Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 mai 2019 1 27 /05 /mai /2019 00:01

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 1er juin 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   7, 55-60

 

       En ces jours-là,
       Étienne était en face de ses accusateurs.
55   Rempli de l’Esprit Saint,
       il fixait le ciel du regard :
       il vit la gloire de Dieu,
       et Jésus debout à la droite de Dieu.
56   Il déclara :
       « Voici que je contemple les cieux ouverts
       et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. »
57   Alors ils poussèrent de grands cris
       et se bouchèrent les oreilles.
       Tous ensemble, ils se précipitèrent sur lui,
58   l’entraînèrent hors de la ville
       et se mirent à le lapider.
       Les témoins avaient déposé leurs vêtements
       aux pieds d’un jeune homme appelé Saul.
59   Étienne, pendant qu’on le lapidait, priait ainsi :
       « Seigneur Jésus, reçois mon esprit. »
60   Puis, se mettant à genoux, il s’écria d’une voix forte :
       « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. »
       Et, après cette parole, il s’endormit dans la mort.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

           Étienne a été dénoncé exactement comme Jésus et pour les mêmes raisons ; rien d’étonnant ! Ce qui avait été scandaleux pour les ennemis de Jésus l’est tout autant pour ceux d’Étienne. Il sera donc condamné lui aussi. En attendant, il est traîné devant le Sanhédrin où le grand-prêtre l’interroge ; et Étienne répond par tout un discours sur le thème : vous croyez au projet de Dieu qui a choisi notre peuple pour préparer la venue du Messie dans le monde. Vous croyez à Abraham, vous croyez à Moïse... Pourquoi vous dérobez-vous au moment où nous entrons avec Jésus dans la dernière étape ?

         Il faut imaginer l’énormité de ces déclarations d’Étienne : il prétend voir le Fils de l’homme (et pour lui, il ne fait pas de doute que c’est Jésus) debout à la droite de Dieu. Or, pour des Juifs, les mots « Fils de l’homme », « debout », « à la droite de Dieu » sont des mots très forts : la preuve, d’ailleurs, c’est qu’ils signent l’arrêt de mort de celui qui ose dire des choses pareilles. Comme, quelque temps plus tôt, des affirmations du même genre ont provoqué la condamnation de Jésus. Dans l’évangile de Luc, il avait dit à ses juges : « Désormais le Fils de l’homme siégera à la droite du Dieu puissant » ; et il avait provoqué la fureur du tribunal.

          Et, pour tout arranger, Étienne accuse ses juges de « résister à l’Esprit Saint ». Ce qui évidemment n’est pas pour leur faire plaisir ! Nous avons eu déjà de nombreuses occasions de voir que les autorités juives d’Israël au temps de Jésus (et tout aussi bien au temps d’Étienne, ce sont les mêmes) étaient des gens très bien, soucieux de bien faire. Ils ne sont en aucun cas, conscients de « résister à l’Esprit Saint », comme dit Étienne !

         Depuis des siècles, on savait que le projet de Dieu était de répandre son Esprit sur toute l’humanité. Moïse, déjà, en rêvait : non seulement il ne voulait pas garder le monopole de l’intimité avec Dieu, mais au contraire, il avait eu cette phrase qui était restée célèbre : « Si seulement tout le peuple du SEIGNEUR devenait un peuple de prophètes sur qui le SEIGNEUR aurait mis son esprit » (Nb 11, 26). Et les prophètes avaient confirmé que c’était bien le projet de Dieu : tous les Juifs avaient en tête la prophétie de Joël par exemple : « je répandrai mon esprit sur toute chair », ou encore celle d’Ézéchiel : « je mettrai en vous mon propre esprit ». Au chapitre précédent du livre des Actes des Apôtres, au moment du choix des diacres, dont Étienne fait partie, Luc nous a dit qu’Étienne, justement, était « un homme plein de foi et d’Esprit Saint ». Ici, Luc le répète : il dit : « Rempli d’Esprit Saint, Étienne fixa ses regards vers le ciel ; il vit la gloire de Dieu , et Jésus debout à la droite de Dieu. Il déclara : Voici que je contemple les cieux ouverts »... fixer ses regards, voir, contempler, ce sont trois mots du vocabulaire du regard. Luc nous dit indirectement que c’est la présence de l’Esprit en lui qui ouvre les yeux d’Étienne ; et alors il peut voir ce que les autres ne voient pas.

         Et que voit-il que les autres, ses accusateurs, ne voient pas ?

         Il voit « les cieux ouverts » : cela revient à dire que le salut est arrivé ; il n’y a plus de frontière, de séparation entre le ciel et la terre : l’Alliance entre Dieu et l’humanité est rétablie, le fossé entre Dieu et l’humanité est comblé. On se souvient de la phrase d’Isaïe : « Ah, si tu déchirais les cieux ! » (Is 63,19).

         Jésus est debout : le Ressuscité n’est plus couché dans la mort. Le mot « debout » était très symbolique dans les premiers temps de l’Église : à tel point que la position « debout » est devenue la position privilégiée de la liturgie ; celui qui prie, « l’orant » est toujours représenté debout. Pour la même raison, certains évêques des premiers siècles invitaient les fidèles à rester debout pendant toute la durée de la messe du dimanche : parce que c’est le jour où nous faisons mémoire de la résurrection de Jésus.1

         Jésus est « à la droite de Dieu » : on disait des rois qu’ils siégeaient à la droite de Dieu ; appliquer cette expression à Jésus, c’est donc une manière de dire qu’il est le Messie. Les juges qui entendent cette phrase dans la bouche d’Étienne ne s’y trompent pas. Dire qu’il est le « Fils de l’homme » est tout aussi grave. L’expression « Fils de l’homme » était l’un des titres du Messie. En quelques mots, Étienne vient donc de dire que Jésus, cet homme méprisé, éliminé, rejeté par les autorités religieuses est dans la gloire de Dieu. Ce qui revient à les accuser d’avoir commis non seulement une erreur judiciaire, mais pire encore, un sacrilège !

         Cette vision qu’a eue Étienne de la gloire du Christ va lui donner la force d’affronter le même destin que son maître : Luc accumule les détails de ressemblance entre les derniers moments d’Étienne et ceux de Jésus. Étienne est traîné hors de la ville tout comme le Calvaire était en dehors de Jérusalem ; pendant qu’on le lapide, il prie : et spontanément il redit le même psaume que Jésus : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit » (Ps 30/31) ; et enfin, il meurt en pardonnant à ses bourreaux. Jésus avait dit « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », Étienne, au moment de mourir, dit à son tour « Seigneur, ne leur compte pas ce péché » (et c’est bien le même auteur, Luc, qui le note).

         Et Luc, dont on dit souvent qu’il est l’évangéliste de la miséricorde, nous montre la fécondité de ce pardon : l’un des bénéficiaires du pardon d’Étienne est Saül de Tarse, l’un des pires opposants au christianisme naissant. Il se convertira bientôt pour devenir témoin et martyr à son tour.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - « L’usage de ne pas plier les genoux pendant le jour du Seigneur est un symbole de la résurrection par laquelle nous avons été libérés, grâce au Christ, des péchés et de la mort qui a été mise à mort par lui » (saint Irénée, Traité sur la Pâque, deuxième siècle). « C’est debout que nous faisons la prière le premier jour de la semaine, mais nous n’en savons pas tous la raison. Ce n’est pas seulement parce que, ressuscités avec le Christ et devant « chercher les choses d’en haut » (Col 3,1), nous rappelons à notre souvenir, en nous tenant debout quand nous prions en ce jour consacré à la Résurrection, la grâce qui nous a été donnée, mais parce que ce jour-là paraît être en quelque sorte l’image du siècle à venir... » (saint Basile, Traité du saint Esprit, quatrième siècle).
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  96 (97), 1-2b, 6-7c, 9

 

1     Le SEIGNEUR est roi ! Exulte la terre !          
       Joie pour les îles sans nombre !  
2     Justice et droit sont l'appui de son trône.     

6     Les cieux ont proclamé sa justice,
       et tous les peuples ont vu sa gloire.
7     À genoux devant lui, tous les dieux !     

9     Tu es, SEIGNEUR, le Très-Haut
       sur toute la terre :
       tu domines de haut tous les dieux.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Bien sûr, aujourd’hui, à la lumière de la résurrection du Christ, quand nous disons « le SEIGNEUR est roi », nous le pensons de Jésus-Christ. Mais ce psaume a d’abord été composé pour célébrer le Dieu d’Israël ; je vous propose donc de le méditer tel qu’il a été composé.

         « Le SEIGNEUR est roi ! » Dès les premiers mots de ce psaume, nous savons qu’il a été composé pour honorer Dieu comme le seul roi, le roi devant lequel tous les roitelets de la terre doivent courber la tête ! Dieu est le seul Dieu, le seul Seigneur, le seul roi... Si les psaumes et les prophètes y insistent tant, on devine que  cela n’allait pas de soi ! La lutte contre l’idolâtrie a été le grand combat de la foi d’Israël. Nous avons entendu ici : « À genoux devant lui, tous les dieux ! »  et encore : « Tu domines de haut tous les dieux ».

         Entendons-nous bien : ces phrases ne sont pas une reconnaissance qu’il y aurait d’autres dieux même inférieurs !... Au moment où ce psaume est écrit, la Bible en a fini avec toute trace de polythéisme : « Écoute, Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN », c’est le premier article du credo juif. Des phrases comme « à genoux devant lui, tous les dieux » ou « tu domines de haut tous les dieux » sont parfaitement claires dans la mentalité biblique : un seul être au monde mérite qu’on se mette à genoux devant lui, c’est Dieu, le Dieu d’Israël, le seul Dieu. Toutes les génuflexions qu’on peut faire devant d’autres que Dieu ne sont que de l’idolâtrie.

         C’est bien d’ailleurs pour cela que Jésus a été condamné et exécuté : il a osé se prétendre Dieu lui-même ; c’est donc un blasphémateur et tout blasphémateur doit être retranché du peuple élu ; élu précisément pour annoncer au monde le Dieu unique.

         Il faut dire que tous les peuples alentour sont polythéistes. Même la réforme religieuse du pharaon Akhenaton, vers 1350 av. J.-C. n’a pas instauré un monothéisme strict : jamais Akhenaton n’a envisagé un seul dieu régissant l’univers entier. Le peuple élu a donc été en permanence tout au long de l’histoire biblique, au contact de peuples polythéistes, idolâtres. Et sa foi a chancelé plus d’une fois... à ce moment-là les prophètes comparaient Israël à une épouse infidèle ; ils la traitaient d’adultère, de prostituée... mais aussi et en même temps, chaque fois, ils assuraient le peuple élu du pardon de Dieu.

         Une autre trace dans la Bible de cette lutte contre l’idolâtrie, ce sont toutes les ressources dont les écrivains disposent pour affirmer que Dieu est unique. Pour moi, l’exemple le plus frappant est le premier chapitre de toute la Bible, le premier récit de la Création dans le premier chapitre de la Genèse. Ce texte a été écrit par les prêtres pendant l’Exil à Babylone, donc au sixième siècle av. J.-C. À cette époque-là, à Babylone, on croit que le ciel est peuplé de dieux, rivaux entre eux, d’ailleurs, et ceux qui ont décidé de fabriquer l’homme ont bien l’intention d’en faire leur esclave : le bonheur de l’homme est le dernier de leurs soucis. Ils imaginent que la création a été faite à partir des restes du cadavre d’une divinité monstrueuse et l’homme lui-même est un mélange : il est mortel, mais il renferme une parcelle divine qui provient du cadavre d’une divinité mauvaise.

         Les prêtres d’Israël vont donc se démarquer très fort de ces représentations qui sont aux antipodes du projet de Dieu. Pour commencer, on va répéter que la Création n’est que bonne : pas de mélange monstrueux à partir du cadavre d’un dieu mauvais vaincu ; c’est pourquoi, génialement, on a inséré ce refrain « et Dieu vit que cela était bon ». Ensuite, pour bien affirmer qu’il n’y a qu’un dieu, sans équivoque possible, pour qu’on ne soit pas tenté d’honorer le soleil comme un dieu, ou la lune comme une déesse, on ne va même pas les nommer : le texte dit : « Et Dieu fit les deux grands luminaires, le grand luminaire pour présider au jour et le petit luminaire pour présider à la nuit ». Ils sont réduits à leur fonction utilitaire : deux ampoules en somme. Les voilà remis à leur place, si l’on peut dire !  Et enfin et surtout, Dieu crée l’homme à son image et à sa ressemblance et il en fait le roi de la création : l’homme à l’image de Dieu, il fallait bien une révélation pour qu’on puisse oser y croire !

         Je reviens à notre psaume : je note encore une chose très  intéressante, c’est la juxtaposition des deux parties de la première ligne : « Le SEIGNEUR est roi ! Exulte la terre ! »... Ce qui veut dire que la royauté de Dieu s’étend à toute la terre et cela pour le bonheur et l’exultation de toute la terre ! Une fois de plus, nous rencontrons cette note d’universalisme si importante dans la découverte biblique. Les versets que nous avons entendus tout à l’heure en sont très marqués ; par exemple : « Joie pour les îles sans nombre !... Tous les peuples ont vu sa gloire. » Dans d’autres versets c’est la notion de l’élection d’Israël qui est une fois de plus elle aussi réaffirmée : « Pour Sion qui entend, grande joie ! Les villes de Juda exultent devant tes jugements, SEIGNEUR ! » Ces deux aspects élection d’Israël, et salut de l’humanité tout entière sont toujours liés dans les textes bibliques tardifs, c’est-à-dire à partir du moment où on a cru vraiment au Dieu unique. S’il est le Dieu unique, il est également celui de l’humanité tout entière, ce qu’on appelle ici les îles sans nombre.

         Autre dimension très présente, elle aussi, la joie : elle éclate dans ce psaume, mais j’ose dire que l’ensemble de la Bible est un livre joyeux, parce qu’elle annonce de mille manières que le projet de Dieu est le bonheur de l’humanité. Et c’est précisément parce que le projet de Dieu sur l’humanité est un projet de joie et d’exultation que des croyants comme Étienne dont nous parlait la première lecture ont pu mourir en disant en toute confiance « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ».

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Dans d’autres versets de ce psaume, une autre façon de marquer la grandeur unique de Dieu consiste à décrire de grands bouleversements cosmiques lorsqu'il apparaît : feu, éclairs, nuage, ténèbre, tremblements de terre ; (exemple versets 4-5 : « Quand ses éclairs illuminèrent le monde, la terre le vit et s’affola ; les montagnes fondaient comme cire devant le SEIGNEUR... »). Lorsqu'on rencontre une description de ce genre, c'est toujours pour une oreille juive  un rappel de la grande rencontre de Moïse avec Dieu sur le mont Sinaï.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN   22,12-14.16-17.20

 

       Moi, Jean,           
       j'ai entendu une voix qui me disait :
12   « Voici que je viens sans tarder,            
       et j'apporte avec moi le salaire   
       que je vais donner à chacun selon ce qu'il a fait.
13   Moi, je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier,
       le commencement et la fin.
14   Heureux, ceux qui lavent leurs vêtements :       
       ils auront droit d’accès à l'arbre de la vie,         
       et, par les portes, ils entreront dans la ville.
16   Moi, Jésus, j'ai envoyé mon ange          
       vous apporter ce témoignage au sujet des Églises.       
       Moi, je suis le rejeton, le descendant de David,           
       l'étoile resplendissante du matin. »
17   L'Esprit et l'Épouse disent : « Viens ! »            
       Celui qui entend, qu'il dise : « Viens ! »           
       Celui qui a soif, qu'il vienne.     
       Celui qui le désire,         
       qu'il reçoive l'eau de la vie, gratuitement.
20   Et celui qui donne ce témoignage déclare :       
       « Oui, je viens sans tarder. »      
       - Amen ! Viens, Seigneur Jésus !
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Ce texte solennel est le final de l’Apocalypse : ce mot de « final » nous vient spontanément et au fond, il peut nous aider à entrer dans ce passage à première vue énigmatique. Dans une œuvre symphonique, le final c’est l’apothéose, mais tout était déjà contenu dans le début de l’œuvre, ce qu’on appelle l’ouverture. Ici, c’est particulièrement vrai. Les mêmes mots, les mêmes formules se répondent dans le premier et le dernier chapitres de l’Apocalypse : si bien qu’on peut vraiment parler d’une inclusion sur l’ensemble du livre ; (nous avons déjà rencontré plusieurs fois ce procédé littéraire « d’inclusion » utilisé pour mettre en valeur ce qui est la bonne nouvelle contenue dans un texte). Plusieurs versets sont donc pratiquement identiques dans le premier et dans le dernier chapitres ; par exemple : « Voici, Il vient au milieu des nuées et tout œil le verra » du premier chapitre (Ap 1, 7) est repris en écho : « Voici que je viens sans tarder » (22, 20) ; et aussi dans l’un des derniers mots du livre, ce fameux « Viens, Seigneur Jésus » que nous redisons à chaque messe, dans l’acclamation après la consécration.

         Nous retrouvons également ici dans les dernières lignes de l’Apocalypse les expressions « Je suis le premier et le dernier » (1, 17)... « Je suis l’alpha et l’oméga » (1, 8)... tout comme nous les avions lues dans le premier chapitre. Cela bien sûr nous aide à décrypter ce livre un peu étrange comme un chant de victoire ! Le final de l’Apocalypse, c’est effectivement l’apothéose, le projet de Dieu enfin accompli : « l’étoile resplendissante du matin » se lève. Tous les assoiffés peuvent s’approcher et boire l’eau de la vie. Toute soif est comblée, la mort même a disparu : puisqu’il s’agit de l’eau de la vie... et d’ailleurs le texte dit également que l’on peut s’approcher des fruits de l’arbre de vie.

         Les temps messianiques sont donc bien là ; saint Jean affirme très clairement que Jésus est le Messie : « Moi, Jésus, je suis le descendant, le rejeton de David, l’étoile resplendissante du matin ». Ou encore, dire solennellement qu’il VIENT, c’est aussi affirmer qu’il est le Messie : rappelons-nous la fameuse phrase « Béni soit celui qui VIENT au nom du Seigneur » qui était l’une des acclamations de la fête des Tentes (voir le psaume 117/118). Celui qui vient au nom du Seigneur, c’est le Messie. Et si l’on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que notre passage de ce dimanche contient deux fois la phrase : « Voici que je viens sans tarder » : au début et à la fin de notre texte ; autre inclusion, qui n’est pas due au hasard, évidemment : cela veut dire que c’est bien le message central de ce passage.

         Plus magnifiquement encore que ce qu’on attendait, ce Messie est Dieu : ce que personne n’aurait jamais osé imaginer ! Pourtant, nous rencontrons plusieurs fois ici le fameux « Je suis » qui est le nom même de Dieu dans l’Ancien Testament (Ex 3, 14). C’est aussi le sens de la triple expression « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » : le chiffre trois, on s’en souvient, évoque Dieu.

         Et d’ailleurs, chez le prophète Isaïe, la formule « le premier et le dernier » s’appliquait à Dieu et à lui seul : « C’est moi le premier, c’est moi le dernier, en dehors de moi, pas de dieu » (Is 44, 6) ; ou encore « C’est moi le premier, c’est moi aussi le dernier » (Is 48, 12). L’expression « l’alpha et l’oméga » est évidemment synonyme : on le sait, alpha et oméga sont la première et la dernière lettres de l’alphabet grec (n’oublions pas que le livre de l’Apocalypse a été écrit en grec).1

         Dans toutes ces expressions, il y a donc une notion de plénitude, d’accomplissement : un accomplissement qui vient sans tarder, à la demande insistante de l’Esprit et de l’Épouse : « L’Esprit et l’Épouse disent : Viens ! » L’Épouse, ici, bien sûr, c’est le peuple chrétien, l’Église. On entend résonner ici la phrase de saint Paul : « L'Esprit lui-même intercède pour nous en gémissements ineffables... » (Rm 8, 26). Le peuple chrétien est le peuple de l’attente. Une attente impatiente, une attente ardente, une attente active de la réalisation plénière du Royaume de Dieu. En principe, c’est notre première caractéristique.

          On pense aussi à cette phrase de Pierre dans sa deuxième lettre : « Non, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse... alors que certains prétendent qu'il a du retard... mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent, mais voulant que tous parviennent à la conversion. » (2 Pi 3,9). On ne s'étonne pas de retrouver sous la plume de Pierre, de Paul, et de Jean, tous les trois Juifs d'origine, tous les trois disciples du Christ, les mêmes méditations sur le grand projet de Dieu révélé à Israël et accompli en Jésus-Christ.

         Dernière remarque : l’Apocalypse est également le final de toute la Bible ! Et on peut découvrir des correspondances entre les déclarations de l’Apocalypse et le livre de la Genèse : le premier chapitre de la Genèse disait la Création, le projet de Dieu, Adam, (c’est-à-dire l’humanité) vivant en harmonie et reine de la création... le final de l’Apocalypse nous montre ce projet de Dieu réalisé en la personne du Christ, le Nouvel Adam. Quand, au dernier jour, le projet de Dieu se réalisera enfin pour tous les fils d’Adam, alors l’humanité tout entière pourra redire le dernier mot du récit de la Création, dans la Genèse : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon ! » (Gn 1,31). En définitive, d’un bout à l’autre de l’Apocalypse, Jean nous a fait méditer sur ce grand projet de Dieu : déjà réalisé pleinement en Jésus-Christ et en cours de réalisation pour nous. Comme dit Paul « La Création tout entière gémit dans les douleurs d’un enfantement qui dure encore. » (Rm 8,22).

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 – Les auteurs bibliques sont familiers de ce genre de « jeux de lettres » : il suffit de penser aux psaumes alphabétiques, ces psaumes dont chaque ligne ou chaque verset commence par une lettre de l'alphabet dans l'ordre (nous en avons déjà rencontré plusieurs fois). Cela veut dire que Dieu est tout pour nous, que la vie dans l'Alliance est toute notre vie, tout notre bonheur, de A à Z.

Complément

Le verset 12 présente une difficulté : « Voici que je viens sans tarder, et j'apporte avec moi le salaire que je vais donner à chacun selon ce qu'il aura fait. » Ce mot de « salaire » est ambigu et risque de nous ramener à une fausse image de Dieu, l’idée d’un Dieu comptable et punisseur ; alors qu’il s’agit là tout simplement d’un mot d’encouragement.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   17,20-26

 

       En ce temps-là,
       les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi :
20   « Père saint,
       je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là,
       mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi.
21   Que tous soient un,
       comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi.
       Qu’ils soient un en nous, eux aussi,
       pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
22   Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée,
       pour qu’ils soient un comme nous sommes UN :
23   moi en eux, et toi en moi.
       Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un,
       afin que le monde sache que tu m’as envoyé,
       et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
24   Père,
       ceux que tu m’as donnés,
       je veux que là où je suis,
       ils soient eux aussi avec moi,
       et qu’ils contemplent ma gloire,
       celle que tu m’as donnée
       parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde.
25   Père juste,
       le monde ne t’a pas connu,
       mais moi je t’ai connu,
       et ceux-ci ont reconnu
       que tu m’as envoyé.
26   Je leur ai fait connaître ton nom,
       et je le ferai connaître,
       pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux,
       et que moi aussi, je sois en eux. »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Nous sommes à la fin du dernier entretien de Jésus avec ses apôtres quelques heures avant sa mort. L’entretien prend maintenant la forme d’une prière : il prie devant eux ; cela veut dire qu’il les fait entrer dans son intimité ; il leur fait partager ses désirs les plus profonds. Or de qui parle-t-il le plus dans sa prière ? Il parle du monde ; ce qu’il veut de toutes ses forces, c’est que le monde croie : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » Un peu plus tard, il répète : « Que leur unité soit parfaite ; ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé ». Et pourquoi est-il si important que le monde reconnaisse en Jésus l’envoyé du Père ?1 Parce qu’alors seulement le monde saura combien Dieu l’aime. L’envoi de son Fils est la plus belle preuve d’amour que Dieu peut donner au monde : « Le monde saura que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. » C’est bien le même saint Jean qui rapporte la phrase de Jésus à Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. » (Jn 3,16).

         À relire ces lignes, on est frappés de l’insistance de Jésus sur les mots amour et unité ; une fois de plus, il faut reconnaître que l’histoire de Dieu avec les hommes est une grande aventure, une histoire d’amour. Dieu est Amour, il aime les hommes, et il envoie son Fils pour le leur dire de vive voix ! C’est bien ce que Jésus dira quelques heures plus tard à Pilate, au cours de son interrogatoire : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. » (Jn 18,37)

         Au moment de s’en aller, de passer de ce monde à son Père, comme dit Jean, Jésus transmet le témoin à ses disciples, et à travers eux à tous les disciples de tous les temps : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi. » Désormais, c’est à eux que le témoignage est confié ; Jésus l’a dit quelques instants auparavant : « Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde. » (Jn 17,18). Il le leur redira le soir de Pâques : « Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » (Jn 20,21). Comme tous ceux qui, avant eux, tout au long de l’histoire biblique, ont été choisis par Dieu, ceux-ci sont choisis pour une mission ; et cette mission est toujours la même pour tous les prophètes de tous les temps : annoncer que Dieu aime les hommes. À la suite de Jésus-Christ, tout chrétien peut dire ou devrait pouvoir dire : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. » Cette vérité qui est l’amour sans limites de Dieu pour l’humanité, ou, si vous préférez, ce fameux « dessein bienveillant » dont parle la lettre aux Éphésiens.

         Mais, voilà, il y a quand même une chose étrange dans tout cela : on peut se demander en quoi ce message est-il si dérangeant que Jésus l’ait payé de sa vie, comme de nombreux prophètes avant lui et ses apôtres ensuite. Jésus aborde précisément cette question dans les dernières phrases de notre texte de ce dimanche ; il dit : « Père juste, le monde ne t’a pas connu. » Pour lui, l’explication est là, c’est le drame de la méconnaissance.

         C’est cette méconnaissance de l’amour de Dieu qui est la racine du malheur de l’humanité, méditait déjà le livre de la Genèse. Et le prophète Isaïe notait : « Un bœuf connaît son propriétaire et un âne la mangeoire chez son maître. Mais Israël ne connaît pas, mon peuple ne comprend pas » (Is 1,3).

         C’est bien ce que saint Jean dit dans le prologue de son évangile : « Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu dans son propre bien et les siens ne l’ont pas accueilli. » (Jn 1,10-11).

         Comme Jésus, les disciples vivront ce déchirement, ce drame du refus par ceux à qui ils annonceront pourtant la meilleure nouvelle qui soit. Le monde est l’objet de l’amour de Dieu et de ses prophètes mais aussi et en même temps le lieu du refus de cet amour. Jésus a exprimé ce drame à plusieurs reprises : d’une part, « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique... Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui» (3,16...17 ; 12,47). D’autre part, « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier... (Mais) prenez courage, j’ai vaincu le monde ! » (15,18 ; 16,33).

         C’est sur ce cri de victoire qu’il nous faut rester : nous savons que le chant d’amour de Dieu pour l’humanité finira bien par être entendu. À l’instant même où Jésus fait cette grande prière, où il se confie ainsi à son Père devant ses disciples, il sait bien qu’il est déjà exaucé ; lui qui a dit : « Père, je sais bien que tu m’exauces toujours. » (Jn 11,42). C’est seulement pour hâter le jour qu’il insiste tant sur la consigne d’unité qu’il donne à ses envoyés : « Qu’ils soient un en nous eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé ».

         Jusqu'au jour où l'ange fera sonner sa trompette pour annoncer « Le royaume du monde est maintenant à notre Seigneur et à son Christ et il régnera pour les siècles des siècles » (Ap 11,15).

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 – C’est pour cela que Jean attache de l’importance au sens du nom de la piscine de Siloé : cela signifie « L’Envoyé », justement. Et Jean le fait remarquer au moment où il guérit l’aveugle de naissance et reproche leur aveuglement spirituel à ceux qui refusent de croire en lui. (Jn 9).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 7e dimanche de Pâques (2 juin 2019)

Partager cet article

Repost0
19 mai 2019 7 19 /05 /mai /2019 17:58

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • donnant des explications historiques ;

  • donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "grâce", "bénédiction", "(être mis sous le) nom (de Dieu)", "(la) Pâque"; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 25 mai 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES  15,1-2.22-29

 

       En ces jours-là,
1     des gens, venus de Judée à Antioche,
       enseignaient les frères en disant :
       « Si vous n’acceptez pas la circoncision
       selon la coutume qui vient de Moïse,
       vous ne pouvez pas être sauvés. »
2     Cela provoqua un affrontement ainsi qu’une vive discussion
       engagée par Paul et Barnabé contre ces gens-là.
       Alors on décida que Paul et Barnabé,
       avec quelques autres frères,
       monteraient à Jérusalem auprès des Apôtres et des Anciens
       pour discuter de cette question.
22   Les Apôtres et les Anciens
       décidèrent avec toute l’Église
       de choisir parmi eux
       des hommes qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabé.
       C’étaient des hommes
       qui avaient de l’autorité parmi les frères :
       Jude, appelé aussi Barsabbas, et Silas.
23   Voici ce qu’ils écrivirent de leur main :
       « Les Apôtres et les Anciens, vos frères,
       aux frères issus des nations,
       qui résident à Antioche, en Syrie et en Cilicie,
       salut !
24   Attendu que certains des nôtres, comme nous l’avons appris,
       sont allés, sans aucun mandat de notre part,
       tenir des propos qui ont jeté chez vous le trouble et le désarroi,
25   nous avons pris la décision, à l’unanimité,
       de choisir des hommes que nous envoyons chez vous,
       avec nos frères bien-aimés Barnabé et Paul,
26   eux qui ont fait don de leur vie
       pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ.
27   Nous vous envoyons donc Jude et Silas,
       qui vous confirmeront de vive voix ce qui suit :
28   L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé
       de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations
       que celles-ci, qui s’imposent :
29   vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles,
       du sang,
       des viandes non saignées
       et des unions illégitimes.
       Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela.
       Bon courage ! »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE « CONCILE » DE JÉRUSALEM

Ce que j’appelle le « concile de Jérusalem » est une réunion au sommet qui a été organisée pour résoudre une crise grave qui a empoisonné longtemps la vie des premières communautés chrétiennes.

Dès le début, à Antioche de Syrie, il y a eu des chrétiens d'origine juive et des chrétiens d'origine païenne ; mais peu à peu, entre eux, la cohabitation est devenue de plus en plus difficile : leurs modes de vie sont trop différents. Non seulement, les chrétiens d'origine juive sont circoncis et considèrent comme des païens ceux qui ne le sont pas ; mais plus grave encore, tout les oppose dans la vie quotidienne, à cause de toutes les pratiques juives auxquelles les chrétiens d'origine païenne n'ont aucune envie de s'astreindre : de nombreuses règles de purification, d'ablutions et surtout des règles très strictes concernant la nourriture.

Et voilà qu’un jour des chrétiens d'origine juive sont venus tout exprès de Jérusalem pour envenimer la querelle en expliquant qu'on ne doit admettre au baptême chrétien que des Juifs ; concrètement, les païens sont priés de se faire Juifs d'abord, (circoncision comprise) avant de devenir chrétiens.

Derrière cette querelle, il y a au moins trois enjeux : premièrement, faut-il viser l'uniformité ? Pour vivre l'unité, la communion, faut-il avoir les mêmes idées, les mêmes rites, les mêmes pratiques ?

Le deuxième enjeu est une question de fidélité : tous ces chrétiens, de toutes origines, souhaitent rester fidèles à Jésus-Christ, c'est évident !... Mais, concrètement, en quoi consiste la fidélité à Jésus-Christ ? Jésus-Christ lui-même était juif et circoncis : cela veut-il dire que pour devenir chrétien il faut d'abord devenir Juif comme lui ?

Autre question de fidélité : Dieu a confié à Israël la mission d'être son témoin au milieu de l'humanité. Faut-il  donc faire partie d'Israël pour entrer dans la communauté chrétienne ? C'est ce que j'appelle la « logique de l’élection ». Conclusion : il faudrait être juif d'abord avant de devenir chrétien. Concrètement, cela veut dire qu'on accepterait de baptiser des païens, mais à condition qu'ils adhèrent d'abord à la religion juive et qu'ils se fassent circoncire.

Enfin, il y a un troisième enjeu, plus grave encore : le salut est-il donné par Dieu sans conditions, oui ou non ? Dire « Si vous ne recevez pas la circoncision, vous ne pouvez pas être sauvés », cela voudrait dire que Dieu lui-même ne peut pas sauver des non-Juifs... cela voudrait dire que c'est nous qui décidons à la place de Dieu qui peut ou ne peut pas être sauvé... Mais pourtant Jésus lui-même a bien dit « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ».

CELUI QUI CROIRA ET SERA BAPTISÉ SERA SAUVÉ 

C’est cet argument qui emporte tout. Cela veut dire que la logique de l’élection est dépassée. On est passés dans une nouvelle étape de l’histoire humaine : le prophète Joël avait bien dit « Toute chair verra le salut de Dieu ». Toute chair, c’est-à-dire tout homme et pas seulement les juifs.

Concrètement, les Apôtres prennent une double décision : les chrétiens d’origine juive ne doivent pas imposer la circoncision et les pratiques juives aux chrétiens d’origine païenne ; mais de l’autre côté, les chrétiens d’origine païenne, par respect pour leurs frères d’origine juive, s’abstiendront de ce qui pourrait troubler la vie commune, en particulier pour les repas.

Cela veut dire aussi qu'être fidèle à Jésus-Christ ne veut pas dire forcément reproduire un modèle figé. Pour le dire autrement, fidélité n'est pas répétition : quand on étudie l'histoire de l'Église, on est émerveillé justement de la faculté d'adaptation qu'elle a su déployer pour rester fidèle à son Seigneur à travers les fluctuations de l'histoire !

Il est très intéressant de remarquer qu’on n’impose à la communauté chrétienne que les règles qui permettent de maintenir la communion fraternelle. C’est certainement la meilleure manière d’être vraiment fidèle à Jésus-Christ : lui qui a dit « c’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » (Jn 13,35).         

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

              Ces questions autour de la circoncision et des pratiques de la loi juive peuvent paraître d’un autre âge : sommes-nous vraiment concernés ?

              Oui, car la question de fond autour de la grâce est toujours d’actualité ; nous avons toujours besoin de nous réentendre dire que la grâce est gratuite : c’est le sens même de ce mot ! Cela veut dire que Dieu ne fait jamais de comptes avec nous !

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  66 (67) 2-3,5, 7-8

 

2   Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
     que son visage s’illumine pour nous ;
3   et ton chemin sera connu sur la terre,
     ton salut, parmi toutes les nations.

5   Que les nations chantent leur joie,
     car tu gouvernes le monde avec justice ;
     tu gouvernes les peuples avec droiture,
     sur la terre, tu conduis les nations.

7   La terre a donné son fruit ;
     Dieu, notre Dieu, nous bénit.
8   Que Dieu nous bénisse,
     et que la terre tout entière l’adore !
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

              Avant de lire le psaume de ce dimanche, il faut en imaginer le cadre. Nous assistons à une grande célébration au temple de Jérusalem : à la fin de la cérémonie, les prêtres bénissent l'assemblée de manière très solennelle. Et les fidèles répondent : « Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble ! »

              C’est pour cela que ce psaume se présente comme une alternance entre les phrases des prêtres et les réponses de l’Assemblée qui ressemblent à des refrains. Les phrases des prêtres elles-mêmes s’adressent tantôt à l’assemblée, tantôt à Dieu : cela nous désoriente toujours un peu, mais c’est très habituel dans la Bible.

              La première phrase de bénédiction des prêtres (« Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse, que son visage s’illumine pour nous ») reprend exactement un texte très célèbre du livre des Nombres : « Le SEIGNEUR dit à Moïse : voici comment Aaron et ses descendants béniront les fils d’Israël ; que le SEIGNEUR te bénisse et te garde ! Que le SEIGNEUR fasse briller sur toi son visage, qu’il se penche vers toi ! Que le SEIGNEUR tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !... C’est ainsi que mon nom sera prononcé sur les fils d’Israël et moi, je les bénirai. » (Nb 6,24-26). C’est la première lecture du 1er janvier de chaque année. Pour un 1er janvier, jour des vœux, c’est le texte idéal ! On ne peut pas formuler de plus beaux vœux de bonheur.

              Et au fond, une bénédiction, c’est cela, des vœux de bonheur !  (C’est d’ailleurs ce choix d’une formule de bénédiction pour la lecture du 1er janvier qui nous permet de comprendre le sens du mot « bénédiction »).

              J’ai dit « vœux de bonheur » ; et effectivement, les bénédictions sont toujours des formules au subjonctif : « que Dieu vous bénisse, que Dieu vous garde ... » ; cela me rappelle toujours une petite histoire : une jeune femme que je connais était malade, à l’hôpital ; le dimanche, quand un prêtre ami est venu lui apporter la communion, il a accompli le rite comme il est prévu et, donc, à la fin il lui a dit : « que Dieu vous bénisse » et elle, sans réfléchir et sans se contenir (mais, à l’hôpital, on a des excuses !) a répondu en riant : « mais qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse d’autre ! » Bienheureuse spontanéité : notre petite dame a fait ce jour-là une grande découverte : c’est vrai : Dieu ne sait que nous bénir, que nous aimer, que nous combler à chaque instant. Et quand le prêtre (que ce soit au temple de Jérusalem ou à l’hôpital, ou dans nos églises), quand le prêtre dit « que Dieu vous bénisse », cela ne veut évidemment  pas dire que Dieu pourrait ne pas nous bénir ! Le souhait est de notre côté si j’ose dire : c’est-à-dire ce qui est souhaité c’est que nous entrions dans cette bénédiction de Dieu qui, elle, est sans cesse offerte...

              Ou bien, quand le prêtre dit « Le Seigneur soit avec vous », c’est la même chose : le Seigneur EST toujours avec nous... mais ce subjonctif  « SOIT » dit notre liberté : c’est nous qui ne sommes pas toujours avec lui. De la même manière, quand le prêtre dit « Que Dieu vous pardonne », nous savons bien que Dieu nous pardonne sans cesse : à nous d’accueillir le pardon, d’entrer dans la réconciliation qu’il nous propose.

               Du côté de Dieu, si l’on peut dire, les vœux de bonheur à notre égard sont permanents. Vous connaissez la phrase de Jérémie : « Moi, je sais les projets que j’ai formés à votre sujet, dit le SEIGNEUR, projets de prospérité et non de malheur, je vais vous donner un avenir et une espérance. » (Jr 29, 11). Puisque Dieu est Amour, toutes les pensées qu’il a sur nous ne sont que des vœux de bonheur.

              Autre piste pour comprendre ce qu’est une bénédiction au sens biblique : je reviens au texte du livre des Nombres que je lisais tout à l’heure et qui ressemble si fort à notre psaume d’aujourd’hui : « Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde... » ; la première phrase du même texte disait :  « Le SEIGNEUR dit à Moïse : voici comment Aaron et ses descendants béniront les fils d’Israël » et la dernière phrase : « C’est ainsi que mon nom sera prononcé sur les fils d’Israël et moi, je les bénirai. »

              Quand les prêtres bénissent Israël de la part de Dieu, la Bible dit : « ils prononcent le NOM de Dieu sur les fils d’Israël » et même pour être plus fidèle encore, au texte biblique, il faudrait dire « ils METTENT le NOM de Dieu sur les fils d’Israël ».

              Cette expression  « Mettre le NOM de Dieu sur les fils d’Israël » est aussi pour nous une définition du mot « bénédiction ». On sait bien que, dans la Bible, le nom, c’est la personne. Donc, être « mis sous le nom de Dieu », c’est être placé sous sa présence, sous sa protection, entrer dans sa présence, sa lumière, son amour. Encore une fois, tout cela nous est offert à chaque instant. Mais encore faut-il que nous y consentions. C’est pour cela que toute formule de bénédiction prévoit toujours la réponse des fidèles. Quand le prêtre nous bénit à la fin de la Messe, par exemple, nous répondons  « Amen » : c’est notre accord, notre consentement.

              Dans ce psaume d’aujourd’hui, la réponse des fidèles, c’est ce refrain « Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble ! » Je vois là une superbe leçon d’universalisme ! Aussitôt qu’il entre dans la bénédiction de Dieu, le peuple élu répercute en quelque sorte la bénédiction qu’il accueille pour lui-même. Et le dernier verset est une synthèse de ces deux aspects : « Que Dieu nous bénisse (sous-entendu, nous son peuple choisi) ET que la terre tout entière l’adore »

              C’est dire que le peuple d’Israël n’oublie pas sa vocation, sa mission au service de l’humanité tout entière. Il sait que de sa fidélité à la bénédiction reçue gratuitement, par choix de Dieu, dépend la découverte de l'amour et de la bénédiction de Dieu par l'humanité tout entière.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN   21, 10-14. 22-23

 

       Moi, Jean, j’ai vu un ange.
10   En esprit, il m’emporta
       sur une grande et haute montagne ;
       il me montra la Ville sainte, Jérusalem,
       qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu :
11   elle avait en elle la gloire de Dieu ;
       son éclat était celui d’une pierre très précieuse,
       comme le jaspe cristallin.
12   Elle avait une grande et haute muraille,
       avec douze portes et, sur ces portes, douze anges ;
       des noms y étaient inscrits :
       ceux des douze tribus des fils d’Israël.
13   Il y avait trois portes à l’orient,
       trois au nord,
       trois au midi,
       et trois à l’occident.
14   La muraille de la ville reposait sur douze fondations
       portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau.
22   Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire,
       car son sanctuaire,
       c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers,
       et l’Agneau.
23   La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer,
       car la gloire de Dieu l’illumine :
       son luminaire, c’est l’Agneau.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

              Dimanche dernier, dans le texte qui nous était proposé, Jean disait qu’il avait vu de loin la Jérusalem nouvelle qui descendait du ciel ; il ne la décrivait pas ; il disait seulement : « La cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux ».

              Cette fois, au contraire, Jean la décrit longuement : il est fasciné par la lumière qui s’en dégage. Une lumière telle qu’elle éclipse le rayonnement de la lune et même du soleil. La ville est tellement resplendissante qu’elle ressemble à un bijou très brillant, une pierre précieuse qui chatoie à la lumière. 

              La raison de cette luminosité tout à fait extraordinaire, Jean nous la donne tout de suite : par deux fois il répète : « elle brille de la gloire même de Dieu », « la gloire de Dieu l’illumine ». Et ces deux affirmations sont l’une au début, l’autre à la fin de la description : ce qui veut dire que c’est l’élément le plus important. Nous avons déjà rencontré souvent ce procédé littéraire qu’on appelle une « inclusion » et qui vise à mettre l’accent sur les phrases « incluses »  justement entre la première et la dernière : ici donc, ce qui frappe Jean, c’est la gloire de Dieu illuminant la cité sainte qui descend d’auprès de Lui.

              Jean est très bien placé pour sa contemplation car un ange l’a transporté sur une grande et haute montagne ; il tient saint Jean par la main et il lui montre la ville de loin. Dans sa main gauche, l’ange tient une baguette d’or : tout à l’heure, elle lui servira à mesurer les dimensions de la ville. Mais commençons par la regarder. Elle est carrée : comme le chiffre quatre, le carré est symbolique de ce qui est humain : il s’agit bien d’une  ville construite de main d’homme. Et c’est cette ville, bien humaine, qui est illuminée de la gloire de Dieu, du rayonnement de la présence de Dieu. Nous avons vu l’autre jour que, dans l’Apocalypse, le chiffre trois évoque Dieu ; on n’est donc pas surpris que la description de la ville utilise abondamment un multiple de trois et quatre : douze ! Manière superbe de dire que l’action de Dieu se déploie dans cette œuvre humaine.

              À l’époque de saint Jean on ne concevait pas de ville sans rempart : celle-ci en a : et ce n’est peut-être pas un hasard si la muraille de la ville est grande et haute comme la montagne : classiquement, dans la Bible, la montagne est le lieu de la rencontre avec Dieu.

              Dans les remparts, douze portes sont creusées, douze portes qui ne se ferment jamais, si on en croit la suite du texte : car toute l’humanité doit pouvoir y entrer ; personne ne doit se heurter à porte close ! Douze portes distribuées équitablement sur les quatre côtés du carré : trois portes à l’est, trois au nord, trois au sud, trois à l’Ouest.

              Les douze portes sont gardées par douze anges : et sur chacune des portes un nom est inscrit : celui d’une des douze tribus d’Israël. Le peuple d’Israël a bien été choisi par  Dieu pour être la porte par laquelle toute l’humanité entrera dans la Jérusalem définitive.

              La muraille repose sur des fondations : sur ces fondations les noms des douze apôtres de l’Agneau : comme en architecture, il y a continuité entre les fondations et les murs, il y a ici continuité entre les douze tribus d’Israël et les douze apôtres. Manière de dire que l’Église fondée par Jésus-Christ accomplit bien le dessein de Dieu qui se déploie tout au long de l’histoire biblique.

              Quand il pénètre dans la ville magnifique, Jean est tout surpris : le premier monument qu’il y cherche, c’est le Temple : car la présence du Temple dans la ville sainte était le rappel vivant que Dieu ne quittait pas son peuple. Or ici saint Jean nous dit « dans la cité, je n’ai pas vu de temple... » mais il n’est pas déçu : au contraire ; cela veut dire que désormais il n’y a plus besoin de signe ou de rappel de la présence de Dieu, car Dieu lui-même est présent, visible au milieu de son peuple ; je reprends le texte : « Dans la cité, je n’ai pas vu de temple, car son temple, c’est le Seigneur, le Dieu tout-Puissant et l’Agneau. » Et Jean continue : « La cité n’a pas besoin de la lumière du soleil ni de la lune, car la gloire de Dieu l’illumine, et sa source de lumière, c’est l’Agneau. »

              Quand on sait l’importance attachée par le livre de la Genèse, à la création de la lumière dès le premier jour : « Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut », l’affirmation de l’Apocalypse prend toute sa force : l’ancienne Création a disparu : plus de soleil, plus de lune... Nous sommes dans la nouvelle Création. Désormais la présence de Dieu rayonne sur le monde par le Christ. « La cité n’a pas besoin de la lumière du soleil ni de la lune, car la gloire de Dieu l’illumine, et sa source de lumière, c’est l’Agneau. »

              Et pourtant Jérusalem a bien gardé son nom : c’est donc bien de la ville construite de main d’homme qu’il s’agit. Manière de dire que nos efforts pour collaborer au projet de Dieu sont utiles. Ils feront partie de la nouvelle Création ; notre œuvre humaine ne sera pas détruite mais transformée par Dieu

              Les premiers destinataires de l’Apocalypse, en butte au mépris et pour certains à la persécution romaine à la fin du premier siècle de notre ère, avaient bien besoin d’entendre ces paroles de victoire. Vingt siècles plus tard, en France tout au moins, nous ne craignons plus les mêmes persécutions, mais nous avons bien besoin de raviver notre espérance : et, en particulier, nous avons bien besoin de nous entendre dire que la Jérusalem céleste commence avec nos humbles efforts d’aujourd’hui.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   14,23-29

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à ses disciples :
23   « Si quelqu’un m’aime,
       il gardera ma parole ;
       mon Père l’aimera,
       nous viendrons vers lui
       et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
24   Celui qui ne m’aime pas
       ne garde pas mes paroles.
       Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi :
       elle est du Père, qui m’a envoyé.
25   Je vous parle ainsi,
       tant que je demeure avec vous ;
26   mais le Défenseur,
       l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom,
       lui, vous enseignera tout,
       et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.

27   Je vous laisse la paix,
       je vous donne ma paix ;
       ce n’est pas à la manière du monde
       que je vous la donne.
       Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.
28   Vous avez entendu ce que je vous ai dit :
       Je m’en vais,
       et je reviens vers vous.
       Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie
       puisque je pars vers le Père,
       car le Père est plus grand que moi.
29   Je vous ai dit ces choses maintenant,
       avant qu’elles n’arrivent ;
       ainsi, lorsqu’elles arriveront,
       vous croirez. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

              Nous sommes dans les toutes dernières heures de la vie de Jésus, juste avant la Passion : l’heure est grave... on devine l’angoisse des derniers moments ; on la lit à travers les lignes, puisque, à plusieurs reprises, Jésus dit à ses disciples des paroles d’apaisement : « Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés » ; au début de ce chapitre, déjà, il avait dit « que votre cœur ne se trouble pas » (v.1). Ce long discours de Jésus a été interrompu par plusieurs questions des apôtres : des questions qui disaient leur angoisse, leur incompréhension.

              Mais, curieusement, lui, au contraire, reste très serein : ici, comme tout au long de la Passion, Jean nous décrit Jésus comme souverainement libre ; c’est lui qui rassure ses disciples et non l’inverse ! Il annonce lui-même ce qui va se passer : « Je vous ai dit toutes ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, quand elles arriveront, vous croirez ». Non seulement il sait ce qui va se passer mais il l’accepte ; il ne fait rien pour se dérober. Il leur annonce son départ mais il le présente comme la condition et le début d’une nouvelle présence : « Je m’en vais et je reviens vers vous ».

              Ce « départ » sera interprété plus tard, après la Résurrection, comme la Pâque de Jésus ; le même Jean dit au chapitre 13 : « Avant la fête de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue, l’heure de PASSER de ce monde au Père »... Jean utilise volontairement ce mot, car on sait que Pâque veut dire « passage » : par là, Jean veut faire le rapprochement entre la Passion de Jésus et la libération d’Égypte qu’on revivait à chaque fête juive de la Pâque. Et donc, puisqu’il s’agit de libération, ce départ ne devrait pas plonger les apôtres dans la tristesse : « Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père ». Phrase stupéfiante pour les disciples : eux ils voient leur maître, celui qu’ils suivent depuis plusieurs mois, devenu un homme traqué par les autorités religieuses : c’est-à-dire les responsables, ceux à qui on fait confiance pour ce qui concerne les choses de Dieu, ce qui est bien le tout de la vie quand on est juif.

              Ce sont ces autorités qui, au nom de Dieu justement, sont les pires opposants à Jésus. Et ils ont de bonnes raisons, il faut le dire : depuis des siècles, la grande découverte du peuple élu, et par révélation de Dieu lui-même, c’est que Dieu est unique ! « Écoute Israël ! Le SEIGNEUR ton Dieu est le Dieu UN ». Et tous les prophètes ont lutté pour maintenir cette foi contre vents et marées. Et ce Dieu unique, il est à la fois le Dieu proche de l’homme ET le Dieu Tout-Autre, le Saint. Jésus, lui, prêche bien un Dieu proche de l’homme, et spécialement des plus petits... Mais il se prétend Dieu lui-même : aux yeux des Juifs, c’est un blasphème caractérisé, c’est faire offense au Dieu unique, au Dieu Tout-Autre. Dans notre texte de ce dimanche, Jésus insiste sur le lien qui l’unit à son Père : nommé cinq fois dans ces lignes ! Et il va jusqu’à parler au pluriel : « Si quelqu’un m’aime... NOUS viendrons chez lui, NOUS irons demeurer chez lui ».

              Et ce n’est pas la première fois qu’il a ce genre de propos : un peu avant, à Philippe qui lui demandait « Montre-nous le Père » il a tranquillement répondu  « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9). Ici, il dit encore : « La parole que vous entendez n’est pas de moi, elle est du Père qui m’a envoyé ». Autrement dit, il est l’Envoyé du Père, il est la parole du Père. Et, désormais, c’est l’Esprit Saint qui fera comprendre cette parole et qui la gardera dans la mémoire des disciples. La clé de ce texte est peut-être dans le mot « parole » : le mot revient ici plusieurs fois et si on se rapporte à ce qui précède, il n’y a pas de doute possible ; cette parole qu’il faut absolument garder, c’est le « commandement d’amour » : « aimez-vous les uns les autres », ce qui revient à dire « mettez-vous au service les uns des autres » ; et pour bien se faire comprendre, Jésus a lui-même donné un exemple très concret en lavant les pieds de ses disciples.

              Être fidèle à sa parole, c’est donc tout simplement se mettre au service des autres. Et, finalement, le texte d’aujourd’hui : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole » peut donc se traduire : Si quelqu’un m’aime, il se mettra au service de ses frères... Celui qui ne m’aime pas ne se mettra pas au service des autres... Inversement, si je comprends bien, celui qui ne se met pas au service des autres n’est pas fidèle à la parole du Christ !

              Et, du coup, nous comprenons mieux le rôle de l’Esprit Saint : c’est lui qui nous enseigne à aimer, il vous fait souvenir du commandement d’amour. Mais pourquoi Jésus l’appelle-t-il le Défenseur ? Nous savons bien que nous n’avons pas besoin de défenseur contre Dieu !

              L’Esprit Saint est notre « Défenseur », parce que, réellement, il nous protège, mais contre nous-mêmes... Car notre plus grand malheur est d’oublier que l’essentiel consiste à nous aimer les uns les autres, à nous mettre au service les uns des autres.

              Très concrètement, nous avons vu le Défenseur à l’œuvre dans la première communauté au moment de ce que l’on appelé le premier concile de Jérusalem (qui était l’objet de notre première lecture) : vous vous souvenez des difficultés de cohabitation entre les chrétiens d’origine juive et les chrétiens d’origine païenne. Évidemment l’Esprit d’amour a soufflé aux disciples du Christ la volonté de maintenir à tout prix l’unité.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 6e dimanche de Pâques (26 mai 2019)

Partager cet article

Repost0
12 mai 2019 7 12 /05 /mai /2019 20:05

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • donnant des explications historiques ;

  • donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "craignant Dieu", "Talmud", "exploit (de Dieu)", "Anciens", Jérusalem", "glorifié"; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 18 mai 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   14,21b-27

 

       En ces jours-là, Paul et Barnabé,
21   retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ;
22   ils affermissaient le courage des disciples ;       
       ils les exhortaient à persévérer dans la foi,        
       en disant :           
       « Il nous faut passer par bien des épreuves       
       pour entrer dans le royaume de Dieu. »
23   Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises      
       et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur
       ces hommes qui avaient mis leur foi en lui.
24   Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie.
25   Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé,        
       ils descendirent vers Attalia,
26   et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie,                  
       d'où ils étaient partis ;    
       c'est là qu'ils avaient été remis à la grâce de Dieu         
       pour l'œuvre qu'ils avaient accomplie.
27   Une fois arrivés, ayant réuni l'Église,    
       ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux,   
       et comment il avait ouvert aux nations païennes la porte de la foi.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          Ceci se passe au cours du premier voyage missionnaire de saint Paul, sur le trajet du retour. Je vous rappelle le début de cette première mission : d’Antioche de Syrie, Paul et Barnabé étaient partis par bateau vers la côte sud de ce que nous appelons aujourd’hui la Turquie en passant par Chypre. Puis ils avaient fait étape à Antioche de Pisidie, Iconium (Konya aujourd’hui), Lystres et Derbé. Partout, nous l’avons vu dimanche dernier, les choses se passent de la même façon : Paul et Barnabé s’adressent d’abord aux Juifs, et reçoivent un accueil plutôt « contrasté » : à la fois enthousiasme de la part de certains qui se convertissent, et refus violent de la part d’autres qui se situeront résolument en opposition et qui finiront par les chasser. Et c’est à Antioche de Pisidie qu’ils ont décidé d’adresser la parole non seulement aux Juifs mais également à ceux que l’on appelait des « craignant Dieu », c’est-à-dire des pratiquants de la religion juive mais non encore intégrés par la circoncision,  donc encore en rigueur de termes, des païens. C’est pour cette raison que Paul dit que « Dieu a ouvert aux nations païennes la porte de la foi ».

             Aujourd’hui, nous les retrouvons sur le chemin du retour : ils refont le même périple en sens inverse et revisitent les communautés qu’ils ont récemment fondées : elles aussi certainement sont affrontées déjà à des persécutions puisque Luc précise : « Paul et Barnabé les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu ». Jésus, déjà, avait employé à son propre sujet des expressions analogues : par exemple « il faut que le Fils de l’Homme souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération » (Luc 17, 25)... ou encore en s’adressant aux disciples d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » (Luc 24, 26). Ce « il faut » ne dit pas, bien sûr, une exigence qui viendrait de Dieu : Dieu ne nous impose pas des épreuves ou des souffrances préalables ; cette formule « il faut » dit une nécessité malheureusement due à la dureté de cœur des hommes, c’est-à-dire concrètement l’inévitable opposition à laquelle se heurtent les véritables prophètes tant que le monde n’est pas converti à l’amour, à la justice, au partage.

         Paul et Barnabé se préoccupent donc d’affermir la foi et le courage des nouveaux convertis ; ils doivent également veiller à la bonne organisation des communautés ; et là on peut remarquer deux choses : tout d’abord, ils désignent des responsables, ceux qu’ils appellent les « Anciens » ; c’est le mot grec « presbuteros » (d’où vient notre mot français « prêtre »).

         Deuxième remarque : Luc dit bien « Ils désignèrent des Anciens... puis après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en Lui ». Il s’agit ici précisément de ces Anciens qu’ils viennent de désigner à la tête des communautés. Luc insiste ici sur la place de la prière et du jeûne : l’équilibre est bien gardé ; on veille à l’organisation mais on ne se fie pas qu’à elle : prière, et jeûne sont aussi importants ! Tout à fait dans la même veine, un évêque d’Amérique Latine, au congrès Eucharistique de Lourdes, en 1981, disait : « Un évangélisateur qui ne prie plus, bientôt n’évangélisera plus »  ; petite phrase peut-être pas superflue pour nous qui sommes si préoccupés d’organisation... ?

         Luc nous dit encore que tout ceci se passe dans la confiance : « ils confièrent ces hommes au Seigneur » ; ils leur ont donné des responsabilités : maintenant, à eux de « jouer », le Seigneur les accompagne. Les apôtres en sont bien convaincus ; ils l’expérimentent déjà pour eux-mêmes : la mission qu’ils assument n’est pas leur œuvre à eux tout seuls ; il suffit de reprendre le texte : « Ils prirent le bateau jusqu’à Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils venaient maintenant d’accomplir ». Ils ont été remis à la grâce de Dieu, et à leur tour ils viennent de remettre à la grâce de Dieu les responsables qu’ils ont désignés pour les jeunes communautés.  

         Luc continue : « À leur arrivée, ils racontaient aux membres de la communauté d’Antioche de Syrie tout ce que Dieu avait fait avec eux. » Le rapprochement est intéressant : Luc parle ET de « l’œuvre que les Apôtres viennent d’accomplir » ET de « ce que Dieu avait fait avec eux » ; on ne peut pas dire plus clairement que la mission que Dieu confie aux croyants est une œuvre commune : œuvre de Dieu confiée à l’homme, œuvre de l’homme soutenu, accompagné, sans cesse inspiré par Dieu. Si nous nous souvenions en permanence que l’évangélisation est d’abord l’œuvre de Dieu, peut-être serions-nous plus sereins ?
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 144 (145), 8-13

 

8     Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,  
       lent à la colère et plein d'amour ;
9     la bonté du SEIGNEUR est pour tous, 
       sa tendresse pour toutes ses œuvres.     

10   Que tes œuvres, SEIGNEUR, te rendent grâce           
       et que tes fidèles te bénissent !
11   Ils diront la gloire de ton règne,
       ils parleront de tes exploits.     

12   Ils annonceront aux hommes tes exploits,         
       la gloire et l'éclat de ton règne :
13   ton règne, un règne éternel,       
       ton empire, pour les âges des âges.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

           Le psaume 144 (145) que la liturgie a sélectionné pour ce cinquième dimanche de Pâques comporte en réalité vingt-et-un versets alors que nous venons d'en entendre seulement six... Bien sûr, c'est un peu frustrant de ne l'entendre que partiellement, mais on peut aussi se demander pourquoi ces six versets-là précisément et alors, cela devient très intéressant.

         Vingt-et-un versets, autant que de lettres dans l'alphabet hébreu* ; nous savons déjà que ce n'est pas un hasard : qui plus est, ce psaume est vraiment alphabétique en ce sens qu'il s'agit de ce qu'on appelle un acrostiche ; chaque verset commence réellement par une des lettres de l'alphabet hébreu, dans l'ordre alphabétique... nous avons acquis le réflexe : en face d'un psaume alphabétique, nous savons d'avance qu'il s'agit d'un psaume d'action de grâce pour l'Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de aleph à tav) baigne dans l'Alliance, dans la tendresse de Dieu.

         Mais pourquoi ce psaume 144 (145) aujourd'hui ? Et pourquoi non pas la totalité du psaume, mais ces six versets précisément ?

         Première remarque : ce psaume figure dans la prière juive de chaque matin : pour le Juif croyant, le matin (l'aube du jour neuf) évoque irrésistiblement l'aube du JOUR définitif, celui du monde à venir, celui de la création renouvelée... On voit immédiatement la résonance qu'il prend alors pour nous, Chrétiens, en ce temps pascal... notre foi, c'est précisément que le Jour du Règne définitif de Dieu est déjà inauguré sous nos yeux par la Résurrection du Christ.

         Si nous allons un peu plus loin dans la spiritualité juive, le Talmud (c'est-à-dire l'enseignement des rabbins des premiers siècles après J.-C.), affirme que celui qui récite ce psaume trois fois par jour, « peut être assuré d’être un fils du monde à venir ». Or pour nous Chrétiens, encore une fois, le monde à venir dont parle la foi juive, c’est justement la création renouvelée par Jésus-Christ.

         Si l’on regarde d’un peu plus près les six versets précis qui ont été retenus pour aujourd’hui, il me semble premièrement qu’on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis... et, deuxièmement, qu’il entre en résonance parfaite avec les accents du temps pascal et, en particulier, les autres lectures de ce dimanche... 

         Premier verset entendu aujourd’hui : « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ». C’est le meilleur résumé qu’on puisse donner de toute la révélation biblique : puisque c’est le nom que Dieu  a donné de lui-même à Moïse (Ex 34, 6).

         Deuxième verset : « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse pour toutes ses œuvres » ; la tendresse et la pitié du Seigneur dont le peuple élu a eu le premier la Révélation, elles sont POUR TOUS ! Et cela, c’est une énorme découverte pour l’humanité... une découverte que nous devons au peuple élu... C’est un thème que nous avons rencontré déjà à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament : Dieu aime toute l’humanité et son projet d’amour, son « dessein bienveillant », comme dit Paul, concerne toute l’humanité.

         Aujourd’hui, nous entendons une résonance particulière avec le livre des Actes des Apôtres que nous lisons pendant tout le temps pascal : en particulier, le récit du livre des Actes proposé en première lecture dans la même messe de ce cinquième dimanche de Pâques insiste justement sur le fait que l’annonce de l’amour de Dieu n’est pas réservée aux Juifs, mais est proposée à toutes les nations païennes comme dit saint Luc... soit dit en passant, c’est pour cela que nous sommes nous aussi croyants, plus de deux mille ans plus tard, même si nous ne sommes pas d’origine juive.

         Une autre particularité de ce psaume, et surtout des versets lus aujourd’hui : il insiste sur la royauté de Dieu : « Tes fidèles diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits, ils annonceront aux hommes tes exploits, la gloire et l’éclat de ton règne : ton règne, un règne éternel, ton empire pour les âges des âges »... quatre fois le mot  « règne », (sans parler du mot « empire »)... deux fois le mot « exploit ». 

         Nous savons bien que le mot « exploit » dans la Bible est toujours une référence à la libération d’Égypte : Dieu a libéré son peuple... je ne devrais pas dire « Dieu A LIBÉRÉ «  comme si c’était du passé... la foi juive dit «  Dieu libère aujourd’hui son peuple, et ce depuis la première libération »...).

         Et, bien sûr, la libération ultime, c’est la victoire sur la mort. Ce psaume est donc tout particulièrement indiqué pour le temps pascal ; le Ressuscité du matin de Pâques expérimente dans sa chair la royauté de Dieu.

         Si vous avez le courage de vous rapporter au texte complet de ce psaume, vous verrez qu’il y a une parenté très grande entre ce texte et celui du Notre Père : par exemple, le Notre Père s’adresse à Dieu à la fois comme à un Père : « Notre Père... donne-nous... pardonne-nous... délivre-nous du mal... »...   un père qui est le Dieu de tendresse et de pitié dont parle ce psaume... ET comme à un roi (que ton Règne vienne) ... Soit dit en passant, ce rapprochement n’a rien d’étonnant quand on sait que toutes les phrases rassemblées par Jésus dans le Notre Père faisaient déjà partie, de son temps, des prières habituelles des Juifs !

         Je reviens à notre psaume : très certainement, quand le peuple d’Israël composait ce psaume, cette insistance sur la royauté de Dieu, ou sur son empire, était une manière de dire : plus jamais nous ne ferons confiance à des idoles : notre seul roi, notre seul maître, c’est Dieu, le Dieu d’amour... « le Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour »...

         Quand les fidèles du Christ disent ce psaume à leur tour, ils  savent de quoi ils parlent, si j’ose dire : en Jésus-Christ, le roi serviteur, le roi humble de la Passion ET triomphant de la mort par la Résurrection, ils ont découvert la présence du roi de l’univers : « Qui m’a vu a vu le Père »  disait Jésus à ses apôtres.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

* Selon que l’on compte pour une ou deux lettres le signe Sin/Shin (le même signe se prononce tantôt Sin, tantôt Shin), on comptabilisera 21 ou 22 lettres dans l’alphabet hébreu. Les grammairiens nomment les deux signes Sin et Shin, et comptent donc 22 lettres dans l’alphabet, le psalmiste, lui, n’a utilisé que la lettre Shin et donc 21 versets.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN    21, 1-5a

 

       Moi, Jean,
1     j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle,
       car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés
       et, de mer, il n’y en a plus.
2     Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle,
       je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu,
       prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari.
3     Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône.
       Elle disait :
       « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ;
       il demeurera avec eux,
       et ils seront ses peuples,
       et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu.
4     Il essuiera toute larme de leurs yeux,
       et la mort ne sera plus,
       et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur :
       ce qui était en premier s’en est allé. »
5     Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara :
       « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         « Voici que je fais toutes choses nouvelles » : ciel nouveau, terre nouvelle, Jérusalem nouvelle ; voilà notre avenir, nous dit saint Jean, notre « à-venir » en deux mots, ce qui vient. Finies les larmes, la mort, finis les pleurs, les cris, la tristesse... c’est du passé : premier ciel, première terre ont disparu. Autrement dit, le passé est passé, FINI. Évidemment Jean anticipe ; il nous a bien prévenus : son livre est un livre de visions, il révèle l’avenir pour donner le courage d’affronter le présent.

         Premier ciel, première terre, cela nous renvoie au récit biblique de la Création ; donc pour aborder ce passage de l’Apocalypse, il faut ouvrir le livre de la Genèse. Le premier chapitre présentait la Création, ce que l’Apocalypse appelle « la première création » comme tout entière bonne : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. » (Gn 1,31). Et pourtant, nous faisons chaque jour l’expérience des pleurs, des cris, de la tristesse, de la mort, comme dit encore l’Apocalypse. Et c’est la suite du livre de la Genèse, le récit du fruit défendu, qui nous dit ce qui pervertit la bonté de la Création ; il nous dit que la racine de toutes nos souffrances est dans la faille qui s’est creusée entre Dieu et l’humanité : ce soupçon originel qui ruine sans merci l’Alliance proposée... soupçon qui pousse l’humanité à prendre des chemins qui ne lui réservent que des échecs.

         Tout au long de l’histoire biblique, le peuple élu s’est entendu rappeler par les prophètes dans la voie de l’Alliance : la seule voie du vrai bonheur, c’est que Dieu habite vraiment parmi nous... que nous soyons son peuple, qu’il soit notre Dieu, que l’Alliance soit restaurée sans faille, comme un dialogue d’amour, comme des fiançailles... c’est la soif d’Israël tout au long de son histoire. Et des textes prophétiques innombrables annoncent très exactement ce que l’auteur de l’Apocalypse voit désormais réalisé ; le prophète Isaïe, par exemple : « Oui, je vais créer un  ciel nouveau et une terre nouvelle... on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l’esprit... Exultez sans fin, réjouissez-vous de ce que je vais créer...  Car je crée une Jérusalem de joie, un peuple d’allégresse. Je retrouverai mon allégresse en Jérusalem, ma joie en mon peuple. On n’y entendra plus de cris ni de pleurs... On n’y verra plus de nouveau-né emporté en quelques jours, ni d’homme qui ne parvienne pas au bout de sa vieillesse. » (Is 65,17-20).

         Symboliquement, ce renouvellement de toutes choses est représenté par la disparition de la mer : Israël n’est pas un peuple de marins, c’est clair ! Rappelons-nous aussi que la Création de l’univers est réfléchie dans la Bible à partir de la création du peuple élu ; or cette naissance du peuple extirpé à l’esclavage en Égypte, a été une victoire sur la mer : Dieu a fait apparaître la terre ferme pour le passage de son peuple ; le peuple sauvé a traversé à pied sec, et les forces du mal, les forces de l’esclavage, de l’oppression ont été englouties... Plus tard, cette fois dans le Nouveau Testament, au cours de sa vie terrestre, le Fils de Dieu fait homme a manifesté sa victoire sur le mal, sur les forces de l’abîme en marchant sur la mer...

         Désormais la victoire est totale, suggère l’Apocalypse : la mer a disparu ! Et avec elle, toute forme de mal : toute forme de souffrance, de larmes, de cris, de mort. Ce que l’humanité attend, sans toujours le savoir, ce que l’univers tout entier attend, c’est l’accomplissement de ce grand projet que Dieu forme depuis la création du monde : instaurer avec l’humanité une Alliance sans ombre, un dialogue d’amour. Le thème des noces de Dieu avec l’humanité nous paraît toujours audacieux, mais il est très présent dans la Bible dès l’Ancien Testament, chez les prophètes Osée ou Isaïe, par exemple, et dans le Cantique des Cantiques. Il est présent aussi dans le Nouveau Testament, à commencer par le récit des noces de Cana, pour ne citer que lui. Et dans notre texte de l’Apocalypse, on réentend cette promesse sous deux formes : d’abord, dans l’image de la Jérusalem nouvelle, « toute prête, comme une fiancée parée pour son époux » ; et ensuite dans l’expression « Dieu avec eux » : le mot « avec » ici est très fort, il dit l’Alliance de l’amour, l’Alliance d’un couple. « Et j’ai entendu la voix puissante qui venait du Trône divin ; elle disait : Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront son peuple, Dieu lui-même sera avec eux. » Tous ceux qui, parmi nous, portent le merveilleux prénom d’Emmanuel (qui signifie littéralement « Dieu avec nous ») sont des rappels vivants des promesses de Dieu...

         Et voici que la Jérusalem nouvelle « descend d’auprès de Dieu ». Le centre de la nouvelle Création porte le nom de la ville sainte qui, depuis tant de siècles, symbolise l’attente du peuple élu : le nom même de Jérusalem signifie « Ville de la justice et de la paix »... Et, en même temps, cette nouvelle cité « descend d’auprès de Dieu », et elle est dite « nouvelle » : ce qui veut dire qu’elle n’est pas seulement œuvre humaine. Cela signifie que le Royaume de Dieu que nous attendons et auquel nous essayons de travailler est à la fois en continuité ET en rupture avec cette terre : voilà de quoi galvaniser notre énergie ! Nous sommes invités tout simplement à collaborer avec Dieu. Notre œuvre sur cette terre contribue au renouvellement de la Création, car l’intervention de Dieu transfigurera nos efforts.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

On entend résonner ici les paroles de Paul : « Les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la Création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu... elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. » (Rm 8,19-22).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN     13, 31...35

 

       Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples
31   quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara :
       « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié,
       et Dieu est glorifié en lui.
32   Si Dieu est glorifié en lui,
       Dieu aussi le glorifiera ;
       et il le glorifiera bientôt.     

33   Petits enfants,
       c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous.
34   Je vous donne un commandement nouveau :
       c’est de vous aimer les uns les autres.
       Comme je vous ai aimés,
       vous aussi aimez-vous les uns les autres.
35   À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples :
       si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

              Les premières phrases de ce texte sont comme une sorte de variations sur le mot « gloire » : « quand Judas fut sorti, Jésus déclara : « Maintenant, le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire » : tout ceci nous paraît un peu compliqué, mais en fait, c’est une manière bien juive de parler : elle dit la réciprocité des relations entre le Père et le Fils, ou mieux leur union fondamentale : « Qui m’a vu a vu le Père », c’est aussi une phrase que saint Jean a retenue (14, 8) ; ou encore « Moi et le Père, nous sommes un. » (10, 30) ; ici, dire que « le Fils de l’homme est glorifié, ou que Dieu est glorifié en lui », c’est dire que le Fils est le reflet du Père ; au passage, nous notons une fois de plus l’effort qu’il nous faut faire pour comprendre le vocabulaire de Jésus et de ses contemporains.

              Je reviens au texte : d’après Jésus, c’est donc au moment précis où Judas part dans la nuit de la trahison, que lui, Jésus accomplit sa vocation d’être le reflet du Père. Mais Jean ne l’a pas compris tout de suite. Remettons-nous dans l’état d’esprit des apôtres au moment de la sortie de Judas et dans les heures qui vont suivre : ils ont d’abord assisté impuissants à la Passion et à la mort du Christ ; ils ont vécu cette succession d’événements comme un moment d’horreur ; mais après coup, Jean a compris que c’était en réalité l’heure de la gloire de Jésus : car c’est là que le Fils révélait jusqu’où va l’amour du Père.

              Et parce que le Fils trahi, abandonné de tous, persécuté par tous, persiste, lui seul contre tous, à n’être qu’amour, bienveillance, pardon, il révèle au monde jusqu’où va l’amour du Père, c’est-à-dire jusqu’à l’infini, sans limites : et alors, et c’est la deuxième partie de notre texte, ceux qui contemplent ce mystère de l’amour fou de Dieu deviennent capables d’aimer comme lui à leur tour. Car Jésus lie bien les deux choses : il dit « maintenant, je vais révéler au monde jusqu’où va l’amour du Père » et « maintenant je vous donne un commandement nouveau, c’est d’aimer de la même manière ». (Sous-entendu, maintenant vous en serez capables parce que vous puiserez en moi mon propre amour) ;

              Je m’attarde un peu là-dessus : en fait, la nouveauté, ce n’est pas le commandement d’aimer, Jésus ne l’invente pas : le commandement d’amour existe bel et bien dans l’enseignement des rabbins de son temps. Ce qui est nouveau, c’est d’aimer comme lui, mais non pas seulement à sa manière, c’est-à-dire au point d’être prêt à donner sa vie, en refusant toute puissance, toute domination, toute violence ; ce qui est nouveau, c’est encore plus que cela, c’est d’aimer vraiment comme lui, c’est-à-dire en étant complètement guidé par son Esprit ; et alors nous comprenons désormais tout autrement la fameuse phrase « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Bien plus qu’un commandement, c’est un constat : si nous sommes réellement ses disciples, c’est son propre Esprit qui dicte nos comportements. Pour le dire autrement, Dieu sait si l’amour au jour le jour est difficile ; c’est presque un miracle ! Eh bien, si nous y parvenons dans nos communautés chrétiennes, le monde sera bien obligé d’admettre cette évidence que l’Esprit du Christ agit en nous !

              Nous sommes donc invités d’abord à un acte de foi ! Croire que son Esprit d’amour nous habite, que ses ressources d’amour nous habitent : que nous avons désormais des capacités d’amour insoupçonnées, parce que ce sont les siennes... et alors il nous devient possible d’aimer « comme » lui parce que c’est son Esprit qui agit en nous.              

         Tout cela n’est-il pas un peu trop beau ? Nous savons par expérience que cela ne va pas de soi d’aimer notre entourage : il y a des gens avec qui cela va tout seul, comme on dit ; il y en a d’autres avec qui c’est bien difficile... sans parler de ceux pour lesquels nous éprouvons une véritable allergie... ou pire encore, ceux qui ont agi envers nous d’une manière impardonnable. Jésus n’ignore certainement pas tout cela quand il donne ce commandement à ses disciples ; mais il ne  faut pas confondre amour et sensibilité : Jésus vient de montrer en actes de quel amour nous devons nous aimer ; rappelons-nous le contexte : cela se passe pendant son dernier repas avec ses disciples. Jésus a commencé par leur laver les pieds, à leur grand étonnement : lui, le Seigneur et le Maître, s’est fait leur serviteur. Et il a terminé en disant : « C’est un exemple que je vous ai donné ; ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi ». C’est donc cela aimer « comme » il nous a aimés... et, après tout, si on y réfléchit, il est possible de se mettre au service les uns des autres, même de ceux pour lesquels nous n’éprouvons pas d’attirance. Or notre fidélité à ce commandement est vitale, nous dit-il, puisque c’est à cela que nos communautés seront jugées : d’après lui, le plus important, ce n’est pas la qualité de nos discours, de notre théologie, ou de nos connaissances, pas non plus la beauté de nos cérémonies ; c’est la qualité de l’amour que nous nous offrons les uns aux autres... (Pourtant il est rare qu’on ait l’idée de juger l’histoire de l’Église sur ce critère).

         En attendant, nous ne devons jamais oublier ce cri de victoire de Jésus le dernier soir : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié (c’est-à-dire révélé comme Dieu), et Dieu est glorifié en lui. » En Jésus, l’humanité est introduite dans la gloire de Dieu, dans la présence de Dieu, dans la vie de Dieu, par l’événement de la passion-Mort-Résurrection. Et parce qu’ils sont désormais introduits dans la gloire de Dieu, les disciples de Jésus-Christ peuvent vivre leur vie sous le signe de l’amour... puisque Dieu est amour et que désormais sa présence rayonne à travers eux. Peut-être suffit-il d’y croire pour le laisser agir en nous.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 5e dimanche de Pâques (19 mai 2019)

Partager cet article

Repost0
6 mai 2019 1 06 /05 /mai /2019 08:32

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 11 mai 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES    13, 14. 43-52

 

       En ces jours-là,
       Paul et Barnabé
14   poursuivirent leur voyage au-delà de Pergé
       et arrivèrent à Antioche de Pisidie.
       Le jour du sabbat, ils entrèrent à la synagogue et prirent place.
43   Une fois l’assemblée dispersée,
       beaucoup de Juifs et de convertis qui adorent le Dieu unique
       les suivirent.
       Paul et Barnabé, parlant avec eux,
       les encourageaient à rester attachés à la grâce de Dieu.
44   Le sabbat suivant, presque toute la ville se rassembla
       pour entendre la parole du Seigneur.
45   Quand les Juifs virent les foules,
       ils s’enflammèrent de jalousie ;
       ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient.
46   Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance :
       « C’est à vous d’abord
       qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu.
       Puisque vous la rejetez
       et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle,
       eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes.
47   C’est le commandement que le Seigneur nous a donné :
       J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi,
       le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. 
»

48   En entendant cela, les païens étaient dans la joie
       et rendaient gloire à la parole du Seigneur ;
       tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle
       devinrent croyants.
49   Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans toute la région.     

50   Mais les Juifs provoquèrent l’agitation
       parmi les femmes de qualité adorant Dieu,
       et parmi les notables de la cité ;
       ils se mirent à poursuivre Paul et Barnabé,
       et les expulsèrent de leur territoire.
51   Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds
       et se rendirent à Iconium,
52   tandis que les disciples étaient remplis de joie et d’Esprit Saint.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Nous sommes à la synagogue d’Antioche de Pisidie (en plein milieu de l’Asie Mineure, c’est-à-dire l’ouest de la Turquie actuelle) un samedi matin pour une célébration du shabbat. Le public est plus mélangé que nous ne le pensons spontanément : pour prendre une image, on pourrait dire qu’il y a trois cercles concentriques ; il y a au centre d’abord, évidemment, les Juifs de naissance ; le deuxième cercle, ce sont les prosélytes : c’est-à-dire des non-Juifs de naissance qui ont été attirés par la religion juive au point de se convertir et d’en accepter toutes les pratiques, y compris la circoncision. Luc les appelle « les convertis au judaïsme ».

         Le troisième cercle, ce sont les « craignant Dieu » ; Luc ici les appelle les « païens », mais vous voyez qu’ils ne sont plus tout à fait des païens, puisqu’ils ont été attirés eux aussi par la religion juive et qu’ils se rendent le samedi matin à la synagogue pour le shabbat ; ils connaissent donc les Écritures juives. En revanche, ils ne sont pas allés jusqu’à la circoncision et à l’ensemble des pratiques juives.

         Au départ, le projet de Paul est clair : à peine arrivé dans la ville, il compte se rendre à la synagogue le plus tôt possible pour s’adresser à ses frères juifs ; il leur parlera de Jésus de Nazareth ; pour lui, c’est la démarche qui s’impose de toute évidence ; les Apôtres qui sont tous juifs, ne l’oublions pas, considèrent le Christ comme le Messie attendu par tous les Juifs : ils vivent un accomplissement ; dans leur logique, un Juif qui lit l’Écriture et découvre Jésus de Nazareth deviendra forcément chrétien : ils ont donc tout naturellement commencé par essayer de rallier les autres Juifs à leur découverte... et Paul compte bien faire la tournée des synagogues ; dans son idée, quand tout le peuple juif sera converti, on entreprendra la conversion des païens.

         Car, aux yeux de Paul, comme de tous ses contemporains, le plan de Dieu comportait deux étapes : d’abord le choix du peuple élu à qui Dieu s’est révélé (c’est ce qu’on appelle « l’élection d’Israël ») et ensuite c’est ce peuple élu qui devait annoncer le salut de Dieu aux autres peuples, aux païens ; pour exprimer cette « logique de l’élection » dans le plan de Dieu, le prophète Isaïe disait : « J’ai fait de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ». D’ailleurs, dans un premier temps, Jésus, lui-même, avait donné cette consigne à ses apôtres : « Ne prenez pas le chemin des païens... allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 10, 5).

         Donc, dès le premier sabbat, Paul et Barnabé se rendent à la synagogue d’Antioche de Pisidie ; et ils reçoivent au premier abord un accueil plutôt favorable ; du coup, ils peuvent espérer que certains deviendront chrétiens à leur tour. Le sabbat suivant (c’est-à-dire le samedi suivant), ils recommencent à prendre la  parole à la synagogue, et, apparemment, beaucoup de gens se sont dérangés pour les écouter ; mais cette fois leur succès commence à énerver les gens influents ! Luc dit : « quand les Juifs virent tant de monde, ils furent remplis de fureur, ils repoussaient les affirmations de Paul avec des injures. » Là, nous avons un petit problème de vocabulaire, parce que Luc ici appelle « Juifs » ceux qui vont s’opposer à Paul ; en réalité, il y a des Juifs qui deviendront chrétiens (comme Paul lui-même), et des Juifs qui refuseront absolument de reconnaître Jésus comme le Messie (ce sont ceux que Luc appelle « Juifs » ici).

         En revanche, Luc note que les païens (c’est-à-dire les craignant Dieu) semblent mieux disposés, il dit : « Les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux que Dieu avait préparés pour la vie éternelle devinrent croyants. »

         Alors se produit un grand tournant dans la vie de Paul ; car c’est là, à Antioche de Pisidie qu’il va décider de modifier ses plans ; voilà comment le problème se pose : d’une part, seuls quelques Juifs acceptent de les suivre, et il faut abandonner l’espoir de convertir l’ensemble du peuple juif au christianisme. D’autre part, le refus de la majorité des Juifs ne doit pas retarder l’annonce du Messie aux païens. Alors Paul se souvient qu’Isaïe avait déjà prédit que le petit Reste d’Israël sauverait l’ensemble du peuple et l’humanité. Concrètement, Paul comprend que c’est ce petit Reste qui assumera la vocation d’apôtre des nations qui était celle du peuple juif tout entier. Paul et Barnabé et ceux qui voudront bien les suivre seront ce petit Reste.

         C’est exactement ce que Paul et Barnabé disent à Antioche : « C’est à vous, d’abord qu’il fallait adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez, et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! Nous nous tournons vers les païens. » Et donc, à partir de ce moment-là, ils tournent leur énergie missionnaire vers les « craignant Dieu » d’abord, puis plus tard, vers les païens.

Décidément, à Antioche de Pisidie, un tournant décisif vient d’être pris dans la vie des premiers chrétiens !

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  99 (100) 1-3. 5

 

1     Acclamez le SEIGNEUR, terre entière,
2     servez le SEIGNEUR dans l'allégresse,
       venez à lui avec des chants de joie !

3     Reconnaissez que le SEIGNEUR est Dieu :     
       il nous a faits et nous sommes à lui,      
       nous, son peuple, son troupeau.

5     Oui, le SEIGNEUR est bon,     
       éternel est son amour,    
       sa fidélité demeure d'âge en âge.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Si vous avez la curiosité de vous rapporter au texte de la Bible pour ce psaume, vous verrez que son utilisation dans la liturgie nous est précisée, ce qui n’est pas toujours le cas : pour celui-ci on nous dit qu’il a été composé tout spécialement pour accompagner un sacrifice d’action de grâce. Il s’appelle « psaume pour la todah » : vous savez qu’aujourd’hui encore en hébreu, merci se dit « todah ».

         Effectivement, dès les premiers versets, on voit bien qu’il est fait pour accompagner une célébration au temple !

         « Acclamez... Servez... Venez à lui avec des chants de joie ! » Nous sommes en pleine liturgie, c’est évident ! Comme on trouve à l’entrée de nos églises des manuels de chants pour toutes sortes de circonstances, le livre des psaumes est le livre de cantiques du Temple de Jérusalem, après l’Exil à Babylone, et il comporte lui aussi des psaumes divers adaptés aux divers types de célébrations.

         Ce psaume précis a donc été composé pour un sacrifice d’action de grâce ; et, en Israël, quand on rend grâce, c’est toujours pour l’Alliance ; là aussi, c’est très clair : il est très court mais chaque ligne évoque l’histoire tout entière d’Israël, la foi tout entière d’Israël ! Chacun de ses mots, presque, est un rappel de l’Alliance. Il ne faut jamais oublier que le centre de la tradition d’Israël, la mémoire qu’on se transmet de génération en génération, c’est « Dieu nous a libérés et a fait Alliance avec nous » ; c’est le centre de la foi et de la prière de ce peuple. Ou, plus exactement, ce qui fait d’Israël un peuple, c’est cette foi commune. L’élection, la libération, l’Alliance, toute la Bible est là.

         « Acclamez » : le mot qui est employé ici, c’est le mot utilisé pour une acclamation spéciale, celle qui est réservée au nouveau roi, le jour de son  sacre... Manière de dire « le vrai roi, c’est Dieu lui-même ! »

         « Acclamez le SEIGNEUR » c’est la traduction pour le chant liturgique ; mais dans le texte hébreu, ce sont les quatre lettres YHVH : Israël est le peuple à qui Dieu a révélé son NOM. C’était au cours de la grande vision de Moïse, quand Dieu lui est apparu dans le  buisson ardent (Exode 3) : Moïse a découvert là à la fois la grandeur de Dieu, le Tout-Autre ET la proximité de Dieu, le Tout-Proche. Le Nom que Dieu a révélé alors à Moïse dit tout cela : ces fameuses quatre lettres YHVH (le tétragramme), que nous ne savons même pas prononcer, que nous ne savons pas non plus traduire : elles disent bien que Dieu n’est pas à notre portée ! ET en même temps Moïse a eu la révélation de cette totale proximité de Dieu : « J’ai vu, oui, vraiment j’ai vu la misère de mon peuple... J’ai entendu ses cris... Je connais ses souffrances... »

         « Terre entière » : là on anticipe : Israël entrevoit déjà le jour où c’est l’humanité tout entière qui viendra acclamer son Seigneur ! Décidément toutes les lectures de ce dimanche des vocations  nous rappellent que Dieu est impatient que son salut soit annoncé à l’humanité tout entière... La question qu’on pourrait peut-être se poser, c’est « sommes-nous aussi impatients que lui ? » En tout cas, il est très important de remarquer que le peuple d’Israël a découvert que son élection est une vocation au service de tous. Dans les psaumes, en particulier, on retrouve constamment liés les deux thèmes de l’élection d’Israël  ET de l’universalisme du salut proposé par Dieu.

         « Reconnaissez que le SEIGNEUR est Dieu » : On entend ici la profession de foi d’Israël : Shema Israël : « ÉCOUTE Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le Seigneur UN ».

         « Servez le SEIGNEUR dans l’allégresse » : dans la mémoire d’Israël, l’Égypte de leur esclavage sera appelée la « maison de servitude »... Désormais le peuple élu apprendra le « service » qui est un choix d’homme libre. On peut dire que la période de l’Exode fut pour le peuple hébreu le temps du passage « de la servitude au service ».

         « Il nous a faits et nous sommes à Lui » : cette formule n’est pas d’abord un rappel de la Création, elle est un rappel de la libération d’Égypte : le peuple n’oublie pas qu’il était en esclavage en Égypte : c’est Dieu  qui d’esclaves a fait des hommes libres ; c’est Dieu qui, de ces fuyards, a fait un peuple. Et, tout au long de la traversée du Sinaï, sous la conduite de Moïse, ce peuple a appris à vivre dans l’Alliance proposée par Dieu. Et, du coup, cette expression « Il nous a faits et nous sommes à Lui » est devenue une formule habituelle de l’Alliance.

         Le premier article du « Credo » d’Israël, ce n’est pas « je crois au Dieu créateur », c’est « je crois au Dieu libérateur ». La Bible, on le sait bien, n’a pas été écrite dans l’ordre où nous la lisons : on n’a pas commencé par raconter la Création, puis, dans l’ordre, les événements de la vie du peuple élu, comme s’il s’agissait d’un reportage. La réflexion sur la Création n’est venue qu’aprèsC’est parce qu’on a d’abord fait l’expérience du Dieu libérateur que, plus tard, on en viendra à comprendre que cette œuvre de libération n’a pas commencé avec nous, qu’elle dure depuis la Création du monde. Dans la Bible, la réflexion sur la Création est inspirée par la foi au Dieu qui libère. C’est ce qui fait l’une des grandes particularités d’Israël.

         « Nous, son peuple » : c’est une formule très typique de la foi juive ; à elle seule elle est un rappel de l’Alliance ; parce que la promesse de Dieu en proposant l’Alliance, c’était : « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu. »

         « Nous, son peuple, son troupeau » : cette image est évidemment plus parlante sur la terre d’Israël que dans nos régions ! Le troupeau est la richesse de son propriétaire, sa fierté, mais aussi l’objet de sa sollicitude et de tous ses soins. C’est pour les besoins du troupeau que le pasteur nomade déplace sa tente dans le désert, en fonction des plaques d’herbe pour la nourriture des bêtes ; ainsi Dieu se déplaçait-il avec son peuple tout au long de sa marche dans le désert du Sinaï.

         « Éternel est son amour » : cela aussi c’est un refrain de l’Alliance, un refrain que nous connaissons bien parce qu’on le retrouve dans d’autres psaumes. Ici il est couplé au verset suivant par une autre formule traditionnelle : « Sa fidélité demeure d’âge en âge » : « amour et fidélité » c’est l’une des seules manières de parler de Dieu sans le trahir !

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN     7, 9 ... 17

 

       Moi, Jean,
 9    j’ai vu :
       et voici une foule immense,
       que nul ne pouvait dénombrer,
       une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
       Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
       vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
14   L’un des Anciens me dit :
       « Ceux-là viennent de la grande épreuve ;
       ils ont lavé leurs robes,
       ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau.
15   C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu,
       et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire.
       Celui qui siège sur le Trône
       établira sa demeure chez eux.
16   Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif,
       ni le soleil ni la chaleur ne les accablera,
17   puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône
       sera leur pasteur
       pour les conduire aux sources des eaux de la vie.
       Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Cette foule « que personne ne peut dénombrer »  fait irrésistiblement penser à Abraham ; Dieu lui avait bien promis une postérité innombrable : « Contemple donc le ciel, compte les étoiles si tu peux les compter... telle sera ta descendance » (Gn 15,5) ; et un peu plus loin, toujours dans le livre de la Genèse, « Je multiplierai ta descendance au point que si on pouvait compter la poussière de la terre, on pourrait aussi compter ta descendance... » et encore « Je m’engage à faire proliférer ta descendance autant que les étoiles du ciel et le sable au bord de la mer » (Gn 22,17). L’Apocalypse, qui est le dernier livre de la Bible, nous fait contempler ce projet de Dieu enfin réalisé. Nous voyons une foule de toutes nations, races, peuples et langues : quatre termes pour signifier que c’est bien l’humanité tout entière qui est concernée. « Tout homme verra le salut de Dieu » avait annoncé Isaïe (Is 40,5).

         Ce salut de Dieu dont parle Isaïe, c’est précisément la suppression de toute faim, de toute soif, de toutes larmes ; au chapitre 49 du même livre d’Isaïe, on lit textuellement à propos du salut : « Ils n’endureront ni faim ni soif ; la brûlure du sable, ni celle du soleil jamais ne les abattront ; car celui qui est plein de tendresse pour eux les conduira, et vers les nappes d’eau les mènera se rafraîchir. » (Is 49,10). Et surtout, le salut, c’est la présence de celui qui est à la racine du véritable bonheur : « Celui qui est plein de tendresse pour eux » dit Isaïe ; Jean traduit : « Celui qui siège sur le Trône habitera parmi eux » ; quand saint Jean emploie cette expression, ses lecteurs savent à quoi il fait allusion ; depuis toujours le peuple juif n’aspire qu’à cela : que Dieu « plante sa tente » chez eux, comme ils disent, que Dieu habite définitivement au milieu d’eux ; mystère de proximité, d’intimité, de présence permanente. Au passage, notons que Jean, dans son évangile, a repris les mêmes termes au sujet du Christ : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14).

         Dans le peuple juif, certains avaient l’honneur de vivre déjà d’une certaine manière un avant-goût de cette intimité, c’étaient les prêtres : ils servaient Dieu jour et nuit dans le Temple de Jérusalem qui était le signe visible de la présence de Dieu ; saint Jean entrevoit ici le jour où l’humanité tout entière sera introduite dans cette intimité de Dieu : « J’ai vu une foule immense, que personne ne pouvait dénombrer... ils se tiennent devant le trône de Dieu et le servent jour et nuit dans son temple. »

         Pour décrire cette foule, saint Jean mêle des images de la liturgie juive et de la liturgie chrétienne : c’est ce qui fait la difficulté de ce texte, mais aussi sa richesse ! 

         En référence à la liturgie juive, Jean fait allusion à la fête des Tentes : cette fête était à la fois un rappel du passé et une anticipation de l’avenir promis par Dieu ; en mémoire de la période du désert, cette période où on avait découvert l’Alliance proposée par ce Dieu de proximité et de tendresse, on vivait sous des tentes pendant les huit jours de la fête, (on les construisait tout exprès, même en ville, et on le fait encore de nos jours). C’est de là que la fête tient son nom, bien sûr. Et, en même temps, ces huit jours de fête annonçaient l’avenir promis par Dieu, la création nouvelle (comme chaque fois que nous rencontrons le chiffre huit) : d’avance on célébrait le triomphe du Messie futur ; et avec lui la réalisation du projet de Dieu, c’est-à-dire le bonheur pour tous. Parmi les rites de la fête des Tentes, Jean a retenu les palmes : on faisait des processions autour de l’autel des sacrifices, au Temple de Jérusalem. Pendant ces processions, chacun des participants agitait un bouquet (le loulav) composé de plusieurs branchages dont une palme (à laquelle on ajoutait une branche de myrte, une branche de saule et une espèce de citron, le cédrat).

         Pendant ces processions, on chantait « Hosanna » qui signifie à la fois « c’est Dieu qui donne le salut » et « s’il te plaît, Seigneur, donne-nous le salut » : or si nous avions lu aujourd’hui le texte de l’Apocalypse en entier (sans coupure) nous aurions lu : « J’ai vu une foule immense que personne ne pouvait dénombrer...  ils se tenaient debout devant le trône et devant l’Agneau, en vêtements blancs avec des palmes à la main. Ils proclamaient à haute voix : Le salut est à notre Dieu qui siège sur le trône et à l’Agneau ». Autre rite de la fête des Tentes, la procession à la piscine de Siloé, le huitième et dernier jour de la fête : un cortège en rapportait de l’eau avec laquelle on aspergeait l’autel ; ce rite de purification annonçait la purification définitive que Dieu avait promise par la bouche des prophètes, et en particulier de Zacharie : « En ce jour-là, des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer orientale, moitié vers la mer occidentale. » (Za 14,8). C’est au cours d’une fête des Tentes, justement, le huitième jour, que Jésus avait dit (et c’est encore saint Jean qui le rapporte) : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi ; qu’il boive celui qui croit en moi. Comme l’a dit l’Écriture, de son sein, couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7, 37). Ici, en écho, Jean prédit « l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur Pasteur pour les conduire vers les eaux de la source de vie. »

         De la liturgie chrétienne, saint Jean a repris l’aube blanche des baptisés et aussi le sang de l’Agneau : le sang, rappelons-nous est le signe de la vie donnée ; Jean nous dit ici : tout ce que la fête des Tentes annonçait symboliquement est désormais réalisé ; depuis l’Exode, le peuple de Dieu attendait cette purification définitive, cette Alliance renouvelée, cette présence parfaite de Dieu au milieu d’eux ; eh bien, en Jésus-Christ, toute cette attente est accomplie : par le Baptême et l’Eucharistie, l’humanité partage la vie du Ressuscité et entre donc définitivement dans l’intimité de Dieu.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

Que représente la « foule immense » du verset 9 ? L’explication classique y voit l’Église ; mais à la fin du premier siècle, l’Église constituait-elle une foule immense ?

Il y a une autre interprétation possible : dans les versets précédents (versets 3-8), Jean a décrit une première foule « des serviteurs de notre Dieu » dont le « front est marqué du sceau » : on peut penser que ce sont les baptisés. Ce serait donc l’Église.

La foule immense vêtue de robes blanches (la robe des noces) serait alors la multitude des sauvés. Ce serait dans la droite ligne de la théologie du Serviteur (cf les quatre chants du deuxième livre d’Isaïe), dont les écrits johanniques sont imprégnés tout comme les autres. On peut alors penser que cette foule immense (des versets 9 et suivants) est la « multitude » justifiée par le Serviteur. (« Mon Serviteur dispensera la justice au profit des foules » Is 53,11). Les premiers chrétiens, affrontés à la persécution, trouvent ici un argument pour tenir bon : leur sacrifice est semence de salut pour la multitude.

Alors on comprend mieux la phrase du verset 16 : « Ils n'auront plus faim, ils n'auront plus soif, la brûlure du soleil ne les accablera plus » ; c’est une référence à la promesse de bonheur proférée par Isaïe dans un autre chant du Serviteur : « Ils n’endureront ni faim ni soif, jamais ne les abattront ni la brûlure du sable ni celle du soleil ». Or, chez Isaïe, cette promesse de bonheur concerne la multitude car le projet de Dieu est universel.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN        10, 27-30

 

       En ce temps-là, Jésus déclara :     
27   « Mes brebis écoutent ma voix ;            
       moi, je les connais,         
       et elles me suivent.
28   Je leur donne la vie éternelle :    
       jamais elles ne périront,  
       et personne ne les arrachera de ma main.
29   Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout,        
       et personne ne peut les arracher de la main du Père.
30   Le Père et moi,   
       nous sommes UN. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Nous ne nous imaginons peut-être pas à quel point les quelques phrases de Jésus rapportées ici étaient explosives ; les Juifs, eux, ont réagi très fort, puisque si on lit seulement quelques lignes de plus, saint Jean nous dit : « Les Juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider. » Qu’a-t-il donc dit de si extraordinaire ? En réalité, ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de ce discours ; il ne fait que répondre à une question. Saint Jean nous raconte qu’il était dans le Temple de Jérusalem, sous la colonnade qu’on appelait le « Portique de Salomon » et que les Juifs, bien décidés à le mettre au pied du mur, ont fait cercle autour de lui et lui ont demandé : « Jusqu’à quand vas-tu nous tenir en suspens ? Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement » ; c’est une sorte d’ultimatum, du genre « oui ou non ? Es-tu le Christ (c’est-à-dire le Messie) ? Décide-toi à le dire clairement, une fois pour toutes »...

         Au lieu de répondre « oui, je suis le Messie », Jésus parle de ses brebis, mais cela revient au même ! Car le peuple d’Israël se comparait volontiers à un troupeau : « Nous sommes le peuple de Dieu, le troupeau qu’il conduit »  est une formule qui revient plusieurs fois dans les psaumes. En particulier dans le psaume de ce dimanche : « Il nous a faits et nous sommes à lui, nous, son peuple, son troupeau » ; troupeau bien souvent malmené, maltraité, ou mal guidé par les rois qui s’étaient succédé sur le trône de David... mais on savait que le Messie, lui, serait un berger attentif et dévoué. Donc, tout naturellement, Jésus pour affirmer qu’il est bien le Messie, emprunte le langage habituel sur le pasteur et les brebis. Et ses interlocuteurs l’ont très bien compris.

         Mais Jésus les emmène beaucoup plus loin ; parlant de ses brebis, il ose affirmer : « Je leur donne la vie éternelle, jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main »... formule très audacieuse : qui donc peut donner la vie éternelle ? Quant à l’expression « être dans la main de Dieu », elle était habituelle dans l’Ancien Testament ; chez Jérémie, par exemple : « Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, dit Dieu, comme l’argile dans la main du potier. » (Jr 18, 16). Ou encore dans le livre de Qohélet (l’Ecclésiaste) : « Les justes, les sages et leurs travaux sont dans les mains de Dieu. » (Qo 9, 1). Ou enfin, dans le Livre du Deutéronome : « C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre, quand j’ai brisé, c’est moi qui guéris, personne ne sauve de ma main. » (Dt 32, 39), et un peu plus loin : « Tous les saints sont dans ta main. » (Dt 33, 3).

         C’est bien à cela que Jésus fait référence puisqu’il ajoute aussitôt : « Personne ne peut rien arracher de la main du Père » ; il met donc clairement sur le même pied les deux formules « ma main » et « la main du Père ». Il ne s’arrête pas là ; au contraire, il persiste et signe, dirait-on aujourd’hui : « le Père et moi, nous sommes UN ». C’est encore beaucoup plus osé que de dire « oui, je suis bien le Christ, c’est-à-dire le Messie » : il prétend carrément être l’égal de Dieu, être Dieu lui-même. Pour ses interlocuteurs, c’était intellectuellement inacceptable.

         On attendait un Messie qui serait un homme, on n’imaginait pas qu’il puisse être Dieu : car la foi au Dieu unique était affirmée avec tant de force en Israël qu’il était pratiquement impossible pour des Juifs fervents de croire à la divinité de Jésus ! Ceux qui récitaient tous les jours la profession de foi juive : « Shema Israël », « Écoute Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN » ne pouvaient supporter d’entendre Jésus affirmer « le Père et moi, nous sommes UN ». Cela explique peut-être que l’opposition la plus farouche à Jésus soit venue des chefs religieux. Leur réaction ne se fait pas attendre ; en se préparant à le lapider, ils l’accusent : « Ce que tu viens de dire est un blasphème, parce que toi qui es un homme, tu te fais Dieu ».

         Une fois de plus, Jésus se heurte à l’incompréhension de ceux qui, pourtant, attendaient le Messie avec le plus de ferveur ; on retrouve là un thème de méditation permanent chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu. » Tout le mystère de la personne du Christ est là et aussi en filigrane son procès.

         Et pourtant, tout n’est pas perdu ; Jésus a essuyé l’incompréhension, voire la haine, il a été persécuté, éliminé, mais certains ont cru en lui ; le même Jean le dit bien dans le Prologue de l’évangile : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu... mais à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. » (Jn 1,11-12). Et on sait bien que c’est grâce à ceux-là que la révélation a continué à se répandre. De ce petit Reste est né le peuple des croyants : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle. »

            Malgré l’opposition que Jésus rencontre ici, malgré l’issue tragique déjà prévisible, il y a là, incontestablement un langage de victoire : « Personne ne les arrachera de ma main »... « Personne ne peut rien arracher de la main du Père » : on entend là comme un écho d’une autre phrase de Jésus rapportée par le même évangéliste : « Courage, j’ai vaincu le monde ». Les disciples de Jésus, tout au long de l’histoire, ont bien besoin de s’appuyer sur cette certitude : « Personne ne peut rien arracher de la main du Père ».

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 4e dimanche de Pâques (12 mai 2019)

Partager cet article

Repost0
28 avril 2019 7 28 /04 /avril /2019 21:54

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 4 mai 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES  5, 27b-32. 40b-41

 

       En ces jours-là,
       les Apôtres comparaissaient devant le Conseil suprême ;
27   le grand prêtre les interrogea :
28   « Nous vous avions formellement interdit        
       d'enseigner au nom de celui-là,  
       et voilà que vous remplissez Jérusalem  
       de votre enseignement.  
       Vous voulez donc faire retomber sur nous        
       le sang de cet homme ! »
29   En réponse, Pierre et les Apôtres déclarèrent :  
       « Il faut obéir à Dieu      
       plutôt qu'aux hommes.
30   Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus,           
       que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice.
31   C'est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé,
       en faisant de lui le Prince et le Sauveur,           
       pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés.
32   Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela,  
       avec l'Esprit Saint,         
       que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. »

40   Après avoir fait fouetter les Apôtres,    
       ils leur interdirent de parler au nom de Jésus,   
       puis ils les relâchèrent.
41   Quant à eux, quittant le Conseil Suprême,        
       ils repartaient tout joyeux d'avoir été jugés dignes       
       de subir des humiliations pour le nom de Jésus.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Les Apôtres viennent d’être flagellés à cause de leur prise de parole sur Jésus. On les relâche et saint Luc nous dit : voilà qu’en sortant du tribunal, « ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus ». Comme s’ils avaient été décorés... décorés du titre de « prophètes ». Peut-être ont-ils alors repensé à la parole de Jésus : « Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu’ils vous rejettent, et qu’ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous ce jour-là et bondissez de joie, car voici, votre récompense est grande dans le ciel ; c’est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les prophètes. » (Lc 6,22-23). Ils se rappellent aussi cette phrase que Jésus leur avait dite : « Ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront, vous aussi. » (Jn 15,20).

         Ici, que s’est-il passé ? Ce n’est pas la première fois que les Apôtres Pierre et Jean comparaissent devant le Sanhédrin, c’est-à-dire le tribunal de Jérusalem, le même qui a condamné Jésus quelques semaines plus tôt ; déjà, une fois, après la guérison du boiteux de la Belle Porte, un miracle qui avait fait beaucoup de bruit dans la ville, ils avaient été arrêtés, emprisonnés une nuit, puis interrogés et interdits de parole ; mais on les avait finalement relâchés. Dès leur remise en liberté, ils avaient recommencé à prêcher et à faire des miracles. Ils ont donc été arrêtés une deuxième fois, mis en prison... mais ils ont été délivrés miraculeusement pendant la nuit par un Ange du Seigneur. Évidemment, cette délivrance miraculeuse n’a fait que galvaniser leurs énergies ! Et ils ont recommencé à prêcher de plus belle. Et c’est là que nous en sommes avec la lecture de ce dimanche. Ils sont donc de nouveau arrêtés et traduits devant le tribunal. Le grand prêtre les interroge, ce qui nous vaut la très belle réponse de Pierre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Et Pierre adresse au tribunal un petit résumé de ses discours précédents ; il leur dit à peu près ceci : il y a deux logiques, la logique de Dieu et celle des hommes ; la logique des hommes (sous-entendu la vôtre, vous tribunal juif), consiste à dire : un malfaiteur, on le supprime, et après sa mort, on ne va quand même pas lui faire de la publicité ! Jésus, aux yeux des autorités religieuses, était un imposteur, on l’a supprimé, c’est logique ! C’est même un devoir de l’empêcher d’endoctriner un peuple trop enclin à se fier à n’importe quel prétendu Messie. Condamné, exécuté, suspendu à la Croix, c’est un maudit : même de Dieu il est maudit. C’était écrit dans la Loi.

         Seulement voilà, la logique de Dieu, c’est autre chose : oui, vous l’avez exécuté, pendu au gibet de la croix... Mais, contre toute attente, non seulement il n’est pas maudit par Dieu, mais au contraire, il est élevé par Dieu, il devient le Chef, le Sauveur : « C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. » Cette dernière phrase est une énormité pour des oreilles juives : si la conversion et le pardon des péchés sont apportés à Israël, cela signifie que les promesses sont accomplies. Cette assurance des Apôtres, que rien ne semble faire taire, ne peut qu’exaspérer les juges ; et plusieurs d’entre eux ne voient plus qu’une solution : les supprimer comme on a supprimé Jésus ; c’est là qu’intervient un homme extraordinaire, Gamaliel, dont le raisonnement devrait être un modèle pour nous, quand nous nous trouvons face à des initiatives qui ne nous plaisent pas.

         Malheureusement, la lecture liturgique de ce dimanche ne retient pas l’épisode de Gamaliel : on passe directement des paroles de Pierre à la décision du tribunal ; les apôtres ne sont pas condamnés à mort comme certains le voudraient, on se contente de les fouetter et on les relâche. Mais prenons le temps de lire les versets qui manquent ; Pierre vient donc de dire : « Nous sommes témoins de tout cela avec l’Esprit Saint que Dieu donne à ceux qui lui obéissent » (sous-entendu, vous, en ce moment, vous n’obéissez pas à Dieu). Luc raconte : « Exaspérés par ces paroles, ils projetaient de les faire mourir. Mais un homme se leva dans le Sanhédrin ; c’était un Pharisien du nom de Gamaliel, un docteur de la Loi estimé de tout le peuple » ; (entre parenthèses, c’est lui qui fut le professeur de Saül de Tarse, le futur saint Paul ; cf Ac 22, 3) ; il ordonne de faire sortir un moment Pierre et Jean, et il s’adresse aux autres juges ; en substance, son raisonnement est le suivant : de deux choses l’une, ou bien leur entreprise vient de Dieu... ou bien non, ce sont des imposteurs ; et voici la fin de son discours : « Si c’est des hommes que vient leur entreprise, elle disparaîtra d’elle-même... si c’est de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. N’allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu ! » (Ac 5,38-39).

         Si Gamaliel prenait la parole aujourd’hui, sans doute reconnaîtrait-il que l’Église est bien une entreprise de Dieu : depuis deux mille ans, elle a résisté à tout, même à nos faiblesses et à nos insuffisances !

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

Gamaliel est un bel exemple de Pharisien et nous donne l’occasion de rendre justice à la majorité d’entre eux qui étaient des hommes de foi et de bonne volonté. À travers cet épisode, nous approchons la réalité historique des débats au sein du Judaïsme à propos de la jeune communauté chrétienne.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13

N.B. : j’ai dû modifier beaucoup ce commentaire pour m’adapter au format KTO. Mais je préfère ici garder la forme longue

         Le psaume 29 (30) est très court, il ne comporte que treize versets (dont huit seulement sont retenus par la liturgie de ce dimanche) ; ici, nous le lirons en entier, nous le comprendrons beaucoup mieux.

         Mais avant de le lire, rappelons-nous l'histoire qu’il évoque : il faut imaginer quelqu'un qui est tombé au fond d'un puits : il a crié, supplié, appelé au secours... il donnait même des arguments pour qu'on lui vienne en aide (du genre je vous serai plus utile, vivant que mort !) ; apparemment il y a des gens qui ne sont pas mécontents de le voir dans le trou et qui ricanent... mais il continue à appeler au secours : quelqu'un finira bien par avoir pitié ...

         Il a eu raison de crier : quelqu'un a entendu ses appels, quelqu'un est venu le délivrer, l'a tiré de là comme on dit. Ce « quelqu'un », il faut l'écrire avec une majuscule, c'est Dieu lui-même. Une fois en haut, revenu à la lumière et en quelque sorte à la vie, notre homme explose de joie !

         Ce psaume raconte exactement cela :
 

2     Je t'exalte, SEIGNEUR : tu m'as relevé,
       tu m'épargnes les rires de l'ennemi.
       

3     Quand j'ai crié vers toi, SEIGNEUR,   
       Mon Dieu, tu m'as guéri ;
4     SEIGNEUR, tu m'as fait remonter de l'abîme  
       et revivre quand je descendais à la fosse.

5     Fêtez le SEIGNEUR, vous, ses fidèles,
       Rendez grâce en rappelant son nom très saint. 
6     Sa colère ne dure qu'un instant, 
        sa bonté toute la vie.     

       Avec le soir viennent les larmes,
       Mais au matin, les cris de joie !

7     Dans mon bonheur, je disais :   
       Rien, jamais, ne m'ébranlera !   
8     Dans ta bonté, SEIGNEUR, tu m'avais fortifié 
       sur ma puissante montagne ;

       Pourtant tu m'as caché ta face   
       et je fus épouvanté.         
9     Et j'ai crié vers toi, SEIGNEUR,           
       J'ai supplié mon Dieu :  
10   « À quoi te servirait mon sang   
       si je descendais dans la tombe ?
       La poussière peut-elle te rendre grâce   
       et proclamer ta fidélité ?
11   Écoute, SEIGNEUR, pitié pour moi !    
       SEIGNEUR, viens à mon aide ! »

12   Tu as changé mon deuil en une danse,  
       Mes habits funèbres en parure de joie !

13   Que mon cœur ne se taise pas,   
       Qu'il soit en fête pour toi ;         
       Et que sans fin, SEIGNEUR, mon Dieu,         
       Je te rende grâce !
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

           Le premier verset donne le ton de l’action de grâce : « Je t'exalte, SEIGNEUR : tu m'as relevé ». Mais auparavant, il y a eu la chute terrible dans un abîme et les moqueries des gens qui ricanaient. C’est ce qui inspire des versets comme « tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse… tu m’épargnes les rires de l’ennemi ».

         Notre malheureux ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Jusque-là il était confiant dans la vie ; apparemment, il était né sous une bonne étoile : « Dans mon bonheur, (c’est-à-dire au temps où j’étais heureux), je disais : Rien, jamais, ne m’ébranlera ». Mais le malheur est arrivé, et avec lui, l’effondrement de toutes ses certitudes, l’angoisse, la supplication ; et enfin le dénouement, la délivrance.

         Tout cela, d’un bout à l’autre, c’est l’histoire d’Israël. Car il y a, comme toujours dans les psaumes, deux niveaux de lecture : l’histoire qu’on nous raconte est celle d’un individu tombé dans un puits ; en réalité, c’est le peuple tout entier qui parle, ou plutôt qui chante, qui explose de joie au retour de l’Exil à Babylone... comme il avait chanté, dansé, explosé de joie après le passage de la Mer Rouge. L’Exil à Babylone, c’est aussi une chute mortelle dans un puits sans fond, dans un gouffre... et nombreux sont ceux qui ont pensé qu’Israël ne s’en relèverait pas. Au sein même du peuple, on a pu être pris de désespoir... Et il y en a eu des ennemis, pas mécontents, qui riaient bien de cette déchéance...

         Et pourtant, jusque-là, Israël pouvait être confiant dans la vie : « Dans mon bonheur, je disais : Rien, jamais, ne m’ébranlera »... (Mais peut-être est-ce l’une des clés du problème ? Pendant l’Exil à Babylone, on a eu tout loisir de méditer sur les diverses causes possibles de ce malheur ; et on s’est justement demandé si le malheur du peuple n’avait pas été la conséquence de cette attitude).

         Pendant toute cette période d’épreuve, le peuple soutenu par ses prêtres, ses prophètes, a gardé espoir malgré tout et force pour appeler au secours : « J’ai crié vers toi, SEIGNEUR, j’ai supplié mon Dieu... Écoute, SEIGNEUR, pitié pour moi ! SEIGNEUR, viens à mon aide !... » Dans sa prière, il n’hésitait pas à employer tous les arguments, par exemple du genre « tu seras bien avancé quand je serai mort » ... parce que, quand ce psaume a été écrit, on ne croyait pas encore en la Résurrection : on imaginait  que les morts étaient dans un séjour d’ombre, le « shéol » où il ne se passe rien. Alors on disait à Dieu : « À quoi te servirait mon sang si je descendais dans la tombe ? » « Sang » ici veut dire « vie ». Quand le psalmiste dit « À quoi te servirait mon sang si je descendais dans la tombe ? La poussière peut-elle te rendre grâce et proclamer ta fidélité ? », il faut donc entendre : puisqu’il n’y a rien après la mort, je ne t’offrirai plus ni prières ni offrandes ni sacrifices.

         Et Dieu a entendu cette prière, le miracle s’est produit : Dieu a sauvé son peuple : « Quand j’ai crié vers toi, SEIGNEUR, mon Dieu, tu m’as guéri ; SEIGNEUR, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse... ». Comme dans d’autres textes bibliques, la vision d’Ézéchiel des ossements desséchés, par exemple, la restauration du peuple, le retour de l’Exil est décrit en termes de résurrection, à un moment où personne ne songe à une possibilité de résurrection individuelle. Plus tard, quand la foi biblique aura franchi le pas décisif et accueilli la révélation de la foi en la résurrection, ces textes seront relus et on leur découvrira une profondeur nouvelle.

         « Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie. » À l’époque de la composition du psaume, ce n’était qu’une image. Mais, désormais, pour tous ceux qui croient à la résurrection, Juifs et Chrétiens, cette dernière phrase a pris un sens nouveau : irrésistiblement, elle donne envie de chanter « Alléluia »... parce que c’est le sens même du mot « Alléluia » dans la tradition juive ! Dans les commentaires des rabbins sur l’Alléluia, il y a ce petit texte extraordinaire que nous devrions nous redire chaque fois que, à notre tour, nous entonnons des Alléluia :

         « Dieu nous a amenés de la servitude à la liberté, de la tristesse à la joie, du deuil au jour de fête, des ténèbres à la brillante lumière, de la servitude à la Rédemption. C’est pourquoi chantons devant lui l’Alléluia ! »


-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN   5, 11-14

 

       Moi, Jean,
11   j’ai vu :
       et j’entendis la voix d’une multitude d’anges
       qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens ;
       ils étaient des myriades de myriades,
       par milliers de milliers.
12   Ils disaient d’une voix forte :
       « Il est digne, l’Agneau immolé,
       de recevoir puissance et richesse,
       sagesse et force,
       honneur, gloire et louange. »
13   Toute créature dans le ciel et sur la terre,
       sous la terre et sur la mer,
       et tous les êtres qui s’y trouvent,
       je les entendis proclamer :
       « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau,
       la louange et l’honneur,
       la gloire et la souveraineté
       pour les siècles des siècles. »
14   Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! » ;
       et les Anciens, se jetant devant le Trône, se prosternèrent.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Avec l’Apocalypse, nous voici en présence d’une vision, avec tout ce que cela comporte d’inhabituel ; mais d’avance nous savons une chose : c’est que le livre entier de l’Apocalypse est un chant de victoire ; dans le passage ci-dessus, c’est clair ! Au ciel, des millions et des centaines de millions d’anges crient à pleine voix quelque chose comme « vive le roi ! »... et, dans tout l’univers, que ce soit sur terre, sur mer, ou même sous la terre, tout ce qui respire acclame aussi comme on le fait au jour du sacre d’un nouveau roi. Le nouveau roi, ici, bien sûr, c’est Jésus-Christ : c’est lui, « l’Agneau immolé », qui est acclamé et reçoit « puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et bénédiction. » Pour décrire la royauté du Christ, cette vision utilise un langage symbolique, fait d’images et de chiffres. C’est dire la richesse et aussi la difficulté de ces textes. La richesse, parce que, seul, le langage symbolique peut nous faire pénétrer dans le monde de Dieu ; l’ineffable, l’indicible ne se décrit pas ; il peut seulement être suggéré ; par exemple, il faut être attentif à certaines images, à certaines couleurs, à certains chiffres qui reviennent fréquemment et ce n’est certainement pas par hasard.

         Mais la difficulté réside dans l’interprétation des symboles. Notre imagination est sollicitée, elle peut nous aider, mais jusqu’où pouvons-nous faire confiance à notre intuition pour comprendre ce que l’auteur a voulu suggérer ? Il faut donc toujours rester très humble dans l’interprétation des symboles ! Nous ne pouvons pas prétendre comprendre le sens caché d’un texte biblique quel qu’il soit. L’expression « les quatre Vivants » en est un bon exemple : le chapitre précédent de l’Apocalypse nous les a décrits comme quatre animaux ailés ; le premier a un visage d’homme, les trois autres ressemblent à des animaux, un lion, un aigle, un taureau... et nous avons l’habitude de les voir sur de nombreuses peintures, sculptures et mosaïques... et nous croyons savoir sans hésitation de qui il s’agit ; c’est saint Irénée qui, au deuxième siècle, en a proposé une lecture symbolique : pour lui, les quatre vivants sont, à n’en pas douter, les quatre évangélistes ; saint Augustin a repris la même idée en la modifiant un peu. C’est l’interprétation d’Augustin qui est restée dans la tradition : d’après lui, Matthieu serait le Vivant à face d’homme, Marc le lion (les amoureux de Venise ne peuvent pas l’oublier !), Luc le taureau, Jean l’aigle. Mais les biblistes ne sont pas bien à l’aise avec cette interprétation : car il semble bien que l’auteur de l’Apocalypse ait repris ici une image d’Ézéchiel dans laquelle quatre animaux soutiennent le trône de Dieu, et ils représentent tout simplement le monde créé.

         Parlons des chiffres, justement : toutes ces précautions prises, il semble bien que le chiffre 3 symbolise Dieu ; et 4 le monde créé, peut-être à cause des quatre points cardinaux ; 7 (3+4) évoque à la fois Dieu et le monde créé ; il suggère donc la plénitude, la perfection... du coup, 6 (7-1) est incomplet, imparfait. L’acclamation des Anges revêt donc une portée singulière : « Lui, l’Agneau immolé, il est digne de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange »  : quatre termes de réussite terrestre ajoutés à trois termes réservés à Dieu (honneur, gloire, louange) ; au total sept termes : c’est dire que l’Agneau immolé (les lecteurs de Jean savent qu’il s’agit de Jésus) est pleinement Dieu et pleinement homme ; et là on voit bien la force de suggestion d’un tel langage symbolique !

         Continuons notre lecture : « J’entendis l’acclamation de toutes les créatures au ciel, sur terre, sous terre et sur mer » ; (là encore quatre termes : il s’agit bien de toute la création) ; tous les êtres qui s’y trouvent proclamaient : « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, bénédiction, honneur, gloire et domination pour les siècles des siècles. » C’est le monde créé qui proclame sa soumission à celui qui siège sur le Trône (Dieu bien sûr), et à l’Agneau. Ce n’est pas un hasard, non plus, si les Vivants qui soutiennent le trône de Dieu chez Ézéchiel et qui représentent le monde créé sont au nombre de quatre.

         Toute cette insistance de Jean, ici, vise à mettre en valeur cette victoire de l’Agneau immolé : apparemment vaincu, aux yeux des hommes, il est en réalité le grand vainqueur ; c’est le grand mystère qui est au centre du Nouveau Testament, ou le paradoxe, si l’on préfère : le Maître du monde se fait le plus petit, le Juge des vivants et des morts a été jugé comme un criminel ; lui qui est Dieu, il a été traité de blasphémateur et c’est au nom de Dieu qu’il a été rejeté. Pire, Dieu a laissé faire. Quand saint Jean développe cette méditation à l’adresse de sa communauté, on peut penser que son objectif est double : premièrement, il faut trouver une réponse au scandale de la croix, et donner des arguments aux chrétiens en ce sens. Quand Jean écrit l’Apocalypse, chrétiens et Juifs sont en pleine polémique sur ce sujet : pour les Juifs, la mort du Christ suffit à prouver qu’il n’était pas le Messie ; le livre du Deutéronome avait résolu la question : « Celui qui a été condamné à mort au nom de la Loi, exécuté et suspendu au bois est une malédiction de Dieu » (Dt 21, 22). Or c’est bien ce qui s’est passé pour Jésus.

         Pour les chrétiens, témoins de la résurrection, ils y voient au contraire l’œuvre de Dieu. Mystérieusement, la Croix est le lieu de l’exaltation du Fils. Jésus l’avait annoncé lui-même dans l’évangile de Jean : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, vous connaîtrez que « Je Suis » (Jn 8, 28). Ce qui veut dire « vous reconnaîtrez enfin ma divinité » (puisque « Je Suis » est exactement le nom de Dieu). Il faut donc apprendre à lire sur les traits défigurés de ce misérable condamné la gloire même de Dieu. Dans la vision que Jean nous décrit, l’Agneau reçoit les mêmes honneurs, les mêmes acclamations que celui qui siège sur le Trône. Deuxième objectif de Jean, aider ses frères à tenir bon dans l'épreuve : les forces de l'amour ont déjà vaincu les forces de la haine ; c'est tout le message de l'Apocalypse.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   21, 1-19

 

       En ce temps-là,
1     Jésus se manifesta encore aux disciples
       sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment.
2     Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre,
       avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau),
       Nathanaël, de Cana de Galilée,
       les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples.
3     Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. »
       Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. »
       Ils partirent et montèrent dans la barque ;
       or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.
4     Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage,
       mais les disciples ne savaient pas que c’était lui.
5     Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? »
       Ils lui répondirent : « Non. »
6     Il leur dit :
       « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. »
       Ils jetèrent donc le filet,
       et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons.
7     Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre :
       « C’est le Seigneur ! »
       Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur,
       il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau.
8     Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ;
       la terre n’était qu’à une centaine de mètres.
9     Une fois descendus à terre,
       ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise
       avec du poisson posé dessus, et du pain.
10   Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. »
11   Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons :
       il y en avait cent cinquante-trois.
       Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré.
12   Jésus leur dit alors : « Venez manger. »
       Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? »
       Ils savaient que c’était le Seigneur.
13   Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ;
       et de même pour le poisson.
14   C’était la troisième fois
       que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.
15   Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre :
       « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? »
       Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
       Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. »
16   Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? »
       Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
       Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. »
17   Il lui dit, pour la troisième fois :
       « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? »
       Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? »
       Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. »
       Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis.
18   Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune,
       tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ;
       quand tu seras vieux, tu étendras les mains,
       et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »
19   Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu.
       Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------       

Jean précise qu’ils étaient sept disciples (verset 2) : comme les sept Églises de l’Apocalypse de Jean représentent l’Église tout entière, on peut penser que les sept disciples évoqués ici représentent les disciples de tous les temps, c’est-à-dire là encore l’Église tout entière.

       Première question à propos de ce texte : en débarquant sur le rivage, les disciples trouvent un feu de braise avec du poisson posé dessus et du pain ; et malgré cela, Jésus leur dit d’apporter du poisson qu’ils viennent de prendre. Peut-on penser qu’il en manquait ? Il n’est pas certain qu’on puisse se contenter de cette explication arithmétique. Il faut probablement plutôt en déduire que dans l’œuvre d’évangélisation symbolisée par la pêche (depuis que Jésus a appelé Pierre « pêcheur d’hommes »), Jésus nous précède (c’est le sens du poisson déjà posé sur le feu avant l’arrivée des disciples) mais en même temps, il sollicite notre collaboration.

       Autre surprise de ce texte : le dialogue entre Jésus et Pierre ; malheureusement, notre traduction ne peut pas rendre compte de la subtilité du vocabulaire grec. En Français, nous n’avons qu’un verbe « aimer ». Le grec, lui, emploie deux verbes différents : le premier verbe, « agapao », signifie l'amour sans réserve, total et inconditionnel. Le deuxième verbe  « phileo » exprime l'amour d'amitié, tendre mais pas totalisant. Les deux premières fois, Jésus demande à Pierre : « Simon... m'aimes-tu ? » avec le verbe « agapaô », c’est-à-dire « m'aimes-tu  de cet amour total et inconditionné dont je t’aime moi-même ? » (Jn 21, 15)
Or, Pierre, lui, surtout, après la triste expérience de son triple reniement dans la nuit de la Passion, ne répond pas par le même verbe. Il aime Jésus, oui, mais à la manière des hommes, pas à la manière de Dieu.

            La troisième fois, Jésus reprend sa question, mais avec le verbe « phileô ». Le Pape Benoît XVI commentait : « Simon comprend alors que son pauvre amour suffit à Jésus, l'unique dont il est capable… On pourrait dire que Jésus s'est adapté à Pierre, plutôt que Pierre à Jésus ! C'est précisément cette adaptation divine qui donne de l'espérance au disciple, qui a connu la souffrance de l'infidélité. C'est de là que naît la confiance qui le rendra capable de suivre le Christ jusqu'à la fin. »

À chaque fois, Jésus s’appuie sur cet engagement, cette adhésion de Pierre pour lui confier la mission de pasteur de la communauté : « Sois le pasteur de mes brebis ». Notre relation au Christ n’a de sens et de vérité que si elle s’accomplit dans une mission au service des autres. Jésus précise bien « mes » brebis : Pierre est invité à partager la charge du Christ ; il ne devient pas propriétaire du troupeau ; mais le soin qu’il prendra du troupeau du Christ sera le lieu de vérification de son amour pour le Christ lui-même.1

       Pourquoi cette précision de Jésus « m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il ne faut pas entendre ici une espèce de brevet de bonne conduite, du genre : « puisque tu m’aimes plus que les autres, je te confie la charge » ; au contraire, il faut entendre : « C’est parce que je te confie cette charge, qu’il faudra que tu m’aimes davantage ! » Peut-être est-ce comme un discret rappel à ceux qui détiennent l’autorité ? L’autorité qui nous est confiée, dans quelque domaine que ce soit, est d’abord une exigence : accepter une charge pastorale implique beaucoup d’amour.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Notes

1 - Saint Augustin commente : « Si tu m’aimes, ne pense pas que c’est toi le pasteur ; mais pais mes brebis comme les miennes, non comme les tiennes »
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

- L’Évangile de Jean (au chapitre 20) se terminait par « il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-ci y ont été mis afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu et afin que par votre foi, vous ayez la vie en son nom. » C’était donc une très belle finale pour l’Évangile ! Les spécialistes se demandent si le chapitre 21 n’aurait pas été rajouté après coup. Il se présente comme une sorte de post-scriptum, peut-être destiné à mettre au point le problème de la prééminence de Pierre, qui se posait déjà sans doute dans les communautés chrétiennes de l’époque.

Pour le dire autrement, on peut être étonné de la place occupée par Pierre dans un récit d’apparition du Christ, sous la plume de saint Jean : cela reflète peut-être un des problèmes des premières communautés chrétiennes. Il faut croire qu’il n’était pas inutile de rappeler à la communauté attachée à la mémoire de Jean que, par la volonté du Christ, le pasteur de l’Église universelle était Pierre et non pas Jean.
--------------------

- Catéchèse de Benoît XVI, 24 mai 2006

À propos des versets 15 à 17, le pape fait remarquer l’emploi des deux verbes « agapaô » et « phileô » aux sens voisins mais dont l’emploi précis est très révélateur. En grec, le verbe « phileo » exprime l'amour d'amitié, tendre mais pas totalisant, alors que le verbe « agapao » signifie l'amour sans réserve, total et inconditionnel. La première fois, Jésus demande à Pierre : « Simon... m'aimes-tu (agapâs-me) avec cet amour total et inconditionné (Jn 21, 15) ? »

Or, Pierre ne répond pas par le même verbe. Benoît XVI en explique la raison : « Avant l'expérience de la trahison l'Apôtre aurait certainement dit : ‘Je t'aime (agapô-se) de manière inconditionnelle’. Maintenant qu'il a connu la tristesse amère de l'infidélité, le drame de sa propre faiblesse, il dit avec humilité : ‘Seigneur, je t'aime bien (philô-se)’, c'est-à-dire ‘je t'aime de mon pauvre amour humain’. »

Jésus reprend le même verbe « agapao » dans la deuxième question : « Simon, m'aimes-tu avec cet amour total que je désire ? ». Tandis que Pierre persiste à employer le verbe « phileo », il répète la réponse de son humble amour humain : « Kyrie, philô-se », « Seigneur, je t'aime bien, comme je sais aimer ». »

La troisième fois, Jésus dit seulement à Simon : ‘Phileîs-me?, ‘Tu m’aimes bien ?’. Simon comprend que son pauvre amour suffit à Jésus, l'unique dont il est capable.

Benoît XVI commente cet emploi du verbe « philein » par le Christ en disant : « On pourrait dire que Jésus s'est adapté à Pierre, plutôt que Pierre à Jésus ! C'est précisément cette adaptation divine qui donne de l'espérance au disciple, qui a connu la souffrance de l'infidélité. C'est de là que naît la confiance qui le rendra capable de suivre le Christ jusqu'à la fin. »
-------------------

Voici de nouveau un récit d’apparition du Christ Ressuscité ; le mot « apparition » ne doit pas nous tromper (peut-être vaudrait-il mieux dire « manifestation ») ; Jésus ne vient pas d’ailleurs pour disparaître ensuite : il est là en permanence auprès de ses disciples, auprès de nous désormais, lui qui a dit « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Il est invisible, mais non pas absent ; lors des apparitions, il se rend visible ; le mot grec dit : « il se donne à voir ». Ces manifestations de la présence du Christ au milieu des siens sont un soutien pour nous ; leur rôle est d’affermir notre foi : elles sont émaillées de détails concrets, dont certains peuvent nous paraître étonnants, mais qui ont probablement une valeur symbolique. Par exemple, les cent cinquante-trois poissons : plus tard, au quatrième siècle, saint Jérôme commentera ce chiffre en disant qu’à l’époque du Christ, on connaissait exactement cent cinquante-trois espèces de poissons ; ce serait donc une manière symbolique de dire que c’était la pêche maximum en quelque sorte.

De la même manière que, dans la nuit du Jeudi au Vendredi, Pierre a trois fois affirmé qu’il ne connaissait pas cet homme, cette fois Jésus l’interroge trois fois : infinie délicatesse qui permet à Pierre d’effacer son triple reniement.
-------------------

« Quand tu seras vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui te mettra ta ceinture pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » : cette phrase suit tout juste ce qu’on serait tentés d’appeler la nomination de Pierre, « sois le berger de mes brebis » ; il semble qu’elle dise clairement que la mission confiée à Pierre est une mission de « service » et non de domination ! Car, à l’époque, la ceinture est portée par les voyageurs et par les serviteurs : elle sera doublement indiquée pour les serviteurs de l’Évangile. Pierre mourra de sa fidélité au service de l’évangile ; c’est pourquoi Jean explique : « Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. » Cela signifie que ce chapitre est postérieur à la mort de Pierre (pendant la persécution de Néron, en 66 ou 67). Ce n’est pas pour nous étonner, puisqu’on admet communément que l’Évangile de Jean est très tardif. Certains supposent même (d’après Jn 21,23-24) que la rédaction finale de l’évangile de Jean serait postérieure à sa propre mort.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 3e dimanche de Pâques (5 mai 2019)

Partager cet article

Repost0
21 avril 2019 7 21 /04 /avril /2019 23:12

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 27 avril 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES   5,12-16

 

       À Jérusalem,
12   par les mains des Apôtres,         
       beaucoup de signes et de prodiges        
       se réalisaient dans le peuple.      
       Tous les croyants, d'un même cœur,      
       se tenaient sous le portique de Salomon.
13   Personne d'autre n'osait se joindre à eux ;         
       cependant, tout le peuple faisait leur éloge,
14   de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes,   
       en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur.
15   On allait jusqu'à sortir les malades sur les places,         
       en les mettant sur des civières et des brancards :          
       ainsi, au passage de Pierre,        
       son ombre couvrirait l'un ou l'autre.
16   La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem,        
       en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs.  
       Et tous étaient guéris.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Cette description d’une communauté idéale nous paraît presque trop belle ! Après vingt siècles, nos communautés chrétiennes en sont parfois si loin... Il y a comme cela, dans le livre des Actes des Apôtres, quatre petits tableaux, des résumés de la vie des tout débuts de l’Église, de quoi nous faire rêver. N’en déduisons pas que tout était rose pour les premiers Chrétiens ; nous aurons l’occasion au cours des dimanches qui viennent de voir qu’ils ont rencontré des difficultés de toute sorte ; et ils étaient des hommes, nos premiers chrétiens, pas des surhommes. Pourquoi Luc, l’auteur des Actes des Apôtres, a-t-il émaillé son livre de ces tableaux trop beaux ? En retenant de préférence les réussites des premières communautés, il veut peut-être nous encourager à avancer dans le même sens : car une communauté fraternelle est une condition indispensable de l’annonce de la Bonne Nouvelle ; or la seule chose qui compte, c’est que la Bonne Nouvelle soit annoncée. Et ce qui a frappé Luc, c’est que rien n’a pu empêcher l’Église naissante de se développer : la contagion de la Bonne Nouvelle s’est répandue irrésistiblement. Jésus les avait prévenus : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1, 8). C’est exactement ce qui s’est réalisé progressivement.

         Pour l’instant, nous sommes encore à Jérusalem, ce qui veut dire que la résurrection du Christ est encore proche dans le temps : plus précisément, nous sommes au Temple de Jérusalem, sous la colonnade de Salomon ; tout le mur Est du Temple était en fait une colonnade bordant une allée couverte très large ; c’était un lieu de passage et de rencontre, accessible à tous, parce qu’il ne faisait pas partie des enceintes réservées aux Juifs. Cette remarque de Luc « Tous les croyants, d’un seul cœur, se tenaient sous la colonnade de Salomon » est très révélatrice : elle prouve que, dans un premier temps, après la mort et la Résurrection de Jésus, les Apôtres n’ont pas tout de suite cessé de fréquenter le Temple : ils sont Juifs et ils le restent ! Leur foi juive n’est d’ailleurs que plus forte après tous ces événements : puisque, à leurs yeux, les promesses de l’Ancien Testament sont enfin accomplies. Le fossé entre les chrétiens et les Juifs qui ne reconnaissent pas Jésus comme le Messie ne se creusera que peu à peu. Mais on sent un peu déjà dans le texte d’aujourd’hui l’amorce de cette séparation : « Tous les croyants (sous-entendu chrétiens), d’un seul cœur, se tenaient sous la colonnade de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ». Cela veut dire qu’ils formaient déjà un groupe à part au sein du peuple juif.

         Dans la deuxième partie du texte de ce dimanche, Luc fait, de toute évidence, un parallèle avec les débuts de la prédication de Jésus, quelques années auparavant. À propos des Apôtres, il écrit : « une foule venue des villages voisins de Jérusalem amenait des gens malades ou tourmentés par des esprits mauvais. Et tous, ils étaient guéris. »  Le même Luc écrivait dans son évangile à propos de Jésus : « Au coucher du soleil, tous ceux qui avaient des malades de toutes sortes les lui amenaient ; et lui, imposant les mains à chacun d’eux, les guérissait. Des démons aussi sortaient d’un grand nombre... » (Lc 4, 40-41). Or, quand le prophète Isaïe annonçait la venue du Messie, il disait : « Alors, les yeux des aveugles verront, et les oreilles des sourds s’ouvriront. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. » (Is 35, 5-6). Et quand les disciples de Jean-Baptiste sont venus demander à Jésus : « es-tu vraiment le Messie ? », Jésus a répondu dans les mêmes termes : « allez dire à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Lc 7, 22-23). En insistant sur les guérisons opérées par Pierre et les Apôtres, Luc veut donc nous dire : c’est bien la même œuvre du Messie qui continue ; les apôtres ont pris le relais.

         Alors on comprend où il veut en venir ; il fait l’histoire des Apôtres dans le but bien précis de dire à sa communauté : à vous de prendre le relais des Apôtres maintenant, le Christ compte sur vous ! Grâce à ce témoignage des apôtres, « des hommes et des femmes de plus en plus nombreux adhéraient au Seigneur par la foi ». Ils adhèrent au Seigneur, non aux apôtres... mais au Seigneur PAR les apôtres. L’évangélisation du monde ne se fait pas toute seule ! Ou, pour le dire autrement, l’évangélisation a besoin d’évangélisateurs ! Luc nous dit encore une fois : « À bon entendeur, salut ! »

         À relire d’un peu plus près encore ces versets, on remarque une chose : saint Luc n’attribue pas d’abord ces conversions nombreuses aux miracles opérés par les apôtres : « Tous les croyants, d’un seul cœur, se tenaient sous la colonnade de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge et des hommes et des femmes de plus en plus nombreux adhéraient au Seigneur par la foi. »

         Du coup, on peut se demander : le jour où on pourra dire de nos communautés paroissiales « qu’elles n’ont qu’un seul cœur », peut-être ce jour-là, des hommes et des femmes de plus en plus nombreux adhéreront-ils au Seigneur...? C’est bien le souhait du Seigneur : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples. » (Jn 13,35). Cela n’est pas au-dessus de nos forces : les premiers Chrétiens étaient des hommes et des femmes comme nous ! Dans d’autres passages du livre des Actes, on en a largement la preuve : les désaccords, les disputes, et autres tentations n’ont pas manqué !

         Faut-il en déduire que les miracles non plus ne sont pas au-dessus de nos forces ? Saint Pierre et les autres apôtres n’étaient pas des surhommes ; Pierre lui-même dira à Corneille qui s’agenouillait devant lui : « Relève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi ». C’est peut-être seulement la foi qui nous manque ?

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 117 (118), 2-4, 22-24, 25-27a

N.B. : je ne sais pour quelle raison, le nouveau lectionnaire a modifié le choix des versets,

J’ai donc un peu modifié le commentaire par rapport au livre.

 

2     Oui, que le dise Israël :
       Éternel est son amour !
3     Oui, que le dise la maison d’Aaron :
       Éternel est son amour !
4     Qu'ils le disent, ceux qui craignent le SEIGNEUR :    
       Éternel est son amour !     

22   La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs    
       est devenue la pierre d'angle :
23   c'est là l'œuvre du SEIGNEUR,           
       la merveille devant nos yeux.    
24   Voici le jour que fit le SEIGNEUR,     
       qu'il soit pour nous jour de fête et de joie !     

25        Donne, SEIGNEUR, donne le salut !          
            Donne, SEIGNEUR, donne la victoire !     
26        Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient !
            De la maison du SEIGNEUR, nous vous bénissons
27        Dieu, le SEIGNEUR, nous illumine.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Nous avons déjà chanté ce psaume 117 (118 dans la Bible) pendant la nuit pascale et le jour même de Pâques. Et chaque dimanche ordinaire, il fait partie de l’Office des Laudes dans la liturgie des Heures (ou le Bréviaire si vous préférez). Pas étonnant : pour les Juifs, ce psaume concerne le Messie ; pour nous, chrétiens, quand nous célébrons la Résurrection du Christ, nous reconnaissons en lui le Messie attendu par tout l’Ancien Testament, le roi véritable, le vainqueur de la mort.

C’est donc à ce double niveau de l’attente juive et de la foi chrétienne que je vous propose de l’entendre.

           Le sens de ce psaume dans la foi juive :

           C’est un psaume de louange : il commence d’ailleurs par le mot « Alléluia » qui signifie « louez Dieu » et qui donne bien le ton de l’ensemble ; ensuite, il comporte vingt-neuf versets et sur cet ensemble de vingt-neuf versets, il y a plus  de trente fois le mot « SEIGNEUR » (les fameuses quatre lettres du nom de Dieu en hébreu) ou au moins Yah, qui en est la première syllabe... et ce sont autant de phrases de louange pour la grandeur de Dieu, l’amour de Dieu, l’œuvre de Dieu pour son peuple... Une vraie litanie !

Ce psaume de louange est chanté pour accompagner un sacrifice d’action de grâce au cours de la fête des tentes, cette fête très importante qui dure huit jours en automne. Je commence par vous raconter le déroulement de la fête des tentes : le ri­te le plus vi­si­ble pour des étran­gers se si­tue hors du Tem­ple : pen­dant tou­te cet­te se­mai­ne, on ha­bi­te - mê­me en ville - dans des hut­tes de bran­cha­ge, les « Ten­tes » ou « Ta­ber­na­cles », (d’où le nom de cet­te fê­te) en mé­moi­re des ten­tes du dé­sert et aus­si de la pro­tec­tion de l’ombre de Dieu, pen­dant l’Exode ; d’autres ri­tes se dé­rou­lent à l’intérieur du Tem­ple : des cé­lé­bra­tions de tou­te sor­te (dont le point com­mun est le re­nou­vel­le­ment de l’Alliance), au cours des­quel­les cha­que pè­le­rin bran­dit des rameaux en les agitant. Plus exactement, il s’agit d’un petit bouquet soigneusement lié, le bou­quet de « lou­lav » com­po­sé d’une pal­me, d’une bran­che de myr­te, d’une branche de sau­le et d’un cé­drat (sor­te de pe­tit ci­tron). En­fin, pen­dant cer­tains of­fi­ces, on fait une im­men­se pro­ces­sion au­tour de l’autel en agi­tant ces bou­quets de lou­lav et en chan­tant des psau­mes en­tre­cou­pés de « Ho­san­na » qui si­gni­fie à la fois « Dieu sau­ve » et « Dieu, sau­ve-nous ». Il y a éga­le­ment des ri­tes de li­ba­tion d’eau et une gran­de illu­mi­na­tion du Tem­ple le soir du dernier jour : saint Jean y fait al­lu­sion.

C’est une fê­te plei­ne de fer­veur et de joie car el­le an­ti­ci­pe la ve­nue du Mes­sie : on rend grâ­ce pour le sa­lut dé­jà ac­com­pli et on ac­cueille le sa­lut qui vient, qui ne sau­rait tar­der (le Mes­sie). C’est le sens de l’acclamation « Bé­ni soit ce­lui qui vient au nom du SEI­GNEUR ».

Dans les quelques versets retenus pour la liturgie de ce dimanche, nous ne retrouvons pas tous les éléments de la fête des tentes, mais nous avons ressenti la joie qui habite les croyants : « Voici le jour que fit le SEIGNEUR, jour de fête et jour de joie ! … Oui, que le dise Israël : Éternel est son amour ! »

Cette bonté du Seigneur, le peuple d’Israël l’a expérimentée tout au long de son histoire. Pour le dire, le psaume raconte l’histoire d’un roi qui vient d’affronter une guerre sans merci et qui a remporté la victoire ; et ce roi vient rendre grâce à son Dieu de l’avoir soutenu. Il dit par exemple : « On m’a poussé, bousculé pour m’abattre, mais le SEIGNEUR m’a défendu »... « Toutes les nations m’ont encerclé : au nom du SEIGNEUR, je les détruis » et encore : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres du SEIGNEUR ». C’est donc un individu qui parle ici, un roi qui a miraculeusement échappé à toutes les attaques des pays qui l’assaillaient ; mais, en réalité, nous savons qu’il faut lire entre les lignes : c’est l’histoire du peuple d’Israël. De nombreuses fois au cours de son histoire, il a frôlé l’anéantissement ; mais à chaque fois le Seigneur l’a relevé et il chante dans cette grande fête des tentes : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j’annoncerai les œuvres du SEIGNEUR ». Ce rôle de témoin des œuvres du Seigneur, c’est la vocation propre d’Israël ; et c’est dans la conscience même de cette vocation qu’il a puisé la force de survivre à toutes ses épreuves au long de l’histoire.

           Le sens de ce psaume pour les chrétiens

           Tout d’abord, on remarque la parenté entre la fête juive des tentes et l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, que nous commémorons dans la fête des Rameaux.

           Mais surtout, la jubilation qui court dans ce psaume convient au Ressuscité du matin de Pâques ! Il est ce roi victorieux : les évangélistes, chacun à sa manière, nous l’ont présenté comme le roi véritable : pour n’en citer qu’un, par exemple, Matthieu a construit l’épisode de la visite des Mages de manière à bien nous faire comprendre que le véritable roi n’est pas celui que disent les historiens (c’est-à-dire Hérode) mais l’enfant de Bethléem... ou bien Jean, dans le récit de la Passion, nous présente bien Jésus comme le vrai roi des Juifs...

           En méditant le mystère de ce messie rejeté, méprisé, crucifié, les apôtres ont découvert un nouveau sens à ce psaume : Jésus est cette pierre angulaire, rejetée par les bâtisseurs et qui devient la pierre maîtresse1... Rejeté par son peuple, il est devenu la pierre de fondation de l’Israël nouveau.   

           Il est vraiment « celui qui vient au nom du SEIGNEUR » comme dit le psaume : l’expression même a été employée lors de son entrée solennelle à Jérusalem.

           Enfin, on se souvient que ce psaume était chanté à Jérusalem à l’occasion d’un sacrifice d’action de grâce ; Jésus, lui, vient d’accomplir LE sacrifice d’action de grâce par excellence ! Il est l’Israël nouveau qui rend grâce à Dieu son Père : c’est même ce qui caractérise Jésus : toute son attitude envers son Père n’est qu’action de grâce et c’est cela justement qui inaugure entre Dieu et l’humanité l’Alliance nouvelle : celle où l’humanité n’est que réponse d’amour à l’amour du Père.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 – la pierre angulaire : pour cette expression, voir le commentaire de ce psaume 117 (118) pour le dimanche de Pâques.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN  1, 9...19

 

9     Moi, Jean, votre frère,
       partageant avec vous la détresse,
       la royauté et la persévérance en Jésus,
       je me trouvai dans l’île de Patmos
       à cause de la parole de Dieu
       et du témoignage de Jésus.
10   Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur,
       et j’entendis derrière moi une voix forte,
       pareille au son d’une trompette.
11   Elle disait :
       « Ce que tu vois, écris-le dans un livre
       et envoie-le aux sept Églises :
       à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire,
       Sardes, Philadelphie et Laodicée. »
12   Je me retournai pour regarder
       quelle était cette voix qui me parlait.
       M’étant retourné,
       j’ai vu sept chandeliers d’or,
13   et au milieu des chandeliers un être
       qui semblait un Fils d’homme,
       revêtu d’une longue tunique,
       une ceinture d’or à hauteur de poitrine.    
17   Quand je le vis,
       je tombai à ses pieds comme mort,
       mais il posa sur moi sa main droite, en disant :
       « Ne crains pas.
       Moi, je suis le Premier et le Dernier,
18   le Vivant :
       j’étais mort,
       et me voilà vivant pour les siècles des siècles ;
       je détiens les clés de la mort et du séjour des morts.
19   Écris donc ce que tu as vu,
       ce qui est,
       ce qui va ensuite advenir. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Pendant six dimanches de suite, nous allons lire en deuxième lecture des passages de l’Apocalypse de saint Jean : c’est une chance qui nous permettra de faire un peu connaissance avec l’un des textes les plus attachants du Nouveau Testament ; livre difficile à première vue, il nous demande un effort mais nous serons vite récompensés. Aujourd’hui donc, premier contact. Le mot « Apocalypse » vient du grec : cela signifie « révélation », « dévoilement » au sens de « retirer un voile » ; il s’agit pour Jean de nous révéler le mystère de l’histoire du monde, mystère caché à nos yeux. Parce qu’il s’agit de nous révéler ce que nos yeux ne voient pas spontanément, le livre se présente sous forme de visions : par exemple, le verbe « voir » est employé cinq fois dans le simple passage d’aujourd’hui !

         Ce mot « d’Apocalypse » malheureusement n’a pas eu de chance : il est devenu presque un épouvantail, ce qui est le pire des contresens ! Car, à sa manière, l’Apocalypse est, comme tous les autres livres bibliques, une Bonne Nouvelle. Toute la Bible, dès l’Ancien Testament, est le dévoilement du mystère du « dessein bienveillant de Dieu », (comme dit la Lettre aux Éphésiens), le projet d’amour de Dieu pour l’humanité. Les Apocalypses sont un genre littéraire particulier, mais comme tous les autres livres bibliques, elles n’ont pas d’autre message que l’amour de Dieu et la victoire définitive de l’amour sur toutes les formes du mal. Si nous ne sommes pas convaincus de cela en ouvrant les Apocalypses, et en particulier celle de Jean, mieux vaut ne pas les ouvrir ! Nous risquons de les lire de travers !

         Ce qui fait l’une des difficultés de ce genre littéraire, ce sont les visions souvent fantastiques et difficiles à décrypter, pour nous tout au moins. Tout est là : ce n’était pas difficile pour les destinataires, c’est difficile pour nous qui ne sommes plus dans leur situation. Pourquoi parler sous forme de visions ? Pourquoi ne pas parler en clair ? Ce serait tellement plus simple... non, justement ; l’Apocalypse de saint Jean, comme tous les livres du même genre (il y a eu plusieurs apocalypses écrites par des auteurs différents entre le deuxième siècle av. J.-C. et le deuxième siècle ap. J.-C.), est écrite en temps de persécution ; on le lit bien ici : « Moi, Jean, votre frère et compagnon dans la persécution...  je me trouvais dans l’île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage pour Jésus. » À Patmos, Jean ne fait pas du tourisme, il y a été exilé.

         Parce qu’on est en pleine persécution, une Apocalypse est un écrit qui circule sous le manteau, pour remonter le moral des troupes ; le thème majeur, c’est la victoire finale de ceux qui actuellement sont opprimés. Le discours, en gros, c’est : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage ; Christ a vaincu le monde : regardez, il est vainqueur. Il a vaincu la mort. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Le vrai roi, c’est le Christ ; ceci, Jean le dit dès la première phrase : « Moi, Jean, votre frère partageant avec vous la détresse, la royauté et la persévérance en Jésus. »

         Évidemment, un tel discours ne peut pas être trop explicite, puisque le danger est grand de le voir saisi par le persécuteur ; alors on raconte des histoires d’un autre temps et des visions fantasmagoriques, tout ce qu’il faut pour décourager la lecture par des non-initiés. Par exemple, saint Jean dit tout le mal possible de Babylone, qu’il appelle « la grande prostituée ». Pour qui sait lire entre les lignes, il s’agit évidemment de Rome. Le message de toute Apocalypse, c’est celui-là : les forces du mal pourront se déchaîner, elles ne l’emporteront pas !

         C’est ce qui explique le triste contresens que nous faisons souvent sur le mot « Apocalypse » : car on y trouve effectivement la description du mal déchaîné, mais on y trouve bien plus encore l’annonce de la victoire de Dieu et de ceux qui lui seront restés fidèles.

         Je reviens à l’Apocalypse de saint Jean : puisqu’elle fait partie du Nouveau Testament, son personnage central est bien évidemment Jésus-Christ : il est au centre de toutes les visions.

         Dans la lecture de ce dimanche, cette victoire du Christ nous est présentée dans une vision grandiose : c’est un dimanche, également, c’est-à-dire le jour où l’on célèbre la Résurrection du Christ. Jean a l’impression de revivre comme une nouvelle Pentecôte : une voix puissante comme une trompette, le souffle de l’Esprit... il est saisi... au milieu de sept chandeliers d’or, un être de lumière lui apparaît ; un « fils d’homme » ; dans le vocabulaire du Nouveau Testament, le fils de l’homme est l’une des expressions pour dire le Messie ; pour Jean, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, c’est le Christ. Alors, comme tout homme mis soudainement en présence de Dieu, Jean tombe à ses pieds et il s’entend dire « Sois sans crainte »... et il entend les paroles de victoire : « Je suis » (le nom même de Dieu)... « Je suis le Premier et le Dernier... Je suis le Vivant... le victorieux de la mort... je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. »

         Et comme toujours, ce genre de vision est vocation, pour une mission au service de ses frères : « Écris ce que tu auras vu... » sous-entendu va encourager tes frères ; le passé, le présent, l’avenir m’appartiennent : on entend résonner ici la promesse du Christ : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11, 25).

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 – Les exégètes s’entendent pour dire que l’Apocalypse de Jean a été écrite sous le règne de l’empereur Domitien (81-96). Or cet empereur ne s’est pas livré à une persécution systématique des chrétiens. Mais la communauté de Jean vit réellement dans un climat d’insécurité : lui-même est exilé et, d’autre part, dans le cours du livre, il sera fait mention de martyrs ; les chrétiens sont affrontés aux exigences du culte impérial promu par Domitien et il semble que certains gouverneurs locaux aient fait du zèle. D’autre part, les Chrétiens rencontrent l’opposition des Juifs restés réfractaires au christianisme. C’est ce qui semble ressortir des lettres aux sept Églises.

Compléments sur les apocalypses

Dans l’Ancien Testament, le message du livre de Daniel était de type apocalyptique : écrit vers 165 av. J.-C. pour encourager ses frères persécutés par le roi grec Antiochus Épiphane, Daniel n’attaquait pas directement le problème : il racontait les actes d’héroïsme accomplis par des Juifs fidèles sous la persécution de Nabuchodonosor quatre cents ans plus tôt ; ce n’était qu’une leçon d’histoire, en apparence ; mais, pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair.

Un exemple de texte de style « apocalyptique » dans l'histoire récente : au temps de la domination russe sur la Tchécoslovaquie, une jeune actrice tchèque a composé et joué de nombreuses fois dans son pays une pièce sur Jeanne d'Arc : franchement l'histoire de Jeanne d'Arc boutant les Anglais hors de France au quinzième siècle n'était pas le premier souci des Tchèques ; et si le scénario tombait entre les mains du pouvoir occupant, ce n'était pas trop compromettant ; mais pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair : ce que la jeune fille de dix-neuf ans a su faire, avec l'aide de Dieu, nous le pouvons nous aussi.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN   20, 19-31

 

       C'était après la mort de Jésus,
19   Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, 
       Alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
       étaient verrouillées par crainte des Juifs,
       Jésus vint, et il était là au milieu d'eux.
       Il leur dit :                      
       « La paix soit avec vous ! »
20   Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
       Les disciples furent remplis de joie
       en voyant le Seigneur.
21   Jésus leur dit de nouveau :
       « La paix soit avec vous !
       De même que le Père m'a envoyé,
       moi aussi, je vous envoie. »
22   Ayant ainsi parlé, il souffle sur eux
       et il leur dit :                   
       « Recevez l'Esprit Saint.
23   À qui vous remettrez ses péchés,
       ils seront remis ;  
       à qui vous maintiendrez ses péchés,
       ils seront maintenus. »
24   Or, l'un des Douze, Thomas
       appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau)
       n'était pas avec eux, quand Jésus était venu.
25   Les autres disciples lui disaient :
       « Nous avons vu le Seigneur ! »
       Mais il leur déclara :
       « Si je ne vois pas
       dans ses mains la marque des clous,
       si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
       si je ne mets pas la main dans son côté,
       non, je ne croirai pas ! »
26   Huit jours plus tard,
       les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
       et Thomas était avec eux.
       Jésus vient
       alors que les portes étaient verrouillées,
       et il était là au milieu d'eux.
       Il dit :
       « La paix soit avec vous ! »
27   Puis il dit à Thomas :
       « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
       avance ta main, et mets-la dans mon côté :
       cesse d'être incrédule,
       sois croyant. »
28   Thomas lui dit alors :
       « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29   Jésus lui dit :
       « Parce que tu m'as vu, tu crois.
       Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30   Il y a encore beaucoup d'autres signes
       que Jésus a faits en présence des disciples
       et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre.
31   Mais ceux-là ont été écrits
       pour que vous croyiez
       que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
       et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

          C’est la première fois que Jésus Ressuscité rencontre ses disciples.   Ils ont encore dans la tête les derniers mots qu’il a prononcés sur la croix : « Tout est achevé ». C’est ainsi que se termine le récit de la Passion dans l’évangile de saint Jean. Il me semble que cette phrase « Tout est achevé », c’est-à-dire « le projet de Dieu est accompli » devient à ce moment-là une évidence pour Jean, et c’est dans cet esprit qu’il vit cette première rencontre avec le Ressuscité.

         Par exemple, comme par hasard, cela se passe à Jérusalem ! La ville faite pour la paix, comme son nom l’indique (Yerushalaïm : dans ce nom, il y a le mot hébreu « shalom ») et Jésus y annonce et y donne sa paix ; il dit « Shalom » et parce qu’il est Dieu, et enfin reconnu comme tel, sa Parole est efficace, créatrice. Réellement, sa paix s’accomplit...

         Dire cela aujourd’hui ne relève-t-il pas de l’inconscience ? de l’utopie ? Au contraire, il est plus que jamais urgent d’y croire ! Mais la paix ne vient pas d’un coup de baguette magique ! Elle exige des cœurs prêts à l’accueillir.

         Jean a certainement en tête toutes les promesses des prophètes, par exemple Isaïe : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné... le prince de la paix... » (Is 9) ; ou encore Jérémie : « Moi, dit Dieu, je sais les projets que j’ai formés à votre sujet, projets de prospérité (de « shalom ») et non de malheur... » (Jr 29, 11) ;

         Et les disciples sont dans la joie : Jean se souvient de la parole du Christ, le dernier soir : « Vous êtes maintenant dans l’affliction ; mais je vous verrai à nouveau, votre cœur alors se réjouira, et cette joie, nul ne vous la ravira » (Jn 16, 22).

         Ensuite, « C’était le soir du premier jour de la semaine » : au temps de Jésus, en Israël, ce premier jour de la semaine, c’est-à-dire le dimanche, était un jour comme les autres, un jour de travail comme les autres... en revanche, le septième jour, le samedi était jour de repos, de prière, de rassemblement, le shabbat. Or, c’est un lendemain de shabbat que Jésus est ressuscité, et, plusieurs fois de suite, il s’est montré vivant à ses apôtres après sa résurrection, chaque fois le premier jour de la semaine : si bien que pour les chrétiens, le premier jour de la semaine, le dimanche, a pris un sens particulier. Ce « premier jour de la semaine » leur paraît à eux être le premier jour des temps nouveaux : comme la semaine de sept jours des Juifs rappelait les sept jours de la Création, cette nouvelle semaine qui a commencé par la Résurrection du Christ a été comprise par les Chrétiens comme le début de la nouvelle Création.

         Si bien que quand Jean écrit « C’était le soir du premier jour de la semaine », ce n’est pas seulement une précision matérielle qu’il nous donne : c’est plutôt comme un clin d’œil ; quand il écrit son évangile, il y a déjà à peu près cinquante ans que les faits se sont passés... cinquante ans que les Chrétiens se réunissent chaque dimanche pour fêter la résurrection de Jésus. Le clin d’œil, c’est « vous comprenez pourquoi on se rassemble chaque dimanche ? » Et d’ailleurs, notre mot français vient du latin « dies dominicus » qui veut dire « Jour du Seigneur ». Chaque dimanche, nous annonçons que le Jour du Seigneur, le Jour de la Création Nouvelle est enfin venu. Le « dessein bienveillant » de Dieu est accompli.

         C’est précisément ce jour-là, le premier jour de la semaine que le Christ donne l’Esprit à ses disciples, comme le prophète Ézéchiel l’avait annoncé : « Je mettrai en vous mon propre Esprit ». Jésus « souffle » sur ses disciples et dit « Recevez l’Esprit Saint » ; Jean a repris intentionnellement le mot du livre de la Genèse (Gn 2,7) : comme Dieu a insufflé à l’homme l’haleine de vie, Jésus inaugure la création nouvelle en insufflant à l’homme son esprit. En écho, la quatrième prière eucharistique rend grâce pour le don de l’Esprit, « le premier don fait aux croyants ».

          Dans la Bible, l’Esprit est toujours donné pour une mission, et effectivement, Jésus est venu pour confier à ses disciples leur mission : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». À Pilate, trois jours avant, il a dit « Je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37) et Pilate avait posé la question « Qu’est-ce que la vérité ? » Jésus confie à ses disciples la mission d’annoncer à leur tour au monde la vérité, la seule dont les hommes aient besoin pour vivre : « Dieu est Père, il est Amour, il est pardon et miséricorde ».

         « Je vous envoie » : on se rappelle que les disciples étaient verrouillés : il leur dit « je vous envoie », c’est-à-dire, il n’est plus question de rester verrouillés ! La mission est urgente, le monde meurt de ne pas savoir la vérité ; il est, comme dit Jésus, « maintenu dans son péché », c’est-à-dire dans son éloignement d’avec Dieu. Il n’y a pas d’autre mission en définitive que de réconcilier les hommes avec Dieu : tout le reste en découle.

         « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis. Tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » On pourrait traduire : « Allez annoncer que les péchés sont remis, c’est-à-dire pardonnés. Soyez les ambassadeurs de la réconciliation universelle. Et, si vous n’y allez pas, cette Nouvelle de la Réconciliation ne sera pas annoncée : le Père vous confie cette mission urgente et indispensable. »

         « Comme le Père m’a envoyé... » : on a ici, de la bouche même de Jésus-Christ un résumé de toute sa mission ; c’est comme s’il nous disait : « Le Père m’a envoyé pour annoncer la réconciliation universelle, pour annoncer que les péchés sont pardonnés. Que Dieu ne tient pas des comptes des péchés des hommes ... annoncer une seule chose : que Dieu est Amour et Pardon. À votre tour, je vous envoie pour la même mission.» Le premier péché, celui qui est la racine de tous les autres, c’est de ne pas croire à l’amour de Dieu : vous donc, je vous envoie, allez annoncer à tous les hommes l’amour de Dieu.

         Reste la phrase « Tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » : être maintenu dans son péché, c’est vivre hors de l’amour de Dieu. Il dépend de vous, dit Jésus, que vos frères connaissent l’amour de Dieu et en vivent ... Le projet de Dieu ne sera définitivement accompli que quand vous, à votre tour, aurez accompli votre mission...  « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ».

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, dimanche de la Divine-Miséricorde, 2e dimanche de Pâques (28 avril 2019)

Partager cet article

Repost0
14 avril 2019 7 14 /04 /avril /2019 23:35

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 20 avril 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

PREMIÈRE LECTURE - Actes des Apôtres 10, 34...43

 

       En ces jours-là,
       quand Pierre arriva à Cé­sa­rée    
       chez un centurion de l'armée ro­mai­ne,
34   il prit la pa­ro­le :
37   « Vous savez ce qui s'est pas­sé à tra­vers tout le pays des Juifs
       depuis les commencements en Ga­li­lée,             
       après le baptême proclamé par Jean :
38   Jésus de Nazareth,         
       Dieu lui a donné l’onction d'Esprit Saint et de puissance.       
       Là où il pas­sait, il fai­sait le bien            
       et gué­ris­sait tous ceux qui étaient sous le pou­voir du diable,               
       car Dieu était avec lui.
39   Et nous, nous som­mes té­moins
       de tout ce qu'il a fait dans le pays des Juifs et à Jé­ru­sa­lem.     
       Celui qu’ils ont supprimé en le pen­dant au bois du sup­pli­ce,
40   Dieu l'a res­sus­ci­té le troi­siè­me jour.
41   Il lui a don­né de se manifester,             
       non pas à tout le peu­ple,
       mais à des té­moins que Dieu avait choi­sis d'avance,                
       à nous qui avons man­gé et bu avec lui              
       après sa ré­sur­rec­tion d'entre les morts.
42   Dieu nous a char­gés d'annoncer au peu­ple et de té­moi­gner                 
       que lui-même l'a établi Ju­ge des vi­vants et des morts.
43   C'est à Jésus que tous les pro­phè­tes ren­dent ce té­moi­gna­ge :              
       quiconque croit en lui                
       re­çoit par son nom le par­don de ses pé­chés. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pierre est à Césarée-sur-Mer (il y avait là effectivement une garnison romaine), et il est entré dans la maison de Corneille, un officier romain.

Comment en est-il arrivé là ? Et que vient-il y faire ? En fait, si Pierre est là, c'est qu'il a été quelque peu bousculé par l'Esprit Saint. Il faut relire le récit de la vision de Joppé dans ce même chapitre des Actes. D'autre part, peu de temps auparavant, Pierre vient d'accomplir deux miracles : il a guéri un homme, Énée, à Lydda, et ensuite, il a ressuscité une femme, Tabitha, à Joppé (on dirait aujourd'hui Jaffa ; Ac 9,32-43). Ces deux miracles lui ont prouvé que le Seigneur ressuscité était avec lui et agissait à travers lui. Car Jésus avait bien annoncé que, comme lui, et en son nom, les apôtres chasseraient les démons, guériraient les malades, et ressusciteraient les morts.

Ce sont ces deux miracles qui ont donné à Pierre la force de franchir l’étape suivante, qui est décisive : il s’agit cette fois d’un miracle sur lui-même, si l’on peut dire ! Car, pour la première fois, contrairement à toute son éducation, à toutes ses certitudes, Pierre, le Juif, franchit le seuil d’un païen, Corneille, le centurion romain ; il est vrai que Corneille est un païen très ami des Juifs, on dit qu’il est un « craignant Dieu » ; c’est-à-dire un converti à la religion juive mais qui n’est pas allé jusqu’à en adopter toutes les pratiques, y compris la circoncision. Or la circoncision est la marque de l’Alliance ; donc un « craignant Dieu » reste un incirconcis, un païen. Et c’est chez ce païen, Corneille, que Pierre est entré et il y annonce la grande nouvelle : Jésus de Nazareth est ressuscité ! (Et, ce même jour, Corneille sera baptisé ainsi que toute sa famille.) Traduisez : l’Évangile est en train de déborder les frontières d’Israël !

On dit souvent que Paul est l’apôtre des païens, mais il faut rendre justice à Pierre : si l’on en croit les Actes des Apôtres, c’est lui qui a commencé, et à Césarée, justement, chez le centurion romain Corneille.

Et ce que nous venons d’entendre, c’est donc le discours que Pierre a prononcé chez Corneille, en ce jour mémorable. D’où l’importance de la dernière phrase du texte que nous venons d’entendre ; Pierre vient de comprendre : « Quiconque croit en lui (Jésus) reçoit par son nom le pardon de ses péchés. » Tout homme, c’est-à-dire pas seulement les Juifs : même des païens peuvent entrer dans l’Alliance. Le salut a d’abord été annoncé à Israël, mais désormais il suffit de croire en Jésus-Christ pour recevoir le pardon de ses péchés, c’est-à-dire pour entrer dans l’Alliance avec Dieu. Et donc tout homme, même non-Juif (c’est le sens du mot « païen » ici), peut être baptisé au nom de Jésus.

Visiblement, ce fut la grande découverte des premiers Chrétiens, Paul et Pierre y insistent tous les deux : il suffit de croire en Jésus pour être sauvé !

L’ensemble du discours de Pierre chez Corneille est révélateur de l’état d’esprit des Apôtres dans les années qui ont suivi la Résurrection de Jésus. Ils avaient été les témoins privilégiés des paroles et des gestes de Jésus, et ils avaient peu à peu compris qu’il était le Messie que tout le peuple attendait. Et puis, il y avait eu le Vendredi saint : Dieu avait laissé mourir Jésus de Nazareth ; certainement, Dieu n’aurait pas laissé mourir son Messie, son Envoyé ; leur déception avait été immense ; Jésus de Nazareth ne pouvait pas être le Messie.

Et puis ce fut le coup de tonnerre de la Résurrection : non, Dieu n’avait pas abandonné son Envoyé, il l’avait ressuscité. Et les Apôtres avaient eu de nombreuses rencontres avec Jésus vivant ; et maintenant, depuis l’Ascension et la Pentecôte, ils consacraient toutes leurs forces à l’annoncer à tous ; c’est très exactement ce que Pierre dit à Corneille : « Nous, (les Apôtres), nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le pendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour... Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. »

Il restera pour les Apôtres une tâche immense : si la résurrection de Jésus était la preuve qu’il était bien l’Envoyé de Dieu, elle n’expliquait pas pourquoi il avait fallu passer par cette mort infamante et cet abandon de tous. La plupart des gens attendaient un Messie qui serait un roi puissant, glorieux, chassant les Romains ; Jésus ne l’était pas. Quelques-uns imaginaient que le Messie serait un prêtre, il ne l’était pas non plus, il ne descendait pas de Lévi ; et l’on pourrait faire la liste de toutes les attentes déçues.

Alors les Apôtres ont entrepris un formidable travail de réflexion : ils ont relu toutes leurs Écritures, la Loi, les Prophètes et les Psaumes, pour essayer de comprendre. Il a fallu tout ce travail de relecture, après la Pentecôte, à la lumière de l’Esprit Saint, pour arriver à dire, comme le fait Pierre ici : « C’est à Jésus que tous les prophètes rendent témoignage… Il nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que Dieu l’a établi Juge des vivants et des morts ».

Un autre aspect tout à fait remarquable de ce discours de Pierre, c’est son insistance pour dire que c’est Dieu qui agit ! Jésus de Nazareth était un homme apparemment semblable à tous les autres, mortel comme tous les autres... eh bien, Dieu agissait en lui et à travers lui : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance, Dieu était avec lui, Dieu l’a ressuscité, Dieu lui a donné de se manifester à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, Dieu l’a établi Juge des vivants et des morts... »

Et la phrase qui résume tout cela : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit-Saint et de puissance. » Désormais, Pierre vient de le comprendre, tout homme, Juif ou païen, peut grâce à Jésus-Christ être lui aussi consacré par l'Esprit Saint et rempli de sa force !

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  117 ( 118 )

 

1     Rendez grâce au SEIGNEUR : Il est bon !           
       Éternel est son amour !  
4     Oui, que le dise Israël :  
       Éternel est son amour !

16   Le bras du SEIGNEUR se lève,    
       le bras du SEIGNEUR est fort !    
17   Non, je ne mourrai pas, je vivrai
       pour annoncer les actions du SEIGNEUR.

22   La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs    
       est devenue la pierre d'angle.     
23   C'est là l'œuvre du SEIGNEUR,   
       la merveille devant nos yeux.    
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

              Si l’on ne veut pas faire d'anachronisme, il faut admettre que ce psaume n'a pas été écrit d'abord pour Jésus-Christ ! Comme tous les psaumes, il a été composé, des siècles avant le Christ, pour être chanté au temple de Jérusalem. Comme tous les psaumes aussi, il redit toute l'histoire d'Israël, cette longue histoire d'Alliance : c'est cela qu'on appelle « l’œuvre du SEIGNEUR, la merveille devant nos yeux ... ». C’est l’expérience qui fait dire au peuple élu : oui, vraiment, l’amour de Dieu est éternel ! Dieu a accompagné son peuple tout au long de son histoire, et toujours il l’a sauvé de ses épreuves.

              On a là un écho du chant de victoire que le peuple libéré d’Égypte a entonné après le passage de la Mer Rouge : « Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR, il est pour moi le salut » (Ex 15). Les mots « œuvre » ou « merveille » sont toujours dans la Bible une allusion à la libération d’Égypte. Et quand je dis « allusion », le mot est trop faible, c’est un « faire mémoire » au sens fort de ressourcement dans la mémoire commune du peuple.

               « Le bras du SEIGNEUR se lève, Le bras du SEIGNEUR est fort », c’est aussi un faire mémoire de la libération d’Égypte. Et cette œuvre de libération de Dieu n’est pas seulement celle d’un jour, elle est permanente, on l’a sans cesse expérimentée. C’est vraiment d’expérience qu’ils peuvent le dire  « ceux qui craignent le SEIGNEUR » : « Éternel est son amour ». Et nous savons que les hommes de la Bible ont appris peu à peu à remplacer le mot « craindre » par le mot « aimer ».

              Et c’est cet amour éternel de Dieu qui fonde l’espérance : car, chaque fois qu’on chante les libérations du passé, c’est aussi et surtout pour y puiser la force d’attendre celles de l’avenir ; Dieu enverra son Messie et enfin on connaîtra le bonheur promis ; enfin le peuple élu et avec lui l’humanité tout entière connaîtront la paix et la justice. On en est loin encore quand ce psaume est composé... et aujourd’hui encore !

              Mais notre lointain ancêtre qui écrit ce psaume sait que Dieu est capable de transformer toutes les situations, y compris les situations de mort en situations de vie : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, pour annoncer les actions du SEIGNEUR ». C’est l’action de grâce du peuple qui a frôlé la mort et rend grâce pour sa libération. À l’heure où ce psaume est écrit, cela ne signifie pas une croyance en la résurrection ; nous savons bien que la foi en la résurrection n’est apparue que très tardivement en Israël ; cette affirmation « Non, je ne mourrai pas, je vivrai » est une réelle profession de foi, mais d’un autre ordre : c’est la certitude que Dieu n’abandonnera jamais son peuple : même dans les pires situations, quand l’avenir du peuple est compromis, on sait de façon absolument certaine que Dieu le fera survivre. Car la vocation de ce peuple, c’est précisément de vivre pour « annoncer les actions du SEIGNEUR ».

              Pour donner une idée de ces retournements que Dieu est capable d’opérer, on emprunte le langage des architectes : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Quand ce psaume est composé, ce n’est pas la première fois qu’on emploie l’image de la pierre angulaire pour parler de l’œuvre de Dieu : Isaïe l’avait déjà fait (au chapitre 28).

              Dans une période où la société de Jérusalem se dégradait, où régnaient partout le mensonge, l’injustice, la corruption, le mépris des commandements de Dieu, le prophète rappelait qu’on récolte ce qu’on a semé : une telle société court inévitablement à sa perte. Isaïe avait dit alors quelque chose comme « Vous vous appuyez sur du vent ; on croirait vraiment que vous voulez mourir (« vous avez conclu un pacte avec la mort »...) Vous savez bien pourtant que le droit et la justice sont les seules valeurs sûres... Vous êtes comme des bâtisseurs qui choisiraient les plus mauvaises pierres pour faire les fondations ! Et qui rejetteraient systématiquement les bonnes pierres bien solides : traduisez les vraies valeurs.

              Mais un prophète ne reste jamais sur du négatif ! Car Dieu n’abandonne jamais son peuple... La construction est mal engagée ? Les architectes auxquels il l’avait confiée ont mal travaillé ? Qu’à cela ne tienne... Dieu va reprendre lui-même la direction des opérations. Il va rétablir le droit et la justice à Jérusalem. Il le fera comme un architecte, il va en quelque sorte rebâtir sa ville ! Mais sur des bases saines, cette fois.            

              Voici ce passage d’Isaïe : « Voici que je pose dans Sion une pierre à toute épreuve, une pierre angulaire, précieuse, établie pour servir de fondation. Celui qui s’y appuie ne sera pas pris de court. Je prendrai le droit comme cordeau et la justice comme niveau. »  (Is 28, 16).

              Notre psaume reprend cette image de la pierre angulaire et il la précise pour annoncer le retournement spectaculaire que Dieu va opérer. C’est sur toutes ces valeurs méprisées par les mauvais gouvernants que Dieu va bâtir une société nouvelle ; mieux, c’est de tous les petits, les humbles, les méprisés, qu’il va faire naître le peuple nouveau ! « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ».

              Jésus lui-même a cité à son propre sujet cette parole prophétique « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » dans la parabole des vignerons homicides (qui tuent le fils du propriétaire) ; on trouve cette parabole dans les trois évangiles synoptiques : ce qui prouve l’importance de ce thème dans la première génération chrétienne (Mt 21,33-46 ; Mc 12,1-12 ; Lc 20,9-19).

              C’est donc tout naturellement que ce psaume est devenu l’exultation pascale par excellence. Le Christ est cette pierre méprisée, rejetée par les bâtisseurs : il est devenu la pierre d’angle, la pierre de fondation de l’humanité nouvelle. Désormais, l’humanité libérée de la mort peut chanter avec lui : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du SEIGNEUR. »

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DEUXIÈME  LECTURE  -  lettre de saint Paul apôtre aux Col 3, 1-4 et aux Corinthiens 5, 6b – 8

 

La liturgie nous propose deux lectures au choix, mais il est très intéressant de les lire et de les méditer toutes les deux ensemble !

Lecture de quelques versets de saint Paul dans la lettre aux Colossiens et dans la 1ère lettre aux Corinthiens

  Colossiens 3, 1-4

1   Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ,
     recherchez les réalités d'en haut :
     c'est là qu'est le Christ, assis à la droite de Dieu.
2   Pensez aux réalités d'en haut,
     non à celles de la terre.
3   En effet, vous êtes passés par la mort,
     et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu.
4   Quand paraîtra le Christ, votre vie,
     alors vous aussi,
     vous paraîtrez avec lui dans la gloire.
-------------------------------------------------

1 Corinthiens 5, 6b – 8 

     Frères,
6   Ne savez-vous pas qu'un peu de levain suffit
     pour que fermente toute la pâte ?
7   Purifiez-vous donc des vieux ferments
     et vous serez une pâte nouvelle,
     vous qui êtes le pain de la Pâque,
     celui qui n'a pas fermenté.            
     Car notre agneau pascal a été immolé :
     c’est le Christ.
8   Ainsi, célébrons la Fête,
     non pas avec de vieux ferments,
     non pas avec ceux de la perversité et du vice,
     mais avec du pain non fermenté,
     celui de la droiture et de la vérité.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Tout d’abord, il faut nous habituer au vocabulaire de saint Paul ; par exemple, nous pouvons être un peu surpris d’entendre : « Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ... vous êtes morts avec le Christ » : À vrai dire, si nous sommes là, vous et moi, aujourd’hui, c’est que nous sommes bien vivants... c’est-à-dire pas encore morts... et encore moins ressuscités ! Il faut croire que les mots n’ont pas le même sens pour Paul que pour nous ! Car, pour lui, depuis ce fameux matin de Pâques, plus rien n’est comme avant.

Autre problème de vocabulaire : « Tendez vers les réalités d’en-haut, et non pas vers celles de la terre. » Il ne s’agit pas, en fait, de choses (qu’elles soient d’en-haut ou d’en-bas), il s’agit de conduites, de manières de vivre... Ce que Paul appelle les « réalités d’en-haut », il le dit dans les versets suivants, c’est la bienveillance, l’humilité, la douceur, la patience, le pardon mutuel... Ce qu’il appelle les réalités terrestres, c’est la débauche, l’impureté, la passion, la cupidité, la convoitise... Notre vie tout entière est dans cette tension : notre transformation, notre résurrection est déjà accomplie en Christ mais il nous reste à égrener cette réalité profonde, très concrètement au long des jours.

Si on continuait la lecture, on trouverait cette expression : « Vous avez revêtu l’homme nouveau » ; et un peu plus loin « par-dessus tout, revêtez l’amour, c’est le lien parfait ». Il me semble que c’est le meilleur commentaire du passage que nous lisons aujourd’hui. « Vous avez revêtu », c’est déjà fait... « revêtez », c’est encore à faire.

Nous retrouvons cette tension dans tout le reste de la prédication de Paul et en particulier dans cette même lettre aux Colossiens : « Vous qui autrefois étiez étrangers, vous dont les œuvres mauvaises manifestaient l’hostilité profonde, voilà que maintenant Dieu vous a réconciliés dans le corps périssable de son Fils... Mais il faut que, par la foi, vous teniez solides et fermes, sans vous laisser déporter hors de l’espérance de l’Évangile... Que personne ne vous abuse par de beaux discours... Poursuivez donc votre route dans le Christ ... Soyez enracinés et fondés en lui, affermis ainsi dans la foi telle qu’on vous l’a enseignée, et débordants de reconnaissance...Veillez à ce que nul ne vous prenne au piège de la philosophie, cette creuse duperie à l’enseigne de la tradition des hommes, des éléments du monde et non plus du Christ... Ensevelis avec le Christ dans le Baptême, avec lui encore vous avez été ressuscités... »

Il ne s’agit donc pas de vivre une autre vie que la vie ordinaire, mais de vivre autrement la vie ordinaire ; sachant que cet « autrement » est désormais possible, car c’est l’Esprit-Saint qui nous en rend capables.  Le même Paul dira à peine plus loin, dans cette même lettre : « Tout ce que vous pouvez dire ou faire, faites-le au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce par lui à Dieu le Père. » C’est ce monde-ci qui est promis au Royaume, il ne s’agit donc pas de le mépriser mais de le vivre déjà comme la semence du Royaume. Il n’est pas question de dénigrer les réalités terrestres ! Dieu nous les a confiées, au contraire, à nous de les transfigurer.

C’est dans cet esprit que Paul nous invite à être une pâte nouvelle : « Purifiez-vous des vieux ferments et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes comme le pain de la Pâque, celui qui n'a pas fermenté. » Ici, il fait allusion au rite des Azymes ; chaque année, au moment où l’on s’apprête à partager l’agneau pascal, on prend bien soin de nettoyer les maisons de toute trace du levain de la récolte de l’année dernière ; le repas de la nuit pascale (le seder) est accompagné de galettes de pain non levé (le pain azyme) et dans la semaine qui suit on continue à manger du pain sans levain en attendant d’avoir pu laisser fermenter le levain nouveau.

Les deux rites de l’agneau pascal et des Azymes étaient donc liés dans la célébration de la Pâque ; et Paul les lie dans son raisonnement : « Purifiez-vous des vieux ferments… Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé ». Paul fait donc référence à toute la symbolique de la fête pascale juive et il l’applique à la Pâque des chrétiens ; il n’a pas une seconde l’impression de changer le sens de la fête juive en parlant de la Pâque du Christ : au contraire, il voit dans la Résurrection du Christ le parfait achèvement du combat de libération que rappelait chaque année la Pâque juive.

Pour Paul, c’est une évidence : en Jésus l’ancienne fête des Azymes n’a pas perdu sa signification ; au contraire, elle trouve son sens plénier : la Pâque des Chrétiens est bien la fête de la libération, mais  désormais, la libération est définitive. Par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ a triomphé des pires chaînes, celles de la mort et de la haine. Et cette libération est contagieuse ; comme dit Paul, « un peu de levain suffit pour que toute la pâte fermente ». L’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde fera irrésistiblement « lever » comme une pâte l’humanité tout entière.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN  20,1-9

 

1   Le premier jour de la semaine,
     Marie Madeleine se rend au tombeau
     de grand matin ; c’était encore les ténèbres.
     Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2   Elle court donc trouver Simon-Pierre et l'autre disciple,
     celui que Jésus aimait,
     et elle leur dit :
     « On a enlevé le Seigneur de son tombeau
     et nous ne savons pas où on l'a déposé. »
3   Pierre partit donc avec l'autre disciple
     pour se rendre au tombeau.
4   Ils couraient tous les deux ensemble,
     mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre
     et arriva le premier au tombeau.
5   En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
     cependant il n'entre pas.
6   Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
     Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges posés à plat,
7   ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
     non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.          
8   C'est alors qu'entra l'autre disciple,
     lui qui était arrivé le premier au tombeau.
     Il vit, et il crut.      
9   Jusque-là, en effet, les disciples n'avaient pas compris
     que, selon l'Écriture,
     il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

                          Jean note qu’il faisait encore sombre : la lumière de la Résurrection a troué la nuit ; on pense évidemment au Prologue du même évangile de Jean : « La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie » au double sens du mot « saisir », qui signifie à la fois « comprendre » et « arrêter » ; les ténèbres n’ont pas compris la lumière, parce que, comme dit Jésus également chez saint Jean « le monde est incapable d’accueillir l’Esprit de vérité » (Jn 14,17) ; ou encore : « la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière » (Jn 3,19) ; mais, malgré tout, les ténèbres ne pourront pas l’arrêter, au sens de l’empêcher de briller ; c’est toujours saint Jean qui nous rapporte la phrase qui dit la victoire du Christ : « Soyez pleins d’assurance, j’ai vaincu le monde ! » (Jn 16,33).

                          Donc, « alors qu’il fait encore sombre », Marie de Magdala voit que la pierre a été enlevée du tombeau ; elle court trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, (on suppose qu’il s’agit de Jean lui-même) et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis. » Évidemment, les deux disciples se précipitent ; vous avez remarqué la déférence de Jean à l’égard de Pierre ; Jean court plus vite, il est plus jeune, probablement, mais il laisse Pierre entrer le premier dans le tombeau.

                          « Pierre entre dans le tombeau, et il regarde le linceul resté là, et le linge qui avait recouvert la tête, non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place. » Leur découverte se résume à cela : le tombeau vide et les linges restés sur place ; mais quand Jean entre à son tour, le texte dit : « C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. » Pour saint Jean, ces linges sont des pièces à conviction : ils prouvent la Résurrection ; au moment même de l’exécution du Christ, et encore bien longtemps après, les adversaires des Chrétiens ont répandu le bruit que les disciples de Jésus avaient tout simplement subtilisé son corps. Saint Jean répond : « Si on avait pris le corps, on aurait pris les linges aussi ! Et s’il était encore mort, s’il s’agissait d’un cadavre, on n’aurait évidemment pas enlevé les linges qui le recouvraient. »

                          Ces linges sont la preuve que Jésus est désormais libéré de la mort : ces deux linges qui l’enserraient symbolisaient  la passivité de la mort.  Devant ces deux linges abandonnés, désormais inutiles, Jean vit et il crut ; il a tout de suite compris. Quand Lazare avait été ramené à la vie par Jésus, quelques jours auparavant, il était sorti lié ; son corps était encore prisonnier des chaînes du monde : il n’était pas un corps ressuscité ; Jésus, lui, sort délié : pleinement  libéré ; son corps ressuscité ne connaît plus d’entrave.

                          La dernière phrase est un peu étonnante : « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas vu que, d’après l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. »

                          Jean a déjà noté à plusieurs reprises dans son évangile qu’il a fallu attendre la Résurrection pour que les disciples comprennent le mystère du Christ, ses paroles et son comportement. Au moment de la Purification du Temple, lorsque Jésus avait fait un véritable scandale en chassant les vendeurs d’animaux et les changeurs, l’évangile de Jean dit : « Lorsque Jésus se leva d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait parlé ainsi, et ils crurent à l’Écriture ainsi qu’à la parole qu’il avait dite. » (Jn 2,22). Même chose lors de son entrée triomphale à Jérusalem, Jean note : « Au premier moment, ses disciples ne comprirent pas ce qui arrivait, mais lorsque Jésus eut été glorifié, ils se souvinrent que cela avait été écrit à son sujet. » (Jn 12,16).

                          Mais soyons francs : vous ne trouverez nulle part dans toute l’Écriture une phrase pour dire que le Messie ressuscitera. Au bord du tombeau vide, Pierre et Jean ne viennent donc pas d’avoir une illumination comme si une phrase précise, mais oubliée, de l’Écriture revenait tout d’un coup à leur mémoire ; mais, tout d’un coup, c’est l’ensemble du plan de Dieu qui leur est apparu ; comme dit saint Luc à propos des disciples d’Emmaüs, leurs esprits se sont ouverts à « l’intelligence des Écritures ».

                          « Il vit et il crut. Jusque là, les disciples n’avaient pas vu que, selon l'Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts… » C’est parce que Jean a cru que l’Écriture s’est éclairée pour lui : jusqu’ici combien de choses de l’Écriture lui étaient demeurées obscures ; mais parce que, tout d’un coup, il donne sa foi, sans hésiter, alors tout devient clair : il relit l’Écriture autrement et elle lui devient lumineuse. L’expression « il fallait » dit cette évidence. Comme disait saint Anselme, il ne faut pas comprendre pour croire, il faut croire pour comprendre.

                          À notre tour, nous n’aurons jamais d’autre preuve de la Résurrection du Christ que ce tombeau vide... Dans les jours qui suivent, il y a eu les apparitions du Ressuscité. Mais aucune de ces preuves n’est vraiment contraignante... Notre foi devra toujours se donner sans autre preuve que le témoignage des communautés chrétiennes qui l’ont maintenue jusqu’à nous. Mais si nous n’avons pas de preuves, nous pouvons vérifier les effets de la Résurrection : la transformation profonde des êtres et des communautés qui se laissent habiter par l’Esprit, comme dit Paul, est la plus belle preuve que Jésus est bien vivant !

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Compléments

 - Jusqu’à cette expérience du tombeau vide, les disciples ne s’attendaient pas à la Résurrection de Jésus. Ils l’avaient vu mort, tout était donc fini... et, pourtant, ils ont quand même trouvé la force de courir jusqu’au tombeau... À nous désormais de trouver la force de lire dans nos vies et dans la vie du monde tous les signes de la Résurrection. L’Esprit nous a été donné pour cela. Désormais, chaque « premier jour de la semaine », nous courons, avec nos frères, à la rencontre mystérieuse du Ressuscité.                 

- C'est Marie-Madeleine qui a assisté la première à l'aube de l'humanité nouvelle ! Marie de Magdala, celle qui avait été délivrée de sept démons... elle est l'image de l'humanité tout entière qui découvre son Sauveur. Mais, visiblement, elle n'a pas compris tout de suite ce qui se passait : là aussi, elle est bien l'image de l'humanité !

Et, bien qu'elle n'ait pas tout compris, elle est quand même partie annoncer la nouvelle aux apôtres et c'est parce qu'elle a osé le faire, que Pierre et Jean ont couru vers le tombeau et que leurs yeux se sont ouverts. À notre tour, n'attendons pas d'avoir tout compris pour oser inviter le monde à la rencontre du Christ ressuscité.

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, dimanche de Pâques (21 avril 2019)

Partager cet article

Repost0
9 avril 2019 2 09 /04 /avril /2019 09:57

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 13 avril 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

PREMIÈRE LECTURE - Livre du prophète Isaïe 50, 4-7

 

4 Le Seigneur mon Dieu m’a donné le langage des disciples,
pour que je puisse, d’une parole,
soutenir celui qui est épuisé.
Chaque matin, il éveille,
il éveille mon oreille
pour qu’en disciple, j’écoute.
5 Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille,
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
6 J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
7 Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ;
c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre :
je sais que je ne serai pas confondu.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ISRAËL, SERVITEUR DE DIEU

Depuis des années, nous avons lu et relu ces textes étonnants qui font partie du livre d’Isaïe et qu’on appelle les « Chants du Serviteur » ; ils nous intéressent tout particulièrement, nous Chrétiens, pour deux raisons : d’abord par le message qu’Isaïe lui-même voulait donner par là à ses contemporains ; ensuite, parce que les premiers Chrétiens les ont appliqués à Jésus-Christ.
Je commence par le message du prophète Isaïe à ses contemporains : une chose est sûre, Isaïe ne pensait évidemment pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av. J.-C., pendant l’Exil à Babylone. Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.
Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe ; « Écouter » la Parole, « se laisser instruire » par elle, cela veut dire vivre dans la confiance. « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »... « La Parole me réveille chaque matin »... « J’écoute comme celui qui se laisse instruire »... « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille ».
« Écouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; on a pris l’habitude d’opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne... ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu... et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances. Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Écoute, Israël » ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu...? » Et, dans leur bouche, la recommandation « Écoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et saint Paul dira pourquoi : parce que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (c’est-à-dire qui lui font confiance). » (Rm 8, 28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.
C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « Pour que je puisse soutenir celui qui est épuisé », dit le Serviteur. En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire. Il « donne » le langage nécessaire : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples »... Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu.


TENIR BON DANS L’ÉPREUVE
Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé... » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.
Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour... d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter : « Chaque matin, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j'écoute. » Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu ma face dure comme pierre »1 : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit parfois « avoir le visage défait », eh bien ici le Serviteur affirme « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force : « Le SEIGNEUR mon Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages. »
Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Écoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.
-----------------------------
Luc a repris exactement cette expression en parlant de Jésus : il dit « Jésus durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem » (Luc 9, 51) ; notre traduction liturgique dit « Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem ».
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME - 21 (22), 2, 8-9, 17-20, 22b-24

 

2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?
8 Tous ceux qui me voient me bafouent,
ils ricanent et hochent la tête :
9 « Il comptait sur le SEIGNEUR : qu’il le délivre !
Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »
17 Oui, des chiens me cernent,
une bande de vauriens m'entoure ;
ils me percent les mains et les pieds,
18 je peux compter tous mes os.
19 Ils partagent entre eux mes habits
et tirent au sort mon vêtement.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne sois pas loin :
ô ma force, viens vite à mon aide !
22 Tu m'as répondu !
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
24 Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DU CRI DE DÉTRESSE À L’ACTION DE GRÂCE
Ce psaume 21/22 nous réserve quelques surprises : il commence par cette fameuse phrase « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui a fait couler beaucoup d’encre et même de notes de musique ! L’ennui, c’est que nous la sortons de son contexte, et que du coup, nous sommes souvent tentés de la comprendre de travers : pour la comprendre, il faut relire ce psaume en entier. Il est assez long, trente-deux versets dont nous lisons rarement la fin : or que dit-elle ? C’est une action de grâce : « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. » Celui qui criait « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » dans le premier verset, rend grâce quelques versets plus bas pour le salut accordé. Non seulement, il n’est pas mort, mais il remercie Dieu justement de ne pas l’avoir abandonné. Ensuite, à première vue, on croirait vraiment que le psaume 21/22 a été écrit pour Jésus-Christ : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os ». Il s’agit bien du supplice d’un crucifié ; et cela sous les yeux cruels et peut-être même voyeurs des bourreaux et de la foule : « Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure »… « Ces gens me voient, ils me regardent. Ils partagent entre eux mes habits, et tirent au sort mon vêtement ».
Mais, en réalité, ce psaume n’a pas été écrit pour Jésus-Christ : il a été composé au retour de l’Exil à Babylone : ce retour est comparé à la libération d’un condamné à mort ; car l’Exil était bien la condamnation à mort de ce peuple ; encore un peu, et il aurait été rayé de la carte ! Et donc, dans ce psaume 21/22, Israël est comparé à un condamné qui a bien failli mourir sur la croix (n’oublions pas que la croix était un supplice très courant, depuis la période de la domination perse, c’est pour cela qu’on prend l’exemple d’une crucifixion) : le condamné a subi les outrages, l’humiliation, les clous, l’abandon aux mains des bourreaux... et puis, miraculeusement, il en a réchappé, il n’est pas mort. Traduisez : Israël est rentré d’Exil. Et, désormais, il se laisse aller à sa joie et il la dit à tous, il la crie encore plus fort qu’il n’a crié sa détresse. Le récit de la crucifixion n’est donc pas au centre du psaume, il est là pour mettre en valeur l’action de grâce de celui (Israël) qui vient d’échapper à l’horreur.
Du sein de sa détresse, Israël n’a jamais cessé d’appeler au secours et il n’a pas douté un seul instant que Dieu l’écoutait. Son grand cri que nous connaissons bien : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est bien un cri de détresse devant le silence de Dieu, mais ce n’est ni un cri de désespoir, ni encore moins un cri de doute. Bien au contraire ! C’est la prière de quelqu’un qui souffre, qui ose crier sa souffrance. Au passage, nous voilà éclairés sur notre propre prière quand nous sommes dans la souffrance quelle qu’elle soit : nous avons le droit de crier, la Bible nous y invite. Ce psaume est donc en fait le chant du retour de l’Exil : Israël rend grâce. Il se souvient de la douleur passée, de l’angoisse, du silence apparent de Dieu ; il se sentait abandonné aux mains de ses ennemis ... Mais il continuait à prier, la prière à elle toute seule prouve bien qu’on n’a pas complètement perdu espoir, sinon on ne prierait même plus ! Israël continuait à se rappeler l’Alliance, et tous les bienfaits de Dieu.
 

LE PSAUME 21 COMME UN EX-VOTO
Au fond, ce psaume est l’équivalent de nos ex-voto : au milieu d’un grand danger, on a prié et on a fait un vœu ; du genre « si j’en réchappe, j’offrirai un ex-voto à tel ou tel saint » ; (le mot « ex-voto » veut dire justement « à la suite d’un vœu ») ; une fois délivré, on tient sa promesse. Dans certaines églises du Midi de la France, par exemple, les murs sont couverts de tableaux qui représentent les circonstances du danger auquel on a échappé ; ce peut être un incendie, un accident, un naufrage... on voit aussi parfois une jeune femme en train de mourir en couches avec déjà toute une ribambelle d’enfants autour de son lit ; la représentation de ce qui a failli arriver est toujours dramatique ; et on voit les parents et les proches éplorés qui assistent impuissants ; ce sont eux qui ont promis de faire exécuter ce tableau si celui qui était en danger en réchappait. En général, le tableau est divisé en trois parties ; le danger encouru... les proches en prière, et, en haut de la toile, dans un coin du ciel, le saint ou la sainte qui nous a secourus, ou bien la Vierge. Et c’est l’ex-voto tout entier lui-même qui est l’action de grâce dont on a le cœur plein quand enfin tout se termine bien.
Notre psaume 21/22 ressemble exactement à cela : il décrit bien l’horreur de l’Exil, la détresse du peuple d’Israël et de Jérusalem assiégée par Nabuchodonosor, le sentiment d’impuissance devant l’épreuve ; et ici l’épreuve, c’est la haine des hommes ; il dit la prière de supplication : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qu’on peut traduire « Pourquoi, en vue de quoi, m’as-tu abandonné à la haine de mes ennemis ? » Et Dieu sait si le peuple d’Israël a affronté de nombreuses fois la haine des hommes. Mais ce psaume dit encore plus, tout comme nos ex-voto, l’action de grâce de celui qui reconnaît devoir à Dieu seul son salut. « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères... Je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR ! » Et les derniers versets du psaume ne sont qu’un cri de reconnaissance ; malheureusement, nous ne les chanterons pas pendant la messe de ce dimanche des Rameaux ... (peut-être parce que nous sommes censés les connaître par cœur ?) : « Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ; ils loueront le SEIGNEUR, ceux qui le cherchent. À vous toujours, la vie et la joie ! La terre se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR, chaque famille de nations se prosternera devant lui... Moi, je vis pour lui, ma descendance le servira. On annoncera le Seigneur aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre ! » -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DEUXIÈME LECTURE - lettre de saint Paul aux Philippiens 2, 6-11

 

6 Le Christ Jésus,
ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.
7 Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
8 Reconnu homme à son aspect,
il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
et la mort de la croix.
9 C’est pourquoi Dieu l’a exalté :
il l’a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu’au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,
11 et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JÉSUS, SERVITEUR DE DIEU
Pendant l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe, de la part de Dieu bien sûr, avait assigné une mission et un titre à ses contemporains ; le titre était celui de Serviteur de Dieu. Il s’agissait, au cœur même des épreuves de l’Exil, de rester fidèles à la foi de leurs pères et d’en témoigner au milieu des païens de Babylone, fut-ce au prix des humiliations et de la persécution. Dieu seul pouvait leur donner la force d’accomplir cette mission.
Lorsque les premiers chrétiens ont été affrontés au scandale de la croix, ils ont médité le mystère du destin de Jésus, et n’ont pas trouvé de meilleure explication que celle-là : « Jésus s’est anéanti, prenant la condition de serviteur ». Lui aussi a bravé l’opposition, les humiliations, la persécution. Lui aussi a cherché sa force auprès de son Père parce qu’il n’a jamais cessé de lui faire confiance.
Mais il était Dieu, me direz-vous. Pourquoi n’a-t-il pas recherché la gloire et les honneurs qui reviennent à Dieu ? Mais, justement, parce qu’il est Dieu, il veut sauver les hommes. Il agit donc en homme et seulement en homme pour montrer le chemin aux hommes. Paul dit : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » C’est justement parce qu’il est de condition divine, qu’il ne revendique rien. Il sait, lui, ce qu’est l’amour gratuit... il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu... Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau. Et c’est effectivement cela qui lui a été donné en définitive.
J’ai bien dit comme un cadeau et non pas comme une récompense. Car il me semble que l’un des pièges de ce texte est la tentation que nous avons de le lire en termes de récompense ; comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Si j’ose parler de tentation, c’est que toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, ce que j’appelle des termes arithmétiques est contraire à la « grâce » de Dieu... La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Et, curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; nous sommes toujours tentés de parler de mérites ; mais si Dieu attendait que nous ayons des mérites, c’est là que nous pourrions être inquiets... La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont découvert grâce à la Révélation. On s’expose à des contresens si on oublie que tout est don gratuit de Dieu.


LE PROJET DE DIEU EST GRATUIT
Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Essayons de résumer la pensée de Paul : le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est de nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait. Ce projet est absolument gratuit, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire. Avec Dieu, tout est cadeau. Mais nous nous excluons nous-mêmes de ce don gratuit si nous adoptons une attitude de revendication ; si nous nous conduisons à l’image de la femme du jardin d’Éden : elle prend le fruit défendu, elle s’en empare, comme un enfant « chipe » sur un étalage... Jésus-Christ, au contraire, n’a été que accueil (ce que saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été que accueil du don de Dieu et non revendication, il a été comblé. Et il nous montre le chemin, nous n’avons qu’à suivre, c’est-à-dire l’imiter. Il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : c’est bien le Nom de Dieu justement ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »... C’est une allusion à une phrase du prophète Isaïe : « Devant moi tout genou fléchira et toute langue prêtera serment, dit Dieu » (Is 45, 23). Jésus a vécu sa vie d’homme dans l’humilité et la confiance, même quand le pire est arrivé, c’est-à-dire la haine des hommes et la mort. J’ai dit « confiance » ; Paul, lui, parle « d’obéissance ». « Obéir », « ob-audire » en latin, c’est littéralement « mettre son oreille (audire) « devant » (ob) la parole : c’est l’attitude du dialogue parfait, sans ombre ; c’est la totale confiance ; si on met son oreille devant la parole, c’est parce qu’on sait que cette parole n’est qu’amour, on peut l’écouter sans crainte.
L’hymne se termine par « toute langue proclame Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père » : la gloire, c’est la manifestation, la révélation de l’amour infini ; autrement dit, en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, et accepter de mourir pour nous révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »... puisque Dieu, c’est l’amour.
----------------------------
Note
* C’est bien la même question dans l’épisode des Tentations (dans les évangiles de Matthieu et de Luc) : le diviseur (c’est le sens du mot diable/diabolos en grec) ne lui propose que des choses qui font partie du plan de Dieu ! Mais lui refuse de s’en emparer. Il compte sur son Père pour les lui donner. Le Tentateur lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, tu peux tout te permettre, ton Père ne peut rien te refuser : transforme les pierres en pains quand tu as faim... jette-toi en bas de la montagne, il te protègera... adore-moi, je te ferai régner sur le monde entier... » Mais Jésus attend tout de Dieu seul.
Complément
Nous connaissons bien ce texte : on l’appelle souvent « l’hymne de l’épître aux Philippiens » : parce qu’on a l’impression que Paul ne l’a pas écrite lui-même, mais qu’il a cité une hymne que l’on chantait habituellement dans la liturgie.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE - La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Luc 22, 14-23, 56

 

L Quand l’heure fut venue, Jésus prit place à table, et les Apôtres avec lui. Il leur dit : J « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu. » L Alors, ayant reçu une coupe et rendu grâce, il dit : J « Prenez ceci et partagez entre vous. Car je vous le déclare : désormais, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. »
L Puis, ayant pris du pain et rendu grâce, il le rompit et le leur donna, en disant : J « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » L Et pour la coupe, après le repas, il fit de même, en disant J : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang répandu pour vous. Et cependant, voici que la main de celui qui me livre est à côté de moi sur la table. En effet, le Fils de l’homme s’en va selon ce qui a été fixé. Mais malheureux cet homme-là par qui il est livré ! » (R/)
L Les Apôtres commencèrent à se demander les uns aux autres quel pourrait bien être, parmi eux, celui qui allait faire cela. Ils en arrivèrent à se quereller : lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ? Mais il leur dit : J « Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert. Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. Vous, vous avez tenu bon avec moi dans mes épreuves. Et moi, je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi. Ainsi vous mangerez et boirez à ma table dans mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël.
« Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » L Pierre lui dit : D « Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller en prison et à la mort. » L Jésus reprit : J « Je te le déclare, Pierre : le coq ne chantera pas aujourd’hui avant que toi, par trois fois, tu aies nié me connaître. »
L Puis il leur dit : J « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous donc manqué de quelque chose ? » L Ils lui répondirent : D « Non, de rien. » L Jésus leur dit : J « Eh bien maintenant, celui qui a une bourse, qu’il la prenne, de même celui qui a un sac ; et celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau pour en acheter une. Car, je vous le déclare : il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : Il a été compté avec les impies. De fait, ce qui me concerne va trouver son accomplissement. » L Ils lui dirent : D « Seigneur, voici deux épées. » L Il leur répondit : J « Cela suffit. »
L Jésus sortit pour se rendre, selon son habitude, au mont des Oliviers, et ses disciples le suivirent. Arrivé en ce lieu, il leur dit : J « Priez, pour ne pas entrer en tentation. » L Puis il s’écarta à la distance d’un jet de pierre environ. S’étant mis à genoux, il priait en disant : J « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » L Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait. Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre. (R/)

Puis Jésus se releva de sa prière et rejoignit ses disciples qu’il trouva endormis, accablés de tristesse. Il leur dit : J « Pourquoi dormez-vous ? Relevez-vous et priez, pour ne pas entrer en tentation. » Il parlait encore, quand parut une foule de gens. Celui qui s’appelait Judas, l’un des Douze, marchait à leur tête. Il s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser. Jésus lui dit J : « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ? » L Voyant ce qui allait se passer, ceux qui entouraient Jésus lui dirent : D « Seigneur, et si nous frappions avec l’épée ? » L L’un d’eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille droite. Mais Jésus dit : J « Restez-en là ! » L Et, touchant l’oreille de l’homme, il le guérit. Jésus dit alors à ceux qui étaient venus l’arrêter, grands prêtres, chefs des gardes du Temple et anciens : J « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus avec des épées et des bâtons ? Chaque jour, j’étais avec vous dans le Temple, et vous n’avez pas porté la main sur moi. Mais c’est maintenant votre heure et le pouvoir des ténèbres. »
L S’étant saisis de Jésus, ils l’emmenèrent et le firent entrer dans la résidence du grand prêtre. Pierre suivait à distance. On avait allumé un feu au milieu de la cour, et tous étaient assis là. Pierre vint s’asseoir au milieu d’eux. Une jeune servante le vit assis près du feu ; elle le dévisagea et dit : A « Celui-là aussi était avec lui. » L Mais il nia : D « Non, je ne le connais pas. » L Peu après, un autre dit en le voyant : F « Toi aussi, tu es l’un d’entre eux. » L Pierre répondit : D « Non, je ne le suis pas. » L Environ une heure plus tard, un autre insistait avec force : F « C’est tout à fait sûr ! Celui-là était avec lui, et d’ailleurs il est galiléen. » L Pierre répondit : D « Je ne sais pas ce que tu veux dire. » L Et à l’instant même, comme il parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre. Alors Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. » Il sortit et, dehors, pleura amèrement. (R/)
Les hommes qui gardaient Jésus se moquaient de lui et le rouaient de coups. Ils lui avaient voilé le visage, et ils l’interrogeaient : « Fais le prophète ! Qui est-ce qui t’a frappé ? » L Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres blasphèmes.
Lorsqu’il fit jour, se réunit le collège des anciens du peuple, grands prêtres et scribes, et on emmena Jésus devant leur conseil suprême. Ils lui dirent : F « Si tu es le Christ, dis-le nous. » L Il leur répondit : J « Si je vous le dis, vous ne me croirez pas ; et si j’interroge, vous ne répondrez pas. Mais désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu. » L Tous lui dirent alors : F « Tu es donc le Fils de Dieu ? » L Il leur répondit : J « Vous dites vous-mêmes que je le suis. » L Ils dirent alors : F « Pourquoi nous faut-il encore un témoignage ? Nous-mêmes, nous l’avons entendu de sa bouche. »

Début de la lecture brève : ----------------------------------------------------------------------------
(En ce temps-là,) L L’assemblée tout entière se leva, et on l’emmena chez Pilate. On se mit alors à l’accuser : F « Nous avons trouvé cet homme en train de semer le trouble dans notre nation : il empêche de payer l’impôt à l’empereur, et il dit qu’il est le Christ, le Roi. » L Pilate l’interrogea : A « Es-tu le roi des Juifs ? » L Jésus répondit : J « C’est toi-même qui le dis. » L Pilate s’adressa aux grands prêtres et aux foules : A « Je ne trouve chez cet homme aucun motif de condamnation. » L Mais ils insistaient avec force : F « Il soulève le peuple en enseignant dans toute la Judée ; après avoir commencé en Galilée, il est venu jusqu’ici. » L À ces mots, Pilate demanda si l’homme était galiléen. Apprenant qu’il relevait de l’autorité d’Hérode, il le renvoya devant ce dernier, qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là.
À la vue de Jésus, Hérode éprouva une joie extrême : en effet, depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire un miracle. Il lui posa bon nombre de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. Les grands prêtres et les scribes étaient là, et ils l’accusaient avec véhémence. Hérode, ainsi que ses soldats, le traita avec mépris et se moqua de lui : il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate. Ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent des amis, alors qu’auparavant il y avait de l’hostilité entre eux.

Alors Pilate convoqua les grands prêtres, les chefs et le peuple. Il leur dit : A « Vous m’avez amené cet homme en l’accusant d’introduire la subversion dans le peuple. Or, j’ai moi-même instruit l’affaire devant vous et, parmi les faits dont vous l’accusez, je n’ai trouvé chez cet homme aucun motif de condamnation. D’ailleurs, Hérode non plus, puisqu’il nous l’a renvoyé. En somme, cet homme n’a rien fait qui mérite la mort. Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. » L Ils se mirent à crier tous ensemble : F « Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas. » L Ce Barabbas avait été jeté en prison pour une émeute survenue dans la ville, et pour meurtre. Pilate, dans son désir de relâcher Jésus, leur adressa de nouveau la parole. Mais ils vociféraient : F « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » L Pour la troisième fois, il leur dit : A « Quel mal a donc fait cet homme ? Je n’ai trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort. Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. » L Mais ils insistaient à grands cris, réclamant qu’il soit crucifié ; et leurs cris s’amplifiaient. Alors Pilate décida de satisfaire leur requête. Il relâcha celui qu’ils réclamaient, le prisonnier condamné pour émeute et pour meurtre, et il livra Jésus à leur bon plaisir. (R/)

Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix pour qu’il la porte derrière Jésus. Le peuple, en grande foule, le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus. Il se retourna et leur dit : J « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : “Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité !” Alors on dira aux montagnes : “Tombez sur nous”, et aux collines : “Cachez-nous.” Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? »L Ils emmenaient aussi avec Jésus deux autres, des malfaiteurs, pour les exécuter. Lorsqu’ils furent arrivés au lieu dit : Le Crâne (ou Calvaire), là ils crucifièrent Jésus, avec les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. Jésus disait : J « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » L Puis, ils partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort.

Le peuple restait là à observer. Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient : F « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! » L Les soldats aussi se moquaient de lui ; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée, en disant : F « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » L Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs. »
L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait : A « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » L Mais l’autre lui fit de vifs reproches : A « Tu ne crains donc pas Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. » L Et il disait : A « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » L Jésus lui déclara : J « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » L C’était déjà environ la sixième heure (c’est-à-dire : midi) ; l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure, car le soleil s’était caché. Le rideau du Sanctuaire se déchira par le milieu. Alors, Jésus poussa un grand cri : J « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » L Et après avoir dit cela, il expira.
(Ici on fléchit le genou et on s’arrête un instant.)

À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendit gloire à Dieu : A « Celui-ci était réellement un homme juste. » L Et toute la foule des gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, observant ce qui se passait, s’en retournaient en se frappant la poitrine. Tous ses amis, ainsi que les femmes qui le suivaient depuis la Galilée, se tenaient plus loin pour regarder.

Fin de la lecture brève----------------------------------------------------------------------------

Alors arriva un membre du Conseil, nommé Joseph ; c’était un homme bon et juste, qui n’avait donné son accord ni à leur délibération, ni à leurs actes. Il était d’Arimathie, ville de Judée, et il attendait le règne de Dieu. Il alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Puis il le descendit de la croix, l’enveloppa dans un linceul et le mit dans un tombeau taillé dans le roc, où personne encore n’avait été déposé. C’était le jour de la Préparation de la fête, et déjà brillaient les lumières du sabbat. Les femmes qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée suivirent Joseph. Elles regardèrent le tombeau pour voir comment le corps avait été placé. Puis elles s’en retournèrent et préparèrent aromates et parfums. Et, durant le sabbat, elles observèrent le repos prescrit.

 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Chaque année, pour le dimanche des Rameaux, nous lisons le récit de la Passion dans l’un des trois évangiles synoptiques ; cette année, c’est donc dans l’évangile de Luc. En fait, dans les quelques minutes de cette émission, je ne peux pas lire en entier le récit de la Passion, mais je vous propose de nous arrêter aux épisodes qui sont propres à Luc ; bien sûr, dans les grandes lignes, les quatre récits de la Passion sont très semblables ; mais si on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que chacun des évangélistes a ses accents propres. Ce n’est pas étonnant : on sait bien que plusieurs témoins d’un même événement racontent les faits chacun à leur manière ; eh bien, les évangélistes rapportent l’événement de la passion du Christ de quatre manières différentes : ils ne retiennent pas les mêmes épisodes ni les mêmes phrases ; voici donc quelques épisodes et quelques phrases que Luc est seul à rapporter.

Pour commencer, vous vous rappelez qu’après le dernier repas, avant même de partir pour le jardin des Oliviers, Jésus avait annoncé à Pierre son triple reniement ; cela les quatre évangiles le racontent ; mais Luc est le seul à rapporter une phrase de Jésus à ce moment- là : « Simon, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (22, 32). Ce qui est, je pense, une suprême délicatesse de Jésus, qui aidera Pierre à se relever au lieu de sombrer dans le désespoir après sa trahison.

Et Luc est le seul également à noter le regard que Jésus a posé sur Pierre après son reniement : trois fois de suite, dans la maison du grand prêtre, Pierre a affirmé ne rien connaître de Jésus de Nazareth ; aussitôt, Luc note : « Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre. » Dans le texte d’Isaïe que nous lisons ce dimanche en première lecture, celui que le prophète Isaïe appelait le Serviteur de Dieu disait : « Le Seigneur m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus. » C’est bien ce que Jésus a soin de faire avec son disciple : réconforter à l’avance celui qui l’aura renié et risquera bien de se décourager.

Autre épisode propre à l’évangile de Luc dans la Passion de Jésus, la comparution devant Hérode Antipas ; vous vous rappelez que c’est Hérode le Grand qui régnait (sous l’autorité de Rome, évidemment) sur l’ensemble du territoire au moment de la naissance de Jésus ; lorsque Hérode le Grand est mort (en - 4), le territoire a été divisé en plusieurs provinces ; et au moment de la mort de Jésus (en 30 de notre ère), la Judée, c’est-à-dire la province de Jérusalem, était gouvernée par un procurateur romain, tandis que la Galilée était sous l’autorité d’un roi reconnu par Rome, qui était un fils d’Hérode le Grand, on l’appelait Hérode Antipas.

Je vous lis ce récit : « Apprenant que Jésus relevait de l’autorité d’Hérode, Pilate le renvoya à ce dernier qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là. À la vue de Jésus, Hérode éprouva une grande joie : depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire un miracle. Il lui posa beaucoup de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. Les chefs des prêtres et les scribes étaient là et l’accusaient avec violence. Hérode, ainsi que ses gardes, le traita avec mépris : il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate. Ce jour là, Hérode et Pilate devinrent amis, alors qu’auparavant ils étaient ennemis. »

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur trois phrases qui sont propres à Luc dans le récit de la Passion ; deux sont des paroles de Jésus et si Luc les a notées, c’est parce qu’elles révèlent bien ce qui est important à ses yeux : d’abord cette prière extraordinaire de Jésus : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! » C’est au moment précis où les soldats romains viennent de crucifier Jésus : « ils ne savent pas ce qu’ils font ! » Que font-ils ? Ils ont expulsé au-dehors de la Ville sainte celui qui est le Saint par excellence. Ils ont expulsé leur Dieu ! Ils mettent à mort le Maître de la Vie. Au nom de Dieu, le Sanhédrin, c’est-à-dire le tribunal de Jérusalem, a condamné Dieu. Que fait Jésus ? Sa seule parole est de pardon ! C’est bien dans le Christ pardonnant à ses frères ennemis que nous découvrons jusqu’où va l’amour de Dieu. (« Qui m’a vu a vu le Père » avait dit Jésus, la veille.)

Deuxième phrase : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » Je resitue le passage : tout le monde agresse Jésus ; trois fois retentit la même interpellation à Jésus crucifié : « Si tu es... » ; « Si tu es le Messie », ricanent les chefs... « Si tu es le roi des Juifs », se moquent les soldats romains ... « Si tu es le Messie », injurie l’un des deux malfaiteurs crucifiés en même temps que lui.

Et c’est là qu’intervient celui que nous appelons « le bon larron », qui n’était pourtant pas un « enfant de chœur » comme on dit ! Alors en quoi est-il admirable ? En quoi est-il un exemple ? Il commence par dire la vérité : « Pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. »

Puis il s’adresse humblement à Jésus : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » Il reconnaît Jésus comme le Sauveur, il l’appelle au secours... prière d’humilité et de confiance... Il lui dit « Souviens-toi », ce sont les mots habituels de la prière que l’on adresse à Dieu : à travers Jésus, c’est donc au Père qu’il s’adresse : « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton Royaume » ; on a envie de dire « Il a tout compris ».

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur une phrase que Luc, là encore, est seul à dire : « Déjà brillaient les lumières du sabbat » (23, 54). Luc termine le récit de la passion et de la mort du Christ par une évocation insistante du sabbat ; il précise que les femmes qui accompagnaient Jésus depuis la Galilée sont allées regarder le tombeau pour voir comment le corps de Jésus avait été placé, elles ont préparé d’avance aromates et parfums, puis elles ont observé le repos du sabbat. Le récit de ces heures terribles s’achève donc sur une note de lumière et de paix ; n’est-ce pas curieux ?

Pour les Juifs, et, visiblement Luc était bien informé, le sabbat était la préfiguration du monde à venir : un jour où l’on baignait dans la grâce de Dieu ; le jour où Dieu s’était reposé de toute l’œuvre de création qu’il avait faite, comme dit le livre de la Genèse ; le jour où, par fidélité à l’Alliance, on scrutait les Écritures dans l’attente de la nouvelle création.

« Déjà brillaient les lumières du sabbat » : combien Luc a-t-il raison d’insister ! Dans la passion et la mort de Jésus de Nazareth, l’humanité nouvelle est née : le règne de la grâce a commencé. Désormais, nos crucifix nous montrent le chemin à suivre : celui de l’amour des autres, quoi qu’il en coûte, celui du pardon.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, dimanche des Rameaux et de la Passion (14 avril 2019)

Partager cet article

Repost0
31 mars 2019 7 31 /03 /mars /2019 22:10

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 6 avril 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE D’ISAÏE 43, 16-21

 

16 Ainsi parle le SEIGNEUR,          
     lui qui fit un chemin dans la mer,
     un sentier dans les eaux puissantes,
17 lui qui mit en campagne des chars et des chevaux,         
     des troupes et de puissants guerriers ;     
     les voilà tous couchés pour ne plus se relever,     
     ils se sont éteints,   consumés comme une mèche.           
     Le Seigneur dit :
18 « Ne faites plus mémoire des événements passés,          
     ne songez plus aux choses d'autrefois.
19 Voici que je fais une chose nouvelle :      
     elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ?   
     Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert,          
     des fleuves dans les lieux arides.
20 Les bêtes sauvages me rendront gloire,   
     - les chacals et les autruches -      
     parce que j'aurai fait couler de l'eau dans le désert,        
     des fleuves dans les lieux arides,
     pour désaltérer mon peuple, celui que j’ai choisi.
21 Ce peuple que je me suis façonné            
     redira ma louange. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Ce texte est surprenant ! À première vue, il comporte deux parties absolument contradictoires : la première partie est un rappel de la sortie d’Égypte, donc du passé ; la seconde, au contraire, recommande de faire table rase du passé… Mais peut-être pas de n’importe quel passé ? Tout est là. Je reprends ces deux parties l’une après l’autre.

         Tout commence par la formule « Ainsi parle le SEIGNEUR », qui annonce toujours des paroles très importantes. Puis vient l’évocation de ce fameux « chemin dans la mer » : « Ainsi parle le SEIGNEUR, lui qui fit un chemin dans la mer, un sentier dans les eaux puissantes ». C’est le miracle mémorable de la Mer des Joncs, lorsque les Hébreux s’enfuyaient d’Égypte. Dans tous les livres de la Bible, une évocation de cet ordre est un rappel de cette fameuse nuit de la libération d’Égypte (rapportée par le livre de l’Exode, au chapitre 14). Isaïe précise encore « (le SEIGNEUR), lui qui mit en campagne des chars et des chevaux, des troupes et de puissants guerriers ; les voilà tous couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, ils se sont consumés comme une mèche. » Ce sont les Égyptiens, bien sûr, lancés à la poursuite des fuyards. Et Dieu a fait échapper son peuple. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si Isaïe a employé le Nom « SEIGNEUR », puisque c’est ce nom-là, précisément, qui qualifie le Dieu du Sinaï, notre libérateur.

         Voilà donc l’œuvre de Dieu dans le passé. C’est le meilleur soutien de l’espérance d’Israël pour l’avenir. Et c’est de cela qu’Isaïe va parler maintenant : « Voici que je fais une chose nouvelle ». De quoi s’agit-il ici ? À qui Isaïe promet-il un monde nouveau ? Ici, nous avons besoin de nous remettre dans le contexte historique de cette prédication. Le deuxième Isaïe, celui que nous lisons aujourd'hui, vit au sixième siècle pendant l'Exil à Babylone (qui a duré de 587 à 538 av. J.-C.).

         Nous avons souvent eu l'occasion de parler de cette période qui fut une terrible épreuve. Et, franchement, on ne voyait pas bien pourquoi l'horizon s'éclaircirait ! S'ils sont déportés à Babylone, c'est parce que Nabuchodonosor, roi de Babylone, a vaincu le tout petit royaume juif dont Jérusalem est la capitale. Et pour l'instant les affaires de Nabuchodonosor marchent encore très bien ! Et puis, à supposer que l'on arrive à s'enfuir un jour... de la Babylonie à Jérusalem, il faudrait traverser le désert de Syrie qui couvre des centaines de kilomètres, et en fuyards, c'est-à-dire dans les pires conditions qui soient.

         Le prophète a donc fort à faire pour redonner le moral à ses contemporains : mais il le fait si bien qu’on appelle son livre « le livre de la Consolation d’Israël » parce que le chapitre 40 commence par cette phrase superbe : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » ; et le seul fait de dire « votre Dieu » est un rappel de l’Alliance, une manière de dire « l’Alliance de Dieu n’est pas rompue, Dieu ne vous a pas abandonnés ». Car l’une des formulations de l’Alliance entre Dieu et son peuple était « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu » ; et chaque fois que l’on entend cette expression « mon Dieu » ou « votre Dieu », ce possessif est un rappel de l’Alliance en même temps qu’une profession de foi.

         Isaïe va donc, de toutes ses forces, raviver l’espoir chez les exilés : Dieu ne les a pas abandonnés, au contraire, il prépare déjà leur retour au pays. On ne le voit pas encore, mais c’est sûr ! Pourquoi est-ce sûr ? Parce que Dieu est fidèle à son Alliance, parce que, depuis qu’il a choisi ce peuple, il n’a cessé de le libérer, de le maintenir en vie à travers toutes les vicissitudes de son histoire.

         Ce sont ces arguments-là qu’Isaïe développe ici : Nabuchodonosor vous fait peur ? Mais Dieu a déjà fait mieux : il vous a délivrés de Pharaon ! Le désert vous fait peur ? Mais le désert du Sinaï, c’était bien pire et Dieu a protégé son peuple tout du long ! Or, vous êtes toujours le peuple de Dieu, son élu. Sous-entendu « ce que Dieu a fait pour vous une fois, il le refera ». Comme il a fait passer son peuple à travers la Mer à pied sec au moment de la sortie d’Égypte, le SEIGNEUR saura faire passer son peuple « à pied sec » à travers toutes les eaux troubles de son histoire.

         L’espérance d’Israël s’appuie toujours sur son passé : c’est le sens du mot « mémorial » ; on fait mémoire de l’œuvre de Dieu depuis toujours, pour découvrir que cette œuvre de Dieu se poursuit pour nous aujourd’hui, et pour y puiser la certitude qu’elle se poursuivra demain. Passé, présent, avenir : Dieu est à jamais présent aux côtés de son peuple. C’est l’un des sens du Nom de Dieu « Je suis » (sous-entendu, « Je suis avec vous en toutes circonstances).

          Je reviens à notre texte : c’est précisément au cours de cette période difficile de l’Exil, au moment où on risquait de s’installer dans la désespérance, que les prophètes ont développé une nouvelle métaphore, celle du germe : « Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » dit Isaïe ici. Dans la Bible, ce n’est pas seulement un terme de botanique : à partir de l’expérience éminemment positive d’une minuscule graine capable de devenir un grand arbre, on voit bien comment le mot « germe » a pu devenir en Israël un symbole d’espérance. Le même prophète avait déjà dit équivalemment la même chose au chapitre précédent (preuve qu’il n’était pas inutile de le répéter) : « Je vous an­non­ce de nou­veaux évé­ne­ments, avant qu’ils ger­ment, je vous les lais­se en­ten­dre. » (Is 42, 2). Il nous reste à apprendre aujourd’hui à déceler les germes du monde nouveau, du Royaume que Dieu est en train de construire.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  125 (126)

 

1   Quand le SEIGNEUR ramena les captifs à Sion,           
     nous étions comme en rêve !
2   Alors notre bouche était pleine de rires,  
     nous poussions des cris de joie.   

     Alors on disait parmi les nations :     
     « Quelles merveilles fait pour eux le SEIGNEUR ! »
3   Quelles merveilles le SEIGNEUR fit pour nous :           
     nous étions en grande fête !   

4   Ramène, SEIGNEUR, nos captifs,         
     comme les torrents au désert.
5   Qui sème dans les larmes 
     moissonne dans la joie.   

6   Il s'en va, il s'en va en pleurant,   
     il jette la semence ;    
     il s'en vient, il s'en vient dans la joie,
     il rapporte les gerbes.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Dans notre première lecture, le prophète Isaïe annonçait le retour au pays du peuple exilé à Babylone... et ce retour a eu lieu ! Très spontanément, on a chanté ce miracle par ce psaume, comme on avait chanté le miracle de la sortie d'Égypte. Vous connaissez l'histoire : en 587, c'est Nabuchodonosor, roi de Babylone, qui avait conquis Jérusalem et déporté la population ; mais le vainqueur est vaincu à son tour. La nouvelle puissance montante dans cette région, c'est le royaume perse : le roi Cyrus vole de victoire en victoire ; dès avant cette conquête, ses succès sont vus d'un très bon œil par les captifs de Babylone parce que Cyrus est précédé d'une très bonne réputation : les troupes de Nabuchodonosor, comme beaucoup d'autres, volaient, pillaient, violaient, massacraient, dévastaient... et les populations étaient systématiquement déplacées, déportées ; c'est un phénomène tristement connu à la surface du globe, depuis que le monde est monde.

         Cyrus, lui, a une tout autre politique : probablement parce qu'il préfère être le maître de peuples riches, il autorise toutes les populations déplacées à rentrer dans leur pays d'origine, et il leur en donne les moyens : très concrètement, cela veut dire qu'il a conquis Babylone en 539, et que, dès 538, il a renvoyé les Juifs à Jérusalem mais aussi qu'il leur en a donné les moyens sous forme de subventions ; il est même allé jusqu'à restituer les biens du Temple pillés par les hommes de Nabuchodonosor.  

         Mais vous avez remarqué : on ne dit pas « Quand le roi de Perse Cyrus laissa les exilés rentrer à Sion », on dit « Quand le SEIGNEUR ramena les captifs à Sion... » : c’est une manière d’affirmer que Dieu reste le maître de l’histoire. Pendant bien longtemps (et c’est encore le cas dans ce texte d’Isaïe), l’Ancien Testament a laissé penser que Dieu tirait toutes les ficelles de l’histoire : manière de dire qu’aucun autre dieu n’agissait sur les événements (il s’agissait alors pour les prophètes de lutter contre l’idolâtrie) ; aujourd’hui, nous pressentons bien, sans savoir l’exprimer de manière satisfaisante, que l’humanité est, partiellement au moins, libre et responsable des événements.

         « Quand le SEIGNEUR ramena les captifs à Sion » : ici, c’est clair, il s’agit de la ville de Jérusalem ; mais, selon les textes, ce n’est pas toujours aussi clair : quand on parle de Sion, cela peut désigner soit la petite colline de départ, celle sur laquelle David a bâti son palais, soit la ville tout entière de Jérusalem (et, en particulier, le Temple), soit toute la Judée, soit même le peuple d’Israël tout entier. Il suffit de se rappeler la phrase d’Isaïe : « Dis à Sion : Tu es mon peuple » (Is 51, 16-17). Et aujourd’hui, si l’on regarde un plan de Jérusalem, c’est une autre colline qui a pris le nom de Sion !

         Je reviens à notre psaume : écrit plus tard, on ne sait pas exactement quand, mais bien longtemps peut-être après le retour de l’Exil, il évoque la joie, l’émotion de la libération et du retour. En Exil, là-bas, on en avait tant de fois rêvé... Et quand cela s’est réalisé, on osait à peine y croire : « Quand le SEIGNEUR ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve !... Quelles merveilles le SEIGNEUR fit pour nous : nous étions en grande fête ! »

         Et on va jusqu’à s’imaginer que les autres peuples sont eux aussi émerveillés par ce miracle ! « Alors on disait parmi les nations : « Quelles merveilles fait pour eux le SEIGNEUR ! »... Soyons francs « les nations », comme on dit, c’est-à-dire les peuples païens, ont peut-être d’autres sujets de préoccupation : en fait, cette affirmation que même les païens s’inclinent devant l’œuvre de Dieu pour son peuple élu est pour Israël un double rappel qui n’a rien à voir avec de la prétention ; il s’agit d’affirmer deux choses : premièrement une infinie reconnaissance pour la gratuité du choix de Dieu ; deuxièmement, on n’oublie jamais que le peuple élu l’est pour le monde : sa vocation est d’être un peuple témoin de l’œuvre de Dieu, justement.

         La gratuité du choix de Dieu, d’abord, est un sujet toujours renouvelé d’étonnement : « Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur la terre, interroge d’un bout à l’autre du monde ; est-il rien arrivé d’aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ?... À toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre que lui. » (Dt 4, 32... 35). Ici, cet émerveillement devant le choix de Dieu est traduit en français par le mot « merveilles » ; lequel fait toujours référence à l’œuvre de libération de Dieu et d’abord à la libération d’Égypte. Les mots « exploit », « œuvre », « hauts faits », « merveilles » sont toujours un rappel de l’Exode, c’est-à-dire la libération d’Égypte. Ici, il s’y ajoute la nouvelle œuvre de libération de Dieu, la fin de l’Exil.

         Cette libération de l’Exil est ressentie par le peuple comme une véritable résurrection : pour l’exprimer, le psalmiste utilise deux images : première image, « les torrents au désert » : « Ramène, SEIGNEUR, nos captifs, comme les torrents au désert. » ; au sud de Jérusalem, le Néguev est un désert ; mais au printemps, des torrents dévalent les pentes et tout-à-coup éclosent des myriades de fleurs. Deuxième image, « la semence » : quand le grain de blé est semé en terre, c’est pour y pourrir, apparemment y mourir... quand viennent les épis, c’est comme une naissance... cette image est d’autant plus valable que le retour des exilés signifie pour la terre elle-même une véritable renaissance.

         Dernière remarque, quand on chante ce psaume, le retour de l’Exil à Babylone est déjà loin dans le temps ; alors, pourquoi en parler encore ? Là-bas, on ne chante jamais le passé pour le seul plaisir de faire de l’histoire : il y a toujours un message pour l’avenir ; car cette libération, ce retour à la vie que l’on peut dater historiquement... devient une raison d’espérer d’autres résurrections, d’autres libérations. Chaque année, pour la fête des Tentes, à l’automne, ce cantique était chanté au cours du pèlerinage, tandis que l’on « montait » à Jérusalem. On chantait la libération déjà accomplie, on priait Dieu de hâter le Jour de la libération définitive, quand viendra Celui qu’on attend, le Messie promis... Car il y a encore aujourd’hui sur la surface de la terre, bien des lieux de captivité de toute sorte, bien des « Égypte », bien des « Babylone »... C’est à eux que l’on pense désormais quand on chante : « Ramène, SEIGNEUR, nos captifs, comme les torrents au désert. »

         Aujourd’hui, quand nous, chrétiens, chantons ce psaume, nous demandons la grâce de savoir seconder de toutes nos forces l’œuvre de libération inaugurée par le Messie : il nous appartient de hâter le jour où c’est enfin l’humanité tout entière qui chantera à pleine voix : « Quelles merveilles le SEIGNEUR fit pour nous : nous étions en grande fête ! »     

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX PHILIPPIENS 3, 8 - 14

 

     Frères,       
     tous les avantages que j'avais autrefois,
8   je les considère maintenant comme une perte     
     à cause de ce bien qui dépasse tout :       
     la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur.  
     À cause de lui, j'ai tout perdu ;    
     je considère tout comme des ordures,     
     afin de gagner un seul avantage, le Christ,
9   et, en lui, d’être reconnu juste      
     non pas de la justice venant de la loi de Moïse               
     mais de celle qui vient de la foi au Christ :         
     la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi.
10 Il s'agit pour moi de connaître le Christ,  
     d'éprouver la puissance de sa résurrection           
     et de communier aux souffrances de sa Passion,            
     en devenant semblable à lui dans sa mort,
11 avec l'espoir de parvenir    à la résurrection d'entre les morts.
12 Certes, je n’ai pas encore obtenu cela      
     je n’ai pas encore atteint la perfection,    
     mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir,            
     puisque j'ai moi-même été saisi par le Christ Jésus.
13 Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela
     Une seule chose compte :
     oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l'avant,
14 je cours vers le but en vue du prix           
     auquel Dieu nous appelle là-haut
     dans le Christ Jésus.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Nous retrouvons ici l’image de la course que saint Paul emploie à plusieurs reprises dans ses lettres. Et, dans la course, c’est le but qui compte ! Le point de départ, il faut se dépêcher de l’oublier ! Imaginez un coureur qui se retournerait sans arrêt, il est assuré de perdre : « Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but pour remporter le prix... » Il faut donc savoir tourner le dos en quelque sorte : et depuis qu’il a été « saisi » par le Christ, comme il dit, Paul a tourné le dos à bien des choses, à bien des certitudes. Le mot « saisi » est très fort dans le langage de Paul : sa vie a été réellement complètement bouleversée depuis le jour où le Christ s’est littéralement emparé de lui sur le chemin de Damas.

         D’habitude, pourtant, Paul présente sa foi chrétienne comme la suite logique de sa foi juive. À ses yeux, Jésus-Christ accomplit vraiment l’attente de l’Ancien Testament et il y a continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testaments : par exemple, au cours de son procès devant le tribunal romain à Césarée, il dira : « Les prophètes et Moïse ont prédit ce qui devait arriver (c’est-à-dire que Jésus est le Messie) et je ne dis rien de plus... » (Ac 26, 22). Mais ici, Paul insiste sur la nouveauté apportée par Jésus-Christ : « Tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère maintenant comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. »

         Cette nouveauté apportée par Jésus-Christ est donc radicale : désormais nous sommes réellement une « création nouvelle » ; cette expression, nous l’avons rencontrée dimanche dernier dans la deuxième lettre aux Corinthiens ; ici, Paul le dit autrement : « À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des balayures, en vue du seul avantage, le Christ, en qui Dieu me reconnaîtra comme juste. » Traduisez : « ce qui, auparavant, me paraissait le plus important, mes avantages, mes privilèges, désormais cela ne compte pas plus pour moi que des balayures ».

         Ces « avantages » dont il parle : c’était la fierté d’appartenir au peuple d’Israël ; c’était la foi, la fidélité, l’espérance indéracinable de ce peuple ; c’était la pratique assidue, scrupuleuse de tous les commandements, ce qu’il appelle « l’obéissance à la loi de Moïse ». Mais, désormais, Jésus-Christ a pris toute la place dans sa vie : « Je considère tout comme des balayures en vue d’un seul avantage, le Christ ». Désormais il possède le bien qui dépasse tout, la seule richesse au monde à ses yeux : la « connaissance » du Christ ; pour parler de cela, Jésus employait des paraboles : il disait par exemple « le Royaume des cieux est comparable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme a découvert : il le cache à nouveau et, dans sa joie, il s’en va, met en vente tout ce qu’il a, et il achète ce champ. » (Mt 13, 44).

         Le vrai trésor de notre existence, nous dit saint Paul, c’est d’avoir découvert le Christ ; et il sait de quoi il parle, lui qui a d’abord été un persécuteur des apôtres ! Sa vie a été complètement bouleversée par cette découverte, par cette « connaissance » du Christ. Une connaissance qui n’est pas d’ordre intellectuel : au sens biblique, connaître quelqu’un, c’est vivre dans son intimité, c’est l’aimer et partager sa vie. C’est bien dans ce sens d’intimité partagée que Paul parle du lien qui l’unit désormais, et avec lui tous les baptisés, à Jésus-Christ.

         Pourquoi insiste-t-il tellement sur ce lien ? Parce que nous sommes dans le contexte d’un conflit très grave qui traversait la communauté des Philippiens à propos de la circoncision ; nous l’avons rencontré déjà il y a quelques semaines, dans la deuxième lecture du deuxième dimanche de Carême  : certains chrétiens d’origine juive auraient voulu qu’on impose la circoncision à tous les chrétiens préalablement au baptême ; c’est à la circoncision qu’il pense quand il parle « d’obéissance à la Loi de Moïse » ; on sait dans quel sens les Apôtres ont tranché cette question qui risquait de diviser les communautés, au cours d’une assemblée à Jérusalem, une sorte de mini-Concile : dans la Nouvelle Alliance, la Loi de Moïse est dépassée ; le baptême au Nom de Jésus fait de nous des fils de Dieu : « Vous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ », dit Paul dans la lettre aux Galates (Ga 3, 27). La circoncision n’est donc plus indispensable pour faire partie du peuple de la Nouvelle Alliance, puisque cette Alliance est définitivement scellée une fois pour toutes en Jésus-Christ : « En Jésus-Christ, Dieu me reconnaîtra comme juste. Cette justice ne vient pas de moi-même, c’est-à-dire de mon obéissance à la Loi de Moïse, mais de la foi au Christ : c’est la justice qui vient de Dieu et qui est fondée sur la foi. » L’une des grandes découvertes de Paul, c’est que notre salut n’est pas au bout de nos mérites, de nos efforts... Le salut de Dieu est gratuit ! C’est le sens même du mot « grâce » si on y réfléchit... Le livre de la Genèse disait déjà : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR, et le SEIGNEUR estima qu’il était juste. » (Gn 15, 6). Pour le dire autrement, notre justice vient uniquement de Dieu, il suffit de croire !

         Mais alors pourquoi parle-t-il de « communier aux souffrances de la Passion du Christ, de reproduire sa mort, avec l’espoir de parvenir à ressusciter d’entre les morts » ? Il ne s’agit évidemment pas d’accumuler des mérites pour faire bonne mesure ! Paul vient de nous dire exactement le contraire ! Ce qu’il veut dire, c’est que cette nouvelle vie que nous menons désormais en Jésus-Christ, comme greffés sur lui (pour reprendre l’image de la vigne chez saint Jean) nous amène à prendre le même chemin que lui. « Communier aux souffrances de la passion du Christ », c’est accepter de reproduire le comportement du Christ, accepter de courir les mêmes risques, qui sont les risques de l’annonce de l’évangile ; Jésus l’avait dit : « Nul n’est prophète en son pays » et il avait bien prévenu ses apôtres qu’ils ne seraient pas mieux traités que leur maître.

         Reste à savoir si nous serions capables  de dire comme saint Paul que le seul bien qui compte à nos yeux, c’est la connaissance du Christ ? Tout le reste n’est que « balayures » !

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément

- Une des idées maîtresses de saint Paul c’est que le Christ est venu accomplir les Écritures : le rapport entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle Alliance est fait à la fois de continuité et de rupture : c’est parce que Paul est Juif qu’il est chrétien, et voilà la continuité... mais désormais, il faut abandonner les pratiques juives pour se laisser « saisir » par le Christ, et voilà la rupture.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 8, 1-11

 

1   Jésus s'était rendu au mont des Oliviers.
2   Dès l’aurore, il retourna au Temple.         
     Comme tout le peuple venait à lui,          
     il s'assit et se mit à enseigner.
3   Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme
     qu’on avait surprise en situation d’adultère.       
     Ils la mettent au milieu,
4   et disent à Jésus :  
     « Maître, cette femme      
     a été surprise en flagrant délit d'adultère.
5   Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là.         
     Et toi, que dis-tu ? »
6   Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve,       
     afin de pouvoir l'accuser.
     Mais Jésus s'était baissé    
     et, du doigt, il écrivait sur la terre.
7   Comme on persistait à l'interroger,          
     il se redressa et leur dit :   
     « Celui d'entre vous qui est sans péché,  
     qu'il soit le premier à lui jeter une pierre. »
8   Il se baissa de nouveau     
     et il écrivait sur la terre.
9   Eux, après avoir entendu cela,     
     s'en allaient, un par un,     
     en commençant par les plus âgés.            
     Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu.
10 Il se redressa et lui demanda :      
     « Femme, où sont-ils donc ?        
     Personne ne t'a condamnée ? »
11 Elle répondit :       
     « Personne, Seigneur. »    
     Et Jésus lui dit :    
     « Moi non plus, je ne te condamne pas.   
     Va, et désormais ne pèche plus. »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Nous sommes déjà dans le contexte de la Passion : la première ligne mentionne le mont des Oliviers, or les évangélistes ne parlent jamais du mont des Oliviers avant les derniers jours de la vie publique de Jésus ; d’autre part, le désir des pharisiens de prendre Jésus au piège signifie que son procès se profile déjà à l’horizon. Raison de plus pour être particulièrement attentifs à tous les détails de ce texte : il s’agit de beaucoup plus qu’une anecdote de la vie de Jésus, il s’agit du sens même de sa mission. Au début de la scène, Jésus est en position d’enseignant (« Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner »), mais voici que par la question des scribes et des pharisiens, il est placé en position de juge : on l’aura remarqué, de tous les protagonistes, il est le seul assis. Le thème du jugement, chez saint Jean, est assez important pour qu’on ne s’étonne pas de cette insistance à ce moment. Cette scène de la femme adultère est la mise en pratique de la phrase qu’on trouve au début du même évangile : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 17).

         Dans ce simulacre de procès, les choses sont apparemment simples : la femme adultère a été prise en flagrant délit, il y a des témoins ; la Loi de Moïse condamnait l’adultère, cela faisait partie des commandements de Dieu révélés au Sinaï (« Tu ne commettras pas d’adultère » Ex 20, 14 ; Dt 5, 18) ; et le Livre du Lévitique prévoyait la peine capitale : « Quand un homme commet l’adultère avec la femme de son prochain, ils seront mis à mort, l’homme adultère aussi bien que la femme adultère. » (Lv 20, 10). Les scribes et les pharisiens qui viennent trouver Jésus sont très attachés au respect de la Loi de Moïse : on ne peut quand même pas le leur reprocher ! Mais ils oublient de dire que la Loi prévoyait la peine capitale pour les deux complices, l’homme aussi bien que la femme adultère ; tout le monde le sait, mais personne n’en parlera, ce qui prouve bien que la vraie question posée par les pharisiens ne porte pas sur l’observance exacte de la Loi ; leur question est ailleurs et le texte le dit très bien : « Dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. »

          Où est le piège tendu à Jésus ? De quoi espérait-on l’accuser ? On se doute bien qu’il n’approuve pas la lapidation, ce serait contredire toute sa prédication sur la miséricorde ; mais s’il ose publiquement plaider pour la libération de la femme adultère, on pourra l’accuser de pousser le peuple à désobéir à la Loi. Dans l’évangile de Jean (au chapitre 5), on l’a déjà vu donner au paralytique guéri l’ordre de porter son grabat, ce qui est un acte interdit le jour du sabbat. Ce jour-là, on n’a rien pu contre lui, mais cette fois l’incitation à la désobéissance va être publique. Au fond, malgré l’apparent respect de l’apostrophe « Maître, qu’en dis-tu ? » Jésus n’est pas en meilleure posture que la femme adultère : les deux sont en danger de mort.

         Jésus ne répond pas tout de suite : « Jésus s’était baissé, et, du doigt, il écrivait sur la terre. » Ce silence est certainement destiné à laisser à chacun le soin de répondre : très respectueux, il n’humilie personne ; celui qui incarne la miséricorde ne cherche pas à mettre qui que ce soit dans l’embarras, pas plus les scribes et les pharisiens que la femme adultère ! Aux uns comme à l’autre, il veut faire faire un bout de chemin. Son silence est constructif : il va faire découvrir aux pharisiens et aux scribes le vrai visage du Dieu de miséricorde.

         Quand il se décide à répondre, sa phrase ressemble plutôt à une question : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre. » Sur cette réponse, ils s’en vont, « un par un, en commençant par les plus âgés ». Rien d’étonnant : les plus anciens sont les plus prêts à entendre l’appel à la miséricorde. Tant de fois, ils ont expérimenté pour eux-mêmes la miséricorde de Dieu... Tant de fois, ils ont lu, chanté, médité la phrase « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour » (Ex 34, 6), tant de fois ils ont chanté le psaume 50/51 « Pitié pour moi, SEIGNEUR, en ta bonté, dans ta grande miséricorde efface mon péché »... Ils viennent de prendre conscience de tous les pardons reçus.

         Plus encore, peut-être ont-ils compris que leur manquement à la miséricorde était en soi une faute, une infidélité au Dieu de miséricorde. La Loi n’est-elle pas devenue leur idole ? Peut-être est-ce la phrase de Jésus qui leur a suggéré cette réflexion : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre. » Être « le premier à jeter la pierre » était une expression connue de tous, dans le contexte de la lutte contre l’idolâtrie. La Loi ne disait pas que c’était le témoin de l’adultère qui devait lancer la première pierre ; mais elle le disait expressément pour le cas d’idolâtrie (Dt 13, 9-10 ; Dt 17, 7). Si bien que la réponse de Jésus peut se traduire : « Cette femme est coupable d’adultère, au premier sens du terme, c’est entendu ; mais vous, n’êtes-vous pas en train de commettre un adultère autrement plus grave, c’est-à-dire une infidélité au Dieu de l’Alliance ? » (On sait que, très souvent, les prophètes ont parlé de l’idolâtrie en termes d’adultère.)

         Les pharisiens et les scribes voulaient sincèrement être les fils du Très-Haut, alors Jésus leur dit « Ne vous trompez pas de Dieu, soyez miséricordieux ». Jésus, le Verbe, vient d’accomplir parmi eux sa mission de Révélation.

         Alors, Jésus et la femme restent seuls : c’est le face à face, comme le dit saint Augustin, de la misère et de la miséricorde. Pour elle, le Verbe va là encore accomplir sa mission, dire la parole de Réconciliation. Isaïe parlant du véritable serviteur de Dieu l’avait annoncé : « Il ne brisera pas le roseau ployé, il n’éteindra pas la mèche qui s’étiole... » (Is 42, 3). Ce n’est pas du laxisme : Jésus dit bien « ne pèche plus », tout n’est pas permis, le péché reste condamné... mais seul le pardon peut permettre au pécheur d’aller plus loin.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Complément - La première lecture et l’évangile de ce dimanche ont le même discours : oublie le passé, ne t'attarde pas sur lui... que rien, pas même les souvenirs, ne t'empêche d'avancer. Dans la première lecture, Isaïe s'adresse au peuple exilé... dans l'Évangile, Jésus parle à une femme prise en flagrant délit d'adultère : apparemment, ce sont deux cas bien différents mais, dans les deux cas, le discours est le même : tourne-toi résolument vers l'avenir, ne songe plus au passé.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 5e dimanche de Carême (7 avril 2019)

Partager cet article

Repost0
24 mars 2019 7 24 /03 /mars /2019 22:40

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention, le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à mettre proposer un résumé de certains commentaires, à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 30 mars 2019).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celles d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DE JOSUÉ  5, 10- 12

 

     Après le passage du Jourdain,
10 les fils d'Israël campèrent à Guilgal         
     et célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du mois,      
     vers le soir, dans la plaine de Jéricho.
11 Le lendemain de la Pâque, en ce jour même,      
     ils mangèrent les produits de cette terre :            
     des pains sans levain et des épis grillés.
12 À partir de ce jour, la manne cessa de tomber,    
     puisqu'ils mangeaient des produits de la terre.    
     Il n'y avait plus de manne pour les fils d'Israël,  
     qui mangèrent cette année-là       
     ce qu'ils récoltèrent sur la terre de Canaan.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Tout le monde sait que Moïse n'est pas entré en Terre promise ; il est mort au mont Nébo (c'est-à-dire au niveau de la mer Morte du côté que nous appellerions aujourd'hui la rive jordanienne) : mais, ne le plaignons pas, il est entré ainsi tout de suite dans la véritable Terre promise ; ce n'est donc pas lui qui a fait entrer le peuple d'Israël sur sa terre, c'est son serviteur et successeur, Josué.

         Et tout le livre de Josué est le récit de cette entrée du peuple en Terre promise, depuis la traversée du Jourdain. S'il a fallu le traverser, c'est parce que les tribus d'Israël sont entrées dans le pays par l'est. Ceci dit, la Bible ne fait jamais de l'histoire pour de l'histoire ; ce qui l'intéresse, ce sont les leçons de l'histoire ; on ne sait pas qui a écrit le livre de Josué, mais l'objectif est assez clair : si l'auteur du livre rappelle l'œuvre de Dieu en faveur d'Israël, c'est pour exhorter le peuple à la fidélité.

         Dans le texte d'aujourd'hui, c'est plus vrai que jamais ; sous ces quelques lignes un peu rapides, c'est un véritable sermon qui se cache ! Un sermon qui tient en deux points : ce qu'il ne faudra jamais oublier, c'est premièrement, Dieu nous a libérés d'Égypte ; deuxièmement, si Dieu nous a libérés d'Égypte, c'était pour nous donner cette terre comme il l'avait promis à nos pères. La grande leçon c'est que nous recevons tout de Dieu ; et quand nous l'oublions, nous nous mettons nous-mêmes dans des situations sans issue.

         C’est pour cela que le texte fait des parallèles incessants entre la sortie d’Égypte, la vie au désert et l’entrée en Canaan. Par exemple, au chapitre 3 du livre de Josué, la traversée du Jourdain est racontée très solennellement comme la répétition du miracle de la Mer Rouge. Ici, dans notre texte de ce dimanche, l’auteur insiste sur la Pâque : il dit « ils célébrèrent la Pâque, le quatorzième jour du mois, vers le soir » : la célébration de la Pâque avait marqué la sortie d’Égypte et le miracle de la Mer Rouge ; cette fois-ci, la nouvelle Pâque suit l’entrée en Terre promise et le miracle du Jourdain.

         Ces parallèles sont évidemment intentionnels. Le message de l’auteur, c’est que d’un bout à l’autre de cette incroyable aventure, c’est le même Dieu qui agissait pour libérer son peuple, en vue de la Terre Promise. La méditation du livre de Josué suit de très près ici celle du Deutéronome. D’ailleurs, « JOSUÉ », ce n’est pas son nom, c’est un surnom donné par Moïse : au début, il s’appelait simplement « Hoshéa » (ou « Osée » si vous préférez) qui signifie « Il sauve »... Son nouveau nom, « JOSUÉ » (« Yeoshoua ») contient le nom de Dieu ; il signifie donc plus explicitement que c’est Dieu et Dieu seul qui sauve ! Effectivement, Josué a bien compris que ce n’est pas lui-même, pauvre homme qui, seul, peut sauver, libérer son peuple !

         Dans le même esprit, le Psaume 114/115 reprend à sa manière le parallèle entre les deux traversées miraculeuses de la mer Rouge et du Jourdain : « La mer voit et s’enfuit, le Jourdain retourne en arrière ; qu’as-tu, mer, à t’enfuir ? Jourdain, à retourner en arrière ? Tremble, terre, devant la face du Maître, devant la face du Dieu de Jacob. » Désormais la célébration annuelle de la Pâque sera le mémorial, non seulement de la nuit de l’Exode, mais aussi de l’arrivée en Terre Promise : ces deux événements n’en font qu’un seul ; c’est toujours la même œuvre de Dieu pour libérer son peuple !

         La deuxième partie du texte d’aujourd’hui est un peu surprenante, tellement le texte est laconique ; apparemment, il n’est question que de nourriture, mais là encore, il s’agit de beaucoup plus que cela : « Le lendemain de la Pâque, ils mangèrent les produits de cette terre : des pains sans levain et des épis grillés. À partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient les produits de la terre. Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan. » Ce changement de nourriture est significatif, il fait penser à un sevrage : une page de l’histoire est tournée, une nouvelle vie commence ; on dit quelque chose d’analogue pour les enfants petits : ils passent progressivement (sur le plan de l’alimentation) de ce que l’on appelle le premier âge, à un deuxième puis un troisième et un quatrième âges...

         Ici, on a un phénomène analogue : la période du désert est terminée, avec son cortège de difficultés, de récriminations, de solutions-miracle aussi ! Désormais, Israël est arrivé sur la Terre donnée par Dieu : il ne sera plus nomade, il va devenir sédentaire, il sera un peuple d’agriculteurs ; il mangera les produits du sol. Peuple adulte, il est devenu responsable de sa propre subsistance.

         Autre leçon : à partir du moment où le peuple a les moyens de subvenir lui-même à ses besoins, Dieu ne se substitue pas à lui : il a trop de respect pour notre liberté. Mais on n’oubliera jamais la manne et on retiendra la leçon : à nous de prendre exemple sur la sollicitude de Dieu pour ceux qui ne peuvent pas (pour une raison ou une autre) subvenir à leurs propres besoins ; le Targum du Livre du Deutéronome (c’est-à-dire la traduction en araméen qui était lue dans les synagogues à partir du sixième siècle avant notre ère, parce que de nombreux Juifs ne comprenaient plus l’hébreu1) (à propos de Dt 34, 6) le dit très bien : « Dieu nous a enseigné à nourrir les pauvres pour avoir fait descendre le pain du ciel pour les fils d’Israël » ; sous-entendu à nous d’en faire autant.

         Pour finir, ne l’oublions pas : en hébreu, Josué et Jésus, c’est le même nom ; les premiers chrétiens ont évidemment fait le rapprochement ! Du coup, la traversée du Jourdain, entrée en Terre promise, la terre de liberté, faisait mieux comprendre le baptême dans le Jourdain : il signe notre entrée dans la véritable terre de liberté !

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - Après le retour de l’Exil à Babylone, Cyrus, nouveau maître du Moyen Orient a imposé sa langue, l’araméen, comme langue commune pour tout son empire. On a désormais pris l’habitude dans les synagogues en Israël de traduire le texte biblique hébreu en araméen. C’est cette traduction, agrémentée parfois de commentaires, que l’on appelle le « Targum ».

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME  33 (34), 2-3, 4-5, 6-7

 

2   Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps, 
     sa louange sans cesse à mes lèvres.
3   Je me glorifierai dans le SEIGNEUR :    
     que les pauvres m'entendent et soient en fête !   

4   Magnifiez avec moi le SEIGNEUR,       
     exaltons tous ensemble son Nom.
5   Je cherche le SEIGNEUR, il me répond ;           
     de toutes mes frayeurs, il me délivre.   

6   Qui regarde vers lui resplendira,  
     sans ombre ni trouble au visage.
7   Un pauvre crie ; le SEIGNEUR entend :
     il le sauve de toutes ses angoisses.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         Une fois de plus, vous avez remarqué le parallélisme : chaque verset est construit en deux lignes qui se répondent ; l'idéal serait de le chanter à deux chœurs alternés, ligne par ligne.

         Il est important de noter aussi que ce psaume 33/34 est alphabétique : non seulement il comporte vingt-deux versets, vingt-deux étant le nombre de lettres de l'alphabet hébreu, mais en plus, il est ce qu'on appelle en poésie un acrostiche : dans la Bible en hébreu, l'alphabet est écrit verticalement dans la marge en face du psaume, une lettre devant chaque verset, dans l'ordre...  et chaque verset commence par la lettre qui lui correspond dans la marge ; ce procédé, assez fréquent dans les psaumes, indique toujours qu'on se trouve en présence d'un psaume d'action de grâces pour l'Alliance ; ceci ne nous étonne pas en réponse à la première lecture de ce même dimanche ! Vous avez en mémoire les petites phrases du livre de Josué qui, sous couvert de nous raconter une histoire, étaient en fait une invitation à l'action de grâce pour toute l’œuvre de Dieu en faveur d’Israël.

         D’ailleurs, le vocabulaire de l’action de grâce est omniprésent dans ce psaume, dès les premiers versets retenus aujourd’hui ! Il suffit de lire cette foison de mots : « bénir, louange, glorifier, fête, magnifier, exalter, resplendir » ! « Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le SEIGNEUR... Magnifiez avec moi le SEIGNEUR, exaltons tous ensemble son Nom... Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage. »

          Au passage, vous avez entendu une autre particularité du vocabulaire biblique : « Qui regarde vers lui resplendira » ; l’expression « regarder vers », on trouve aussi parfois « lever les yeux vers » est l’expression de l’adoration rendue à celui qu’on reconnaît comme Dieu.

         C’est toute l’expérience d’Israël qui parle ici, témoin de l’œuvre de Dieu : un Dieu qui  « répond, délivre, entend, sauve... » ; « Je cherche le SEIGNEUR, il me répond ; de toutes mes frayeurs, il me délivre... Un pauvre crie ; le SEIGNEUR entend : il le sauve de toutes ses angoisses. »

         Cette attention de Dieu pour celui qui souffre, nous l’avons lue dans le passage très fort du chapitre 3 de l’Exode, dans le récit du buisson ardent : « Oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple... son cri est parvenu jusqu’à moi... je connais ses souffrances... ». C’était notre première lecture du troisième dimanche de Carême, dimanche dernier.

         Dans sa propre histoire, Israël est lui-même ce pauvre qui a fait l’expérience de la miséricorde de Dieu : quand il chante le psaume 33/34 (« Un pauvre crie ; le SEIGNEUR entend : il le sauve de toutes ses angoisses »), il parle d’abord de lui. Mais ce psaume l’invite aussi à élargir les horizons, car il dit bien « Un pauvre crie », c’est-à-dire n’importe quel pauvre, n’importe où sur la planète.

         Du coup, Israël découvre sa vocation : elle est double

         Premièrement, il doit être le peuple qui enseigne à tous les humbles du monde la confiance ! La foi apparaît alors comme un dialogue entre Dieu et l’homme : l’homme crie sa détresse vers Dieu ... Dieu l’entend ... Dieu le libère, le sauve, vient à son secours ... et l’homme reprend la parole, cette fois pour rendre grâce : si on y réfléchit, la prière comprend toujours ce double mouvement de demande, et de louange... d’abord la demande et la réponse de Dieu : « Je cherche le SEIGNEUR, il me répond ; de toutes mes frayeurs, il me délivre... » Puis l’action de grâce : « Magnifiez avec moi le SEIGNEUR, exaltons tous ensemble son Nom. »

         Le deuxième aspect de la vocation d’Israël, (et la nôtre, désormais) c’est de seconder l’œuvre de Dieu, d’être son instrument ; de même que Moïse ou Josué ont été les instruments de Dieu libérant son peuple et l’introduisant dans la Terre promise, Israël est invité à être lui-même l’oreille ouverte aux pauvres et l’instrument de la sollicitude de Dieu pour eux.

         Ceci nous permet peut-être de mieux entendre cette fameuse béatitude de la pauvreté : exprimée chez Luc par la phrase : « Heureux, vous les pauvres : le royaume de Dieu est à vous. » (Lc 6, 20) et ici : « que les pauvres m’entendent et soient en fête ! » (Ce qui prouve une fois de plus que Jésus était profondément inséré dans les manières de parler et le vocabulaire de ses pères en Israël).

         J’y entends au moins deux choses : premièrement, « réjouissez-vous, Dieu n’est pas sourd, il va intervenir » ; deuxièmement, « il a choisi des instruments sur cette terre pour venir à votre secours. »  La vocation d’Israël au long des siècles sera de faire retentir ce cri, je devrais dire cette polyphonie mêlée de souffrance, de louange et d’espoir. Et aussi de tout faire pour soulager les innombrables formes de pauvreté.

         Il n’y a qu’une sorte de pauvreté dont il ne faudra jamais se débarrasser, celle du cœur : le réalisme de ceux qui acceptent de se reconnaître tout-petits, et qui osent appeler Dieu à leur secours. Comme dit saint Matthieu « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux ».

         Il reste que la sollicitude de Dieu n’est pas une baguette magique qui ferait disparaître tout désagrément, toute souffrance de nos vies... Au désert, derrière Moïse, ou en Canaan derrière Josué, le peuple n’a pas été miraculeusement épargné de tout souci ! Mais la présence de Dieu l’accompagnait en toutes circonstances pour lui faire franchir les obstacles ; dans sa leçon sur la prière, l’évangile de Luc nous dit exactement la même chose : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe, on ouvrira. Quel père, parmi vous, si son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu de poisson ? Ou encore, s’il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc, vous qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit-Saint à ceux qui le prient. » (Luc 11, 9-13).

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS  5, 17-21  

 

     Frères,
17 si quelqu'un est en Jésus-Christ,   
     il est une créature nouvelle.          
     Le monde ancien s'en est allé,      
     un monde nouveau est déjà né.
18 Tout cela vient de Dieu :  
     il nous a réconciliés avec lui par le Christ,           
     et il nous a donné le ministère      
     de la réconciliation.
19 Car c'est bien Dieu           
     qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui ;         
     il n’a pas tenu compte des fautes,            
     et il a déposé en nous la parole de la réconciliation.
20 Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ,            
     et par nous c'est Dieu lui-même qui lance un appel.        
     nous le demandons au nom du Christ,    
     laissez-vous réconcilier avec Dieu.
21 Celui qui n'a pas connu le péché,
     Dieu l'a pour nous identifié au péché,                 
     afin qu’en lui,       
     nous devenions justes de la justice même de Dieu.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         La difficulté de ce texte, c’est qu’on peut le comprendre de deux manières. Tout se joue peut-être sur la phrase qui est au centre : Dieu « effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés ». Cela peut vouloir dire deux choses : soit, première hypothèse, depuis le début du monde, Dieu fait le compte des péchés des hommes. Mais, dans sa grande miséricorde, il a quand même accepté d’effacer ce compte à cause du sacrifice de Jésus-Christ. C’est ce qu’on appelle « la substitution ». Jésus aurait porté à notre place le poids de ce compte trop lourd. Soit, deuxième hypothèse, Dieu n’a jamais fait le moindre compte des péchés des hommes et le Christ est venu dans le monde pour nous le prouver. Pour nous montrer que Dieu est depuis toujours Amour et Pardon. Comme disait déjà le psaume 102/103 bien avant la venue du Christ, « Dieu met loin de nous nos péchés ».

         Or tout le travail de la révélation biblique consiste justement à nous faire passer de la première hypothèse à la deuxième. Nous allons donc nous poser trois questions : premièrement Dieu tient-il des comptes avec nous ? Deuxièmement, peut-on parler de « substitution » pour la mort du Christ ? Troisièmement, si Dieu ne fait pas de comptes avec nous, si on ne peut pas parler de « substitution » à propos de la mort du Christ, alors comment comprendre ce texte de Paul ?

         Tout d’abord, Dieu fait-il des comptes avec nous ? Un Dieu comptable, c’est une idée qui nous vient assez spontanément à l’esprit : probablement parce que nous sommes un peu comptables nous-mêmes à l’égard des autres ? Cette idée était incontestablement celle du peuple élu au début de l’histoire de l’Alliance ; rien d’étonnant : pour que l’homme découvre Dieu tel qu’il est vraiment, il faut que Dieu se révèle à lui. Et nous voyons, dimanche après dimanche, le travail de la révélation biblique.

         Commençons par Abraham : Dieu n’a jamais parlé de péché avec lui ; il lui a parlé d’Alliance, de Promesse, de bénédiction, de descendance : on ne trouve le mot « mérite » nulle part. La Bible note « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et cela lui fut compté comme justice » (Gn 15, 6). La foi, la confiance, c’est la seule chose qui compte. Nos comportements suivront. Dieu n’en fait pas des comptes : ce qui ne veut pas dire que nous pouvons désormais faire n’importe quoi ; nous gardons notre entière responsabilité dans la construction du royaume. Ou encore, rappelons-nous les révélations successives de Dieu à Moïse, en particulier, le « SEIGNEUR miséricordieux et bienveillant, lent à la colère et plein d’amour » ; et puis David qui a découvert (à l’occasion de son péché justement) que le pardon de Dieu précède même nos repentirs. Ou encore cette magnifique phrase où Isaïe nous dit que Dieu nous surprendra toujours parce que ses pensées ne sont pas nos pensées, précisément parce qu’il n’est que pardon pour les pécheurs. (Is 55, 6-8)

         Impossible de tout citer, mais l’Ancien Testament, déjà, avait compris que Dieu est tendresse et pardon et n’oublions pas que le peuple d’Israël a appelé Dieu « Père » bien avant nous. La fable de Jonas par exemple a été écrite justement pour qu’on n’oublie pas que Dieu s’intéresse au sort de ces païens de Ninivites, les ennemis héréditaires de son peuple.

         Deuxième question, peut-on parler de « substitution » pour la mort du Christ ? Évidemment, si Dieu ne tient pas des comptes, si donc nous n’avons pas de dette à payer, nous n’avons pas besoin que Jésus se substitue à nous ; d’autre part, quand les textes du Nouveau Testament parlent de Jésus, ils parlent de solidarité, mais pas de substitution ; et d’ailleurs, si quelqu’un pouvait agir à notre place, où serait notre liberté ? Jésus n’agit pas à notre place ; il ne se substitue pas à nous ; il n’est pas non plus notre représentant ; Jésus est notre frère aîné, le « premier-né » comme dit Paul, notre pionnier, il ouvre la voie, il marche à notre tête ; il se mêle aux pécheurs en demandant le baptême de Jean ; sur la croix il acceptera de mourir du fait de la haine des hommes : il se rapproche ainsi de nous pour que nous puissions nous rapprocher de lui.

         Troisième question : mais alors, comment comprendre notre texte de Paul d’aujourd’hui ? Première conviction, Dieu n’a jamais fait le moindre compte des péchés des hommes ; deuxième conviction, le Christ est venu dans le monde pour nous le prouver. Comme il l’a dit à Pilate « Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ». C’est-à-dire pour nous montrer que Dieu est depuis toujours Amour et Pardon. Quand Paul dit « il effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés », c’est dans nos têtes qu’il efface nos fausses idées sur un Dieu comptable.

         La question rebondit : pourquoi Jésus est-il mort ? Le Christ est venu pour témoigner de ce Dieu d’amour auprès de ses contemporains ; il a essuyé le refus de cette révélation ; et il a accepté de mourir d’avoir eu trop d’audace, d’avoir été trop gênant pour les autorités en place qui savaient mieux que lui qui était Dieu. Il est mort de cet orgueil des hommes qui s’est mué en haine sans merci.

         Au sein même de ce déchaînement d’orgueil, il a subi l’humiliation ; au sein de la haine, il n’a eu que des paroles de pardon. Voilà le vrai visage de Dieu enfin exposé au regard des hommes. « Qui m’a vu a vu le Père » (dit-il à Philippe, Jn 14, 9).

         On comprend mieux alors la phrase : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu. » Sur le visage du Christ en croix, nous contemplons jusqu’où va l’horreur du péché des hommes ; mais aussi jusqu’où vont la douceur et le pardon de Dieu. Et de cette contemplation peut jaillir notre conversion. « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » disait déjà Zacharie (Za 12,10), repris par saint Jean (Jn 19, 37). Alors nos cœurs de pierre pourront enfin devenir des cœurs de chair, comme disait Ézéchiel, c’est-à-dire, pleins de douceur et de pardon comme lui. À nous maintenant de devenir à notre tour les ambassadeurs de son message.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT LUC 15 , 1-3 . 11-32

 

1   Les publicains et les pécheurs      
     venaient tous à Jésus pour l'écouter.
2   Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :     
     « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs        
     et il mange avec eux ! »
3   Alors Jésus leur dit cette parabole :

11 « Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père :       
     Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.         
     Et le père leur partagea ses biens.
13 Peu de jours après,           
     le plus jeune rassembla tout ce qu'il avait,           
     et partit pour un pays lointain,     
     où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
14 Il avait tout dépensé,        
     quand une grande famine survint dans ce pays,  
     et il commença à se trouver dans le besoin.
15 Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays,           
     qui l'envoya dans ses champs garder les porcs.
16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre   
     avec les gousses que mangeaient les porcs,         
     mais personne ne lui donnait rien.
17 Alors, il rentra en lui-même et se dit :      
     Combien d'ouvriers de mon père ont du pain en abondance,     
     et moi, ici je meurs de faim !
18 Je me lèverai, j’irai vers mon père,           
     et je lui dirai :        
     Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi.
19 Je ne suis plus digne d'être appelé ton fils.          
     Traite-moi comme l'un de tes ouvriers.
20 Il se leva et s’en alla vers son père.          
     Comme il était encore loin,          
     son père l'aperçut et fut saisi de compassion ;
     il courut se jeter à son cou     
     et le couvrit de baisers.
21 Le fils lui dit :       
     Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi.          
     Je ne suis plus digne d'être appelé ton fils...
22 Mais le père dit à ses serviteurs :  
     Vite, apportez le plus beau vêtement pour l'habiller,      
     mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds,
23 allez chercher le veau gras, tuez-le,          
     mangeons et festoyons,
24 car mon fils que voilà était mort,
     et il est revenu à la vie ;    
     il était perdu,        
     et il est retrouvé.   
     Et ils commencèrent à festoyer.
25 Or le fils aîné était aux champs.   
     Quand il revint et fut près de la maison,
     il entendit la musique et les danses.
26 Appelant un des serviteurs,          
     il s’informa de ce qui se passait.
27 Celui-ci répondit :
     Ton frère est arrivé,          
     et ton père a tué le veau gras,       
     parce qu'il a retrouvé ton frère en bonne santé.
28 Alors le fils aîné se mit en colère,            
     et il refusait d'entrer.        
     Son père sortit le supplier.
29 Mais il répliqua à son père :          
     Il y a tant d'années que je suis à ton service        
     sans avoir jamais transgressé tes ordres,  
     et jamais tu ne m'as donné un chevreau   
     pour festoyer avec mes amis.
30 Mais, quand ton fils que voilà est revenu            
     après avoir dévoré ton bien avec des prostituées,           
     tu as fait tuer pour lui le veau gras !
31 Le père répondit :
     Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi,           
     et tout ce qui est à moi est à toi.
32 Il fallait festoyer et se réjouir ;     
     car ton frère que voilà était mort, `          
     et il est revenu à la vie ;    
     il était perdu,        
     et il est retrouvé. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

         La clé de ce passage est peut-être bien dans les premières lignes : d’une part des gens qui se pressent pour écouter Jésus : ce sont ceux qui de notoriété publique sont des pécheurs (Luc dit « Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter ») ; de l’autre des gens honnêtes, qui, à chaque instant et dans les moindres détails de leur vie quotidienne, essaient de faire ce qui plaît à Dieu : des Pharisiens et des scribes ; il faut savoir que les Pharisiens étaient réellement des gens très bien : très pieux et fidèles à la Loi de Moïse ; ceux-là ne peuvent qu’être choqués : si Jésus avait un peu de discernement, il verrait à qui il a affaire ! Or, dit toujours saint Luc « cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! » Plus grave encore, les Pharisiens étaient très conscients de la sainteté de Dieu et il y avait à leurs yeux incompatibilité totale entre Dieu et les pécheurs ; donc si Jésus était de Dieu, il ne pourrait pas côtoyer des pécheurs.

         Alors Jésus raconte cette parabole pour les faire aller plus loin, pour leur faire découvrir un visage de Dieu qu’ils ne connaissent pas encore, le vrai visage de leur Père : car nous avons l’habitude de parler de la parabole de l’enfant prodigue... Mais, en fait, le personnage principal dans cette histoire, c’est le père, le Père avec un P majuscule, bien sûr. Ce Père a deux fils et ce qui est frappant dans cette histoire, c’est que ces deux fils ont au moins un point commun : leur manière de considérer leur relation avec leur père. Ils se sont conduits de manière très différente, c’est vrai, mais, finalement, leurs manières d’envisager leur relation avec leur père se ressemblent !... Il est vrai que le fils cadet a gravement offensé son père, l’autre non en apparence, mais ce n’est pas si sûr... car l’un et l’autre, en définitive, font des calculs. Celui qui a péché dit « je ne mérite plus » ; celui qui est resté fidèle dit « je mériterais bien quand même quelque chose ». L’un et l’autre envisagent leur attitude filiale en termes de comptabilité.

         Le Père, lui, est à cent lieues des calculs : il ne veut pas entendre parler de mérites, ni dans un sens, ni dans l’autre ! Il aime ses fils, c’est tout. Il n’y a rien à comptabiliser. Le cadet disait « donne-moi ma part, ce qui me revient... » Le Père va beaucoup plus loin, il dit à chacun « tout ce qui est à moi est à toi ». Il ne laisse même pas le temps au fautif d’exprimer un quelconque repentir, il ne demande aucune explication ; il se précipite pour faire la fête « car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ».

         Elle est bien là la leçon de cette parabole : avec Dieu, il n’est pas question de calcul, de mérites, d’arithmétique : or c’est une logique que nous abandonnons très difficilement ; toute la Bible, dès l’Ancien Testament est l’histoire de cette lente, patiente pédagogie de Dieu pour se faire connaître à nous tel qu’il est et non pas tel que nous l’imaginons. Avec lui il n’est question que d’amour gratuit... Il n’est question que de faire la fête chaque fois que nous nous rapprochons de sa maison.

            Deux remarques pour terminer : d’abord un lien avec la première lecture qui est tirée du livre de Josué : elle nous rappelle que le peuple d’Israël a été nourri par la manne pendant sa traversée du désert ; mais ici il n’y a pas de manne pour le fils qui refuse de vivre avec son père ; il s’en est coupé lui-même. Deuxième remarque ; dans la parabole de la brebis perdue, dans ce même chapitre 15 de Luc, le berger va aller chercher lui-même et rattraper sa brebis perdue, mais le père ne va pas faire revenir son fils de force, il respecte trop sa liberté.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 4e dimanche de Carême (31 mars 2019)

Partager cet article

Repost0