreu, c’est le « hassid », le bien-aimé ; et on sait bien que ce choix, cette élection comme on dit, est pur choix de Dieu, inexplicable, immérité, comme tous les choix d’amour... Ce n’est pas une affaire de mérite : on n’oublie jamais cette phrase du Deutéronome : « Si le SEIGNEUR s’est attaché à vous et s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de tous les peuples... Ce n’est pas parce que tu es juste ou que tu as le cœur droit que tu vas entrer prendre possession de ce bon pays... car tu es un peuple à la nuque raide » (Dt 7,7 ; 9,5...7). On n’en tire donc pas orgueil, c’est un fait, tout simplement ; un fait qui nourrit la confiance éperdue qui ne quitte jamais Israël, même dans les situations les plus dramatiques : « Dans la paix, je me couche et je dors ; car tu me donnes  d’habiter, SEIGNEUR, à part, dans la confiance » ; source de bonheur et de fierté, cette élection est source aussi de bien des persécutions, au long des siècles ; cette mise à part signifie aussi isolement, incompréhension : inévitablement, « à part » signifie aussi « différent ».

HABITER DANS LA CONFIANCE

Enfin, troisième aspect de la prière d’Israël, la découverte du Dieu libérateur. « Toi qui me libères dans la détresse... », ce n’est pas un effet de style, c’est l’expérience qui parle ! Il ne faut pas oublier que la première expérience qu’Israël a faite de Dieu, c’est l’Exode : Dieu a entendu la souffrance des esclaves, des humiliés et il les a libérés de l’Égypte, la maison de servitude, selon l’expression consacrée. Et si Dieu a libéré son peuple de la domination du Pharaon, ce n’est pas pour lui imposer une autre domination, la sienne ; c’est pour lui offrir le bonheur et la liberté ; ici, ce psaume consonne très fort encore une fois avec les méditations du livre du Deutéronome ; notre psaume dit : « Tu mets dans mon cœur plus de joie que toutes leurs vendanges et leurs moissons... tu me donnes d’habiter, à part, dans la confiance » et en écho le Deutéronome : « Confiant, Israël se repose ; elle coule à l’écart, la source de Jacob, vers un pays de blé et de vin nouveau, et le ciel même y répand la rosée » (Dt 33,28).

Cette expérience du Dieu libérateur n’appartient pas seulement au passé tel qu’il est raconté dans le livre de l’Exode : il y a dans nos vies bien d’autres maisons de servitude et Dieu a été découvert comme celui qui accompagne toute entreprise de libération. « Toi qui me libères dans la détresse... », c’est au présent. Il y a là l’expression d’une véritable expérience de foi : l’homme religieux dit « J’aime Dieu », le croyant dit « Dieu m’aime et me libère ».

Enfin, il faut entendre cette magnifique formule de bénédiction, « Sur nous, SEIGNEUR, que s’illumine ton visage ! »  C’est le souhait le plus cher du croyant pour ceux qu’il aime ; c’est la formule du livre des Nombres « Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde, qu’il fasse sur toi rayonner son Visage, que le SEIGNEUR te découvre sa Face, qu’il te prenne en grâce et t’apporte la paix. » (Nb 6, 24-26).
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT JEAN 2, 1-5a

1   Mes petits enfants,
     je vous écris cela pour que vous évitiez le péché.
     Mais si l'un de nous vient à pécher,
     nous avons un défenseur devant le Père :
     Jésus Christ, le Juste.
2   c’est lui qui, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés,
     non seulement des nôtres,
     mais encore de ceux du monde entier.
3   Voici comment nous savons
     que nous le connaissons :
     si nous gardons ses commandements.
4   Celui qui dit : « Je le connais »,
     et qui ne garde pas ses commandements,
     est un menteur :
     la vérité n'est pas en lui.
5   Mais en celui qui garde sa parole,
     l'amour de Dieu atteint vraiment la perfection.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

TOUS, PÉCHEURS PARDONNÉS

Jean développe ici trois certitudes : premièrement, nous sommes tous pécheurs ; deuxièmement, nous sommes tous des pécheurs pardonnés ; troisièmement, c'est en Jésus que nous sommes pardonnés.

Premièrement, nous sommes tous pécheurs : même si le péché n’est pas notre sujet de conversation le plus habituel, nous savons bien et nous disons volontiers que « nul n’est parfait » ; si Jean dit : « Mes petits enfants, je vous écris pour que vous évitiez le péché », cela veut bien dire qu’il considère la vie chrétienne comme un combat ; nous sommes tous des êtres partagés, nous avons tous un côté ombre et un côté lumière.

Et chacun de nous peut dire comme Paul : « Je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais » (Rm 7,15). Isaïe, lui aussi, le grand Isaïe, prenant conscience de la sainteté de Dieu, s’écriait : « Je ne suis qu’un homme aux lèvres impures » (Is 6,5).

Et Jean, dans cette même première lettre, constate « le monde tout entier gît sous l’empire du Mauvais » (1 Jn 5,19). On n’a pas le droit de se voiler la face sur cette vérité-là et de se prendre pour des purs ! Quelques lignes avant le passage d’aujourd’hui, Jean a dit crûment : « Si nous disons : Nous n’avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous » (1 Jn 1,8).

Mais, et voilà la deuxième certitude, la grande nouvelle de la Bible, ce n’est pas que nous sommes pécheurs, c’est que nous sommes pardonnés ; l’annonce de Jésus à tous ceux qu’il rencontre dans les Évangiles, c’est « tes péchés sont pardonnés ». Et le Credo nous fait dire non pas « je crois que nous sommes pécheurs », mais « je crois à la rémission des péchés ». La conclusion de cette lettre, c’est « Je vous ai écrit tout cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui avez la foi au nom du Fils de Dieu »... Un des axes de la pédagogie biblique a certainement été de faire passer l’homme du sentiment de culpabilité à l’accueil humble et reconnaissant du pardon de Dieu.

On en a un exemple dans le psaume 50/51 qui commence par dire « ma faute est toujours devant moi sans relâche » (voilà le sentiment de culpabilité) et qui ajoute « Contre toi et toi seul j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux je l’ai fait » (là s’amorce le repentir, versets 5-6).

La véritable attitude pénitentielle, ce n’est pas de faire le compte de nos péchés, c’est d’accueillir le pardon de Dieu qui nous précède toujours. De l’accueil de l’enfant prodigue par le Père à la phrase de Jésus à la femme adultère, l’évangile répète ce que l’Ancien Testament avait déjà dit, à savoir que le pardon de Dieu est toujours offert. Le sentiment de culpabilité nous emprisonne, on peut même dire nous « empoisonne » ; la vérité nous libère : cette vérité, c’est à la fois que nous sommes pécheurs, et parce que Dieu est Amour et Pardon, que nous sommes pardonnés.

C’est bien le sens des affirmations de Jean : « Si nous disons : Nous n’avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous » (1 Jn 1, 8)... « Si nous confessons nos péchés, fidèle et juste comme il est, il nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité » (1 Jn 1, 9).

 

JÉSUS, NOTRE DÉFENSEUR

Enfin, troisième certitude exprimée par Jean dans le texte d’aujourd’hui, c’est en Jésus que nous sommes pardonnés : « Si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus-Christ, le Juste. Il est la victime offerte pour nos péchés... » L’expression « victime offerte pour nos péchés » n’est pas compréhensible dans notre mentalité d’aujourd’hui. Pour la comprendre, il faut nous reporter à la liturgie juive des contemporains de Jean. Tout au long de l’Ancien Testament, le peuple juif avait conscience d’être pécheur, d’être infidèle à l’Alliance et, pour renouer cette Alliance, il offrait des sacrifices, des victimes, au temple de Jérusalem. Désormais, dit Jean, ce culte-là est révolu ; Jésus s’offre lui-même pour rétablir définitivement l’Alliance entre Dieu et les hommes. Quand Jean, dans son évangile, désigne Jésus comme « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », c’est exactement la même chose.

Et la lettre aux Hébreux affirme que « Jésus supprime le premier culte pour établir le second » : « En entrant dans le monde, le Christ dit : de sacrifice et d’offrande, tu n’as pas voulu. Mais tu m’as façonné un corps. Holocaustes et sacrifices pour le péché ne t’ont pas plu. Alors j’ai dit me voici... je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté. » (He 10). En Jésus une étape décisive de l’histoire de l’humanité a été franchie : ce n’est plus au Temple de Jérusalem que nous recevons le pardon de Dieu, c’est dans l’union au Christ mort et ressuscité.* Une union offerte à tous les hommes : « Il est la victime offerte pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier. » Jésus l’a précisé lui-même à plusieurs reprises, en particulier dans l’institution de l’Eucharistie : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » (Mc 14,24).

Mais l’expression « victime offerte » peut prêter à contresens ! Si nous relisons bien la lettre aux Hébreux, elle nous dit que, avec Jésus-Christ, cette formule « victime offerte » a complètement changé de sens. Ce n’est pas par des actions que Jésus nous sauve du péché, c’est par son être même : lui qui est sans péché, c’est-à-dire qu’il ne quitte pas la présence du Père, qu’il est sans cesse « tourné vers le Père » (comme dit le Prologue de l’évangile de Jean), c’est-à-dire en perpétuel dialogue d’amour avec Dieu, avec le Père. Il est en même temps auprès de nous pour nous réconforter, nous assister. Jean emploie le mot « Défenseur » pour désigner ce lien désormais tissé entre Dieu et l’humanité : » Nous avons un Défenseur devant le Père ». Comme dit magnifiquement la première prière eucharistique pour la réconciliation, désormais « ses bras étendus dessinent entre ciel et terre le signe indélébile de l’Alliance ».
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - De manière imagée, Jean disait la même chose dans l'épisode de la Purification du Temple : lorsque Jésus proclamait « Détruisez ce Temple et en trois jours je le rebâtirai », Jean commentait « Le Temple dont il parlait c’était son corps. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT LUC 24, 35-48

     En ce temps-là, les disciples qui rentraient d'Emmaüs
     racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons
35 ce qui s'était passé sur la route,
     et comment le Seigneur
     s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.
36 Comme ils en parlaient encore,
     lui-même fut présent au milieu d'eux,
     et leur dit : « La paix soit avec vous ! »
37 Saisis de frayeur et de crainte,
     ils croyaient voir un esprit.
38 Jésus leur dit :
     « Pourquoi êtes-vous bouleversés ?
     Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ?
39 Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi !
     Touchez-moi, regardez :
     un esprit n'a pas de chair ni d'os
     comme vous constatez que j'en ai. »
40 Après cette parole,
     il leur montra ses mains et ses pieds.
41 Dans leur joie, ils n'osaient pas encore y croire,
     et restaient saisis d'étonnement.
     Jésus leur dit :
     « Avez-vous ici quelque chose à manger ? »
42 Ils lui présentèrent une part de poisson grillé
43 qu’il prit et mangea devant eux.
44 Puis il leur déclara :
     « Voici les paroles que je vous ai dites
     quand j'étais encore avec vous :
     Il faut que s'accomplisse
     tout ce qui a été écrit à mon sujet
     dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. »
45 Alors il ouvrit leur intelligence
     à la compréhension des Écritures.
46 Il leur dit :
     « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait,
     qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
47 et que la conversion serait proclamée en son nom,
     pour le pardon des péchés,
     à toutes les nations,
     en commençant par Jérusalem.
48 À vous d’en être les témoins. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE PROJET DE DIEU EN MARCHE

La phrase qui est au cœur de ce texte nous parle d’accomplissement : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j'étais encore avec vous : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes. » Le thème de l’accomplissement court dans toute la Bible ; on pourrait comparer Dieu à un artiste qui a conçu une œuvre d’art : je me rappelle un sculpteur qui a entrepris, il y a quelques années, pour une église, une énorme croix en bronze doré. Dès les premiers croquis, il l’imaginait, il la voyait, et, déjà, elle le remplissait de joie ; il a fallu plusieurs mois, sinon plusieurs années, pour que son rêve devienne réalité : il a fallu aussi des collaborateurs qui lui ont fait confiance puisque lui seul avait le secret de son chef-d’œuvre ; elle est née, enfin, l’œuvre, après bien des efforts, des fatigues, la chaleur du four, et tous enfin, ont su à quelle merveille ils avaient collaboré. Après coup, ils peuvent enfin dire « oui, il fallait » bien tout cela pour en arriver là !

Le dessein bienveillant de Dieu qui se réalise dès « avant la fondation du monde », comme dit Paul, est bien plus grandiose qu’une œuvre d’art, si belle soit-elle ! Et on peut lire tout au long de la Bible, l’histoire de ce projet en marche : la longue patience de Dieu à travers le temps, les étapes et les débuts de réalisation, les échecs et les recommencements, les collaborations. Dire que le dessein bienveillant de Dieu s’accomplit dans l’Histoire des Hommes, c’est dire que l’Histoire de l’Humanité a un « SENS », c’est-à-dire à la fois une « signification » et une « direction ». C’est un article de notre foi. Ce qui veut dire que nous n’avons jamais le droit de céder à la morosité ambiante ! Les croyants sont tournés vers l’avenir (l’à-venir) et non vers le passé ! Dans le Notre Père, ils disent : « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel », en d’autres termes, « que s’accomplisse ton projet ».

DIEU CHERCHE DES COLLABORATEURS

Comme notre sculpteur, Dieu cherche des partenaires pour son projet : la Bible nous dit que, depuis toujours Dieu propose à l’humanité de collaborer à son grand projet : il y a eu Adam, Noé, Abraham... et le choix du peuple d’Israël pour être le partenaire de Dieu au service de l’humanité tout entière. Ce choix de Dieu qu’on appelle l’élection d’Israël reste valable encore aujourd’hui : cette Alliance proposée à Israël n’a jamais été dénoncée par Dieu ! Israël est encore le peuple élu, car « Dieu ne peut se renier lui-même » (2 Tm 2, 13). Puis le Christ a pris chair au sein de ce peuple élu, et enfin, il a transmis la mission à tous ceux qui veulent bien entrer dans son Église. « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie », dit-il dans l’évangile de Jean (Jn 20, 21).

Bien sûr, à force de parler de projet de Dieu, on peut se demander ce que devient notre Liberté. Or, l’une des découvertes d’Israël, c’est que Dieu ne tire pas toutes les ficelles, l’homme a une responsabilité dans son histoire ; il n’y a pas un scénario écrit d’avance. Au contraire, Dieu respecte la liberté de l’homme ; et, d’après saint Pierre, c’est justement parce que Dieu respecte la liberté de l’homme que le projet n’avance pas plus vite ! « Le Seigneur ne tarde pas à accomplir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion. » (2 P 3,9). Quand les croyants relisent les Écritures, ils y déchiffrent cette longue patience de Dieu. Pierre dit encore : « Il y a une chose en tout cas, mes amis que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour » (2 P 3,8).

Quand le Christ dit à ses apôtres « Il fallait », il leur apprend justement à reconnaître sous la surface des jours et des millénaires la lente mais sûre maturation de l’humanité nouvelle qui sera un jour réunie en lui. C’est cela « l’intelligence des Écritures ». Non pas « c’était écrit, programmé » ; mais c’est dans la ligne de l’œuvre de Dieu. Alors, pour les disciples, tout est devenu lumineux : bien sûr, le Dieu d’amour et de pardon ne pouvait qu’aller jusqu’au bout de l’amour et du pardon ; bien sûr, l’Alliance d’amour parfaite entre Dieu et l’humanité ne pouvait être scellée que dans l’homme-Dieu, celui qui est l’amour même. Bien sûr, pour nous entraîner au-delà de la mort, dans la lumière de la Résurrection, il fallait qu’il traverse lui-même la mort ; bien sûr, pour nous apprendre à surmonter la haine avec la seule force de l’amour, il fallait qu’il affronte lui-même la haine et la dérision ; bien sûr, pour inaugurer l’humanité qui connaît le Père, il fallait qu’il vienne nous révéler le vrai visage de Dieu sur un visage d’homme : « Qui m’a vu a vu le Père » ; ce « il fallait », Jésus lui-même l’a expliqué à Pilate au cours de la Passion (Jn 18,37) : « Je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité... »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

Notre mission de collaboration au projet de Dieu, c’est d’annoncer à notre tour (et de vivre le mieux possible) le dessein bienveillant de Dieu. C’est ce que Paul appelle « achever dans notre chair ce qui manque à l’œuvre du Christ ». « Achever dans notre chair » voulant dire tout simplement mettre notre vie quotidienne au service de ce grand projet.

Voilà la phrase de Paul : « Ce qui manque aux détresses du Christ, je l’achève dans ma chair pour son Corps qui est l’Église ; j’en suis devenu le ministre en vertu de la charge que Dieu m’a confiée à votre égard : achever l’annonce de la Parole de Dieu, le mystère tenu caché tout au long des âges et que Dieu a manifesté maintenant à ses saints. Il a voulu leur faire connaître quelles sont les richesses et la gloire de ce mystère parmi vous... » (Col 1,24-26).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 14 04 2024 3e dimanche de Pâques B

Partager cet article

Repost0
3 avril 2024 3 03 /04 /avril /2024 22:35
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 4, 32-35

32 La multitude de ceux qui étaient devenus croyants
     avait un seul cœur et une seule âme ;
     et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre,
     mais ils avaient tout en commun.
33  C'est avec une grande puissance
     que les Apôtres rendaient témoignage
     de la résurrection du Seigneur Jésus,
     et une grâce abondante reposait sur eux tous.
34 Aucun d'entre eux n'était dans l’indigence,
     car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons
     les vendaient,
35 et ils apportaient le montant de la vente
     pour le déposer aux pieds des Apôtres ;
     puis on le distribuait en fonction des besoin de chacun.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

UN NOUVEAU MODE DE VIE

On trouve plusieurs textes comme celui-ci dans le livre des Actes des Apôtres : des sortes de résumés (on les appelle des « sommaires ») de ce qu’était la vie de la première communauté chrétienne, dans les premiers temps de l’Église.

Les apôtres ont reçu l’Esprit-Saint à la Pentecôte et saint Luc nous décrit ici en quoi consiste la vie nouvelle qui s’instaure dans la toute première communauté chrétienne. Première insistance, l’unité : « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ». Luc constate : la foi illumine tellement l’existence des croyants que, inévitablement, on n’a plus qu’un seul cœur et une seule âme ! Jésus l’avait bien dit : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra comme mes disciples » (Jn 13,35).

Deuxième insistance de ce texte : cette unité se traduit concrètement en partage des biens. Dès la première phrase, les deux choses sont inséparables : « La multitude de ceux qui avaient adhéré à la foi avait un seul cœur et une seule âme ET personne ne se disait propriétaire de ce qu’il possédait, mais on mettait tout en commun… Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des apôtres ; puis on  le distribuait en fonction des besoins de chacun. » Évidemment, cela va de soi : on ne peut pas dire qu’on n’a qu’un seul cœur et une seule âme, si on peut laisser l’autre dans la misère et fermer les yeux sur ses besoins.

Saint Luc ne cherche pas ici à nous faire un cours d’économie ni à nous prescrire le régime social idéal, ce n’est pas son propos ; il dit quelque chose de beaucoup plus profond ; le fond de sa pensée, il nous le livre dans la phrase centrale de ce passage ; à elle toute seule, la composition de ces quelques lignes a son importance : deux phrases semblables en encadrent une troisième, il y a donc ce qu’on appelle une inclusion ; et cette inclusion-là est tout-à-fait instructive. Première phrase : « Les chrétiens n’avaient qu’un seul cœur et qu’une seule âme ; personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais on mettait tout en commun. » Troisième phrase, « Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et on distribuait le montant de la vente en fonction des besoins de chacun. » Donc deux phrases qui disent le partage des biens matériels.

La phrase centrale, au premier abord parle de tout autre chose : « C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous ». En réalité, la construction même du texte prouve que pour saint Luc, le partage fraternel de tous les biens est précisément une des façons de témoigner de la résurrection du Christ qui est le cœur de la foi chrétienne. Depuis la Résurrection du Christ, l’humanité nouvelle est née, celle qui est capable, désormais, de vivre au jour le jour l’amour et le partage (à condition de se laisser en permanence guider par l’Esprit Saint).

Pour les apôtres, la Résurrection du Christ est « l’Événement » qui a tout changé : le Christ est ressuscité et son Esprit, sa puissance d’aimer les habite. « Une grâce abondante reposait sur eux tous » : la grâce, c’est la présence de Dieu en nous, c’est l’amour de Dieu en nous. Apôtres et baptisés sont habités par l’amour, un amour tellement puissant qu’il les transforme complètement, au point de leur faire voir tout autrement les réalités matérielles. Il arrive bien dans nos vies qu’un grand événement, heureux ou malheureux, change complètement nos priorités. Des choses qui nous paraissaient jusque-là insignifiantes prennent tout d’un coup une grande valeur, d’autres auxquelles nous tenions beaucoup nous apparaissent tout d’un coup secondaires.

Un jeune couple qui a la joie d’accueillir un enfant, par exemple, sacrifiera de bon cœur sa liberté ; et on entend souvent les rescapés d’un grand accident ou d’une maladie dire que, pour eux, rien ne sera plus comme avant.


LE PARTAGE DES BIENS

Pour les premiers chrétiens, nous dit Luc, la possession des biens matériels n’est plus une priorité : « Personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre » ; il y a une nuance appréciable ! On possède des biens, on ne s’en prétend pas propriétaire, mais on met tout en commun pour que ces biens comblent les besoins de tous et que personne ne soit dans la misère ; en d’autres termes, ils se comportaient, non en propriétaires mais en intendants. Il faut reconnaître qu’il y a là tout un changement de mentalité... Il y faut bien la puissance de la grâce ! On est dans la droite ligne, une fois de plus, de l’Ancien Testament : toute la prédication prophétique visait à une double prise de conscience : premièrement, tout ce que nous possédons est cadeau de Dieu ; deuxièmement, tout homme est un frère.

Première prise de conscience, tout ce que nous possédons est cadeau de Dieu : le geste d’offrande des récoltes au printemps était justement un geste de reconnaissance au vrai sens du terme : on reconnaissait que tout était cadeau et on en était reconnaissants ! Et le leitmotiv du Livre du Deutéronome est « garde-toi d’oublier », sous-entendu « que tout est cadeau ». Deuxième prise de conscience, tout homme est un frère. Le livre de Job a cette formule extraordinaire : « C’est le même Dieu qui nous a formés dans le sein » (Jb 31,15), et Isaïe parle bien de tout homme quand il dit : « Partage ton pain avec l’affamé, les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras », et il termine « Devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas » (Is 58,7). « Celui qui est ta propre chair », c’est-à-dire ton frère.

Saint Luc constate que quand les Écritures sont accomplies, quand enfin on vit dans le régime de la Nouvelle Alliance, à laquelle nous préparait l’Ancien Testament, les croyants sont tous réellement frères... et alors, c’est logique, s’instaure une véritable vie de famille : entre frères, on peut tout mettre en commun.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 117 (118), 1.4.16-17.22-23.24-25  

     Alléluia !
1   Rendez grâce au SEIGNEUR : il est bon !
     Éternel est son amour !
4   Qu'ils le disent, ceux qui craignent le SEIGNEUR,
     Éternel est son amour !   

16 Le bras du SEIGNEUR se lève,
     le bras du SEIGNEUR est fort !
17 Non, je ne mourrai pas, je vivrai,
     pour annoncer les actions du SEIGNEUR.   

22 La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
     est devenue la pierre d'angle ;
23 c'est là l'œuvre du SEIGNEUR,
     la merveille devant nos yeux.   

24 Voici le jour que fit le SEIGNEUR,
     qu'il soit pour nous jour de fête et de joie !
25 Donne, SEIGNEUR, donne le salut !
     Donne, SEIGNEUR, donne la victoire !
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

UN PSAUME POUR LA FÊTE DES TENTES

« Voici le jour que fit le SEIGNEUR, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! » Cette simple phrase dit que ce psaume est chanté à l’occasion d’une fête annuelle très joyeuse au temple de Jérusalem, la fête des tentes ; ce psaume 117/118 fait partie d’un groupe de psaumes qu’on appelle les psaumes du Hallel (Hallel signifie louange) qui étaient toujours chantés pour cette fête et l’acclamation « Donne, Seigneur, donne le salut » est la traduction exacte du mot « Hosanna » qui était le refrain de la fête des tentes. Nous avons l’habitude de chanter « Hosanna » dans le sens de l’action de grâce « Dieu nous sauve », mais son sens premier, c’est « sauve donc » qui est une supplication.

Cette fête des tentes tient son nom des tentes sous lesquelles on vivait chaque année pendant huit jours, en souvenir des campements dans le désert du Sinaï, au cours de la longue marche de l’Exode. C’était un moment privilégié pour se rappeler l’œuvre de Dieu pour libérer son peuple : Dieu avait vu les esclaves en Égypte, il avait compris leurs souffrances ; il avait confié à Moïse la mission de libérer ce peuple et il avait, pas à pas, au milieu de toutes les épreuves du désert, accompagné cette entreprise de libération... Et le peuple humilié avait pu relever la tête ; à partir de cette expérience première, on a découvert que Dieu est celui qui, toujours, relève les humiliés. Ce n’est pas un hasard si le premier des psaumes du Hallel, le psaume 112/113 développe justement ce thème : « De la poussière il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre pour qu’il siège parmi les princes, parmi les princes de son peuple » (Ps 112/113,7-8). Nous ne réalisons peut-être plus la découverte que cela représente ; à une époque où toutes les divinités étaient imaginées sur le modèle des conquérants humains, hommes de pouvoirs, de victoires guerrières et de démonstrations de prestige, le Dieu d’Israël s’est fait connaître comme celui qui couronne les exclus

 

LA LOGIQUE DE DIEU

À la logique humaine la plus fondée, la plus sage, il oppose sa logique à lui, sa sagesse à lui ; « ses pensées ne sont pas nos pensées », disait Isaïe.

Avec lui, les derniers sont premiers et les premiers derniers. Les bâtisseurs, c’est-à-dire ceux qui s’y connaissent en matière de construction, peuvent bien mépriser une pierre et la mettre au rebut, le Seigneur, lui, saura en faire une pierre maîtresse. « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». De ce qui semblait perdu, promis à la mort, Dieu fait surgir la vie. C’est bien ce qui s’est passé pour ce petit peuple qu’il a choisi et à qui il a confié une mission de leader pour l’humanité ; car ce peuple si souvent humilié se sait porteur d’une grande promesse : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, pour annoncer les actions du SEIGNEUR. »

 Alors, ils peuvent le dire, « ceux qui craignent le SEIGNEUR », « éternel est son amour ». Ce psaume a certainement été écrit assez tardivement, puisqu’il a eu le temps d’intégrer cette merveilleuse découverte qu’a faite le peuple d’Israël, à savoir qu’il n’y a pas de raisons d’avoir peur de Dieu ! Le mot « craindre » figure encore dans la Bible, mais il a complètement changé de sens : tant qu’on imagine Dieu comme un potentat à la manière des hommes, on a tout lieu de rester sur ses gardes et de chercher par tous les moyens à ne pas lui déplaire... Mais toute la pédagogie biblique a fait découvrir le vrai visage de Dieu, celui du Père de toute miséricorde ; alors on n’éprouve plus pour lui que la confiance et l’admiration du tout-petit envers le grand : une admiration nourrie de la simple reconnaissance de notre propre petitesse et de l’expérience de sa constante tendresse.

« Si vous ne redevenez semblables à des enfants, disait Jésus, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux ». (Mt 18,3).

 Une autre preuve que la « crainte » de Dieu dans la Bible n’est en définitive que de l’amour, c’est que la crainte de Dieu est l’un des dons de l’Esprit. C’était la promesse d’Isaïe : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du SEIGNEUR : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de crainte du SEIGNEUR, et il lui inspirera la crainte du SEIGNEUR » (Is 11,2). L’Esprit de Dieu qui est l’Amour même peut-il nous donner autre chose que l’amour ?

 Et pourtant, c’est d’avoir clamé cela un peu trop fort que Jésus est mort ; d’où vient que cette logique de Dieu nous est si irrémédiablement étrangère ? « Irrémédiablement » ? Non, parce que notre espérance, justement, c’est que l’Esprit du Christ finira bien par imprégner toute l’humanité, comme une tache d’huile. Quand Israël chante, et nous à sa suite « Voici le jour que fit le SEIGNEUR, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! », nous ne pensons pas seulement au passé, à l’œuvre de libération déjà accomplie ; nous annonçons encore plus la libération définitive de l’humanité : le jour où tout homme se saura aimé de Dieu et se laissera envahir et combler par l’Esprit d’amour. Comme dit encore Isaïe « la connaissance du SEIGNEUR emplira l’univers comme les eaux recouvrent les mers » (Is 11,9). C’est dans cet esprit que nos frères juifs continuent à célébrer d’année en année cette fête des tentes dans la joie et l’espérance.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE L’APÔTRE JEAN 5, 1-6  

      C'était après la mort de Jésus,
19 le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
     alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
     étaient verrouillées par crainte des Juifs,
     Jésus vint, et il était là au milieu d'eux.
     Il leur dit :
     « La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
     Les disciples furent remplis de joie
     en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
     « La paix soit avec vous !
     De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie.
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
     et il leur dit : « Recevez l'Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés,
     ils seront remis ;
     À qui vous maintiendrez ses péchés,
     ils seront maintenus. »
24 Or, l'un des Douze, Thomas, appelé Didyme
     (c’est-à-dire» jumeau »)
     n'était pas avec eux quand Jésus était venu.
25 Les autres disciples lui disaient :
     « Nous avons vu le Seigneur ! »
      Mais il leur déclara :
     « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
     si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
     si je ne mets pas la main dans son côté,
     non, je ne croirai pas. »
26 Huit jours plus tard,
     les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison
     et Thomas était avec eux.
     Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées,
     et il était là au milieu d'eux.
     Il dit : « La paix soit avec vous ! »
27 Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
     avance ta main, et mets-là dans mon côté :
     cesse d'être incrédule,
     sois croyant. »
28 Alors Thomas lui dit :
     « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29 Jésus lui dit : « Parce que tu m'as vu, tu crois.
     Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30 Il y a encore beaucoup d'autres signes
     que Jésus a faits en présence des disciples
     et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Mais ceux-là y ont été écrits
     pour que vous croyiez
     que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
     et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

IL EST GRAND, LE MYSTÈRE DE LA FOI

Dans cette lettre, saint Jean met en garde les chrétiens contre certains maîtres à penser (plutôt des maîtres à mal penser !) dont les théories défigurent la foi chrétienne. Manifestement, il y a des loups dans la bergerie ! Pour aider ses chrétiens qui n'y voient plus très clair dans tout ce qu'on raconte, Jean rédige une sorte de Credo minimum. Il tient en trois points : Premier point, Jésus de Nazareth est vraiment Fils de Dieu. Deuxième point, le croyant, le chrétien, est lui-même né de Dieu, il vit désormais une vie nouvelle, une vie d'enfant de Dieu. Troisième point, cette vie nouvelle consiste à aimer Dieu et les autres.

Ces trois points sont annoncés tous les trois dès le premier verset : « Tout homme qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est vraiment né de Dieu ; tout homme qui aime le Père (sous-entendu parce qu’il est son enfant) aime aussi celui qui est né de lui (c’est-à-dire les autres enfants de Dieu). »

Premier point : Jésus de Nazareth est vraiment Fils de Dieu ; visiblement, c’est sur ce noyau central de la foi que portait la polémique ! On sait bien que les premiers chrétiens ont dû affronter très tôt la persécution juive ; c’est normal : pour les Juifs, ils étaient une secte hérétique et il fallait absolument les empêcher de se développer. Mais on oublie quelquefois qu’un autre grand problème des premières communautés chrétiennes venait de l’intérieur. Entre chrétiens, on discutait à l’infini sur le mystère de la personne de Jésus. Ce qui prouve, au passage, que les discussions théologiques ne sont pas d’aujourd’hui !

Jean ne prétend pas expliquer comment il se fait que cet homme, Jésus, fait de chair et d’os, comme les autres, mortel comme les autres, soit en même temps le Christ, l’Envoyé de Dieu, le Fils de Dieu. Aucun homme ne peut comprendre et encore moins oser expliquer ce mystère parce que personne ne peut pénétrer les pensées de Dieu : pour l’esprit humain, les pensées de Dieu sont proprement « impensables »... Mais Jean affirme avec force que Jésus est en même temps pleinement homme et pleinement Dieu. Ne voir en Jésus que l’homme ou que Dieu, c’est le diviser, c’est ne plus être chrétien. Un peu plus haut, dans cette première lettre, il l’a dit : « Tout esprit qui divise Jésus n’est pas de Dieu... » (1 Jn 4,3). Et encore : « Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ ? » (1Jn 2,22).

La phrase « Jésus-Christ est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang » est précisément une manière d’affirmer l’humanité du Christ ; le mot « venu » dit l’Incarnation ; et la formule « pas seulement l’eau, mais l’eau et le sang » veut bien dire « il n’est pas question de retenir seulement l’événement glorieux du Baptême (symbolisé par l’eau) et de refuser l’humiliation de la croix (symbolisée par le sang) ».

On trouvait la même insistance, déjà, dans l’évangile de Jean ; par exemple, il a noté les propos de Jean-Baptiste dans ce sens, au moment du Baptême, justement : « Moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu » (Jn 1,34).

 

LA VIE NOUVELLE DES ENFANTS DE DIEU

Deuxième point : le croyant, le chrétien, est lui-même né de Dieu, il vit désormais une vie nouvelle, une vie d’enfant de Dieu. Pour Jean, c’est un sujet d’émerveillement devant ce que Paul appellerait le « dessein bienveillant » de Dieu : « Voyez de quel grand amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu ; et nous le sommes ! Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : il n’a pas découvert Dieu. Mes bien-aimés, dès à présent, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lorsqu’il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3,1-2). Nous sommes dans la droite ligne de l’évangile de Jean : « Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme... À ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu. » (Jn 1,9.12-13).

Troisième point : Cette vie nouvelle consiste à aimer Dieu et les autres. Une fois de plus, on est frappés de voir à quel point, dans toute la Bible, foi et amour sont indissociables ! Ce n’est pas une leçon de morale, ce serait plutôt une vérification d’identité ! (« Tout homme qui aime le Père aime aussi celui qui est né de lui. ») Pour Jean, c’est une évidence ; par exemple, dans cette même lettre : « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l’amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu » (1 Jn 4,7) ; l’amour fraternel est une évidence de la foi : pourquoi ? Tout simplement, parce que la source de la foi, c’est l’Esprit-Saint, et la source de l’amour, c’est aussi l’Esprit-Saint. C’est le même Esprit qui, en nous, fait naître la foi, qui nous mène à la vérité tout entière, comme disait Jésus, ET qui rend nos cœurs capables d’aimer, puisqu’il est l’amour même. Par la foi, nous sommes enfants de Dieu, et les autres sont également enfants de Dieu ; ils sont donc nos frères et nous les regardons avec les yeux de Dieu.

À ceux qui trouveraient cela trop beau pour être vrai, Jean répond : « Tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde » ; c’est-à-dire désormais vous ne vivez plus à la manière du monde sans Dieu, vous vivez à la manière de Dieu. Désormais, sur la terre, aimer est devenu possible... parce que rien n’est impossible à Dieu.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 20, 19-31

     C'était après la mort de Jésus,
19 le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
     alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
     étaient verrouillées par crainte des Juifs,
     Jésus vint, et il était là au milieu d'eux.
     Il leur dit :
     « La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
     Les disciples furent remplis de joie
     en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
     « La paix soit avec vous !
     De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie.
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
     et il leur dit : « Recevez l'Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés,
     ils seront remis ;
     À à qui vous maintiendrez ses péchés,
     ils seront maintenus. »
24 Or, l'un des Douze, Thomas, appelé Didyme
     (c’est-à-dire» jumeau »)
     n'était pas avec eux quand Jésus était venu.
25 Les autres disciples lui disaient :
     « Nous avons vu le Seigneur ! »
      Mais il leur déclara :
     « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
     si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
     si je ne mets pas la main dans son côté,
     non, je ne croirai pas. »
26 Huit jours plus tard,
     les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison
     et Thomas était avec eux.
     Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées,
     et il était là au milieu d'eux.
     Il dit : « La paix soit avec vous ! »
27 Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
     avance ta main, et mets-là dans mon côté :
     cesse d'être incrédule,
     sois croyant. »
28 Alors Thomas lui dit :
     « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29 Jésus lui dit : « Parce que tu m'as vu, tu crois.
     Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30 Il y a encore beaucoup d'autres signes
     que Jésus a faits en présence des disciples
     et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Mais ceux-là y ont été écrits
     pour que vous croyiez
     que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
     et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE PROJET DE DIEU EST ACCOMPLI

Cet évangile nous est proposé chaque année pour le deuxième dimanche de Pâques, il faut croire qu’il fait partie des textes les plus importants pour la foi chrétienne. Cette année, je voudrais mettre en relief le mot qui court sous toutes les phrases… (le mot « accomplissement »)

Il me semble, en effet, que le maître-mot de ce texte est le mot « accomplissement » ; pour le dire autrement, Jean aurait pu commencer ce passage par les mots qui, chez lui, sont les dernières paroles du Christ en croix : « Tout est achevé ». Pour Jean, c’est évident, depuis la Résurrection du Christ, le projet de Dieu pour l’humanité est accompli.

Par exemple, comme par hasard, cela se passe à Jérusalem ! La ville faite pour la paix, comme son nom l’indique (Yerushalaïm) et Jésus y annonce et y donne sa paix ; il dit « Shalom » et parce qu’il est Dieu, et enfin reconnu comme tel, sa Parole est efficace, créatrice. Réellement, sa paix s’accomplit ; Jean a certainement en tête toutes les promesses des prophètes, par exemple Isaïe : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné... le prince de la paix... » (Is 9) ; et aussi Jérémie : « Moi, dit Dieu, je sais les projets que j’ai formés sur vous, projets de prospérité (de « shalom ») et non de malheur... » (Jr 29,11). Et les disciples sont dans la joie : Jean se souvient de la parole du Christ, le dernier soir : « Vous êtes maintenant dans l’affliction ; mais je vous verrai à nouveau, votre cœur alors se réjouira, et cette joie, nul ne vous la ravira. » (Jn 16,22). Vous me direz : il reste beaucoup à faire : oui, bien sûr, la paix est semée par Jésus, à nous de faire fructifier !

Ensuite, « C’était le soir du premier jour de la semaine » : dans la lecture juive du récit de la Création, ce premier jour était appelé « Jour UN » au sens de « premier jour » mais aussi « jour unique », parce que d’une certaine manière il englobait tous les autres, comme la première gerbe de la récolte annonce toute la moisson... Et aujourd’hui encore, le peuple juif attend le Jour Nouveau qui sera le jour de Dieu, lorsqu’il renouvellera la première Création. Pour les chrétiens, ce Jour s’est levé au matin de Pâques ; chaque dimanche, nous annonçons que le Jour du Seigneur, le Jour de la Création Nouvelle est enfin venu, que le dessein bienveillant de Dieu est accompli. 

 

LE RENOUVELLEMENT DE LA CRÉATION

C’est précisément ce jour-là, le premier jour de la semaine que le Christ donne l’Esprit à ses disciples, comme le prophète Ézéchiel l’avait annoncé : « Je mettrai en vous mon propre Esprit ». Jésus « souffle » sur ses disciples et dit « Recevez l’Esprit Saint » ; Jean a repris intentionnellement le mot du livre de la Genèse (Gn 2,7) : comme Dieu a insufflé à l’homme l’haleine de vie, Jésus inaugure la création nouvelle en insufflant à l’homme son esprit. En écho, la quatrième prière eucharistique rend grâce pour le don de l’Esprit, « le premier don fait aux croyants ». Si bien que Jérusalem, la ville de toutes les promesses, est aussi la ville du don de l’Esprit : c’est là que s’est accomplie la promesse du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair... Alors quiconque invoquera le nom du SEIGNEUR sera sauvé. » (Jl 3,1.5). Et la mission que Jésus confie aussitôt à ses apôtres est une mission de paix et de réconciliation ; là encore, à nous de jouer, pour que Jérusalem, la ville de la paix, porte bien son nom.

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». À Pilate, trois jours avant, Jésus a dit « Je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37) et Pilate avait posé la question « Qu’est-ce que la vérité ? »

Jésus confie désormais à ses disciples la mission d’annoncer à leur tour au monde la vérité, la seule dont les hommes aient besoin pour vivre : « Dieu est Père, il est Amour, il est pardon et miséricorde ». « Je vous envoie » : on se souvient que « les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient » ; il leur dit : « Je vous envoie », c’est-à-dire, il n’est plus question de rester verrouillés ! La mission est urgente, le monde meurt de ne pas savoir la vérité ; cette vérité vers laquelle, progressivement, patiemment l’Esprit mène l’humanité. « Lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. » (Jn 16,13).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 7 04 2024 2e dimanche de Pâques B

Partager cet article

Repost0
25 mars 2024 1 25 /03 /mars /2024 17:18
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 10, 34a.37-43

     En ces jours-là,
     quand Pierre arriva à Césarée
     chez un centurion de l'armée romaine,
34 il prit la parole et dit :
37 « Vous savez ce qui s'est passé à travers tout le pays des Juifs
     depuis les commencements en Galilée,
     après le baptême proclamé par Jean :
38 Jésus de Nazareth,
     Dieu lui a donné l’onction d'Esprit Saint et de puissance.
     Là où il passait, il faisait le bien
     et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable,
     car Dieu était avec lui.
39 Et nous, nous sommes témoins
     de tout ce qu'il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem.
     Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice,
40 Dieu l'a ressuscité le troisième jour.
41 Il lui a donné de se manifester,
     non pas à tout le peuple,
     mais à des témoins que Dieu avait choisis d'avance,
     à nous qui avons mangé et bu avec lui
     après sa résurrection d'entre les morts.
42 Dieu nous a chargés d'annoncer au peuple et de témoigner
     que lui-même l'a établi Juge des vivants et des morts.
43 C'est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage :
     quiconque croit en lui
     reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PIERRE, LE JUIF, CHEZ LE PAÏEN CORNEILLE

Pierre est à Césarée-sur-Mer (il y avait là effectivement une garnison romaine), et il est entré dans la maison de Corneille, un officier romain. Comment en est-il arrivé là ? Et que vient-il y faire ? En fait, si Pierre est là, c'est parce qu'il a été quelque peu bousculé par l'Esprit Saint. Il faut relire le récit de la vision de Joppé dans ce même chapitre des Actes. D'autre part, peu de temps auparavant, Pierre vient d'accomplir deux miracles : il a guéri un homme, Énée, à Lydda, et ensuite, il a ressuscité une femme, Tabitha, à Joppé (on dirait aujourd'hui Jaffa ; Ac 9,32-43). Ces deux miracles lui ont prouvé que le Seigneur ressuscité était avec lui et agissait à travers lui. Car Jésus avait bien annoncé que, comme lui, et en son nom, les apôtres chasseraient les démons, guériraient les malades, et ressusciteraient les morts.

Ce sont ces deux miracles qui ont donné à Pierre la force de franchir l’étape suivante, qui est décisive : il s’agit cette fois d’un miracle sur lui-même, si l’on peut dire ! Car, pour la première fois, contrairement à toute son éducation, à toutes ses certitudes, Pierre, le Juif, franchit le seuil d’un païen, Corneille, le centurion romain ; il est vrai que Corneille est un païen très ami des Juifs, on dit qu’il est un « craignant Dieu » ; c’est-à-dire un converti à la religion juive mais qui n’est pas allé jusqu’à en adopter toutes les pratiques, y compris la circoncision. Or la circoncision est la marque de l’Alliance ; donc un « craignant Dieu » reste un incirconcis, un païen. Et c’est chez ce païen, Corneille, que Pierre est entré et il y annonce la grande nouvelle : Jésus de Nazareth est ressuscité ! (Et, ce même jour, Corneille sera baptisé ainsi que toute sa famille.) Traduisez : l’Évangile est en train de déborder les frontières d’Israël !

On dit souvent que Paul est l’apôtre des païens, mais il faut rendre justice à Pierre : si l’on en croit les Actes des Apôtres, c’est lui qui a commencé, et à Césarée, justement, chez le centurion romain Corneille. Et ce que nous venons d’entendre, c’est donc le discours que Pierre a prononcé chez Corneille, en ce jour mémorable. Et sa dernière phrase est une véritable révolution : « Quiconque croit en lui (Jésus) reçoit par son nom le pardon de ses péchés. » Pierre vient de le comprendre : « Quiconque », cela veut dire « pas seulement les Juifs ». Même des païens peuvent entrer dans l’Alliance. Le salut a d’abord été annoncé à Israël, mais désormais il suffit de croire en Jésus-Christ pour recevoir le pardon de ses péchés, c’est-à-dire pour entrer dans l’Alliance avec Dieu. Et donc tout homme, même non-Juif (c’est le sens du mot « païen » ici), peut être baptisé au nom de Jésus. Visiblement, ce fut la grande découverte des premiers chrétiens, Paul et Pierre y insistent tous les deux : il suffit de croire en Jésus pour être sauvé !

IL SUFFIT DE CROIRE EN JÉSUS POUR ÊTRE SAUVÉ

L’ensemble du discours de Pierre chez Corneille est révélateur de l’état d’esprit des Apôtres dans les années qui ont suivi la Résurrection de Jésus. Ils avaient été les témoins privilégiés des paroles et des gestes de Jésus, et ils avaient peu à peu compris qu’il était le Messie que tout le peuple attendait. Et puis, il y avait eu le Vendredi-saint : Dieu avait laissé mourir Jésus de Nazareth ; certainement, Dieu n’aurait pas laissé mourir son Messie, son Envoyé ; leur déception avait été immense ; Jésus de Nazareth ne pouvait pas être le Messie.

Et puis ce fut le coup de tonnerre de la Résurrection : non, Dieu n’avait pas abandonné son Envoyé, il l’avait ressuscité. Et les Apôtres avaient eu de nombreuses rencontres avec Jésus vivant ; et maintenant, depuis l’Ascension et la Pentecôte, ils consacraient toutes leurs forces à l’annoncer à tous ; c’est très exactement ce que Pierre dit à Corneille : « Nous, (les Apôtres), nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour... Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. »

Il restera pour les Apôtres une tâche immense : si la résurrection de Jésus était la preuve qu’il était bien l’Envoyé de Dieu, elle n’expliquait pas pourquoi il avait fallu passer par cette mort infâmante et cet abandon de tous. La plupart des gens attendaient un Messie qui serait un roi puissant, glorieux, chassant les Romains ; Jésus ne l’était pas. Quelques-uns imaginaient que le Messie serait un prêtre, il ne l’était pas non plus, il ne descendait pas de Lévi ; et l’on pourrait faire la liste de toutes les attentes déçues.

Alors les Apôtres ont entrepris un formidable travail de réflexion : ils ont relu toutes leurs Écritures, la Loi, les Prophètes et les Psaumes, pour essayer de comprendre. Il a fallu tout ce travail de relecture, après la Pentecôte, à la lumière de l’Esprit Saint, pour arriver à dire, comme le fait Pierre ici : « C’est à Jésus que tous les prophètes rendent témoignage… Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts ».

Un autre aspect tout à fait remarquable de ce discours de Pierre, c’est son insistance pour dire que c’est Dieu qui agit ! Jésus de Nazareth était un homme apparemment semblable à tous les autres, mortel comme tous les autres... eh bien, Dieu agissait en lui et à travers lui : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance, Dieu était avec lui, Dieu l’a ressuscité, Dieu lui a donné de se manifester à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, Dieu l’a établi Juge des vivants et des morts... »

Et la phrase qui résume tout cela : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit-Saint et de puissance. » Désormais, Pierre vient de le comprendre, tout homme, Juif ou païen, peut grâce à Jésus-Christ être lui aussi consacré par l'Esprit Saint et rempli de sa force !
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  117 (118),1.2,16-17.22-23

1   Rendez grâce au SEIGNEUR : Il est bon !
     Éternel est son amour !
2   Oui, que le dise Israël :
     Éternel est son amour !

16 Le bras du SEIGNEUR se lève,
     le bras du SEIGNEUR est fort !
17 Non, je ne mourrai pas, je vivrai
     pour annoncer les actions du SEIGNEUR.

22 La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
     est devenue la pierre d'angle.
23 C'est là l'œuvre du SEIGNEUR,
     la merveille devant nos yeux.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JE VIVRAI, POUR ANNONCER LES ACTIONS DU SEIGNEUR

Si l’on ne veut pas faire d'anachronisme, il faut admettre que ce psaume n'a pas été écrit d'abord pour Jésus-Christ ! Comme tous les psaumes, il a été composé, des siècles avant le Christ, pour être chanté au Temple de Jérusalem. Comme tous les psaumes aussi, il redit toute l'histoire d'Israël, cette longue histoire d'Alliance : c'est cela qu'on appelle « l’œuvre du SEIGNEUR, la merveille devant nos yeux ... ». C’est l’expérience qui fait dire au peuple élu : oui, vraiment, l’amour de Dieu est éternel ! Dieu a accompagné son peuple tout au long de son histoire, et toujours il l’a sauvé de ses épreuves.

On a là un écho du chant de victoire que le peuple libéré d’Égypte a entonné après le passage de la Mer Rouge : « Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR, il est pour moi le salut » (Ex 15,1). Les mots « œuvre » ou « merveille » sont toujours dans la Bible une allusion à la libération d’Égypte. Et quand je dis « allusion », le mot est trop faible, c’est un « faire mémoire » au sens fort de ressourcement dans la mémoire commune du peuple.

« Le bras du SEIGNEUR se lève, Le bras du SEIGNEUR est fort », c’est aussi un faire mémoire de la libération d’Égypte. Et cette œuvre de libération de Dieu n’est pas seulement celle d’un jour, elle est permanente, on l’a sans cesse expérimentée. C’est vraiment d’expérience qu’Israël peut le dire : « Éternel est son amour ».

Et c’est cet amour éternel de Dieu qui fonde l’espérance : car, chaque fois qu’on chante les libérations du passé, c’est aussi et surtout pour y puiser la force d’attendre celles de l’avenir ; Dieu enverra son Messie et enfin on connaîtra le bonheur promis ; enfin le peuple élu et avec lui l’humanité tout entière connaîtront la paix et la justice. On en est loin encore quand ce psaume est composé... et aujourd’hui encore !

Mais notre lointain ancêtre qui écrit ce psaume sait que Dieu est capable de transformer toutes les situations, y compris les situations de mort en situations de vie : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, pour annoncer les actions du SEIGNEUR ». C’est l’action de grâce du peuple qui a frôlé la mort et rend grâce pour sa libération. À l’heure où ce psaume est écrit, cela ne signifie pas une croyance en la résurrection ; nous savons bien que la foi en la résurrection n’est apparue que très tardivement en Israël ; cette affirmation « Non, je ne mourrai pas, je vivrai » est une réelle profession de foi, mais d’un autre ordre : c’est la certitude que Dieu n’abandonnera jamais son peuple : même dans les pires situations, quand l’avenir du peuple est compromis, on sait de façon absolument certaine que Dieu le fera survivre. Car la vocation de ce peuple, c’est précisément de vivre pour « annoncer les actions du SEIGNEUR ».

LA PIERRE QU’ONT REJETÉE LES BÂTISSEURS EST DEVENUE LA PIERRE D’ANGLE 

Pour donner une idée de ces retournements que Dieu est capable d’opérer, on emprunte le langage des architectes : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Quand ce psaume est composé, ce n’est pas la première fois qu’on emploie l’image de la pierre angulaire pour parler de l’œuvre de Dieu : Isaïe l’avait déjà fait (au chapitre 28).

Dans une période où la société de Jérusalem se dégradait, où régnaient partout le mensonge, l’injustice, la corruption, le mépris des commandements de Dieu, le prophète rappelait qu’on récolte ce qu’on a semé : une telle société court inévitablement à sa perte. Isaïe avait dit alors quelque chose comme ‘Vous vous appuyez sur du vent. Vous savez bien pourtant que le droit et la justice sont les seules valeurs sûres... Vous êtes comme des bâtisseurs qui choisiraient les plus mauvaises pierres pour faire les fondations ! Et qui rejetteraient systématiquement les bonnes pierres bien solides’ (traduisez les vraies valeurs).

Mais un prophète ne reste jamais sur du négatif ! Car Dieu n’abandonne jamais son peuple... La construction est mal engagée ? Les architectes auxquels il l’avait confiée ont mal travaillé ? Qu’à cela ne tienne... Dieu va reprendre lui-même la direction des opérations. Il va rétablir le droit et la justice à Jérusalem. Il le fera comme un architecte, il va en quelque sorte rebâtir sa ville ! Mais sur des bases saines, cette fois.            

Voici ce passage d’Isaïe : » Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu : Moi, dans Sion, je pose une pierre, une pierre à toute épreuve, choisie pour être une pierre d’angle, une véritable pierre de fondement. Celui qui croit ne s’inquiétera pas. Je prendrai le droit comme cordeau, et la justice comme fil à plomb. » (Is 28,16).

Notre psaume reprend cette image de la pierre angulaire et il la précise pour annoncer le retournement spectaculaire que Dieu va opérer. C’est sur toutes ces valeurs méprisées par les mauvais gouvernants que Dieu va bâtir une société nouvelle ; mieux, c’est de tous les petits, les humbles, les méprisés, qu’il va faire naître le peuple nouveau ! « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ».

Jésus lui-même a cité à son propre sujet cette parole prophétique « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » dans la parabole des vignerons homicides (qui tuent le fils du propriétaire) ; on trouve cette parabole dans les trois évangiles synoptiques : ce qui prouve l’importance de ce thème dans la première génération chrétienne (Mt 21,33-46 ; Mc 12,1-12 ; Lc 20,9-19).

C’est donc tout naturellement que ce psaume est devenu l’exultation pascale par excellence. Le Christ est cette pierre méprisée, rejetée par les bâtisseurs : il est devenu la pierre d’angle, la pierre de fondation de l’humanité nouvelle. Désormais, l’humanité libérée de la mort peut chanter avec lui : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du SEIGNEUR. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DEUXIÈME LECTURE - lettre de saint Paul apôtre aux Col 3, 1-4 et aux Corinthiens 5, 6b-8

La liturgie nous propose deux lectures au choix, mais il est très intéressant de les lire et de les méditer toutes les deux ensemble !

Lecture de quelques versets de saint Paul dans la lettre aux Colossiens et dans la 1ère lettre aux Corinthiens

     Colossiens 3,1-4

1          Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ,
            recherchez les réalités d'en haut :
            c'est là qu'est le Christ, assis à la droite de Dieu.
2          Pensez aux réalités d'en haut,
            non à celles de la terre.
3          En effet, vous êtes passés par la mort,
            et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu.
4          Quand paraîtra le Christ, votre vie,
            alors vous aussi,
            vous paraîtrez avec lui dans la gloire.
-------------------------------------------------

     1 Corinthiens 5,6b-8 

            Frères,
6          Ne savez-vous pas qu'un peu de levain suffit
            pour que fermente toute la pâte ?
7          Purifiez-vous donc des vieux ferments
            et vous serez une pâte nouvelle,
            vous qui êtes le pain de la Pâque,
            celui qui n'a pas fermenté.
            Car notre agneau pascal a été immolé :
            c’est le Christ.
8          Ainsi, célébrons la Fête,
            non pas avec de vieux ferments,
            non pas avec ceux de la perversité et du vice,
            mais avec du pain non fermenté,
            celui de la droiture et de la vérité.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

RESSUSCITÉS AVEC LE CHRIST

Tout d’abord, il faut nous habituer au vocabulaire de saint Paul ; par exemple, nous pouvons être un peu surpris d’entendre : « Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ... vous êtes passés par la mort ». À vrai dire, si nous sommes là, vous et moi, aujourd’hui, c’est que nous sommes bien vivants... c’est-à-dire pas encore morts... et encore moins ressuscités ! Il faut croire que les mots n’ont pas le même sens pour Paul que pour nous ! Car, pour lui, depuis ce fameux matin de Pâques, plus rien n’est comme avant.

Autre problème de vocabulaire : « Pensez aux réalités d’en-haut, non à celles de la terre. » Il ne s’agit pas, en fait, de choses (qu’elles soient d’en-haut ou d’en-bas), il s’agit de conduites, de manières de vivre... Ce que Paul appelle les « réalités d’en-haut », il le dit dans les versets suivants, c’est la bienveillance, l’humilité, la douceur, la patience, le pardon mutuel... Ce qu’il appelle les réalités terrestres, c’est la débauche, l’impureté, la passion, la cupidité, la convoitise... Notre vie tout entière est dans cette tension : notre transformation, notre résurrection est déjà accomplie en Christ mais il nous reste à égrener cette réalité profonde, très concrètement au long des jours.

Si on continuait la lecture, on trouverait cette expression : « Vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau » (Col 3,10) ; et un peu plus loin « puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. » (Col 3,12). Il me semble que c’est le meilleur commentaire du passage que nous lisons aujourd’hui. « Vous avez revêtu », c’est déjà fait... » revêtez », c’est encore à faire.

Nous retrouvons cette tension dans tout le reste de la prédication de Paul et en particulier dans cette même lettre aux Colossiens : « Vous étiez jadis étrangers à Dieu, et même ses ennemis, par vos pensées et vos actes mauvais. Mais maintenant, Dieu vous a réconciliés avec lui, dans le corps du Christ… Cela se réalise si vous restez solidement fondés dans la foi, sans vous détourner de l’espérance que vous avez reçue en écoutant l’Évangile… que personne ne vous égare par des arguments trop habiles. Menez donc votre vie dans le Christ Jésus, le Seigneur, tel que vous l’avez reçu. Soyez enracinés, édifiés en lui, restez fermes dans la foi, comme on vous l’a enseigné… Prenez garde à ceux qui veulent faire de vous leur proie par une philosophie vide et trompeuse, fondée sur la tradition des hommes, sur les forces qui régissent le monde, et non pas sur le Christ… Dans le baptême, vous avez été́ mis au tombeau avec lui et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. » (Col 1,21… 2,12).

PURIFIEZ-VOUS DES VIEUX FERMENTS

Il ne s’agit donc pas de vivre une autre vie que la vie ordinaire, mais de vivre autrement la vie ordinaire ; sachant que cet « autrement » est désormais possible, car c’est l’Esprit-Saint qui nous en rend capables.  Le même Paul dira à peine plus loin, dans cette même lettre : « Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. » (Col 3,17). C’est ce monde-ci qui est promis au Royaume, il ne s’agit donc pas de le mépriser mais de le vivre déjà comme la semence du Royaume. Il n’est pas question de dénigrer les réalités terrestres ! Dieu nous les a confiées, au contraire, à nous de les transfigurer.

C’est dans cet esprit que Paul nous invite à être une pâte nouvelle : « Purifiez-vous donc des vieux ferments et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n'a pas fermenté. » Ici, il fait allusion au rite des Azymes ; chaque année, au moment où l’on s’apprête à partager l’agneau pascal, on prend bien soin de nettoyer les maisons de toute trace du levain de la récolte de l’année dernière ; le repas de la nuit pascale (le seder) est accompagné de galettes de pain non levé (le pain azyme) et dans la semaine qui suit on continue à manger du pain sans levain en attendant d’avoir pu laisser fermenter le levain nouveau.

Les deux rites de l’agneau pascal et des Azymes étaient liés dans la célébration de la Pâque ; et Paul les lie dans son raisonnement : « Purifiez-vous des vieux ferments… notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ. » Paul fait donc référence à toute la symbolique de la fête pascale juive et il l’applique à la Pâque des chrétiens ; il n’a pas une seconde l’impression de changer le sens de la fête juive en parlant de la Pâque du Christ : au contraire, il voit dans la Résurrection du Christ le parfait achèvement du combat de libération que rappelait chaque année la Pâque juive.

Pour Paul, c’est une évidence : en Jésus l’ancienne fête des Azymes n’a pas perdu sa signification ; au contraire, elle trouve son sens plénier : la Pâque des chrétiens est bien la fête de la libération, mais, désormais, la libération est définitive. Par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ a triomphé des pires chaînes, celles de la mort et de la haine. Et cette libération est contagieuse ; comme dit Paul, « un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ». L’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde fera irrésistiblement « lever » comme une pâte l’humanité tout entière.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN  20, 1-9

1   Le premier jour de la semaine,
     Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
     c’était encore les ténèbres.
     Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2   Elle court donc trouver Simon-Pierre et l'autre disciple,
     celui que Jésus aimait,
     et elle leur dit :
     « On a enlevé le Seigneur de son tombeau
     et nous ne savons pas où on l'a déposé. »
3   Pierre partit donc avec l'autre disciple
     pour se rendre au tombeau.
4   Ils couraient tous les deux ensemble,
     mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre
     et arriva le premier au tombeau.
5   En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
     cependant il n'entre pas.
6   Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
     Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges posés à plat,
7   ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
     non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.
8   C'est alors qu'entra l'autre disciple,
     lui qui était arrivé le premier au tombeau.
     Il vit, et il crut.
9   Jusque-là, en effet, les disciples n'avaient pas compris
     que, selon l'Écriture,
     il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE TOMBEAU VIDE

Jean note qu’il faisait encore sombre : la lumière de la Résurrection a troué la nuit ; on pense évidemment au Prologue du même évangile de Jean : « La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée (littéralement ‘saisie’) » au double sens du mot « saisir », qui signifie à la fois « comprendre » et « arrêter » ; les ténèbres n’ont pas compris la lumière, parce que, comme dit Jésus également chez Saint Jean « le monde ne peut recevoir l’Esprit de vérité » (Jn 14,17) ; ou encore : « la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière » (Jn 3,19) ; mais, malgré tout, les ténèbres ne pourront pas l’arrêter, au sens de l’empêcher de briller ; c’est toujours Saint Jean qui nous rapporte la phrase qui dit la victoire du Christ : « Moi, je suis vainqueur du monde ! » (Jn 16,33).

Donc, « alors que ce sont encore les ténèbres », Marie de Magdala voit que la pierre a été enlevée du tombeau ; elle court trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, (on suppose qu’il s’agit de Jean lui-même) et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Évidemment, les deux disciples se précipitent ; vous avez remarqué la déférence de Jean à l’égard de Pierre ; Jean court plus vite, il est plus jeune, probablement, mais il laisse Pierre entrer le premier dans le tombeau.

« Pierre entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. » Leur découverte se résume à cela : le tombeau vide et les linges restés sur place ; mais quand Jean entre à son tour, le texte dit : « C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. » Pour Saint Jean, ces linges sont des pièces à conviction : ils prouvent la Résurrection ; au moment même de l’exécution du Christ, et encore bien longtemps après, les adversaires des chrétiens ont répandu le bruit que les disciples de Jésus avaient tout simplement subtilisé son corps. Saint Jean répond : ‘Si on avait pris le corps, on aurait pris les linges aussi ! Et s’il était encore mort, s’il s’agissait d’un cadavre, on n’aurait évidemment pas enlevé les linges qui le recouvraient.’

Ces linges sont la preuve que Jésus est désormais libéré de la mort : ces deux linges qui l’enserraient symbolisaient la passivité de la mort.  Devant ces deux linges abandonnés, désormais inutiles, Jean vit et il crut ; il a tout de suite compris. Quand Lazare avait été ramené à la vie par Jésus, quelques jours auparavant, il était sorti lié ; son corps était encore prisonnier des chaînes du monde : il n’était pas un corps ressuscité ; Jésus, lui, sort délié : pleinement libéré ; son corps ressuscité ne connaît plus d’entrave.

La dernière phrase est un peu étonnante : « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. »

CROIRE POUR ENTRER DANS L’INTELLIGENCE DES ÉCRITURES

Jean a déjà noté à plusieurs reprises dans son évangile qu’il a fallu attendre la Résurrection pour que les disciples comprennent le mystère du Christ, ses paroles et son comportement. Au moment de la Purification du Temple, lorsque Jésus avait fait un véritable scandale en chassant les vendeurs d’animaux et les changeurs, l’évangile de Jean dit : « Quand il (Jésus) se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. » (Jn 2,22). Même chose lors de son entrée triomphale à Jérusalem, Jean note : « Cela, ses disciples ne le comprirent pas sur le moment ; mais, quand Jésus fut glorifié, ils se rappelèrent que l’Écriture disait cela de lui : c’était bien ce qu’on lui avait fait. »  (Jn 12,16).

Mais soyons francs : vous ne trouverez nulle part dans toute l’Écriture une phrase pour dire que le Messie ressuscitera. Au bord du tombeau vide, Pierre et Jean ne viennent donc pas d’avoir une illumination comme si une phrase précise, mais oubliée, de l’Écriture revenait tout d’un coup à leur mémoire ; mais, d’un trait, c’est l’ensemble du plan de Dieu qui leur est apparu ; comme dit Saint Luc à propos des disciples d’Emmaüs, leurs esprits se sont ouverts à « l’intelligence des Écritures ».

« Il vit et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l'Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts… » C’est parce que Jean a cru que l’Écriture s’est éclairée pour lui : jusqu’ici combien de choses de l’Écriture lui étaient demeurées obscures ; mais parce que, tout d’un coup, il donne sa foi, sans hésiter, alors tout devient clair : il relit l’Écriture autrement et elle lui devient lumineuse. L’expression « il fallait » dit cette évidence. Comme disait Saint Anselme, il ne faut pas comprendre pour croire, il faut croire pour comprendre.

À notre tour, nous n’aurons jamais d’autre preuve de la Résurrection du Christ que ce tombeau vide... Dans les jours qui suivent, il y a eu les apparitions du Ressuscité. Mais aucune de ces preuves n’est vraiment contraignante... Notre foi devra toujours se donner sans autre preuve que le témoignage des communautés chrétiennes qui l’ont maintenue jusqu’à nous. Mais si nous n’avons pas de preuves, nous pouvons vérifier les effets de la Résurrection : la transformation profonde des êtres et des communautés qui se laissent habiter par l’Esprit, comme dit Paul, est la plus belle preuve que Jésus est bien vivant !
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

 - Jusqu’à cette expérience du tombeau vide, les disciples ne s’attendaient pas à la Résurrection de Jésus. Ils l’avaient vu mort, tout était donc fini... et, pourtant, ils ont quand même trouvé la force de courir jusqu’au tombeau... À nous désormais de trouver la force de lire dans nos vies et dans la vie du monde tous les signes de la Résurrection. L’Esprit nous a été donné pour cela. Désormais, chaque « premier jour de la semaine », nous courons, avec nos frères, à la rencontre mystérieuse du Ressuscité.                      

- C'est Marie-Madeleine qui a assisté la première à l'aube de l'humanité nouvelle ! Marie de Magdala, celle qui avait été délivrée de sept démons... elle est l'image de l'humanité tout entière qui découvre son Sauveur. Mais, visiblement, elle n'a pas compris tout de suite ce qui se passait : là aussi, elle est bien l'image de l'humanité !

Et, bien qu'elle n'ait pas tout compris, elle est quand même partie annoncer la nouvelle aux apôtres et c'est parce qu'elle a osé le faire, que Pierre et Jean ont couru vers le tombeau et que leurs yeux se sont ouverts. À notre tour, n'attendons pas d'avoir tout compris pour oser inviter le monde à la rencontre du Christ ressuscité.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 31 03 2024 dimanche de la Résurrection B

Partager cet article

Repost0
18 mars 2024 1 18 /03 /mars /2024 23:32
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE 50, 4-7

4   Le SEIGNEUR mon Dieu m'a donné le langage des disciples
     pour que je puisse, d’une parole,
     soutenir celui qui est épuisé.
     Chaque matin, il éveille,
     il éveille mon oreille
     pour qu’en disciple, j'écoute.
5   Le SEIGNEUR mon Dieu m'a ouvert l'oreille,
     et moi, je ne me suis pas révolté,
     je ne me suis pas dérobé.
6   J'ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
     et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe.
     Je n'ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
7   Le SEIGNEUR mon Dieu vient à mon secours ;
     c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
     c'est pourquoi j'ai rendu ma face dure comme pierre :
     je sais que je ne serai pas confondu.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ISRAËL, SERVITEUR DE DIEU

Depuis des années, nous avons lu et relu ces textes étonnants qui font partie du livre d’Isaïe et qu’on appelle les « Chants du Serviteur » ; ils nous intéressent tout particulièrement, nous chrétiens, pour deux raisons : d’abord par le message qu’Isaïe lui-même voulait donner par là à ses contemporains ; ensuite, parce que les premiers chrétiens les ont appliqués à Jésus-Christ.

Je commence par le message du prophète Isaïe à ses contemporains :

Une chose est sûre, Isaïe ne pensait évidemment pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av. J.-C., pendant l’Exil à Babylone. Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.

Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe ; 

« Écouter » la Parole, « se laisser instruire » par elle, cela veut dire vivre dans la confiance. « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »... » La Parole me réveille chaque matin »... » J’écoute comme celui qui se laisse instruire »... « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille ».

 « Écouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; les auteurs bibliques ont l’habitude d’opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne... ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu... et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.

Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Écoute, Israël » (Dt 6), ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu...? » (Ps 94/95). Et, dans leur bouche, la recommandation « Écoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et saint Paul dira pourquoi : parce que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (c’est-à-dire qui lui font confiance). » (Rm 8,28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.

C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « Pour que je puisse soutenir celui qui est épuisé », dit le Serviteur. En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »... Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu. 

TENIR BON DANS L’ÉPREUVE

Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé... » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.

Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour... d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter : « Il éveille mon oreille chaque matin... Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages... » Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu mon visage dur comme pierre »1 : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit quelquefois « avoir le visage défait », et bien ici le Serviteur affirme «  vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force : « Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages. »

Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Écoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - Luc a repris exactement cette expression en parlant de Jésus : il dit « Jésus durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem » (Luc 9,51 ; notre traduction liturgique dit « Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem »).
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 21 (22), 2,8-9,17-20,22b-24

2   Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?
8   Tous ceux qui me voient me bafouent,
     ils ricanent et hochent la tête
9   « Il comptait sur le SEIGNEUR : qu’il le délivre !
     Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »

17 Oui, des chiens me cernent,
     une bande de vauriens m'entoure ;
     ils me percent les mains et les pieds,
18 je peux compter tous mes os.

19 Ils partagent entre eux mes habits
     et tirent au sort mon vêtement.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne sois pas loin :
     ô ma force, viens vite à mon aide !

22 Mais tu m'as répondu !
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
     je te loue en pleine assemblée.
24 Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DU CRI DE DÉTRESSE À L’ACTION DE GRÂCE

Ce psaume 21/22 nous réserve quelques surprises : il commence par cette fameuse phrase « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui a fait couler beaucoup d’encre et même de notes de musique ! L’ennui, c’est que nous la sortons de son contexte, et que du coup, nous sommes souvent tentés de la comprendre de travers : pour la comprendre, il faut relire ce psaume en entier. Il est assez long, trente-deux versets dont nous lisons rarement la fin : or que dit-elle ? C’est une action de grâce : « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. » Celui qui criait « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » dans le premier verset, rend grâce quelques versets plus bas pour le salut accordé. Non seulement, il n’est pas mort, mais il remercie Dieu justement de ne pas l’avoir abandonné.

Ensuite, à première vue, on croirait vraiment que le psaume 21/22 a été écrit pour Jésus-Christ : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os ». Il s’agit bien du supplice d’un crucifié ; et cela sous les yeux cruels et peut-être même voyeurs des bourreaux et de la foule : « Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure »… « Ces gens me voient, ils me regardent. Ils partagent entre eux mes habits, et tirent au sort mon vêtement ».

Mais, en réalité, ce psaume n’a pas été écrit pour Jésus-Christ : il a été composé au retour de l’Exil à Babylone : ce retour est comparé à la résurrection d’un condamné à mort ; car l’Exil était bien la condamnation à mort de ce peuple ; encore un peu, et il aurait été rayé de la carte !

Et donc, dans ce psaume 21/22, Israël est comparé à un condamné qui a bien failli mourir sur la croix (n’oublions pas que la croix était un supplice très courant, depuis la période de la domination perse, c’est pour cela qu’on prend l’exemple d’une crucifixion) : le condamné a subi les outrages, l’humiliation, les clous, l’abandon aux mains des bourreaux... et puis, miraculeusement, il en a réchappé, il n’est pas mort. Traduisez : Israël est rentré d’Exil. Et, désormais, il se laisse aller à sa joie et il la dit à tous, il la crie encore plus fort qu’il n’a crié sa détresse. Le récit de la crucifixion n’est donc pas au centre du psaume, il est là pour mettre en valeur l’action de grâce de celui (Israël) qui vient d’échapper à l’horreur. 

Du sein de sa détresse, Israël n’a jamais cessé d’appeler au secours et il n’a pas douté un seul instant que Dieu l’écoutait. Son grand cri que nous connaissons bien : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est bien un cri de détresse devant le silence de Dieu, mais ce n’est ni un cri de désespoir, ni encore moins un cri de doute. Bien au contraire ! C’est la prière de quelqu’un qui souffre, qui ose crier sa souffrance. Au passage, nous voilà éclairés sur notre propre prière quand nous sommes dans la souffrance quelle qu’elle soit : nous avons le droit de crier, la Bible nous y invite.

Ce psaume est donc en fait le chant du retour de l’Exil : Israël rend grâce. Il se souvient de la douleur passée, de l’angoisse, du silence apparent de Dieu ; il se sentait abandonné aux mains de ses ennemis ... Mais il continuait à prier, la prière à elle toute seule prouve bien qu’on n’a pas complètement perdu espoir, sinon on ne prierait même plus ! Israël continuait à se rappeler l’Alliance, et tous les bienfaits de Dieu.

LE PSAUME 21 COMME UN EX-VOTO

Au fond, ce psaume est l’équivalent de nos ex-voto : au milieu d’un grand danger, on a prié et on a fait un vœu ; du genre « si j’en réchappe, j’offrirai un ex-voto à tel ou tel saint » ; (le mot « ex-voto » veut dire justement « à la suite d’un vœu ») ; une fois délivré, on tient sa promesse.

Dans certaines églises du Midi de la France, ou d’Europe centrale, par exemple, les murs sont couverts de tableaux qui représentent les circonstances du danger auquel on a échappé ; ce peut être un incendie, un accident, un naufrage... on voit aussi parfois une jeune femme en train de mourir en couches avec déjà toute une ribambelle d’enfants autour de son lit ; la représentation de ce qui a failli arriver est toujours dramatique ; et on voit les parents et les proches éplorés qui assistent impuissants ; ce sont eux qui ont promis de faire exécuter ce tableau si celui qui était en danger en réchappait. En général, le tableau est divisé en trois parties ; le danger encouru... les proches en prière, et, en haut de la toile, dans un coin du ciel, le saint ou la sainte qui nous a secourus, ou bien la Vierge. Et c’est l’ex-voto tout entier lui-même qui est l’action de grâce dont on a le cœur plein quand enfin tout se termine bien.

Notre psaume 21/22 ressemble exactement à cela : il décrit bien l’horreur de l’Exil, la détresse du peuple d’Israël et de Jérusalem assiégée par Nabuchodonosor, le sentiment d’impuissance devant l’épreuve ; et ici l’épreuve, c’est la haine des hommes ; il dit la prière de supplication : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qu’on peut traduire « Pourquoi, en vue de quoi, m’as-tu abandonné à la haine de mes ennemis ? » Et Dieu sait si le peuple d’Israël a affronté de nombreuses fois la haine des hommes. Mais ce psaume dit encore plus, tout comme nos ex-voto, l’action de grâce de celui qui reconnaît devoir à Dieu seul son salut. « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères... Je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR ! » Et les derniers versets du psaume ne sont qu’un cri de reconnaissance ; malheureusement, nous ne les chanterons pas pendant la messe de ce dimanche des Rameaux ... (peut-être parce que nous sommes censés les connaître par cœur ?) : « Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ; ils loueront le SEIGNEUR, ceux qui le cherchent. À vous toujours, la vie et la joie ! La terre se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR, chaque famille de nations se prosternera devant lui... Moi, je vis pour lui, ma descendance le servira. On annoncera le SEIGNEUR aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre ! »
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

 

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX PHILIPPIENS 2, 6-11

6   Le Christ Jésus,
     ayant la condition de Dieu,
     ne retint pas jalousement
     le rang qui l’égalait à Dieu.
7   Mais il s’est anéanti,
     prenant la condition de serviteur,
     devenant semblable aux hommes.
8   Reconnu homme à son aspect,
     il s'est abaissé,
     devenant obéissant jusqu'à la mort
     et la mort de la croix.
9   C'est pourquoi Dieu l'a exalté.
     Il l’a doté du Nom
     qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu'au nom de Jésus
     tout genou fléchisse
     au ciel, sur terre et aux enfers,
11 Et que toute langue proclame :
     « Jésus-Christ est Seigneur »
     à la gloire de Dieu le Père.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JÉSUS, SERVITEUR DE DIEU

Pendant l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe, de la part de Dieu bien sûr, avait assigné une mission et un titre à ses contemporains ; le titre était celui de Serviteur de Dieu. Il s’agissait, au cœur même des épreuves de l’Exil, de rester fidèles à la foi de leurs pères et d’en témoigner au milieu des païens de Babylone, fut-ce au prix des humiliations et de la persécution. Dieu seul pouvait leur donner la force d’accomplir cette mission.

Lorsque les premiers chrétiens ont été affrontés au scandale de la croix, ils ont médité le mystère du destin de Jésus, et n’ont pas trouvé de meilleure explication que celle-là : « Jésus s’est anéanti, prenant la condition de serviteur ». Lui aussi a bravé l’opposition, les humiliations, la persécution. Lui aussi a cherché sa force auprès de son Père parce qu’il n’a jamais cessé de lui faire confiance.

Mais il était Dieu, me direz-vous. Pourquoi n’a-t-il pas recherché la gloire et les honneurs qui reviennent à Dieu ? Mais, justement, parce qu’il est Dieu, il veut sauver les hommes. Il agit donc en homme et seulement en homme pour montrer le chemin aux hommes. Paul dit : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » C’est justement parce qu’il est de condition divine, qu’il ne revendique rien. Il sait, lui, ce qu’est l’amour gratuit... il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu... Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau. Et c’est effectivement cela qui lui a été donné en définitive.1

J’ai bien dit comme un cadeau et non pas comme une récompense. Car il me semble que l’un des pièges de ce texte est la tentation que nous avons de le lire en termes de récompense ; comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Si j’ose parler de tentation, c’est que toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, ce que j’appelle des termes arithmétiques est contraire à la « grâce » de Dieu... La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Et, curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; nous sommes toujours tentés de parler de mérites ; mais si Dieu attendait que nous ayons des mérites, c’est là que nous pourrions être inquiets... La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont découvert grâce à la Révélation. On s’expose à des contresens si on oublie que tout est don gratuit de Dieu.  

LE PROJET DE DIEU EST GRATUIT

Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Essayons de résumer la pensée de Paul : le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est de nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait. Ce projet est absolument gratuit, ce qui évidemment n’a rien d’étonnant, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire. Avec Dieu, tout est cadeau. Mais nous nous excluons nous-mêmes de ce don gratuit si nous adoptons une attitude de revendication ; si nous nous conduisons à l’image de la femme du jardin d’Éden : elle prend le fruit défendu, elle s’en empare, comme un enfant « chipe » sur un étalage*... Jésus-Christ, au contraire, n’a été que accueil (ce que saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été que accueil du don de Dieu et non revendication, il a été comblé. Et il nous montre le chemin, nous n’avons qu’à suivre, c’est-à-dire l’imiter.

Il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : c’est bien le Nom de Dieu justement ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »...  C’est une allusion à une phrase du prophète Isaïe: « Devant moi tout genou fléchira et toute langue prêtera serment, dit Dieu » (Is 45,23).

Jésus a vécu sa vie d’homme dans l’humilité et la confiance, même quand le pire est arrivé, c’est-à-dire la haine des hommes et la mort. J’ai dit « confiance » ; Paul, lui, parle « d’obéissance ». « Obéir », « ob-audire » en latin, c’est littéralement « mettre son oreille (audire) « devant » (ob) la parole : c’est l’attitude du dialogue parfait, sans ombre ; c’est la totale confiance ; si on met son oreille devant la parole, c’est parce qu’on sait que cette parole n’est qu’amour, on peut l’écouter sans crainte.

L’hymne se termine par « toute langue proclame Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père » : la gloire, c’est la manifestation, la révélation de l’amour infini, de l’amour personnifié ; autrement dit, en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, et accepter de mourir pour nous révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »... puisque Dieu, c’est l’amour.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

* C’est bien la même question dans l’épisode des Tentations (dans les évangiles de Matthieu et de Luc) : le diviseur (c’est le sens du mot diable/diabolos en grec) ne lui propose que des choses qui font partie du plan de Dieu ! Mais lui refuse de s’en emparer. Il compte sur son Père pour les lui donner. Le Tentateur lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, tu peux tout te permettre, ton Père ne peut rien te refuser : transforme les pierres en pains quand tu as faim... jette-toi en bas de la montagne, il te protègera... adore-moi, je te ferai régner sur le monde entier... » Mais Jésus attend tout de Dieu seul.

Complément

Nous connaissons bien ce texte : on l’appelle souvent « l’Hymne de l’Épître aux Philippiens » : parce qu’on a l’impression que Paul ne l’a pas écrite lui-même, mais qu’il a cité une hymne que l’on chantait habituellement dans la liturgie.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Extraits de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ selon saint Marc : Mc 15, 1…39

15, 1 : Dès le matin, les grands prêtres convoquèrent les anciens et les scribes, et tout le Conseil suprême.
     Puis, après avoir ligoté Jésus, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate.
2   Celui-ci l'interrogea :
     « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus répondit : « C'est toi-même qui le dis. »
3   Les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations.
4   Pilate lui demanda à nouveau : « Tu ne réponds rien?
     Vois toutes les accusations qu'ils portent contre toi. »
5   Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate fut étonné.
16 Les soldats l'emmenèrent à l'intérieur du palais,
     c'est-à-dire dans le Prétoire.
     Alors ils rassemblent toute la garde,
17 ils le revêtent de pourpre,  et lui posent sur la tête une couronne d'épines qu'ils ont tressée
18 Puis ils se mirent à lui faire des salutations, en disant :
     « Salut, roi des Juifs. »
19 Ils lui frappaient la tête avec un roseau, crachaient sur lui,
     et s'agenouillaient pour lui rendre hommage.
20 Quand ils se furent bien moqués de lui,
     ils lui enlevèrent le manteau de pourpre, et lui remirent ses vêtements.
     Puis, de là, ils l'emmenèrent pour le crucifier,
21 et ils réquisitionnent, pour porter sa croix,
     un passant, Simon de Cyrène, le père d'Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs.
22 Et ils amènent Jésus au lieu dit Golgotha, ce qui se traduit Lieu-du-Crâne (ou Calvaire).
23 Ils lui donnaient du vin aromatisé de myrrhe ; mais il n'en prit pas.
24 Alors ils le crucifient, puis se partagent ses vêtements, en tirant au sort pour savoir la part de chacun.
25 C’était la troisième heure (c’est-à-dire neuf heures du matin) lorsqu'on le crucifia.
26 L'inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots :
     « Le roi des Juifs ».
39 Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s'écria :
     « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu !»
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LA SOLITUDE DE JÉSUS ET SON SILENCE

Tout d'abord, on notera deux particularités de la Passion chez Marc : la solitude de Jésus et son silence.

La solitude de Jésus : dans la Passion selon saint Marc, Jésus est particulièrement seul ; après le reniement de Pierre, Marc ne note plus aucune présence amicale à ses côtés ; les femmes sont citées, mais seulement après sa mort.

Quant à son silence, il est impressionnant : quelques mots seulement au procès, et ensuite, note Marc, « Jésus ne répondit plus rien ». Et Pilate lui-même s’en étonne : « Pilate l’interrogeait de nouveau : Tu ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu’ils portent contre toi. Mais Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate était étonné. » (Mc 15,4-5).

Puis, sur la croix une seule parole : « Eloï, Eloï, lama sabactani ? » Interprétés par un soldat romain, ces mots sonnent comme un cri de désespoir ; mais un Juif ne s’y serait pas trompé : ce sont les premiers d’un chant de victoire ; puisque, nous l’avons vu en étudiant le psaume 21/22, celui-ci n’est aucunement un cri de désespoir, ni même de doute !

Devant cette solitude et ce silence de Jésus, on se demande forcément « quel est son secret ? ». Il passe en peu de temps de la popularité à la déchéance, de l’entrée royale dans la ville à l’exclusion et l’exécution hors de la ville, de la reconnaissance comme envoyé de Dieu (« Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ») à la condamnation pour blasphème et à l’exécution au nom de la Loi, ce qui signifiait aux yeux de tous qu’il était maudit de Dieu. Reconnu comme le Messie, c’est-à-dire le roi d’Israël, le libérateur, le sauveur par ses disciples et toute une foule enthousiaste, il est liquidé rapidement après un procès monté de toutes pièces.

Il s’est laissé faire dans le triomphe, il se laisse faire plus encore dans la persécution. Ce faisant, il garde encore le secret qu’il a gardé toute sa vie ; c’est seulement après sa Résurrection que ses disciples pourront enfin comprendre.

Il semble bien que cette sobriété du récit de Marc vise à faire ressortir deux aspects du mystère de Jésus : Messie-Roi et Messie-Prêtre.  

LE MESSIE-ROI QU’ON ATTENDAIT

Messie-Roi : que ce soit sous forme de question, de dérision, d’affirmation, la royauté du Christ est bien au centre du récit. La première question que Pilate pose à cet homme qu’on lui amène, ligoté, c’est « Es-tu le roi des Juifs ? » Il n’obtient qu’une réponse sibylline « C’est toi qui le dis » (15,2). Dans la suite, Pilate donne deux fois ce titre à Jésus « Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? » (v. 9) et « Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs ? » (v. 12). Et, curieusement, personne ne dira le contraire ! Suit la parodie des soldats, le manteau, la couronne et les acclamations « Salut, roi des Juifs ! » (15,18). Et puis, cet écriteau en haut de la croix, mal intentionné peut-être, mais qui annonce quand même à tous les passants « celui-ci est le roi des Juifs » (15,26). Même les grands prêtres et les scribes en se moquant lui donnent ce titre : « Il en a sauvé d’autres, et il n’est pas capable de se sauver lui-même ! Le Messie, le roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix. » (15,32).

LE MESSIE-PRÊTRE QU’ON ATTENDAIT

Deuxième aspect du mystère de Jésus mis en lumière par le récit de Marc, il est le Messie-Prêtre : il y avait des grands prêtres en exercice et ce sont eux qui ont joué le premier rôle dans la condamnation et la mort de Jésus. Ce sont eux qui amènent Jésus chez Pilate et qui veillent au bon déroulement des opérations : « Dès le matin, les grands prêtres tinrent conseil avec les Anciens, les scribes et le Sanhédrin tout entier. Ils lièrent Jésus, l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. »

Un peu plus tard, ce sont eux qui excitent la foule pour qu’elle réclame la libération de Barabbas : « Les chefs des prêtres soulevèrent la foule pour qu’il leur libérât plutôt Barabbas. » (Mc 15,11). Pilate lui-même n’est pas dupe, puisque Marc précise : « Pilate voyait bien que les grands prêtres l’avaient livré par jalousie. » (Mc 15,10). Une jalousie justifiée, si l’on veut bien admettre que, de bonne foi, ils se sont inquiétés du succès de Jésus, qui, à leurs yeux, entraînait le peuple vers de fausses espérances.

Mais le vrai prêtre, le Messie-prêtre qu’on attendait, c’est lui. Car Marc est le seul avec Jean à parler de pourpre pour le vêtement remis à Jésus pour se moquer de lui. Or la pourpre était la couleur des vêtements des rois et des grands prêtres. Suprême dérision : ceux qui portaient cette pourpre passeront à côté de la vérité. C’est d’un païen que vient la première profession de foi : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 24 03 2024 dimanche des Rameaux B

Partager cet article

Repost0
11 mars 2024 1 11 /03 /mars /2024 23:21
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU PROPHÈTE JÉRÉMIE 31, 31-34

31 Voici venir des jours - oracle du SEIGNEUR -,
     où je conclurai avec la maison d'Israël et avec la maison de Juda
     une Alliance nouvelle.
32 Ce ne sera pas comme l'Alliance
     que j'ai conclue avec leurs pères,
     le jour où je les ai pris par la main
     pour les faire sortir du pays d'Égypte :
     mon Alliance, c'est eux qui l'ont rompue,
     alors que moi, j’étais leur maître
     - oracle du SEIGNEUR.
33 Mais voici quelle sera l'Alliance
     que je conclurai avec la maison d'Israël
     quand ces jours-là seront passés,
     - oracle du SEIGNEUR.
     Je mettrai ma Loi au plus profond d'eux-mêmes ;
     je l'inscrirai dans leur cœur.
     Je serai leur Dieu,
     et ils seront mon peuple.
34 Ils n'auront plus à instruire chacun son compagnon,
     ni chacun son frère en disant :
     « Apprends à connaître le SEIGNEUR ! »
     Car tous me connaîtront,
     des plus petits jusqu'aux plus grands
     - oracle du SEIGNEUR.
     Je pardonnerai leurs fautes,
     je ne me rappellerai plus leurs péchés.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

UNE ALLIANCE NOUVELLE

« Voici venir des jours... » : toute la Bible est tendue vers l’avenir, avec cette certitude inébranlable que les Jours promis par Dieu viendront. La caractéristique des prophètes, c’est de savoir regarder avant tout le monde l’éclosion des bourgeons. « Voici venir des jours où je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle » : nous rencontrons le mot Alliance à chaque pas dans la Bible ; c’est la grande particularité de la foi juive puis chrétienne ! La conviction que Dieu a choisi de se révéler aux hommes par l’intermédiaire d’un peuple qui a la vocation d’être son témoin au milieu des nations. À ce peuple il a proposé son Alliance.

Au long des siècles, nos frères juifs ont médité cette proposition inouïe du Dieu Tout-Puissant ; il s’agit bien d’une « proposition » de Dieu ; car c’est toujours Dieu qui prend l’initiative : « Voici venir des jours, déclare le SEIGNEUR, où je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle ».

Hélas, Jérémie est bien obligé de faire un constat d’échec : au long des siècles de l’histoire d’Israël, la proposition a été sans cesse renouvelée de la part de Dieu, et trop souvent mal vécue de la part de l’homme. Mais si l’homme est infidèle, Dieu, lui, ne se lasse pas : « Je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle ».

Cette expression « Alliance Nouvelle » ne signifie pas que Dieu aurait changé d’avis ; comme s’il y avait eu une première Alliance, puis une deuxième différente... Ce ne sera pas une Alliance différente, mais une nouvelle étape de la même Alliance.

« Ce ne sera pas comme l’Alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d’Égypte » : pour être fidèle à l’Alliance, c’était bien simple, le chemin était tout tracé, il suffisait de respecter la Loi. Mais, à chaque époque, les prophètes ont dû ouvrir les yeux du peuple élu sur ses manquements à la Loi ; cette fois, la Nouvelle Alliance sera sans faille du côté de l’homme.

Au passage, vous avez noté l’expression « la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda » : c’est une annonce de réunification du peuple en un seul royaume. Quand le peuple a été divisé en deux, après la mort du roi Salomon, il y avait le royaume de Juda au Sud, et le royaume d’Israël au Nord. Ici l’expression « Je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle » signifie que la promesse de Dieu est valable pour le peuple tout entier, malgré les vicissitudes de l’histoire.

« Mon Alliance, c’est eux qui l’ont rompue, alors que moi, j’avais des droits sur eux. » Dieu a fait ses preuves, si l’on peut dire, en libérant son peuple de l’esclavage en Égypte ; et l’Alliance entre Dieu et Israël est fondée sur cette expérience ; quand Dieu propose son Alliance à Moïse, Il l’envoie dire au peuple : « Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait (à l’Égypte), comment je vous ai pris sur des ailes d’aigle et vous ai fait arriver jusqu’à moi. Et maintenant, si vous entendez ma voix et gardez mon Alliance, vous serez ma part personnelle parmi tous les peuples - puisque c’est à moi qu’appartient toute la terre - et vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte. » Et alors le peuple a pris un engagement solennel : « Tout ce que le SEIGNEUR a dit (c’est-à-dire la Loi), nous le mettrons en pratique ». Et donc, tout manquement à la loi est une rupture de l’Alliance.

« Mais voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec la Maison d’Israël quand ces jours-là seront passés, déclare le SEIGNEUR ». « Ces jours-là », ce sont les jours de l’infidélité du peuple : autrement dit, une nouvelle étape commence ; « Alliance Nouvelle » ne signifie pas « Alliance Autre, différente », mais « Alliance vécue autrement ». Et Dieu continue : « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes, je l’inscrirai dans leur cœur ». Au Sinaï, Dieu avait inscrit sa Loi sur des tables de pierre ; désormais cette Loi sera inscrite dans le cœur même de l’homme : tant que la Loi n’est inscrite que sur des tables de pierre ou dans des livres, elle peut bien rester lettre morte ; toutes les promesses de conversion les plus sincères (et il y en a eu de nombreuses dans l’histoire d’Israël comme dans chacune de nos vies !) ont toujours été suivies de rechutes.

Pour que la Loi de Dieu devienne intérieure à l’homme, comme une seconde nature, c’est le cœur même de l’homme qu’il faut changer !

ILS ME CONNAÎTRONT

« Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » : cette appartenance réciproque était le programme, on pourrait dire la devise de l’Alliance. Une appartenance réelle qui s’exprime par le mot « connaître » : dans la Bible, le mot « connaître » n’est pas de l’ordre de l’intelligence ; il s’agit d’une relation d’intimité : on dit que l’époux « connaît son épouse », et l’épouse « connaît » son époux. Et l’Ancien Testament n’hésite pas à employer des mots du langage de l’intimité et de l’amour pour qualifier les relations entre Dieu et son peuple. « Tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands... » Et parce que tous connaîtront Dieu tel qu’Il est, c’est-à-dire le Dieu d’amour, ils pratiqueront de bon cœur la Loi donnée par Dieu pour leur bonheur.

Cette expression « Alliance Nouvelle » ne se trouve qu’une seule fois dans l’Ancien Testament, ici, chez Jérémie ; mais d’autres prophètes rediront cette même espérance, Ézéchiel par exemple : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes. » (Ez 36,26-27).

« Voici venir des jours... », disait Jérémie ; avec Jésus, ces jours sont venus ; en instituant l’Eucharistie, Jésus a fait expressément allusion à la prophétie de Jérémie : « Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon sang versé pour vous. » (Luc 22,20). Il veut dire par là qu’en se donnant à nous, il vient transformer définitivement nos cœurs de pierre en cœurs de chair.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

- C'est beau la foi ! Et les prophètes, comme chacun sait, n'en manquent pas. Quand tout va mal, ils ne disent pas « tout est perdu », au contraire, ils trouvent justement de nouvelles raisons d'espérer ! C'est exactement ce qui se passe ici dans ce texte de Jérémie ; il fait un constat d'échec : le peuple de Dieu, c'est-à-dire lié à Dieu par une Alliance en principe irrévocable de part et d'autre, ne se conduit pas du tout comme il devrait, comme le peuple de Dieu. Cela, c'est le constat d'échec. Mais au lieu de s'en désespérer, Jérémie en déduit que Dieu trouvera bien le moyen de changer le cœur de l'homme.

- Nous rencontrons le mot Alliance à chaque pas dans la Bible ; à tel point que c’est le titre même de la Bible. Quand nous disons « Ancien Testament », en fait, nous devrions traduire « Ancienne Alliance » et « Nouveau Testament », « Nouvelle Alliance » : parce que le mot grec qui veut dire « Alliance » a été traduit en latin par « Testamentum », ce qui est devenu en français « Testament ». Malheureusement, aujourd’hui, quand nous entendons « Testament » en français, nous pensons acte chez le notaire pour régler la dévolution des biens, ce qui, évidemment, n’a rien à voir avec notre sujet.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  50 (51), 3-4, 12-13, 14-15

3          Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
            selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
4          Lave-moi tout entier de ma faute,
            purifie-moi de mon offense.

12        Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
            renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
13        Ne me chasse pas loin de ta face,
            ne me reprends pas ton esprit saint.

14        Rends-moi la joie d'être sauvé ;
            que l'esprit généreux me soutienne.
15        Aux pécheurs j'enseignerai tes chemins,
            vers toi reviendront les égarés.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

QUAND ISRAËL RÉFLÉCHIT SUR SON HISTOIRE

La dernière phrase de Jérémie, dans la première lecture de ce dimanche, était : « Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés » ; cette promesse-là, le peuple d’Israël l’a bien entendue et sa réponse, c’est ce magnifique psaume 50/51, dont nous ne nous lisons malheureusement que quelques versets aujourd’hui ; mais ils sont déjà très riches. Celui qui parle ici, qui dit « Pitié pour moi... mon Dieu... efface mon péché », c’est le peuple juif, au Temple de Jérusalem, après l’Exil à Babylone. Ce psaume a été composé pour être chanté dans des célébrations pénitentielles. Parce qu’il est écrit à la première personne du singulier, on pourrait croire que c’est un individu, un pécheur qui parle : « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché ». Mais ce « MOI » est collectif. C’est en réalité le peuple d’Israël tout entier ; ce peuple qui a connu l’horreur de la défaite, la destruction du Temple de Jérusalem, et qui, en Exil, a eu tout loisir de méditer sur son histoire : l’Alliance sans cesse proposée par Dieu et les infidélités répétées du peuple. Il peut dire d’expérience la « grande miséricorde » de Dieu.

« Ton amour, ta miséricorde » « mon Dieu » : on a un écho ici de toutes les formules habituelles de l’Alliance conclue au Sinaï : c’est là que Dieu lui-même s’est révélé à Moïse comme « le SEIGNEUR Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté, qui reste fidèle à des milliers de générations... » (Ex 34,6). C’est là aussi que Dieu s’est engagé à accompagner son peuple tout au long de son histoire : « Je marcherai au milieu de vous, je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » (Lv 26,12). Et puisque Dieu est fidèle, on finira par en déduire qu’il ne peut que pardonner inlassablement à son peuple ; la majorité des paroles des prophètes redit cette certitude, par exemple Isaïe :

« Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme malfaisant, ses pensées. Qu’il retourne vers le SEIGNEUR qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu qui se surpasse pour pardonner. » (Is 55,7). Ou encore, dans un texte où c’est Dieu lui-même qui parle : « J’ai effacé comme un nuage tes révoltes, comme une nuée, tes fautes ; reviens à moi, car je t’ai racheté » (Is 44,22).

Sans oublier cette autre phrase soufflée par Dieu à Isaïe : « Avec tes fautes, c’est toi qui m’as réduit en servitude ; avec tes perversités, c’est toi qui m’as fatigué ; moi, cependant, moi je suis tel que j’efface, par égard pour moi, tes révoltes, que je ne garde pas tes fautes en mémoire » (Is 43,24-25).

LE PÉCHÉ LE PLUS GRAVE

Quand les prophètes parlent du péché d’Israël, il ne faut pas se tromper : il s’agit d’abord de l’unique péché qui est la source de tous les autres, l’idolâtrie ; c’est ce que les prophètes appellent « l’adultère d’Israël » ; c’est-à-dire chaque fois que l’on cherche ailleurs qu’auprès de Dieu et de sa Parole la source de notre bonheur ; nous évoquions dimanche dernier cette parole de Jérémie : « Ils m’abandonnent, moi, la source d’eau vive, dit Dieu, pour se creuser des citernes fissurées qui ne retiennent pas l’eau. » (Jr 2,13). On voit alors ce que veut dire le mot « purifier » dans ce psaume : « Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense » ; spontanément, nous imaginons la pureté comme une sorte de blancheur ; mais toute la pédagogie biblique va nous faire découvrir qu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus profond : il s’agit de retourner à la source d’eau vive, de s’y plonger, pour être renouvelés de fond en comble. Voici Ézéchiel, par exemple : « Je ferai sur vous une aspersion d’eau pure et vous serez purs ; je vous purifierai de toutes vos impuretés et de toutes vos idoles. » (Ez 36,25). Ici on voit bien que le mot « impuretés » signifie « idoles » : c’est-à-dire tout ce qui nous occupe trop l’esprit ou le cœur au point de nous détourner de l’unique source du bonheur, qui est la vie dans l’Alliance avec Dieu et les autres.

Il nous faut apprendre à croire que Dieu ne déplore nos fautes que parce qu’elles font notre malheur et celui des autres ; comme dit Jérémie « Est-ce bien moi qu’ils offensent ? dit Dieu ; n’est-ce pas plutôt eux-mêmes ? » (Jr 7,19). Mais pour que nous ne fassions plus notre propre malheur, il faut que Dieu nous transforme, il faut que lui-même renouvelle encore et encore l’Alliance à laquelle nous avons tant de mal à être fidèles. Et c’est bien ce qu’on demande à Dieu dans ce psaume, on lui demande d’agir lui-même : « Efface mon péché »... « Lave-moi »... « Purifie-moi »... « Crée en moi un cœur pur »... « Renouvelle et raffermis mon esprit »... » Rends-moi la joie d’être sauvé »... Le croyant reconnaît que seule l’œuvre de Dieu peut accomplir ce renouvellement du cœur de l’homme.

On entend résonner ici l’écho de la superbe annonce de Jérémie dans notre première lecture : « Voici venir des jours où je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle »... » Je mettrai ma loi au plus profond d’eux-mêmes, je l’inscrirai dans leur cœur. Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. » (Jr 31,31... 33) ; et en écho, Ézéchiel : « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre esprit... » (Ez 36,25-27 ; Ez 11,19-20). Et alors, comme dit Jérémie, dans cette même promesse de l’Alliance Nouvelle, « Tous, des plus petits jusqu’aux plus grands, connaîtront Dieu tel qu’il est », c’est-à-dire le Dieu d’amour et de miséricorde. Et ils déborderont de joie et de reconnaissance ; c’est bien ce que dit le dernier verset : « Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins, vers toi reviendront les égarés » : la découverte du vrai visage de Dieu rend inévitablement missionnaire !
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE AUX HÉBREUX 5, 7-9

     Le Christ,
7   pendant les jours de sa vie dans la chair,
     offrit, avec un grand cri et dans les larmes,
     des prières et des supplications
     à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ;
     et il fut exaucé
     en raison de son grand respect.
8   Bien qu'il soit le Fils,
     il apprit par ses souffrances l'obéissance
9   et, conduit à sa perfection,
     il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent
     la cause du salut éternel.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La lettre aux Hébreux s’adresse à des chrétiens d’origine juive. L’auteur cherche à éclairer leur foi chrétienne toute neuve à partir de leur foi juive et de leur connaissance de l’Ancien Testament. Son objectif est de montrer que l’histoire humaine a franchi avec le Christ une étape décisive : il y avait eu le régime de l’Ancienne Alliance, désormais il y a l’Alliance Nouvelle, annoncée par Jérémie ; cette Alliance Nouvelle est réalisée dans la personne même du Christ. Parce qu’il est à la fois Dieu et homme, pleinement Dieu et pleinement homme, il est l’Homme-Dieu, celui qui unit intimement, irrévocablement Dieu et l’humanité jusque dans sa personne même. Et c’est ainsi que s’accomplit la prophétie de Jérémie « Voici venir des jours où je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle ».

Donc très normalement, l’auteur insiste à la fois sur l’humanité et sur la divinité du Christ ; pleinement homme, il est mortel, il connaît la souffrance et l’angoisse devant la mort : « Pendant les jours de sa vie mortelle, le Christ a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort... »

L’expression « Pendant les jours de sa vie mortelle » dit bien qu’il est homme, mortel. Devant la perspective de la persécution, de la Passion, il a prié et supplié Dieu qui pouvait le sauver de la mort. Jusque-là, nous comprenons ; mais l’auteur ajoute « il a été exaucé » ; affirmation plutôt surprenante ! Car, en définitive, malgré sa prière et sa supplication, il est mort... Donc on peut se demander en quoi il a été exaucé...

Il faut croire que sa prière ne signifiait pas ce que nous imaginons à première vue. Je m’arrête un peu là-dessus : ici, visiblement, l’auteur fait allusion à Gethsémani : le grand cri et les larmes du Christ, sa prière et sa supplication disent son angoisse devant la mort et son désir d’y échapper.

Cet épisode de Gethsémani est rapporté par les trois évangiles synoptiques à peu près dans les mêmes termes ; les trois évangélistes notent la tristesse et l’angoisse du Christ, en même temps que sa détermination. Saint Luc dit « Jésus priait, disant : Père, si tu veux, éloigne cette coupe loin de moi ! Cependant, que ta volonté soit faite, et non la mienne ! » (Lc 22,42). Que Jésus ait désiré échapper à la mort, c’est clair ; et il a dit à son Père ce désir ; mais sa prière ne s’arrête pas là ; sa prière, justement, c’est « Que ta volonté soit faite... et non la mienne ». Dans sa prière, le Christ fait passer le désir de son Père avant le sien propre. Voilà déjà une formidable leçon pour nous !

Le Christ a cette confiance absolue dans son Père : ce que l’auteur de la lettre aux Hébreux traduit par : « Il s’est soumis en tout ». Le mot « soumission » ou « obéissance » dans la Bible, signifie justement cette confiance totale ; parce qu’il sait que la volonté de Dieu n’est que bonne. Dans la prière qu’il nous a enseignée, s’il nous invite à répéter après lui « Que ta volonté soit faite », c’est pour que nous apprenions à souhaiter la réalisation du projet de Dieu parce que Dieu n’a pas d’autre projet que notre bonheur ! Comme dit saint Paul dans sa première lettre à Timothée : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1 Tm 2,4).

Cette prière du Christ a été doublement exaucée : parce que le salut du monde a été accompli et parce qu’il est ressuscité. En ce sens-là, il a été « sauvé de la mort ». 

L’auteur n’hésite pas non plus à dire que Jésus a aussi, comme tout homme, connu un apprentissage : « Il a appris l’obéissance par les souffrances de sa passion ». Ce mot d’apprentissage signifie qu’il a eu, comme tout homme, un chemin à parcourir : celui de la souffrance et de l’angoisse devant la mort ; et là, l’humanité connaît deux attitudes, la peur de Dieu ou la confiance en Dieu. Et parce qu’il n’a pas quitté la confiance dans le Dieu de la vie, son chemin l’a conduit à la résurrection. On ne peut pas ne pas penser ici à l’épisode de Césarée ; quand Jésus avait commencé à prévenir ses apôtres de ce qu’il lui faudrait affronter, Pierre s’était insurgé : « Jésus-Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des Anciens, des grands-prêtres et des scribes, être mis à mort, et, le troisième jour, ressusciter. Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander en disant : Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera pas ! Mais lui, se retournant, dit à Pierre : Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16,21-23 ; Mc 8,31-33). À Gethsémani, Jésus a résolument fait passer les vues de Dieu avant les siennes.

« Et ainsi, continue le texte, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel ». Le « salut », c’est précisément connaître Dieu tel qu’il est, le Dieu dont l’amour nous fait vivre. « Obéir » au Christ, c’est, à notre tour, lorsque nous traversons la souffrance, lui faire confiance, suivre son exemple, et donc faire confiance à la volonté du Père. À ses disciples, Jésus a donné son secret : « Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation ». (Mc 14,38). Il ne s’agit pas de je ne sais quelle arithmétique du genre « si vous priez bien, Dieu vous évitera la tentation »... Il s’agit de la grande réalité de la prière : prier, c’est rester en contact avec Dieu, lui faire confiance ; c’est tout le contraire de la tentation, celle à laquelle pense Jésus : la tentation de soupçonner les intentions de Dieu, de penser qu’il nous veut du mal et donc de nous révolter. Suivre l’exemple du Christ, semble-t-il, c’est premièrement, oser dire à Dieu notre désir, et deuxièmement, lui faire assez confiance pour ajouter aussitôt « Cependant, que ta volonté soit faite, et non la mienne ! »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

- Le mot « perfection » (verset 9) ici a également un autre sens : il s’agit de la « consécration » du grand prêtre ; l’objectif majeur de la Lettre aux Hébreux étant de démontrer que le Christ est vraiment le grand prêtre de la Nouvelle Alliance.

- Les psychologues qui analysent notre comportement religieux comptent trois étapes dans la croissance spirituelle : première étape, celle de l’enfant, qui ne connaît que son désir ; il tape des pieds en disant « Que ma volonté se fasse ». Deuxième étape, lorsque nous avons pris conscience de notre impuissance à combler par nous-mêmes tous nos désirs, alors on prie Dieu pour qu’il nous y aide : la prière devient « Que ma volonté se fasse avec ton aide ». (Il me semble qu’un certain nombre de nos prières ressemblent à celle-là...) Troisième étape, celle de la foi, c’est-à-dire de la confiance absolue dans le projet de Dieu : « Que ta volonté se fasse et non la mienne ».
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 12, 20-33

     En ce temps-là,
20 Il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem
     pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.
21 Ils abordèrent Philippe,
     qui était de Bethsaïde en Galilée,
     et lui firent cette demande :
     « Nous voudrions voir Jésus. »
22 Philippe va le dire à André ;
     et tous deux vont le dire à Jésus.
23 Alors Jésus leur déclare :
     « L’heure est venue où le Fils de l’homme
     doit être glorifié.
24 Amen, amen, je vous le dis :
     si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas,
     il reste seul ;
     mais s’il meurt,
     il porte beaucoup de fruit.
25 Qui aime sa vie la perd ;
     Qui s’en détache en ce monde
     la gardera pour la vie éternelle.
26 Si quelqu’un veut me servir,
     qu’il me suive ;
     et là où moi je suis,
     là aussi sera mon serviteur.
     Si quelqu’un me sert,
     mon Père l’honorera.
27 Maintenant, mon âme est bouleversée.
     Que vais-je dire ?
     « Père, sauve-moi de cette heure » ?
     -Mais non ! C’est pour cela
     que je suis parvenu à cette heure-ci !
28 Père, glorifie ton nom ! »
     Alors, du ciel vint une voix qui disait :
     « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
29 En l’entendant, la foule qui se tenait là
     disait que c’était un coup de tonnerre.
     D’autres disaient :
     « C’est un ange qui lui a parlé. »
30 Mais Jésus leur répondit :
     « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix,
     mais pour vous.
31 Maintenant a lieu le jugement de ce monde ;
     maintenant le prince de ce monde
     va être jeté dehors ;
32 et moi, quand j’aurai été élevé de terre,
     j’attirerai à moi tous les hommes. »
33  Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

L’HEURE DE LA RÉVÉLATION

Nous sommes dans les derniers jours avant la fête de la Pâque à Jérusalem ; il y a de quoi inquiéter les autorités : Jésus a fait ces jours-ci une entrée triomphale dans la ville, le peuple a crié « Hosanna » sur son passage, comme on faisait dans les grandes cérémonies pour acclamer la promesse du Messie ; c’est sûr, la foule le prend pour le Messie. Et saint Jean raconte que les Pharisiens se sont dit les uns aux autres « Vous le voyez, vous n’arriverez à rien : voilà que le monde se met à sa suite. »

Et, comme pour leur donner raison, des Grecs (c’est-à-dire des Juifs de la Diaspora) se présentent juste à ce moment-là et s’adressent à ses disciples : « Nous voudrions voir Jésus » ; pas seulement l’apercevoir, mais le rencontrer, lui parler. Ils sont « montés à Jérusalem », comme on dit, et ils y sont venus en pèlerins pour « adorer Dieu durant la Pâque » ; en même temps ils souhaitent approcher Jésus ; ils ne savent pas à quel point ils ont raison : c’est en rencontrant Jésus, qu’ils accompliront leur meilleure démarche d’adoration de Dieu. Mais, bien sûr, ils ne le savent pas encore. Jésus, lui, fait le rapprochement : ses disciples viennent lui dire que des Grecs souhaitent le voir ; et il répond « L’Heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié », c’est-à-dire révélé comme Dieu.

Le mot « glorifier » revient plusieurs fois dans ce texte ; mot difficile pour nous, parce que, dans notre langage courant, la gloire évoque quelque chose qui n’a rien à voir avec Dieu. Pour nous, la gloire, c’est le prestige, l’auréole qui entoure une vedette, sa célébrité, l’importance que les autres lui reconnaissent. Dans la Bible, la gloire de Dieu, c’est sa Présence. Une Présence rayonnante comme le feu du Buisson Ardent où Dieu s’est révélé à Moïse (Ex 3). Et alors le mot « glorifier » veut dire tout simplement « révéler la présence de Dieu ». Quand Jésus dit « Père, glorifie ton nom », on peut traduire « Fais-toi connaître, révèle-toi tel que tu es, révèle-toi comme le Père très aimant qui a conclu avec l’humanité une Alliance d’amour ». Parce que c’est cela, finalement, le salut, le bonheur de l’homme, et il nous a appris que c’est la première chose à demander dans la prière : « Que ton Nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite », en d’autres termes, « que tu sois reconnu comme le Dieu d’amour et que vienne ton règne d’amour »... Jésus s’est incarné pour cela : quelques jours plus tard, au cours de son interrogatoire par Pilate, il dira « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37).

LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE JETÉ DEHORS 

Pour aller jusqu’au bout de cette révélation, Jésus a accepté de subir la Passion et la croix : au moment d’aborder cette Heure décisive, l’évangile que nous lisons aujourd’hui nous dit bien les sentiments qui habitent Jésus : l’angoisse, la confiance, la certitude de la victoire.

L’angoisse : « Maintenant, je suis bouleversé », « Dirai-je Père, délivre-moi de cette heure ? » On a là chez saint Jean, l’écho de Gethsémani : le même aveu de souffrance du Christ, son désir d’échapper à la mort « Père, si tu veux, éloigne cette coupe loin de moi ! »  L’angoisse, oui, mais aussi la confiance : « Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! » et aussi cette certitude que « si le grain de blé meurt, il portera du fruit », au sens où de sa mort, un peuple nouveau va naître. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruits ». À l’heure extrême où il est bouleversé, où il aborde la Passion « avec un grand cri et dans les larmes » (comme dit la lettre aux Hébreux), Jésus peut continuer à dire « que ta volonté soit faite » en toute confiance : il sait que, de cette mort, Dieu fera surgir la vie pour tous. Angoisse, confiance, et pour finir, la certitude de la victoire « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi »... » Le prince de ce monde va être jeté dehors ». Dans ces deux phrases apparemment dissemblables, c’est de la même victoire qu’il s’agit : celle de la vérité, celle de la révélation de Dieu. Le prince de ce monde, justement, c’est celui qui, depuis le jardin de la Genèse, nous bourre la tête d’idées fausses sur Dieu. Au contraire, en contemplant la croix du Christ, qui nous dit jusqu’où va l’amour de Dieu pour l’humanité, nous ne pouvons qu’être attirés par lui. La voilà la preuve de l’amour de Dieu : le Fils accepte de mourir de la main des hommes, le Père exauce sa prière « Père, pardonne-leur... » Désormais, en levant les yeux vers la croix, nous y lisons non un instrument de haine et de douleur, mais l’instrument du triomphe de l’amour. Il était venu pour rendre témoignage à la vérité, l’Heure est venue, la mission est accomplie.

Quand Jésus a prié « Père, glorifie ton nom », saint Jean nous dit qu’une voix vint du ciel qui disait : « Je l’ai glorifié (mon Nom) et je le glorifierai encore ». « J’ai glorifié mon Nom », c’est-à-dire je me suis révélé tel que je suis ; « et je le glorifierai encore », cela veut dire maintenant l’Heure est venue où en regardant le crucifié, vous découvrirez jusqu’où va l’amour insondable de la Trinité. Et toute cette pédagogie de révélation n’a qu’un seul but : que l’humanité entende enfin la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu : « C’est pour vous, dit Jésus, que cette voix s’est fait entendre. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 17 03 2024 5e dimanche de Carême B

Partager cet article

Repost0