Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 août 2019 7 04 /08 /août /2019 22:56

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 10 août 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE LA SAGESSE  18, 6-9

 

6     La nuit de la délivrance pascale
       avait été connue d'avance par nos Pères ;         
       assurés des promesses auxquelles ils avaient cru,         
       ils étaient dans la joie.
7     Et ton peuple accueillit à la fois 
       le salut des justes
       et la ruine de leurs ennemis.
8     En même temps que tu frappais nos adversaires,          
       tu nous appelais à la gloire.
9     Dans le secret de leurs maisons,
       les fidèles descendants des justes offraient un sacrifice,         
       et ils consacrèrent d'un commun accord cette loi divine :        
       que les saints partageraient aussi bien le meilleur que le pire ;             
       et déjà ils entonnaient les chants de louange des Pères.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          Le premier verset nous met tout de suite dans l’ambiance : l’auteur du Livre de la Sagesse se livre à une méditation sur « La nuit de la délivrance pascale », c’est-à-dire la nuit de la sortie du peuple d’Israël, fuyant l’Égypte, sous la conduite de Moïse. De siècle en siècle, et d’année en année, depuis cette fameuse nuit, le peuple d’Israël célèbre le repas pascal pour revivre ce mystère de la libération opérée par Dieu : « Ce fut là une nuit de veille pour le SEIGNEUR quand il les fit sortir du pays d’Égypte. Cette nuit-là appartient au Seigneur, c’est une veille pour tous les fils d’Israël, d’âge en âge. » (Ex 12,42). Célébrer pour revivre, le mot n’est pas trop fort ; car, en Israël, le mot « célébrer » ne signifie pas seulement commémorer ; il s’agit de laisser Dieu agir à nouveau, de s’engager soi-même dans la grande aventure de la libération, dans la dynamique de Dieu, si l’on peut dire ; c’est ce que l’on appelle « faire mémoire » ; cela implique donc de se laisser transformer en profondeur. Nous sommes loin d’un simple rappel historique.

          Cela est tellement vrai que, depuis des siècles, et encore aujourd’hui, lorsque le père de famille, au cours du repas pascal, initie son fils au sens de la fête, il ne lui dit pas : « Le SEIGNEUR a agi en faveur de nos pères », il lui dit : « Le SEIGNEUR a agi en ma faveur à ma sortie d’Égypte » (Ex 13,8). Et les commentaires des rabbins confirment : « En chaque génération, on doit se regarder soi-même comme sorti d’Égypte. » Cette célébration de la nuit pascale comporte donc toutes les dimensions de l’Alliance vécue par le peuple d’Israël depuis Moïse : l’action de grâce pour l’œuvre de libération accomplie par Dieu et, réciproquement, l’engagement de fidélité aux commandements ; car on sait que libération, don de la Loi, et alliance, ne font qu’un seul et même événement. C’est le message même de Dieu à Moïse et, à travers lui, au peuple, au pied du Sinaï : « Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait à l’Égypte, comment je vous ai portés comme sur des ailes d’aigle et vous ai fait arriver jusqu’à moi. Et maintenant, si vous entendez ma voix et gardez mon alliance, vous serez ma part personnelle parmi tous les peuples - puisque c’est à moi qu’appartient toute la terre - et vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte. » (Ex 19,4-6).

          Ces deux dimensions de la célébration pascale, action de grâce pour l’œuvre de libération accomplie par Dieu et engagement de fidélité aux commandements se lisent à travers les quelques lignes du livre de la Sagesse qui nous sont proposées ici. Commençons par l’action de grâce : « La nuit de la délivrance pascale avait été connue d’avance par nos Pères ; assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, ils étaient dans la joie... et déjà ils entonnaient les chants de louange des Pères. » De quelles promesses parle-t-on ici ? Le mot « promesses », à lui seul, est intéressant : qui l’eût cru, qu’un dieu s’engagerait par serment envers un homme ou un peuple ? Là encore, pour que l’homme ose y croire, il a fallu une Révélation ! Et pourtant, le récit de la grande aventure des patriarches n’est qu’une succession de promesses : d’une descendance, d’un pays, enfin d’une vie heureuse dans ce pays. Ici, arrêtons-nous aux seules promesses de la sortie d’Égypte ; par exemple, « Dieu dit à Abram : Sache bien que ta descendance résidera dans un pays qu’elle ne possédera pas. On en fera des esclaves, qu’on opprimera pendant quatre cents ans. Je serai juge aussi de la nation qu’ils serviront, ils sortiront alors avec de grands biens. » (Gn 15,13-14). La même promesse a été répétée à tous les patriarches, Abraham, Isaac, Jacob ; voici ce que Dieu dit à Jacob pour l’encourager à descendre en Égypte, au moment d’aller retrouver Joseph : « Je suis le Dieu de ton père. Ne crains pas de descendre en Égypte, car je ferai là-bas de toi une grande nation. Moi, je descendrai avec toi en Égypte et c’est moi aussi qui t’en ferai remonter. » (Gn 46,3-4).

          Bien sûr, évoquer la fuite d’Égypte et la protection de Dieu en faveur de son peuple, c’est aussi, inévitablement évoquer la déconfiture de leurs ennemis du moment, les Égyptiens : « Et ton peuple accueillit à la fois le salut des justes et la ruine de leurs ennemis. En même temps que tu frappais nos adversaires, tu nous appelais à la gloire. » Plus que du triomphalisme, c’est une leçon à méditer, que l’auteur de notre texte propose à ses contemporains, à savoir : en faisant le choix de l’oppression et de la violence, les Égyptiens ont provoqué eux-mêmes leur perte. Le peuple opprimé, lui, a bénéficié de la protection du Dieu qui vient au secours de toute faiblesse. Sous-entendu, à bon entendeur, salut ! La lumière que Dieu a fait briller sur nous au temps de notre oppression, il la fera tout aussi bien briller sur d’autres opprimés... C’est ainsi qu’on interprète la présence de la colonne de feu qui protégeait le peuple et le mettait à l’abri de ses poursuivants : « Tu a donné aux tiens une colonne flamboyante, guide pour un itinéraire inconnu et soleil inoffensif pour une glorieuse migration. Quant à ceux-là, ils méritaient d’être privés de lumière et emprisonnés par les ténèbres, pour avoir retenu captifs tes fils, par qui devait être donnée au monde la lumière incorruptible de la Loi. » (Sg 18,3-4).

          Deuxième dimension de la célébration de la nuit pascale, l’engagement personnel et communautaire : « Dans le secret de leurs maisons, les fidèles descendants des justes offraient un sacrifice, et ils consacrèrent d’un commun accord cette loi divine : que les saints partageraient aussi bien le meilleur que le pire ; et déjà ils entonnaient les chants de louange des Pères. » En quelques lignes, notre auteur n’a pas pu tout dire ; mais il est très remarquable justement qu’il ait mis en parallèle la pratique du culte (« ils offraient un sacrifice ») et l’engagement de solidarité fraternelle (« les saints, entendez les fidèles, partageraient aussi bien le meilleur que le pire »). La Loi d’Israël, on le sait bien, a toujours lié la célébration des dons de Dieu et la solidarité du peuple de l’Alliance. Rien d’étonnant donc ; Jésus-Christ fera le même rapprochement : on sait bien que « faire mémoire de lui » c’est du même mouvement pratiquer l’Eucharistie et se mettre au service de nos frères, comme il l’a fait lui-même, la nuit de la délivrance pascale (c’est-à-dire le Jeudi saint), en lavant les pieds de ses disciples.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  32 (33), 1.12, 18-19, 20.22

 

1     Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes,      
       hommes droits, à vous la louange !
12   Heureux le peuple dont le SEIGNEUR est le Dieu,    
       heureuse la nation qu'il s'est choisie pour domaine !

18   Le SEIGNEUR veille sur ceux qui le craignent,          
       qui mettent leur espoir en son amour,
19   pour les délivrer de la mort,       
       les garder en vie aux jours de famine.

20   Nous attendons notre vie du SEIGNEUR :     
       il est pour nous un appui, un bouclier.
22   Que ton amour, SEIGNEUR, soit sur nous,     
       comme notre espoir est en toi.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         « Criez de joie pour le SEIGNEUR, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange ! »  : dès le premier verset, nous savons où nous sommes : au temple de Jérusalem, dans le cadre d’une liturgie d’action de grâce. Précisons tout de suite que ces titres «  hommes justes »... « hommes droits » ne dénotent pas une attitude d’orgueil ou de contentement de soi. La justice dans la Bible n’est pas une qualité morale ; elle est tout simplement l’attitude humble de celui qui entre dans le projet de Dieu ; on pourrait dire que le juste est celui qui est accordé à Dieu, au sens où un instrument de musique est bien accordé.

         Ce projet de Dieu dont il est question ici, c’est l’Alliance : c’est-à-dire le choix que Dieu, dans sa liberté souveraine, a fait de ce peuple pour lui confier son mystère. Tout naturellement, on rend grâce pour cela : « Heureux le peuple dont le SEIGNEUR est le Dieu, heureuse la nation qu'il s'est choisie pour domaine ! » Nous avons rencontré à plusieurs reprises déjà dans l’Ancien Testament l’expression de la fierté du peuple élu : non pas de l’orgueil, mais une fierté bien légitime, le sentiment de l’honneur que Dieu lui fait de le choisir pour une mission. À vrai dire, chacun de nous, aujourd’hui, peut éprouver cette même fierté d’avoir été intégré par le baptême au peuple envoyé en mission dans le monde.

         Réellement, pour les hommes de la Bible, et pour nous aujourd’hui, la certitude de vivre dans l’Alliance de Dieu est une source de bonheur profond, ce que Jésus appelait plus tard « la joie que nul ne peut nous ravir ».

         Le verset suivant dit autrement cette expérience de la foi : « Le SEIGNEUR veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour ». Pour commencer, nous avons là une définition superbe de la « crainte de Dieu » au sens biblique : non pas de la peur, justement, mais une confiance sans faille ; la juxtaposition des deux parties du verset est très parlante : « Le SEIGNEUR veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour ». La première partie du verset « ceux qui le craignent » est expliquée par la seconde : ce sont ceux qui  « mettent leur espoir en son amour »... on est loin de la peur, c’est même tout le contraire ! Dans le psaume 102/103, nous avions rencontré une autre définition de la crainte de Dieu : c’est l’attitude d’un fils confiant qui répond à la tendresse de son père : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint ».  Et, de fait, toute la Bible, en même temps qu’elle nous révèle le dessein bienveillant de Dieu, nous enseigne peu à peu à convertir le sens du mot « crainte » : désormais pour les croyants la seule manière de respecter Dieu c’est de lui rendre son amour. La profession de foi juive le dit mieux que moi « Écoute, Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN ; tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force » (Dt 6,4).

         Je reviens à ce fameux verset : « Le SEIGNEUR veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour ». Le peuple élu parle ici de son expérience bien concrète de la sollicitude de Dieu. Car le SEIGNEUR a veillé sur eux comme un père sur ses fils, tout au long de la traversée du désert, après la libération d’Égypte. Jamais on n’aurait survécu à la traversée de la Mer si le SEIGNEUR ne s’en était mêlé, on n’aurait pas non plus survécu à l’épreuve de la vie au désert. Au buisson ardent, Dieu avait promis à Moïse d’accompagner son peuple dans sa marche vers la liberté et il a tenu sa promesse. Et, d’ailleurs, le mot hébreu employé ici est le fameux mot de quatre lettres YHWH que, par respect, les Juifs ne prononcent jamais, et qui signifie « Je suis, je serai avec vous, à chaque instant de votre histoire. »

         Lorsque le Livre du Deutéronome évoque toute l’histoire d’Israël, au moment de la sortie d’Égypte et de la traversée du désert, il dit que le SEIGNEUR a veillé sur son peuple « comme sur la prunelle de son œil ». Ici, le psalmiste continue : « Pour les délivrer de la mort,1 les garder en vie aux jours de famine » ; c’est une allusion à tous les dangers encourus pendant cette longue histoire ; quant à l’expression « jours de famine », elle est certainement une allusion à la manne que Dieu a fait tomber à point nommé pendant l’Exode, quand la faim devenait menaçante...

           Bien sûr, cette confiance sans faille n’est pas facile tous les jours ! Et, tout au long de son histoire, le peuple élu a oscillé entre deux attitudes : tantôt confiant, sûr de son Dieu, conscient que son bonheur était au bout de l’observance fidèle des commandements, parce que si Dieu a donné la Loi, c’est pour le bonheur de l’homme ; tantôt au contraire, le peuple était en révolte, attiré par des idoles : à quoi bon être fidèle à ce Dieu et à ses commandements ? C’est bien exigeant et au nom de quoi faudrait-il obéir ? Qui nous dit que c’est le bonheur assuré ? On veut être libres et faire tout ce qu’on veut... n’obéir qu’à soi-même.

         Celui qui a composé ce psaume connaît les oscillations de son peuple, il l’invite à se retremper dans la certitude de la foi, seule susceptible de construire du bonheur durable ; et d’ailleurs, s’il a composé un psaume de vingt-deux versets (autant qu’il y a de lettres dans l’alphabet), c’est pour dire (plus modestement que ne le font les psaumes vraiment alphabétiques, peut-être, mais l’allusion est claire), que la loi est un trésor pour toute la vie, de A à Z.

         On ne s’étonne évidemment pas que la fin de ce psaume soit une prière de confiance : « Que ton amour, SEIGNEUR, soit sur nous... comme notre espoir est en toi » et on connaît bien le sens du subjonctif : ce n’est pas une incertitude : on sait bien que « Son amour est toujours sur nous ! » Mais c’est une invitation pour le croyant à s’offrir à cet amour. La dimension d’attente est très forte dans les derniers versets : « Nous attendons notre vie du SEIGNEUR : il est pour nous un appui, un bouclier. » Sous-entendu « et lui seul » : c’est-à-dire, résolument, nous ne mettrons notre confiance qu’en lui. C’est dans cette confiance que le peuple élu puise sa force : non, pas SA force mais celle que Dieu lui donne.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - Quand on affirme « il les délivre de la mort » on ne parle évidemment pas de la mort biologique individuelle : il n’est question ici que du peuple ; mais il faut savoir qu’à l’époque où ce psaume est composé, la mort individuelle n’est pas considérée comme un drame ; car ce qui compte, c’est la survie du peuple ; or on en est sûrs, Dieu fera survivre son peuple quoi qu’il arrive ; à tout moment, et particulièrement dans l’épreuve, le SEIGNEUR accompagne son peuple et « le délivre de la mort ».

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE AUX HÉBREUX  11,1-2.8-19

 

       Frères,
1     la foi est une façon de posséder ce que l’on espère,
       un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas.
2     Et quand l’Écriture rend témoignage aux anciens,
       c’est à cause de leur foi.

8     Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu :
       il partit vers un pays
       qu’il devait recevoir en héritage,
       et il partit sans savoir où il allait.
9     Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré
       dans la Terre promise, comme en terre étrangère ;
       il vivait sous la tente,
       ainsi qu’Isaac et Jacob,
       héritiers de la même promesse,
10   car il attendait la ville qui aurait de vraies fondations,
       la ville dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte.
11   Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge,
       fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance
       parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses.
12   C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort,
       a pu naître une descendance aussi nombreuse
       que les étoiles du ciel
       et que le sable au bord de la mer,
       une multitude innombrable.
13   C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses,
       qu’ils sont tous morts ;
       mais ils l’avaient vue et saluée de loin,
       affirmant que, sur la terre,
       ils étaient des étrangers et des voyageurs.
14   Or, parler ainsi, c’est montrer clairement
       qu’on est à la recherche d’une patrie.
15   S’ils avaient songé à celle qu’ils avaient quittée,
       ils auraient eu la possibilité d’y revenir.
16   En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure,
       celle des cieux.
       Aussi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu,
       puisqu’il leur a préparé une ville.
17   Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve,
       Abraham offrit Isaac en sacrifice.
       Et il offrait le fils unique,
       alors qu’il avait reçu les promesses
18   et entendu cette parole :
       C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom.
19   Il pensait en effet

       que Dieu est capable même de ressusciter les morts ;
       c’est pourquoi son fils lui fut rendu :
       il y a là une préfiguration.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         « Grâce à la foi... » cette expression revient comme un refrain dans le chapitre 11 de la lettre aux Hébreux ; et l’auteur va jusqu’à dire que le temps lui manque pour énumérer tous les croyants de l’Ancien Testament, dont la foi a permis au projet de Dieu de s’accomplir.

         Le texte qui nous est proposé ce dimanche n’a retenu qu’Abraham et Sara, car ils sont considérés comme le modèle par excellence.

         Tout a commencé pour eux avec le premier appel de Dieu (Gn 12) : « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père, et va vers le pays que je te ferai voir ». Et Abraham « obéit », nous dit le texte ; au beau sens du mot « obéir » dans la Bible : non pas de la servilité, mais la libre soumission de celui qui accepte de faire confiance ; il sait que l’ordre donné par Dieu est donné pour son bonheur et sa libération, à lui, Abraham. Croire, c’est savoir que Dieu ne cherche que notre intérêt, notre bonheur.

         « Abraham partit vers un pays qui devait lui être donné comme héritage » : croire, c’est savoir que Dieu donne, c’est vivre tout ce que nous possédons comme un cadeau de Dieu. « Il partit sans savoir où il allait » : si l’on savait où l’on va, il n’y aurait plus besoin de croire ! Croire, c’est accepter justement de faire confiance sans tout comprendre, sans tout savoir ; accepter que la route ne soit pas celle que nous avions prévue ou souhaitée ; accepter que Dieu la décide pour nous. « Que ta volonté se fasse et non la mienne » a dit bien plus tard Jésus, fils d’Abraham, qui s’est fait à son tour, obéissant, comme dit saint Paul, jusqu’à la mort sur la croix (Phi 2).

         « Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge avancé (90 ans), fut rendue capable d’avoir une descendance » : elle a bien un peu ri, vous vous souvenez, à cette annonce tellement invraisemblable, mais elle l’a acceptée comme une promesse ; et elle a fait confiance à cette promesse : elle a entendu la réponse du Seigneur à son rire « Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le SEIGNEUR ? dit Dieu. À la date où je reviendrai vers toi, au temps du renouveau, Sara aura un fils » (Gn 18,14). Alors Sara a cessé de rire, elle s’est mise à croire et à espérer. Et ce qui était impossible à vues humaines s’est réalisé. « Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’avoir une descendance parce qu’elle avait pensé que Dieu serait fidèle à sa promesse ». Et il fallait la foi de ce couple pour que la promesse se réalise et que naisse la descendance « aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel et les grains de sable au bord de la mer ». Une autre femme, Marie, des siècles plus tard, entendit elle aussi l’annonce de la venue d’un enfant de la promesse et elle accepta de croire que « Rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1).

         Grâce à la foi, Abraham traversa l’épreuve de l’étonnante demande de Dieu de lui offrir Isaac en sacrifice ; mais là encore, même s’il ne comprend pas, Abraham sait que l’ordre de Dieu lui est donné par amour pour lui, que l’ordre de Dieu est le chemin de la Promesse... Chemin obscur, mais chemin sûr. La logique de la foi va jusque-là : à vues simplement humaines, la promesse d’une descendance et la demande du sacrifice d’Isaac sont totalement contradictoires ; mais la logique d’Abraham, le croyant, est tout autre ! Précisément, parce qu’il a reçu la promesse d’une descendance par Isaac, il peut aller jusqu’à le sacrifier. Dans sa foi, il sait que Dieu ne peut pas renier sa promesse ; à la question d’Isaac « Père, je vois bien le feu et les bûches... mais où est l’agneau pour l’holocauste ? » Abraham répond en toute assurance « Dieu y pourvoira, mon fils ». Le chemin de la foi est obscur, mais il est sûr.

         Il ne mentait pas non plus quand il a dit en chemin à ses serviteurs « Demeurez ici, vous, avec l’âne ; moi et Isaac, nous irons là-bas pour nous prosterner ; puis nous reviendrons vers vous ». Il ne savait pas quelle leçon Dieu voulait lui donner sur l’interdiction des sacrifices humains, il ne connaissait pas l’issue de cette épreuve ; mais il faisait confiance. Des siècles plus tard, Jésus, le nouvel Isaac, a cru Dieu capable de le ressusciter des morts et il a été exaucé comme le dit aussi la lettre aux Hébreux.

         Nous avons là une formidable leçon d’espoir ! En langage courant, on dit souvent « C’est la foi qui sauve » ; l’auteur de la lettre aux Hébreux nous dit « Vous ne croyez pas si bien dire : le projet de salut de Dieu s’accomplit par vous les croyants... Laissez-le faire, en vous et par vous, son œuvre ».

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

- En hébreu, le mot « croire » se dit « Aman » (d’où vient notre mot « Amen » d’ailleurs) ; ce mot implique la solidité, la fermeté ; croire, c’est « tenir fermement », faire confiance jusqu’au bout, même dans le doute, le découragement ou l’angoisse. En français, on dit « j’y crois dur comme fer »... en hébreu, on dit plutôt « j’y crois dur comme pierre ». C’est exactement ce que nous disons quand nous prononçons le mot « Amen ».

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC 12, 32 - 48

 

          En ce temps-là,
          Jésus disait à ses disciples :
32      « Sois sans crainte, petit troupeau :
          votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume.
33      Vendez ce que vous possédez
          et donnez-le en aumône.
          Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas,
          un trésor inépuisable dans les cieux,
          là où le voleur n’approche pas,
          où la mite ne détruit pas.
34      Car là où est votre trésor,
          là aussi sera votre cœur.
35      Restez en tenue de service,
          votre ceinture autour des reins,
          et vos lampes allumées.
36      Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces,
          pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte.
37      Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée,
          trouvera en train de veiller.
          Amen, je vous le dis :
          c’est lui qui, la ceinture autour des reins,
          les fera prendre place à table
          et passera pour les servir.
38      S’il revient vers minuit ou vers trois heures du matin
          et qu’il les trouve ainsi,
          heureux sont-ils !
39      Vous le savez bien :
          si le maître de maison
          avait su à quelle heure le voleur viendrait,
          il n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison.
40      Vous aussi, tenez-vous prêts :
          c’est à l’heure où vous n’y penserez pas
          que le Fils de l’homme viendra. »
41      Pierre dit alors :
          « Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole,
          ou bien pour tous ? »
42      Le Seigneur répondit :
          « Que dire de l’intendant fidèle et sensé
          à qui le maître confiera la charge de son personnel
          pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ?
43      Heureux ce serviteur
          que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi !
44      Vraiment, je vous le déclare :
          il l’établira sur tous ses biens.
45      Mais si le serviteur se dit en lui-même :
          ‘Mon maître tarde à venir’,
          et s’il se met à frapper les serviteurs et les servantes,
          à manger, à boire et à s’enivrer,
46      alors quand le maître viendra,
          le jour où son serviteur ne s’y attend pas
          et à l’heure qu’il ne connaît pas,
          il l’écartera
          et lui fera partager le sort des infidèles.
47      Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître,
          n’a rien préparé et n’a pas accompli cette volonté,
          recevra un grand nombre de coups.
48    Mais celui qui ne la connaissait pas,
          et qui a mérité des coups pour sa conduite,
          celui-là n’en recevra qu’un petit nombre.
          À qui l’on a beaucoup donné,
          on demandera beaucoup ;
          à qui l’on a beaucoup confié,
          on réclamera davantage. »
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Ce texte commence par une parole d’espérance qui doit nous donner tous les courages : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. » Traduisez : Ce Royaume, c’est certain, vous est acquis ; croyez-le même si les apparences sont contraires. C’est pour cela que nous pouvons affirmer tranquillement chaque dimanche : « Nous attendons le bonheur que Dieu promet, qui est l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur ». Ceux qui ont la chance d’être « pratiquants » connaissent cette joie de célébrer et de déchiffrer chaque dimanche le dessein libérateur de Dieu.

         Mais Jésus ne s’arrête pas là, il décrit aussitôt les exigences qui en découlent pour nous. Car « À qui l'on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l'on a beaucoup confié, on réclamera davantage. » Dieu nous confie chaque jour l’avancement de son projet, il nous reste à nous hisser au niveau de la confiance qu’il nous fait.

         Désormais, nous ne devrions donc avoir qu’une seule affaire en tête, la réalisation de la promesse de Dieu. Cela commence par se débarrasser de toute autre préoccupation : « Vendez ce que vous possédez, et donnez-le en aumône. Faites-vous une bourse qui ne s’use pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur ne s’approche pas, où la mite ne ronge pas. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. » Ensuite Jésus détaille ce qu’il attend de nous ; il le fait de manière imagée, à l’aide de trois petites paraboles : la première est celle des serviteurs qui attendent leur maître ; la seconde, plus courte, compare son retour à la venue inattendue d’un voleur ; quant à la troisième, elle décrit l’arrivée du maître et le jugement qu’il porte sur ses serviteurs.

         Le maître mot, ici, est celui de service : Dieu nous fait l’honneur de nous prendre à son service, de faire de nous ses collaborateurs. Plus tard, saint Pierre qui a bien retenu le message de Jésus le dira aux chrétiens de Turquie : « Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent, mais que tous parviennent à la conversion » (2 P 3,9). Et saint Pierre va jusqu’à nous dire : « Vous qui attendez et qui hâtez la venue du jour de Dieu (2 P 3,12) » (André Chouraqui traduisait même « Vous qui attendez et précipitez l’avènement du jour » de Dieu !) Il est de notre responsabilité de « précipiter » l’avènement du règne de Dieu ! La prière du Notre Père prend ici un relief singulier : « Que ton règne vienne ! » Il viendra d’autant plus vite que nous y croirons et nous y engagerons.

         Arrivés là, il nous est bon de relire saint Paul dans la lettre aux Thessaloniciens : « Vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour... Alors ne restons pas endormis... » (1 Thes 5,5). Dieu respecte trop la liberté des hommes pour les faire entrer de force dans son royaume, il ne le réalisera pas sans nous ; mais, pour notre plus grande fierté, il nous propose de prendre notre part à son projet de sauver l’humanité. D’où la grandeur de nos vies : il est en notre pouvoir de « hâter » le Jour de Dieu comme dit Pierre (2 P 3). Si bien que tout effort même modeste de notre part vers un peu plus d’amour et de paix contribue infimement, peut-être, mais efficacement, à la venue de ce Jour. Mystérieusement, nous collaborons à la venue du Jour de Dieu. « Heureux serviteur, que son maître, en arrivant, trouvera à son travail. Vraiment, je vous le déclare : il lui confiera la charge de tous ses biens. »

         Pour terminer, je voudrais revenir sur l’une des phrases de Jésus dans cet évangile : « Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour. » N’est-ce pas ce qui se passe déjà pour nous, chaque dimanche à la messe ? Le Seigneur nous invite à sa table et c’est lui qui nous nourrit. Ainsi nous refaisons nos forces pour continuer notre service.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 19e dimanche du temps ordinaire (11 août 2019)

Partager cet article

Repost0
29 juillet 2019 1 29 /07 /juillet /2019 10:19

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 3 août 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE QOHÈLETH  1,2 ;  2,21-23

 

1,2     Vanité des vanités, disait Qohèleth.
          Vanité des vanités, tout est vanité !
2,21   Un homme s’est donné de la peine ;
          il est avisé, il s’y connaissait, il a réussi.
          Et voilà qu’il doit laisser son bien
          à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine.
          Cela aussi n’est que vanité,
          c’est un grand mal !
2,22   En effet, que reste-t-il à l’homme
          de toute la peine et de tous les calculs
          pour lesquels il se fatigue sous le soleil ?
2,23   Tous ses jours sont autant de souffrances,
          ses occupations sont autant de tourments :
          même la nuit, son cœur n’a pas de repos.
          Cela aussi n’est que vanité.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

            Quand nous lisons le livre de l’Ecclésiaste, nous courons toujours un risque, celui de nous tromper de registre. Car, quelles que soient les apparences, l’auteur, Qohèleth n’est pas un philosophe, c’est un prédicateur. Il est vrai que son livre est classé dans la catégorie des « livres de sagesse ». Mais, ne nous y trompons pas, les livres bibliques dits de sagesse ne sont pas des essais philosophiques à la manière des païens ou des agnostiques ; ce sont d’abord et avant tout des livres de croyants écrits par des croyants pour des croyants, des catéchismes en somme.

          « Vanité des vanités, tout est vanité » : ce sont les premiers mots de notre texte d’aujourd’hui, mais aussi les premiers mots du livre de l’Ecclésiaste et aussi peut-être ce qui le résume le mieux. Le mot « vanité », ici, n’a pas de connotation morale ; une traduction plus littérale serait « Buée de buées » : quelque chose d’évanescent ; qui peut se vanter de retenir une buée entre ses doigts ? Une autre expression, à peu près synonyme, que l’auteur affectionne est « poursuite de vent ». Traduisez : tout sur terre, tout ce à quoi nous dédions nos pensées, nos rêves, nos forces, nos activités, notre temps, tout n’est qu’éphémère, provisoire, passager. Tout ? Oui, tout... ou presque. Tout, sauf une seule chose au monde. Laquelle ? L’auteur laisse planer le suspense très longtemps. À la fin de son livre, seulement à la fin, il dira quelle est la seule chose importante au monde : la recherche de Dieu, évidemment. Quand l’auteur livre enfin son secret, on comprend alors qu’il ne nous a pas délivré une méditation philosophique désabusée, mais en réalité une prédication musclée dite à mots couverts.

          En attendant, il décrit de mille et une manières les multiples activités des hommes, comme autant d’efforts en fin de compte inutiles, poursuite de vent, efforts dérisoires pour retenir des buées entre nos doigts. Pour appuyer son propos, il a choisi de faire parler l’un des grands de ce monde, le roi Salomon en personne ; probablement parce qu’il lui paraît bien représentatif : homme de désir, homme de pouvoir, homme couronné de gloire, mais d’une gloire sans lendemain. Car la vie de Salomon a connu plusieurs périodes très différentes : avant son accession au trône, nous ne savons rien de lui sinon son féroce appétit pour arriver au pouvoir. Une fois roi, il fut dans un premier temps admirable de sagesse et d’humilité ; en revanche, à la fin de sa vie, il tomba dans de grandes erreurs : l’idolâtrie et le goût de la richesse reprirent le dessus.

          Notre auteur, Qohèleth trouve évidemment ici grande matière à méditation et, dans son livre, il fait parler Salomon comme s’il faisait le bilan de son règne. Règne de puissance et de richesse (Jésus peut parler de lui en disant « Salomon dans toute sa gloire ») : sa sagesse et ses grands travaux ont subjugué les puissants et les sages de son temps ; il a profité de tous les plaisirs de la vie ; mais chacun sait aussi l’échec final de son règne : Roboam, son fils, s’avère incapable de mener une sage politique, le royaume se déchire, pire, l’idolâtrie reprend le dessus. En peu d’années, la gloire de Salomon a disparu et notre auteur peut écrire en pensant à lui : « Un homme s’est donné de la peine ; il était avisé, il s’y connaissait, il a réussi. Et voilà qu’il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine... Que reste-t-il ??? »

          Et c’est le grand roi Salomon qui parle ! Celui que beaucoup ont envié. Finalement, insinue Qohèleth, il n’y avait pas de quoi : « Moi, je déteste tout le travail que j’ai fait sous le soleil et que j’abandonnerai à l’homme qui me succédera. Qui sait s’il sera sage ou insensé ? » (Qo 2,18-19). Lorsque Qohèleth médite ainsi sur l’histoire de Salomon, il sait trop bien qu’effectivement, Roboam, le fils de Salomon, et son successeur sur le trône de Jérusalem, manqua terriblement de sagesse. Et c’est de là que vint le schisme qui devait diviser à tout jamais le royaume de David.

          C’est à la lumière de cette expérience que Qohèleth regarde la vie sur cette terre : « Tout n’est que vanité ». Plusieurs psaumes disaient d’ailleurs des choses semblables : « L’homme, ses jours sont comme l’herbe, il fleurit comme la fleur des champs : que le vent passe, elle n’est plus, et la place où elle était l’a oubliée. » (Ps 103,15-16). Devant cet apparent pessimisme, on peut se demander, et on ne serait pas les premiers, pourquoi Qohèleth a été retenu dans le canon des Écritures ? En réalité, il y a, sous cette apparente désespérance, un véritable langage de foi : Dieu est notre Créateur, lui seul connaît tous les mystères ; toute recherche de bonheur en dehors de Lui est vaine ; lui seul détient les clés de la vraie sagesse et, en définitive, même si nous ne comprenons pas les mystères de l’existence, nous savons que tout est don de Dieu. À travers le pessimisme apparent de Qohèleth, apparaissent donc des rais de lumière : la foi en Dieu est sous-jacente, l’horizon n’est pas bouché. Et la seule vraie valeur au monde, celle qui ne décevra pas, c’est la foi, justement, ou la Sagesse, qui est abandon dans les mains de Dieu : « Les justes, les sages et leurs travaux sont dans les mains de Dieu. » (Qo 9,1). « Dieu donne à l’homme qui lui plaît sagesse, science et joie. » (Qo 2,26). Et, bien sûr, la morale de l’histoire, c’est qu’il faut pratiquer les commandements de Dieu, c’est le seul chemin du bonheur : « Celui qui observe le commandement ne connaîtra rien de mauvais. » (Qo 8,5).

         Pour finir, le fin mot de la sagesse, la vraie, celle que Dieu seul peut donner, c’est l’humilité : celle qui consiste à vivre tout simplement notre vie, telle qu’elle est, toute petite en définitive, comme un cadeau de Dieu : « Tout homme qui mange et boit et goûte au bonheur en tout son travail, c’est là un don de Dieu. » (Qo 3,13). Au fond, en se mettant à la place de Salomon, supposé faire le bilan de sa vie, c’est Qohèleth lui-même qui va jusqu’au bout de la Sagesse, là où Salomon aurait dû aller.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  89 (90),3-4.5-6.12-13.14-17

 

3     Tu fais retourner l'homme à la poussière ;
       tu as dit : retournez, fils d'Adam !
4     À tes yeux, mille ans sont comme hier,
       c'est un jour qui s'en va, une heure dans la nuit.

5     Tu les a balayés : ce n'est qu'un songe ;
       dès le matin, c'est une herbe changeante,
6     elle fleurit le matin, elle change,
       le soir, elle est fanée et se desséchée.

12   Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
       que nos cœurs pénètrent la sagesse.
13   Reviens, SEIGNEUR, pourquoi tarder ?
       Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

14   Rassasie-nous de ton amour au matin,  
       que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
17   Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
       Consolide pour nous l'ouvrage de nos mains.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Nous sommes très probablement dans le cadre d’une cérémonie de demande de pardon au Temple de Jérusalem, après l’Exil à Babylone : la prière « Reviens, SEIGNEUR, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs » est une formule typique d’une liturgie pénitentielle. D’ailleurs la phrase qui a été traduite par « pourquoi tarder ? », dit littéralement, en hébreu, « jusques à quand ? », sous-entendu « Hâte-toi de nous sauver de cette condition d’hommes pécheurs qui nous colle à la peau ».

         Ce psaume est donc une prière pour demander la conversion : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours, que nos cœurs pénètrent la sagesse »... La conversion, ce serait de vivre selon la sagesse de Dieu, de connaître enfin « la vraie mesure de nos jours » ; ce n’est pas un hasard si ce psaume nous est offert en écho à la première lecture de ce dimanche  : elle est un passage du livre de Qohèleth (l’Ecclésiaste) qui est une méditation sur la véritable sagesse et voici que le psaume vient nous donner une définition superbe de la sagesse : la vraie mesure de nos jours ; c’est-à-dire une saine lucidité sur notre condition d’hommes éphémères. Nés sans savoir pourquoi, et destinés à mourir sans pouvoir même le prévoir ; c’est bien notre destin et c’est le sens des premiers versets que nous avons lus : « Tu fais retourner l'homme à la poussière ; tu as dit : retournez, fils d'Adam ! » (sous-entendu « retournez à la terre dont je vous ai tirés »).

         Mais cette lucidité n’a rien de triste, au contraire, elle est sereine, car notre petitesse s’appuie sur la grandeur, la stabilité de Dieu : « À tes yeux, mille ans sont comme hier, c'est un jour qui s'en va, une heure dans la nuit. » Sa grandeur est notre meilleure garantie, puisqu’il ne nous veut que du bien.

         C’est quand nous perdons cette lucidité sur « la vraie mesure de nos jours », c’est-à-dire sur notre petitesse que les malheurs commencent. C’est bien la leçon des chapitres 2 et 3 de la Genèse qui racontent l’erreur d’Adam. Précisons tout de suite que Adam n’est qu’un personnage fictif dont le comportement est considéré comme le modèle de ce qu’il ne faut pas faire. Quand on dit « Adam a fait ceci ou cela » il faut donc toujours avoir cela à l’esprit : il ne s’agit pas d’un premier homme hypothétique mais d’un type de comportement. 

         Ici, la juxtaposition de ce psaume avec la première lecture tirée du livre de Qohèleth est très suggestive ; vous vous souvenez que l’auteur faisait parler Salomon ; or celui-ci, au cours de son long règne, a traversé deux périodes : une bonne, pour commencer, qu’on pourrait appeler sa « période sage » ; mais avec les années, il s’est laissé prendre par le goût du luxe, du pouvoir, des femmes et celles-ci l’ont fait tomber dans l’idolâtrie. Dans cette seconde partie de son règne, on peut dire qu’il s’est comporté à la manière d’Adam, c’est-à-dire l’homme qui s’écarte de la sagesse de Dieu.

         Ce psaume demande en quelque sorte que nous sachions retrouver la sagesse et l’humilité du jeune Salomon. Le livre de la Sagesse nous rapporte cette prière du début de son règne : « Dieu des pères et Seigneur de miséricorde, toi qui, par ta parole, as fait les univers, toi qui, par ta Sagesse, as formé l’homme afin qu’il domine sur les créatures appelées par toi à l’existence, pour qu’il gouverne le monde avec piété et justice et rende ses jugements avec droiture d’âme, donne-moi la Sagesse qui partage ton trône et ne m’exclus pas du nombre de tes enfants. Vois, je suis ton serviteur et le fils de ta servante, un homme faible et dont la vie est brève, bien démuni dans l’intelligence du droit et des lois. Du reste, quelqu’un fût-il parfait parmi les fils des hommes, sans la Sagesse qui vient de toi, il sera compté pour rien. » (Sg 9,1-6).

         Voilà quelqu’un qui connaissait la vraie mesure de ses jours ! Et c’était le secret de son bonheur. La vraie sagesse, c’est d’être à notre place, toute petite devant Dieu ; face à lui, nous, nous ne sommes rien... rien qu’un peu de poussière dans sa main. Et c’est quand l’homme se reconnaît pour ce qu’il est, qu’il peut être heureux, qu’il peut être rassasié de l’amour de Dieu chaque matin, qu’il peut passer sa vie dans la joie et les chants. « Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants. » Car, dans la Bible, la conscience de la petitesse de l’homme n’est jamais humiliante puisqu’on est dans la main de Dieu : c’est une petitesse confiante, filiale. Tellement filiale et sûre de l’amour du Père qu’on peut lui demander en toute confiance : « Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu » (v. 17).

           Le psalmiste qui a composé cette prière au retour de l’Exil a dédié son psaume à Moïse. Si vous vous reportez à votre Bible, vous verrez que le verset 1 précise : « Prière de Moïse, l’homme de Dieu ». Effectivement, on imagine bien que Moïse a eu de nombreuses occasions de méditer sur le manque de sagesse de ce peuple qu’il conduisait sur la route du Sinaï. Un jour, découragé, il a dit « Depuis le jour où vous êtes sortis d’Égypte, jusqu’à votre arrivée ici (c’est-à-dire aux portes de la Terre Promise), vous n’avez pas cessé d’être en révolte contre le SEIGNEUR. » (Dt 9,7). Et on sait bien que le récit de la faute d’Adam au Paradis terrestre s’est justement inspiré de l’expérience du désert et de la tentation toujours renaissante d’oublier la grandeur de Dieu et la vraie mesure de notre petitesse.

         La dernière phrase du psaume est superbe « Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains » : elle dit bien l’œuvre commune de Dieu et de l’homme : l’homme agit véritablement, il œuvre dans la création, et c’est Dieu qui donne à l’œuvre humaine sa solidité, son efficacité.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX COLOSSIENS  3,1-5.9-11

 

       Frères,
1     si donc vous êtes ressuscités avec le Christ,
       recherchez les réalités d’en haut :
       c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu.
2     Pensez aux réalités d’en haut,
       non à celles de la terre.
3     En effet, vous êtes passés par la mort,
       et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu.
4     Quand paraîtra le Christ, votre vie,
       alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire.
5     Faites donc mourir en vous
       ce qui n’appartient qu’à la terre :
       débauche, impureté, passion, désir mauvais,
       et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie.
9     Plus de mensonge entre vous :
       vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous
       et de ses façons d’agir,
10   et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau
       qui, pour se conformer à l’image de son Créateur,
       se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance.
11   Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis,
       il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ;
       mais il y a le Christ :
       il est tout, et en tous.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Première remarque : Paul fait une distinction entre ce qu’il appelle « les réalités d'en haut » et « celles de la terre ». Il ne s’agit pas de choses d’en-haut ou d’en-bas, il veut dire par là qu’il y a deux manières de vivre : il y a les comportements inspirés par l’Esprit Saint et ceux qui ne sont pas inspirés par lui. Ce qu’il appelle les « réalités d’en-haut », c’est la bienveillance, l’humilité, la douceur, la patience, le pardon mutuel... Tout cela c’est la manière de vivre selon l’Esprit ; c’est ou ce devrait toujours être le comportement des baptisés. Ce qu’il appelle les réalités terrestres, c’est la débauche, l’impureté, la passion, la cupidité, la convoitise... Évidemment, toutes ces manières-là ne sont pas inspirées par l’Esprit Saint.

         Deuxième remarque : lorsqu’il nous dit « vous êtes ressuscités », c’est de notre baptême qu’il parle. C’est pour cela qu’il fait un lien précis entre notre baptême et notre manière de vivre : « Vous êtes ressuscités avec le Christ. Recherchez donc les réalités d'en haut ».

         Troisième remarque : il parle au présent pour dire « vous êtes ressuscités » ; trois lignes plus bas, en revanche, il dira « vous êtes morts »... Nous nous sentons bien vivants, pourtant, c’est-à-dire pas encore morts... et encore moins ressuscités ! Il faut donc croire que les mots n’ont pas le même sens pour lui que pour nous ! Et là, nous reconnaissons bien la théologie de Paul. Car, pour lui, depuis la Résurrection du Christ, plus rien n’est comme avant.

         Être des ressuscités, c’est précisément être nés à une nouvelle manière de vivre, une vie selon l’Esprit, ce qu’il appelle les réalités d’en-haut. Un « Chrétien », normalement, c’est quelqu’un qui est transformé, et qui vit à la manière du Christ : il l’appelle un « homme nouveau ». En nous voyant vivre et en voyant vivre nos communautés, on devrait pouvoir dire : il y a un avant et un après le Baptême. Notre vie quotidienne n’est pas changée, mais depuis la Résurrection du Christ et notre baptême, il y a une manière nouvelle de vivre notre réalité quotidienne : un comportement à la manière du Christ.

         Pour autant, on est bien loin d’un mépris de ce que nous, nous appelons les choses de la terre ; au contraire, Paul dit à peine plus loin, dans cette même lettre : « Tout ce que vous pouvez dire ou faire, faites-le au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce par lui à Dieu le Père. » Pour le dire autrement, Dieu nous a confié les réalités de notre vie quotidienne, ce n’est pas pour que nous les méprisions !

         Encore une fois, il ne s’agit pas de vivre une autre vie que la vie ordinaire, mais de vivre autrement la vie ordinaire. C’est ce monde-ci qui est promis au Royaume, il ne s’agit donc pas de le mépriser mais de le vivre déjà comme la semence du Royaume. Et ce Royaume, quel est-il ? Il est ce lieu où tous les hommes sont frères ; comme disait Paul dans la lettre aux Galates : « En Jésus Christ, vous êtes tous fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni Juif ni païen, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. » (Ga 3,26-28).

         Nous venons d’entendre des termes presque identiques dans la lettre aux Colossiens (notre lecture de ce dimanche) : « Il n’y a plus de Grec et de Juif, d’Israélite et de païen, il n’y a pas de barbare, de sauvage, d’esclave, d’homme libre, il n’y a que le Christ : en tous, il est tout. »

         Si Paul a senti la nécessité de reproduire presque à l’identique un passage entier de la lettre aux Galates c’est que la communauté de Colosses avait probablement encore les mêmes problèmes que les Galates. Or ces problèmes des Galates, nous les connaissons bien : en particulier, il y a la grande question qui a empoisonné les premières communautés chrétiennes : lorsque des non-Juifs ont voulu devenir chrétiens, Paul, qui était pourtant d’origine juive, n’a pas jugé utile de leur imposer les coutumes juives, coutumes alimentaires, coutumes de purification et surtout la circoncision. Chez les Galates, comme plus tard, chez les Colossiens, il y avait donc dans les communautés chrétiennes, des baptisés circoncis et d’autres qui ne l’étaient pas. Or des prédicateurs, Juifs d’origine, eux aussi, sont venus et ont soutenu publiquement la thèse contraire : quand des non-Juifs deviennent chrétiens, il ne suffit pas de les baptiser, il faut d’abord en faire des Juifs par la circoncision.

         La réponse de Paul aux Galates, la réponse de l’auteur de la lettre aux Colossiens sont identiques : le baptême fait de vous des frères, aucune des distinctions précédentes entre vous ne compte plus ; entre chrétiens, tout ostracisme est déplacé, j’aurais dû dire dépassé. Traduisez « Vous êtes tous des baptisés » ; vous êtes des fidèles du Christ, c’est cela seul qui compte. Voilà votre dignité : même s’il subsiste dans la société civile des différences de rôle entre hommes et femmes, même si dans l’Église les mêmes responsabilités ne vous sont pas confiées, au regard de la foi, vous êtes avant tout des baptisés. « Il n’y a plus ni esclave ni homme libre » : là encore, cela ne veut pas dire que Paul préconise la révolution ; mais quel que soit le rang social (ou ecclésial) des uns et des autres, vous aurez pour tous la même considération car tous vous êtes des baptisés. Vous ne regarderez pas avec moins de respect et de déférence celui qui vous paraît moins haut placé sur l’échelle sociale : il me semble que la recommandation vaut bien encore pour nous aujourd’hui !

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

- Certains exégètes pensent que cette lettre dite de Paul aux Colossiens n’est peut-être pas de Paul ; lequel n’est d’ailleurs jamais allé à Colosses : c’est Épaphras, un disciple de Paul qui a fondé cette communauté. Selon un procédé tout-à-fait admis et courant au premier siècle (et qu’on appelle la pseudépigraphie), on suppose (mais ce n’est qu’une hypothèse) qu’un disciple de Paul très proche de sa pensée se serait adressé aux Colossiens sous le couvert de l’autorité de l’apôtre parce que l’heure était grave. Si l’hypothèse est la bonne, on ne s’étonne pas de retrouver dans cet écrit des phrases textuellement empruntées à Paul et d'autres qui montrent comment la méditation théologique continuait à se développer dans les communautés chrétiennes : Jésus avait bien dit : « L’Esprit vous mènera vers la vérité tout entière. » Et, au cours des dimanches précédents, nous avons eu déjà l'occasion de signaler des développements théologiques que l'on ne retrouve pas encore dans les œuvres de Paul lui-même.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC  12, 13 - 21

 

       En ce temps-là,
13   du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus :
       « Maître, dis à mon frère
       de partager avec moi notre héritage. »
14   Jésus lui répondit :
       « Homme, qui donc m’a établi
       pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? »
15   Puis, s’adressant à tous :
       « Gardez-vous bien de toute avidité,
       car la vie de quelqu’un,
       même dans l’abondance,
       ne dépend pas de ce qu’il possède. »
16   Et il leur dit cette parabole :
       « Il y avait un homme riche,
       dont le domaine avait bien rapporté.
17   Il se demandait :
       ‘Que vais-je faire ?
       Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.’
18   Puis il se dit :
       ‘Voici ce que je vais faire :
       je vais démolir mes greniers,
       j’en construirai de plus grands
       et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens.
19   Alors je me dirai à moi-même :
       Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition,
       pour de nombreuses années.
       Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.’
20   Mais Dieu lui dit :
       ‘Tu es fou :
       cette nuit même, on va te redemander ta vie.
       Et ce que tu auras accumulé,
       qui l’aura ?’
21   Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même,
       au lieu d’être riche en vue de Dieu. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

           La réponse de Jésus nous surprend, tellement elle paraît abrupte : « Qui m'a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ? », sous-entendu je ne suis pas venu pour cela, ce n’est pas ma mission.1 Il est venu pour annoncer la vie, la vraie, et non pas pour parler d’argent ! La parabole qui suit va expliciter son idée. Car, comme tout bon pédagogue, Jésus rebondit aussitôt sur l’incident pour dégager une leçon.

         La parabole en question est l’histoire tout à fait plausible d’un homme qui réussit en affaires et qui calcule les meilleurs moyens de profiter de sa réussite ; il commence par mettre en sécurité ce qu’il a acquis pour se donner désormais du bon temps : « Je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y entasserai tout mon blé et tout ce que je possède. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà avec des réserves en abondance pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence. » Pauvre homme (tout riche qu’il se croit), il n’a oublié qu’une chose, c’est que son existence ne dépend pas de lui ! Il meurt la nuit suivante !

          Tout est là, peut-être : il se croit riche ; mais la vraie richesse n’est pas ce qu’il croit. Cet enseignement de Jésus est limpide si on le replace dans son contexte. En introduction, Jésus affirme : « Gardez-vous bien de toute âpreté au gain ; car la vie d’un homme, fût-il dans l’abondance, ne dépend pas de ses richesses. » Et en conclusion, mais cela ne fait malheureusement pas partie de notre lecture de ce dimanche, Jésus tire la leçon :  « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez, car la vie est plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement. » (Lc 12,22-23).

          Mais, tout compte fait, cet enseignement de Jésus n’est pas nouveau : il reprend des thèmes bien connus de l’Ancien Testament. Par exemple, Ben Sira, déjà, le disait fort bien : « Tel est riche à force d’attention et d’économie, mais voici quel sera son salaire : Quand il se dit : J’ai trouvé le repos, maintenant je vais manger de mes propres biens, il ne sait pas combien de temps s’écoulera, puis il laissera ses biens à d’autres, et il mourra. » (Si 11,18-19). Et nous avons lu sur le même thème les appels à la lucidité de Qohèleth dans la première lecture de ce dimanche : « Que reste-t-il à l'homme           de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? » (Qo 2,22). À plusieurs reprises, Qohèleth a repris ce sujet ; par exemple : « Il y a un mal affligeant que j’ai vu sous le soleil : la richesse conservée par son propriétaire pour son malheur... Comme il est sorti du sein de sa mère, nu, il s’en retournera comme il était venu : il n’a rien retiré de son travail qu’il puisse emporter avec lui. Et cela aussi est un mal affligeant qu’il s’en aille ainsi qu’il était venu : quel profit pour lui d’avoir travaillé pour du vent ? » (Qo 5,9... 15). Et le livre de Job répète en écho : « Nu, je suis sorti du ventre de ma mère, et nu j’y retournerai. » (Jb 1,21). Et vous savez qu’aujourd’hui encore, cette phrase est répétée en Israël à chaque enterrement.

          Toutes ces phrases sonnent comme des avertissements, des rappels de la réalité de notre vie éphémère. Sur ce sujet, le prophète Isaïe était plein de véhémence lorsqu’il reprochait au peuple de Jérusalem de s’étourdir dans le plaisir sous prétexte que la vie est courte pour ne pas écouter l’appel de Dieu à la conversion : « On tue les bœufs, on égorge les moutons, on mange de la viande, on boit du vin, on mange, on boit... car demain nous mourrons. » (Is 22,13).

         Jésus qualifie cette conduite d’insensée : dans la parabole, Dieu dit à l’homme qui fait des plans sur sa richesse : « Tu es fou ! Cette nuit même, on te redemande ta vie. Et ce que tu auras mis de côté, qui l'aura ? » Nous voilà donc invités à la lucidité. Mais si nous voyons bien ce qu’il y a d’insensé à croire maîtriser entièrement notre avenir par nos propres moyens, nous ne voyons pas très bien quelle serait la vraie sagesse ? Mais voici la conclusion de la parabole : « Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d'être riche en vue de Dieu. » Ici, Jésus nous indique la bonne attitude : chercher à « être riche en vue de Dieu ».

         On retrouve ici un enseignement habituel de Jésus sur l’unique trésor que nous devons rechercher, celui qui est dans les cieux. Car « En vue de Dieu » pourrait aussi être traduit « vers Dieu » ou « selon les vues de Dieu » ou même « au bénéfice du Royaume de Dieu ». Cela suppose au moins deux choses : premièrement, ne jamais oublier que les richesses viennent de lui ; deuxièmement, se rappeler en toutes circonstances que les richesses continuent à appartenir à Dieu et qu’il nous en confie la gestion pour que nous les fassions fructifier au profit de tous ses enfants.

         Nous avons donc ici de la part de Jésus non pas une leçon de philosophie sur les richesses de ce monde, mais une prédication sur l’urgence de mettre toutes nos richesses de toute sorte au service du royaume de Dieu.

          Oui, la vie est courte, comme le pensaient les contemporains d’Isaïe, mais justement, dépêchons-nous de la mettre à profit ! Si la nouvelle de l’évangile est bonne, alors il y a urgence. Voilà qui explique pourquoi Jésus a répondu un peu vivement au quémandeur d’héritage avec lequel a commencé notre lecture de ce dimanche. Cet homme-là se trompait vraiment de priorité.

Une question pour finir : Tout compte fait, l’héritage qui devrait nous paraître le plus précieux, ne serait-ce pas la foi reçue de nos pères ?

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - Quand Jésus répond de cette manière (abrupte), que ce soit à sa mère (Jn 2,4 : Cana) ou à Pierre (Mt 16,23 : Césarée), c’est toujours parce que sa mission est en jeu.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 18e dimanche du temps ordinaire (4 août 2019)

Partager cet article

Repost0
22 juillet 2019 1 22 /07 /juillet /2019 09:55

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 27 juillet 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE LA GENÈSE  18, 20-32

 

       En ces jours-là,
       les trois visiteurs d’Abraham allaient partir pour Sodome.
 20  Alors le SEIGNEUR dit :
       « Comme elle est grande,
       la clameur au sujet de Sodome et de Gomorrhe !
       Et leur faute, comme elle est lourde !
21   Je veux descendre pour voir
       si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à moi.
       Si c’est faux, je le reconnaîtrai. »
22   Les hommes se dirigèrent vers Sodome,
       tandis qu’Abraham demeurait devant le SEIGNEUR.
23   Abraham s’approcha et dit :
       « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ?
24   Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville.
       Vas-tu vraiment les faire périr ?
       Ne pardonneras-tu pas à toute la ville
       à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ?
25   Loin de toi de faire une chose pareille !
       Faire mourir le juste avec le coupable,
       traiter le juste de la même manière que le coupable,
       loin de toi d’agir ainsi !
       Celui qui juge toute la terre
       n’agirait-il pas selon le droit ? »
26   Le SEIGNEUR déclara :
       « Si je trouve cinquante justes dans Sodome,
       à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. »
27   Abraham répondit :
       « J’ose encore parler à mon Seigneur,
       moi qui suis poussière et cendre.
28   Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq :
       pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? »
       Il déclara :
       « Non, je ne la détruirai pas,
       si j’en trouve quarante-cinq. »
29   Abraham insista :
       « Peut-être s’en trouvera-t-il seulement quarante ? »
       Le SEIGNEUR déclara :
       « Pour quarante,
       je ne le ferai pas. »
30   Abraham dit :
       « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère,
       si j’ose parler encore.
       Peut-être s’en trouvera-t-il seulement trente ? »
       Il déclara :
       « Si j’en trouve trente,
       je ne le ferai pas. »
31   Abraham dit alors :
       « J’ose encore parler à mon Seigneur.
       Peut-être s’en trouvera-t-il seulement vingt ? »
       Il déclara :
       « Pour vingt,
       je ne détruirai pas. »
32   Il dit :
       « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère :
       je ne parlerai plus qu’une fois.
       Peut-être s’en trouvera-t-il seulement dix ? »
       Et le SEIGNEUR déclara :
       « Pour dix, je ne détruirai pas. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          Ce texte marque un grand pas en avant dans l’idée que les hommes se font de leur relation à Dieu : c’est la première fois que l’on ose imaginer qu’un homme puisse intervenir dans les projets de Dieu. Malheureusement, la lecture liturgique ne nous fait pas entendre les versets précédents, là où l’on voit Dieu, parlant tout seul, se dire à lui-même : « Maintenant que j’ai fait alliance avec Abraham, il est mon ami, je ne vais pas lui cacher mes projets. » Manière de nous dire que Dieu prend très au sérieux cette alliance ! Voici ce passage : « Les hommes se levèrent de là et portèrent leur regard sur Sodome ; Abraham marchait avec eux pour prendre congé. Le SEIGNEUR dit : Vais-je cacher à Abraham ce que je fais ? Abraham doit devenir une nation grande et puissante en qui seront bénies toutes les nations de la terre, car j’ai voulu le connaître... » Et c’est là que commence ce que l’on pourrait appeler « le plus beau marchandage de l’histoire ». Abraham armé de tout son courage intercédant auprès de ses visiteurs pour tenter de sauver Sodome et Gomorrhe d’un châtiment pourtant bien mérité : « SEIGNEUR, si tu trouvais seulement cinquante justes dans cette ville, tu ne la détruirais pas quand même ? Sinon, que dirait-on de toi ? Ce n’est pas moi qui vais t’apprendre la justice ! Et si tu n’en trouvais que quarante-cinq, que quarante, que trente, que vingt, que dix ?... »

          Quelle audace ! Et pourtant, apparemment, Dieu accepte que l’homme se pose en interlocuteur : pas un instant, le Seigneur ne semble s’impatienter ; au contraire, il répond à chaque fois ce qu’Abraham attendait de lui. Peut-être même apprécie-t-il qu’Abraham ait une si haute idée de sa justice ; au passage, d’ailleurs, on peut noter que ce texte a été rédigé à une époque où l’on a le sens de la responsabilité individuelle : puisque Abraham serait scandalisé que des justes soient punis en même temps que les pécheurs et à cause d’eux ; nous sommes loin de l’époque où une famille entière était supprimée à cause de la faute d’un seul. Or, la grande découverte de la responsabilité individuelle date du prophète Ézéchiel et de l’exil à Babylone, donc au sixième siècle. On peut en déduire une hypothèse concernant la composition du chapitre que nous lisons ici : comme pour la lecture de dimanche dernier, nous sommes certainement en présence d’un texte rédigé assez tardivement, à partir de récits beaucoup plus anciens peut-être, mais dont la mise en forme orale ou écrite n’était pas définitive.

          Dieu aime plus encore probablement que l’homme se pose en intercesseur pour ses frères ; nous l’avons déjà vu un autre dimanche à propos de Moïse (Ex 32) : après l’infidélité du peuple au pied du Sinaï, se fabriquant un « veau d’or » pour l’adorer, aussitôt après avoir juré de ne plus jamais suivre des idoles, Moïse était intervenu pour supplier Dieu de pardonner ; et, bien sûr, Dieu qui n’attendait que cela, si l’on ose dire, s’était empressé de pardonner. Moïse intervenait pour le peuple dont il était responsable ; Abraham, lui, intercède pour des païens, ce qui est logique, après tout, puisqu’il est porteur d’une bénédiction au profit de « toutes les familles de la terre ». Belle leçon sur la prière, là encore ; et il est intéressant qu’elle nous soit proposée le jour où l’évangile de Luc nous rapporte l’enseignement de Jésus sur la prière, à commencer par le Notre Père, la prière « plurielle » par excellence : puisque nous ne disons pas « Mon Père », mais « Notre Père »… Nous sommes invités, visiblement, à élargir notre prière à la dimension de l’humanité tout entière.

          « Peut-être en trouvera-t-on seulement dix ? » (Ce fut la dernière tentative d’Abraham.) « Et le SEIGNEUR répondit : Pour dix, je ne détruirai pas la ville de Sodome. » Ce texte est un grand pas en avant, disais-je, une étape importante dans la découverte de Dieu, mais ce n’est qu’une étape, car il se situe encore dans une logique de comptabilité : sur  le thème combien faudra-t-il de justes pour gagner le pardon des pécheurs ? Il restera à franchir le dernier pas théologique : découvrir qu’avec Dieu, il n’est jamais question d’un quelconque paiement ! Sa justice n’a rien à voir avec une balance dont les deux plateaux doivent être rigoureusement équilibrés ! C’est très exactement ce que saint Paul essaiera de nous faire comprendre dans le passage de la lettre aux Colossiens que nous lisons ce dimanche.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

- « Quelle horreur, si tu faisais une chose pareille ! » (verset 25). La traduction ne nous livre pas la richesse du terme hébreu. Le mot véritable est « profanation » : imaginer une seule seconde Dieu injuste est une profanation du nom de Dieu, un blasphème pur et simple aux yeux d’Abraham.

- Petit rappel sur l’évolution de la notion de justice de Dieu : au début de l’histoire biblique on trouvait normal et juste que le groupe entier paie pour la faute d’un seul : c’est l’histoire d’Akân au temps de Josué (Jos 7, 16-25) ; dans une deuxième étape, on imagine que chacun paie pour soi ; ici, nouvelle étape de la pensée, il est toujours question de paiement d’une certaine manière, dix justes obtiendront le pardon d’une ville entière ; et Jérémie osera imaginer qu’un seul homme paiera pour tout le peuple : « Parcourez les rues de Jérusalem, regardez donc et enquêtez, cherchez sur ses places : Y trouvez-vous un homme? Y en a-t-il un seul qui défende le droit, qui cherche à être vrai? Alors je pardonnerai à la ville. » (Jr 5, 1) ; Ézéchiel tient le même genre de raisonnement : « J'ai cherché parmi eux un homme qui relève la muraille, qui se tienne devant moi, sur la brèche, pour le bien du pays, afin que je ne le détruise pas : je ne l'ai pas trouvé. » (Ez 22, 30). C’est avec le livre de Job, entre autres, que le dernier pas sera franchi, lorsque l’on comprendra enfin que la justice de Dieu est synonyme de salut.

- Cependant, Jérémie lui-même avait envisagé un pardon sans condition aucune au nom même de la grandeur de Dieu. À ce sujet il faut relire ce plaidoyer admirable : « Si nos péchés témoignent contre nous, agis, SEIGNEUR, pour l’honneur de ton nom ! » (Jr 14, 7-9). Face à Dieu, tout comme Jérémie, Abraham l’a compris, les pécheurs n’ont pas d’autre argument que Dieu lui-même !

- On notera au passage l’optimisme d’Abraham : et pour cela il mérite bien d’être appelé « père » !  Il persiste à croire que tout n'est pas perdu, que tous ne sont pas perdus. Dans cette affreuse ville de Sodome, il y a certainement au moins dix hommes bons !
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  137 (138), 1-2a, 2bc-3, 6-7ab, 7c-8

 

1     De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :           
       tu as entendu les paroles de ma bouche.           
       Je te chante en présence des anges,
2     vers ton temple sacré, je me prosterne.

       Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,  
       car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
3     Le jour où tu répondis à mon appel,      
       tu fis grandir en mon âme la force.     

6     Si haut que soit le SEIGNEUR, il voit le plus humble ;           
       de loin, il reconnaît l'orgueilleux.
7     Si je marche au milieu des angoisses, tu me fais vivre, 
       ta main s'abat sur mes ennemis en colère.     

       Ta droite me rend vainqueur.
8     Le SEIGNEUR fait tout pour moi !     
       SEIGNEUR, éternel est ton amour :     
       n'arrête pas l'œuvre de tes mains.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Ce psaume tout entier est un chant d’action de grâce pour l’Alliance que Dieu propose à l’humanité : l’Alliance qu’il a conclue avec son peuple Israël, d’abord, mais aussi l’Alliance dans laquelle toutes les nations entreront un jour. Et c’est précisément la vocation d’Israël que de les y faire entrer.

         J’ai parlé d’action de grâce : l’expression revient trois fois : « De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce », « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité », et, dans un verset que nous n’entendons pas ce dimanche : « Tous les rois de la terre te rendent grâce ». Nous avons vu souvent que les auteurs bibliques aiment ce genre de répétitions, j’aurais envie de dire ce genre litanique. Mais il y a une progression : tout d’abord, c’est Israël qui parle en son nom propre : « De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce », puis il précise le motif : « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité », enfin c’est l’humanité tout entière qui rentre dans l’Alliance et qui rend grâce : « Tous les rois de la terre te rendent grâce ».

         Puisqu’il est question de l’Alliance, il est normal d’entendre ici des allusions à l’expérience du Sinaï ; j’entends tout d’abord les échos de la grande découverte du buisson ardent. Je vous rappelle d’abord ce que dit le livre de l’Exode : « Les fils d’Israël gémirent du fond de la servitude et crièrent. Leur appel monta vers Dieu du fond de la servitude. Dieu entendit leur plainte... » (Ex 2,23-24). Et, du milieu du buisson en feu, Dieu dit à Moïse : « Oui, vraiment, j’ai vu la souffrance de mon peuple en Égypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer... ». En écho le psaume dit : « Le jour où tu répondis à mon appel »... « tu as entendu les paroles de ma bouche ».

           Autre rappel de la révélation de Dieu au Sinaï, l’expression « Ton amour et ta vérité » : ce sont les mots mêmes de la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse (Ex 34,6). Ensuite, la phrase « Ta droite me rend vainqueur » est, pour une oreille juive, une allusion à la sortie d’Égypte. La « droite », c’est la main droite, bien sûr, et, depuis le cantique de Moïse après le passage miraculeux de la Mer rouge (Ex 15), on a pris l’habitude de parler de la victoire que Dieu a remportée à main forte et à bras étendu : « Ta droite, SEIGNEUR, est magnifique en sa force... Tu étends ta main droite » (Ex 15,6.12).

         Quant à l’expression « SEIGNEUR, éternel est ton amour », elle est elle aussi une manière d’évoquer toute l’œuvre de Dieu et en particulier la sortie d’Égypte. Vous connaissez le psaume 135/136 dont le refrain est précisément « SEIGNEUR, éternel est ton amour ».

         À relire le fameux cantique de Moïse dont je parlais il y a un instant, je m’aperçois que, lui aussi, parlait de la « grandeur » de Dieu : « La grandeur de ta gloire a brisé tes adversaires... Qui est comme toi parmi les dieux, SEIGNEUR ? Qui est comme toi, magnifique en sainteté ?... Le SEIGNEUR régnera pour les siècles des siècles. » (Ex 15,7.11.18).

         On peut noter encore un autre rapprochement entre ce psaume et le cantique de Moïse, c’est le lien entre toute l’épopée de la sortie d’Égypte, l’Alliance conclue au Sinaï et le Temple de Jérusalem. Moïse chantait : « Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR : il est pour moi le salut. Il est mon Dieu, je le célèbre : j’exalte le Dieu de mon père... Tu conduis par ton amour ce peuple que tu as racheté ; tu les guides par ta force vers ta sainte demeure. » (Ex 15,1-2.13). Le psaume reprend en écho : « Je te chante en présence des anges, vers ton temple sacré, je me prosterne. »

            Le Temple, précisément, c’est le lieu où l’on fait mémoire de toute l’œuvre de Dieu en faveur de son peuple. Bien sûr, et heureusement pour ceux qui n’ont pas la chance d’habiter Jérusalem, on peut faire mémoire de l’œuvre de Dieu partout. On sait bien que la présence de Dieu ne se limite pas à un temple de pierre, mais ce temple, ou ce qu’il en reste, est un rappel permanent de cette présence. Et aujourd’hui encore, où qu’il soit dans le monde, tout Juif prie tourné vers Jérusalem, vers la montagne du temple saint : parce que c’est le lieu choisi par Dieu au temps du roi David pour donner à son peuple un signe de sa présence.

         Enfin, je note que la grandeur de Dieu n’écrase pas l’homme ; en tout cas pas celui qui sait reconnaître sa petitesse : « Si haut que soit le SEIGNEUR, il voit le plus humble ; de loin, il reconnaît l'orgueilleux. » Voilà encore un grand thème biblique : sa grandeur se manifeste précisément dans sa bonté pour la petitesse de l’homme. « Toi, Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence » dit le livre de la Sagesse (Sg 12, 18). Et le psaume 113/112 : « De la poussière il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre » (Ps 113/112, 7). Évidemment on pense aussitôt au Magnificat : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. » Le croyant le sait et s’en émerveille : Le Dieu grand ne nous écrase pas… Au contraire, il nous fait grandir. »

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

- Tous ces rapprochements que j’ai notés, cette influence du cantique de Moïse et de l’expérience du Sinaï depuis le buisson ardent jusqu’à la sortie d’Égypte et l’Alliance sur le psaume de ce dimanche, se trouvent dans de nombreux autres psaumes et textes divers de la Bible. C’est dire à quel point cette expérience fut et reste le socle de la foi d’Israël.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX COLOSSIENS   2,12-14

 

       Frères,
12   dans le baptême,
       vous avez été mis au tombeau avec le Christ
       et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu
       qui l'a ressuscité d’entre les morts.
13   Vous étiez des morts,
       parce que vous aviez commis des fautes
       et n’aviez pas reçu de circoncision dans votre chair.
       Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ :
       il nous a pardonné toutes nos fautes.
14   Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait
       en raison des prescriptions légales pesant sur nous :
       il l’a annulé en le clouant à la croix.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

            Je reprends le dernier verset : « Dieu a supprimé le billet de la dette qui nous accablait » (Col 2,14). Paul fait allusion ici à une pratique courante en cas de prêt d’argent : il était d’usage que le débiteur remette à son créancier un « billet de reconnaissance de dette ». Jésus lui-même a employé cette expression dans la parabole du gérant trompeur. Le jour où son patron le menace de licenciement, il se préoccupe de se faire des amis ; et dans ce but il convoque les débiteurs de son maître ; à chacun d’eux, il dit « voici ton billet de reconnaissance de dette, change la somme. Tu devais cent sacs de blé ? Écris quatre-vingts. » (Lc 15,7).

            Comme il en a l’habitude, Paul utilise ce vocabulaire de la vie courante au service d’une réflexion théologique. Son raisonnement est le suivant : par l’ampleur de nos péchés, nous pouvons nous considérer comme débiteurs de Dieu. Et d’ailleurs, dans le judaïsme, on appelait souvent les péchés des « dettes » ; et une prière juive du temps du Christ disait : « Par ta grande miséricorde, efface tous les documents qui nous accusent. »

         Or tout homme qui lève les yeux vers la croix du Christ découvre jusqu’où va la miséricorde de Dieu pour ses enfants : avec lui, il n’est pas question de comptabilité : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » est la prière du Fils, mais lui-même a dit « Qui m’a vu a vu le Père ». Le corps du Christ cloué sur la croix manifeste que Dieu est tel qu’il oublie tous nos torts, toutes nos fautes contre lui. Son pardon est ainsi affiché sous nos yeux : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » disait Zacharie (Za 12,10 ; Jn 19,37). Tout se passe donc comme si le document de notre dette était cloué à la croix du Christ.

         On ne peut pas s’empêcher d’être un peu surpris : tout ce passage est rédigé au passé : « Par le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ, avec lui vous avez été ressuscités... Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné tous nos péchés. Il a supprimé le billet de la dette qui nous accablait... il l’a annulé en le clouant à la croix du Christ. » Paul manifeste ainsi que le salut du monde est déjà effectif : ce « déjà-là » du salut est l’une des grandes insistances de cette lettre aux Colossiens. La communauté chrétienne est déjà sauvée par son baptême ; elle participe déjà au monde céleste. Là encore, on peut noter une évolution par rapport à des lettres précédentes de Paul, par exemple la lettre aux Romains : « Nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. » (Rm 8,24). « Si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection. » (Rm 6,5).

         Alors que la lettre aux Romains mettait la résurrection au futur, celles aux Colossiens et aux Éphésiens mettent au passé et l’ensevelissement avec le Christ et la réalité de la résurrection. Par exemple : « Alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ - c’est par grâce que vous êtes sauvés - ; avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux en Jésus Christ. » (Ep 2,5-6).

         « Vous avez été mis au tombeau avec le Christ, avec lui vous avez été ressuscités... Vous étiez des morts... Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ. » Il est bien évident que Paul parle de la mort spirituelle : il considère vraiment le baptême comme une seconde naissance. Cette insistance de Paul1 sur le caractère acquis du salut, cette naissance à une vie tout autre est peut-être motivée par le contexte historique ; on devine derrière nombre des propos de cette lettre un climat conflictuel : visiblement, la communauté de Colosses subit des influences néfastes contre lesquelles Paul veut la mettre en garde ; en voici quelques traces :  « Que personne ne vous abuse par de beaux discours » (Col 2,4)... « Que personne ne vous prenne au piège de la philosophie, cette creuse duperie. » (Col 2,8)... « Que nul ne vous condamne pour des questions de nourriture, de boissons, de fêtes, de sabbats. » (Col 2,16).

         On retrouve là en filigrane un problème déjà souvent rencontré : comment entrons-nous dans le salut ? Faut-il continuer à observer rigoureusement toute la religion juive ? (Alors que Jésus lui-même semble avoir pris une relative distance.)

         Comment entrons-nous dans le salut ? Paul répond « par la foi » : il revient souvent sur ce thème dans plusieurs de ses lettres ; et nous retrouvons cette même affirmation ici. « Dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. » La lettre aux Éphésiens le répète de manière encore plus claire : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil. » (Ep 2,8-9).             

         La vie avec le Christ dans la gloire du Père n’est donc pas seulement une perspective d’avenir, une espérance, mais une expérience actuelle des croyants ; une expérience de vie nouvelle, de vie divine, devrais-je dire. Désormais, si nous le voulons, le Christ lui-même vit en nous ; nous sommes rendus capables de vivre dans la vie quotidienne la vie divine du Christ ressuscité ! Cela veut dire que plus aucune de nos conduites passées n’est une fatalité. L’amour, la paix, la justice, le partage sont désormais possibles. Ou alors, si nous ne le croyons pas possible, ne disons plus que le Christ nous a sauvés !

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - Jusqu'ici, nous avons toujours parlé de la lettre aux Colossiens comme si Paul en était l'auteur ; en fait, de nombreux exégètes l'attribuent plutôt à un disciple très proche de Paul par l'inspiration, mais d'une génération plus jeune, probablement.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC   11,1-13

 

1     Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière.
       Quand il eut terminé,
       un de ses disciples lui demanda :
       « Seigneur, apprends-nous à prier,
       comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. »
2     Il leur répondit :
       « Quand vous priez, dites :
       ‘Père,
       que ton nom soit sanctifié,
       que ton règne vienne.
3     Donne-nous le pain
       dont nous avons besoin pour chaque jour
4     Pardonne-nous nos péchés,
       car nous-mêmes, nous pardonnons aussi
       à tous ceux qui ont des torts envers nous.
       Et ne nous laisse pas entrer en tentation. »
5     Jésus leur dit encore :
       « Imaginez que l’un de vous ait un ami
       et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander :
       ‘Mon ami, prête-moi trois pains,
6     car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi,
       et je n’ai rien à lui offrir.’
7     Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond :
       ‘Ne viens pas m’importuner !
       La porte est déjà fermée ;
       mes enfants et moi, nous sommes couchés.
       Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose’.
8     Eh bien ! je vous le dis :
       même s’il ne se lève pas pour donner par amitié,
       il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami,
       et il lui donnera tout ce qu’il lui faut.
9     Moi, je vous dis :
       Demandez, on vous donnera ;
       cherchez, vous trouverez ;
       frappez, on vous ouvrira.
10   En effet, quiconque demande reçoit ;
       qui cherche trouve ;
       à qui frappe, on ouvrira.
11   Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson,
       lui donnera un serpent au lieu du poisson ?
12   ou lui donnera un scorpion
       quand il demande un œuf ?
13   Si donc vous, qui êtes mauvais,
       vous savez donner de bonnes choses à vos enfants,
       combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint
       à ceux qui le lui demandent ! »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Au risque de nous surprendre, Jésus n’a pas inventé les mots du Notre-Père : ils viennent tout droit de la liturgie juive, et plus profondément, des Écritures. À commencer par le vocabulaire qui est très biblique : « Père, nom, saint, règne, pain, péchés, tentations... »

         Commençons par les deux premières demandes : très pédagogiquement, elles nous tournent d’abord vers Dieu et nous apprennent à dire « ton nom », « ton règne ». Elles éduquent notre désir et nous engagent dans la croissance de son règne. Car il s’agit bien d’une école de prière, ou, si l’on préfère, d’une méthode d’apprentissage de la prière : n’oublions pas la demande du disciple : « Seigneur, apprends-nous à prier ». 

                Toutes proportions gardées, on peut comparer cette leçon à certaines méthodes d’apprentissage des langues étrangères : elles nous invitent à un petit effort quotidien, une petite répétition chaque jour et, peu à peu, nous sommes imprégnés, nous finissons par savoir parler la langue ; eh bien, si nous suivons la méthode de Jésus, grâce au Notre Père, nous finirons par savoir parler la langue de Dieu. Dont le premier mot, apparemment est « Père ».

                L’invocation « Notre Père » nous situe d’emblée dans une relation filiale envers lui. C’était une expression déjà traditionnelle dans l’Ancien Testament ; par exemple chez Isaïe : « C’est toi, Seigneur, qui es notre Père, notre Rédempteur depuis toujours. »  (Is 63,16).

                Les deux premières demandes portent sur le nom et le règne. « Que ton nom soit sanctifié » : dans la Bible, le nom représente la personne ; dire que Dieu est saint, c’est dire qu’Il est « L’Au-delà de tout » ; nous ne pouvons donc rien ajouter au mystère de sa personne ; cette demande « Que ton nom soit sanctifié » signifie « Fais-toi reconnaître comme Dieu ».

                « Que ton règne vienne » : répétée quotidiennement, cette demande fera peu à peu de nous des ouvriers du Royaume ; car la volonté de Dieu, on le sait bien, son « dessein bienveillant » comme dit Paul c’est que l’humanité, rassemblée dans son amour, soit reine de la création : « Remplissez la terre et dominez-la » (Gn 1,27). Et les croyants attendent avec impatience le jour où Dieu sera enfin véritablement reconnu comme roi sur toute la terre : « Le SEIGNEUR se montrera le roi de toute la terre » annonçait le prophète Zacharie (Za 14,9). Notre prière, notre petite méthode d’apprentissage de la langue de Dieu va donc faire de nous des gens qui désirent avant tout que le nom de Dieu, que Dieu lui-même soit reconnu, adoré, aimé, que tout le monde le reconnaisse comme Père ; nous allons devenir des passionnés d’évangélisation, des passionnés du règne de Dieu.

                Les trois autres demandes concernent notre vie quotidienne : « Donne-nous », « Pardonne-nous », « Ne nous laisse pas entrer en tentation » ; nous savons bien qu’il ne cesse d’accomplir tout cela, mais nous nous mettons en position d’accueillir ces dons.

                « Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour »1 : la manne tombée chaque matin dans le désert éduquait le peuple à la confiance au jour le jour ; cette demande nous invite à ne pas nous inquiéter du lendemain et à recevoir chaque jour notre nourriture comme un don de Dieu. Le pluriel « notre pain » nous enseigne également à partager le souci du Père de nourrir tous ses enfants.

                « Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes nous pardonnons à tous ceux qui ont des torts envers nous » : le pardon de Dieu n’est pas conditionné par notre comportement, le pardon fraternel n’achète pas le pardon de Dieu ; mais il est pour nous le seul chemin pour entrer dans le pardon de Dieu déjà acquis d’avance : celui dont le cœur est fermé ne peut accueillir les dons de Dieu.

                « Ne nous laisse pas entrer en tentation » : nous nous trouvons devant un problème de traduction, car, une fois encore, la grammaire de l’hébreu diffère de la nôtre : la forme verbale employée dans la prière juive signifie « fais que nous n’entrions pas  dans la tentation  ». Il s’agit de toute tentation, certainement, mais surtout de la plus grave, celle qui nous poursuit aux heures difficiles : la tentation de douter de l’amour de Dieu.

                Que de demandes ! Toute notre vie, toute la vie du monde est concernée : apparemment, parler la langue de Dieu, c’est savoir demander. Nous nous posons parfois la question : est-ce bien élégant de passer notre vie à quémander ? La réponse est là : la prière de demande est plus que permise, elle est recommandée ; si l’on y réfléchit, il y a là un bon apprentissage de l’humilité et de la confiance. Notre petit apprentissage continue ; il faut dire que ce ne sont pas n’importe quelles demandes : pain, pardon, résistance aux tentations ; nous apprendrons à désirer que chacun ait du pain : le pain matériel et aussi tous les autres pains dont l’humanité a besoin ; et puis bientôt, notre seul rêve sera de pardonner et d’être pardonnés ; et enfin, dans les tentations, (il y en aura inévitablement), nous apprendrons à garder le cap : nous lui demandons de rester le maître de la barque. À noter aussi que nous allons sortir de notre petit individualisme : toutes ces demandes sont exprimées au pluriel, chacun de nous les formule au nom de l’humanité tout entière.

                Au fond, il y a un lien étroit entre les premières demandes du Notre Père et les suivantes ; nous demandons à Dieu les munitions nécessaires à notre mission de baptisés dans le monde : « Donne-nous tout ce qu’il nous faut de pain et d’amour, et protège-nous pour que nous ayons la force d’annoncer ton Royaume. »

                Sans oublier que la leçon de Jésus comportait un deuxième chapitre : la parabole de l’ami importun nous invite à ne jamais cesser de prier ; quand nous prions, nous nous tournons vers Dieu, nous nous rapprochons de lui, et notre cœur s’ouvre à son Esprit. Avec la certitude que « le Père céleste donne toujours l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent. »  Nos problèmes ne sont pas résolus pour autant par un coup de baguette magique, mais désormais nous ne les vivons plus seuls, nous les vivons avec lui.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - À propos du pain, verset 3 : On trouve ce même qualificatif pour le pain dans une prière du livre des Proverbes : « Ne me donne ni indigence ni richesse ; dispense-moi seulement ma part de nourriture. » (Pr 30, 8).

Compléments

1 - Voici les prières juives qui sont à l’origine de la prière chrétienne du Notre Père : « Notre Père qui es dans les cieux » (Mishnah Yoma, invocation habituelle) ; « Que soit sanctifié ton Nom très haut dans le monde que tu as créé selon ta volonté. » (Qaddish, Qedushah et Shemoné Esré de la prière quotidienne ; cf aussi Ez 38, 23) ; « Que vienne bientôt et que soit reconnu du monde entier ton Règne et ta Seigneurie afin que soit loué ton Nom pour l’éternité. » (Qaddish) ; « Que soit faite ta volonté dans le ciel et sur la terre, donne la tranquillité de l’esprit à ceux qui te craignent, et, pour le reste, agis selon ton bon plaisir. » (Tosephta Berakhoth 3, 7. Talmud Berakhoth 29b ; cf aussi 1 S 3, 18 ; 1 Mc 3, 60) ; « Fais-nous jouir du pain que tu nous accordes chaque jour. » (Mekhilta sur Ex 16, 4, Beza 16a) ; « Remets-nous, notre Père, nos péchés comme nous les remettons à tous ceux qui nous ont fait souffrir. » (Shemoné Esré ; Mishnah Yoma à la fin. Tosephtah Taanith 1, 8 ; Talmud Taanith 16a) ; « Ne nous induis pas en tentation » (Siddur : prière quotidienne ; Berakhoth 16b, 17a, 60b ; Sanhédrin 107a) ; « Car la grandeur et la gloire, la victoire et la majesté sont tiennes ainsi que toutes les choses au ciel et sur la terre. À Toi est le Règne et tu es le Seigneur de tout être vivant dans tous les siècles. » (cf 1 Chr 29, 11).

2 - De nombreux groupes chrétiens ont pris l’habitude, bien avant le Concile Vatican II, de réciter en finale du Notre Père la phrase « Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire ». Cette finale (qu’on appelle « doxologie » - parole de louange) est présente dans certains manuscrits de l’évangile de Matthieu ; elle reproduit probablement une formule pratiquée dans la liturgie de certaines communautés chrétiennes dès le premier siècle. Elle remonte encore beaucoup plus loin, puisque le premier livre des Chroniques la met sur les lèvres de David mourant (1 Ch 29,11 ; voir la note précédente, dernière ligne).

3 - À propos de la prière de demande, il est toujours bon de méditer l’image proposée par Denys l’Aréopagite. Il imagine un bateau sur la mer ; sur le rivage proche, il y a un rocher, sur le rocher un anneau, sur le bateau un autre anneau, une corde les relie : « L’homme qui demande est dans l’attitude de celui qui, debout dans un bateau, saisit le cordage attaché au rivage et tire dessus. Il n’attire pas à lui le rocher, mais se rapproche, lui et son bateau, du rivage. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 17e dimanche du temps ordinaire (28 juillet 2019)

Partager cet article

Repost0
15 juillet 2019 1 15 /07 /juillet /2019 00:19

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 20 juillet 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE LA GENÈSE  18,1-10a

 

       En ces jours-là,
1     aux chênes de Mambré, le SEIGNEUR apparut à Abraham,
       qui était assis à l’entrée de la tente.
       C’était l’heure la plus chaude du jour.
2     Abraham leva les yeux,
       et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui.
       Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente
       et se prosterna jusqu’à terre.
       Il dit :
3     « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux,
       ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur.
4     Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau,
       vous vous laverez les pieds,
       et vous vous étendrez sous cet arbre.
5     Je vais chercher de quoi manger,
       et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin,
       puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! »
       Ils répondirent :
       « Fais comme tu l’as dit. »
6     Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente,
       et il dit :
       « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine,
       pétris la pâte et fais des galettes. »
7     Puis Abraham courut au troupeau,
       il prit un veau gras et tendre,
       et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer.
8     Il prit du fromage blanc, du lait,
       le veau que l’on avait apprêté,
       et les déposa devant eux ;
       il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre,
       pendant qu’ils mangeaient.
9     Ils lui demandèrent :
       « Où est Sara, ta femme ? »
       Il répondit :
       « Elle est à l’intérieur de la tente. »
10   Le voyageur reprit :
       « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance,
       et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

                        Mambré est un habitant du pays de Canaan qui, à plusieurs reprises, a offert l’hospitalité à Abraham dans son bois de chênes (près de l’actuelle ville d’Hébron). On sait que, pour les Cananéens, les chênes étaient des arbres sacrés ; le récit que nous venons de lire rapporte une apparition de Dieu à Abraham alors qu’il avait établi son campement à l’ombre d’un chêne dans le bois qui appartenait à Mambré ; mais à vrai dire, ce n’est pas la première fois que Dieu parle à Abraham. Depuis le chapitre 12, le livre de la Genèse nous raconte les apparitions répétées et les promesses de Dieu à Abraham. Mais, pour l’instant, rien ne s’est passé ; Abraham et Sara vont mourir sans enfant.

          Car on dit souvent que Dieu a choisi un peuple... En fait, non, Dieu a d’abord choisi un homme, et un homme sans enfants de surcroît. Et c’est à cet homme privé d’avenir (à vues humaines tout au moins) que Dieu a fait une promesse inouïe : « Je ferai de toi une grande nation... En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (Gn 12,2-3). À ce vieillard stérile, Dieu a dit « Compte les étoiles si tu le peux... Telle sera ta descendance. » Sur cette seule promesse, apparemment irréalisable, Abraham a accepté de jouer toute sa vie. Abraham ne doutait pas que Dieu honorerait sa promesse mais il ne connaissait que trop le fait qui lui opposait un obstacle majeur : lui et Sara étaient stériles ! Ou, du moins, il pouvait le croire, puisqu’à soixante quinze et soixante cinq ans, ils étaient sans enfant.

         Alors il avait imaginé des solutions : Dieu m’a promis une postérité, mais, après tout, mon serviteur est comme mon fils. « SEIGNEUR Dieu, que me donneras-tu ? Je m’en vais sans enfant, et l’héritier de ma maison, c’est Éliézer de Damas. » (Gn 15,2). Mais Dieu avait refusé : « Ce n’est pas lui qui héritera de toi, mais c’est celui qui sortira de tes entrailles qui héritera de toi. » (Gn 15,4). Quelques années plus tard, quand Dieu reparla de cette naissance, Abraham ne put pas s’empêcher d’abord d’en rire (Gn 17,17) ; puis il imagina une autre solution : ce pourrait être mon vrai fils, cette fois, Ismaël, celui que j’ai eu de mon union (autorisée par Sara) avec Agar : « Un enfant naîtrait-il à un homme de cent ans ? Sara, avec ses quatre-vingt-dix ans pourrait-elle enfanter ?... Puisse Ismaël vivre en ta présence ! » Cette fois encore Dieu refusa : « Mais non ! Ta femme Sara va t’enfanter un fils et tu lui donneras le nom d’Isaac. » (Gn 17,19). La Promesse est la Promesse.

         Le texte que nous lisons ce dimanche suppose toute cette histoire d’Alliance déjà longue (vingt-cinq ans, si l’on en croit la Bible). L’événement se passe près du chêne de Mambré. Trois hommes apparurent à Abraham et acceptèrent son l’hospitalité : arrêtons-nous là. Contrairement aux apparences, l’importance de ce texte n’est pas cette hospitalité si généreusement offerte par Abraham ! Rien de plus banal, à cette époque-là, dans cette civilisation-là, même si c’est exemplaire !

         Le message de l’auteur de ce texte, ce qui suscite son admiration, et du coup, l’envie de l’écrire pour le léguer aux générations futures est bien plus haut ! L’inouï vient de se produire : pour la première fois de l’histoire de l’humanité, Dieu en personne s’est invité chez un homme ! Car il ne fait de doute pour personne que les trois illustres visiteurs symbolisent Dieu ; la lecture de ce texte est pour nous un peu difficile, car on ne comprend pas très bien s’il y a un ou plusieurs visiteurs : « Abraham leva les yeux, il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui... il dit : Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux... On va vous apporter un peu d’eau, vous vous laverez les pieds... vous reprendrez des forces... Ils lui demandèrent : Où est Sara, ta femme ? Le voyageur reprit : Je reviendrai chez toi dans un an... ». En fait, notre auteur écrit longtemps après les faits sur la base de plusieurs récits d’origines diverses. De tous ces récits, il ne fait qu’un seul, en harmonisant au mieux les formulations. Comme il veut éviter toute apparence de polythéisme, il prend bien soin de rappeler à plusieurs reprises que Dieu est unique. N’y cherchons donc pas trop vite une représentation de la Trinité ; l’auteur de ce texte ne pouvait la concevoir encore ; ce qui est sûr, c’est que Abraham a reconnu sans hésiter, dans ces trois visiteurs, la présence divine.

         Dieu, donc, puisque c’est lui, à n’en pas douter, Dieu s’est invité chez Abraham, et pour lui dire quoi ? Pour lui confirmer le projet inespéré qu’il formait pour lui : l’an prochain, à pareille époque, Sara, la vieille Sara, aura un fils, et de ce fils naîtra un peuple qui sera l’instrument des bienfaits de Dieu : « Je reviendrai chez toi dans un an, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. » Sara qui avait écouté aux portes n’a pas pu s’empêcher de rire : ils étaient si vieux tous les deux ! Alors le voyageur a répondu cette phrase que nous ne devrions jamais oublier : « Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le SEIGNEUR ? » (Gn 18,14). Et l’impossible, à vues humaines, s’est produit : Isaac est né, premier maillon de la descendance promise, innombrable comme les étoiles dans le ciel.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  14 (15),1a.2-3a,3bc-4ab,4d-5

 

1        SEIGNEUR, qui séjournera sous ta tente ? 

2        Celui qui se conduit parfaitement,      
          qui agit avec justice     
          et dit la vérité selon son cœur.
3        Il met un frein à sa langue.  

          Il ne fait pas de tort à son frère
          et n’outrage pas son prochain.
4        À ses yeux le réprouvé est méprisable
          mais il honore les fidèles du SEIGNEUR.

          Il ne reprend pas sa parole.
5        Il prête son argent sans intérêt,           
          n’accepte rien qui nuise à l’innocent.  
          Qui fait ainsi demeure inébranlable.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          Nous avons eu l’occasion de noter, souvent, que les psaumes ont tous été composés dans le but d’accompagner une action liturgique, au cours des pèlerinages et des fêtes au Temple de Jérusalem. Le psautier pourrait être comparé aux livres de chants qui nous accueillent aux portes de nos églises, comportant des chants prévus pour toute sorte de célébrations ; ici le pèlerin arrive aux portes du Temple et pose la question : suis-je digne d’entrer ?

         Bien sûr, il  connaît d’avance la réponse : « Soyez saints parce que je suis saint » disait le livre du Lévitique (19,2). Ce psaume ne fait qu’en tirer les conséquences : à celui qui désire entrer dans le Temple (la « maison » de Dieu), il rappelle les exigences d’une conduite digne du Dieu saint. « SEIGNEUR, qui séjournera sous ta tente  ? » La réponse est simple : « Celui qui se conduit parfaitement, qui agit avec justice et dit la vérité selon son cœur. » Les autres versets ne font que la détailler : être juste, être vrai, ne faire de tort à personne. Tout compte fait, cela ressemble à s’y méprendre au Décalogue : « Tu ne commettras pas de meurtre, Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de rapt, Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain, Tu n’auras pas de visée sur la maison de ton prochain... » (Ex 20). Et quand Ézéchiel trace le portrait-robot de l’homme juste, il dit exactement la même chose : « Il accomplit le droit et la justice ; il ne mange pas sur les montagnes (allusion aux banquets en l’honneur des idoles) ; il ne lève pas les yeux vers les idoles de la maison d’Israël (c’est encore l’idolâtrie qui est visée ici) ; il ne déshonore pas la femme de son prochain... il n’exploite personne ; il rend le gage reçu pour dette ; il ne commet pas de rapines ; il donne son pain à l’affamé ; il couvre d’un vêtement celui qui est nu ; il ne prête pas à intérêt ; il ne prélève pas d’usure ; il détourne sa main de l’injustice ; il rend un jugement vrai entre les hommes ; il chemine selon mes lois ; il observe mes coutumes, agissant d’après la vérité : c’est un juste ; certainement,  il vivra - oracle du SEIGNEUR Dieu. » (Ez 18,5-9).

         Michée reproduit, quant à lui, exactement la question de notre psaume, et il la développe : « Avec quoi me présenter devant le SEIGNEUR, m’incliner devant le Dieu de là-haut ? Me présenterai-je devant lui avec des holocaustes ? Avec des veaux d’un an ? Le SEIGNEUR voudra-t-il des milliers de béliers ? Des quantités de torrents d’huile ? Donnerai-je mon premier-né pour prix de ma révolte ? Et l’enfant de ma chair pour mon propre péché ? On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu. » (Mi 6,6-8). Et Isaïe, son contemporain, n’est pas en reste : À la question « Qui d’entre nous pourra tenir ? », il répond :  « Celui qui se conduit selon la justice, qui parle sans détour, qui refuse un profit obtenu par la violence, qui secoue les mains pour ne pas accepter un présent, qui se bouche les oreilles pour ne pas écouter les paroles homicides, qui ferme les yeux pour ne pas regarder ce qui est mal. Celui-là résidera sur les hauteurs, les rochers fortifiés seront son refuge, le pain lui sera fourni, l’eau lui sera assurée. » (Is 33,15-16). Un peu plus tard, Zacharie aura encore besoin de le répéter : « Voici les préceptes que vous observerez : dites-vous la vérité l’un à l’autre ; dans vos tribunaux prononcez des jugements véridiques qui rétablissent la paix ; ne préméditez pas de faire du mal l’un à l’autre ; n’aimez pas le faux serment, car toutes ces choses, je les déteste - oracle du SEIGNEUR. » (Za 8,16-17).

         C’est à la fois très classique et malheureusement toujours à reprendre. En attendant que celui-là seul qui en est capable change nos cœurs de pierre en cœurs de chair, comme dit Ézéchiel. Ceci nous amène à relire ce psaume en l’appliquant à Jésus-Christ : les évangiles le décrivent comme le « doux et humble de cœur » (Mt 11,29), attentif aux exclus : les lépreux (Mc 1), la femme adultère (Jn 8), et combien de malades et de possédés, juifs ou païens ; et complètement étranger aux idées de profit, lui qui n’avait pas d’endroit où reposer sa tête.

         Celui surtout qui nous invite à relire avec lui le verset 3 en lui donnant une tout autre dimension : « Il met un frein à sa langue, ne fait pas de tort à son frère et n’outrage pas son prochain. » Avec Jésus-Christ, désormais, nous savons que le cercle de nos « prochains » peut s’étendre à l’infini : c’est tout l’enjeu de la parabole du Bon Samaritain par exemple (que nous avons lue dimanche dernier).

         Reste un verset un peu gênant : car on peut se demander si le verset 4 ne fait pas tache au milieu de tous ces beaux sentiments : « À ses yeux le réprouvé est méprisable » : il faut probablement y lire une résolution de fidélité : « le réprouvé », c’est l’infidèle, l’idolâtre. En affirmant « le réprouvé est méprisable », le pèlerin rejette toute forme d’idolâtrie ; manière de dire à Dieu « je partage ta cause, ce qui prouve ma bonne foi ».

Pour ma part, j’y vois une preuve de plus que la fidélité au Dieu unique a été un combat de tous les instants.

(Dernière remarque : rassurons-nous, ce rappel des exigences de l’Alliance est une catéchèse à l’adresse des pèlerins, ce n’est pas une condition d’entrée dans le Temple. Sinon, personne, excepté Jésus de Nazareth,  n’aurait jamais franchi la porte.)

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX COLOSSIENS 1,24-28

 

        Frères,
24   maintenant je trouve la joie dans les souffrances
       que je supporte pour vous ;
       ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ
       dans ma propre chair,
       je l’accomplis pour son corps qui est l’Église.
25   De cette Église, je suis devenu ministre,
       et la mission que Dieu m’a confiée,
       c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole,
26   le mystère qui était caché depuis toujours
       à toutes les générations,
       mais qui maintenant a été manifesté
       à ceux qu’il a sanctifiés.
27   Car Dieu a bien voulu leur faire connaître
       en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère
       parmi toutes les nations :
       le Christ est parmi vous,
       lui, l’espérance de la gloire !
28   Ce Christ, nous l’annonçons :
       nous avertissons tout homme,
       nous instruisons chacun en toute sagesse,
       afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         La première phrase de ce texte est redoutable ! « Ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église » : comment entendre cette phrase ? Resterait-il donc des souffrances à subir par le Christ ou par nous, pour faire bonne mesure, en quelque sorte ? Apparemment,  il reste des souffrances à subir, puisque Paul le dit, mais ce n’est pas « pour faire bonne mesure ». Cela ne découle pas d’une exigence de Dieu ! C’est une nécessité malheureusement due à la dureté de cœur des hommes !

          Ce qui reste à souffrir, ce sont les difficultés, les oppositions, voire les persécutions que rencontre toute entreprise d’évangélisation. Jésus lui-même l’a dit clairement à plusieurs reprises, avant et après sa propre passion et sa Résurrection ; à ses apôtres, il avait dit : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite. » (Lc 9,22) ; et après sa Résurrection, il l’expliqua aux disciples d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24,26). Et ce qui fut le sort du maître sera celui de ses disciples ; là encore, il les a bien prévenus : « On vous livrera aux tribunaux et aux synagogues, vous serez roués de coups, vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : ils auront là un témoignage. Car il faut d’abord que l’évangile soit proclamé à toutes les nations. » (Mc 13,9-10). Nous voilà prévenus : tant que la tâche n’est pas terminée, il faudra encore se donner de la peine et traverser bien des difficultés, voire des persécutions. Cela bien concrètement, dans notre personne.

         Il n’est évidemment pas question d’imaginer que cela résulterait d’un décret de Dieu, avide de voir souffrir ses enfants, et comptable de leurs larmes ; une telle supposition défigure le Dieu de tendresse et de pitié que Moïse lui-même avait déjà découvert. La réponse tient en deux points : premièrement, pour l’œuvre d’évangélisation, Dieu sollicite des collaborateurs ; il n’agit pas sans nous ; deuxièmement, le monde refuse d’entendre la Parole, pour ne pas avoir à changer de conduite ; alors il s’oppose de toutes ses forces à la propagation de la Bonne Nouvelle. Cela peut aller jusqu’à persécuter et supprimer les témoins gênants de la Parole. C’est exactement ce que vit Paul, emprisonné pour avoir trop parlé de Jésus de Nazareth.1 Et dans ses lettres aux jeunes communautés chrétiennes, il encourage à plusieurs reprises ses interlocuteurs à accepter à leur tour la persécution inévitable : « Que personne ne soit ébranlé au milieu des épreuves présentes, car vous savez bien que nous y sommes destinés. » (1 Thes 3,3). Et Pierre en fait autant « Résistez, fermes dans la foi, sachant que les mêmes souffrances sont réservées à vos frères dans le monde. » (1 P 5,9-10).

          Il n’est donc pas question de baisser les bras : « Ce Christ, nous l’annonçons, dit Paul, (sous-entendu, envers et contre tout), nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ. » Celui-ci a commencé, il nous reste à achever l’œuvre d’annonce.

         Ainsi grandit peu à peu l’Église, Corps du Christ ; par rapport à la première lettre aux Corinthiens (1 Co 12), la vision de Paul s’est encore élargie : dans la lettre aux Corinthiens, Paul employait déjà l’image du corps, mais seulement pour parler de l’articulation des membres entre eux, dans chaque Église locale ; ici, il envisage l’Église universelle, grand corps, dont le Christ est la tête. Elle est cette part de l’humanité qui reconnaît la primauté du Christ sur tout le cosmos dont parlait l’hymne des versets précédents : « Le Christ est l’image du Dieu invisible, le premier-né par rapport à toute créature, car c’est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et les puissances invisibles : tout est créé par lui et pour lui. Il est avant tous les êtres, et tout subsiste en lui. Il est aussi la tête du corps, c’est-à-dire de l’Église. » (Col 1, 15-18).2

         Ce mystère du projet de Dieu a été révélé aux chrétiens, il est leur source intarissable de joie et d’espérance : « Le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire ! » (verset 27). Et c’est l’émerveillement de cette présence du Christ au milieu d’eux qui transforme les croyants en témoins. Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, Paul peut dire : « De même que les souffrances du Christ abondent pour nous, de même, par le Christ, abonde aussi notre consolation. » (2 Co 1,5). Et dans la lettre aux Philippiens : « Dieu vous a fait la grâce à l’égard du Christ, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. » (Phi 1,29). Alors nous comprenons la première phrase du texte d’aujourd’hui : « Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l’Église. »
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC  10, 38-42

 

       En ce temps-là,
38   Jésus entra dans un village.
       Une femme nommée Marthe le reçut.
39   Elle avait une sœur appelée Marie
       qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
40   Quant à Marthe, elle était accaparée
       par les multiples occupations du service.
       Elle intervint et dit :
       « Seigneur, cela ne te fait rien
       que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ?
       Dis-lui donc de m’aider. »
41   Le Seigneur lui répondit :
       « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci
       et tu t’agites pour bien des choses.
42   Une seule est nécessaire.
       Marie a choisi la meilleure part,
       elle ne lui sera pas enlevée. »
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          « Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu et le reste vous sera donné par surcroît. » La formule est de Matthieu (Mt 6,33) ; elle est peut-être le meilleur commentaire de la leçon de Jésus dans la maison de Marthe et Marie.

          « Jésus était en route avec ses disciples », dit Luc, et l’on sait que ce long voyage est l’occasion pour lui de donner de multiples consignes à ses disciples ; depuis la fin du chapitre 9, Jésus, commençant la montée vers Jérusalem, s’est uniquement préoccupé de leur donner des points de repère pour les aider à rester fidèles à leur vocation merveilleuse et exigeante de suivre le Seigneur. Entre autres, il leur a recommandé d’accepter l’hospitalité (Lc 9,4 ; 10,5-9) ; c’est exactement ce qu’il fait lui-même ici : on peut donc penser qu’il accepte avec gratitude l’hospitalité de Marthe.

          Ce récit, propre à Luc, suit immédiatement la parabole du Bon Samaritain : il n’y a certainement pas contradiction entre les deux ; et, en particulier, gardons-nous de critiquer Marthe, l’active, par rapport à Marie, la contemplative. Le centre d’intérêt de l’évangéliste est plutôt, semble-t-il, la relation des disciples au Seigneur. Cela ressort du contexte (voir plus haut) et de la répétition du mot « Seigneur » qui revient trois fois : « Marie se tenait assise aux pieds du Seigneur »... Marthe dit : « Seigneur, cela ne te fait rien ?... » « Le Seigneur lui répondit ». L’emploi de ce mot fait penser que la relation décrite par Luc entre Jésus et les deux sœurs, Marthe et Marie, n’est pas à juger selon les critères habituels de bonne conduite. Ici, le Maître veut appeler au discernement de ce qui est « la meilleure part », c’est-à-dire l’attitude la plus essentielle qu’il attend de ses disciples.

          Les deux femmes accueillent le Seigneur en lui donnant toute leur attention : Marthe, pour bien le recevoir, Marie, pour ne rien perdre de sa parole. On ne peut pas dire que l’une est active, l’autre passive ; toutes deux ne sont occupées que de lui. Dans la première partie du récit, le Seigneur parle. On ne nous dit pas le contenu de son discours : on sait seulement que Marie, dans l’attitude du disciple qui se laisse instruire (cf Is 50), boit ses paroles. Tandis que l’on voit Marthe « accaparée par les multiples occupations du service ». Le dialogue proprement dit n’intervient que sur la réclamation de Marthe : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »

          Le Seigneur prononce alors une phrase qui a fait couler beaucoup d’encre : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. » Jésus ne reproche certainement pas à Marthe son ardeur à bien le recevoir ; qui dit hospitalité, surtout là-bas, dit bon déjeuner, donc préparatifs ; « tuer le veau gras » est une expression biblique !

          Et combien d’entre nous se retrouvent trop souvent à leur gré dans le rôle de Marthe en se demandant où est la faute ? Il semblerait plus facile, assurément, de prendre l’attitude de Marie et de se laisser servir, en tenant compagnie à l’invité au salon ! La cuisinière est souvent frustrée de manquer les conversations !

          Mais c’est le comportement inquiet de Marthe qui inspire à Jésus une petite mise au point, profitable pour tout le monde. Et, en réalité, à travers le personnage des deux sœurs, il en profite pour donner une recommandation à chacun de ses disciples (donc à nous) et nous rappeler l’essentiel : « Une seule chose est nécessaire » ne veut pas dire qu’il faut désormais se laisser dépérir ! Mais qu’il ne faut pas négliger l’essentiel ; il nous faut bien tour à tour, chacun et chacune, jouer les Marthe et les Marie, mais attention de ne pas nous tromper de priorité.

          Une leçon que Jésus reprendra plus longuement, un peu plus loin (et qu’il nous est bon de relire ici, la liturgie ne nous en proposant pas la lecture). « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. Car la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. Observez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’ont ni cellier ni grenier ; et Dieu les nourrit. Combien plus valez-vous que les oiseaux ! Et qui d’entre vous peut par son inquiétude prolonger tant soit peu son existence ? Si donc vous êtes sans pouvoir même pour si peu, pourquoi vous inquiéter pour tout le reste ? Observez les lis : ils ne filent ni ne tissent et, je vous le dis : Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux. Si Dieu habille ainsi en pleins champ l’herbe qui est là aujourd’hui et qui demain sera jetée au feu, combien plus le fera-t-il pour vous, gens de peu de foi. Et vous, ne cherchez pas ce que vous mangerez ni ce que vous boirez, ne vous tourmentez pas. Tout cela, les païens de ce monde le recherchent sans répit, mais vous, votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît. Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. » (Lc 12,22-32)1.

          « Sois sans crainte », c’est certainement le maître-mot ; ailleurs, il mettra en garde ses disciples contre les soucis de la vie qui risquent d’alourdir les cœurs : « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que vos cœurs ne s’alourdissent dans l’ivresse, les beuveries et les soucis de la vie » (Lc 21,34). Ceux-ci risquent également de nous empêcher d’écouter la Parole ; c’est le message de la parabole du semeur : « Ce qui est tombé dans les épines, ce sont ceux qui entendent et qui, du fait des soucis, des richesses et des plaisirs de la vie, sont étouffés en cours de route et n’arrivent pas à maturité. » (Lc 8,14). Si Marthe n’y prend pas garde, cela pourrait devenir son cas, peut-être ?

          Sans oublier qu’en définitive, c’est toujours Dieu qui nous comble et non l’inverse ! Ne pourrait-on pas traduire : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour faire des choses pour moi... La meilleure part, c’est de m’accueillir, c’est moi qui vais faire des choses pour toi. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 16e dimanche du temps ordinaire (21 juillet 2019)

Partager cet article

Repost0
7 juillet 2019 7 07 /07 /juillet /2019 21:13

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 13 juillet 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU DEUTÉRONOME  30,10-14

 

       Moïse disait au peuple :
10   « Écoute la voix du SEIGNEUR ton Dieu,
       en observant ses commandements et ses décrets
       inscrits dans ce livre de la Loi,
       et reviens au SEIGNEUR ton Dieu
       de tout ton cœur et de toute ton âme.
11   Car cette loi que je te prescris aujourd’hui
       n’est pas au-dessus de tes forces
       ni hors de ton atteinte.
12   Elle n’est pas dans les cieux, pour que tu dises :
       ‘Qui montera aux cieux
       nous la chercher ?
       Qui nous la fera entendre,
       afin que nous la mettions en pratique ?’
13   Elle n’est pas au-delà des mers, pour que tu dises :
       ‘Qui se rendra au-delà des mers
       nous la chercher ?
       Qui nous la fera entendre,
       afin que nous la mettions en pratique ?’
14   Elle est tout près de toi, cette Parole,
       elle est dans ta bouche et dans ton cœur,
       afin que tu la mettes en pratique. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          Le livre du Deutéronome se présente comme le dernier discours de Moïse, son testament spirituel en quelque sorte : mais il n’a certainement pas été écrit par Moïse lui-même puisqu’il répète à de nombreuses reprises : Moïse a dit, Moïse a fait... Et l’auteur use de beaucoup de solennité pour rappeler ce qui lui semble être l’apport majeur de Moïse : celui qui a fait sortir d’Égypte le peuple d’Israël et a conclu l’Alliance avec Dieu au Sinaï. Par cette Alliance, Dieu s’engageait à protéger son peuple tout au long de son histoire, mais réciproquement, le peuple s’engageait à toujours respecter la Loi de Dieu car il y reconnaissait le meilleur garant de sa liberté retrouvée.

          Mais une chose est de s’engager, une autre de respecter l’engagement. Or le peuple y a trop souvent manqué ; le royaume du Nord a fait lui-même son propre malheur, et depuis la victoire des Assyriens, il est rayé de la carte. Les habitants du royaume du Sud feraient bien d’en tirer les leçons et c’est à eux que l’auteur s’adresse ici : « Écoute la voix du SEIGNEUR ton Dieu, en observant ses commandements et ses décrets inscrits dans ce livre de la Loi ».

Et pourtant il a l'air de dire que ce ne serait pas bien difficile d'observer cette Loi : elle n'est ni difficile à comprendre ni difficile à appliquer : « Cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. »

          Alors pourquoi les hommes, du temps de Moïse, comme du temps de l'auteur du Deutéronome, comme aujourd'hui sont-ils si rétifs à des commandements pourtant bien simples : tu ne tueras pas, tu ne mentiras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas le bien d'autrui ? À cette question, Moïse répondait : le peuple a « la nuque raide » ; à la fin de sa vie, quand il réfléchissait sur le passé, il pouvait dire : « Ce n’est pas parce que tu es juste que le SEIGNEUR te donne ce bon pays en possession, car tu es un peuple à la nuque raide. Souviens-toi, n’oublie pas que tu as irrité le SEIGNEUR ton Dieu dans le désert. Depuis le jour où tu es sorti du pays d’Égypte jusqu’à votre arrivée ici, vous avez été en révolte contre le SEIGNEUR. » (Dt 9,6-7).

          Je m’arrête sur cette expression « nuque raide » : il y a une superbe image qui se cache derrière cette formule que nous disons malheureusement toujours trop vite ; il faut avoir devant les yeux un joug, cette pièce de bois qui unit deux bœufs pour labourer. L’expression « nuque raide » évoque donc un attelage, ou plus exactement une bête qui refuse de courber son cou sous l’attelage ; si une bête est rétive, on se doute bien que l’attelage est moins performant : or, justement, l’Alliance entre Dieu et son peuple était comparée à une attache, un joug d’attelage. Pour recommander l’obéissance à la Loi, Ben Sirac, par exemple, disait : « Soumettez votre nuque à son joug et que votre âme reçoive l’instruction ! » (Si 51, 26-27). Jérémie reprochant au peuple d’Israël ses manquements à la Loi disait dans le même sens : « Tu as brisé ton joug » (Jr 2, 20 ; Jr 5, 5). On comprend mieux du coup la phrase célèbre de Jésus : « Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école... Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. » (Mt 11, 29-30).

         Cette phrase de Jésus a peut-être bien ses racines justement dans notre texte du Deutéronome : « Cette Loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. » Autrement dit, Dieu ne demande pas à son peuple des choses impossibles. Peut-être ce passage s’adresse-t-il à des croyants découragés, à l’instar des disciples qui se plaignirent un jour à Jésus en lui demandant « Qui donc peut être sauvé ? » (Mt 19, 25).

         On retrouve bien là, dans le Deutéronome d’abord, chez Jésus ensuite, le grand message très positif de la Bible : la Loi est à notre portée, le mal n’est pas irrémédiable ; l’humanité va vers son salut : un salut qui consiste à vivre dans l’amour de Dieu et des autres, pour le plus grand bonheur de tous. Mais, l’expérience aidant, on a appris aussi que la pratique d’une vie juste, c’est-à-dire en conformité avec ce projet de Dieu est quasi-impossible aux hommes s’ils comptent sur leurs seules forces. Et la leçon est toujours la même : Jésus répond à ses disciples : « Aux hommes c’est impossible, mais à Dieu, tout est possible. » (Mt 19,26).

         Oui, à Dieu tout est possible, y compris de transformer nos nuques raides. Puisque son peuple est désespérément incapable de fidélité, c’est Dieu lui-même qui transformera son cœur : « Le SEIGNEUR ton Dieu te circoncira le cœur, pour que tu aimes le SEIGNEUR et que tu vives. » (Dt 30,6). Par « circoncision du cœur », on entend l’adhésion de l’être tout entier à la volonté de Dieu. On a longtemps espéré que le peuple lui-même atteindrait cette qualité d’adhésion à l’Alliance « de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces » (comme dit la fameuse phrase du « Shema Israël », la grande profession de foi, Dt 6,4) ; mais il a bien fallu se rendre à l’évidence ; et des prophètes comme Jérémie, Ézéchiel prennent acte de ce qu’il y faudra une intervention de Dieu : « Je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi. » (Jr 31,33).
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME   18  (19), 8, 9, 10, 11

 

8     La loi du SEIGNEUR est parfaite,       
       qui redonne vie ; 
       la charte du SEIGNEUR est sûre,        
       qui rend sages les simples.

9     Les préceptes du SEIGNEUR sont droits,       
       ils réjouissent le cœur ;   
       le commandement du SEIGNEUR est limpide,           
       il clarifie le regard.

10   La crainte qu'il inspire est pure, 
       elle est là pour toujours ;
       les décisions du SEIGNEUR sont justes          
       et vraiment équitables :

11   plus désirables que l'or,  
       qu'une masse d'or fin,    
       plus savoureuses que le miel      
       qui coule des rayons.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

              Curieuse litanie en l’honneur de la Loi : « La Loi du SEIGNEUR », « la charte du SEIGNEUR », « les préceptes du SEIGNEUR », « le commandement du SEIGNEUR », « les décisions du SEIGNEUR »... En réalité, il n’est question que de Dieu, celui qui a révélé son Nom à Moïse : le SEIGNEUR. Celui qui a choisi ce peuple parmi tous les peuples de la terre, et l’a libéré... Celui qui a proposé à ce peuple son Alliance pour l’accompagner dans toute son existence... Celui, enfin, qui poursuit son œuvre de libération en proposant sa Loi...

              Il ne faut jamais oublier qu’avant toute autre chose, le peuple juif a expérimenté la libération apportée par son Dieu. Et les « commandements » sont dans la droite ligne de la sortie d’Égypte : ils sont une entreprise de libération. Dieu a « fait sortir » (c’est l’expression consacrée) son peuple des chaînes de l’esclavage, il le fera sortir de toutes les autres chaînes qui empêchent l’homme d’être heureux. C’est cela l’Alliance Éternelle. L’Exode était route vers la Terre Promise ; l’obéissance à la Loi est cheminement vers la véritable Terre Promise, la Patrie future de l’humanité.

              Le livre du Deutéronome y insiste à plusieurs reprises : « Puisses-tu écouter Israël, garder et pratiquer ce qui te rendra heureux » (Dt 6,3). À quoi notre psaume répond en écho : « Les préceptes du SEIGNEUR sont droits, ils réjouissent le cœur ».

              La grande certitude qu’ont acquise les hommes de la Bible, c’est que Dieu veut l’homme heureux, et il lui en donne le moyen, un moyen bien simple : il suffit d’écouter la Parole de Dieu inscrite dans la Loi. Le chemin est balisé, les commandements sont comme des poteaux indicateurs sur le bord de la route, pour alerter notre regard sur un danger éventuel : « Le commandement du SEIGNEUR est limpide, il clarifie le regard ». Au jour le jour, la Loi est notre maître, elle nous enseigne : on sait que la racine du mot « Torah » en hébreu signifie d’abord « enseigner ». « La charte du SEIGNEUR est sûre, qui rend sages les simples ». Ici les simples, ce sont ceux justement qui acceptent tout humblement de se laisser enseigner par Dieu : « Et maintenant, Israël, qu’est-ce que le SEIGNEUR ton Dieu attend de toi ? Il attend seulement que tu craignes le SEIGNEUR ton Dieu en suivant tous ses chemins, en aimant et en servant le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, en gardant les commandements du SEIGNEUR et les lois que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur ». (Dt 10,12-13). Et le prophète Michée reprend en écho : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu ». (Mi 6,8 ). Il n’y a pas d’autre exigence, il n’y a pas non plus d’autre chemin pour être heureux.

              « Les décisions du SEIGNEUR sont justes et vraiment équitables, plus désirables que l’or, qu’une masse d’or fin, plus savoureuses que le miel qui coule des rayons. » Là, on touche du doigt la distance culturelle qui nous sépare de l’auteur de ce psaume : pour nous comme pour lui, l’or est un métal à la fois inaltérable, et précieux, donc désirable. Pour le miel, c’est autre chose : il n’évoque sûrement pas pour nous ce qu’il représentait pour un habitant d’Israël ; quand Dieu appelle Moïse pour la première fois et lui confie la mission de libérer son peuple, il lui promet : « Je vous ferai monter de la misère d’Égypte… vers le pays ruisselant de lait et de miel » (Ex 3, 17). On ne sait pas à quand remonte cette expression : apparemment, elle est très ancienne et les Cananéens l’employaient déjà. Pour eux, comme pour Israël, elle caractérise l’abondance et la douceur. Du miel, on en trouve évidemment bien ailleurs qu’en Israël : le goût sucré des gâteaux de miel est apprécié dans de nombreux pays. On en trouve même dans le désert : la preuve, c’est que Jean-Baptiste « se nourrissait de miel sauvage » (Mt 3, 4), mais c’est quand même rare ! Et justement, ce qui sera merveilleux dans la Terre Promise, ce sera la profusion, le miel « ruissellera ».

              Cette abondance, cette douceur est attribuée à l’action de Dieu ; mais, me direz-vous, cela non plus n’est pas propre au peuple d’Israël : partout ou presque on pense que notre vie est dans les mains des dieux ; et tous les rites religieux sont justement faits pour obtenir les faveurs des divinités : on cherche à leur plaire pour obtenir la pluie en temps voulu, pour éviter la grêle, les sauterelles et tout ce qui pourrait compromettre les récoltes... Parce que les divinités ont tout pouvoir.

              Ce qui est propre à Israël, c’est son expérience de l’œuvre de Dieu, et cela change tout ! Il ne s’agit pas de l’amadouer pour obtenir ses bienfaits ; ses bienfaits sont acquis d’avance. Ce qui est propre à Israël, c’est son expérience de la générosité de Dieu. Dieu a pris l’initiative de créer le monde, simplement par amour ; Dieu a pris l’initiative de sauver son peuple, simplement par amour. Et le miel devient pour eux symbole de la douceur même de Dieu. Le livre du Deutéronome, quand il rappelle au peuple toute la sollicitude que Dieu lui a prodiguée pendant l’Exode, dit : « Il rencontre son peuple au pays du désert, Il lui fait sucer le miel dans le creux des pierres » (Dt 32,13). La manne, aussi, parce qu’elle est douce et parce qu’elle est cadeau de Dieu, est comparée à du miel : « C’était comme de la graine de coriandre, c’était blanc, avec un goût de beignets au miel » (Ex 16,31). Désormais on parlera des oignons d’Égypte, mais du miel de Canaan : il y a pourtant du miel aussi en Égypte, mais on n’avait pas encore fait l’expérience de l’Exode et de la Présence de Dieu.

              Désormais, Israël ne sait pas seulement que la Parole de Dieu a créé le monde, Israël sait mieux encore que sa Parole sauve le monde : « La loi du SEIGNEUR est parfaite, qui redonne vie ; la charte du SEIGNEUR est sûre, qui rend sages les simples. »

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

- C’est dans le Livre du Deutéronome qu’on trouve les plus belles méditations sur la Loi ; par exemple : « Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur la terre, interroge d’un bout à l’autre du monde : est-il rien arrivé d’aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ?... À toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre que lui... Reconnais-le aujourd’hui et réfléchis : c’est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours. » (Dt 4, 32... 40).

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX COLOSSIENS   1,15-20

 

15   Le Christ Jésus est l’image du Dieu invisible,
       le premier-né, avant toute créature :
16   en lui, tout fut créé,
       dans le ciel et sur la terre.
       Les êtres visibles et invisibles,
       Puissances, Principautés,
       Souverainetés, Dominations,
       tout est créé par lui et pour lui.
17   Il est avant toute chose,
       et tout subsiste en lui.
18   Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église :
       c’est lui le commencement,
       le premier-né d’entre les morts,
       afin qu’il ait en tout la primauté.
19   Car Dieu a jugé bon
       qu’habite en lui toute plénitude
20   et que tout, par le Christ,
       lui soit enfin réconcilié,
       faisant la paix par le sang de sa Croix,
       la paix pour tous les êtres
       sur la terre et dans le ciel.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

            Je commence par la dernière phrase qui est peut-être pour nous la plus difficile : « Dieu a voulu tout réconcilier par le Christ et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » Paul ici compare la mort du Christ à un sacrifice comme on en offrait habituellement au Temple de Jérusalem. Il existait en particulier des sacrifices qu’on appelait « sacrifices de paix ».

            Paul sait bien que ceux qui ont condamné Jésus n’avaient aucunement l’intention d’offrir un sacrifice : tout d’abord parce que les sacrifices humains n’existaient plus en Israël depuis fort longtemps ; ensuite parce que Jésus a été condamné à mort comme un malfaiteur et exécuté hors de la ville de Jérusalem. Mais il contemple une chose inouïe : dans sa grâce, Dieu a transformé l’horrible passion infligée à son fils par les hommes en œuvre de paix ! On pourrait lire « Dieu a bien voulu tout réconcilier par le Christ et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » Pour le dire autrement, c’est la haine des hommes qui tue le Christ, mais, par un mystérieux retournement, parce que Dieu accomplit cette œuvre de grâce, ce paroxysme de  haine des hommes est transformé en un instrument de réconciliation, de pacification.

            Et pourquoi sommes-nous réconciliés ? Parce qu’enfin, nous connaissons Dieu tel qu’il est vraiment, pur amour et pardon, bien loin du Dieu punisseur que nous imaginons parfois. Et cette découverte peut transformer nos cœurs de pierre en cœurs de chair (pour reprendre l’expression d’Ézéchiel) si nous laissons l’Esprit du Christ envahir nos cœurs. Dans cette lettre aux Colossiens, nous lisons la même méditation que développe également saint Jean et qui est inspirée par Zacharie. De la part de Dieu, le prophète annonçait : « En ce jour-là, je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit qui fera naître en eux bonté et supplication. Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé... ils pleureront sur lui. » (Za 2, 10). En d’autres termes, c’est Dieu qui nous inspire de contempler la croix et, de cette contemplation, peut naître notre conversion, notre réconciliation.

         Paul nous invite donc à cette même contemplation : en levant les yeux vers le transpercé (comme dit Zacharie) nous découvrons en Jésus l’homme juste par excellence, l’homme parfait, tel que Dieu l’a voulu. Dans le projet créateur de Dieu, l’homme est créé à son image et à sa ressemblance ; la vocation de tout homme, c’est donc d’être l’image de Dieu. Or le Christ est l’exemplaire parfait, si l’on ose dire, il est véritablement l’homme à l’image de Dieu : en contemplant le Christ, nous contemplons l’homme, tel que Dieu l’a voulu. « Il est l’image du Dieu invisible », dit Paul. « Voici l’homme » (Ecce homo) dit Pilate à la foule, sans se douter de la profondeur de cette déclaration !

         Et c’est pour cela que Paul peut parler d’accomplissement : « Dieu a voulu que dans le Christ, toute chose ait son accomplissement total. » Je reprends le début du texte : « Le Christ est l'image du Dieu invisible, le premier-né par rapport à toute créature, car c'est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et les puissances invisibles : tout est créé par lui et pour lui. »

         Mais Paul va plus loin : en Jésus, nous contemplons également Dieu lui-même : dans l’expression « image du Dieu invisible » appliquée à Jésus-Christ, il ne faudrait pas minimiser le mot « image » : il faut l’entendre au sens fort ; en Jésus-Christ, Dieu se donne à voir ; ou pour le dire autrement, Jésus est la visibilité du Père : « Qui m’a vu a vu le Père » dit-il lui-même dans l’évangile de Jean (Jn 14, 9). Un peu plus bas dans cette même lettre aux Colossiens, Paul dit encore : « En Christ habite toute la plénitude de la divinité » (Col 2, 9). Il réunit donc en lui la plénitude de la créature et la plénitude de Dieu : il est à la fois homme et Dieu. En contemplant le Christ, nous contemplons l’homme... en contemplant le Christ, nous contemplons Dieu.

Reste un verset, très court, mais capital : « Il est aussi la tête du corps, c'est-à-dire de l'Église. Il est le commencement, le premier-né d'entre les morts, puisqu'il devait avoir en tout la primauté. » C’est peut-être le texte le plus clair du Nouveau Testament pour nous dire que nous sommes le Corps du Christ. Il est la tête d’un grand corps dont nous sommes les membres. Dans la lettre aux Romains (Rm 12,4-5) et la première lettre aux Corinthiens (1 Co 12,12), Paul avait déjà dit que nous sommes tous les membres d’un même corps. Ici, il précise plus clairement : « Le Christ est la tête du corps qui est l’Église ». (Il développe la même idée dans la lettre aux Éphésiens : Ep 1,22 ; 4,15 ; 5,23).

         Évidemment, il dépend de nous que ce Corps grandisse harmonieusement. À nous de jouer, donc, maintenant, si j’ose dire : la Nouvelle Alliance inaugurée en Jésus-Christ s’offre à la liberté des hommes ; pour nous, baptisés, elle est (ou elle devrait être) un sujet sans cesse renouvelé d’émerveillement et d’action de grâce ; un peu plus haut, l’auteur commençait sa contemplation par : « Rendez grâce à Dieu le Père qui vous a rendus capables d’avoir part, dans la lumière, à l’héritage du peuple saint ». Il s’adressait à ceux qu’il appelle « les saints », c’est-à-dire les baptisés. L’Église, par vocation, c’est le lieu où l’on rend grâce à Dieu. Ne nous étonnons pas que notre réunion hebdomadaire s’appelle « Eucharistie » (littéralement en grec « action de grâce »).

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC   10,25-37

 

       En ce temps-là,
25   un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant :
       « Maître, que dois-je faire
       pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
26   Jésus lui demanda :
       « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ?
       Et comment lis-tu ? »
27   L’autre répondit :
       « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu

       de tout ton cœur, de toute ton âme,

       de toute ta force et de toute ton intelligence,

       et ton prochain comme toi-même. »
28   Jésus lui dit :
       « Tu as répondu correctement.
       Fais ainsi et tu vivras. »
29   Mais lui, voulant se justifier,
       dit à Jésus :
       « Et qui est mon prochain ? »
30   Jésus reprit la parole :
       « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho,
       et il tomba sur des bandits ;
       ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups,
       s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
31   Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ;
       il le vit et passa de l’autre côté.
32   De même un lévite arriva à cet endroit ;
       il le vit et passa de l’autre côté.
33   Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ;
       il le vit et fut saisi de compassion.
34   Il s’approcha, et pansa ses blessures
       en y versant de l’huile et du vin ;
       puis il le chargea sur sa propre monture,
       le conduisit dans une auberge
       et prit soin de lui.
35   Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent,
       et les donna à l’aubergiste, en lui disant :
       ‘Prends soin de lui ;
       tout ce que tu auras dépensé en plus,
       je te le rendrai quand je repasserai.’
36   Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain
       de l’homme tombé aux mains des bandits ? »
37   Le docteur de la Loi répondit :
       « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. »
       Jésus lui dit :
       « Va, et toi aussi, fais de même. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Tel est pris qui croyait prendre ! S’il espérait mettre Jésus dans l’embarras, le docteur de la Loi en a été pour ses frais et c’est lui, en définitive, qui a dû se trouver bien embarrassé. En posant à celui qui est l’Amour même la question : « Jusqu’où faut-il aimer ? », il s’est attiré une réponse bien exigeante ! Si l’on veut rester tranquille, en effet, il y a des questions à ne pas poser ! Surtout si ce sont des questions aussi importantes que la première posée par le docteur de la Loi : « Maître, que dois-je faire, pour avoir part à la vie éternelle ? » ou, plus compromettante encore, la question suivante : « Et qui donc est mon prochain ? » Devant de telles interrogations, Jésus ne peut que désirer conduire son interlocuteur jusqu’au plus intime du cœur de Dieu lui-même.

         Ce cheminement, Jésus va le situer très exactement sur une route bien connue de ses auditeurs, les trente kilomètres qui séparent Jérusalem de Jéricho, une route en plein désert, dont certains passages étaient à l’époque de véritables coupe-gorge. Ce récit d’attentat et cette histoire de secours au blessé étaient d’une vraisemblance criante. L’homme est donc tombé aux mains de brigands qui l’ont dépouillé et laissé pour mort. À son malheur physique et moral, s’ajoute pour lui une exclusion d’ordre religieux : touché par des « impurs », il a contracté lui aussi une impureté. C’est probablement l’une des raisons de l’indifférence apparente, voire de la répulsion qu’éprouvent à sa vision le prêtre et le lévite soucieux de préserver leur intégrité rituelle. Le Samaritain, bien sûr, ne va pas avoir de scrupules de ce genre.

         La scène au bord de la route dit en images ce que Jésus a fait lui-même bien souvent concrètement : en guérissant le jour du sabbat, par exemple, en se penchant sur des lépreux, en accueillant les pécheurs, et en citant plusieurs fois

(Cette parabole du bon Samaritain fait penser à) la parole du prophète Osée : « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices ; et la connaissance de Dieu, je la préfère aux holocaustes. » (Os 6, 6).

         La connaissance de Dieu, parlons-en : quand Jésus avait posé la question : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Que lis-tu ? », le docteur de la Loi avait récité avec enthousiasme : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. » Jésus lui avait dit : « Tu as bien répondu. » Car la seule chose qui compte, on le savait déjà en Israël, c’est la fidélité à ce double amour. Saint Jean écrira plus tard : « Si quelqu’un dit J’aime Dieu et qu’il n’aime pas son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4,20). Et encore : « Aimons-nous les uns les autres, car l’amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. » (1 Jn 4,7).

         Le fin mot de cette connaissance que nous révèle la Bible, Ancien et Nouveau Testaments confondus, c’est que Dieu est « miséricordieux » (littéralement en hébreu « ses entrailles vibrent ») ; or, nous dit le récit, quand le Samaritain vit l’homme blessé, « il fut saisi de pitié » (en grec « ému aux entrailles »). Ce n’est pas par hasard si Luc emploie exactement la même expression pour dire l’émotion de Jésus, à la porte du village de Naïm, à la vue de la veuve conduisant son fils unique au cimetière (Lc 7)… ou pour décrire l’émotion du Père au retour du fils prodigue (Lc 15).

            Je reviens à la parabole : ce voyageur miséricordieux n’est pourtant aux yeux des Juifs qu’un Samaritain, c’est-à-dire ce qu’il y a de moins recommandable. Car Samaritains et Juifs étaient normalement ennemis : les Juifs méprisaient les Samaritains qu’ils considéraient comme hérétiques et les Samaritains, de leur côté, ne pardonnaient pas aux Juifs d’avoir détruit leur sanctuaire sur le mont Garizim (en 129 av. J.-C.). Le mépris, à vrai dire, était ancestral : au livre de Ben Sirac, on cite parmi les peuples considérés comme détestables les Samaritains, « le peuple stupide qui demeure à Sichem » (Si 50,26). Et c’est cet homme méprisé qui est déclaré par Jésus plus proche de Dieu que les dignitaires et servants du Temple (le prêtre et le lévite passés à côté du blessé sans s’arrêter). Cette émotion « jusqu’aux entrailles » (tout le contraire de la dureté des cœurs de pierre dont parlait Ézéchiel), nous dit que le Samaritain, (ce mécréant aux yeux des Judéens) est capable d’être « l’image de Dieu » ! À son niveau personnel, on voit quelle attitude Jésus lui-même a choisie, lui qui dispense sans compter compassion et guérison.       

Jésus propose donc ici un renversement de perspective : à la question « qui est mon prochain », il ne répond pas, comme on s’y attendrait, en traçant le cercle de ceux que nous devons considérer comme notre prochain. Car un cercle, aussi large soit-il pose une limite. Jésus refuse de donner une « définition » (dans « définition », il y a le mot latin « finis », limite), il en fait une affaire de cœur et non d’intellect. À ce propos, gare au vocabulaire ! À lui seul le mot « prochain » laisse entendre qu’il y a des « lointains ».

         Alors, si on demande à Jésus « Qui donc est mon prochain ? », il nous répond : À toi de décider jusqu’où tu acceptes de te faire proche. Et si l’on se pose la question : Pourquoi le Samaritain nous est-il donné en exemple ? La réponse est toute simple : parce qu’il est capable d’être saisi de pitié. À nous aussi, Jésus dit : « Va, et toi aussi, fais de même. » Sous-entendu, ce n’est pas facultatif : « Fais ainsi et tu auras la vie » avait-il dit à son interlocuteur un peu avant ; Luc répète souvent cette exigence de cohérence entre parole et actes : c’est bien beau de parler comme un livre (c’est le cas du docteur de la Loi, ici), mais cela ne suffit pas : « Ma mère et mes frères, disait Jésus, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique. » (Lc 8, 21). Et là, notre capacité d’inventer est sollicitée : si les dimensions du cercle de notre prochain dépendent de notre bon vouloir, si les considérations de catégories sociales et de convenances doivent céder le pas à la pitié (ce qui semble bien être la leçon de cette parabole), alors, il ne nous reste plus qu’à inventer l’amour sans frontières !
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

- Si la question « Quel est le plus grand commandement ? » se retrouve dans les évangiles de Matthieu et de Marc, la parabole du Bon Samaritain, en revanche, est propre à Luc. On notera également que chez Luc, c’est le docteur de la Loi qui donne lui-même la réponse « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu... et ton prochain comme toi-même. » Alors Jésus reprend : « Tu as bien répondu. Fais ainsi et tu auras la vie. »

- Il est intéressant de noter que cette présentation éminemment sympathique d’un Samaritain (Luc 10) suit de très près dans l’évangile de Luc le refus d’un village samaritain de recevoir Jésus et ses disciples en route de la Galilée vers Jérusalem (Luc 9). Ce qui semble vouloir dire que Jésus se refuse catégoriquement à tout amalgame !

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 15e dimanche du temps ordinaire (14 juillet 2019)

Partager cet article

Repost0
30 juin 2019 7 30 /06 /juin /2019 23:48

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 6 juillet 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE    66, 10-14

         

10   Réjouissez-vous avec Jérusalem !
       Exultez en elle, vous tous qui l’aimez !
       Avec elle, soyez pleins d’allégresse,
       vous tous qui la pleuriez !
11   Alors, vous serez nourris de son lait,
       rassasiés de ses consolations ;
       alors, vous goûterez avec délices
       à l’abondance de sa gloire.
12   Car le SEIGNEUR le déclare :
       « Voici que je dirige vers elle
       la paix comme un fleuve
       et, comme un torrent qui déborde,
       la gloire des nations. »
       Vous serez nourris, portés sur la hanche ;
       vous serez choyés sur ses genoux.
13   Comme un enfant que sa mère console,
       ainsi, je vous consolerai.
       Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés.
14   Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ;
       et vos os revivront comme l’herbe reverdit.
       Le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

           Quand un prophète parle autant de consolation, on peut se poser des questions ! Vous avez entendu : « De même qu'une mère console son enfant, moi-même je vous consolerai, dans Jérusalem vous serez consolés » et un peu plus haut « vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations ».

           Cela veut dire que tout allait mal et qu'on avait grand besoin d'être consolés ! Nous avons vu souvent que le prophète est celui qui, dans les moments de détresse, sait réveiller l'espoir. Car un prophète, c’est quelqu’un qui se refuse à écouter les voix découragées qui s’élèvent pour dire que Dieu lui-même ne peut rien contre la mauvaise volonté, l’instinct de puissance, les rivalités, les guerres...

           Effectivement, ce texte que nous lisons ici a été écrit dans un moment difficile : l'auteur (que nous appelons le Troisième Isaïe), est un des lointains disciples du grand Isaïe, (ses paroles ont été annexées plus tard au livre du grand prophète Isaïe). Il prêche juste au retour de l'Exil à Babylone, vers 535 av. J.-C. Les exilés sont revenus au pays, mais ce retour tant espéré s’est révélé décevant à tous les égards : Jérusalem, pour commencer, la ville bien-aimée, porte encore les cicatrices de la catastrophe de 587 (sa destruction par les armées de Nabuchodonosor). Le Temple est en ruines, une partie de la ville également. Pour le reste, ceux qui revenaient n’ont pas reçu l'accueil triomphal qu'ils avaient imaginé de loin : comme toujours dans ces circonstances, ceux qui sont partis ont bien souvent été oubliés, remplacés... surtout pour une captivité de cinquante ans !

           Voilà pourquoi, bien qu’ils soient de retour à Jérusalem, le prophète parle de deuil et de consolation.  Mais, face au découragement qui s’installe, le prophète ne se contente pas de paroles de réconfort, il ose un discours presque triomphal : « Réjouissez-vous avec Jérusalem, exultez en elle, vous tous qui l'aimez ! Avec elle soyez pleins d'allégresse, vous tous qui la pleuriez ! » On peut se demander d’où lui vient son bel optimisme ? C’est bien simple, sa foi, ou plutôt l’expérience d’Israël ! Le seul argument du peuple d’Israël, pour continuer à espérer, c’est toujours le même à toutes les époques de son histoire, c’est la présence de Dieu, la puissance de Dieu. C’est quand tout paraît perdu qu’il faut à tout prix se souvenir que rien n’est impossible à Dieu ; comme l’Ange du Seigneur l’avait dit à Abraham et Sara : « Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le SEIGNEUR ? » (Gn 18, 14) ; comme le Seigneur lui-même l’avait dit à Moïse, un jour de découragement, pendant l’Exode : « Crois-tu que j’aie le bras trop court ? » (Nb 11, 23) ; c’est une image que nous connaissons : nous entendons parfois dire qu’une personne a « le bras long » ! On retrouve à plusieurs reprises la même image dans le livre d’Isaïe ; par exemple, pendant l’Exil quand on perdait espoir d’être libérés un jour, le deuxième Isaïe l’avait employée : « Est-ce que ma main serait courte, trop courte pour affranchir ? »  (Is 50, 2).

           Plus tard, après le retour, en période de découragement, le troisième Isaïe, celui que nous lisons aujourd’hui, reprend deux fois le même discours. Au chapitre 59, il a affirmé : « Non, la main du SEIGNEUR n'est pas trop courte pour sauver, son oreille n'est pas trop dure pour entendre! » (Is 59, 1). Et dans le dernier verset de notre texte d’aujourd’hui, nous avons lu : « Le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs » ; c’est la traduction liturgique ; mais le texte hébreu dit : « Le SEIGNEUR fera connaître sa main à ses serviteurs. »

           C’est donc un appel à l’espérance, celui-là même dont ce peuple a besoin dans cette période de découragement. Dieu a libéré son peuple à maintes reprises dans le passé, il ne l’abandonnera pas. À lui seul, le mot « main » est une allusion à la sortie d’Égypte, car on aime dire que, à ce moment-là, Dieu est intervenu « à main forte et à bras étendu ».

           L’expression « Vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations » est, elle aussi, un rappel de l’Exode : au cours de sa marche au désert, le peuple avait connu la faim et la soif et cela avait été pour lui une terrible épreuve pour sa foi. Et Dieu lui a toujours procuré le nécessaire. Désormais, ce sera la surabondance : « Vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire ».

           Ce rappel de l’Exode comporte deux leçons : d’une part, Dieu nous veut libres et soutient tous nos efforts pour instaurer la justice et la liberté ; mais d’autre part, il y faut nos efforts. Le peuple est sorti d’Égypte grâce à l’intervention de Dieu, on ne l’oublie jamais, mais il a fallu marcher, et parfois péniblement, vers la terre promise. Quand Isaïe promet de la part de Dieu : « Je dirigerai vers Jérusalem la paix comme un fleuve », cela ne veut pas dire que la paix s’instaurera magiquement un beau jour ! Il y faudra une vraie volonté et un effort soutenu des hommes, on ne le sait que trop. Mais cet effort et cette volonté ne pourront se maintenir et aboutir que si nous nous raccrochons résolument à la conviction que « rien n’est impossible à Dieu ».

           Dans sa deuxième lettre, saint Pierre dit exactement la même chose : à des chrétiens qui trouvent que le royaume de Dieu se fait attendre, il répond : « Il y a une chose en tout cas que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour… Nous attendons selon sa promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habitera. » Et il ajoute : « Non, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent, mais que tous parviennent à la conversion ». Saint Pierre rappelle bien ici les deux leçons de l’Exode dont je parlais il y a un instant : premièrement, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, c’est-à-dire, accrochez-vous à la conviction de sa présence permanente et agissante à vos côtés, mais, deuxièmement, vos efforts sont indispensables, la paix, la justice, le bonheur ne s’instaureront pas un beau jour par un coup de baguette magique : « c’est pour vous qu’il patiente ». Moralité, à nous de jouer, il y a urgence !

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Compléments

- « De même qu’une mère console son enfant » (verset 13) : n’en déduisons pas que Dieu serait féminin ! Vouloir dire que Dieu est masculin ou féminin, c’est certainement un abus de langage, c’est concevoir un Dieu à notre image. Or Dieu n’est pas à notre image, c’est nous qui sommes à son image et ressemblance. Mais la tendresse du Dieu créateur est souvent comparée au frémissement des entrailles maternelles : c’est la plus belle image que l’humanité ait trouvée dans son expérience pour parler de l’amour de Dieu pour ses enfants.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20

 

1     Acclamez Dieu, toute la terre ;
2     fêtez la gloire de son nom,         
       glorifiez-le en célébrant sa louange.
3     Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

4     Toute la terre se prosterne devant toi,   
       elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
5     Venez et voyez les hauts-faits de Dieu,
       ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

6     Il changea la mer en terre ferme :          
       ils passèrent le fleuve à pied sec.                  
       De là, cette joie qu'il nous donne.
7     Il règne à jamais par sa puissance.

16   Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ;  
       je vous dirai ce qu'il a fait pour mon âme.
20   Béni soit Dieu, qui n'a pas écarté ma prière,     
       ni détourné de moi son amour !
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          Comme bien souvent, le dernier verset donne le sens du psaume tout entier : « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. » Il suffit de regarder le vocabulaire employé pour voir que ce psaume est un chant d’action de grâce : « Acclamez, fêtez, glorifiez Dieu... se prosterner, chanter, venez, écoutez... je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme. »  Très certainement, il a été composé pour accompagner des sacrifices d’action de grâce au Temple de Jérusalem. Et celui qui parle ici n’est pas un individu, c’est le peuple tout entier qui rend grâce à son Dieu.

          Ce qui est au centre de l’action de grâce d’Israël, et ce n’est pas pour nous surprendre, c’est comme toujours la libération d’Égypte ; les allusions sont particulièrement claires : « Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec ». Ou encore « Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes. » L’expression « Les hauts faits de Dieu », dans la Bible, désigne toujours la libération d’Égypte. On est frappés d’ailleurs des correspondances entre ce psaume et le cantique de Moïse après le passage de la Mer Rouge (je vous en cite quelques lignes) : « Je veux chanter le SEIGNEUR, il a fait un coup d’éclat. Cheval et cavalier, en mer il les jeta. Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR. Il a été pour moi le salut. C’est lui mon Dieu, je le louerai ; le Dieu de mon père, je l’exalterai... Qui est comme toi parmi les dieux ? Qui est comme toi, éclatant de sainteté, redoutable en ses exploits ? Opérant des merveilles ? » (Ex 15).

          Depuis cette délivrance première, toute l’histoire d’Israël est éclairée par cet événement fondamental : Dieu veut des hommes libres et son œuvre au milieu de son peuple n’a pas d’autre but. Et donc, quand tout va mal, on est sûrs que Dieu interviendra pour nous libérer ! C’est bien le sens du chapitre 66 d’Isaïe que nous lisons ce dimanche en première lecture : à une époque très noire de l’histoire de Jérusalem, Isaïe disait : Dieu vous consolera ! Le prophète écrivait au sixième siècle av. J.-C. après le retour de l’Exil à Babylone ; peut-être notre psaume d’aujourd’hui a-t-il été composé à la même époque, une fois le Temple restauré ? En tout cas, le cadre est le même : notre psaume, par hypothèse, est écrit pour être chanté au Temple de Jérusalem et les fidèles qui affluent pour le pèlerinage préfigurent l’humanité tout entière qui montera à Jérusalem à la fin des temps. Le texte d’Isaïe annonce justement la Jérusalem nouvelle où afflueront toutes les nations : « Je dirigerai vers Jérusalem la paix comme un fleuve et la gloire des nations comme un torrent qui déborde » disait Isaïe ; le psaume répond : « Acclamez Dieu toute la terre »... et encore « Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. » Ce sera jour de joie et d’allégresse, nous dit Isaïe.

          La joie promise est bien le thème majeur de ces deux textes : quand les temps sont durs, il est vital de se rappeler que Dieu ne veut rien d’autre que la joie de l’homme et qu’un jour la joie envahira toute la terre, toute l’humanité ! Une joie débordante, exultante et pourtant bien concrète, réaliste, enracinée dans nos besoins les plus élémentaires : être nourris, rassasiés, consolés, bercés... Isaïe disait : « Vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations... Vous serez comme des nourrissons que l’on porte sur son bras... » ; le psaume 65/66 répond en écho : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu ; je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme (c’est-à-dire pour moi). Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. »

         Dernière remarque : ces deux textes, celui du prophète et celui du psalmiste, baignent bien dans la même atmosphère, mais ils ne sont pas sur le même registre : le prophète exprime la Révélation de Dieu, alors que le psaume est la prière de l’homme.

         Quand c’est Dieu qui parle, (par la bouche du prophète) il ne s’occupe que de la gloire et du bonheur de Jérusalem ; c’est Dieu qui agit, bien sûr, le prophète le dit clairement : « Moi-même je vous consolerai », mais Dieu ne se préoccupe que de la joie de son peuple (représenté par la Ville sainte). « Réjouissez-vous à cause de Jérusalem, exultez à cause d’elle, vous tous qui l’aimez ! »

         Réciproquement, quand c’est le peuple qui parle, (par la bouche du psalmiste), il ne s’y trompe pas et rend à Dieu la gloire qui lui revient à lui seul : « Acclamez Dieu, toute la terre, fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : Que tes actions sont redoutables ! Toute la terre se prosterne pour toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes. » Notons au passage que le mot « redoutables » fait partie du vocabulaire royal ; c’est le règne de Dieu qui est dit là. Un règne qui est celui de l’amour : le psaume se termine précisément par ce mot-là et c’est Israël tout entier encore qui parle ici : « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. »

         Belle manière de dire que c’est l’amour qui aura le dernier mot !
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX GALATES       6, 14-18

 

            Frères,
14        pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ
            reste ma seule fierté.
            Par elle, le monde est crucifié pour moi,
            et moi pour le monde.
15        Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis,
            c’est d’être une création nouvelle.
16        Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie
            et pour l’Israël de Dieu,
            paix et miséricorde.
17        Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter,
            car je porte dans mon corps
            les marques des souffrances de Jésus.
18        Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ
            soit avec votre esprit. Amen.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

        Je reprends la première phrase : « Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil. » Cette insistance sur le mot « seul » laisse deviner qu’il y a un problème. Effectivement, Paul avait commencé sa lettre aux Galates par un reproche sévère : « J’admire avec quelle rapidité vous vous détournez de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un autre Évangile ». Et il expliquait : « Il y a des gens qui jettent le trouble parmi vous et qui veulent renverser l’Évangile du Christ ». Ceux qui jetaient le trouble parmi les chrétiens de Galatie, c’étaient des Juifs devenus chrétiens (des judéo-chrétiens) qui voulaient obliger tous les membres de leurs communautés à pratiquer toutes les règles de la religion juive, y compris la circoncision.

         Paul écrit alors à ces communautés pour les mettre en garde ; (aux yeux de Paul) ce qui se cache derrière cette discussion pour ou contre la circoncision, c’est une véritable hérésie : c’est la foi au Christ, et elle seule qui nous sauve, la foi au Christ concrétisée par le Baptême ; imposer la circoncision reviendrait à le nier, à laisser entendre que la croix du Christ ne suffit pas. Ce sont des « faux frères » dit Paul, ces gens qui peuvent soutenir des thèses pareilles.

         Il rappelle aux Galates que leur seule fierté est la croix du Christ. Mais, pour comprendre Paul, il faut bien préciser que, pour lui, la croix n’est pas un objet, pas même un objet de vénération... c’est un événement. Quand Paul parle de la croix du Christ, il ne se livre pas à une contemplation de ses douleurs, au rappel de ses souffrances ; pour lui, la croix du Christ est un événement historique, c’est même l’événement central de l’histoire du monde, l’événement qui a opéré une fois pour toutes la réconciliation entre Dieu et l’humanité d’une part, la réconciliation entre les hommes, d’autre part.

         Quand Paul dit « Par la croix du Christ, le monde est crucifié pour moi », je crois que la formule « par la croix » signifie « depuis l’événement de la croix » et « le monde est à jamais crucifié » signifie « le monde est définitivement transformé ».

          C’est un événement décisif : plus rien ne sera jamais comme avant. Comme le dit la lettre aux Colossiens : « Il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude et de tout réconcilier par lui et pour lui et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix. » (Col 1, 19-20).

         La preuve que la croix est l’événement décisif de l’histoire du monde, c’est que la mort est vaincue pour la première fois : Christ est ressuscité. Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul dit : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi est votre foi ». Pour Paul, la croix et la Résurrection sont indissociables : il s’agit d’un seul et même événement.

         Par la croix est née la « création nouvelle » par opposition au « monde ancien ». Au début de cette même lettre aux Galates, il dit : « À vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ, qui s’est livré pour nos péchés, afin de nous arracher à ce monde mauvais... » Et cette expression « à vous grâce et paix » ce n’est pas une formule toute faite ! Réellement grâce et paix sont acquises désormais aux chrétiens, c’est cela que Paul veut dire.

         Tout au long de cette lettre, il a opposé le régime ancien qui était le régime de la loi et le régime nouveau qui est celui de la foi ; la vie selon la chair et la vie selon l’esprit ; l’esclavage ancien et notre liberté acquise par Jésus-Christ ; désormais, par la foi, par notre adhésion à Jésus-Christ, nous sommes des hommes libres de vivre selon l’Esprit.

         Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il dit quelque chose d’analogue : « Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né ». Le monde ancien, c’est le monde en guerre, l’humanité en révolte contre Dieu, le monde qui soupçonne Dieu de ne pas être amour et bienveillance ; du coup il désobéit aux commandements de Dieu et ce sont les rivalités entre les hommes, les guerres, les luttes pour le pouvoir ou pour l’argent. La création nouvelle, au contraire, c’est l’obéissance du Fils, sa confiance jusqu’au bout, son pardon pour ses bourreaux, sa joue tendue à ceux qui lui arrachent la barbe, comme dit Isaïe. La Passion du Christ a été un paroxysme de haine et d’injustice commis au nom de Dieu ; le Christ en a fait un paroxysme de non-violence, de douceur, de pardon. Et nous, à notre tour, parce que nous sommes greffés sur le Fils, nous sommes rendus capables de la même obéissance, du même amour : capables d’abandonner le mode de vie selon le monde, pour choisir le mode de vie selon le Christ. Ce retournement extraordinaire qui est l’œuvre de l’Esprit de Dieu inspire à Paul une formule particulièrement frappante : « Par la croix, le monde est crucifié pour moi, et moi, pour le monde. » Traduisez « la manière de vivre selon le monde est abolie, désormais, nous vivons selon l’Esprit ». Une telle transformation est bien un sujet de fierté pour les chrétiens : réellement, comme dit Paul « la croix de notre Seigneur Jésus Christ est notre seule fierté ». C’est bien la raison d’être des crucifix qui ornent les murs de nos maisons ou de nos églises.

         Pour cette annonce de la croix du Christ, Paul a déjà payé de sa personne. Quand il dit que désormais nous sommes dans la grâce et la paix, cela ne veut pas dire que tout ira forcément tout seul ! Logiquement, si nous annonçons vraiment l’Évangile, nous devrions rencontrer des oppositions semblables à celles que le Christ a rencontrées et que Paul rencontre à son tour. Quand il dit « je porte dans mon corps la marque des souffrances de Jésus », il fait certainement allusion aux persécutions qu’il a lui-même subies pour avoir annoncé l’Évangile. Chaque fois que nous faisons le signe de la croix, nous manifestons que nous sommes dans cette création nouvelle où toute parole est dite, où tout geste est accompli au nom du Père et du Fils et de l’Esprit ; et en même temps nous nous engageons à témoigner de la transformation que l’Esprit d’amour est seul capable d’opérer.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Complément

- On peut se demander si notre proclamation de l'Évangile est vraiment conforme, si elle n'est pas un peu édulcorée, un peu trop conforme à l'esprit du monde, quand elle ne rencontre plus aucune opposition ...?
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC       10, 1... 20

 
                                En ce temps-là,
              parmi les disciples,
1            le Seigneur en désigna encore soixante-douze,
              et il les envoya deux par deux, en avant de lui,
              en toute ville et localité
              où lui-même allait se rendre.
2            Il leur dit :
              « La moisson est abondante,
              mais les ouvriers sont peu nombreux.
              Priez donc le maître de la moisson
              d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
3            Allez ! Voici que je vous envoie
              comme des agneaux au milieu des loups.
4            Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales,
              et ne saluez personne en chemin.
5            Mais dans toute maison où vous entrerez,
              dites d’abord :
              ‘Paix à cette maison.’
6            S’il y a là un ami de la paix,
              votre paix ira reposer sur lui ;
              sinon, elle reviendra sur vous.
7            Restez dans cette maison,
              mangeant et buvant ce que l’on vous sert ;
              car l’ouvrier mérite son salaire.
              Ne passez pas de maison en maison.
8            Dans toute ville où vous entrerez
              et où vous serez accueillis,
              mangez ce qui vous est présenté.
9            Guérissez les malades qui s’y trouvent
              et dites-leur :
              ‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ »
10          Mais dans toute ville où vous entrerez
              et où vous ne serez pas accueillis,
              allez sur les places et dites :
11          ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds,
              nous l’enlevons pour vous la laisser.
              Toutefois, sachez-le :
              le règne de Dieu s’est approché.’
12          Je vous le déclare :
              au dernier jour,
              Sodome sera mieux traitée que cette ville. »

17          Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux,
              en disant :
              « Seigneur, même les démons
              nous sont soumis en ton nom. »
18          Jésus leur dit :
              « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
19          Voici que je vous ai donné le pouvoir
              d’écraser serpents et scorpions,
              et sur toute la puissance de l’Ennemi :
              absolument rien ne pourra vous nuire.
20          Toutefois, ne vous réjouissez pas
              parce que les esprits vous sont soumis ;
              mais réjouissez-vous
              parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          Cet évangile suit immédiatement celui de dimanche dernier : nous avions vu Jésus aux prises avec les arrachements que sa mission a exigés de lui : accepter l’insécurité, sans avoir rien pour reposer la tête, laisser les morts enterrer leurs morts, c’est-à-dire savoir faire des choix crucifiants, mettre la main à la charrue sans regarder en arrière, accepter d’affronter la mort en prenant résolument le chemin de Jérusalem. On devine les tentations qui se profilent à chaque fois derrière les décisions qu’il a dû prendre. Luc nous le montre sur la route de Jérusalem : Jésus a surmonté pour son propre compte toutes les tentations ; le prince de ce monde est déjà vaincu.

         Il lui reste à transmettre le flambeau : il envoie ses disciples en mission à leur tour. Il est urgent de les préparer puisque son départ à lui approche. Et il leur donne tous les conseils nécessaires pour les préparer à affronter les tentations qu’il connaît bien : eux aussi seront affrontés aux mêmes tentations.

         Eux aussi connaîtront le refus : comme Jésus avait essuyé le refus d’un village de Samarie, ils doivent se préparer à essuyer des refus ; mais que cela ne les arrête pas. Quand ils devront quitter un village, qu’ils disent quand même en partant le message pour lequel ils étaient venus : « Sachez-le : le règne de Dieu est tout proche. » Mais pour bien montrer que leur démarche était totalement désintéressée, et que les bénéficiaires du message restent toujours libres de le refuser, ils ajouteront : « Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. »

         Eux aussi connaîtront la haine : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Ils devront quand même inlassablement annoncer et apporter la paix : « Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord Paix à cette maison. S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui. » Il faut à tout prix croire à la contagion de la paix : quand nous souhaitons vraiment de tout cœur la paix à quelqu’un, réellement la paix grandit. On le sait d’expérience. Encore faut-il que notre interlocuteur soit lui aussi ami de la paix ; s’il ne l’est pas, Jésus leur dit « Secouez la poussière de vos pieds », c’est-à-dire ne vous laissez pas alourdir par les échecs, les refus... Que rien ne vous fasse « traîner les pieds », en quelque sorte !

         Eux aussi connaîtront l’insécurité : Jésus, lui-même, n’avait « pas d’endroit où reposer la tête » ; si l’on comprend bien, il en sera de même de ses disciples : « N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales. »

         Eux aussi devront apprendre à vivre au jour le jour sans se soucier du lendemain, se contentant de « manger et boire ce qu’on leur servira », tout comme le peuple au désert ne pouvait ramasser la manne que pour le jour même.

         Eux aussi auront des choix à faire, parfois crucifiants, à cause de l’urgence de la mission : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu » (Lc 9, 60) était une phrase exigeante pour dire que les devoirs les plus sacrés à nos yeux s’effacent devant l’urgence du Royaume de Dieu. « Ne saluez personne en chemin » est une phrase du même ordre : pour ses disciples qui étaient des orientaux, les longues salutations étaient un véritable devoir.

         Eux aussi devront résister à la tentation du succès : « Ne passez pas de maison en maison. »

         Eux aussi devront apprendre à souhaiter transmettre le flambeau à leur tour : la mission est trop grave, trop précieuse, pour qu’on l’accapare : elle ne nous appartient pas ; car l’une des tentations les plus subtiles est sans doute de ne pas souhaiter vraiment d’autres ouvriers à nos côtés. « Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson » : il ne s’agit pas d’instruire Dieu de quelque chose qu’il ne saurait pas, à savoir que nous avons besoin d’aide. Il le sait mieux que nous ! Il s’agit pour nous, en priant, de nous laisser éclairer par Lui. La prière ne vise jamais à informer Dieu : ce serait bien prétentieux de notre part ! Elle nous prépare à nous laisser transformer, nous.

         Dernière tentation : la gloriole de nos réussites. « Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux » : il faut croire que, de tout temps, le vedettariat guette les disciples : les véritables apôtres ne sont peut-être pas forcément les plus célèbres.

         On peut penser que les soixante-douze disciples ont surmonté toutes ces tentations puisque, à leur retour, Jésus pourra leur dire : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. » Jésus qui entreprend sa dernière marche vers Jérusalem puise là certainement un grand réconfort ; puisque aussitôt après Luc nous dit « À l’instant même, il exulta sous l’inspiration de l’Esprit Saint et dit : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 14e dimanche du temps ordinaire (7 juillet 2019)

Partager cet article

Repost0
29 juin 2019 6 29 /06 /juin /2019 13:18

Exceptionnellement, il s'agit ici des commentaires d'une solennité fêtée un samedi, en 2019. J'ai trouvé ces commentaires en vidéo, sur KTO-TV, mais ni sous forme audio, ni sous forme écrite.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, solennité des saints Pierre et Paul (29 juin 2019)

Partager cet article

Repost0
16 juin 2019 7 16 /06 /juin /2019 17:46

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 22 juin 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE LA GENÈSE  14, 18-20

 

       En ces jours-là,
18   Melkisédek, roi de Salem,
       fit apporter du pain et du vin :
       il était prêtre du Dieu très-haut.
19   Il bénit Abram en disant :
       « Béni soit Abram par le Dieu très-haut,
       qui a fait le ciel et la terre ;
20   et béni soit le Dieu très-haut,
       qui a livré tes ennemis entre tes mains. »
       Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

            Melchisédech est nommé deux fois seulement dans l'Ancien Testament, ici dans le livre de la Genèse et dans le psaume 109/110 que nous lisons également ce dimanche. Deux fois, c'est peu, mais, curieusement, ce personnage devait jouer plus tard un grand rôle dans l'esprit de ceux qui attendaient le Messie et, un rôle bien plus grand encore chez les chrétiens. La preuve, il est même cité dans une prière eucharistique !  Il nous intéresse donc au plus haut point.

            Nous savons qu’Abraham revenait d’une expédition victorieuse quand il a rencontré Melchisédech. À vrai dire, les festivités après une victoire militaire étaient certainement chose courante et la Bible nous les raconte rarement. Pourquoi celle-ci nous est-elle racontée ? Certainement parce que plus tard, peut-être même très longtemps après les événements, on a trouvé à cette histoire un intérêt particulier.

            Je commence par vous rappeler l’histoire :    une guerre vient d’éclater dans la région ; deux petites coalitions s’affrontent, cinq rois d’un côté, quatre de l’autre. Chacun des belligérants s’est évidemment entouré pour la bataille du meilleur de ses troupes. Le roi de Sodome fait partie des combattants. Précisons tout de suite que ni Melchisédech ni Abraham ne sont directement concernés au début.

          Mais les choses vont changer : à l’issue de la bataille, le roi de Sodome est vaincu ; or, parmi ses sujets, il y avait Lot, le neveu d’Abraham, qui est fait prisonnier. Abraham, prévenu, vole au secours de son neveu et délivre Lot et en même temps le roi de Sodome et ses sujets. Conformément aux usages de l’époque, le roi de Sodome va désormais devenir allié d’Abraham.

          C’est alors qu’intervient Melchisédech dont le nom signifie « roi de justice » : probablement pour un repas d’Alliance, mais l’auteur de notre texte ne le précise pas, car, à partir de ce moment, il change de sujet : il focalise son récit sur le personnage de Melchisédech et sa relation avec Abraham.

Et que nous dit-il de Melchisédech ? Des choses assez inhabituelles dans la Bible :

Premièrement, il n’a pas de généalogie ; deuxièmement, il est à la fois roi et prêtre, alors que pendant de nombreux siècles de l’histoire d’Israël, c’est une chose qui ne devait pas se produire ; troisièmement, il est roi de Salem : on pense qu’il s’agit peut-être de la ville qui sera plus tard Jérusalem quand David l’aura conquise pour en faire sa capitale ; quatrièmement, l’offrande apportée par Melchisédech se compose de pain et de vin et non pas d’animaux comme le sacrifice qu’offrira Abraham et qui nous sera raconté au chapitre 15 ; cinquièmement, Melchisédech bénit le Dieu très-Haut et bénit Abraham en son nom ; enfin, sixièmement, Abraham verse la dîme (c’est-à-dire le dixième de son butin de guerre) à Melchisédech ; cela signifie qu’il reconnaît son sacerdoce.

          Toutes ces précisions ont certainement un grand intérêt pour notre auteur qui s’attache visiblement aux relations entre le pouvoir royal et le sacerdoce : par exemple, c’est la première fois que le mot « prêtre » apparaît dans la Bible ; et, clairement, Melchisédech a toutes les caractéristiques des prêtres puisqu’il offre un sacrifice, qu’il prononce une bénédiction de la part du « Dieu Très-Haut qui crée ciel et terre » et qu’Abraham lui offre la dîme, c’est-à-dire le dixième de ses biens.

          On notera le silence absolu du texte sur les origines de Melchisédech : alors que, généralement, la Bible attache une très grande importance à la généalogie, surtout celle des prêtres, ce prêtre-là, Melchisédech, le premier de la liste, nous ne savons rien de lui... comme s'il était hors du temps...

          Voici donc un prêtre reconnu comme tel ; cela veut dire qu’il existait un sacerdoce bien avant l’institution légale du sacerdoce dans la loi juive, avant qu’on ne décide que tous les prêtres devaient être pris dans la tribu de Lévi, lequel est le fils de Jacob et donc l’arrière petit-fils d’Abraham. À certaines époques, quand on était mécontent du pouvoir des prêtres, on était peut-être bien content de leur rappeler qu’il peut y avoir des prêtres qui ne descendent pas de Lévi, c’est ce qu’on appelait  « être prêtre selon l’ordre de Melchisédech » (c’est-à-dire à la manière de Melchisédech).

          Actuellement, aucun exégète ne sait dire de façon certaine ni par qui, ni quand ni dans quel but ce texte a été écrit. S’agissait-il de légitimer un sacerdoce différent, et lequel ? Ce texte pourrait dater de l’époque où la dynastie de David semblait éteinte à tout jamais et où l’on a commencé à entrevoir un Messie différent : non plus un roi descendant de David, mais un prêtre, capable d’apporter aux descendants d’Abraham la bénédiction du Dieu Très-Haut. On comprend alors ses titres : « roi de justice et roi de paix ».

          Plus tard, je vous le disais en commençant, le personnage de Melchisédech a été considéré comme un ancêtre du Messie. Nous le verrons mieux dans le psaume 109/110 que cette même fête du Corps et du Sang du Christ nous propose.

          Enfin, on ne se privera pas dans l'avenir de faire remarquer qu'Abraham n'était pas encore circoncis quand il a été béni par Melchisédech : puisque le rite de la circoncision ne sera donné à Abraham que plus tard, d'après le livre de la Genèse. Les Chrétiens, en particulier, en déduiront qu'il n'est pas nécessaire d'être circoncis pour être béni de Dieu. (On se souvient que c'était une question qui se posait dans les premières communautés chrétiennes composées de Juifs circoncis et de non-Juifs).

          Bien sûr, une offrande de pain et de vin, scellant un repas d'Alliance, offerte par les mains du roi de justice et de paix, vrai roi, vrai prêtre du Dieu Très-Haut... nous, chrétiens, nous y reconnaissons le geste du Christ : et nous y découvrons la continuité du projet de Dieu. À chaque Eucharistie, nous refaisons le geste de Melchisédech accompagnant l'offrande de pain et de vin des mots « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui donnes ce pain et ce vin… »

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Compléments 

          - Nous sommes au chapitre 14 du livre de la Genèse : le Dieu de Melchisédech s’appelle le Dieu Très-haut, exactement comme le Dieu d’Abraham. Mais les chapitres 12-13 et 15 qui sont des chapitres majeurs de l’histoire d’Abraham n’emploient pas le même nom de Dieu ! Ils l’appellent « le SEIGNEUR » (c’est-à-dire le tétragramme YHVH). Le chapitre 14 est-il donc d’une autre venue que les chapitres qui l’entourent ?

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  109 (110),  1 - 4

 

1     Oracle du SEIGNEUR à mon seigneur :          
       « Siège à ma droite,
       et je ferai de tes ennemis
       le marchepied de ton trône. »

2     De Sion, le SEIGNEUR te présente     
       le sceptre de ta force :    
       « Domine jusqu'au cœur de l'ennemi. »     

3     Le jour où paraît ta puissance,   
       tu es prince, éblouissant de sainteté :    
       « Comme la rosée qui naît de l'aurore,
       je t'ai engendré. »

4     Le SEIGNEUR l'a juré
       dans un serment irrévocable :    
       « Tu es prêtre à jamais    
        selon l'ordre du roi Melkisédek. »

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          Certaines de ces phrases sont adressées au nouveau roi de Jérusalem le jour de son sacre ; je commence donc par vous raconter la cérémonie du sacre ; ce rituel s’explique si l’on sait que, en filigrane, derrière toute cérémonie de sacre d’un roi à Jérusalem se profilait l’attente du Messie : Dieu, rappelez-vous, a promis à David que sa dynastie serait éternelle, et depuis cette promesse, on attend le roi idéal qui ne manquera pas de venir, celui qu’on appelle le Messie. À chaque sacre d’un nouveau roi, à Jérusalem, donc, on espérait qu’il serait ce Messie attendu.

          La cérémonie se déroulait en deux temps, au temple de Jérusalem, d’abord, puis à l’intérieur du palais royal dans la salle du trône.

          Au Temple, d’abord : le roi arrive, escorté de la garde royale ; puis un prophète pose le diadème sur sa tête (le terme technique, c’est il lui « impose » le diadème). Il lui remet également un rouleau (qu’on appelle « les témoignages ») et qui est la charte de l’Alliance conclue par Dieu avec la descendance de David ; cette charte contient des formules qui s’appliquent à chaque roi : « Tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré »... et encore « Demande-moi et je te donnerai les nations comme héritage » : cette charte lui fait également connaître son nouveau nom (cf Isaïe 9,5). Toujours au Temple, le prêtre lui confère « l’onction ». La cérémonie au Temple s’achève par une acclamation, une clameur immense qu’on appelle la « Terouah » : tous ceux qui assistent à la cérémonie crient « un tel est roi » dans un concert d’applaudissements, au son du cor et des trompettes. La « Terouah », en réalité, c’est un cri de guerre qui s’est transformé en ovation pour le nouveau roi : c’est le roi-chef de guerre qu’on acclame.

          Puis on se rend en cortège, ou plutôt en procession au Palais. Le cortège pousse des clameurs « à fendre la terre » comme on dit. Au passage, le roi s’arrêtera pour boire à une source, symbole de la vie nouvelle qui lui est donnée et de la force dont il est revêtu désormais pour triompher de ses ennemis. Au Palais, dans la salle du trône, se déroule la deuxième partie de la cérémonie : le cortège royal, venant du Temple, pénètre dans la salle du trône. Le psaume d’aujourd’hui commence ici : le prophète prend la parole au nom de Dieu, en employant la formule solennelle : « Oracle du SEIGNEUR » ; il invite le nouveau roi à gravir les marches du trône et à s’asseoir. Dans la Bible, on rencontre l’expression « s’asseoir sur le trône des rois » qui signifie « régner ». Sur les marches du trône, sont sculptés ou gravés des guerriers ennemis enchaînés : donc, en gravissant les marches, le roi posera le pied sur la nuque de ces soldats ; ce geste de victoire est le présage de ses victoires futures ; c’est le sens de la première strophe : « Oracle du SEIGNEUR à mon seigneur » (il faut lire « parole de Dieu pour le nouveau roi ») : « Siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis le marchepied de ton trône ».

          Reste l’expression « à ma droite »... or c’est Dieu qui parle par la bouche du prophète : au départ, cela correspond à une donnée très concrète, topographique : à Jérusalem, le palais de Salomon est situé au sud du temple (donc à droite du temple, si vous êtes tournés vers l’est) ; tout s’explique : Dieu trône invisiblement au-dessus de l’Arche dans le Temple et le roi siégeant sur son trône sera donc à sa droite. Puis le prophète remet le sceptre au nouveau roi ; et c’est la deuxième strophe : « De Sion, le SEIGNEUR te présente le sceptre de ta force ; domine jusqu’au cœur de l’ennemi ». Cette remise du sceptre est symbolique de la mission confiée au roi. Il dominera ses ennemis, pour protéger son peuple.

          Désormais il s’inscrit dans la longue chaîne des rois descendants de David : il est à son tour porteur de la promesse faite à David ; on n’oublie pas qu’il n’est qu’un homme mortel, mais il devient porteur d’un destin éternel parce que le projet de Dieu est éternel. C’est probablement le sens de la strophe suivante, un peu obscure : « Le jour où paraît ta puissance » (c’est-à-dire le jour du sacre) « tu es prince, éblouissant de sainteté » (tu es revêtu de la sainteté de Dieu et donc de son immortalité)... « Comme la rosée qui naît de l’aurore, je t’ai engendré » : manière de dire qu’il est prévu par Dieu depuis l’aurore du monde. Le roi homme reste mortel mais, dans la foi d’Israël, la lignée de David, prévue de toute éternité, est immortelle.

          Dans le même sens, la strophe suivante emploie l’expression « à jamais » : « Tu es prêtre à jamais »... le roi futur (c’est-à-dire le Messie) sera donc à la fois roi et prêtre comme l’était Melchisédech ; il sera prêtre, c’est-à-dire médiateur entre Dieu et son peuple. On a ici la preuve que, dans les derniers siècles de l’histoire biblique, on pensait que le Messie serait prêtre. Enfin le psaume précise : prêtre « selon l’ordre de Melchisédech » ; c’est qu’il y avait réellement un problème : on ne peut pas être prêtre si on ne descend pas de Lévi ; c’est la Loi ; mais comment concilier cette Loi avec la promesse que le Messie sera un roi descendant  de David, qui, est de la tribu de Juda et non de Lévi ? Le psaume 109/110 donne la réponse : il sera prêtre, oui, mais à la manière de Melchisédech, ce roi de Salem, à la fois roi et prêtre bien avant que n’existe la tribu de Lévi.

          Soit dit en passant, le psaume 109/110 raconte un sacre, mais cela ne veut pas dire qu’il ait été chanté pour un sacre réel : ce qui est sûr, c’est qu’il a été chanté à Jérusalem, pendant la fameuse fête des Tentes pour rappeler les promesses messianiques de Dieu. En évoquant une scène d’intronisation, ce sont ces promesses, en réalité, qu’on évoque pour maintenir l’espérance du peuple.

          En relisant ce psaume, le Nouveau Testament y a découvert une profondeur nouvelle : Jésus-Christ est bien ce prêtre « à jamais », conçu de toute éternité, médiateur de l’Alliance définitive, et surtout il  est victorieux du pire ennemi de l’homme, la mort, par sa résurrection. Saint Paul le dit dans la première lettre aux Corinthiens : « Le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds. »

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

On peut reconstituer le déroulement du sacre des rois à partir des descriptions qu'en donnent plusieurs livres de la Bible, en particulier les livres des Rois et des Chroniques, à propos des sacres de Salomon et de Joas.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS   11, 23-26

 

       Frères
 23  j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur,
       et je vous l’ai transmis :
       la nuit où il était livré,
       le Seigneur Jésus prit du pain,
24   puis, ayant rendu grâce,
       il le rompit, et dit :
       « Ceci est mon corps, qui est pour vous.
       Faites cela en mémoire de moi. »
25   Après le repas, il fit de même avec la coupe,
       en disant :
       « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang.
       Chaque fois que vous en boirez,
       Faites cela en mémoire de moi. »
26    Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain
       et que vous buvez cette coupe,
       vous proclamez la mort du Seigneur,
       jusqu’à ce qu’il vienne.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          « Je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition. » Saint Paul nous dit ici le véritable sens du mot « tradition » : non pas seulement une habitude qu’il faut respecter, mais un dépôt précieux que nous nous transmettons fidèlement de génération en génération... Si nous sommes croyants aujourd’hui, c’est parce que depuis deux mille ans, les Chrétiens, à toute époque, ont fidèlement transmis le trésor qu’ils portaient ; comme dans une course de relais, on se transmet ce qu’on appelle le « témoin ». Et si la transmission est fidèle, on peut dire que la tradition nous vient du Seigneur : « Je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur ». Quand nous transmettons à notre tour le dépôt précieux de la foi, nous avons le devoir de vérifier qu’il vient bien du Seigneur et non pas de nos petites idées personnelles.

          C’est cette transmission fidèle qui construit progressivement le Corps du Christ au long de l’histoire de l’humanité ; cette transmission n’est pas un savoir intellectuel, elle est l’entrée dans le mystère du Christ et notre fidélité se mesure à notre manière de vivre : or justement, Paul s’inquiète des mauvaises habitudes que sont en train de prendre les Corinthiens ; et les quelques versets que nous lisons ici s’inscrivent dans un chapitre où il leur rappelle les exigences de la vie fraternelle. « Je n’ai pas à vous féliciter : lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions... » On peut se demander ce qu’il dirait aujourd’hui en voyant tant de schismes et de divisions parmi les chrétiens du vingt-et-unième siècle ? Pour lui l’exigence de vivre en communion les uns avec les autres découle directement du mystère de l’Eucharistie.

          « La nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain » : Paul fait un lien direct entre la passion du Christ et ce geste ; « il était livré » : là Jésus est passif, il est le jouet d’une trahison, de l’incompréhension, de la haine des hommes... il est livré entre nos mains... Dans les phrases suivantes « il prit du pain... il rendit grâce, il le rompit, il dit... », au contraire, il est actif, il prend l’initiative, il donne un sens à tout ce qui va se passer : il retourne la situation ; de cette conduite de malheur, il va faire le geste suprême de l’Alliance entre Dieu et les hommes. Et, là, on entend en écho la phrase de Jésus lui-même rapportée par saint Jean : « Ma vie, on ne me la prend pas, je la donne » (Jn 10,18). De ce contexte de haine et d’aveuglement, il va faire le lieu de l’amour et du partage : « mon corps est pour vous » ; « cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang »...Voilà ce qu’est le « pardon » au vrai sens du terme : le don parfait, au  sens de parachevé, par-delà la haine... Et par là même, il montre la puissance de l’amour, qui est seul capable de transformer des conduites de mort en source de vie. Seul le pardon est capable de ce miracle. « Il est vraiment grand le mystère de la foi » comme nous le disons à chaque Eucharistie.

          Quand il lit le mystère de la foi à ce niveau-là, Paul ne peut qu’être scandalisé de l’écart entre la profondeur de ce mystère et la mesquinerie de la conduite des Corinthiens. Je vous rappelle le reproche que leur faisait Paul : « Quand vous vous réunissez en commun, ce n’est pas le repas du Seigneur que vous prenez. Car, au moment de manger, chacun se hâte de prendre son propre repas, en sorte que l’un a faim, tandis que l’autre est ivre. » (1 Co 11, 20). On ne s’étonne pas que ce texte nous soit proposé justement le jour de la fête du Corps du Christ : nous sommes aujourd’hui ce Corps du Christ en train de grandir.

          « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur. » Nous proclamons sa mort : c’est-à-dire que nous proclamons son témoignage d’amour jusqu’au bout ; comme le dit la très belle prière eucharistique de la Réconciliation, nous proclamons que « ses deux bras étendus dessinent entre ciel et terre le signe indélébile de l’Alliance » (entre Dieu et l’humanité). Quand nous « proclamons sa mort », nous nous engageons donc résolument dans la grande œuvre de réconciliation et d’Alliance inaugurée par Jésus.

          Saint Paul termine par cette phrase : « Vous proclamez sa mort jusqu’à ce qu’il vienne ». Ce « jusque-là » dit notre impatience. Le peuple chrétien est tendu vers la venue du Christ ; nous sommes le peuple de l’attente. Cette attente, nous la disons à chaque Eucharistie : « Viens, Seigneur Jésus », c’est la dernière phrase de l’acclamation après la Consécration. Mais aussi dans le Notre Père : « Que ton règne vienne ». Et si Jésus nous invite à redire si souvent cette prière, c’est pour nous éduquer à l’espérance : pour que nous devenions des impatients de son Règne, de sa venue.

          Dernière remarque : Paul dit « jusqu’à ce qu’il vienne » et non pas « jusqu’à ce qu’il revienne ». Nous n’attendons pas le retour du Christ comme s’il était parti quelque part loin de nous et qu’il devait revenir. Il n’est pas parti quelque part loin de nous ! Il est avec nous « tous les jours jusqu’à la fin des temps » comme il nous l’a promis (Mt 28, 20). Mais nous attendons sa VENUE au sens où l’on dit « Le Dieu qui est, qui était et qui vient » : il ne cesse de venir au sens où sa Présence agissante accomplit peu à peu le grand projet prévu dès avant la création du monde, pour peu que nous acceptions d’y collaborer.

          Le dernier mot de la Bible, dans l’Apocalypse, c’est justement « Viens, Seigneur Jésus ». Le début du livre de la Genèse nous disait la vocation de l’humanité appelée à être l’image et la ressemblance de Dieu, donc destinée à vivre d’amour, de dialogue, de partage comme Dieu lui-même dans sa Trinité. Le dernier mot de la Bible nous dit que le projet se réalise en Jésus-Christ. Quand nous disons « Viens Seigneur Jésus », nous appelons de toutes nos forces le jour où il nous rassemblera tous des quatre coins du monde pour ne faire qu'un seul Corps.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC   9, 11-17

 

       En ce temps-là,
11   Jésus parlait aux foules du règne de Dieu,
       et guérissait ceux qui en avaient besoin.
12   Le jour commençait à baisser.
       Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent :
       « Renvoie cette foule :
       qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs
       afin d’y loger et de trouver des vivres ;
       ici nous sommes dans un endroit désert. »
13   Mais il leur dit :
       « Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
       Ils répondirent :
       « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons.
       À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture
       pour tout ce peuple. »
14   Il y avait environ cinq mille hommes.
       Jésus dit à ses disciples :
       « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. »
15   Ils exécutèrent cette demande
       et firent asseoir tout le monde.
16   Jésus prit les cinq pains et les deux poissons,
       et, levant les yeux au ciel,
       il prononça la bénédiction sur eux,
       les rompit
       et les donna à ses disciples
       pour qu’ils les distribuent à la foule.
17   Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ;
       puis on ramassa les morceaux qui leur restaient :
       cela faisait douze paniers.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          Pour la fête du Corps et du Sang du Christ, nous lisons un récit de miracle et plus exactement de multiplication des pains : ce choix peut nous surprendre ; Corps et du Sang du Christ, nous pensons aussitôt à l’Eucharistie... et, à première vue, quel lien y a-t-il entre l’Eucharistie et un miracle de multiplication des pains ? Saint Luc, lui-même, pourtant, a très certainement voulu marquer ce lien car il décrit les gestes de Jésus avec les termes mêmes de la liturgie eucharistique : « Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna à ses disciples. »

          Reprenons le texte en le suivant tout simplement : la première phrase, d’abord, « Jésus parlait du règne de Dieu et il guérissait ceux qui en avaient besoin ». Il annonce le règne de Dieu par ses paroles et par ses actes. La multiplication des pains intervient tout de suite après : c’est donc qu’elle s’inscrit dans ce contexte : la multiplication des pains, aussi, c’est le règne de Dieu en actes ; nourrir ceux qui ont faim, c’est faire naître le règne de Dieu. (On sait à quel point Luc aime insister sur la nécessaire cohérence entre les paroles et les actes).

          « Le jour commençait à baisser » : les disciples ont souci de ces gens qui vont se laisser surprendre par la nuit ; très sagement ils suggèrent la solution : il faut disperser cette foule, renvoyer tout le monde ; chacun pourra régler son problème de logement et de nourriture ; on trouvera bien le nécessaire dans les environs... apparemment, à en croire le texte de Luc, c’était envisageable. Mais Jésus ne retient pas cette solution de dispersion : on peut se demander pourquoi ? Peut-être le Règne de Dieu qu’il annonce ne cadre-t-il pas avec des solutions de dispersion ? Le Royaume de Dieu est un mystère de rassemblement, nous le savons ; il ne s’accommode pas du « chacun pour soi ».

          Et Jésus dit sa solution à lui : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » ; les disciples ont dû être un peu surpris ! Sa solution, elle est facile à dire, mais comment faire ? Ils sont réalistes, eux : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons » ; cela pourrait aller pour une famille, peut-être, mais pour cinq mille hommes, c’est dérisoire. Ils ont raison, cent fois raison... à vues humaines. Mais pourtant, si Jésus leur dit cette phrase plutôt surprenante, ce n’est pas pour les mettre dans l’embarras ; jamais Jésus ne cherche à mettre quiconque dans l’embarras : ils le savent bien ; s’il leur dit de nourrir eux-mêmes la foule, c’est qu’ils en ont les moyens.

          Alors ils ont l’idée d’une deuxième solution : nous pourrions « aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce monde ». C’est déjà beaucoup mieux ; ce n’est pas une solution de dispersion ; les disciples sont prêts à jouer les intendants, à se mettre au service de cette foule. Mais apparemment, cela ne convient pas encore : Jésus ne les laisse pas partir faire les courses. Visiblement, il a une autre solution ; il ne leur fait pas de reproche, il leur dit simplement : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante ». Il choisit donc la solution du rassemblement ; on peut remarquer cependant que si le règne de Dieu est un rassemblement, ce n’est pas une foule indistincte, c’est un rassemblement organisé ; une communauté de communautés, un rassemblement de communautés distinctes, si l’on préfère.

          Il « bénit » les pains : ce n’est pas un rite magique sur le pain ; c’est reconnaître le pain comme don de Dieu et lui demander de savoir l’utiliser pour le service des affamés. Reconnaître le pain comme don de Dieu, c’est tout un programme ; c’est très exactement le sens de la démarche de la préparation des dons à la Messe : ce que l’on appelait autrefois l’offertoire ; si la Réforme liturgique engagée au Concile Vatican II a remplacé le mot « offertoire » par cette expression « Préparation des dons », c’est pour nous aider à mieux comprendre de quoi il s’agit : ce n’est pas nous qui donnons quelque chose. Dans la formule « Préparation des dons », il faut entendre « Préparation des dons de Dieu ». Quand nous apportons à l’autel du pain et du vin qui sont symboliques de tout le cosmos et de tout le travail de l’humanité, nous reconnaissons que tout est don de Dieu : que nous ne sommes pas propriétaires de tout ce qu’il nous a donné (que ce soit notre avoir matériel, ou nos richesses de toute sorte, physiques, intellectuelles, spirituelles...) ; nous n’en sommes pas propriétaires, nous en sommes intendants : et ce geste répété à chaque Eucharistie va peu à peu nous transformer, et faire de nous réellement des intendants de nos richesses pour le bien de tous. C’est peut-être bien dans ce geste de dépossession que nous pourrions puiser l’audace des miracles : en disant à ses disciples « Donnez-leur vous-mêmes à manger », Jésus voulait leur faire découvrir qu’ils ont des ressources insoupçonnées... mais à condition de tout reconnaître comme don de Dieu.

          Encore une fois, quand Jésus dit « Donnez-leur vous-mêmes à manger », ce n’est pas pour les mettre dans l’embarras : ils en sont capables, mais ils ne le savent pas, ou ils n’osent pas le croire. Si ce texte nous est proposé à nous, aujourd’hui, à notre tour, c’est que Jésus, devant les affamés du monde entier, nous dit aujourd’hui : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Et nous aussi, comme les disciples, avons des ressources que nous ignorons. À condition de reconnaître nos richesses de toute sorte comme don de Dieu et de nous considérer, nous, comme de simples intendants. Encore faut-il nous souvenir d’une chose, nous l’avons vu un peu plus haut : en refusant la solution de dispersion de la foule imaginée par les disciples, Jésus nous montre que le Règne de Dieu ne s’accommode pas du « chacun pour soi ».

          Alors le lien entre cette multiplication des pains et la Fête du Corps et du Sang du Christ s’éclaire ; c’est l’évangile de Jean qui nous donne la clé : tandis que les trois évangiles synoptiques rapportent l’institution de l’Eucharistie, le soir du Jeudi saint, avec, chez Luc, l’ordre du Seigneur « Vous ferez cela en mémoire de moi », saint Jean, lui, raconte le lavement des pieds et la recommandation de Jésus : « Ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. » Ce qui veut dire qu’il y a deux manières indissociables de célébrer le mémorial de Jésus-Christ : non seulement partager l’Eucharistie mais aussi nous mettre au service des autres (service symbolisé par le lavement des pieds), c’est-à-dire, très concrètement, multiplier les richesses du monde pour les partager à tous les hommes.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, le Saint-Sacrement du corps et du sang du Christ (23 juin 2019)

Partager cet article

Repost0
11 juin 2019 2 11 /06 /juin /2019 22:42

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 15 juin 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DES PROVERBES    8, 22-31

 

       Écoutez ce que déclare la Sagesse de Dieu :
22   « Le SEIGNEUR m’a faite pour lui,
       principe de son action,
       première de ses œuvres, depuis toujours.
23   Avant les siècles j’ai été formée,
       dès le commencement, avant l’apparition de la terre.
24   Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée,
       quand n’étaient pas les sources jaillissantes.
25   Avant que les montagnes ne soient fixées,
       avant les collines, je fus enfantée,
26   avant que le SEIGNEUR n’ait fait la terre et l’espace,
       les éléments primitifs du monde.
27   Quand il établissait les cieux, j’étais là,
       quand il traçait l’horizon à la surface de l’abîme,
28   qu’il amassait les nuages dans les hauteurs
       et maîtrisait les sources de l’abîme,
29   quand il imposait à la mer ses limites,
       si bien que les eaux ne peuvent enfreindre son ordre,
       quand il établissait les fondements de la terre.
30   Et moi, je grandissais à ses côtés.
       Je faisais ses délices jour après jour,
       jouant devant lui à tout moment
31   jouant dans l’univers, sur sa terre,
       et trouvant mes délices avec les fils des hommes. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour les hommes de la Bible, il ne fait pas de doute que Dieu conduit le monde avec sagesse !  « Tu as fait toutes choses avec sagesse » dit le psaume 103 (104) que nous avons chanté pour la Pentecôte. C’est même tellement une évidence qu’on en arrive à écrire des discours entiers sur ce sujet. C’est le cas du texte que nous venons de lire : il s’agit d’une véritable prédication sur le thème : « Mes frères, n’engagez pas vos vies sur des fausses pistes. Dieu seul connaît ce qui est bon pour l’homme ; conformez-vous à l’ordre des choses qu’il a établi depuis les origines du monde, c’est le seul moyen d’être heureux. »

Pour donner plus de poids à sa prédication, l’auteur fait parler la sagesse elle-même comme si elle était une personne. Mais ne nous y trompons pas : ce n’est qu’un artifice littéraire ; la preuve, c’est qu’au chapitre suivant, Dame Folie parle aussi. 

Pour l’instant donc, c’est Dame Sagesse qui se présente à nous : première remarque, elle ne parle pas d’elle toute seule... elle ne parle d’elle qu’en fonction de Dieu, comme s’ils étaient inséparables. « Le SEIGNEUR m’a faite POUR LUI principe de son action... Avant les siècles, j’ai été fondée (sous-entendu par Dieu)... Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée (sous-entendu par Dieu)... Lorsque Dieu établissait les fondements de la terre, j’étais là à ses côtés... » Donc entre Dieu et la Sagesse existe une relation de très forte intimité... La foi juive au Dieu unique n’a jamais envisagé un Dieu-Trinité : mais il semble bien ici, que, sans abandonner l’unicité de Dieu, elle pressent qu’au sein même du Dieu UN, il y a un mystère de dialogue et de communion.

Deuxième remarque : « AVANT » est un mot qui revient très souvent dans ce passage ! « Le SEIGNEUR m’a faite AVANT ses œuvres les plus anciennes... AVANT les siècles, j’ai été fondée ... DÈS LE COMMENCEMENT, AVANT l’apparition de la terre. Quand les abîmes n’existaient PAS ENCORE, qu’il n’y avait PAS ENCORE les sources jaillissantes, je fus enfantée. AVANT que les montagnes ne soient fixées, AVANT les collines, je fus enfantée. Alors que Dieu n’avait fait ni la terre, ni les champs, ni l’argile primitive du monde, lorsqu’il affermissait les cieux, J’ÉTAIS LA ... » C’est clair : le leitmotiv est bien : « J’étais là de toute éternité, AVANT toute création »...  Il y a donc là une insistance très forte sur l’antériorité de celle qui se prénomme la Sagesse par rapport à toute création.

Troisième remarque, la Sagesse joue un rôle dans la Création : « Lorsque Dieu imposait à la mer ses limites, pour que les eaux n’en franchissent pas les rivages, lorsqu’il établissait les fondements de la terre, j’étais à ses côtés, comme un maître d’œuvre ». Pour une œuvre si belle qu’elle engendre une véritable jubilation : « J’y trouvais mes délices jour après jour, jouant devant lui à tout instant, jouant sur toute la terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes. »  La Sagesse est auprès de Dieu et « elle trouve ses délices » auprès de Dieu... elle est auprès de nous... et « elle trouve ses délices » auprès de nous. On entend là comme un écho du refrain de la Genèse : « Dieu vit que cela était bon » ; plus encore, au sixième jour, tout de suite après la création de l’homme qui était comme le couronnement de toute son œuvre, « Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voilà, c’était très bon ! » (Gn 1,31).

Du coup, ce texte nous révèle un aspect particulier et éminemment positif de la foi d’Israël : la Sagesse éternelle a présidé à toute l’œuvre de Création : l’insistance du texte est très forte là-dessus ; on peut en déduire deux choses : premièrement, depuis l’aube du monde, l’humanité et le cosmos baignent dans la Sagesse de Dieu. Deuxièmement, le monde créé n’est donc pas désordonné puisque la Sagesse en est le maître d’œuvre. Cela devrait nous engager à ne jamais perdre confiance. Enfin, c’est bien la folie de la foi d’oser croire que Dieu est sans cesse présent à la vie des hommes, et plus encore qu’il trouve ses délices en notre compagnie... C’est une folie, mais le fait est là : si Dieu continue inlassablement de proposer son Alliance d’amour, c’est bien parce qu’il « trouve jour après jour ses délices avec les fils des hommes ».

Reste une question : pourquoi ce texte nous est-il proposé pour la fête de la Trinité ? Pas une fois on n’entend parler de Trinité dans ces lignes, ni même des mots Père, Fils et Esprit.

En ce qui concerne le Livre des Proverbes, cela n’a rien d’étonnant puisque quand il a été écrit, il n’était pas question de Trinité : non seulement, le mot n’existait pas, mais l’idée même de Trinité n’effleurait personne. Au début, pour le peuple élu, la première urgence était de s’attacher au Dieu Unique ; d’où la lutte farouche de tous les prophètes contre l’idolâtrie et le polythéisme parce que la vocation de ce peuple est précisément d’être témoin du Dieu unique ; n’oublions pas cette phrase du livre du Deutéronome : « À toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu ; il n’y en a pas d’autre que lui. »

Première étape, donc, découvrir que Dieu est UN ; pas question de parler de plusieurs personnes divines ! Plus tard seulement, les croyants apprendront que ce Dieu unique n’est pas pour autant solitaire, il est Trinité. Ce mystère de la vie trinitaire n’a commencé à être deviné que dans la méditation du Nouveau Testament, après la résurrection du Christ. À ce moment-là, quand les Apôtres et les écrivains du Nouveau Testament ont commencé à entrevoir ce mystère, ils se sont mis à scruter les Écritures et ils ont donc fait ce qu’on appelle une relecture ; et en particulier, ils ont relu les lignes que nous venons d’entendre et qui parlent de la Sagesse de Dieu et ils y ont lu en filigrane la personne du Christ.

Saint Jean, par exemple, écrira : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu... » et vous savez combien cette expression en grec dit une communion très profonde, un dialogue d’amour ininterrompu. Le livre des Proverbes, lui, n’en était pas encore là.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

Irénée et Théophile d’Antioche ont identifié la Sagesse avec l’Esprit, tandis qu’Origène l’identifiait avec le Fils. C’est cette deuxième interprétation qui a finalement été retenue par la théologie.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  8

 

4             À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts,           
               la lune et les étoiles que tu fixas,
5             qu'est-ce que l'homme pour que tu penses à lui ?    
               le fils d'un homme, que tu en prennes souci ?

6             Tu l'as voulu un peu moindre qu'un dieu,    
               le couronnant de gloire et d'honneur ;
7             tu l'établis sur les œuvres de tes mains,       
               tu mets toute chose à ses pieds :             

8             les troupeaux de bœufs et de brebis,           
               et même les bêtes sauvages,
9             les oiseaux du ciel et les poissons de la mer,           
               tout ce qui va son chemin dans les eaux.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

« À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas... » Peut-être sommes-nous dans le cadre d’une célébration de nuit ; hypothèse tout à fait vraisemblable, puisque le prophète Isaïe fait parfois allusion à des célébrations nocturnes, par exemple quand il dit : « Vous chanterez comme la nuit où l’on célèbre la fête, vous aurez le cœur joyeux... » (Is 30,29). Imaginons donc que nous sommes un soir d’été, à Jérusalem, au cours d’un pèlerinage, une célébration à la belle étoile.

Nous n’avons pas lu ce psaume en entier, mais si nous nous reportons à notre Bible, ce qui saute aux yeux dès la lecture de ce psaume, c’est que la première et la dernière phrases sont exactement identiques ! « O SEIGNEUR notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! » Donc pas besoin de chercher plus loin le thème de ce psaume : c’est une hymne à la grandeur de Dieu !

Au passage, d’ailleurs, remarquons que le nom employé pour Dieu ici, c’est une fois de plus le nom de l’Alliance, les fameuses quatre lettres, YHVH, le Nom très saint qu’on ne prononce jamais : donc, même si le mot Alliance n’est pas employé une seule fois, il est sous-entendu ; c’est le peuple de l’Alliance qui s’exprime ici.

Revenons à cette phrase qui est répétée au début et à la fin : « O SEIGNEUR notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! »  On a donc là une parfaite symétrie... Elle encadre quoi ? Une méditation sur l’homme. Cette construction est très intéressante. À la fois, l’homme est bien au centre de la création, ET en même temps tout, y compris l’homme, est rapporté à Dieu : Lui seul agit et l’homme contemple...Tout est « ouvrage des doigts de Dieu », tout est « œuvre de tes mains... Tu fixas les étoiles...Tu penses à l’homme, Tu en prends souci, Tu le couronnes de gloire et d’honneur, Tu l’établis sur l’œuvre de tes mains, Tu mets toute chose à ses pieds ».

La « couronne » de l’homme, c’est le cosmos justement : et ce n’est certainement pas un hasard si le psaume est construit de telle manière que l’énumération des œuvres créées par Dieu encadrent l’homme, lui faisant comme une couronne. Si on reprend la structure globale de ce psaume, il se présente comme des cercles concentriques : au centre l’homme « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ; tu l’établis sur l’œuvre de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds  »... Puis un premier cercle, la Création : de part et d’autre des versets concernant l’homme : d’un côté le ciel étoilé, et la lune... de l’autre tous les êtres vivants : troupeaux, bêtes sauvages, oiseaux, poissons... Puis deuxième cercle, la fameuse phrase répétée : l’homme contemple le vrai roi de la Création : « O SEIGNEUR notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! »

La royauté de Dieu est dite déjà par le mot « grand », un mot du langage de cour qui dit la puissance du roi vainqueur. Elle est dite aussi bien entendu par le mot « splendeur ». Ce roi est vainqueur de l’adversaire, de l’ennemi, sans difficulté apparemment, puisqu’il se contente pour rempart d’un gazouillis de nourrisson ; (la traduction de ce verset est très discutée... nous choisissons ici la traduction liturgique, puisque c’est celle-ci que nous entendons à la Messe et elle est très suggestive) : « Jusqu’aux cieux, ta splendeur est chantée par la bouche des enfants, des tout-petits : rempart que tu opposes à l’adversaire, où l’ennemi se brise en sa révolte ». (Sous-entendu le chant des tout-petits : voilà le rempart que tu opposes à tes ennemis ; cela suffit).

Cette royauté, Dieu ne la garde pas jalousement pour lui : puisqu’il couronne l’homme à son tour. L’homme aussi a droit à un vocabulaire royal : l’homme est « à peine moindre qu’un dieu »... il est « couronné »... toutes choses sont « à ses pieds » : il y a là l’image d’un trône royal : les sujets se prosternent en bas des marches. Pour dire la même chose, le livre de la Genèse avait raconté la création de l’homme comme intervenant en dernier après toutes les autres choses, après tous les autres êtres vivants, pour bien montrer que l’homme était au sommet ; et puis le livre de la Genèse encore avait montré l’homme donnant un nom à toutes les créatures, ce qui est un signe de supériorité, de maîtrise... Dans la Création, la vocation de l’homme est bien d’être le roi de la Création : Au premier couple humain, Dieu avait dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! » (Gn 1,28).

Je reviens sur la phrase : « À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? »  Belle manière de dire la présence de Dieu auprès de l’homme, sa sollicitude.

Évidemment, un tel psaume respire la joie de vivre ! Mais il peut bien arriver dans nos vies des jours où cette présence de Dieu auprès de l’homme sera ressentie comme pesante. C’est ce qui arrive à Job un jour de grande souffrance : il était un grand croyant, un priant et il connaissait ce psaume par cœur, très certainement ; eh bien, un jour, dans son désespoir, il en arrive à regretter d’avoir chanté ce psaume avec tant d’enthousiasme, quand tout allait bien : et il va jusqu’à dire : « Laisse-moi... Quand cesseras-tu de m’épier ?... Espion de l’homme... Qu’est-ce qu’un mortel pour en faire si grand cas, pour fixer sur lui ton attention ? » Ce jour-là, sa foi a bien failli basculer ; et certains d’entre nous, trop éprouvés, connaissent ce vertige ; mais pour eux, comme pour nous tous, comme pour Job, Dieu veille et continue quoi qu’il arrive à « prendre souci de l’homme ».

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

La Bible est un livre « heureux » ! Tout ce psaume respire la joie. La joie devant la splendeur de Dieu, et aussi devant la splendeur de l’homme. Ce roi humain de la Création se soumet à son tour à Celui qui en est le vrai Maître : il reconnaît sa petitesse, il reconnaît qu’il doit tout à son Créateur.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   5,1-5

 

       Frères,
1     nous qui sommes devenus justes par la foi,
       nous voici en paix avec Dieu
       par notre Seigneur Jésus Christ,
2     lui qui nous a donné, par la foi,
       l’accès à cette grâce
       dans laquelle nous sommes établis ;
       et nous mettons notre fierté
       dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu.
3     Bien plus, nous mettons notre fierté
       dans la détresse elle-même,
       puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ;
4     la persévérance produit la vertu éprouvée ;
       la vertu éprouvée produit l’espérance ;
5     et l’espérance ne déçoit pas,
       puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs
       par l’Esprit Saint qui nous a été donné.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Nous sommes à Rome, au temps de l'empereur Néron, en l’an 57 ou 58 après Jésus Christ ; comme dans presque toutes les villes du Bassin Méditerranéen, il y a une colonie juive ; on l'évalue à quelques dizaines de milliers de personnes ; et comme partout, certains de ces Juifs ont reconnu en Jésus de Nazareth le Messie promis, d'autres non ; première scission grave parmi les Juifs : désormais il y aura les Juifs et ceux qu'on appelle les Judéo-chrétiens, chaque clan traitant l'autre d'hérétique ou de déviant. Et puis il y a aussi tous les anciens païens devenus chrétiens : on les appelle les pagano-chrétiens ; les relations sont difficiles entre ces chrétiens d'origine païenne avec toutes les séquelles possibles d'idolâtrie et les chrétiens d'origine juive, restés parfois très attachés à leurs pratiques religieuses ; nous avons déjà rencontré des traces de ces difficultés dans les lettres de Paul aux Philippiens et aux Galates. Dans toutes les communautés, et particulièrement à Rome, ces conflits se durcissent au fil des années et dans sa lettre aux Romains, Paul se donne pour tâche de ramener la paix.

La communauté chrétienne est donc composée d’anciens Juifs et d’anciens païens. Or la grande question qui se pose, comme dans beaucoup des premières communautés est la suivante : puisque Dieu a choisi le peuple juif pour annoncer le salut au monde, puisque Jésus, le Messie était Juif, ne devrait-on pas demander aux anciens païens de devenir juifs avant de devenir chrétiens ? Concrètement, ne devrait-on pas leur imposer la circoncision et toutes les pratiques juives ?

Le grand argument de Paul : vous, chrétiens, quel que soit votre passé, vous êtes tous égaux devant le salut ; car c'est le Christ qui vous sauve, et lui seul. Bien sûr, les Juifs n'avaient pas attendu les chrétiens pour savoir que c'est la foi qui sauve et non les mérites de l'homme. Mais certains chrétiens d'origine juive revendiquent le privilège d'être l'unique peuple de l'Alliance. Ils sont, eux, les descendants d'Abraham, les païens ne peuvent pas en dire autant. À ceux-ci Paul a répondu au chapitre 4 en faisant remarquer qu'Abraham a été déclaré juste par Dieu bien avant d'être circoncis !  Car Abraham était un païen quand il a entendu l'appel de Dieu et c'est la confiance et elle seule qui l’a inspiré quand il a obéi : Dieu lui a dit « Va pour toi, quitte ton pays, va vers le pays que je te montrerai » ... et la suite du texte dit simplement : « Abram partit comme le SEIGNEUR le lui avait dit » (Gn 12). Et, un peu plus loin, le même livre de la Genèse dit encore : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et, pour cela, le SEIGNEUR le considéra comme juste » (Gn 15, 6). Et saint Paul, ici, se réfère évidemment à cette histoire exemplaire d’Abraham. Dans ce chapitre 4 de la lettre aux Romains, il cite quatre fois cette phrase de la Genèse ; ce qui veut dire qu’il y a là pour lui un argument de poids. Ailleurs, dans la lettre aux Galates, il le dit expressément : « Puisque Abraham eut foi en Dieu et que cela lui fut compté comme justice, comprenez-le donc, ce sont les croyants qui sont fils d’Abraham » (Gal 3, 6). Ce qui revient à dire : Abraham, le croyant, est le père de tous les croyants, qu’ils soient ou non circoncis. Donc pas question de se battre entre chrétiens sur ce terrain.

Voilà qui explique la première phrase de notre texte d’aujourd’hui : « Dieu a fait de nous des justes par la foi » ; et pour bien faire entendre que le salut est pur don gratuit de Dieu, et que seul l’abandon confiant de la foi nous est demandé, il répète l’expression « par la foi » : « Dieu a fait de nous des justes par la foi ; nous sommes ainsi en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a donné, par la foi, l’accès au monde de la grâce dans lequel nous sommes établis. » Et les verbes sont au passé : justifiés, nous le sommes tous depuis la mort et la résurrection du Christ, c’est chose faite. Désormais, nous vivons dans l’intimité de Dieu, ce que Paul appelle « le monde de la grâce ».

L’émerveillement de saint Paul, et de tout croyant, c’est que par pure grâce de Dieu, nous participons à la justice du Christ : par notre foi en lui, et par elle seule, nous sommes réintégrés dans l’Alliance de Dieu, dans la communion trinitaire. Ici, pas plus que dans le livre des Proverbes, nous ne lisons le mot « Trinité »... mais quand Paul parle du « monde de la grâce », c’est bien de cela qu’il est question ; d’ailleurs, on ne peut pas s’empêcher de remarquer que Paul, contemplant le mystère de Dieu, le fait spontanément en termes trinitaires ; en particulier dans ces deux phrases : « Nous sommes en paix avec Dieu par Jésus-Christ »... et « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ».

Cela ne veut pas dire que tout sera toujours facile ! Paul parle de « détresse » que traversent ses lecteurs ; mais la détresse elle-même peut être chemin vers Dieu. « La détresse produit la persévérance ; la persévérance produit la valeur éprouvée ; la valeur éprouvée produit l’espérance... »  L’espérance est une vertu de pauvre : elle est au bout d’un long chemin de dépouillement ; elle est au-delà de nos découragements, de nos acharnements, de nos « quand même », elle naît quand nous sommes complètement remis à la confiance en Dieu, quand nous avons acquis la sérénité parce que notre œuvre n’est pas la nôtre en réalité, mais la sienne... Car « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » : au fait, « l’amour DE Dieu » : on pourrait évidemment se demander le sens de la préposition « de » ici : est-ce l’amour que Dieu nous porte ou l’amour que nous portons à Dieu ? Mais c’est une mauvaise question : l’Esprit Saint répand en nos cœurs l’amour même que Dieu porte à l’humanité et, à notre tour, nous devenons capables d’aimer. Et ainsi, peu à peu, nous entrons davantage dans la communion trinitaire dès maintenant. C’est cela que Paul appelle « avoir part à la gloire de Dieu ». « Notre orgueil, c’est d’espérer avoir part à la gloire de Dieu... et l’espérance ne trompe pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ».

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

Il est particulièrement suggestif de lire cette lettre de Paul aux Romains et surtout le verset 5 juste après la fête de la Pentecôte !

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN     16, 12 - 15

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à ses disciples :
12   « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire,
       mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.
13   Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité,
       il vous conduira dans la vérité tout entière.
       En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même :
       mais ce qu’il aura entendu, il le dira ;
       et ce qui va venir, il vous le fera connaître.
14   Lui me glorifiera,
       car il recevra ce qui vient de moi
       pour vous le faire connaître.
15   Tout ce que possède le Père est à moi ;
       voilà pourquoi je vous ai dit :
       L’Esprit reçoit ce qui vient de moi
       pour vous le faire connaître. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Avant de nous aventurer dans ce texte de saint Jean, il faut plus que jamais nous « habiller le cœur » (comme disait Saint-Exupéry) : en cette dernière soirée de sa vie terrestre, Jésus n’emploie pas le mot « Trinité » ; il fait beaucoup plus et beaucoup mieux : il nous introduit dans ce grand mystère, dans l’intimité même de la Trinité. Mais pour percevoir ce mystère d’amour et de communion, il faudrait que nous lui soyons accordés, que nous soyons nous-mêmes feu brûlant d’amour et de communion ; or, nous ressemblons plutôt à du bois trop vert mis au contact du feu : bien difficile de le faire « prendre ».

Ce que Jésus nous dit ici, entre autres choses, c’est que l’Esprit de Dieu, le feu, va venir en nous : il va s’installer au cœur du bois vert. Nous sommes encore dans le contexte du dernier repas de Jésus avec ses disciples, au soir du Jeudi saint : Jésus fait ses adieux et prépare ses disciples aux événements qui vont suivre. Il révèle le maximum de son mystère, mais il y a des choses qu’ils ne peuvent pas encore comprendre : « J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous n’avez pas la force de les porter ».

L’histoire de l’humanité, comme toute histoire humaine est celle d’un long cheminement. Comme nous, parents ou éducateurs, accompagnons ceux qui nous sont confiés dans leur éveil progressif, Dieu accompagne l’humanité dans sa longue marche. Tout au long de l’histoire biblique, Dieu s’est révélé progressivement à son peuple : ce n’est que peu à peu que le peuple élu a abandonné ses croyances spontanées pour découvrir toujours un peu mieux le vrai visage de Dieu. Mais ce n’est pas fini : la preuve, c’est la difficulté des propres disciples de Jésus à le reconnaître comme le Messie, tellement il était différent du portrait qu’on s’en était fait d’avance.

Et ce long chemin de découverte de Dieu n’est pas encore terminé, il n’est jamais terminé : il continuera jusqu’à l’accomplissement du projet de Dieu. Tout au long de ce cheminement, l’Esprit de vérité nous accompagne pour nous guider vers la vérité tout entière... La vérité semble bien être l’un des maîtres-mots de ce texte : à en croire ce que nous lisons, la vérité est un but et non pas un acquis : « L’Esprit de vérité vous guidera vers la vérité tout entière »... Cela devrait nous interdire de nous disputer sur des questions de théologie... puisqu’aucun de nous ne peut prétendre posséder la vérité tout entière !

D’autre part, elle n’est pas d’ordre intellectuel, elle n’est pas un savoir ; puisque, dans le même évangile de Jean, Jésus dit « je suis la Vérité ». Alors nous comprenons pourquoi dans le texte d’aujourd’hui, il emploie plusieurs fois le verbe « connaître » : « Ce qui va venir, il vous le fera connaître... il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître ». En langage biblique on sait bien que « connaître » désigne une expérience de vie et non pas un savoir. À tel point que ce mot « Connaître », est celui qui est employé pour l’union conjugale. L’expérience de l’amour ne s’explique pas, on peut seulement la vivre et s’en émerveiller.

L’Esprit va habiter en nous, nous pénétrer, nous guider vers le Christ qui est la Vérité... alors, peu à peu,  la révélation du mystère de Dieu ne nous sera plus extérieure : nous en aurons la perception intime : là encore, j’entends un écho des promesses des prophètes : « ils me connaîtront tous du plus grand au plus petit ».

Je reviens sur la phrase : « J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant vous n'avez pas la force de les porter. » Pourquoi les apôtres n’ont-ils pas « la force de les porter » ? Parce qu’ils n’ont pas encore reçu l’Esprit-Saint, semble-t-il. Cela veut dire que si nous désirons vraiment pénétrer un peu plus dans la connaissance des mystères de Dieu, il nous faut résolument invoquer l’Esprit-Saint.

Dernière remarque : « Ce qui va venir, il vous le fera connaître ». « Ce qui va venir » : n’attendons pas des révélations à la manière des voyants... il s’agit de beaucoup plus grand : c’est le grand projet de Dieu qui se réalise dans l’histoire humaine : ce que saint Paul appelle « le dessein bienveillant » et qui est, justement, l’entrée de l’humanité tout entière dans la vie intime de la Trinité. « Il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » : il n’est pas question, là non plus, de nous placer sur un plan intellectuel : ce ne sont pas les idées de Jésus qu’il va nous faire comprendre. C’est l’expérience même de sa vie qu’il va nous faire revivre à notre tour. Le cheminement même de l’homme-Jésus vécu avec l’Esprit-Saint devient le nôtre.

Les Tentations au désert, c’est l’Esprit d’amour qui lui permet de les surmonter ; c’est encore l’Esprit qui le conduit dans toute sa mission, qui inspire ses paroles et ses actes... qui lui donne l’audace des miracles... jusqu’à la dernière audace de l’abandon total à Gethsémani. C’est cela la vérité tout entière du Christ, celle vers laquelle nous cheminons à travers l’expérience de nos vies. C’est cet Esprit qui nous habite désormais et qui nous donne à notre tour toutes les audaces de la mission. On est loin d’un savoir intellectuel ! C’est à l’expérience même de l’intimité de Dieu que nous sommes invités...

Au fond, quand nous célébrons la Fête de la Trinité, nous ne contemplons pas de loin un mystère impénétrable, nous célébrons déjà la grande fête de la fin des temps : celle de l’entrée de l’humanité dans la Maison de Dieu.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, la Sainte Trinité (16 juin 2019)

Partager cet article

Repost0
2 juin 2019 7 02 /06 /juin /2019 23:48

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 8 juin 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

PREMIÈRE LECTURE Actes des Apôtres  2, 1-11

 

1     Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques,
       ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2     Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :      
       la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3     Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
       qui se partageaient,        
       et il s’en posa une sur chacun d'eux.
4     Tous furent remplis d'Esprit Saint :       
       ils se mirent à parler en d'autres langues,
       et chacun s'exprimait selon le don de l'Esprit.
5     Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
       venant de toutes les nations sous le ciel.
6     Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
       ils se rassemblèrent en foule.     
       Ils étaient en pleine confusion   
       parce que chacun d'eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7     Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : 
       « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8     Comment se fait-il que chacun de nous les entende
       dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9     Parthes, Mèdes et Élamites,       
       habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,      
       de la province du Pont et de celle d'Asie,
10   de la Phrygie et de la Pamphylie,          
       de l'Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
       Romains de passage,
11   Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,       
       tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.

C’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.

Ce jour-là, la ville de Jérusalem grouillait de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin. Parce que, à l’époque du Christ,  la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve.

« Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la mer Noire, de la province d'Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye proche de Cyrène... Crétois et Arabes ».

Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché... après sa Résurrection... cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant... Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !

Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.

Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « pareil à celui d’un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d’un cor très puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. La montagne du Sinaï n’était que fumée, parce que le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; sa fumée monta comme le feu d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment ... Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre ». (Ex 19,16-19).

En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple... Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le cœur de l’homme, pour reprendre une image d’Ézéchiel.2

Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair », dit Dieu (Jl 3, 1 ; « toute chair » c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !

Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande œuvre qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense... Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus... Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?... Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur... Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».

 Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu. 
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Notes

1 - La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

2 - « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes... vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». (Ez 36, 26…28).
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 103 (104), 1.24, 29-30, 31.34

 

1     Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;       
       SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !
24   Quelle profusion dans tes œuvres, SEIGNEUR !        
       La terre s'emplit de tes biens.

29   Tu reprends leur souffle, ils expirent     
       et retournent à leur poussière.    
30   Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;  
       tu renouvelles la face de la terre.

31   Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !   
       Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !   
34   Que mon poème lui soit agréable ;        
       moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les œuvres de Dieu. J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire  trente-six  « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.

On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.

Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Égypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.-C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Égypte ; ils ont peut-être connu ce poème.

Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.

La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu !

Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de Création…

Par exemple, dans le récit de la Création dans la Genèse, la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi. Un des versets le dit clairement « Toi, Dieu, tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher ».

Je ne vais pas en parler longtemps car il s’agit de versets qui n’ont pas été retenus pour la fête de la Pentecôte…

Et plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.

Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »...

Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, jouer pour mon Dieu tant que je dure... »

Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’œuvre de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.

Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous comptent sur toi... Tu caches ton visage, ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle, ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ».

Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu  se réjouisse en ses œuvres ! ... Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».

Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’œuvre de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :

D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.

Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! »  L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à toute chair », comme dit le prophète Joël qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   8, 8 - 17

 

       Frères,
8     ceux qui sont sous l’emprise de la chair
       ne peuvent pas plaire à Dieu.
9     Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
       mais sous celle de l’Esprit,
       puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
       Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ
       ne lui appartient pas.
10   Mais si le Christ est en vous,
       le corps, il est vrai, reste marqué par la mort
       à cause du péché,
       mais l’Esprit vous fait vivre,
       puisque vous êtes devenus des justes.
11   Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
       habite en vous,
       celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts
       donnera aussi la vie à vos corps mortels
       par son Esprit qui habite en vous.
12   Ainsi donc, frères, nous avons une dette,
       mais elle n’est pas envers la chair
       pour devoir vivre selon la chair.
13   Car si vous vivez selon la chair,
       vous allez mourir ;
       mais si, par l’Esprit,
       vous tuez les agissements de l’homme pécheur,
       vous vivrez.
14   En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu,
       ceux-là sont fils de Dieu.
15   Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves
       et vous ramène à la peur ;
       mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ;
       et c’est en lui que nous crions
       « Abba ! », c’est-à-dire : Père !
 16  C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit
       que nous sommes enfants de Dieu.
 17  Puisque nous sommes ses enfants,
       nous sommes aussi ses héritiers :
       héritiers de Dieu,
       héritiers avec le Christ,
       si du moins nous souffrons avec lui
       pour être avec lui dans la gloire.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         La principale difficulté de ce texte est dans le mot « chair » : dans le vocabulaire de saint Paul, il n’a pas le même sens que dans notre français courant d’aujourd’hui. Nous, nous sommes tentés d’opposer deux composantes de l’être humain que nous appelons le corps et l’âme et nous risquons donc de faire un épouvantable contresens : quand Paul parle de chair et d’esprit, ce n’est pas du tout cela qu’il a en vue. Ce que saint Paul appelle « chair », ce n’est pas ce que nous appelons le corps ; ce que Paul appelle l’Esprit, ce n’est pas ce que nous appelons l’âme. D’ailleurs Paul précise plusieurs fois qu’il s’agit de l’Esprit de Dieu, ou encore il dit « l’Esprit du Christ ».

         Et encore, si on y regarde de plus près, il n’oppose pas deux mots « chair » et « Esprit », mais deux expressions « vivre selon la chair » et « vivre selon l’Esprit ». Pour lui, il faut choisir entre deux modes de vie ; ou pour dire autrement, il faut choisir nos maîtres, ou notre ligne de conduite, si vous préférez.

         On retrouve ici le thème des deux voies, très habituel pour le Juif qu’est saint Paul : les deux voies, au sens de deux routes, bien sûr. À nous de choisir : pour mener notre existence, pour prendre des décisions, pour réagir devant les difficultés ou les épreuves, il y a deux attitudes possibles : la confiance en Dieu, ou la méfiance... la certitude qu’il ne nous abandonne jamais, ou le doute... la conviction que Dieu ne veut que notre bonheur, ou le soupçon qu’il voudrait notre malheur... la fidélité à ses commandements parce qu’on lui fait confiance, ou la désobéissance parce qu’on croit mieux savoir...

         Devant les épreuves quotidiennes de la vie au désert, et en particulier devant l’épreuve de la soif, le peuple avait soupçonné Dieu de l’abandonner et avait fait un véritable procès d’intention à Dieu et à Moïse ; vous avez reconnu l’épisode de Massa et Meriba au livre de l’Exode. Devant la limite opposée à ses désirs, Adam soupçonne Dieu et désobéit ; c’est l’épisode de la chute au Paradis terrestre ; j’ai parlé au présent, parce que nous sommes tous Adam à certaines heures ; c’est l’éternel problème de la confiance, « la question de confiance », si vous préférez, problème tellement fondamental dans nos vies qu’on l’appelle « originel ».

         À l’opposé de cette attitude de soupçon, de révolte contre Dieu, l’attitude du Christ est de confiance et donc de soumission : puisqu’il sait que la volonté de Dieu n’est que bonne, il s’y plie volontiers. Même et y compris devant la souffrance et la mort.

         Il y a donc deux attitudes opposées et ce sont ces deux attitudes que Paul appelle « vivre selon la chair » ou « vivre selon l’Esprit » ; et Paul développe cette opposition en nous proposant deux synonymes : « vivre selon la chair » c’est se conduire vis-à-vis de Dieu en esclaves : l’esclave n’a pas confiance en son maître, il se soumet par obligation et par peur des représailles ; l’autre attitude, « vivre selon l’Esprit », il la traduit par « se conduire en fils » : et il entend par là une relation de confiance et de tendresse.

         Enfin, il dit deux choses : premièrement, seule l’attitude dictée par l’Esprit de Dieu, l’attitude de confiance et d’amour, à l’exemple du Christ, cette attitude-là est porteuse de vie ; tandis que la méfiance et le soupçon mènent à la mort ; « Si vous vivez sous l’emprise de la chair, (sous-entendu l’attitude de méfiance et de désobéissance envers Dieu), vous devez mourir : mais si, par l’Esprit, vous tuez les désordres de l’homme pécheur, vous vivrez. » Je traduis : ce qui, en chacun de vous, est attitude d’esclave, est destructeur ; ce qui, en chacun de vous, est attitude filiale, confiante, est chemin de paix et de bonheur.

         Deuxièmement, nous dit Paul, d’ores et déjà, l’Esprit de Dieu est en vous, vous êtes des fils, vous appelez Dieu « Abba-Père » : « L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c’est un Esprit qui fait de vous des fils ; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l’appelant Abba ! »

         Le jour où l’humanité tout entière reconnaîtra en Dieu son Père, ce jour-là, le projet de Dieu sera accompli et nous pourrons tous ensemble entrer dans sa gloire ; quelques versets plus loin, Paul dit : « La Création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. »

         Il reste la dernière phrase du texte d’aujourd’hui : « Puisque nous sommes les enfants de Dieu, nous sommes aussi ses héritiers ; héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, à condition de souffrir avec lui pour être avec lui dans sa gloire. » Cette phrase peut se lire de deux manières ; le contresens, l’attitude d’esclave, ce serait (Il n’est pas question) d’imaginer un Dieu qui met des conditions à l’héritage ! Au contraire, si nous écoutons l’Esprit de Dieu, qui nous fait voir en Dieu un Père plein d’amour, nous comprenons que nous sommes invités une fois de plus à demeurer dans la confiance, surtout quand nous abordons la souffrance : comme pour le Christ, les souffrances sont inévitables pour ceux qui s’engagent à sa suite sur le chemin du témoignage ; mais vécues avec lui et comme lui dans la confiance, elles sont chemin de résurrection. En fait, « à condition de souffrir avec lui » veut dire « à condition d’être avec lui, de rester greffés sur lui à tout moment, y compris dans la souffrance inévitable ».

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN  14, 15-16. 23b-26

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à ses disciples :
  15 « Si vous m’aimez,
       vous garderez mes commandements.
  16 Moi, je prierai le Père,
       et il vous donnera un autre Défenseur
       qui sera pour toujours avec vous.
  23 Si quelqu’un m’aime,
       il gardera ma parole ;
       mon Père l’aimera,
       nous viendrons vers lui
       et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
 24  Celui qui ne m’aime pas
       ne garde pas mes paroles.
       Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi :
       elle est du Père, qui m’a envoyé.
 25  Je vous parle ainsi,
       tant que je demeure avec vous ;
26   mais le Défenseur,
       l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom,
       lui, vous enseignera tout,
       et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Nous connaissons bien cet évangile, mais il prend bien sûr aujourd'hui un nouvel éclairage par les autres textes qui nous sont proposés pour la fête de la Pentecôte. Par exemple, il est intéressant que, pour la fête du don de l'Esprit, l'évangile qui nous est proposé ne nous parle que d'amour ! Souvent, nous sommes tentés de penser à l'Esprit Saint en termes d'inspiration, d'idées, de discernement, d'intelligence en quelque sorte ; Jésus nous dit ici : l’Esprit de Dieu, c’est tout autre chose, c’est l’Amour personnifié ; pas étonnant, me direz-vous, puisque, comme dit saint Jean, « Dieu est Amour ».

         Cela veut dire que, le matin de la Pentecôte, à Jérusalem, quand les disciples ont été remplis de l’Esprit Saint, c’est l’amour même qui est en Dieu qui les a envahis. Et de même, nous aussi, baptisés, confirmés, notre capacité d’amour est habitée par l’amour même de Dieu. « Tu envoies ton souffle, ils sont créés » dit le psaume 103/104 de cette fête du don de l’Esprit : effectivement, créés à l’image de Dieu, appelés à lui ressembler toujours plus, nous sommes constamment en train d’être modelés par lui à son image ; regardez le potier en train de façonner son vase, celui-ci s’affine de plus en plus dans les mains de l’artisan... Nous sommes cette poterie dans les mains de Dieu : notre ressemblance avec lui s’affine de plus en plus au fur et à mesure que nous laissons l’Esprit d’amour nous transformer.

         Dans le passage de la lettre aux Romains que nous lisons pour cette fête de Pentecôte, il est plutôt question de notre relation à Dieu ; on pourrait le résumer par la phrase : nous ne sommes plus des esclaves, nous sommes des fils de Dieu. Dans cet évangile, Jésus fait le lien entre notre relation à Dieu et notre relation à nos frères : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements », et son commandement, nous savons bien ce qu’il est : « Mon commandement, le voici : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34) ; et l’on peut penser que cette expression fait référence au lavement des pieds, c’est-à-dire une attitude résolue de service.

         Si bien qu’on peut traduire « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements » par « Si vous m’aimez, vous vous mettrez au service les uns des autres ». L’amour de Dieu et l’amour des frères sont inséparables, tellement inséparables que c’est à la qualité de notre mise au service de nos frères que l’on peut juger de la qualité de notre amour de Dieu. Du coup on peut retourner la phrase « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements » : elle veut dire « Si vous ne vous mettez pas au service de vos frères, ne prétendez pas que vous m’aimez » !

         Un peu plus loin, Jésus reprend une expression tout à fait semblable mais il développe encore : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. » Cela ne veut évidemment pas dire que notre Père du ciel pourrait ne pas nous aimer si nous ne nous mettons pas au service de nos frères ! En Dieu, il n’y a pas de marchandages, pas de conditions ! Au contraire, la caractéristique de la miséricorde, c’est de se pencher encore plus près des miséreux, et miséreux, nous le sommes sur le plan de l’amour et du service des autres.

         Mais ce que veut dire cette phrase, c’est quelque chose que nous connaissons bien : la capacité d’aimer est un art et tout art s’apprend en s’exerçant ! L’amour du Père est sans mesure, infini ; c’est notre capacité d’accueil de cet amour qui est limitée et qui grandit à mesure que nous l’exerçons. Si bien que l’on pourrait traduire : « Si quelqu’un m’aime, il se mettra au service des autres. Et peu à peu son cœur s’élargira et l’amour de Dieu l’envahira de plus en plus et il pourra encore mieux servir les autres... et ainsi de suite jusqu’à l’infini... »  Jusqu’à l’infini au vrai sens du terme.

         Pour terminer, revenons sur le mot « Défenseur » : il est vrai que nous avons besoin d’un Défenseur... mais pas devant Dieu, bien sûr ! Saint Paul nous l’a bien dit dans la lettre aux Romains (qui est notre seconde lecture de cette fête) : « L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c’est un Esprit qui fait de vous des fils ». Nous n’avons donc plus peur de Dieu, nous n’avons pas besoin de Défenseur devant lui. Mais alors devant qui ? Jésus dit bien : « Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous. » Nous avons besoin d’un Défenseur, d’un avocat pour nous défendre devant nous-mêmes, devant nos réticences à nous mettre au service des autres, devant nos timidités du genre « Qu’est-ce que si peu de pains et de poissons pour tant de monde ? »

         Nous avons bien besoin de ce Défenseur qui constamment, plaidera en nous la cause des autres. Et ce faisant, c’est nous en réalité qu’il défendra, car notre vrai bonheur, c’est de nous laisser modeler chaque jour par le potier à son image.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, Pentecôte (9 juin 2019)

Partager cet article

Repost0