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26 février 2010 5 26 /02 /février /2010 07:27
Je souscris entièrement à cet article de Francis Richard, trouvé sur son blog (excellent, à mon avis).

Une nouvelle initiative populaire fédérale est née. Elle porte ce titre paradoxal : Pour une loi libérale sur l'interdiction de fumer. Elle n'en est pas moins une bonne initiative. Pourquoi ? Parce que si elle aboutit, elle restaurera une liberté individuelle fondamentale qui est celle de rester maître chez soi, basée sur un droit tout aussi fondamental qui est le droit de propriété. Lire la suite.

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24 février 2010 3 24 /02 /février /2010 23:42
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

PREMIERE LECTURE - Genèse 15, 5-12. 17-18

Le Seigneur parlait à Abraham dans une vision.
5 Puis il le fit sortir et lui dit :
« Regarde le ciel,
et compte les étoiles si tu le peux... »
Et il déclara :
« Vois quelle descendance tu auras ! »
6 Abraham eut foi dans le Seigneur,
et le Seigneur estima qu'il était juste.
7 Puis il dit :
« Je suis le Seigneur,
qui t'ai fait sortir d'Ur en Chaldée
pour te mettre en possession de ce pays. »
8 Abraham répondit :
« Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir
que j'en ai la possession ? »
9 Le Seigneur lui dit :
« Prends-moi une génisse de trois ans,
une chèvre de trois ans,
un bélier de trois ans,
une tourterelle et une jeune colombe. »
10 Abraham prit tous ces animaux,
les partagea en deux,
et plaça chaque moitié en face de l'autre ;
mais il ne partagea pas les oiseaux.
11 Comme les rapaces descendaient sur les morceaux,
Abraham les écarta.
12 Au coucher du soleil,
un sommeil mystérieux s'empara d'Abraham,
une sombre et profonde frayeur le saisit.

17 Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses.
Alors un brasier fumant et une torche enflammée
passèrent entre les quartiers d'animaux.
18 Ce jour-là, le Seigneur conclut une Alliance avec Abraham
en ces termes :
« A ta descendance
je donne le pays que voici. »

A l'époque d'Abraham, lorsque deux chefs de tribus faisaient alliance, ils accomplissaient tout un cérémonial semblable à celui auquel nous assistons ici : des animaux adultes, en pleine force de l'âge, étaient sacrifiés ; les animaux « partagés en deux », écartelés, étaient le signe de ce qui attendait celui des contractants qui ne respecterait pas ses engagements. Cela revenait à dire : « Qu'il me soit fait ce qui a été fait à ces animaux si je ne suis pas fidèle à l'alliance que nous contractons aujourd'hui ». Ordinairement, les contractants passaient tous les deux entre les morceaux, pieds nus dans le sang : ils partageaient d'une certaine manière le sang, donc la vie ; ils devenaient en quelque sorte « consanguins ». Pourquoi cette précision que les animaux devaient être âgés de trois ans ? Tout simplement parce que les mamans allaitaient généralement leurs enfants jusqu'à trois ans ; ce chiffre était donc devenu symbolique d'une certaine maturité : l'animal de trois ans était censé être adulte.

Ici Abraham accomplit donc les rites habituels des alliances ; mais pour une alliance avec Dieu, cette fois. Tout est semblable aux habitudes et pourtant tout est différent, précisément parce que, pour la première fois de l'histoire humaine, l'un des contractants est Dieu lui-même.

Commençons par ce qui est semblable : « Abraham prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l'autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les morceaux, Abraham les écarta. » La mention des rapaces est intéressante : Abraham les écarte parce qu'il les considère comme des oiseaux de mauvais augure ; cela nous prouve que le texte est très ancien : Abraham découvre le vrai Dieu, mais la superstition n'est pas loin.

Ce qui est inhabituel maintenant : « Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux s'empara d'Abraham, une sombre et profonde frayeur le saisit. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d'animaux. » A propos d'Abraham, le texte parle de « sommeil mystérieux » : ce n'est pas le mot du vocabulaire courant ; c'était déjà celui employé pour désigner le sommeil d'Adam pendant que Dieu créait la femme ; manière de nous dire que l'homme ne peut pas assister à l'oeuvre de Dieu : quand l'homme se réveille (Adam ou Abraham), c'est une aube nouvelle, une création nouvelle qui commence. Manière aussi de nous dire que l'homme et Dieu ne sont pas à égalité dans l'oeuvre de création, dans l'oeuvre d'Alliance ; c'est Dieu qui a toute l'initiative, il suffira à l'homme de faire confiance : « Abraham eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu'il était juste »...

« Un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d'animaux » : la présence de Dieu est symbolisée par le feu comme souvent dans la Bible ; depuis le Buisson ardent, la fumée du Sinaï, la colonne de feu qui accompagnait le peuple de Dieu pendant l'Exode dans le désert jusqu'aux langues de feu de la Pentecôte.

Venons-en aux termes de l'Alliance ; Dieu promet deux choses à Abraham : une descendance et un pays. Les deux mots « descendance » et « pays » sont utilisés en inclusion dans ce récit ; au début, Dieu avait dit : « Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux... Vois quelle descendance tu auras !... Je suis le Seigneur qui t'ai fait sortir d'Ur en Chaldée pour te mettre en possession de ce pays » et à la fin « A ta descendance je donne le pays que voici. » Soyons francs, cette promesse adressée à un vieillard sans enfant est pour le moins surprenante ; ce n'est pas la première fois que Dieu fait cette promesse et pour l'instant, Abraham n'en a pas vu l'ombre d'une réalisation. Depuis des années déjà, il marche et marche encore en s'appuyant sur la seule promesse de ce Dieu jusqu'ici inconnu pour lui. Rappelons-nous le tout premier récit de sa vocation : « Va pour toi, loin de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation... » (Gn 12, 1). Et dès ce jour-là, le texte biblique notait l'extraordinaire foi de l'ancêtre qui était parti tout simplement sans poser de questions : « Abraham partit comme le Seigneur le lui avait dit. »

Ici, le texte constate : « Abraham eut foi dans le Seigneur, et le Seigneur estima qu'il était juste. » C'est la première apparition du mot « Foi » dans la Bible : c'est l'irruption de la Foi dans l'histoire des hommes. Le mot « croire » en hébreu vient d'une racine qui signifie « tenir fermement » (notre mot « Amen » vient de la même racine). Croire c'est « TENIR », faire confiance jusqu'au bout, même dans le doute, le découragement, ou l'angoisse. Telle est l'attitude d'Abraham ; et c'est pour cela que Dieu le considère comme un juste. Car, le Juste, dans la Bible, c'est l'homme dont la volonté, la conduite sont accordées à la volonté, au projet de Dieu. Plus tard, Saint Paul s'appuiera sur cette phrase du livre de la Genèse pour affirmer que le salut n'est pas une affaire de mérites. « Si tu crois... tu seras sauvé » (Rm 10, 9). Si je comprends bien, Dieu donne : il ne demande qu'une seule chose à l'homme.... y croire.
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Compléments
v.7 : « Je suis le Seigneur qui t'ai fait sortir d'Our en Chaldée » ; c'est le même mot que pour la sortie d'Egypte avec Moïse, six cents ans plus tard : l'oeuvre de Dieu est présentée dès le début comme une oeuvre de libération.

PSAUME 26 (27), 1, 7-8, 9a-d, 13-14

1 Le Seigneur est ma lumière et mon salut,
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie,
devant qui tremblerais-je ?

7 Ecoute, Seigneur, je t'appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
8 Mon coeur m'a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

9 C'est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N'écarte pas ton serviteur avec colère,
tu restes mon secours.

13 J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
14 « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
Espère le Seigneur. »

En peu de mots, tout est dit ; la tranquille certitude : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? » mais aussi l'ardente supplication : « Ecoute, Seigneur, je t'appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! » Et ces états d'âme sont si contrastés qu'on pourrait presque se demander si c'est bien la même personne qui parle d'un bout à l'autre. Mais oui, bien sûr, c'est la même foi qui s'exprime dans l'exultation ou dans la supplication selon les circonstances.

Circonstances gaies, circonstances tristes, le peuple d'Israël a tout connu ! Et au milieu de toutes ces aventures, il a gardé confiance, ou mieux « il a approfondi » sa foi. Enfin, entre la première et la dernière strophes, il faut noter le passage du présent au futur : première strophe, « Le Seigneur EST ma lumière et mon salut », voilà le langage de la foi, cette confiance indéracinable ; dernière strophe, « Je VERRAI la bonté du Seigneur... » et la fin « ESPERE »... l'espérance, c'est la foi conjuguée au futur.

Nous avons déjà rencontré ce psaume à plusieurs reprises au cours des trois années liturgiques ; aujourd'hui, arrêtons-nous sur deux expressions, « C'est ta face, Seigneur, que je cherche » et « Je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. » Tout d'abord, « C'est ta face, Seigneur, que je cherche » ; voir la face de Dieu, c'est le désir, la soif de tous les croyants : l'homme créé à l'image de Dieu est comme aimanté par son Créateur. Moïse a supplié : « Fais-moi donc voir ta gloire ! » et le Seigneur lui a répondu : « Tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne saurait me voir et vivre... Voici un lieu près de moi. Tu te tiendras sur le rocher. Alors, quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et, de ma main, je t'abriterai tant que je passerai. Puis, j'écarterai ma main et tu me verras de dos ; mais ma face, on ne peut la voir. » (Ex 33, 18... 23). Ce qui est magnifique dans ce texte, c'est qu'il préserve à la fois la grandeur de Dieu, son inaccessibilité, et en même temps sa proximité et sa délicatesse.

Dieu est tellement immense pour nous que nous ne pouvons pas le voir de nos yeux ; le rayonnement de sa Présence ineffable, inaccessible, ce que les textes appellent sa gloire, est trop éblouissant pour nous ; nos yeux ne supportent pas de fixer le soleil, comment pourrions-nous regarder Dieu ? Mais en même temps, et c'est la merveille de la foi biblique, cette grandeur de Dieu n'écrase pas l'homme, bien au contraire, elle le protège, elle est sa sécurité. L'immense respect qui envahit le croyant mis en présence de Dieu n'est donc pas de la peur, mais ce mélange de totale confiance et d'infini respect que la Bible appelle « crainte de Dieu ».

Ceci peut nous permettre de comprendre le premier verset : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? » ; cela veut dire deux choses, au moins : premièrement, le peuple croyant n'a plus peur de rien ni de personne, y compris de la mort. Deuxièmement, aucun autre dieu ne lui inspirera jamais plus ce sentiment religieux de crainte. Le verset suivant ne fait que redire la même chose : « Le Seigneur est le rempart de ma vie, devant qui tremblerais-je ? »

Cette confiance s'exprime encore dans la dernière strophe de notre psaume : « J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. » A la suite de Moïse, le peuple libéré par lui compte sur les bienfaits de Dieu. Mais quelle est cette « terre des vivants » ? Certainement, d'abord, la terre donnée par Dieu à son peuple et dont la possession est devenue tout un symbole pour Israël ; symbole des dons de Dieu, elle est aussi le rappel des exigences de l'Alliance : la terre sainte a été donnée au peuple élu pour qu'il y vive « saintement ».

C'est l'un des thèmes majeurs du livre du Deutéronome par exemple : « Vous veillerez à agir comme vous l'a ordonné le Seigneur votre Dieu sans vous écarter ni à droite ni à gauche. Vous marcherez toujours sur le chemin que le Seigneur votre Dieu vous a prescrit, afin que vous restiez en vie, que vous soyez heureux et que vous prolongiez vos jours dans le pays dont vous allez prendre possession. » (Dt 5, 32-33). Les « vivants » au sens biblique, ce sont les croyants.

Ne voyons donc pas dans cette expression « terre des vivants » une allusion consciente à une quelconque vie éternelle : quand le psaume a été composé, il ne venait à l'idée de personne que l'homme puisse espérer un horizon autre que terrestre ; personne n'imaginait que nous soyons appelés à ressusciter ; on sait que cette foi ne s'est développée en Israël qu'à partir du deuxième siècle av.J.C. Mais, désormais, pour nous, Chrétiens, brille la lumière de la Résurrection du Christ ; à sa suite et avec lui, nous pouvons dire : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants », et pour nous, désormais, cela veut dire la terre des ressuscités.

DEUXIEME LECTURE - Philippiens 3, 17 - 4, 1

3, 17 Frères,
prenez-moi tous pour modèle,
et regardez bien ceux qui vivent
selon l'exemple que nous vous donnons.
18 Car je vous l'ai souvent dit,
et maintenant je le redis en pleurant :
beaucoup de gens vivent en ennemis de la croix du Christ.
19 Ils vont tous à leur perte.
Leur dieu, c'est leur ventre,
et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ;
ils ne tendent que vers les choses de la terre.
20 Mais nous, nous sommes citoyens des cieux ;
c'est à ce titre que nous attendons comme sauveur
le Seigneur Jésus-Christ,
21 lui qui transformera nos pauvres corps
à l'image de son corps glorieux,
avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer.
4, 1 Ainsi, mes frères bien-aimés que je désire tant revoir,
vous, ma joie et ma récompense,
tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.


L'heure est grave, sûrement, puisque, Paul l'avoue lui-même, c'est en pleurant qu'il dit aux Philippiens : « Tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés. » On croit entendre « tenez bon comme moi-même je tiens bon ». Puisqu'il dit : « Frères, prenez-moi tous pour modèle » : une telle phrase nous surprend un peu ! D'autant plus qu'au moment où il écrit, Paul est loin et il est en prison. Mais justement, le problème des Philippiens, c'est qu'en l'absence de Paul, certains autres se présentent comme modèles et Paul veut à tout prix empêcher ses chers Philippiens de tomber dans le panneau. Au début de sa lettre, il leur a dit : « Voici ma prière : que votre amour abonde encore, et de plus en plus, en clairvoyance et pleine intelligence, pour discerner ce qui convient le mieux. » (1, 9 - 10). Quel est le problème ? Pour le comprendre, il faut se rappeler le contexte ; il apparaît un peu plus haut dans cette lettre ; des « mauvais ouvriers », comme dit Paul, se sont introduits dans la communauté et sèment le trouble : ils prétendent que la circoncision est nécessaire pour tous les Chrétiens. Paul a tout de suite saisi la gravité de l'enjeu théologique : si la circoncision est nécessaire, c'est que le Baptême ne suffit pas. Mais alors que devient la phrase de Jésus : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » ?

La question est fondamentale, et on sait par les Actes des Apôtres et les autres lettres de Paul qu'elle a pendant un temps divisé les Chrétiens ; de deux choses l'une : ou bien l'événement de la « croix du Christ » a eu lieu... ou bien non ! Et quand Paul dit « croix du Christ », il veut dire tout ensemble sa Passion, sa Mort, et sa Résurrection... Si cet événement a eu lieu... la face du monde est changée : Christ a fait la paix par le sang de sa croix... On trouve de nombreuses affirmations de ce genre sous la plume de Paul ; pour lui, la croix du Christ est vraiment l'événement central de l'histoire de l'humanité. Et alors on ne peut plus penser comme avant, raisonner comme avant, vivre comme avant. Ceux qui affirment que le rite de la circoncision reste indispensable font comme si l'événement de la « croix du Christ » n'avait pas eu lieu. C'est pour cela que Paul les appelle les « ennemis de la croix du Christ ».

Apparemment, les Philippiens sont hésitants puisque Paul les met très sévèrement en garde : dans un passage précédent, il a dit « Prenez garde aux chiens ! Prenez garde aux mauvais ouvriers ! Prenez garde aux faux circoncis ! » (3, 2) Et il a ajouté : « Car les circoncis, (sous-entendu les vrais) c'est nous, qui rendons notre culte par l'Esprit de Dieu, qui plaçons notre gloire en Jésus-Christ, qui ne nous confions pas en nous-mêmes. » Là, il manie un peu le paradoxe : pour lui, les « vrais circoncis », ce sont ceux qui ne sont pas circoncis dans leur chair, mais qui sont baptisés en Jésus-Christ : ils misent toute leur existence et leur salut sur Jésus-Christ ; ils attendent leur salut de la croix du Christ et non de leurs pratiques.

A l'inverse, et c'est là le paradoxe, il traite de « faux circoncis » ceux qui, justement, ont reçu la circoncision dans leur chair, selon la loi de Moïse. Car ils attachent à ce rite plus d'importance qu'au Baptême. Quand Paul dit « leur dieu c'est leur ventre », c'est à la circoncision qu'il fait allusion. Comment peut-on mettre en balance le rite extérieur de la circoncision et le Baptême qui transforme l'être tout entier des Chrétiens en les plongeant dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ ?

Nous sommes là au niveau du contenu de la foi ; mais Paul voit encore un autre danger, au niveau de l'attitude même du croyant ; là encore, de deux choses l'une : ou bien nous gagnons notre salut par nous-mêmes et par nos pratiques, ou bien nous le recevons gratuitement de Dieu. L'expression « leur dieu c'est leur ventre » va jusque-là : ces gens-là misent sur leurs pratiques juives mais ils se trompent. « Ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne tendent que vers les choses de la terre. » Adopter cette attitude-là, c'est faire fausse route : « Ils vont tous à leur perte », dit Paul.

Et il continue, indiquant ainsi le bon choix à ses chers Philippiens : « Mais nous, nous sommes citoyens des cieux ; c'est à ce titre que nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux, avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer. » Dire que nous attendons Jésus-Christ comme sauveur, c'est dire que nous mettons toute notre confiance en lui et pas en nous-mêmes et en nos mérites. Reprenons ce qu'il disait plus haut : « Car les circoncis (sous-entendu les vrais), c'est nous, qui rendons notre culte par l'Esprit de Dieu, qui plaçons notre gloire en Jésus-Christ, qui ne nous confions pas en nous-mêmes. »

Et c'est là qu'il peut se poser en modèle : s'il y en avait un qui avait des mérites à faire valoir, selon la loi juive, c'était lui ; quelques versets plus haut, il écrivait : « Pourtant, j'ai des raisons d'avoir confiance en moi-même. Si un autre croit pouvoir se confier en lui-même, je le peux davantage, moi, circoncis le huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils d'Hébreux ; pour la loi, Pharisien ; pour le zèle, persécuteur de l'Eglise ; pour la justice qu'on trouve dans la loi, devenu irréprochable. Or toutes ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai considérées comme une perte à cause du Christ. » (Phi 3, 4-7). En résumé, prendre modèle sur Paul, c'est faire de Jésus-Christ et non de nos pratiques le centre de notre vie ; c'est cela qu'il appelle être « citoyens des cieux ».

 

EVANGILE - Luc 9, 28-36

28 Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques,
et il alla sur la montagne pour prier.
29 Pendant qu'il priait,
son visage apparut tout autre,
ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante.
30 Et deux hommes s'entretenaient avec lui :
c'étaient Moïse et Elie,
31 apparus dans la gloire.
Ils parlaient de son départ
qui allait se réaliser à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ;
mais, se réveillant, ils virent la gloire de Jésus,
et les deux hommes à ses côtés.
33 Ces derniers s'en allaient,
quand Pierre dit à Jésus :
« Maître, il est heureux que nous soyons ici ;
dressons trois tentes :
une pour toi,
une pour Moïse,
et une pour Elie. »
Il ne savait pas ce qu'il disait.
34 Pierre n'avait pas fini de parler,
qu'une nuée survint et les couvrit de son ombre ;
ils furent saisis de frayeur
lorsqu'ils y pénétrèrent.
35 Et, de la nuée, une voix se fit entendre :
« Celui-ci est mon Fils,
celui que j'ai choisi,
écoutez-le. »
36 Quand la voix eut retenti,
on ne vit plus que Jésus seul.
Les disciples gardèrent le silence
et, de ce qu'ils avaient vu,
ils ne dirent rien à personne à ce moment-là.

Quelques jours avant ce récit de la Transfiguration, au cours d'un temps de prière avec ses disciples, Jésus leur a posé la question cruciale : « Qui suis-je au dire des foules ? » Pierre a su répondre : « Tu es le Christ (c'est-à-dire le Messie) de Dieu ». Et lui aussitôt a mis les choses au point : le Messie, oui, mais peut-être pas comme on l'attendait. « Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite. » Déjà il annonçait que la gloire du fils de l'homme était inséparable de la croix.

Environ huit jours plus tard, nous dit Luc, Jésus conduit ses disciples sur la montagne, il veut de nouveau aller prier avec eux. Luc est le seul des évangélistes à mentionner cette prière du Christ, lors de la Transfiguration ; les trois disciples découvrent que pour Jésus, la prière est une rencontre transfigurante. Quelque temps auparavant, en expliquant la parabole de la semence au groupe des disciples, Jésus leur avait dit : « à vous il est donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu ». C'est particulièrement vrai, ici, pour les trois témoins : Pierre, Jean et Jacques ; notons au passage que ces trois mêmes disciples Pierre, Jean et Jacques ont été témoins de la résurrection de la fille de Jaïre ; au moment de la Passion, ce seront encore les trois mêmes qui seront témoins de la dernière grande prière à Gethsémani.

Je reviens à la Transfiguration : c'est ce moment de prière sur la montagne que Dieu choisit pour révéler à ces trois privilégiés le mystère du Fils de l'homme. Car, ici, ce ne sont plus des hommes, la foule ou les disciples, qui donnent leur opinion, c'est Dieu lui-même qui apporte la réponse et nous donne à contempler le mystère du Christ : « Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le ».

Evidemment, cette montagne nous fait penser au Sinaï ; et d'ailleurs Luc a choisi ses mots pour évoquer le contexte de la révélation de Dieu au Sinaï : la montagne, la nuée, la gloire, la voix qui retentit, les tentes... Nous sommes moins étonnés, du coup, de la présence de Moïse et Elie aux côtés de Jésus. Quand on sait que Moïse a passé quarante jours sur le Sinaï en présence de Dieu et qu'il en est redescendu le visage tellement rayonnant que tous furent étonnés : « Quand Moïse descendit de la montagne, il ne savait pas que la peau de son visage était devenue rayonnante en parlant avec le Seigneur. Aaron et tous les fils d'Israël virent Moïse : la peau de son visage rayonnait. » (Ex 34, 29-30).

Quant à Elie, lui aussi « marcha quarante jours et quarante nuits jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb »... La parole du Seigneur lui fut adressée : « Sors et tiens-toi sur la montagne, devant le Seigneur ; voici, le Seigneur va passer. » Il y eut alors un vent puissant, un tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n'était ni dans le vent puissant, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu... « Il y eut alors le bruissement d'une brise légère. Alors en l'entendant, Elie se voila le visage avec son manteau, et la voix du Seigneur s'adressa à lui. » (1 R 19, 8... 14).

Ainsi, les deux personnages de l'Ancien Testament qui ont eu le privilège de la révélation de la gloire de Dieu sur la montagne sont également présents lors de la manifestation de la gloire du Christ. Luc est le seul évangéliste à nous préciser le contenu de leur entretien avec Jésus : « Ils parlaient de son départ qui allait se réaliser à Jérusalem. » (en réalité, Luc emploie le mot « Exode »). Décidément, impossible de séparer la gloire du Christ de sa croix. Ce n'est pas pour rien que Luc emploie le mot « Exode » en parlant de la Pâque du Christ. Comme la Pâque de Moïse avait inauguré l'Exode du peuple, de l'esclavage en Egypte vers la terre de liberté, la Pâque du Christ ouvre le chemin de la libération pour toute l'humanité.
Dans la nuée lumineuse de la Transfiguration, la voix du Père supplie « Ecoutez-le ». Ces deux mots, « Shema Israël », pour des oreilles juives, c'était tout un programme. « Ecoute Israël », c'est la profession de foi quotidienne : le rappel du Dieu Unique à qui Israël doit sa libération ; libération d'Egypte, d'abord, c'est vrai ; mais celle-ci n'est que le prélude de la longue entreprise de libération amorcée par Dieu avec Abraham, poursuivie avec Moïse, pleinement accomplie en Jésus, pour tous ceux qui l'écouteront, justement. Le « Shema Israël » n'est pas un ordre donné par un maître exigeant ou dominateur... mais une supplication ... « Ecoutez-le », c'est-à-dire faites-lui confiance.

Pierre, émerveillé du visage transfiguré de Jésus, parle de s'installer : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ; dressons trois tentes... » Mais Luc dit bien que « Pierre ne savait pas ce qu'il disait. » Il n'est pas question de s'installer à l'écart du monde et de ses problèmes : le temps presse ; Pierre, Jacques et Jean, ces trois privilégiés, doivent se hâter de rejoindre les autres. Car le projet de Dieu ne se limite pas à quelques privilégiés : au dernier jour, c'est l'humanité tout entière qui sera transfigurée ; comme dit Saint Paul dans la lettre aux Philippiens (notre deuxième lecture) « nous sommes citoyens des cieux. »
----------------------------
« Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le » : « Fils », « Choisi », « Ecoutez-le » : ces trois mots exprimaient au temps du Christ la diversité des portraits sous lesquels on imaginait le Messie : « Tu es mon Fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » était l'une des phrases du sacre des rois ; « Choisi », c'est l'un des noms du serviteur de Dieu dont parle Isaïe dans les « Chants du serviteur » : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon Elu » ; « Ecoutez-le », Dieu seul peut se permettre de dire une chose pareille et, d'autre part, c'est une allusion à la promesse que Dieu a faite à Moïse de susciter à sa suite un prophète : « C'est un prophète comme toi que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche. » (Dt 18, 18). Certains en déduisaient que le Messie attendu serait un prophète.

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21 février 2010 7 21 /02 /février /2010 00:48

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

PREMIERE LECTURE - Deutéronome 26, 4 - 10

Moïse disait au peuple d'Israël :
« Lorsque tu présenteras les prémices de tes récoltes,
4 le prêtre recevra de tes mains la corbeille
et la déposera devant l'autel du Seigneur ton Dieu.
5 Tu prononceras ces paroles devant le Seigneur ton Dieu :
Mon Père était un Araméen vagabond,
qui descendit en Egypte :
il y vécut en immigré avec son petit clan.
C'est là qu'il est devenu une grande nation,
puissante et nombreuse.
6 Les Egyptiens nous ont maltraités, et réduits à la pauvreté ;
ils nous ont imposé un dur esclavage.
7 Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères.
Il a entendu notre voix,
il a vu que nous étions pauvres, malheureux, opprimés.
8 Le Seigneur nous a fait sortir d'Egypte
par la force de sa main et la vigueur de son bras,
par des actions terrifiantes, des signes et des prodiges.
9 Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays,
un pays ruisselant de lait et de miel.
10 Et voici maintenant que j'apporte les prémices
des produits du sol que tu m'as donné, Seigneur. »


 

Dans toutes les religions du monde, on pratique des gestes d'offrande ; on ne s'étonne donc pas d'en trouver également dans la Bible. Mais ce qui est très particulier en Israël, c'est le sens que l'on donne à ce geste. Et la forme de ce texte le montre bien ! Moïse ordonne un geste d'offrande, comme on le fait ailleurs ; mais, pour Israël, il s'agit d'une véritable profession de foi ! « Tu présenteras les prémices de tes récoltes... et tu prononceras ces paroles... » Suit tout un discours sur l'oeuvre de Dieu en faveur de son peuple ; lequel pourrait se résumer en une simple phrase : tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes, c'est le don de Dieu. Elle est là, la grande insistance et la nouveauté de l'ensemble de la Bible, et du livre du Deutéronome en particulier : dans les autres religions, il s'agit le plus souvent d'une démarche de demande pour obtenir les bienfaits dont les divinités ont le secret. Israël inverse complètement le sens du rite : le geste d'offrande y est vécu comme un geste de reconnaissance ; apporter les offrandes, ce n'est pas concéder à Dieu quelque chose qui nous appartiendrait, c'est reconnaître que tout nous vient de lui ; ce n'est pas arriver les mains pleines de nos richesses, c'est reconnaître que sans lui nos mains seraient vides. Dans cet esprit, apporter ses offrandes est un geste de mémoire.

Si le Deutéronome y insiste, c'est probablement que la leçon n'était pas inutile ! Effectivement, le peuple semblait devenu amnésique, la reconnaissance pour les bienfaits de Dieu s'était estompée. Dans l'aridité du désert, le peuple avait pourtant bien compris que sa survie dépendait de Dieu et de lui seul ; mais une fois arrivé en terre promise, il risquait d'oublier cette dépendance fondamentale. Car, dès l'entrée en Canaan (ce que nous appelons aujourd'hui Israël), le peuple qui avait fait Alliance avec Dieu au désert a été confronté aux cultes des gens du pays. Ceux-ci adoraient Baal, le dieu de la pluie et donc de la fécondité des terres et des troupeaux. Et la difficulté consistait justement à ne pas se laisser contaminer par l'idolâtrie ambiante.

Tout le problème des prophètes a été de maintenir le peuple d'Israël dans la fidélité à l'Alliance du Sinaï ; car le premier commandement était formel : « Tu n'auras pas d'autres dieux que moi. » (Ex 20, 2). Le refrain des prophètes est toujours le même : Baal n'existe pas, il n'y a qu'un seul Dieu, le Dieu de Moïse qui a délivré son peuple de la main des Egyptiens, et qui l'accompagne tout au long de son histoire, et qui, enfin, lui donne ce pays.

Voilà bien la préoccupation majeure de l'auteur de notre texte d'aujourd'hui : retrouvez la mémoire, rappelez-vous l'oeuvre de Dieu en votre faveur depuis si longtemps. A vrai dire, le livre du Deutéronome tout entier pourrait s'appeler le livre de la mémoire. Et le rite d'offrande des prémices dont il est question ici est précisément vécu d'abord comme un geste de mémoire. C'est pourquoi il est accompagné de l'énumération des oeuvres de Dieu en faveur de son peuple.

Commençons par le geste : dans le mot « prémices », il y a « premier » ; les prémices, ce sont les premiers fruits de la nouvelle récolte, les premières gerbes de blé, les premières grappes de raisin, le premier-né de la nouvelle portée... Ils sont le début et aussi la promesse : en soupesant la première gerbe, la première grappe, on sait si la récolte sera bonne. Ce rite d'offrande existait chez les agriculteurs du Proche-Orient, bien avant Moïse. De mémoire d'homme, on l'avait toujours connu, puisque le texte biblique en parle même pour Caïn et Abel. Comme nous l'avons vu, ce geste visait primitivement à obtenir les bénédictions de la divinité. Moïse ne l'avait donc pas inventé, il ne l'avait pas supprimé non plus. Mais il en avait transformé le sens : désormais tout était vécu en fonction de l'Alliance.

C'est ce que va préciser le discours qui donne le sens du geste d'offrande. Il ne s'agit pas de demander à Dieu ses bienfaits pour demain ; on sait qu'on peut compter dessus ; il s'agit d'abord de reconnaître les bienfaits de Dieu envers son peuple depuis l'appel d'Abraham. On a là, sous la forme d'une profession de foi, un véritable résumé de l'histoire d'Israël : « Mon Père était un Araméen vagabond » ; tout a commencé avec Abraham, l'Araméen choisi par Dieu pour devenir le père du peuple de l'Alliance ; jusque-là, ce nomade ne pouvait pas, à proprement parler, être traité de vagabond, mais l'auteur utilise ici un mot qui signifie « errant, égaré » au sens où, avant son appel par Dieu, Abraham n'avait pas découvert le Dieu unique, il était un idolâtre, donc notre auteur le considère comme un errant au sens spirituel. La deuxième partie de la phrase « Mon Père était un Araméen vagabond, qui descendit en Egypte » fait référence non plus à Abraham, l'ancêtre, mais à son descendant Jacob : lui et ses fils se sont installés en Egypte.

Suit toute l'histoire qu'on connaît bien jusqu'à l'entrée en terre promise : « Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel. » Alors le geste d'offrande prend tout son sens : en offrant la première gerbe, la première grappe, c'est toute la récolte que l'on présente au SEIGNEUR : « Voici maintenant que j'apporte les prémices des produits du sol que tu m'as donné, Seigneur. »
Notre geste d'offrande au cours de la Messe a le même sens : reconnaissance que tout ce que nous possédons dans tous les domaines est cadeau de Dieu : « Tu es béni, Dieu de l'univers, toi qui nous donnes... » C'est ce que notre Missel appelle la « Préparation des dons » ; dommage qu'il ait oublié de préciser « Préparation des dons... de Dieu ».

 

 

 

 

PSAUME 90 (91), 1-2, 10-11, 12-13, 14-15

1 Quand je me tiens sous l'abri du Très-Haut
et repose à l'ombre du Puissant,
2 je dis au Seigneur : « Mon refuge,
mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! »

10 Le malheur ne pourra te toucher,
ni le danger, approcher de ta demeure :
11 Il donne mission à ses anges
de te garder sur tous tes chemins.

12 Ils te porteront sur leurs mains
pour que ton pied ne heurte les pierres ;
13 tu marcheras sur la vipère et le scorpion,
tu écraseras le lion et le dragon.

14 « Puisqu'il s'attache à moi, je le délivre ;
je le défends, car il connaît mon nom.
15 Il m'appelle, et moi, je lui réponds ;
je suis avec lui dans son épreuve. »



Ce psaume se présente un peu comme un entretien à trois personnes ; tantôt c'est Israël qui parle : « Quand je me tiens sous l'abri du Très-Haut et repose à l'ombre du Puissant, je dis au Seigneur : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! », tantôt ce sont les prêtres à l'entrée du Temple : « Le malheur ne pourra te toucher, ni le danger, approcher de ta demeure : Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins », tantôt enfin, c'est Dieu lui-même : « Puisqu'il s'attache à moi, je le délivre ; je le défends, car il connaît mon nom. Il m'appelle, et moi, je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve. »

Reprenons tout simplement les versets dans l'ordre : « Quand je me tiens sous l'abri du Très-Haut et repose à l'ombre du Puissant, je dis au Seigneur : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! » Vous avez remarqué les quatre noms différents donnés à Dieu dans les premiers versets : le Très-Haut (Elyôn), le Puissant (El Shaddaï), le Seigneur (YHWH), et enfin Dieu (un mot que nous connaissons bien, Elohim) ; les autres peuples appelaient leurs divinités de trois de ces noms : le Très-Haut, le Puissant, ou Elohim ; et Israël reprend ces termes habituels pour désigner son Dieu, mais ce peuple est le seul au monde à pouvoir l'appeler par le quatrième, le fameux Nom révélé à Moïse au buisson ardent : YHWH. Comme dit Dieu lui-même dans le livre de l'Exode : « Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme Dieu Puissant (El Shaddaï), mais sous mon Nom, YHWH, je ne me suis pas fait connaître d'eux. » (Ex 6, 3).

Toute cette première strophe développe le thème de la sécurité du croyant : « L'abri du Très-Haut, l'ombre du Puissant, Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! » L'abri du Très-Haut, dans le langage des psaumes, c'est le Temple de Jérusalem ; quant à l'ombre, elle est à la fois celle des ailes des statues de chérubins qui surplombent l'arche d'Alliance, et une allusion à la présence protectrice de Dieu tout au long de l'Exode* ; jusqu'au jour où l'ange Gabriel dira à la jeune fille de Nazareth « La Puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre, sois sans crainte Marie... »

La fin de cette strophe « Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! » sonne donc comme une profession de foi, mais surtout comme une résolution, sous-entendu contre l'idolâtrie : car il faut sans cesse reprendre l'engagement de ne pas quitter l'abri du Très-Haut. Nous verrons d'ailleurs en méditant l'évangile des Tentations de Jésus (que nous lisons également ce dimanche) combien l'attitude de Jésus dans l'épreuve consonne avec celle décrite dans ces versets : Jésus est celui qui ne cesse de prendre Dieu comme refuge. Le thème de la lutte contre l'idolâtrie est souvent repris dans les psaumes, comme dans l'ensemble de la Bible, d'ailleurs ; on peut être surpris de la fréquence de ce thème, mais il est clair que cela a été pendant très longtemps le cheval de bataille des prophètes .

Et peut-on dire même aujourd'hui que cette bataille est gagnée ? L'idolâtrie prend des visages différents mais sans cesse renouvelés au cours des siècles de l'histoire humaine.

Les deux strophes suivantes dans notre lecture d'aujourd'hui, sont une sorte de catéchèse des prêtres à l'adresse des croyants qui arrivent au temple : maintenant que le peuple a promis de ne pas quitter la protection de Dieu, voici la parole qui lui est révélée : « Le malheur ne pourra te toucher, ni le danger, approcher de ta demeure : il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres ; tu marcheras sur la vipère et le scorpion, tu écraseras le lion et le dragon. » Le message est double : premièrement, la victoire sur le mal est assurée, ce sont les images d'écrasement des animaux dangereux : « la vipère et le scorpion, le lion et le dragon » ; deuxièmement, et c'est le plus important, cette victoire est assurée parce que Dieu ne cessera pas de protéger son peuple : « Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres. » Dans la méditation biblique, ces deux strophes concernaient d'abord le peuple d'Israël ; puis peu à peu on a pris l'habitude de les appliquer au sauveur qu'on attendait, c'est-à-dire le Messie ; puisque le véritable triomphateur de tous les maux qui agressent l'humanité, ce sera le Messie.

Dernière strophe : « Puisqu'il s'attache à moi, je le délivre ; je le défends, car il connaît mon nom. Il m'appelle, et moi, je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve. » Le psalmiste, ici, fait parler Dieu ; un mot seulement sur le dernier verset : « Je suis avec lui dans son épreuve » ; l'homme de la Bible a découvert Dieu non pas comme celui qui écarte toute épreuve d'un coup de baguette magique... mais comme celui qui est « avec » nous dans nos épreuves. Le mot à mot ici, c'est « Moi, avec lui, dans l'épreuve » ; c'est exactement le même sens que le mot « Emmanuel » qui signifie littéralement « Dieu-avec-nous ».

En fin de compte, ce psaume est un peu le modèle de toute liturgie : l'arrivée au Temple, la Parole, la bénédiction. Quand nous nous joignons à une assemblée célébrante, nous allons puiser la force là où elle se trouve. Nous y entendons proclamer la Parole et nous repartons chargés des bénédictions de Celui qui est avec nous dans notre épreuve. Il est donc bien normal que ce psaume nous soit proposé à l'entrée du Carême : belle invitation à nous tenir à l'abri du Très-Haut. Moralité, n'hésitons pas au cours de ce Carême à aller nous ressourcer à l'ombre de nos églises.

***
* Le mot « ailes » évoque également celles de l'aigle : on sait que le livre du Deutéronome précisément compare la sollicitude de Dieu envers son peuple à celle d'un aigle qui encourage les premiers vols de ses petits (Dt 32, 10-11 ; cf Ex 19, 4).

 

 

 

 

 

 

 

 

DEUXIEME LECTURE - Romains 10, 8 - 13

Frères,
8 nous lisons dans l'Ecriture :
« La Parole est près de toi,
elle est dans ta bouche et dans ton coeur. »
Cette Parole, c'est le message de la foi que nous proclamons.
9 Donc, si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur,
si tu crois dans ton coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts,
alors tu seras sauvé.
10 Celui qui croit du fond de son coeur
devient juste ;
celui qui, de sa bouche, affirme sa foi
parvient au salut.
11 En effet, l'Ecriture dit :
« Lors du jugement, aucun de ceux qui croient en lui
n'aura à le regretter. »
12 Ainsi, entre les Juifs et les païens,
il n'y a pas de différence :
tous ont le même Seigneur,
généreux envers tous ceux qui l'invoquent.
13 Il est écrit en effet :
« Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur
seront sauvés. »




Tout le raisonnement de Paul aboutit à la conclusion : « Entre les Juifs et les païens, il n'y a pas de différence ». Précisons tout de suite que ces juifs et ces païens dont parle Paul sont avant tout des chrétiens : soit d'origine juive, soit d'origine païenne. Et c'est bien cela le fond de son discours : que vous soyez d'origine juive convertis au christianisme, ou que vous soyez d'origine païenne convertis au christianisme, vous êtes « avant tout » des chrétiens. « Ainsi, entre les Juifs et les païens, il n'y a pas de différence : tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l'invoquent. »

Si Paul insiste, c'est que le problème était bien là. Probablement parce que, à Rome comme dans toutes les communautés chrétiennes du premier siècle, la même question s'est posée. Etait-il bien normal de traiter de la même manière des juifs et des païens ? Que des juifs deviennent chrétiens, c'était évidemment conforme au plan de Dieu. Puisque Dieu avait préparé son peuple pendant de longs siècles à recevoir le Messie, une fois celui-ci venu et reconnu, tous les juifs auraient pu (ou dû) devenir chrétiens. C'était évidemment le souhait de Paul. Mais les choses se sont passées autrement. C'est une minorité seulement du peuple juif qui a adhéré à Jésus-Christ ; en revanche, ce sont des païens qui ont constitué le noyau le plus important des communautés chrétiennes. Entre ces chrétiens d'origines si diverses (soit juive, soit païenne), la cohabitation posait inévitablement des problèmes : tout d'abord, sur le plan des habitudes quotidiennes, tout les séparait et les sujets de discussion ne manquaient pas : la loi, la circoncision, les coutumes alimentaires.

Plus profondément, pour certains Juifs devenus chrétiens, c'était une affaire de principe : ils acceptaient de mauvais gré l'entrée dans l'Eglise des anciens païens, ceux qu'ils appelaient les « incirconcis ». Car Israël était le peuple élu ; c'est en son sein que devait naître le Messie ; logiquement, les Juifs devaient être les fondements de l'Eglise ; alors une question revenait souvent : accepter des non-Juifs dans l'Eglise, n'était-ce pas une infidélité à l'Alliance, à l'élection du peuple juif ?

Cette question-là, lorsque Paul écrit aux Romains, il y a longtemps qu'il l'a résolue. Car si on fermait l'entrée de l'Eglise aux païens, si on leur refusait le baptême, cela reviendrait à dire que Jésus ne peut sauver que des Juifs. Cette position-là est évidemment intenable. Alors, comme toujours, Paul va chercher la solution du problème dans l'Ecriture, c'est-à-dire dans ce que nous appelons aujourd'hui l'Ancien Testament. Et, comme toujours, il y trouve la parole qui l'éclaire ; elle est chez le prophète Joël : « Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés. » Joël, parlait, justement, du temps de la venue du Messie : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, vos jeunes gens auront des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes, en ce temps-là je répandrai mon Esprit... Alors tous ceux qui invoqueront le Nom du Seigneur seront sauvés. » (Jl 3, 1 - 5).

Argument imparable, puisque c'était dans l'Ecriture ; mais bien surprenant quand même pour les contemporains de Paul : suffit-il réellement d'invoquer le Nom de Jésus pour être sauvé ? Jusqu'ici, il fallait être circoncis et pratiquer la Loi scrupuleusement ; les choses auraient-elles changé ? Oui, répond Paul ; car Jésus-Christ, lui aussi, mérite le titre de Seigneur !

Désormais, tout homme qui invoque le Seigneur Jésus-Christ peut être sauvé. Mais c'est bien parce que ce message est dur à admettre pour certains que Paul n'hésite pas à se répéter : « Celui qui (au sens de « tout homme qui ») croit du fond de son coeur devient juste ; celui qui (« tout homme qui »), de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut. » Encore faut-il bien s'entendre sur le sens du mot « croire » ici : le parallèle entre « bouche » et « coeur », sur lequel Paul insiste, dit bien que la foi n'est pas affaire d'opinion ; en employant le mot coeur, selon le sens que ce mot avait à l'époque, il vise la profondeur de l'engagement de toute la personne. Ainsi, aux yeux de Paul, une autre phrase de l'Ecriture est désormais accomplie ; le livre du Deutéronome affirmait : « La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur. » Au temps du Deutéronome, il s'agissait de la Loi qu'il fallait pratiquer, maintenant dit Paul, cette parole, c'est tout simplement le message de la foi en Jésus-Christ.

La voilà, la Bonne Nouvelle que Paul adresse à ceux qui ont reçu le Baptême : sans mérites de notre part, le salut nous est donné gratuitement par Dieu ; il nous faut simplement l'accueillir librement dans la foi : « Si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé. Celui qui croit du fond de son coeur devient juste, celui qui, de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut. »

 

 

 

EVANGILE - Luc 4, 1 - 13

Après son Baptême,
1 Jésus, rempli de l'Esprit Saint,
quitta les bords du Jourdain ;
il fut conduit par l'Esprit à travers le désert
2 où, pendant quarante jours, il fut mis à l'épreuve par le démon.
Il ne mangea rien durant ces jours-là,
et, quand ce temps fut écoulé,
il eut faim.
3 Le démon lui dit alors :
« Si tu es le Fils de Dieu,
ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
4 Jésus répondit :
« Il est écrit :
Ce n'est pas seulement de pain
que l'homme doit vivre. »
5 Le démon l'emmena alors plus haut,
et lui fit voir d'un seul regard tous les royaumes de la terre.
6 Il lui dit :
« Je te donnerai tout ce pouvoir,
et la gloire de ces royaumes,
car cela m'appartient et je le donne à qui je veux.
7 Toi donc, si tu te prosternes devant moi,
tu auras tout cela. »
8 Jésus lui répondit :
« Il est écrit :
Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu,
et c'est lui seul que tu adoreras. »
9 Puis le démon le conduisit à Jérusalem,
il le plaça au sommet du Temple
et lui dit :
« Si tu es le Fils de Dieu,
jette-toi en bas ;
10 car il est écrit :
Il donnera pour toi à ses anges
l'ordre de te garder ;
11 et encore :
Ils te porteront sur leurs mains,
de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
12 Jésus répondit :
« Il est dit :
Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. »
13 Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation,
le démon s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé.


 

 

Il est très intéressant de rapprocher cet évangile du psaume qui le précède dans la liturgie de ce dimanche : « Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au Seigneur : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu dont je suis sûr. » C’est très exactement l’attitude du Christ, au seuil de sa vie publique : il se tient tout simplement à l’ombre du Très-Haut.

La tentation serait de quitter cet abri ou bien de douter qu’il soit sûr, ou encore de chercher d’autres abris, d’autres sécurités. Ces trois tentations ont été celles du peuple d’Israël tout au long de l’histoire biblique. Et quand le Tentateur (son vrai nom dans le texte grec est le « diviseur », le « diabolos ») s’adresse à Jésus, c’est bien sur ce terrain qu’il se place : par trois fois, il essaie de distiller son poison : Si tu es Fils de Dieu, tu peux tout ce que tu veux... : Tu es grand, tu peux bien faire ton bonheur tout seul ; dis donc à cette pierre de devenir du pain pour satisfaire ta faim immédiate... (première tentation). Peut-être ferais-tu mieux de m’adorer, moi, pour réaliser tous tes projets... (deuxième tentation). Jette-toi en bas, Dieu sera bien obligé de t’aider... (troisième tentation). Mais Jésus sait bien que Dieu seul peut combler toutes les faims de l’homme, et il a choisi de faire confiance jusqu’au bout, de « se tenir sous l’abri du Très-Haut » comme dit le psaume.

Reprenons une à une les trois sollicitations du Tentateur et les trois réponses de Jésus.

Première tentation : quand Jésus commença à souffrir de la faim, le Tentateur lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain » et Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. » Phrase bien connue du peuple juif tout entier, car elle se trouve au chapitre 8 du Deutéronome ; je vous rappelle le contexte : il s’agit d’une méditation sur l’expérience d’Israël pendant l’Exode sous la conduite de Moïse : « Tu te souviendras de toute la route que le Seigneur ton Dieu t’a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert, afin de te mettre dans la pauvreté ; ainsi il t’éprouvait pour connaître ce qu’il y avait dans ton coeur et savoir si tu allais, oui ou non, observer ses commandements. Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. » (Dt 8, 2 - 3). Désormais le peuple sait d’expérience ce qu’est la béatitude de la pauvreté : « Heureux ceux qui ont faim, ils comptent sur Dieu seul pour les combler. »

Et le Deutéronome continue : « Tu reconnais, à la réflexion, que le Seigneur ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils. » Le Fils de Dieu, venu prendre la tête de son peuple, vit dans sa chair l’expérience d’Israël au désert. En d’autres termes, quand le Tentateur interpelle Jésus en lui disant « Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le », il reçoit pour toute réponse : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas... Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son oeuvre. » (C’est la réponse que Jésus fera à ses apôtres dans l’épisode de la Samaritaine, Jn 4, 32 - 34).

Deuxième tentation, deuxième réponse de Jésus : le Tentateur lui promet tous les royaumes de la terre ; et Jésus répond « Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. » Là il cite le texte le plus connu peut-être de tout l’Ancien Testament, puisqu’il est la suite du fameux « Shema Israël », la profession de foi juive. Ce qu’il faut remarquer c’est l’inversion de la perspective entre les exigences du Tentateur et les dons gratuits de Dieu : le Tentateur dit : commence par te prosterner, puis je te donnerai (et entre parenthèses, il promet ce qui ne lui appartient pas) ; Dieu, au contraire, commence par donner, et seulement après, il dit : n’oublie pas que je t’ai donné, alors fais-moi confiance pour la suite.
Voici le texte du Deutéronome : « Quand le Seigneur ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays qu’il a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob, de te donner... garde-toi d’oublier le Seigneur qui t’a fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude. C’est le Seigneur ton Dieu que tu craindras, c’est lui que tu serviras, c’est par son nom que tu prêteras serment. »

Troisième tentation : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Et Jésus répond : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » c’est-à-dire tu n’exigeras pas de Dieu des preuves de sa présence et de sa protection. Le Fils de Dieu sait, lui, qu’il est en permanence sous l’abri du Très-Haut quoi qu’il arrive.
Ces trois réponses de Jésus sonnent donc étrangement face aux interpellations du Tentateur « si tu es le fils de Dieu » ; visiblement, le démon et le Christ n’ont pas la même idée sur le Fils de Dieu ! « Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le » semble dire le Tentateur et Jésus le prouve, réellement, mais c’est en restant fidèle à son Père.

***
Compléments
Où Jésus puise-t-il la force de résister à celui qui veut le séparer de son Père ? Dans la parole de Dieu : la force de ce texte est dans cette construction étonnante ; le Tentateur s'adresse à Jésus par trois fois ; mais à aucun moment, Jésus n'entre en discussion avec lui ; ses trois réponses sont exclusivement des citations de l'Ecriture. En cela, il est bien l'héritier de son peuple : à lui s'applique merveilleusement la phrase du Deutéronome que Saint Paul a reprise dans la lettre aux Romains (voir la deuxième lecture) : « La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur » (Dt 30, 14). Ses réponses sont toutes les trois extraites du livre du Deutéronome, le livre écrit justement pour que les fils d’Israël n’oublient jamais que Dieu est leur Père ; manière de dire que Jésus refait pour lui-même l’expérience que son peuple a faite au désert.


Depuis son Baptême, où il a été révélé comme le Fils, jusqu’à Gethsémani où le Tentateur lui donne rendez-vous (c’est le sens de la dernière phrase de notre texte : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation, le démon s’éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé*. »), Jésus restera sous l'abri du Très-Haut. Nul doute que Luc, ici, nous propose le seul exemple à suivre.
* A vrai dire, le texte grec n’emploie pas l’expression : « jusqu'au moment fixé » ; il dit seulement « jusqu’à une occasion ». Cette « occasion », on la situe généralement à Gethsémani.

 

L'intelligence des écritures

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14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 07:42
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

Sixième dimanche du temps ordinaire

PREMIERE LECTURE - Jérémie 17 , 5 - 8

5 Parole du Seigneur.
Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel,
qui s'appuie sur un être de chair,
tandis que son coeur se détourne du Seigneur.

6 Il sera comme un buisson sur une terre désolée,
il ne verra pas venir le bonheur.
Il aura pour demeure les lieux arides du désert,
une terre salée et inhabitable.
7 Béni soit l'homme qui met sa confiance dans le Seigneur,
dont le Seigneur est l'espoir.
8 Il sera comme un arbre planté au bord des eaux,
qui étend ses racines vers le courant :
il ne craint pas la chaleur quand elle vient,
et son feuillage reste vert ;
il ne redoute pas une année de sécheresse,
car elle ne l'empêche pas de porter du fruit.

Le début du texte est fait pour nous impressionner ! Tout d'abord, l'introduction est très solennelle : quand un prophète emploie l'expression « Parole du Seigneur », c'est toujours pour nous alerter ; quelque chose comme « Attention, ce que j'ai à vous dire est très grave, et c'est le Seigneur lui-même qui vous parle. »

Et ici, la suite est à première vue terrible : « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel ». Cela pose au moins deux questions : premièrement, Dieu pourrait-il nous maudire ? Deuxièmement, mettre sa confiance dans un mortel (c'est-à-dire dans un homme) en quoi est-ce mal ? Je reprends ces deux questions l'une après l'autre.

Première question : Dieu pourrait-il nous maudire ? Souhaiter notre malheur ? Sûrement pas, lui qui cherche inlassablement à nous sauver. L'expression « maudit soit » chez les prophètes est une mise en garde, du genre « Attention, vous filez un mauvais coton, vous avez pris un chemin dangereux, une pente glissante ; cela ne peut que mal finir ». L'expression symétrique « Béni soit » est au contraire un encouragement du genre « Continuez, vous êtes sur la bonne voie ».

Deuxième question : Jérémie dit : « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel ». Alors devrions-nous nous méfier les uns des autres ? Certainement pas, puisque le projet de Dieu est que l'humanité soit tellement unie qu'elle ne fasse plus qu'un... donc toute méfiance entre les hommes est contraire au projet de Dieu. En fait, le mot « confiance » est un mot très fort qui signifie « s'appuyer sur » comme on s'appuie sur un rocher ; il faut relire la phrase de Jérémie en entier : « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel, qui s'appuie sur un être de chair TANDIS QUE son coeur se détourne du Seigneur » ; ce qui est grave, c'est de se détourner du Seigneur. Bien sûr, nous pouvons, nous devons nous appuyer les uns sur les autres, mais que cela ne nous détourne pas du Seigneur.

Jérémie vise probablement ici deux erreurs funestes des rois, des chefs religieux et du peuple tout entier : premièrement, l'idolâtrie ; deuxièmement, les alliances. Commençons par l'idolâtrie : plusieurs rois ont réintroduit en Israël d'autres cultes que celui du vrai Dieu. On invoque d'autres dieux, on les prie, on leur offre des sacrifices ; un peu plus loin, Jérémie le dit expressément : « Mon peuple, lui, m'a oublié pour brûler des offrandes à ceux qui ne sont rien. » (Jr 18, 15). Quant aux alliances, Jérémie a eu tout loisir de méditer sur la politique des rois de son temps : au lieu de compter sur la protection de Dieu, ils ont accumulé les manoeuvres diplomatiques, s'alliant tour à tour avec chacune des puissances du Moyen-Orient ; mais ils n'ont récolté que des guerres et du malheur ; et quand on demande la protection d'un roi de la terre, on devient inévitablement son vassal, on perd donc automatiquement sa liberté. Ce sera exactement le destin du roi Sédécias, peu de temps après ; Jérémie le raconte plus loin dans son livre : Sédécias a compté sur ses manoeuvres diplomatiques, il a compté sur sa force militaire... et il n'a récolté qu'échec, massacre, humiliations, pour lui et pour son peuple (Jr 39, 1-10 ).

On est là en face d'une des grandes exigences de l'Alliance : parce qu'Israël était investi d'une mission de témoignage au milieu des nations, il lui était demandé de ne jamais rechercher une autre Alliance que celle de son Dieu. A vues humaines, cela pouvait paraître fou. Mais quand on a l'immense honneur d'être le peuple élu de Dieu, on ne peut plus raisonner à vues humaines. (Entre nous soit dit, cette remarque est désormais valable également pour nous, Eglise du Christ.)
Au moment où Jérémie écrit notre texte d'aujourd'hui, il est encore temps de mettre en garde, et donc il tire la sonnette d'alarme ; il insiste : la seule source d'eau vive pour l'homme, c'est le Seigneur ; s'en éloigner, c'est se priver d'eau, c'est connaître la sécheresse. Quelques versets plus loin, Jérémie reprend exactement la même expression : « Ils abandonnent leur source d'eau vive, qui est le Seigneur » (Jr 17, 13). Et déjà au chapitre 2 : « Il est double, le méfait commis par mon peuple : ils m'abandonnent, moi, la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l'eau. » (Jr 2, 13).

Ceux-là ont fait le mauvais choix, l'avenir montrera qu'ils se sont trompés ; on dira leur malheur, c'est le sens du verbe « maudire » (male-dicere). « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel, qui s'appuie sur un être de chair, tandis que son coeur se détourne du Seigneur. Il sera comme un buisson sur une terre désolée, il ne verra pas venir le bonheur. Il aura pour demeure les lieux arides du désert, une terre salée et inhabitable... » Mais ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur, ceux-là ont fait le bon choix ; on ne peut que les féliciter ; et l'avenir montrera qu'ils ont eu raison, on dira du bien de leur conduite, on dira leur bonheur : c'est exactement le sens du mot « bénir » (bene-dicere en latin). « Béni soit l'homme qui met sa confiance dans le Seigneur, dont le Seigneur est l'espoir. »


Une fois de plus, nous remarquons les profondes affinités entre Jésus et Jérémie : dans l'évangile des Béatitudes, par exemple, que nous lisons également ce dimanche, mais aussi dans le thème de l'eau vive : il suffit de se rappeler la phrase que Jésus a prononcée à l'occasion de la fête des tentes à Jérusalem : « Le dernier jour de la fête, qui est aussi le plus solennel, Jésus, debout, se mit à proclamer : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi ; et que boive celui qui croit en moi. Comme l'a dit l'Ecriture, de son sein couleront des fleuves d'eau vive. » (Jn 7, 37 - 38).

***
NB. Vous avez remarqué l'importance de la sécheresse dans ce texte : Jérémie parle d'expérience ; il suffit de se remettre en mémoire la route de Jérusalem à Jéricho : un vrai désert complètement aride la plus grande partie de l'année et pourtant capable de reverdir et refleurir avec les pluies de printemps. Comme tout bon prédicateur, il puise ses exemples et ses images dans l'existence quotidienne de ses auditeurs. Ces mêmes images se retrouvent d'ailleurs dans d'autres textes orientaux : rien d'étonnant puisqu'ils ont des climats similaires ! Par exemple, en Egypte, voici à quoi on compare le sage : « Il est comme un arbre qui croît dans un jardin. Il fleurit et double son produit ; il se tient devant la face de son maître, son fruit est doux, son ombre agréable ». Soyons francs, pour évoquer l'ombre de façon aussi positive ici, il faut avoir expérimenté l'ardeur du soleil torride ! Dans des pays humides, de telles images sont nettement moins suggestives.

PSAUME 1

1 Heureux est l'homme
qui n'entre pas au conseil des méchants,
qui ne suit pas le chemin des pécheurs,
ne siège pas avec ceux qui ricanent,
2 mais se plaît dans la loi du Seigneur
et murmure sa loi jour et nuit !

3 Il est comme un arbre
planté près d'un ruisseau,
qui donne du fruit en son temps,
et jamais son feuillage ne meurt ;
tout ce qu'il entreprend réussira,
4 tel n'est pas le sort des méchants.

Mais ils sont comme la paille
balayée par le vent :
5 au jugement, les méchants ne se lèveront pas
ni les pécheurs, au rassemblement des justes.
6 Le Seigneur connaît le chemin des justes,
mais le chemin des méchants se perdra.

Voici le premier de tous les psaumes : il nous donne la clé de tous les autres, puisque c'est lui qui a été choisi pour nous introduire dans la prière d'Israël. Il est très court, comme il se doit pour une introduction, mais chaque détail compte. Le premier mot de ce psaume et donc du psautier tout entier est « heureux » ! ... ce qui est déjà tout un programme. Le psalmiste a compris que Dieu veut notre bonheur ; c'est la chose la plus importante qu'il a voulu dire pour commencer ! Pour comprendre le sens du mot « heureux » dans la Bible, il faut penser aux « félicitations » que nous nous adressons les uns aux autres dans les grandes occasions : quand nous recevons un faire-part joyeux, de naissance ou de mariage, nous offrons aux heureux parents ou aux fiancés ce que nous appelons des « félicitations » : étymologiquement « féliciter » quelqu'un, c'est le reconnaître « felix », c'est-à-dire « heureux » et s'en réjouir avec lui. C'est d'abord un constat (heureux êtes-vous) : parfois même cela nous plonge dans la contemplation parce que le spectacle d'un bonheur évident, rayonnant, nous émeut toujours. En même temps, c'est un souhait très vif et même un encouragement, une invitation à faire chaque jour grandir ce bonheur encore tout neuf. Quelque chose comme « vous êtes bien partis, continuez à être heureux ; le monde a besoin du témoignage de votre amour et de votre bonheur ».

Le mot biblique « heureux » dit tout cela : il a ces deux aspects de constat et aussi d'encouragement. C'est pour cela que, bien souvent, avec André Chouraqui, on traduit « heureux » par « en marche ». Cela nous invite à nous représenter l'histoire de l'humanité comme une longue marche : une marche au cours de laquelle les hommes sont à chaque instant invités à choisir leur chemin ; vous avez remarqué l'insistance de ces quelques versets sur le mot « chemin » : « Heureux l'homme qui ne suit pas le chemin des pécheurs... Le Seigneur connaît le chemin des justes, mais le chemin des méchants se perdra. »

C'est ce que l'on appelle le « thème des deux voies » : sous-entendu il y a deux routes, deux voies, la bonne et la mauvaise ; à nous de choisir. Le thème des deux voies s'appuie sur une comparaison : notre vie est comparée à un croisement ; tout se passe comme si nous débouchions sur la grand-route. Nous savons où nous voulons aller : mais nous ne savons pas de quel côté il faut tourner ; faut-il tourner à droite ? Ou à gauche ? Si, par chance, nous choisissons la bonne direction, chacun de nos pas nous rapprochera du but ; à l'inverse, si nous nous trompons de direction, chacun de nos pas, désormais, nous éloignera du but, simplement parce que nous aurons choisi le mauvais
chemin.
La Révélation biblique n'a qu'un seul objet, indiquer à l'humanité le chemin du bonheur que Dieu veut pour elle. C'est pourquoi elle est parsemée de multiples poteaux indicateurs ; le livre du Deutéronome, par exemple, a beaucoup développé ce thème : « Vois, je mets aujourd'hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur... Tu choisiras la vie » (Dt 30, 15. 19). « Tu écouteras, Israël, (Shema Israël) et tu veilleras à mettre les commandements en pratique : ainsi tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te l'a promis le Seigneur, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait et de miel. » (Dt 6, 3).

Dans cette optique, les mots « heureux, malheureux » ou « béni, maudit » sont comme des feux de signalisation : quand Jérémie dit ce que nous avons entendu dans la première lecture : « Maudit soit l'homme qui compte sur des mortels... » (Jr 17, 5), ou quand Isaïe vitupère « Malheur à ceux qui prescrivent des lois malfaisantes » (Is 10, 1), ils ne prononcent ni jugement ni condamnation définitifs sur des personnes, ils préviennent du danger comme on crie quand on voit quelqu'un au bord du précipice. A l'inverse, des expressions comme « Béni soit l'homme qui compte sur le Seigneur » (Jr 17, 7), ou « Heureux l'homme qui ne siège pas au conseil des méchants » (Ps 1) sonnent comme des encouragements ; vous êtes sur la bonne voie.

Ce thème des deux voies dit une autre chose très importante, à savoir que nous sommes libres ; mais si nous voulons être heureux, il y a des voies sans issue, donc à éviter. Le désir inscrit au coeur de tous les hommes, le but de toutes leurs actions, c'est la recherche du bonheur ; mais bien souvent, ils se trompent de direction. La loi donnée par Dieu n'a pas d'autre but que de guider notre liberté vers le bon chemin. D'où ce grand amour de la Loi que nous avons rencontré si souvent en Israël : le peuple de l'Alliance sait que la Loi est un don de Dieu ; cadeau de celui qui ne veut que notre bonheur et qui nous en indique le chemin. « Heureux l'homme qui se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit ! »

Mais attention, quand le psaume parle des justes et des méchants, il s'agit de comportements, et non pas d'individus ; une chose très importante, à ne jamais oublier lorsque l'on rencontre ce thème des deux voies : il n'y a pas d'un côté des hommes entièrement, parfaitement justes... et de l'autre des hommes qui sont tout entiers méchants !... Et d'ailleurs, nous-mêmes, dans quelle catégorie nous rangerions-nous ? Oserions-nous prétendre appartenir à la catégorie des justes ? Non bien sûr, mais pas davantage il ne serait équitable de ranger qui que ce soit d'entre nous dans la catégorie des méchants. De toute évidence, nous appartenons tour à tour à ces deux catégories : certaines facettes de nos vies sont sur la bonne voie, d'autres non. Celles-ci, il faut le savoir, ne mènent nulle part. En revanche, et c'est une merveilleuse nouvelle pour nous, aujourd'hui, tous nos efforts pour écouter la Parole sont autant de pas sur le chemin du vrai bonheur : « Heureux est l'homme qui se plaît dans la loi du Seigneur ! »

***

Dernière remarque : à elle seule, la construction littéraire de ce psaume met en évidence l'importance du bon choix ; exceptionnellement, elle n'est absolument pas symétrique ; on oppose bien deux comportements, celui des justes, et celui des pécheurs. Mais ceux qui ont choisi la bonne direction, et qu'on appelle « les justes », se voient consacrer la plus grande partie du psaume. En revanche, il n'est presque pas question des autres, ceux qui ont fait le mauvais choix, et qu'on appelle « les méchants ». Cette inégalité de traitement est parlante : seul vaut qu'on en parle le sort des heureux ; les autres ne sont que « paille balayée par le vent ».

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 15, 12.....20

Frères,
12 nous proclamons que le Christ est ressuscité d'entre les morts ;
alors, comment certains d'entre vous peuvent-ils affirmer
qu'il n'y a pas de résurrection des morts ?

16 Si les morts ne ressuscitent pas,
le Christ non plus n'est pas ressuscité.
17 Et si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien,
vous n'êtes pas libérés de vos péchés ;
18 et puis, ceux qui sont morts dans le Christ sont perdus.
19 Si nous avons mis notre espoir dans le Christ
pour cette vie seulement,
nous sommes les plus à plaindre des hommes.
20 Mais non ! Le Christ est ressuscité d'entre les morts,
pour être parmi les morts le premier ressuscité.

Pour entrer dans ce texte de Saint Paul, commençons par nous remémorer la dernière célébration de funérailles à laquelle nous avons assisté. Le Rituel prévoit trois rites très importants : il y a d'abord le Cierge Pascal qui brûle tout au long de la célébration pour nous rappeler que le Christ ressuscité est vivant parmi nous ; vers la fin de la célébration, au moment du dernier adieu le prêtre puis les fidèles aspergent le corps du défunt avec l'eau qui rappelle son Baptême. Mais, avant cela, il y a eu un autre rite : le prêtre a encensé le corps ; c'est le geste le plus audacieux ! Dans l'empire romain, c'est devant les statues des dieux que l'on brûlait de l'encens ; et c'est au moment où ce corps sans vie semble réduit à néant que nous l'encensons. Pourquoi ? Parce que tout chrétien, depuis son baptême, est le temple de l'Esprit Saint, comme dit Saint Paul dans la même lettre aux Corinthiens que nous venons de lire. Soyons francs, s'il a besoin de le rappeler, c'est parce qu'on pourrait parfois l'oublier, nous tout autant que les Corinthiens de son temps.

Dans le texte d'aujourd'hui, il lutte contre un autre oubli des Corinthiens : la Résurrection des corps. Ils sont bien convaincus de la Résurrection du Christ, mais ils ont du mal à en tirer la conséquence qui pour Paul est évidente : si Christ est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons.

Il argumente en deux temps : d'abord, il réaffirme le fait de la Résurrection du Christ, ensuite il en tire les conséquences ; je commence par le premier point : Paul rappelle que la Résurrection du Christ est le socle de la foi chrétienne : « Si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien ». Un peu plus haut, il a même dit « Si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vide » ! Effectivement, si nous ne croyons plus à la Résurrection du Christ, tout l'édifice de notre foi s'effondre comme un château de cartes. C'est peut-être ce qui se passe pour un certain nombre de catholiques français : un sondage récent, paru dans la revue « Le Monde des Religions » révèle que sur les Français qui se reconnaissent catholiques, à peine plus d'un sur deux croit à la Résurrection du Christ, et parmi eux, une infime minorité croit à notre propre résurrection. Il nous faut donc lire et relire la lettre aux Corinthiens ! Car, si le Christ n'était pas ressuscité, alors il n'aurait été qu'un pauvre malheureux condamné et exécuté comme tant d'autres. Il serait mort pour rien. Il ne serait pas le Sauveur qu'on attendait, et toutes ses promesses n'auraient été que des vœux pieux.

Dans un deuxième temps, Paul tire les conséquences de la Résurrection du Christ. J'essaie de résumer son raisonnement : parce qu'il est ressuscité, (beaucoup l'ont vu vivant, et peuvent en témoigner), parce qu'il est ressuscité, alors oui, il est le sauveur du monde, l'envoyé de Dieu ; alors oui, tout ce qu'il a dit et promis est vrai. Désormais, nous sommes à notre tour, des temples de l'Esprit. C'est-à-dire que l'Esprit vit en nous, l'Esprit d'amour de Dieu lui-même nous anime (si nous le voulons, bien sûr). Or l'Esprit d'amour, c'est le contraire du péché, justement, puisque le péché, c'est notre manque d'amour pour Dieu et pour les autres. Voilà pourquoi Paul peut dire que nous sommes délivrés du péché.

Alors, parce que nous sommes, comme le Christ, habités par l'Esprit de Dieu, nous ressusciterons comme lui. Ce qui fut le temple de l'Esprit peut être transformé, cela ne peut pas être détruit pour toujours. La mort biologique peut bien détruire notre corps, mais Jésus le relèvera ; vous vous rappelez sa phrase : « Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai ». Sur le moment, on a cru qu'il parlait du temple de Jérusalem, mais Saint Jean dit qu'ils ont compris plus tard qu'il parlait de sa résurrection.

Paul ajoute : « Le Christ est ressuscité d'entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. » Ceci est la traduction française, mais, dans le texte grec, pour dire que le Christ est le premier, Paul emploie un mot qui veut dire « prémices » au sens de commencement d'une longue série. Dans l'Ancien Testament, on appelait « prémices » les prélèvements que l'on faisait sur les premiers produits du sol et qui étaient le signal que la récolte commençait. Dire que Jésus est ressuscité comme « prémices de ceux qui sont morts », c'est dire qu'il est le frère aîné de la multitude humaine, Paul dit ailleurs le premier-né : « Il est la tête du corps... Il est le commencement, premier-né d'entre les morts, afin de tenir en tout, lui, le premier rang... » (Col 1, 18).

En définitive, il faut, comme toujours, revenir au dessein bienveillant de Dieu, qui est de réunir l'humanité tout entière en Jésus-Christ : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l'univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. » (Ep 1, 9-10). Dieu n'a évidemment pas prévu de réunir des morts mais des vivants. Jésus a pris très nettement parti là-dessus dans sa discussion avec les Sadducéens : « Pour ce qui est de la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite ? Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ? Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » (Mt 22, 31-32).

Nous découvrons là une facette du mystère de l'Incarnation à laquelle nous ne pensons pas toujours : Dieu prend notre humanité, notre corps très au sérieux. Le Verbe s'est fait chair ; il est devenu en tous points semblable aux hommes, tellement semblable que son destin est le nôtre : s'il est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons.

La résurrection du Christ n'est donc pas seulement le dénouement heureux de son histoire personnelle : elle est le premier matin de la victoire de l'humanité sur la mort ; le premier-né est entré dans la vie qui ne finit pas. La mort n'est plus un mur, elle est une porte... nous nous y engouffrons derrière lui.

Ce qui veut dire que la foi chrétienne est radicalement incompatible avec toute idée de réincarnation ! Notre dignité va jusque-là : même si notre corps est parfois bien pauvre et défait, Dieu ne le traite jamais comme une dépouille qu'on peut jeter et remplacer ; notre personne est un tout ; il nous arrive de nous mépriser nous-mêmes, mais, aux yeux de Dieu, si j'ose dire, chacun d'entre nous est unique et irremplaçable. C'est notre être tout entier qui est appelé à vivre pour toujours auprès de lui.

EVANGILE - Luc 6, 17......26

17 Jésus descendit de la montagne avec les douze Apôtres
et s'arrêta dans la plaine.
Il y avait là un grand nombre de ses disciples,
et une foule de gens
venus de toute la Judée, de Jérusalem,
et du littoral de Tyr et de Sidon.
20 Regardant ses disciples, Jésus dit :
« Heureux, vous les pauvres :
le royaume de Dieu est à vous !
21 Heureux, vous qui avez faim maintenant :
vous serez rassasiés !
Heureux, vous qui pleurez maintenant :
vous rirez !
22 Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent
et vous repoussent,
quand ils insultent
et rejettent votre nom comme méprisable,
à cause du Fils de l'homme.
23 Ce jour-là, soyez heureux et sautez de joie,
car votre récompense est grande dans le ciel :
c'est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes.
24 Mais malheureux, vous les riches :
vous avez votre consolation !
25 Malheureux, vous qui êtes repus maintenant :
vous aurez faim !
Malheureux, vous qui riez maintenant :
vous serez dans le deuil et vous pleurerez.
26 Malheureux êtes-vous
quand tous les hommes disent du bien de vous :
c'est ainsi que leurs pères traitaient les faux prophètes. »

La première lecture, tirée du livre de Jérémie, nous avait mis en garde : ne mettez pas votre confiance en vous-mêmes et en vos richesses de toutes sortes... ne vous appuyez que sur Dieu seul. L'évangile des Béatitudes va encore plus loin : Heureux, les pauvres ; mettez votre confiance en Dieu : Il vous comblera de ses richesses... SES richesses...! « Heureux », cela veut dire « bientôt on vous enviera » ! Il faut dire premièrement que ce n'étaient pas les gens socialement influents, importants, qui formaient le gros des foules qui suivaient Jésus ! On lui a assez reproché de frayer avec n'importe qui ! Deuxièmement, le mot « pauvres » dans l'Ancien Testament n'a aucun rapport avec le compte en banque : les « pauvres » au sens biblique (les « anawim ») ce sont ceux qui n'ont pas le coeur fier ou le regard hautain, comme dit le psaume ; on les appelle « les dos courbés » : ce sont les petits, les humbles du pays, dans le langage prophétique. Ils ne sont pas repus, satisfaits, contents d'eux, il leur manque quelque chose. Alors Dieu pourra les combler.

On retrouve là le langage des prophètes : tantôt sévère, menaçant... tantôt encourageant ; sévère, menaçant quand le peuple fait fausse route, se trompe de valeurs ; encourageant quand le peuple traverse des périodes de détresse et de désespoir. Ici Jésus, regardant ses disciples et, au-delà d'eux la foule, éduque leur regard : il reprend ces deux langages prophétiques ; et on retrouve là le même discours que dans la première lecture de ce dimanche, le texte de Jérémie : vous qui mettez votre confiance dans les richesses matérielles, dans votre position sociale, vous qui êtes bien vus, « bientôt, on ne vous enviera pas ! » Vous n'êtes pas sur la bonne route. Si vous étiez sur la bonne voie, vous ne seriez pas si riches, pas si bien vus.

Un vrai prophète s'expose à déplaire, Jésus en sait quelque chose ; un vrai prophète n'a ni le temps ni la préoccupation d'amasser de l'argent, ou de soigner sa publicité... On peut tout à fait appliquer à Jésus-Christ ces quatre Béatitudes : lui, le pauvre qui n'avait pas une pierre pour reposer sa tête et qui est mort dans le dénuement et l'abandon ; lui qui a pleuré le deuil de son ami Lazare ; et qui a connu l'angoisse du Jardin des Oliviers ; lui qui a pleuré sur le malheur de Jérusalem ; lui qui a eu faim et soif, au désert et jusque sur la croix ; lui qui a été méprisé, calomnié, persécuté, et pour finir, supprimé au nom des bons principes et de la vraie religion (ce qui est quand même un comble si on y réfléchit !)

En proclamant « heureux » ceux qui vivent ces Béatitudes, à commencer par lui-même, Jésus rend grâce en quelque sorte : car il sait de quel regard d'amour son Père l'enveloppe ; et il sait que la victoire est déjà acquise : la promesse de la Résurrection se profile déjà derrière ces Béatitudes. Il nous révèle ce regard de Dieu, cette miséricorde de Dieu : étymologiquement, le mot « miséricorde » signifie des entrailles qui vibrent ; ce texte vient nous dire : il y a le regard de l'homme, il y a le regard de Dieu ; l'admiration de l'homme se trompe souvent d'objet : son admiration va vers les riches, les repus, les gâtés de la vie. Le regard de Dieu est tout autre : « un pauvre a crié, Dieu l'entend » dit le psaume ; ou encore « d'un coeur brisé et broyé, Dieu n'a point de mépris » (Ps 51). Isaïe va même jusqu'à dire : « Dans la souffrance qui broie son serviteur, Dieu l'aime avec un amour de prédilection. » (Is 53). Les pauvres, les persécutés, ceux qui ont faim, ceux qui pleurent, Dieu se penche sur eux avec prédilection : non pas en vertu d'un mérite de leur part, mais en raison de leur situation même. Et Jésus ouvre ici nos yeux sur une autre dimension du bonheur : le véritable bonheur, c'est ce regard de Dieu sur nous. Et alors, sûrs de ce regard de Dieu, les pauvres, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim, trouveront la force de prendre leur destin en main ; comme le traduit André Chouraqui, le mot « heureux » veut aussi dire « en marche ». Par exemple, le peuple guidé par Moïse a trouvé la force de sa longue marche au désert dans la certitude de la présence constante de Dieu à ses côtés. Encore une fois, cette opposition entre béatitudes et malédictions ne divise pas l'humanité en deux populations distinctes : ceux qui méritent ces paroles de réconfort et ceux qui n'encourent que réprobation. Nous faisons partie tour à tour de l'un ou l'autre groupe, et c'est à chacun de nous que le Christ dit « en marche...! »

Je disais plus haut que ces Béatitudes sont d'abord applicables à Jésus-Christ : elles le sont ensuite aux disciples ; Luc nous dit : « Regardant ses disciples, Jésus dit : Heureux, vous les pauvres : le royaume de Dieu est à vous ! Heureux, vous qui avez faim maintenant : vous serez rassasiés ! » ; traduisez « Vous qui me suivez, voilà ce que vous récolterez : la faim, la soif, la pauvreté ; vous pleurerez de découragement dans l'entreprise d'évangélisation, vous serez persécutés, assassinés les uns après les autres, mais vous avez fait le bon choix ».

« Vous serez rassasiés, consolés, soyez heureux et sautez de joie » : c'était déjà dans l'Ancien Testament, la manière de parler du bonheur qu'apporterait le Messie ; les disciples connaissaient bien ces expressions ; ils comprennent du coup très bien ce que Jésus leur annonce ici : « Vous qui êtes sortis de la foule pour me suivre, vous n'êtes pas partis pour récolter les honneurs ni la richesse, mais vous avez fait le bon choix, puisque vous avez su reconnaître en moi le Messie ».

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12 février 2010 5 12 /02 /février /2010 23:53
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

Cinquième dimanche du temps ordinaire

PREMIERE LECTURE - Isaïe 6, 1...8

1 L'année de la mort du roi Ozias,
je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ;
les pans de son manteau remplissaient le Temple.
2 Des séraphins se tenaient au-dessus de lui.
3 Ils se criaient l'un à l'autre :
« Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu de l'univers.
Toute la terre est remplie de sa gloire. »
4 Les pivots des portes se mirent à trembler
à la voix de celui qui criait,
et le Temple se remplissait de fumée.
5 Je dis alors :
« Malheur à moi ! Je suis perdu,
car je suis un homme aux lèvres impures,
j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures ;
et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l'univers ! »
6 L'un des séraphins vola vers moi,
tenant un charbon brûlant
qu'il avait pris avec des pinces sur l'autel.
7 Il l'approcha de ma bouche et dit :
« Ceci a touché tes lèvres,
et maintenant ta faute est enlevée,
ton péché est pardonné. »
8 J'entendis alors la voix du Seigneur qui disait :
« Qui enverrai-je ?
Qui sera notre messager ? »
Et j'ai répondu :
« Moi, je serai ton messager :
envoie-moi. »

La semaine dernière, nous lisions le récit de la vocation de Jérémie, aujourd'hui, celle d'Isaïe ; deux très grands prophètes à nos yeux. Et pourtant, l'un comme l'autre avouent leur petitesse : Jérémie se sent incapable de parler, mais puisque Dieu a pris l'initiative de le choisir, c'est Dieu aussi qui l'inspirera et lui donnera la force nécessaire. Isaïe, lui, est saisi par un sentiment d'indignité ; mais là encore, puisque c'est Dieu qui l'a choisi, c'est Dieu aussi qui le purifiera.
Jérémie était prêtre et nous ne savons pas où il a reçu l'appel de Dieu ; curieusement, c'est Isaïe qui n'était pas prêtre, qui situe sa vocation au Temple de Jérusalem : « L'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ». Quand Isaïe nous dit « je vis », cela veut dire qu'il s'agit non pas d'un récit, mais d'une vision ; ne cherchons donc pas dans son évocation un déroulement logique d'événements. Les livres prophétiques sont émaillés de visions fantastiques : à nous de décoder ce langage extrêmement suggestif, même s'il surprend notre mentalité contemporaine.

Isaïe nous dit qu'en ce qui le concerne, cela s'est passé « l'année de la mort du roi Ozias » : c'est une indication précieuse. Il est rare que nous puissions évoquer des dates avec autant de précision ; cette fois, nous le pouvons car on sait que le roi Ozias a régné à Jérusalem de 781 à 740 av J.C. Depuis la mort du roi Salomon (en 933, c'est-à-dire depuis près de deux cents ans), le royaume de David et de Salomon est divisé : il y a deux royaumes, deux rois, deux capitales : au Sud, Ozias est roi de Jérusalem, au Nord, Menahem est roi de Samarie. On sait également que Ozias était lépreux et qu'il est mort de cette maladie à Jérusalem en 740. C'est donc cette année-là qu'Isaïe a reçu sa vocation de prophète : ensuite, il a prêché pendant environ quarante ans (là on est moins précis) et il est resté dans la mémoire collective d'Israël comme un très grand prophète et en particulier le prophète de la sainteté de Dieu.

« Saint, Saint, Saint le Seigneur, Dieu de l'univers. Toute la terre est remplie de sa gloire » : vous avez reconnu le Sanctus de nos messes. Il date donc au moins du prophète Isaïe. (Peut-être cette acclamation faisait-elle déjà partie de la liturgie au Temple de Jérusalem, mais on n'en a pas la preuve ; on a seulement retrouvé des expressions équivalentes plus anciennes en Egypte).

Dire que Dieu est « Saint », au sens biblique, c'est dire qu'il est Tout Autre que l'homme. Dieu n'est pas à l'image de l'homme ; bien au contraire, ce que la Bible affirme c'est l'inverse : c'est l'homme qui est « à l'image de Dieu » ; ce n'est pas la même chose ! Cela veut dire que nous devrions rester très modestes et très prudents chaque fois que nous parlons de Dieu ! Parce que Dieu est le Tout Autre, il nous est radicalement, irrémédiablement impossible de l'imaginer tel qu'il est, nos mots humains ne peuvent jamais rendre compte de lui.

La première partie de la vision d'Isaïe dit bien cette prise de conscience fondamentale ; et ce qu'il nous décrit ressemble étrangement à d'autres évocations des grandes manifestations de Dieu dans la Bible : Dieu est assis sur un trône très élevé, une fumée se répand et remplit tout l'espace, une voix tonne... elle tonne si fort que les lieux tremblent... Isaïe ne peut pas s'empêcher de penser à ce qui s'était passé pour Moïse sur la montagne du Sinaï, au moment où Dieu avait fait alliance avec son peuple et donné les tables de la Loi ; c'est le livre de l'Exode qui raconte : « Le mont Sinaï n'était que fumée, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d'une fournaise, et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s'amplifia : Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre. » (Ex 19, 18-19).

L'homme Isaïe mesure alors sa petitesse et il ressent comme une sorte de crainte : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures ; et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l'univers ! » Cette « crainte », comme découverte de notre petitesse, du fossé infranchissable qui nous sépare de Dieu si Dieu lui-même ne le comble pas, est une première étape indispensable dans notre relation à Dieu. Mais Dieu n'en reste pas là. D'ordinaire, dans la Bible, il y a toujours cette parole de la part de Dieu : « ne crains pas »... Ici, la parole n'est pas dite mais elle est remplacée par un geste très suggestif : un des séraphins, un de ceux qui, justement, proclament la sainteté de Dieu, va accomplir le geste qui purifie l'homme, qui comble le fossé, qui permet à l'homme d'entrer en relation avec Dieu : « L'un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu'il avait pris avec des pinces sur l'autel. Il l'approcha de ma bouche... » Manière de dire que c'est Dieu qui prend l'initiative de se faire proche de l'homme ; ce fossé qui nous sépare de Dieu, c'est Dieu lui-même qui le comble.

Quand Isaïe parlera de Dieu, plus tard, il lui arrivera souvent de l'appeler « Le Saint d'Israël » : cette expression dit bien que Dieu est le Saint, le Tout-Autre, mais aussi qu'il s'est fait proche de son peuple, puisque celui-ci peut aller jusqu'à revendiquer une relation d'appartenance (Dieu est « Le Saint d'Israël »). Cette relation qui s'instaure alors à l'initiative de Dieu peut être très profonde puisqu'ici pour Isaïe, il s'agit d'une mission de confiance : il s'agit de devenir rien moins que le porte-parole de Dieu. On dit parfois des prophètes qu'ils sont la bouche même de Dieu ; au fait, si on y réfléchit, la même expression peut désormais nous être appliquée depuis notre baptême...
... de quoi nous laisser rêveurs !

PSAUME 137 ( 138 )

1 De tout mon coeur, Seigneur, je te rends grâce,
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
2 vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
3 Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

4 Tous les rois de la terre te rendent grâce
quand ils entendent les paroles de ta bouche.
5 Ils chantent les chemins du Seigneur :
« Qu'elle est grande, la gloire du Seigneur ! »

7c Ta droite me rend vainqueur.
8 Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n'arrête pas l'oeuvre de tes mains.


Il se dégage de ce psaume une impression très particulière, très douce, de joie profonde et de sérénité. Dès le premier verset, tout est dit. Par exemple, l'expression « rendre grâce » est répétée : « De tout mon coeur, Seigneur, je te rends grâce »... « Je rends grâce à ton nom ». Le croyant est celui qui vit dans la grâce de Dieu et qui le reconnaît tout simplement, le cœur noyé de reconnaissance.

J'ait dit « le croyant », mais ce croyant n'est pas un individu particulier, c'est le peuple d'Israël, comme toujours dans les psaumes, qui parle ici et qui rend grâce pour l'Alliance que Dieu lui a proposée. Cela s'entend à la répétition du nom « SEIGNEUR » qui revient cinq fois dans ces quelques versets. C'est le fameux NOM de Dieu, ce que nous appelons le « tétragramme » puisqu'il s'agit de quatre consonnes, ce Nom révélé par Dieu à Moïse au Sinaï au moment de l'épisode du buisson ardent (Ex 3). Dieu s'est encore révélé à Moïse au cours de l'Exode dans le Sinaï, sous le nom de « amour et vérité » : nous l'entendons également ici : « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité ». Nous retrouvons cette même expression « amour et vérité » à plusieurs reprises dans d'autres psaumes et dans l'ensemble de la Bible ; c'est la précieuse découverte d'Israël, grâce au souffle de Dieu, bien sûr. On peut la lire au chapitre 34 de l'Exode : « (je suis) le Seigneur, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein d'amour et de vérité ». (Ex 34, 6). Et ce n'est pas un hasard si cette révélation de la tendresse de Dieu est intervenue après l'épisode du veau d'or, c'est-à-dire une infidélité caractérisée du peuple. Car c'est précisément à l'occasion de ses infidélités répétées que le peuple d'Israël a fait l'expérience de l'inépuisable miséricorde de Dieu.

C'est cette fidélité de Dieu que l'on chante inlassablement au Temple de Jérusalem : « Vers ton temple sacré je me prosterne » ... le décor ici est le même que dans le récit de la vocation d'Isaïe que nous avons lu en première lecture... et le psaume continue : « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité ». Dans le récit de la vocation d'Isaïe, l'accent était mis sur la Sainteté de Dieu, le fossé qui nous sépare de Dieu, et que nous ne pouvons combler par nos propres forces ni par aucune action, si méritoire soit-elle... C'est Dieu lui-même qui en permanence comble ce fossé et nous invite à entrer dans son intimité. Dans ce psaume, nous découvrons en quoi consiste la Sainteté de Dieu : Dieu est Amour et vérité : voilà sa sainteté... et c'est vrai qu'en cela un fossé nous sépare de Lui.

A la fin du psaume, nous retrouvons une autre expression de cette prise de conscience de l'amour de Dieu : « éternel est ton amour », vous avez reconnu le refrain du psaume 136 (135) qui est, lui aussi, un rappel de la libération de l'Exode. L'allusion à la « droite » (traduisez la main) de Dieu (dans le verset « Ta droite me rend vainqueur ») est encore un autre rappel de l'Exode : car, selon l'expression consacrée, Dieu nous a libérés « par sa main forte et son bras étendu » (Dt 4, 34).
Cette Alliance du Sinaï a fait d'Israël le bénéficiaire de la Révélation, le confident de Dieu ; et c'est ce qui vient d'être exprimé de plusieurs manières. Mais Israël a découvert également que ce n'est pas le tout d'être le confident de Dieu. Désormais, il doit en être le prophète : c'est-à-dire qu'il a la charge, la responsabilité de proclamer l'amour et la vérité de Dieu à l'ensemble de l'humanité.

C'est le sens du verset : « Tous les rois de la terre te rendent grâce ». A dire vrai, c'est pour le moins une anticipation ! Tous les rois de la terre ne sont pas encore convertis, ni au temps de David, ni même à la fin de l'Ancien Testament, et pas encore non plus aujourd'hui... loin de là ! Mais cette anticipation, on y tient : elle est un rappel du double aspect de la vocation d'Israël dont je viens de parler. Pour que les rois de la terre s'inclinent devant Dieu, il faudra qu'ils aient entendu la Bonne Nouvelle. Le psaume dit bien : « Tous les rois de la terre te rendent grâce quand ils entendent les paroles de ta bouche ». Quand Israël aura rempli sa mission de témoin de Dieu, alors on pourra chanter vraiment : « De tout mon coeur je te rends grâce // tous les rois de la terre te rendent grâce ».
Dernière remarque à propos d'une phrase apparemment toute simple : « Je te chante en présence des anges ». Il est intéressant de noter que, dans la Bible en hébreu, la formule était : « Je te chante devant les Elohîm ». En hébreu le mot « Elohîm » signifie « les dieux ». C'était une sorte de profession de foi, manière d'affirmer qu'Israël ne tombe pas dans l'idolâtrie : Dieu seul est Dieu, les Elohîm, c'est-à-dire les idoles, les dieux des autres peuples ne sont que néant. Mais s'il est utile de l'affirmer, c'est que le danger n'est pas totalement écarté. Cela sonne donc plutôt comme une résolution.

En revanche, quand la Bible hébraïque a été traduite en grec, les traducteurs, considérant probablement qu'il n'y avait plus de danger d'idolâtrie ont remplacé le mot « Elohîm » (les dieux) par les anges. D'où notre verset : « Je te change en présence des anges ». (Or notre psautier liturgique s'inspire du grec).

Enfin, le psaume se termine par une prière : « n'arrête pas l'oeuvre de tes mains », ce qui veut dire « continue malgré nos infidélités répétées » ; il faut lire ensemble les deux phrases « Seigneur, éternel est ton amour : n'arrête pas l'oeuvre de tes mains. » C'est parce que l'amour de Dieu est éternel que nous savons qu'il n'arrêtera pas « l'oeuvre de ses mains ».

DEUXIEME LECTURE - 1 Co 15, 1-11

1 Frères,
je vous rappelle la Bonne Nouvelle
que je vous ai annoncée ;
cet Evangile, vous l'avez reçu,
et vous y restez attachés ;
2 vous serez sauvés par lui
si vous le gardez tel que je vous l'ai annoncé ;
autrement, c'est pour rien que vous êtes devenus croyants.
3 Avant tout, je vous ai transmis ceci,
que j'ai moi-même reçu :
le Christ est mort pour nos péchés
conformément aux Ecritures,
4 et il a été mis au tombeau ;
il est ressuscité le troisième jour
conformément aux Ecritures,
5 et il est apparu à Pierre, puis aux Douze ;
6 ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois
- la plupart sont encore vivants,
et quelques-uns sont morts -,
7 ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres.
8 Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l'avorton que je suis.
9 Car moi, je suis le plus petit des Apôtres,
je ne suis pas digne d'être appelé Apôtre,
puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu.
10 Mais ce que je suis,
je le suis par la grâce de Dieu,
et la grâce dont il m'a comblé n'a pas été stérile :
je me suis donné de la peine plus que tous les autres ;
à vrai dire, ce n'est pas moi,
c'est la grâce de Dieu avec moi.
11 Bref, qu'il s'agisse de moi ou des autres,
voilà notre message,
et voilà votre foi.




« Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même reçu... » nous dit Paul. Si nous sommes ici, à lire les lettres de Saint Paul, c'est parce que depuis deux mille ans, génération après génération, l'Evangile se transmet : notre foi, nous la devons à ceux qui nous ont précédés. On peut comparer cette transmission de l'Evangile à une course de relais : sur le même parcours, régulièrement, les coureurs sont remplacés par de nouvelles équipes, de nouveaux concurrents, auxquels ils transmettent un objet (qu'on appelle le « relais », le « témoin ») ; entendons-nous bien, la foi n'est pas un objet, mais gardons l'idée d'une course ; pour l'Evangile, le relais se transmet depuis deux mille ans sans défaillance ;
Paul ne fait pas partie de l'équipe qui a pris le départ la première : en dehors de l'apparition sur le chemin de Damas, il n'a pas connu le Christ, il n'a pas été témoin des événements de la vie de Jésus de Nazareth. Mais il peut citer ses sources : ce sont les Apôtres de la première génération, si l'on peut dire (et pour lui, plus précisément, Ananie, Barnabé et la communauté chrétienne d'Antioche de Syrie) ; grâce à eux, lui, Paul, a reçu le témoin et il le transmet à son tour. Ce qu'il transmet c'est l'Evangile, la Bonne Nouvelle qui tient en deux phrases, mieux en deux mots ! Deux phrases, les voici : « le Christ est mort pour nos péchés, il est ressuscité le troisième jour » ; deux mots : mort / ressuscité ; ce sont les deux piliers de notre foi.

Pour appuyer son propos, Paul affirme que tout cela est conforme aux Ecritures (c'est-à-dire, à l'heure où il écrit, à l'Ancien Testament) : « Le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Ecritures, et il a été mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Ecritures ». En réalité, on ne trouve nulle part dans les Ecritures des affirmations concernant explicitement la mort et la résurrection du Messie : la formule « conformément aux Ecritures » ne signifie pas que tout était écrit d'avance ; la formule « selon les Ecritures » signifie que tout ce qui est arrivé est conforme au dessein bienveillant de Dieu ; on pourrait remplacer ici le mot « Ecritures » par le mot « projet de Dieu » ou « promesse de Dieu » : conformément à la promesse de Dieu, le Christ est mort pour nos péchés, c'est-à-dire nos péchés sont effacés... Conformément à la promesse de Dieu, le Christ est ressuscité, c'est-à-dire la mort est vaincue. L'Ancien Testament résonnait de ces promesses : promesses de pardon des péchés, promesses de salut, promesses de vie.

Par exemple, l'expression « le troisième jour », à elle seule, dans l'Ancien Testament, évoquait une promesse de salut, de libération ; dire « il y aura un troisième jour » revenait à dire « Dieu interviendra ». Le troisième jour, au mont Moryyah, Dieu avait suggéré à Abraham la solution pour sauver Isaac (Gn 22, 4) ; le troisième jour, Joseph, en Egypte, avait rendu la liberté à ses frères (Gn 42, 18) ; le troisième jour, le Seigneur s'était manifesté à son peuple rassemblé au pied du Mont Sinaï (Ex 19, 11. 16) ; le troisième jour, Jonas enfin converti avait retrouvé la terre ferme et sa mission (Jon 2, 1) ; c'est bien ainsi qu'on interprétait la parole d'Osée : « Il nous guérira après deux jours ; au troisième jour nous serons ressuscités et nous vivrons devant lui. » (Os 6, 2). Le troisième jour n'est donc pas une donnée chronologique mais l'expression d'une espérance : celle du triomphe de la vie au bénéfice de tous. Proclamer « Le Christ est ressuscité le troisième jour conformément aux Ecritures » est donc bien l'affirmation d'un salut pour tous. Un salut qui est le triomphe de la vie ; un salut actuel pour tous les temps et pour tous les hommes puisque le Christ est vivant pour toujours.

Cette Bonne Nouvelle, nous dit Paul, il faut absolument y rester attachés : « Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Evangile, vous l'avez reçu, et vous y restez attachés ; vous serez sauvés par lui si vous le gardez tel que je vous l'ai annoncé. » « Vous serez sauvés », c'est-à-dire vous pourrez participer à ce triomphe de Jésus-Christ sur la mort et le péché : grâce à lui, ou greffés sur lui, vous ferez partie de cette humanité nouvelle désormais animée par l'Esprit Saint.

Ce salut, Paul l'a expérimenté lui-même, lui le persécuteur pardonné, converti et transformé en colonne de l'Eglise... lui qui n'oubliera jamais qu'il a été un persécuteur des Chrétiens : « Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé Apôtre, puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. » Plus qu'aucun autre il est bien placé pour en parler ! Il suffit de croire au pardon pour être pardonné... Voilà la merveille de l'amour de Dieu pour l'humanité, un amour sans conditions, un amour sans cesse offert. C'est cela qu'en théologie, on appelle la « grâce ». Une grâce qu'il nous suffit d'accepter. Paul, comme Isaïe, comme Pierre, a grande conscience de son péché ; mais il laisse la grâce de Dieu agir en lui : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m'a comblé n'a pas été stérile : je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi. » D'un « avorton » (Paul) Dieu a fait un apôtre, le plus ardent qui soit, tout comme, de Jérémie, le jeune homme timide, il avait fait un prophète intrépide, comme d'Isaïe aux lèvres impures, il a fait la « bouche de Dieu », comme de Pierre, le renégat, il a fait le fondement de son Eglise.
Un salut qu'il suffit d'accepter : c'est vraiment une Bonne Nouvelle ! Il ne reste plus qu'à la crier sur les toits !

EVANGILE - Luc 5, 1-11

1 Un jour, Jésus se trouvait sur le bord du lac de Génésareth :
la foule se pressait autour de lui pour écouter la parole de Dieu.
2 Il vit deux barques amarrées au bord du lac ;
les pêcheurs en étaient descendus
et lavaient leurs filets.
3 Jésus monta dans l'une des barques, qui appartenait à Simon,
et lui demanda de s'éloigner un peu du rivage.
Puis il s'assit et, de la barque, il enseignait la foule.
4 Quand il eut fini de parler,
il dit à Simon :
« Avance au large,
et jetez les filets pour prendre du poisson. »
5 Simon lui répondit :
« Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ;
mais, sur ton ordre,
je vais jeter les filets. »
6 Ils le firent,
et ils prirent une telle quantité de poissons
que leurs filets se déchiraient.
7 Ils firent signe à leurs compagnons de l'autre barque
de venir les aider.
Ceux-ci vinrent,
et ils remplirent les deux barques,
à tel point qu'elles enfonçaient.
8 A cette vue,
Simon-Pierre tomba aux pieds de Jésus, en disant :
« Seigneur, éloigne-toi de moi,
car je suis un homme pécheur. »
9 L'effroi, en effet, l'avait saisi,
lui et ceux qui étaient avec lui,
devant la quantité de poissons qu'ils avaient prise ;
10 et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, ses compagnons.
Jésus dit à Simon :
« Sois sans crainte,
désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
11 Alors ils ramenèrent les barques au rivage
et, laissant tout, ils le suivirent.


On n'a pas beaucoup l'habitude de comparer l'Apôtre Pierre au prophète Isaïe, et pourtant le rapprochement des textes de la liturgie de ce cinquième dimanche nous y invite, en nous faisant lire les récits de leurs vocations. Le décor n'est pas le même : pour Isaïe, cela se passait au cours d'une vision qui se déroulait dans le temple de Jérusalem ; Pierre, lui, est sur le lac de Tibériade (appelé aussi lac de Génésareth). L'un et l'autre sont subitement mis en présence de Dieu lui-même : Isaïe au cours de sa vision, Pierre parce qu'il assiste à un miracle. Les précisions apportées par Luc ne laissent aucun doute là-dessus : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre », c'est le constat de l'homme de métier. Puis, le succès inespéré de l'entreprise pourtant vouée à l'échec à vues humaines : si la pêche ne donne rien la nuit, elle a encore moins de chances d'être fructueuse le jour, tous les pêcheurs le disent ; mais sur la simple parole de Jésus, le miracle se produit : « Ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se déchiraient. »

Et tous les deux, Pierre et Isaïe, ont la même réaction devant cette irruption de Dieu dans leur vie ; tous les deux ont une même conscience de la sainteté de Dieu et de l'abîme qui nous sépare de lui. Et leurs expressions à tous les deux se ressemblent beaucoup : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur », dit Pierre ; et Isaïe disait « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures ; et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l'univers ! »

Mais, apparemment, ce n'est pas notre péché, notre indignité qui arrête Dieu ! Il lui suffit que nous en prenions conscience, que nous soyons en vérité devant lui. Car le jour où nous prenons conscience de notre pauvreté, Dieu peut nous combler. Tous les deux, Pierre et Isaïe, sont donc en proie à une espèce de crainte devant la manifestation évidente de Dieu. Alors, toujours dans sa vision, Isaïe voit s'accomplir le geste qui le purifie et le rassure ; Pierre, lui, entend la parole de réconfort de Jésus : « Sois sans crainte ». Enfin, tous les deux reçoivent une vocation, au service du même projet de Dieu, bien sûr, qui est le salut des hommes. Isaïe sera un messager, un prophète. Pierre sera un pêcheur d'hommes, un « sauveteur ».

« Ce sont des hommes que tu prendras » : en grec, le sens du mot employé ici est « prendre vivant » ; quand il s'agit de poissons, c'est le mot qu'on emploie pour la pêche au filet : capturer des poissons, les arracher à la mer, c'est les tuer parce que la mer est leur milieu naturel... Mais quand il s'agit des hommes que l'on arrache à la mer, il signifie sauver : prendre vivants des hommes, les arracher à la mer, c'est les empêcher de se noyer, c'est les sauver. Sur cette phrase de Jésus, « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras », Pierre ne répond pas ; la simplicité du texte est impressionnante : « Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. » Encore faut-il s'entendre sur le sens du mot « suivre » : les disciples ne se contenteront pas de suivre le maître pour l'écouter ; ils seront associés à sa tâche, ils deviendront ses collaborateurs. Même si l'entreprise paraît vouée à l'échec à vues humaines, il faudra continuer à lancer les filets. Nous sommes placés là devant le mystère extraordinaire de notre collaboration à l'oeuvre de Dieu : nous ne pouvons rien faire sans Dieu, mais Dieu ne veut rien faire sans nous. Comme disait Paul dans la deuxième lecture, c'est la grâce de Dieu qui fait tout : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m'a comblé n'a pas été stérile : je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi. »

La seule collaboration qui nous est demandée, si on y réfléchit, c'est la confiance et la disponibilité. Tout a commencé parce que Pierre a fait confiance : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets. » A ce maître qu'il vient d'entendre parler à la foule longuement, il fait confiance, assez pour l'écouter, assez pour se risquer à une nouvelle tentative de pêche ; après le miracle, il ne dit plus « Maître », il dit « Seigneur », le nom réservé à Dieu ; et c'est aux pieds du Seigneur qu'il se prosterne ; et alors il est prêt à entendre l'appel : pour se risquer à cette nouvelle sorte de pêche que lui propose Jésus, il faut le reconnaître comme le Seigneur.

Grâce à la générosité d'Isaïe qui a accepté de devenir messager, grâce à la générosité de Pierre et de ses compagnons qui ont tout laissé pour suivre Jésus, grâce à la générosité de Paul qui, après le chemin de Damas, a consacré le reste de sa vie à témoigner du Christ ressuscité, à notre tour, nous sommes là ; la parole du Christ résonne encore à nos oreilles : « Avance au large, et jetez les filets »... A notre tour de répondre : « Sur ton ordre, nous jetterons les filets ».
Moralité : faisons confiance et acceptons de jeter nos filets. Pour que la pêche soit miraculeuse, il suffit de croire en Lui.

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3 février 2010 3 03 /02 /février /2010 10:42
C'est avec grand plaisir que j'ai appris, hier, la tenue d'un colloque susceptible d'intéresser, non seulement tous les catholiques, mais également tous les hommes de bonne volonté prêts à découvrir ou approfondir ce que dit Benoît XVI dans son encyclique "Caritas in veritate", en particulier à propos de la liberté et des relations Etat / Société civile.

Ce colloque est le 4e organisé par l'AEC (Association des Economistes Catholiques) et la l'Association pour la Fondation de Service Politique sur le théme "Actualité de la Doctrine Sociale de l'Eglise".

En voici le programme.


ACTUALITÉ de

LA DOCTRINE SOCIALE

de l’EGLISE

 

Quatrième colloque organisé par

 

l’Association des Economistes Catholiques

 et

l’Association pour la Fondation de Service Politique

 

 

CARITAS IN VERITATE :
Un appel à libérer
la société civile


 

 

 

 

 

Paris,

Samedi 20 mars 2010

 

 



PROGRAMME

Modérateur du colloque : François de LACOSTE-LAREYMONDIE

Fondation de Service Politique

 

MATINÉE

 

 9 h 30     Introduction, par François de LACOSTE-LAREYMONDIE (vice-président de la Fondation de Service Politique).

 

 9 h 40     La place du don et de la gratuité, par Mgr Nicolas BROUWET, Evêque auxiliaire de Nanterre.

 

10 h 10     La société civile selon Benoît XVI, par Jean-Yves NAUDET (Professeur de Sciences économiques de l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III), Président de l’AEC).

 

10 h 40                     La naissance de la société civile, par Jean-François MATTEI (Professeur émérite de philosophie à l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre de l’Institut Universitaire de France).

 

11 h 10                     Pause

 

11 h 30                     Table-ronde 1 (suivie d’une discussion) : Le contexte : la domination du binôme Etat/marché avec le Père Pierre COULANGE (Professeur de théologie au Studium Notre Dame de Vie), Pierre GARELLO (Professeur de Sciences économiques à l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III)), Jean-Pierre AUDOYER (Doyen de la FACO – Faculté Libre de Droit, d’Economie et de Gestion).

12 h 45    Pause déjeuner (Déjeuner libre : les participants sont invités à aller déjeuner dans le quartier).

 

 

APRES-MIDI

 

Comment rendre son vrai rôle à la société civile ?

 

14 h 45  Table-ronde 2  (suivie d’une discussion) : A qui appartiennent la famille, l’éducation, la culture ? avec Jean-Didier LECAILLON (Professeur de Sciences économiques à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), vice-président de l’AEC), Recteur Armel PECHEUL (Professeur de Droit public à l’Université d’Angers, Président du Conseil Scientifique de l’ICES), Aude de KERROS (peintre, graveur, essayiste).

 

15 h 45  Table-ronde 3 (suivie d’une discussion) : A qui appartient la solidarité ? avec Jacques BICHOT (Professeur émérite de l’Université Jean Moulin (Lyon III), vice-président de l’AEC), Hugues RENAUDIN (Président du Comité Français de Secours aux Enfants)

 

Séance de conclusion : la place du don et de la gratuité dans la société, la vie politique et l’économie

 

16 h 45    La charité dans l’ordre politique et économique, par Philippe BENETON (Professeur de Science Politique à l’Université de Rennes I).

 

17 h 15    Conclusion, par François de LACOSTE-LAREYMONDIE (vice-président de la Fondation de Service Politique).



Le colloque se déroulera

le samedi 20 mars  2010

 à partir de 9 h 30 (accueil dès 9 h 00)

Paroisse Saint-Pierre du Gros Caillou,

92, rue Saint Dominique – 75007 Paris

 

 

Entrée libre, participation aux frais souhaitée

 

Renseignements

 

ASSOCIATION DES ECONOMISTES CATHOLIQUES

Jean-Yves NAUDET

22, avenue des Floralies

13770 VENELLES

tél : 04 42 17 28 73

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31 janvier 2010 7 31 /01 /janvier /2010 13:04

 

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

PREMIERE LECTURE - Jérémie 1, 4-5. 17-19

4 Le Seigneur m'adressa la parole et me dit :
5 « Avant même de te former dans le sein de ta mère,
je te connaissais ;
avant que tu viennes au jour,
je t'ai consacré ;
je fais de toi un prophète pour les peuples. »

17 « Lève-toi,
tu prononceras contre eux tout ce que je t'ordonnerai.
Ne tremble pas devant eux,
sinon, c'est moi qui te ferai trembler devant eux.
18 Moi, je fais de toi aujourd'hui une ville fortifiée,
une colonne de fer,
un rempart de bronze,
pour faire face à tout le pays,
aux rois de Juda et à ses chefs,
à ses prêtres et à tout le peuple
.
19 Ils te combattront,
mais ils ne pourront rien contre toi,
car je suis avec toi pour te délivrer
.
Parole du Seigneur. »

 

Jérémie fut un très grand prophète à Jérusalem, on le sait ; ici, il nous dit sa vocation, son expérience spirituelle. Mais il faut d'abord se rappeler le contexte historique dans lequel il est intervenu. C'était une période extrêmement difficile de l'histoire du peuple juif. On ne sait ni la date de la naissance ni celle de la mort de Jérémie, mais on connaît à peu près les dates de sa prédication qui s'étend de 627 à 587 av.JC. environ ; c'est-à-dire une durée de quarante ans, ce qui est considérable ! Pendant ce temps-là, la situation politique a connu de grands bouleversements !

Les grandes puissances de l'époque, dans cette région tout au moins, sont l'empire assyrien, l'Egypte et bientôt Babylone. Le royaume de Jérusalem n'est qu'un tout petit pays coincé entre ces grandes puissances qui se disputent la domination sur tout le Moyen-Orient. Tantôt en paix, tantôt en guerre, mais toujours sous domination étrangère, le roi de Jérusalem ne sait pas bien quelle politique d'alliance adopter avec quelle puissance étrangère pour reconquérir son indépendance. En fait, il sera tour à tour vassal de ces trois puissances.


C'est dans ce contexte que Jérémie a entendu l'appel de Dieu : « Le Seigneur m'adressa la parole et me dit : Avant même de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t'ai consacré ». Jérémie a donc bien conscience de n'avoir rien décidé par lui-même, c'est Dieu qui l'a choisi ; le mot « consacrer » signifie « mettre à part » : de la part du Seigneur, cela équivaut à choisir, prédestiner. Et on sait que Jérémie a trouvé ce choix de Dieu bien exigeant ! En tout cas, depuis son premier instant, la vie tout entière de Jérémie a été orientée vers la mission confiée par Dieu. Entendons-nous bien : Dieu l'a « mis à part », comme il dit, mais c'est tout le contraire d'une mise à l'écart, d'un splendide isolement, d'une tour d'ivoire, comme on dirait aujourd'hui. Toute vocation, dans la Bible, est toujours une « mise à part » pour un service.

Un service qui, dans le cas présent, ressemble fort à un combat ! Car, à la lumière de sa vocation, Jérémie porte sur la monarchie et sur les autorités religieuses un jugement très sévère qu'on pourrait résumer en deux phrases : à la cour, le roi et les chefs politiques ne parlent que guerres, soulèvements, renversement d'alliances ; c'est-à-dire tout le contraire de la paix dont rêve le peuple. Quant au Temple, on ne se préoccupe que de belles liturgies, pendant que la justice sociale et la morale sont en pleine décadence ; on est donc en parfaite hypocrisie.

Au milieu de tout cela, le prophète doit être le porte-parole de Dieu ; il est là pour rappeler que la seule chose qui compte, la seule urgente, prioritaire, c'est l'Alliance avec Dieu, celle justement dont plus personne ne se préoccupe. Evidemment, ses vigoureuses remises en cause ne peuvent que soulever l'opposition ou, au mieux, la dérision. Dieu l'a bien prévenu : « Ils te combattront ». Et de fait, Jérémie a rencontré beaucoup d'opposition dans l'accomplissement de son ministère.

Le plus curieux dans cette histoire, c'est que pour cette tâche ingrate et qui exigeait beaucoup de courage, Dieu a choisi un jeune homme timide et « qui ne sait pas parler » (Jérémie le disait lui-même dans des versets qui ne font pas partie de la lecture de ce dimanche). Or il lui faudra parler, justement, crier, tempêter, prêcher... à temps et à contre-temps, tenir tête à tout un peuple et à son roi. En plus, c'est un coeur sensible, et il sera profondément bouleversé par le malheur de sa patrie ; mais l'heure n'est pas à la mollesse : et il lui faudra consacrer toute son énergie à rappeler (sans le moindre succès) l'urgence de la conversion. « Oiseau de mauvais augure », annonceur de catastrophes, il sera détesté, méprisé, ridiculisé jusque dans sa propre famille.

Et pourtant, rien ni personne ne le détournera de sa mission : car Dieu est avec lui dans toutes ses épreuves. Lui qui se sentait si misérable, c'est vraiment en Dieu seul qu'il a trouvé sa force. A travers les quelques lignes de ce texte pourtant bien court nous devinons l'expérience spirituelle de Jérémie. Nous entendons là comme un écho des Béatitudes : « Heureux les pauvres de coeur... » C'est bien parce qu'il se trouvait pauvre que Jérémie a laissé Dieu l'envahir de sa force. Car si on lit attentivement ce texte, c'est bien Dieu qui est le principal acteur dans la vie de Jérémie, c'est lui qui a toutes les initiatives : « Le Seigneur m'adressa la parole et me dit ... Je te connaissais... Je fais de toi... Je t'ordonnerai... Je suis avec toi... » Quant aux images, elles montrent bien quelle force intérieure il a fallu à Jérémie : « Moi, je fais de toi aujourd'hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze, pour faire face à tout le pays, aux rois de Juda et à ses chefs, à ses prêtres et à tout le peuple. »

Des siècles plus tard, Jésus, lui aussi a présenté sa vie comme un combat ; et la nôtre aussi ; car l'annonce de la Parole de Dieu reste une tâche redoutable, tellement les pensées de Dieu sont loin de celles des hommes. Tellement les priorités de Dieu sont loin de celles des hommes. Et pourtant, les croyants savent que le bonheur de l'humanité ne peut naître que lorsque nos pensées et nos priorités se seront enfin transformées. Lorsque les valeurs de l'Alliance (comme disait Jérémie), celles de l'Evangile, (dirons-nous aujourd'hui) seront pleinement respectées.

Mais la force d'un Jérémie, celle de Jésus, la nôtre résident dans la certitude que Dieu nous accompagne sans cesse dans ce combat : nous avons entendu la phrase de Dieu à Jérémie : « Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi ». Plus tard, Jésus à son tour encouragera ses disciples en leur disant : « Confiance, j'ai vaincu le monde. »

***
Compléments

- Saint Paul dit de la même manière dans la lettre aux Galates qu'il a conscience d'avoir été « mis à part » dès le sein maternel et appelé par la grâce de Dieu : « Celui qui m'a mis à part depuis le sein de ma mère et m'a appelé par sa grâce a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l'annonce parmi les païens... » (Ga 1, 15).

- Les auteurs du Nouveau Testament ont certainement plus d'une fois été tentés de faire le rapprochement entre Jésus de Nazareth et Jérémie. Quand ils nous rapportent les larmes de Jésus devant la mort d'un ami ou devant le destin tragique de Jérusalem ; quand ils racontent l'hostilité grandissante que Jésus a dû affronter ; quand ils rapportent certaines paroles de menace prononcées par lui, dans un style tout à fait comparable à celui des prophètes ; ou encore quand ils nous disent avec quelle résolution Jésus a quand même pris le chemin de Jérusalem au moment même où ses rares amis essayaient de l'en détourner à cause des risques trop évidents. Quant à Jésus lui-même, il pensait peut-être bien à Jérémie quand il a dit à la synagogue de Nazareth (Lc 4, évangile de ce dimanche) « nul n'est prophète en son pays. »

PSAUME 70 ( 71 ), 5-6ab, 7-8, 15ab.17, 19.6b

5 Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance,
mon appui dès ma jeunesse.
6ab Toi, mon soutien dès avant ma naissance,
tu m'as choisi dès le ventre de ma mère.

7 Pour beaucoup, je fus comme un prodige ;
tu as été mon secours et ma force.
8 Je n'avais que ta louange à la bouche,
tout le jour, ta splendeur.

15 Ma bouche annonce tout le jour
tes actes de justice et de salut.
17 Mon Dieu, tu m'as instruit dès ma jeunesse,
jusqu'à présent, j'ai proclamé tes merveilles.

19 Si haute est ta justice, mon Dieu,
toi qui as fait de grandes choses :
Dieu, qui donc est comme toi ?
6c Tu seras ma louange toujours !
 

On pourrait croire que ce psaume parle du prophète Jérémie, dont nous avons un peu deviné l'expérience spirituelle dans la première lecture. Il pourrait signer sans hésiter, si j'ose dire ! Par exemple, lui qui était ébloui de son intimité avec Dieu, aurait parfaitement pu dire « Seigneur mon Dieu, tu es mon appui dès ma jeunesse... tu m'as choisi dès le ventre de ma mère... tu as été mon secours et ma force. » Mais en réalité, le psaume 70 n'a pas été écrit pour Jérémie. Nous entendons bien quelqu'un parler à la première personne, mais, comme toujours dans les psaumes, ce JE est collectif. Le psaume est écrit à la première personne du singulier, mais il faut s'habituer à lire « nous, peuple d'Israël, avec toute l'expérience spirituelle qui est la nôtre depuis Abraham, depuis Moïse... »

C'est l'expérience d'Israël qui est décrite sous forme de comparaisons, traduite en images, peinte comme le portrait d'un individu particulier. C'est ce que l'on appelle le phénomène du « Revêtement » que nous connaissons bien : par exemple, nous avons déjà rencontré plusieurs psaumes dans lesquels Israël est comparé à un lévite, tellement heureux d'avoir été choisi pour le service de Dieu et du Temple : « Seigneur, mon partage et ma coupe, tu es mon héritage... » (Ps 15-16).


Ici, dans notre psaume d'aujourd'hui, c'est bien Israël qui parle : « Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse. Toi, mon soutien dès avant ma naissance, tu m'as choisi dès le ventre de ma mère. Pour beaucoup, je fus comme un prodige ; tu as été mon secours et ma force. Je n'avais que ta louange à la bouche, tout le jour, ta splendeur. » On voit bien de quoi il s'agit, toute la longue expérience que le peuple élu a faite de la présence constante de Dieu à ses côtés, si j'ose dire.
Mais ces verbes au passé (par exemple « je fus comme un prodige ») nous surprennent un peu ; on a envie de demander : « c'est donc fini ? » Alors il faut aller lire le reste de ce psaume ; et effectivement, le ton change : très clairement, ce psaume est écrit dans un moment de détresse. (Là on voit bien le danger de lire seulement quelques versets hors de leur contexte).

Dans les versets que nous ne lisons pas aujourd'hui, Israël est représenté comme une vieille épouse qui supplie celui qui l'a aimée quand elle était belle et jeune de ne pas l'abandonner. « Aux jours de la vieillesse et des cheveux blancs, ne me rejette pas, ô mon Dieu. » (v. 18).

Ce n'est pas l'image elle-même qui nous étonne : ce n'est pas la première fois que l'Alliance d'Israël est comparée à des fiançailles ou à un mariage. Mais ici, visiblement ce ne sont pas les joies du mariage qui sont évoquées ; à travers les lignes, on devine que l'épouse traverse une expérience douloureuse : celle de la vieillesse flétrie, abandonnée, en butte à l'arrogance des plus jeunes, dont c'est le tour aujourd'hui d'être belles, adulées, aimées : « Ne me rejette pas maintenant que j'ai vieilli ; alors que décline ma vigueur, ne m'abandonne pas. » (v. 9).

Mais, bien sûr, il ne s'agit que d'une comparaison, les noces sont une manière de parler de l'Alliance que Dieu a conclue avec Israël ; ce qui est décrit comme l'abandon de la vieille épouse par son époux, c'est la période de l'Exil à Babylone. Là, effectivement, on a parfois été tentés de croire que Dieu avait abandonné son peuple ; et pendant ce temps, les ennemis d'Israël se frottaient les mains, en pensant qu'Israël serait bientôt rayé de la carte : « Mes ennemis parlent contre moi, ils me surveillent et se concertent. Ils disent : Dieu l'abandonne ! ... Il n'a plus de défenseur ! »

Tout ceci donne à l'ensemble du psaume un aspect un peu curieux, parce qu'il est un mélange constant de supplication et de louange : au sein même de la détresse, de la vieillesse, du délaissement apparent, l'épouse garde espoir et ne cesse de faire des projets : « Je dirai aux hommes de ce temps ta puissance, à tous ceux qui viendront tes exploits (18)... En toi, Seigneur, j'ai mon refuge : garde-moi d'être humilié pour toujours. Dans ta justice, défends-moi, libère-moi, tends l'oreille vers moi et sauve-moi. Sois le rocher qui m'accueille, toujours accessible ; tu as résolu de me sauver : ma forteresse et mon roc, c'est toi (1-3)... Toi qui m'as fait voir tant de maux et de détresses, tu me feras vivre à nouveau, à nouveau tu me tireras des abîmes de la terre, tu m'élèveras et me grandiras, tu reviendras me consoler. Et moi, je te rendrai grâce sur la harpe pour ta vérité, ô mon Dieu ! Je jouerai pour toi de ma cithare, Saint d'Israël ! Joie pour mes lèvres qui chantent pour toi, et dans mon âme que tu as rachetée ! » (20-23).

Dommage que la liturgie ne nous propose pas ce psaume plus souvent et en entier de préférence. Car il comporte de multiples résonances avec notre propre expérience. Dans la souffrance, la maladie, le deuil, nous connaissons bien ce mélange de sentiments ; le cri de la détresse, d'abord : « Mon Dieu, ne m'oublie pas, ne m'abandonne pas » ; et aussitôt, la peur d'offenser Dieu, alors nous ajoutons : « mais je sais bien que tu ne m'abandonnes jamais » ; ici le psaume dit : « tu as résolu de me sauver : ma forteresse et mon roc, c'est toi. » (3)

Mais pour continuer à espérer, le croyant a bien besoin de se rappeler tous les points d'appui de sa foi : « Mon Dieu, mon Rocher... Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse (5)... (en ce temps béni) je n'avais que ta louange à la bouche » (8)... sous-entendu je sais, j'affirme que ces jours bénis reviendront : « je revivrai les exploits du Seigneur en rappelant que ta justice est la seule... moi qui ne cesse d'espérer, j'ajoute encore à ta louange » (14).
C'est tout ce mélange d'expériences douloureuses, de souffrance, d'aveu des faiblesses passagères, mais aussi de foi retrouvée et d'espérance indéracinable qu'il faut entendre à travers les lignes que nous lisons ce dimanche : « Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse. »

***
On entend aussi dans ce psaume l'écho d'une autre expérience triste, celle de la flétrissure de l'amour : « Je n'avais que ta louange à la bouche » : l'épouse (traduisez Israël) reconnaît implicitement que sa tendresse (traduisez sa ferveur) l'a abandonnée ; les choses se sont gâtées... Alors il ne reste plus qu'à espérer l'indulgence de l'époux, traduisez encore : même si l'amour du peuple pour son Dieu s'est affaibli au long du temps, que Dieu lui, n'abandonne pas son épouse « Aux jours de la vieillesse et des cheveux blancs, ne m'abandonne pas, ô mon Dieu. » (18).

DEUXIEME LECTURE : 1 Corinthiens 12, 31 - 13, 13

Frères,
12, 31 parmi les dons de Dieu,
vous cherchez à obtenir ce qu'il y a de meilleur.
Eh bien, je vais vous indiquer une voie
supérieure à toutes les autres.
13, 1 J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel,
si je n'ai pas la charité, s'il me manque l'amour,
je ne suis qu'un cuivre qui résonne,
une cymbale retentissante.
2 J'aurais beau être prophète,
avoir toute la science des mystères
et toute la connaissance de Dieu,
et toute la foi jusqu'à transporter les montagnes,
s'il me manque l'amour,
je ne suis rien.
3 J'aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés,
j'aurais beau me faire brûler vif,
s'il me manque l'amour,
cela ne me sert à rien.
4 L'amour prend patience ;
l'amour rend service ;
l'amour ne jalouse pas ;
il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil ;
5 il ne fait rien de malhonnête ;
il ne cherche pas son intérêt ;
il ne s'emporte pas ;
il n'entretient pas de rancune ;
6 il ne se réjouit pas de ce qui est mal,
mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ;
7 il supporte tout, il fait confiance en tout,
il espère tout, il endure tout.
8 L'amour ne passera jamais.
Un jour, les prophéties disparaîtront,
le don des langues cessera,
la connaissance que nous avons de Dieu disparaîtra.
9 En effet, notre connaissance est partielle,
nos prophéties sont partielles.
10 Quand viendra l'achèvement,
ce qui est partiel disparaîtra.
11 Quand j'étais un enfant,
je parlais comme un enfant,
je pensais comme un enfant,
je raisonnais comme un enfant.
Maintenant que je suis un homme,
j'ai fait disparaître ce qui faisait de moi un enfant.
12 Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir ;
ce jour-là, nous verrons face à face.
Actuellement, ma connaissance est partielle ;
ce jour-là, je connaîtrai vraiment,
comme Dieu m'a connu.
13 Ce qui demeure aujourd'hui,
c'est la foi, l'espérance et la charité ;
mais la plus grande des trois,
c'est la charité.

 

Dans les passages de la lettre aux Corinthiens que nous avons lus ces deux derniers dimanches, Saint Paul énumérait les différents dons que l'Esprit Saint fait aux membres du Corps du Christ dans leur diversité. Mais, dit-il, parmi eux il y en a un sans lequel les autres ne sont rien : c'est l'Amour. C'est lui qui donne valeur à tous les autres : ils ne nous sont donnés que pour mieux aimer.

Du coup, nous pourrions être tentés de lire ce texte comme une leçon de morale, comme un programme à remplir : « Voilà ce que vous devez faire si vous voulez remporter la palme du plus bel amour. » Mais en fait, avant de parler de nous, ce texte de Paul parle d'abord de Dieu, il contemple le mystère de l'amour de Dieu ; à chaque fois que nous rencontrons le mot « Amour » dans ce texte, nous pourrions le remplacer par le mot « Dieu ».


« L'amour prend patience » ; oui, Dieu patiente avec son peuple, avec l'humanité, avec nous, lui pour qui « mille ans sont comme un jour, et un jour est comme mille ans », nous dit Pierre (2 P 3, 8) ; oui, « l'amour rend service », il suffit de regarder Jésus laver les pieds de ses disciples (Jn 13) ; oui encore, « l'amour (c'est-à-dire Dieu) ne garde pas rancune » : le peuple d'Israël a eu maintes occasions d'expérimenter que lui qui a pardonné à son peuple sans se lasser tout au long de l'histoire biblique. Jusqu'au jour où sur le visage du Christ en croix, nous avons entendu les paroles suprêmes du pardon : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. »

Et il ne nous a laissé qu'une seule consigne « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Heureusement pour nous, nous ne sommes pas laissés à nos seules forces pour cela, puisqu'il nous a transmis son Esprit : « L'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné » (Ro 5, 5). Ce qui veut dire que « l'amour même de Dieu est répandu en nous ». Voilà une bonne nouvelle, si nous voulons bien l'entendre. Alors ici, Paul fait l'inventaire du don qui nous est fait, le catalogue des possibilités infinies de dépassement qu'il nous offre : en quelque sorte, il nous dit : « Voilà ce que l'amour vous rend capables de faire ». Les quinze comportements que Saint Paul énumère dans son inventaire, loin d'être des utopies, sont les réalités étonnantes que l'expérience fait découvrir : réellement, on le sait bien, l'amour et l'amour seul permet à ceux qui aiment, à ceux qui s'aiment, d'atteindre des sommets de patience, d'oubli de soi, de douceur, de transparence, de confiance totale. C'est l'amour de Dieu, c'est-à-dire donné par Dieu, qui, seul, peut faire de nos communautés les témoins que le monde attend.

Paul insiste, c'est l'amour et lui seul qui fera de nous des adultes : « Quand viendra l'achèvement, ce qui est partiel disparaîtra. Quand j'étais un enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Maintenant que je suis un homme, j'ai fait disparaître ce qui faisait de moi un enfant. » On peut en déduire que toutes les autres qualités : la science, la générosité, et même la foi et le courage, le don des langues ou de prophétie, ne sont que des enfantillages au regard de la seule valeur qui compte, l'amour. Quand on pense à l'importance que les Corinthiens attachaient à l'intelligence, à la naissance, à la condition sociale, on mesure mieux l'audace des propos de Paul. Toutes ces soi-disant valeurs auxquelles nous tenons tant, nous aussi, ne sont que des balayures, comme Paul le dit ailleurs. Puisque même les plus grandes vertus ne sont rien si elles ne sont pas irriguées uniquement par l'amour de Dieu lui-même. Voilà qui remet les choses à leur place ; une fois de plus, on entend résonner les béatitudes : seuls les pauvres de coeur savent accueillir en eux les richesses de Dieu. Peut-être n'osons-nous pas assez compter sur ces possibilités infinies d'amour qui sont à notre disposition, pourvu que nous les sollicitions. L'Esprit est très discret, il attend peut-être que nous lui demandions son aide.

EVANGILE - Luc 4, 21- 30

Dans la synagogue de Nazareth,
après la lecture du livre d'Isaïe,
21 Jésus déclara :
« Cette parole de l'Ecriture que vous venez d'entendre,
c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit. »
22 Tous lui rendaient témoignage ;
et ils s'étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche.
Ils se demandaient :
« N'est-ce pas là le fils de Joseph »
23 Mais il leur dit :
« Sûrement vous allez me citer le dicton :
Médecin, guéris-toi toi-même.
Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm :
fais donc de même ici dans ton pays ! »
24 Puis il ajouta :
« Amen, je vous le dis,
aucun prophète n'est bien accueilli dans son pays.
25 En toute vérité, je vous le déclare :
au temps du prophète Elie,
lorsque la sécheresse et la famine
ont sévi pendant trois ans et demi,
il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
26 pourtant, Elie n'a été envoyé vers aucune d'entre elles,
mais bien vers une veuve étrangère,
de la ville de Sarepta, dans le pays de Sidon.
27 Au temps du prophète Elisée,
il y avait beaucoup de lépreux en Israël ;
pourtant aucun d'entre eux n'a été purifié,
mais bien Naaman, un Syrien. »
28 A ces mots, dans la synagogue,
tous devinrent furieux.
29 Ils se levèrent,
poussèrent Jésus hors de la ville,
et le menèrent jusqu'à un escarpement
de la colline où la ville est construite,
pour le précipiter en bas.
30 Mais lui, passant au milieu d'eux,
allait son chemin.

 

« Nul n'est prophète en son pays » : apparemment, ce dicton n'est pas d'aujourd'hui, puisque Jésus en cite un tout à fait équivalent : « Aucun prophète n'est bien reçu dans son pays », au moment où il est justement dans son propre pays, Nazareth, où il a grandi.

Si on y réfléchit, tout est étrange dans ce texte : d'abord, pourquoi, alors qu'il vient d'arriver dans son village natal, après une tournée triomphale dans les villages de la région, pourquoi Jésus met-il le sujet sur Capharnaüm ? Si l'on peut parler de « tournée triomphale », c'est parce que dans le début de cet évangile que nous avons lu dimanche dernier, Luc disait : « Lorsque Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues des Juifs, et tout le monde faisait son éloge. » Luc ne dit rien de plus précis jusqu'à présent, mais Jésus doit avoir eu vent d'une certaine jalousie dans le coeur de ses compatriotes de Nazareth ; d'après sa phrase « nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm », nous devinons qu'il y a déjà eu des miracles à Capharnaüm. Et les habitants de Nazareth attendent bien d'en voir autant.

Ensuite, deuxième étrangeté de ce passage, pourquoi ce retournement de situation ? Jésus vient de faire la lecture du texte d'Isaïe, il a tranquillement affirmé « Cette parole de l'Ecriture que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit », ce qui revient à affirmer « Je suis le Messie que vous attendez » et pour l'instant cela n'a soulevé aucun tollé. Luc nous dit simplement : « Tous lui rendaient témoignage ; et ils s'étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche. Ils se demandaient : N'est-ce pas là le fils de Joseph ? » Et il suffira de quelques paroles de Jésus pour les rendre furieux, au point qu'ils voudront se débarrasser de lui, une bonne fois pour toutes. On peut donc se demander ce que Jésus a dit de si extraordinaire et pourquoi il a jugé bon de le dire. En fait, il leur a asséné une leçon qui est dure à entendre ; elle tient en deux points : premièrement, si j'ai pu faire des miracles à Capharnaüm, c'est parce que ses habitants avaient une autre attitude. La fin de l'histoire prouve bien que Jésus n'a vu que trop juste : la violence de la réaction de ses compatriotes laisse entendre qu'ils n'étaient pas prêts à accueillir les dons de Dieu comme des dons.

Le deuxième point revient à dire « les païens sont plus près du salut que ceux qui se disent croyants » : c'est ce qui se dégage des deux histoires d'Elie et Elisée. On trouve l'histoire d'Elie au premier Livre des Rois (1 R 17) : elle met en scène une veuve de la ville de Sarepta, en plein pays païen, la Phénicie ; Elie lui demande l'hospitalité, en période de sécheresse, et, malgré sa pauvreté, elle vient en aide au prophète étranger, dans lequel elle reconnaît un homme de Dieu. Cela a suffi pour qu'Elie accomplisse pour elle deux miracles ; d'abord il la sauve de la famine : on se souvient de la fameuse promesse d'Elie « jarre de farine point ne s'épuisera, vase d'huile point ne se videra jusqu'au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre ». Quant au deuxième miracle, c'est la guérison de son fils unique. Cette païenne a su se montrer accueillante à ce prophète étranger au moment même où il était un paria et un exclu dans son propre pays. Bien lui en a pris !

L'histoire d'Elisée, elle, se trouve au Deuxième Livre des Rois (2 R 5) : Naaman est un général syrien ; par malheur il est atteint de la lèpre ; il a eu vent des talents de guérisseur du prophète Elisée et se rend chez lui en grande tenue, bardé de cadeaux et de recommandations. Mais Elisée le décevra un peu ; c'est seulement quand il aura accepté de se plier humblement aux ordres du prophète qu'il sera guéri : « Va ! Lave-toi sept fois dans le Jourdain. » Il se soumet donc et il descend jusqu'au Jourdain : geste très simple qui lui paraît dérisoire, à lui, général, favori du roi de Damas... mais geste symbolique d'humilité et de soumission au prophète du Dieu d'Israël. On connaît la suite : il est guéri et bien sûr il se convertit au Dieu d'Israël.

Une païenne (la veuve de Sarepta), un général ennemi, païen, lépreux (Naaman) : aucun des deux ne peut prétendre avoir des droits sur le Dieu d'Israël... et ce sont ces pauvres qui ont été comblés ; Jésus n'ajoute pas, mais tout le monde comprend : « A bon entendeur salut ».

En quelques lignes, nous avons ici un raccourci de la vie de Jésus : « Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu » dira Saint Jean ; Luc le dit ici à sa manière en opposant l'attitude de Nazareth, sa ville natale, et celle de Capharnaüm (où il était au départ un inconnu), et cette opposition en préfigure une autre : l'opposition entre l'attitude de refus des Juifs (pourtant les destinataires du message des prophètes) et l'accueil de la Bonne Nouvelle par des païens ; comme la veuve de Sarepta, comme le général syrien Naaman, ce sont les non-Juifs qui feront le meilleur accueil au Messie. Mais la victoire définitive du Christ est déjà annoncée, symbolisée par sa maîtrise sur les événements : « Lui, passant au milieu d'eux, allait son chemin. »

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28 janvier 2010 4 28 /01 /janvier /2010 14:37
Depuis hier différents articles mettent en évidence le fait que le thème du chômage et celui du pouvoir d'achat pourraient bientôt disparaître des programmes scolaires de la classe de seconde SES.

Je vous renvoie à ceux publiés sur les sites de Nonfiction, Rue89, Le Point, Tatun Info ou Le Courrier Picard.

Je souhaite rassurer tous ceux qui s'émeuvent de cette disparition. Il existe désormais une organisation syndicale professionnelle, toute neuve, qui fait de ces problèmes, objets des principales préoccupations des Français, une analyse d'une logique implacable et leur apporte des solutions très simples, à la portée de tous les élèves de CM2. Je vous invite donc à consulter sans délai le site de cette organisation syndicale.

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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 09:16
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). Certains s'étonneront que j'écrive en rouge la 2e lecture (1ère lettre de Saint Paul aux Corinthiens). Je m'en explique dans une page précitée, celle qui évoque les passages du Nouveau Testament parlant de liberté.

PREMIERE LECTURE - Isaïe 62, 1-5

Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas,
pour Sion je ne prendrai pas de repos,
avant que sa justice ne se lève comme l'aurore
et que son salut ne flamboie comme une torche.
2 Les nations verront ta justice,
tous les rois verront ta gloire.
On t'appellera d'un nom nouveau,
donné par le Seigneur lui-même.
3 Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du Seigneur,
un diadème royal dans la main de ton Dieu.
4 On ne t'appellera plus « la délaissée »,
on n'appellera plus ta contrée « terre déserte »,
mais on te nommera « ma préférée »,
on nommera ta contrée « mon épouse »,
car le Seigneur met en toi sa préférence
et ta contrée aura un époux.
5 Comme un jeune homme épouse une jeune fille,
celui qui t'a construite t'épousera.
Comme la jeune mariée est la joie de son mari,
ainsi tu seras la joie de ton Dieu.


Le prophète Isaïe ne manquait pas d'audace ! A deux reprises, dans ces quelques versets, il a employé le mot « désir » (au sens de désir amoureux) pour traduire les sentiments de Dieu à l'égard de son peuple. Les mots « ma préférée » et « préférence » sont trop faibles ; il faudrait traduire : On ne t'appellera plus « la délaissée », on n'appellera plus ta contrée « terre déserte », mais on te nommera « ma désirée » (littéralement mon désir est en toi), on nommera ta contrée « mon épouse », car le Seigneur met en toi son désir et ta contrée aura un époux.

Car ce que nous avons entendu ici est une véritable déclaration d'amour ! Un fiancé n'en dirait pas plus à sa bien-aimée. Tu seras ma préférée, mon épouse... Tu seras belle comme une couronne, comme un diadème d'or entre mes mains... tu seras ma joie... Et pour cette déclaration, vous avez remarqué la beauté du vocabulaire, la poésie qui émane de ce texte. On y retrouve le parallélisme des phrases, si caractéristique des psaumes. « Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas / pour Sion je ne prendrai pas de repos... Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du Seigneur / (tu seras) un diadème royal dans la main de ton Dieu... on te nommera « ma préférée » / on nommera ta contrée « mon épouse ».

Cinq siècles avant Jésus-Christ, déjà, le prophète Isaïe allait donc jusque-là ! Car on pourrait vraiment appeler ce texte le « poème d'amour de Dieu ». Et Isaïe n'est pas le premier à avoir cette audace.

Il est vrai qu'au tout début de la Révélation biblique, les premiers textes de l'Ancien Testament n'emploient pas du tout ce langage. Pourtant, si Dieu aime l'humanité d'un tel amour, c'était déjà vrai dès l'origine. Mais c'était l'humanité qui n'était pas prête à entendre. La Révélation de Dieu comme Epoux, tout comme celle de Dieu-Père n'a pu se faire qu'après des siècles d'histoire biblique ; au début de l'Alliance entre Dieu et son peuple, cette notion aurait été trop ambiguë. Les autres peuples ne concevaient que trop facilement leurs dieux à l'image des hommes et de leurs histoires de famille ; dans une première étape de la Révélation, il fallait donc déjà découvrir le Dieu tout-Autre que l'homme et entrer dans son Alliance.

C'est le prophète Osée, au huitième siècle av.J.C., qui, le premier, a comparé le peuple d'Israël à une épouse ; et il traitait d'adultères les infidélités du peuple, c'est-à-dire ses retombées dans l'idolâtrie. A sa suite Jérémie, Ezéchiel, le deuxième Isaïe et le troisième Isaïe (celui que nous lisons aujourd'hui) ont développé ce thème des noces entre Dieu et son peuple ; et on retrouve chez eux tout le vocabulaire des fiançailles et des noces : les noms tendres, la robe nuptiale, la couronne de mariée, la fidélité, mais aussi la jalousie, l'adultère, les retrouvailles. En voici quelques extraits, par exemple chez Osée : « tu m'appelleras mon mari... je te fiancerai à moi pour toujours... dans l'amour, la tendresse, la fidélité. » (Os 2,18.21). Et chez le deuxième Isaïe « Ton époux sera ton Créateur... Répudie-t-on la femme de sa jeunesse ?... dans mon amour éternel, j'ai pitié de toi . » (Is 54, 5...8). Le texte le plus impressionnant sur ce sujet, c'est évidemment le Cantique des Cantiques : il se présente comme un long dialogue amoureux, composé de sept poèmes ; pour être franc, nulle part les deux amoureux ne sont identifiés ; mais les Juifs le comprennent comme une parabole de l'amour de Dieu pour l'humanité ; la preuve, c'est qu'ils le lisent tout spécialement pendant la célébration de la Pâque, qui est pour eux la grande fête de l'Alliance de Dieu avec son peuple.

Pour revenir au texte d'aujourd'hui, l'un des passe-temps préférés, apparemment, du bien-aimé est de donner des noms nouveaux à sa bien-aimée. Vous savez l'importance du Nom dans les relations humaines : quelqu'un ou quelque chose que je ne sais pas nommer n'existe pas pour moi... Savoir nommer quelqu'un, c'est déjà le connaître ; et quand notre relation avec une personne s'approfondit, il n'est pas rare que nous éprouvions le besoin de lui donner un surnom, parfois connu de nous seuls. Dans la vie des couples, ou des familles, les diminutifs et les surnoms tiennent une grande place. Quand nous choisissons le prénom d'un enfant, par exemple, c'est très révélateur : nous faisons porter sur lui beaucoup d'espoirs ; souvent même, si on y regarde bien, c'est tout un programme.

La Bible traduit cette expérience fondamentale de la vie humaine ; et le nom y a une très grande importance ; il dit le mystère de la personne, son être profond, sa vocation, sa mission : très souvent, on nous indique le sens du nom des personnages principaux. Par exemple, l'ange annonçant la naissance de Jésus précise aussitôt que ce nom veut dire : « Dieu sauve » ; c'est-à-dire que cet enfant qui porte ce nom-là sauvera l'humanité au nom de Dieu. Et parfois Dieu donne un nom nouveau à quelqu'un en même temps qu'il lui confie une mission nouvelle : Abram devient Abraham, Saraï devient Sara, Jacob devient Israël et Simon devient Pierre.

Ici donc, c'est Dieu qui donne des noms nouveaux à Jérusalem : la « délaissée » devient la « Préférée », la « terre déserte » devient « mon épouse » ; effectivement, le peuple juif pouvait avoir l'impression d'être délaissé par Dieu. Ce chapitre 62 d'Isaïe a été écrit dans le contexte du retour d'Exil. On est rentré de l'Exil (à Babylone) en 538 et le Temple n'a commencé à être reconstruit qu'en 521 : c'est dans ce délai que la morosité s'installe et l'impression de délaissement. Si Dieu s'occupait de nous, pense-t-on, les choses iraient mieux et plus vite (il nous arrive bien de dire exactement la même chose : « s'il y avait un Bon Dieu, ces choses-là n'arriveraient pas » ...). C'est pour combattre cette désespérance qu'Isaïe, inspiré par Dieu, ose ce texte magnifique : non, Dieu n'a pas oublié son peuple et sa ville de prédilection ; et dans peu de temps cela se saura ! « Comme un jeune homme épouse une jeune fille, celui qui t'a construite t'épousera. Comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu. »

PSAUME 95 ( 96 )

1 Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
2 chantez au Seigneur et bénissez son Nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
3 racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

7 Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur, la gloire et la puissance,
8 rendez au Seigneur la gloire de son Nom.

9 Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
10 Allez dire aux nations : le Seigneur est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.


Il n'est question, ici, que de la gloire de Dieu, son salut, ses merveilles, sa puissance : « Chantez au Seigneur un chant nouveau... chantez au Seigneur et bénissez son Nom ! De jour en jour, proclamez son salut... » Rien d'étonnant, ici : cette invitation à chanter la gloire de Dieu est une chose habituelle en Israël où l'on ne cesse de « faire mémoire », comme on dit, de l'œuvre de Dieu, au long des siècles, pour libérer son peuple de tout ce qui peut entraver son bonheur.
Oui, « de jour en jour, Israël proclame son salut »... de jour en jour Israël raconte l'oeuvre de Dieu, ses merveilles, c'est-à-dire son oeuvre incessante de libération... de jour en jour Israël témoigne que Dieu l'a libéré de l'Egypte d'abord, puis de toutes les sortes d'esclavage : et le plus terrible des esclavages, c'est de se tromper de Dieu, c'est de mettre sa confiance dans de fausses valeurs, des faux dieux qui ne peuvent que décevoir, des idoles... Ces mots-là dans la Bible (oeuvre, merveilles) veulent toujours dire la même chose, c'est-à-dire cette entreprise de libération.

Parce qu'Israël a cette chance immense, cet honneur inouï, ce bonheur de savoir et d'être chargé de dire que le Seigneur notre Dieu, l'Eternel, est le seul Dieu, est le Dieu UN (comme le dit la profession de foi juive, le « shema Israël » ) et que la foi en lui est le seul chemin de bonheur pour l'homme. Voilà le message qu'Israël lance au monde.

Mais ce psaume ne s'arrête pas là : il me semble que l'on entend à travers ces lignes non pas une simple invitation adressée à Israël, mais une double invitation à chanter la gloire de Dieu : l'une adressée à Israël, l'autre à l'ensemble des autres peuples, ceux que l'on appelle là-bas, les nations, les goyîm, c'est-à-dire le reste de l'humanité. Cela, c'est plus étonnant ! On en déduit tout de suite que ce psaume a été composé relativement tardivement, probablement après l'Exil à Babylone. Puisque l'auteur peut imaginer qu'un jour, les peuples autres qu'Israël s'associeront aux chants en l'honneur de Dieu.

Car c'est pendant cette période de déportation de la population de Jérusalem à Babylone que les hommes de la Bible ont définitivement compris que Dieu est réellement unique, qu'il est le Dieu de tout l'univers et de toute l'humanité et que, par conséquent, son salut, son œuvre, ses merveilles ne sont pas réservés à Israël.

Mais, pour en arriver là, il a fallu tout un long et patient travail de la pédagogie de Dieu pour amener les membres du peuple élu à ouvrir leur cœur, à accepter que leur Dieu soit aussi le Dieu de tous les hommes, aussi occupé (si j'ose dire) à faire le bonheur des autres que le nôtre. Et le peuple élu a compris peu à peu qu'il est le frère aîné, pas le fils unique : son rôle était justement d'ouvrir la voie à ses cadets, dans la longue marche de l'humanité à la rencontre de son Dieu. Un jour viendra où tous les peuples sans exception reconnaîtront Dieu comme le seul Dieu. L'humanité tout entière mettra sa confiance en lui seul : le psaume tout entier a cette dimension universelle. Ce jour-là, enfin, s'accomplira la promesse faite à Abraham : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ».

Or notre psaume, justement, imagine que ce grand jour est déjà arrivé : il anticipe en quelque sorte. Il nous transporte déjà à la fin du monde.

La scène se passe à Jérusalem ... et plus précisément dans le Temple. Tous les peuples, toutes les nations, toutes les races se pressent aux abords du Temple, les innombrables marches du parvis du Temple sont noires de monde, sur l'esplanade on se bouscule joyeusement, la ville de Jérusalem n'y suffit pas... aussi loin que porte le regard, les foules affluent... il en vient de partout, il en vient du bout du monde.
Et toute cette foule immense chante à pleine gorge, c'est une symphonie : qu'est-ce qu'ils chantent ? « Le Seigneur est roi ! » Quatre mots seulement, mais pas n'importe lesquels : c'est l'exclamation des grands jours, celle qu'on poussait à pleine gorge quand un nouveau roi montait sur le trône. C'est une clameur immense, superbe, gigantesque...

La terre elle-même en tremble. Et voilà que les mers aussi entrent dans la symphonie : on dirait qu'elles mugissent ? Et les campagnes entrent dans la fête, les arbres dansent. Vous avez déjà vu des arbres danser ? Et bien oui, ce jour-là ils dansent ! « Joie au ciel ! Exulte la terre ! Les masses de la mer mugissent, la campagne tout entière est en fête. Les arbres des forêts dansent de joie devant la face du Seigneur... » (Même psaume 95, versets 11 et 12).

Bien sûr, si on y réfléchit, c'est normal ! Les mers sont moins bêtes que les hommes ! Elles, elles savent qui les a faites, qui est leur créateur ! Elles mugissent pour Lui, elles l'acclament à leur manière. Les arbres des forêts sont moins bêtes que les hommes : ils savent reconnaître leur créateur : parmi des tas d'idoles, de faux dieux, pas d'erreur possible, les arbres ne s'y laissent pas prendre.

Les hommes, eux, se sont laissés berner longtemps... Mais c'est bien fini ! C'est incroyable qu'ils aient mis si longtemps à reconnaître leur Créateur, leur Père... Mais cette fois c'est arrivé !

Et on vient parce qu'enfin on a entendu la bonne nouvelle : et tous se pressent pour entrer dans la Maison de leur Père.

***
Compléments
Mais revenons sur terre ! Je disais que ce psaume anticipe ! Tout cela est encore du domaine du rêve : en attendant, on est dans le présent ! Et le présent n'est pas si facile ; il faut tenir bon dans la foi et il faut témoigner de cette foi à la face des nations. Tenir bon dans la foi, c'est un choix à refaire sans cesse : l'une des strophes que nous ne lisons pas ce dimanche en porte la trace : « Il est grand, le Seigneur, hautement loué, redoutable au-dessus de tous les dieux : néant, tous les dieux des nations ! » Si on affirme que les dieux des nations ne sont que néant, c'est qu'il faut encore et toujours s'en persuader, refuser de retomber dans l'idolâtrie. Combat jamais complètement gagné.

On voit bien dans ce psaume l'ambiguïté du mot « nations » dans la Bible : selon les textes, ce mot semble chargé de plusieurs sens contradictoires : il est souvent carrément péjoratif ; le livre du Deutéronome, par exemple, parle des « abominations des nations ». Mais c'est parce qu'il vise leur polythéisme, leurs pratiques religieuses en général, et les sacrifices humains en particulier. A la première étape de la pédagogie biblique où il s'agit pour le peuple élu de s'attacher à Dieu sans partage, de découvrir le vrai visage du Dieu unique, il faut se garder de tout contact avec les « nations » : elles resteront longtemps un risque de contagion de l'idolâtrie. Et l'histoire d'Israël a prouvé maintes fois que ce risque est réel ! De plus, dans la mentalité de l'époque, où les divinités étaient censées faire la guerre aux côtés de leurs peuples, on n'aurait pas pu imaginer un Dieu qui prenne le parti de tous les belligérants à la fois !

 

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 12, 4 - 11

Frères,
4 les dons de la grâce sont variés,
mais c'est toujours le même Esprit.
5 Les fonctions dans l'Eglise sont variées,
mais c'est toujours le même Seigneur.
6 Les activités sont variées,
mais c'est partout le même Dieu
qui agit en tous.
7 Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit
en vue du bien de tous :
8 à celui-ci est donné, grâce à l'Esprit,
le langage de la sagesse de Dieu ;
à un autre, toujours par l'Esprit,
le langage de la connaissance de Dieu ;
9 un autre reçoit, dans l'Esprit,
le don de la foi ;
un autre encore, des pouvoirs de guérison
dans l'unique Esprit ;
10 un autre peut faire des miracles,
un autre est un prophète,
un autre sait reconnaître ce qui vient vraiment de l'Esprit ;
l'un reçoit le don de dire toutes sortes de paroles mystérieuses,
l'autre le don de les interpréter.
11 Mais celui qui agit en tout cela, c'est le même et unique Esprit :
il distribue ses dons à chacun,
selon sa volonté.




La lettre aux Corinthiens date de presque vingt siècles et elle n'a pas pris une ride ! Au contraire, elle est complètement d'actualité : comment faire pour rester Chrétiens dans un monde qui a des valeurs tout autres ? Comment trier, dans les idées qui circulent, celles qui sont compatibles avec la foi chrétienne ? Comment cohabiter avec des non-Chrétiens sans manquer à la charité ? Mais aussi sans y perdre notre âme, comme on dit ? Le monde tout autour parle de sexe et d'argent... Comment l'évangéliser ? C'étaient les questions des Chrétiens de Corinthe convertis de fraîche date dans un monde majoritairement païen ; ce sont les nôtres, aujourd'hui, Chrétiens de souche ou non, mais dans une société qui ne privilégie plus les valeurs chrétiennes.

Les réponses de Paul nous concernent donc presque toutes. Il parle des divisions dans la communauté, des problèmes de la vie conjugale, notamment quand les deux époux ne partagent pas la même foi, du cap à tenir au milieu de tous les marchands d'idées nouvelles : sur tous ces points, il remet les choses à leur place. Mais comme toujours, quand il parle de choses très concrètes, il rappelle d'abord le fondement des choses, qui est notre baptême : comme disait Jean-Baptiste, par le Baptême, nous avons été plongés dans le feu de l'Esprit, et désormais c'est l'Esprit qui se réfracte à travers nous selon nos propres diversités. Comme dit Paul : « Celui qui agit en tout cela, c'est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté. »

A Corinthe, comme dans tout le monde hellénistique, on adorait l'intelligence, on rêvait de découvrir la sagesse, on parlait partout de philosophie. A ces gens qui rêvaient de découvrir la sagesse par eux-mêmes et par la rigueur de leurs raisonnements, Paul répond : la vraie sagesse, la seule connaissance qui compte, n'est pas au bout de nos discours : elle est un don de Dieu. « A celui-ci est donné, grâce à l'Esprit, le langage de la sagesse de Dieu ; à un autre, toujours par l'Esprit, le langage de la connaissance de Dieu. » Il n'y a pas de quoi s'enorgueillir, tout est cadeau. Le mot « don » revient sept fois ! Dans la Bible, ce n'est pas nouveau ! Ici, Paul ne fait que reprendre en termes chrétiens ce que son peuple avait découvert depuis longtemps, à savoir que seul Dieu connaît et peut faire découvrir la vraie sagesse. La nouveauté du discours de Paul est ailleurs : elle consiste à parler de l'Esprit comme une Personne.

Plus profondément, Paul se démarque totalement par rapport aux recherches philosophiques des uns et des autres : il ne propose pas une nouvelle école de philosophie, une de plus... Il annonce Quelqu'un. Car les dons qui sont ainsi distribués aux membres de la communauté chrétienne ne sont pas de l'ordre du pouvoir ni du savoir, ils sont une présence intérieure : le nom de l'Esprit est cité huit fois dans ce passage. Finalement, ce texte est adressé aux Corinthiens, mais il ne parle pas d'eux, il parle exclusivement de l'Esprit à l'oeuvre dans la communauté chrétienne ; et qui, patiemment, inlassablement, nous tourne vers notre Père (il nous souffle de dire « Abba » - Père) et il nous tourne vers nos frères.

Pour que les choses soient bien claires, Paul précise : « Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit en vue du bien de tous ». On sait que les Corinthiens étaient avides de phénomènes spirituels extraordinaires, mais Saint Paul leur rappelle l'unique objectif : c'est le bien de tous. Car l'objectif de l'Esprit, ce n'est rien d'autre puisqu'il est l'Amour personnifié. Et alors, dans ses mains, si j'ose dire, nous devenons des instruments d'une infinie variété par la grâce de celui qui est le Dieu Un : « Les dons de la grâce sont variés, mais c'est toujours le même Esprit. Les fonctions dans l'Eglise sont variées, mais c'est toujours le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c'est partout le même Dieu qui agit en tous. »

Telle est la merveille de nos diversités : elles nous rendent capables, chacun à sa façon, de manifester l'Amour de Dieu. Une des leçons de ce texte de Saint Paul est certainement d'apprendre à nous réjouir de nos différences. Elles sont les multiples facettes de ce que l'Amour nous rend capables de faire selon l'originalité de chacun. Réjouissons-nous donc de la variété des races, des couleurs, des langues, des dons, des arts, des inventions... C'est ce qui fait la richesse de l'Eglise et du monde à condition de les vivre dans l'amour.

C'est comme un orchestre : une même inspiration... des expressions différentes et complémentaires, des instruments différents et voilà une symphonie... une symphonie à condition de jouer tous dans la même tonalité... c'est quand nous ne jouons pas tous dans le même ton qu'il y a une cacophonie ! La symphonie dont il est question ici c'est le chant d'amour que l'Eglise est chargée de chanter au monde : disons « l'hymne à l'Amour » comme on dit « l'hymne à la joie » de Beethoven. Notre complémentarité dans l'Eglise n'est pas une affaire de rôles, de fonctions, pour que l'Eglise vive avec un organigramme bien en place... C'est beaucoup plus grave et plus beau que cela : il s'agit de la mission confiée à l'Eglise de révéler l'Amour de Dieu : c'est notre seule raison d'être.

EVANGILE - Jean 2, 1 - 11

1 Il y avait un mariage à Cana en Galilée.
La mère de Jésus était là.
2 Jésus aussi avait été invité au repas de noces
avec ses disciples
3 Or, on manqua de vin ;
la mère de Jésus lui dit :
« Ils n'ont pas de vin. »
4 Jésus lui répond :
« Femme, que me veux-tu ?
Mon Heure n'est pas encore venue. »
5 Sa mère dit aux serviteurs :
« Faites tout ce qu'il vous dira. »
6 Or, il y avait là six cuves de pierre
pour les ablutions rituelles des Juifs ;
chacune contenait environ cent litres.
7 Jésus dit aux serviteurs :
« Remplissez d'eau les cuves. »
Et ils les remplirent jusqu'au bord.
8 Il leur dit :
« Maintenant, puisez et portez-en au maître du repas. »
Ils lui en portèrent.
9 Le maître du repas goûta l'eau changée en vin.
Il ne savait pas d'où venait ce vin,
mais les serviteurs le savaient, eux qui avaient puisé l'eau.
10 Alors le maître du repas interpelle le marié et lui dit :
« Tout le monde sert le bon vin en premier,
et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon.
Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant. »
11 Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit.
C'était à Cana en Galilée.
Il manifesta sa gloire,
et ses disciples crurent en lui.

Il faut nous habituer à la manière d'écrire de Jean l'évangéliste ! C'est entre les lignes que les choses importantes sont dites ! Pour lui, ce premier « signe » (comme il dit) de Jésus à Cana est très important : il évoque à lui tout seul le grand mystère du projet de Dieu sur l'humanité, mystère de Création, mystère d'Alliance, mystère de Noces. Ce que nous appelons le Prologue, chez Jean, c'est-à-dire le tout début de son premier chapitre, était une grande méditation sur ce mystère ; le texte qui nous rapporte le miracle de Cana est exactement la même méditation, mais sur le mode du récit, cette fois. Comme si ces deux textes, au début de l'évangile, devaient nous introduire à la compréhension de tout ce qui va suivre. Je vous propose donc de lire le récit des noces de Cana à la lumière du Prologue.

Qu'y a-t-il eu entre les deux ? Des événements qui composent ce que l'on appelle la « semaine inaugurale » de la vie publique de Jésus. Elle commence auprès de Jean-Baptiste au bord du Jourdain où des Pharisiens sont venus l'interroger sur sa mission ; et déjà Jean-Baptiste annonçait la venue de Jésus ; le lendemain, Jean-Baptiste a la joie de voir Jésus lui-même venir vers lui et il reconnaît en lui « le Fils de Dieu, celui qui baptise dans l'Esprit Saint ». Le lendemain encore, (et c'est Jean qui donne la précision comme s'il disait « il y eut un soir, il y eut un matin »), nouvelle rencontre au bord de l'eau : cette fois, ce sont deux disciples de Jean-Baptiste qui se détachent de son groupe pour suivre Jésus et celui-ci les invite à passer la soirée auprès de lui. Le jour suivant, Jésus part en Galilée accompagné déjà de quelques disciples. Et c'est en Galilée, trois jours plus tard, qu'a lieu le miracle de Cana : Jean commence son récit des noces de Cana en disant « le troisième jour, il y eut un mariage à Cana en Galilée » ; on est, bien sûr, tentés de faire le compte de tous ces jours depuis le début : cela donne « le septième jour » ; l'évocation d'une semaine, d'un « septième jour », dans un évangile, ce n'est évidemment pas anodin. Le « septième jour » renvoie toujours à l'achèvement de la Création.

Comme le mot « commencement », d'ailleurs, que l'évangéliste emploie à la fin de son récit : « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. » Dans le Prologue, Jean affirmait « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. » Nous voici dans le cadre des sept jours de la Création. L'épisode des noces de Cana, un septième jour, lui fait donc un lointain écho : car, en réalité, à Cana, Jésus ne se contente pas de multiplier le vin, il le crée ; comme au commencement de toutes choses, le Verbe était tourné vers Dieu pour créer le monde, une nouvelle étape s'inaugure à Cana : la création nouvelle a commencé.

Et il s'agit d'une noce ! On pourrait continuer le parallèle : au sixième jour, Dieu avait achevé son oeuvre par la création du couple humain à son image ; au septième jour de la nouvelle création, Jésus participe à un repas de noces. Manière de dire que le projet créateur de Dieu est en définitive un projet d'alliance, un projet de noce. (Nous comprenons mieux alors pourquoi nous avons lu en première lecture ce texte du troisième Isaïe dans lequel Dieu disait à son peuple : je t'aime d'amour et je t'épouse ; Is 62) Les Pères de l'Eglise ne se sont pas privés de voir dans le miracle de Cana la réalisation de la promesse de Dieu : la fête des noces de Dieu avec l'humanité débute là.

C'est pour cela que le mot « Heure » chez Jean est si important : il s'agit de l'Heure où le projet de Dieu a été définitivement accompli en Jésus-Christ. C'est bien à cela que Jésus pense quand il dit à Marie : « Femme, que me veux-tu ? Mon Heure n'est pas encore venue. » Visiblement ses préoccupations sont au-delà du problème matériel du manque de vin : il ne perd pas de vue sa mission qui est d'accomplir les noces de Dieu avec l'humanité.

Mais la première phrase (« Femme, que me veux-tu ? ») reste surprenante et on a beaucoup épilogué ; en réalité, dans le texte grec, c'est « qu'y a-t-il pour toi et pour moi ? » autrement dit : « tu ne peux pas comprendre ». Jésus affronte là, seul, la grande question de sa mission : pour accomplir cette mission, concrètement, que doit-il faire ? Doit-il créer du vin ? Et ainsi manifester qu'il est le Fils de Dieu ?

On a peut-être ici, dans l'évangile de Jean, un écho du récit des Tentations dans les Evangiles synoptiques ; ce qui expliquerait, d'ailleurs, la sécheresse apparente de la phrase de Jésus à sa mère ; au désert, dans l'épisode des Tentations, la question qui s'est posée à Jésus était « qu'est-ce, au juste, être Fils de Dieu ? » et le Tentateur lui avait susurré « si tu es vraiment le Fils de Dieu, maintenant que tu as faim, ordonne que ces pierres deviennent du pain ». On remarquera une chose : quand il est seul au désert, Jésus refuse de faire les miracles que lui suggère le Tentateur, car il en serait le seul bénéficiaire. A Cana, au contraire, Jésus multiplie le vin de la fête pour la joie des convives. Ce qui revient à dire que le Fils de Dieu ne fait de miracles que pour le bonheur des hommes.

***

- « Femme que me veux-tu ? » = Ne cherchons pas à minimiser l'indéniable vivacité de cette réaction du Fils envers sa mère. En hébreu, cette phrase marque généralement une divergence de vues, parfois même une hostilité (Jg 11, 12 ; Mc 1, 24 ; 2 S 16, 10 ; 2 S 19, 23) ; reconnaissons qu'il s'agit ici de cas extrêmes ; la réflexion de Jésus s'apparente peut-être davantage à celle de la veuve de Sarepta face à Elie au moment de la mort de son fils (1 R 17, 18) : elle considère la présence du prophète comme une intervention inopportune. Mais la difficulté persiste : Jésus, le doux et humble de coeur, manquerait-il de respect envers sa mère ? En réalité, peut-être y a-t-il ici l'aveu implicite d'un véritable affrontement intérieur pour le Fils au sujet de sa mission. Lui qui ne s'autorisait pas à accomplir des miracles pour son seul bénéfice (changer des pierres en pain), devait-il ici transformer l'eau en vin ?
- Les cuves d'eau de Cana soient en pierre et Jean le précise intentionnellement : les poteries de terre cuite étaient employées pour l'eau potable, les cuves de pierre pour l'eau des ablutions rituelles. C'est cette eau-là, eau symbolique de l'Alliance, qui est devenue vin des noces.

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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 09:15
marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consistera à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). Certains s'étonneront que j'écrive en rouge la 2e lecture (1ère lettre de Saint Paul aux Corinthiens). Je m'en explique dans une page précitée, celle qui évoque les passages du Nouveau Testament parlant de liberté.

3ème dimanche ordinaire (année C)

PREMIERE LECTURE - Néhémie 8, 1 - 4a . 5-6 . 8-10

Quand arriva la fête du septième mois,
1 tout le peuple se rassembla comme un seul homme
sur la place située devant la Porte des eaux.
On demanda au scribe Esdras
d'apporter le livre de la Loi de Moïse,
que le Seigneur avait donnée à Israël.
2 Alors le prêtre Esdras apporta la Loi en présence de l'assemblée,
composée des hommes, des femmes,
et de tous les enfants en âge de comprendre.
C'était le premier jour du septième mois.
3 Esdras, tourné vers la place de la Porte des eaux,
fit la lecture dans le livre,
depuis le lever du jour jusqu'à midi,
en présence des hommes, des femmes,
et de tous les enfants en âge de comprendre :
tout le peuple écoutait la lecture de la Loi.
4 Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois,
construite tout exprès.
5 Esdras ouvrit le livre ;
tout le peuple le voyait, car il dominait l'assemblée.
Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout.
6 Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand,
et tout le peuple, levant les mains, répondit :
« Amen ! Amen ! »
Puis ils s'inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur,
le visage contre terre.
8 Esdras lisait (un passage) dans le livre de la loi de Dieu,
puis les lévites traduisaient, donnaient le sens,
et l'on pouvait comprendre.
9 Néhémie, le gouverneur,
Esdras, qui était prêtre et scribe,
et les lévites qui donnaient les explications,
dirent à tout le peuple :
"Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu !
Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas !"
Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi.
10 Esdras leur dit encore :
« Allez, mangez des viandes savoureuses,
buvez des boissons aromatisées,
et envoyez une part à celui qui n'a rien de prêt.
Car ce jour est consacré à notre Dieu !
Ne vous affligez pas :
la joie du Seigneur est votre rempart ! »


Nous qui n'aimons pas les liturgies qui durent plus d'une heure, nous serions servis ! Debout depuis le lever du jour jusqu'à midi ! Tous comme un seul homme, hommes, femmes et enfants ! Et tout ce temps à écouter des lectures en hébreu, une langue qu'on ne comprend plus. Heureusement, le lecteur s'interrompt régulièrement pour laisser la place au traducteur qui redonne le texte en araméen, la langue de tout le monde à l'époque, à Jérusalem. Et le peuple n'a même pas l'air de trouver le temps long : au contraire tous ces gens pleurent d'émotion et ils chantent, ils acclament inlassablement « AMEN » en levant les mains. Esdras, le prêtre, et Néhémie, le gouverneur, peuvent être contents : ils ont gagné la partie ! La partie, l'enjeu si l'on veut, c'est de redonner une âme à ce peuple. Car, une fois de plus, il traverse une période difficile. Nous sommes à Jérusalem vers 450 av. J.C. L'Exil à Babylone est fini, le Temple de Jérusalem est enfin reconstruit, (même s'il est moins beau que celui de Salomon), la vie a repris. Vu de loin, on pourrait croire que tout est oublié. Et pourtant, le moral n'y est pas. Ce peuple semble avoir perdu cette espérance qui a toujours été sa caractéristique principale. La vérité, c'est qu'il y a des séquelles des drames du siècle précédent. On ne se remet pas si facilement d'une invasion, du saccage d'une ville... On en garde des cicatrices pendant plusieurs générations. Il y a les cicatrices de l'Exil lui-même et il y a les cicatrices du retour.

Car, avec l'Exil à Babylone on avait tout perdu et le retour tant espéré n'a finalement pas été magique, nous l'avons vu souvent. Je n'y reviens pas.

Le miracle, c'est que cette période fut terrible, oui, mais très féconde : car la foi d'Israël a survécu à cette épreuve. Non seulement ce peuple a gardé sa foi intacte pendant l'Exil au milieu de tous les dangers d'idolâtrie, mais il est resté un peuple et sa ferveur a grandi ; et cela grâce aux prêtres et aux prophètes qui ont accompli un travail pastoral inlassable. Ce fut par exemple une période intense de relecture et de méditation des Ecritures. Un de leurs objectifs, bien sûr, pendant les cinquante ans de l'Exil, c'était de tourner tous les espoirs vers le retour au pays. Du coup, la douche froide du retour n'en a été que plus dure. Car, du rêve à la réalité, il y a quelquefois un fossé... Le grand problème du retour, nous l'avons vu avec les textes d'Isaïe de la Fête de l'Epiphanie et de la semaine dernière, c'est la difficulté de s'entendre : entre ceux qui reviennent au pays, pleins d'idéal et de projets et ceux qui se sont installés entre temps, ce n'est pas un fossé, c'est un abîme. Ce sont des païens, pour une part, qui ont occupé la place et leurs préoccupations sont à cent lieues des multiples exigences de la loi juive.

On se souvient que la reconstruction du Temple s'est heurtée à leur hostilité, et les moins fervents de la communauté juive ont été bien souvent tentés par le relâchement ambiant. Ce qui inquiète les autorités, c'est ce relâchement religieux, justement ; et il ne cesse de s'aggraver à cause de très nombreux mariages entre juifs et païens ; impossible de préserver la pureté et toutes les exigences de la foi dans ce cas. Alors Esdras, le prêtre, et Néhémie, le laïc, vont unir leurs efforts. Ils obtiennent tous les deux du maître du moment, le roi de Perse, Artaxerxès, une mission pour reconstruire les murailles de la ville et pleins pouvoirs pour reprendre en main ce peuple. Car on est sous domination perse, il ne faut pas l'oublier.

Esdras et Néhémie vont donc tout faire pour redresser la situation : il faut relever ce peuple, lui redonner le moral. Or, dans l'histoire d'Israël l'unité du peuple s'est toujours faite au nom de l'Alliance avec Dieu ; les points forts de l'Alliance, ce sont toujours les mêmes : la Terre, la Ville Sainte, le Temple, et la Parole de Dieu. La Terre, nous y sommes ; la ville sainte, Jérusalem, Néhémie le gouverneur va en achever la reconstruction ; le Temple, lui, est déjà reconstruit ; reste la Parole : on va la proclamer au cours d'une gigantesque célébration en plein air.


Tous les éléments sont réunis et on a soigné la mise en scène : c'est très important. On a même construit une tribune en bois qui domine le peuple : c'est de là que le prêtre et les traducteurs font la proclamation. Quant à l'homélie, bien sûr, elle invite à la fête. Mangez, buvez, c'est un grand jour puisque c'est le jour de votre rassemblement autour de la Parole de Dieu.
Retenons la leçon : pour resouder leur communauté, Esdras et Néhémie ne lui font pas la morale, ils lui proposent une fête autour de la parole de Dieu.

****
La date elle-même a été choisie avec soin : on a repris la coutume des temps anciens, une grande fête à l'occasion de ce qui était alors la date du Nouvel An, « le premier jour du septième mois ».

PSAUME 18 ( 19 ) 8. 9. 10. 15

8 La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

9 Les préceptes du Seigneur sont droits,
ils réjouissent le coeur ;
le commandement du Seigneur est limpide,
il clarifie le regard.

10 La crainte qu'il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes,
et vraiment équitables.

15 Accueille les paroles de ma bouche,
le murmure de mon coeur ;
qu'ils parviennent devant toi,
Seigneur, mon Rocher, mon défenseur !



Nous avons déjà rencontré plusieurs fois ce psaume ; et nous avons donc eu l'occasion de dire l'importance de la Loi pour Israël, dans un sens extrêmement positif, et de la crainte de Dieu, une attitude elle aussi éminemment positive et filiale. Et nous avions relu plusieurs passages de l'Ancien Testament dans lesquels la Loi est présentée comme un chemin : si un fils d'Israël veut être heureux, il veillera à ne s'en écarter ni à droite ni à gauche.

Aujourd'hui, pour éclairer ce psaume, je vous propose de relire le livre du Deutéronome. C'est un texte relativement tardif : à une période où le royaume de Juda s'éloignait dangereusement de la pratique de la Loi, justement, ce livre a sonné comme un cri d'alarme ; sur le thème « si vous ne voulez pas qu'il vous arrive la catastrophe qui s'est abattue sur le royaume du Nord, vous feriez bien de changer de conduite. » C'est donc un rappel de tous les commandements de Moïse, et de ses mises en garde ; on y trouve toute une méditation sur le rôle de la Loi : elle n'a pas d'autre but que d'éduquer le peuple, le garder dans le droit chemin, comme on dit. Et si Dieu tient tellement à ce que son peuple se maintienne dans le droit chemin, c'est parce que c'est le seul moyen de vivre heureux en société et de remplir sa vocation de peuple élu parmi les nations. Le roi de Jérusalem, Josias, entreprenant une réforme religieuse en profondeur, vers 620 av.J.C. s'est appuyé sur ce livre du Deutéronome.

Premier paradoxe pour nous, peut-être, il ne fait de doute pour personne dans la Bible que la loi est un instrument de liberté. Nous, nous serions plutôt tentés de la voir comme un carcan ; l'image qui est donnée, c'est celle de l'aigle qui apprend à voler à ses petits. Voici ce que racontent les ornithologues qui ont observé les aigles dans le désert du Sinaï : quand les petits aiglons se lâchent, les parents restent dans les environs et planent au-dessus d'eux en traçant de larges cercles ; lorsque les petits aiglons sont fatigués, ils peuvent à tout moment se reposer (dans les deux sens du terme : se reposer et se re-poser) sur les ailes de leurs parents. L'auteur biblique a pris cette image pour dire que Dieu donne sa loi aux hommes pour leur apprendre à voler de leurs propres ailes. Pas l'ombre d'une domination là-dedans, au contraire ; d'ailleurs, en libérant son peuple de l'esclavage en Egypte, Dieu a prouvé une fois pour toutes que son seul objectif est de libérer son peuple. Voici la phrase du livre du Deutéronome : « Le Seigneur rencontre son peuple au pays du désert, dans les solitudes remplies de hurlements sauvages : il l'entoure, il l'instruit, il veille sur lui comme sur la prunelle de son oeil. Il est comme l'aigle qui encourage sa nichée ; il plane au-dessus de ses petits, il déploie toute son envergure, il les prend et les porte sur ses ailes. » (Dt 32, 9 - 11).

Un Dieu qui veut l'homme libre ! C'est le message que l'on se transmet fidèlement d'une génération à l'autre : « Demain, quand ton fils te demandera : pourquoi ces exigences, ces lois et ces coutumes que le Seigneur votre Dieu vous a prescrites ? » alors tu diras à ton fils : « nous étions esclaves du Pharaon en Egypte, mais, d'une main forte, le Seigneur nous a fait sortir d'Egypte... Le Seigneur nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois et de craindre le Seigneur notre Dieu, pour que nous soyons heureux tous les jours et qu'il nous garde vivants comme nous le sommes aujourd'hui. » (Dt 6, 20 - 24).

Quand le roi Josias essaie de remettre son peuple sur le droit chemin, on voit bien l'intérêt qu'il éprouve à faire connaître ce livre qui répète sur tous les tons : le plus court chemin pour être un peuple libre et heureux, c'est la vie droite. Sous-entendu, si vos frères du Nord ont si mal fini, c'est parce qu'ils ont oublié cette vérité élémentaire. Or il en va non seulement du salut du royaume du Sud, ce qui est évidemment le premier souci de Josias, mais c'est le salut de l'humanité tout entière qui est en jeu, le salut de « toutes les familles de la terre » comme dit le livre de la Genèse. Comment le peuple élu pourra-t-il être témoin du Dieu libérateur s'il ne se comporte pas lui-même en peuple libre ? S'il retombe dans les éternelles tentations de l'humanité : l'idolâtrie, l'injustice sociale, les prises de pouvoir des uns ou des autres ?


Les auteurs bibliques sont de tout temps conscients de cette responsabilité que Dieu a confiée à son peuple en lui proposant son Alliance : « Au Seigneur notre Dieu sont les choses cachées, et les choses révélées sont pour nous et nos fils à jamais, pour que soient mises en pratique toutes les paroles de cette Loi. » (Dt 29, 28). Cela leur inspire une grande fierté, mais pas le moindre orgueil ; d'ailleurs, s'il en était besoin, le Deutéronome se charge de rappeler le peuple à l'humilité : « Si le Seigneur s'est attaché à vous et s'il vous a choisis, ce n'est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de tous les peuples. » (Dt 7, 7) ; et encore « Reconnais que ce n'est pas parce que tu es juste que le Seigneur ton Dieu te donne ce bon pays en possession, car tu es un peuple à la nuque raide. » (Dt 9, 6). Notre psaume reprend cette leçon d'humilité : « La charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples » ; jolie manière de dire que Dieu seul est sage ; pour nous, pas besoin de nous croire malins, laissons-nous guider tout simplement. Et alors, la pratique humble et quotidienne de la Loi peut transformer peu à peu un peuple tout entier ; comme dit encore le psaume : « Le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard. » A pratiquer les commandements, on apprend peu à peu à vivre en fils de Dieu, on apprend peu à peu à vivre en frères des hommes : pour le dire autrement, on apprend à regarder Dieu comme un Père et les hommes comme des frères.

****
Il n'est donc demandé qu'une pratique humble et quotidienne ; c'est à la portée de tout le monde, cela aussi, le roi Josias a dû être bien content de le répéter pour encourager ses sujets (Dt 30, 11) : « Oui, ce commandement que je te donne aujourd'hui n'est pas trop difficile pour toi, il n'est pas hors d'atteinte. Il n'est pas au ciel ; on dirait alors : Qui va, pour nous, monter au ciel nous le chercher, (et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique) ? Il n'est pas non plus au-delà des mers ; on dirait alors : Qui va, pour nous, passer outre-mer nous le chercher (et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique) ? Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur, pour que tu la mettes en pratique. »

DEUXIEME LECTURE - 1 Corinthiens 12, 12-30

Frères,
prenons une comparaison :
12 notre corps forme un tout,
il a pourtant plusieurs membres ;
et tous les membres, malgré leur nombre,
ne forment qu'un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ.
13 Tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
nous avons été baptisés dans l'unique Esprit
pour former un seul corps.
Tous, nous avons été désaltérés par l'unique Esprit.
14 Le corps humain se compose de plusieurs membres,
et non pas d'un seul.
15 Le pied aura beau dire :
« Je ne suis pas la main,
donc je ne fais pas partie du corps »,
il fait toujours partie du corps.
16 L'oreille aura beau dire :
« Je ne suis pas l'oeil,
donc je ne fais pas partie du corps »,
elle fait toujours partie du corps.
17 Si, dans le corps, il n'y avait que les yeux,
comment pourrait-on entendre ?
S'il n'y avait que les oreilles,
comment pourrait-on sentir les odeurs ?
18 Mais, dans le corps,
Dieu a disposé les différents membres
comme il l'a voulu.
19 S'il n'y en avait qu'un seul,
comment cela ferait-il un corps ?
20 Il y a donc à la fois plusieurs membres
et un seul corps.
21 L'oeil ne peut pas dire à la main :
« Je n'ai pas besoin de toi » ;
la tête ne peut pas dire aux pieds :
« Je n'ai pas besoin de vous ».
22 Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates
sont indispensables.
23 Et celles qui passent pour les moins respectables,
c'est elles que nous traitons avec le plus de respect ;
celles qui sont moins décentes,
nous les traitons plus décemment ;
24 pour celles qui sont décentes, ce n'est pas nécessaire.
Dieu a organisé le corps
de telle façon qu'on porte plus de respect
à ce qui en est le plus dépourvu :
25 il a voulu qu'il n'y ait pas de division dans le corps,
mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres.
26 Si un membre souffre,
tous les membres partagent sa souffrance ;
si un membre est à l'honneur,
tous partagent sa joie.
27 Or, vous êtes le corps du Christ
et, chacun pour votre part,
vous êtes les membres de ce corps.
28 Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l'Eglise,
il y a premièrement des apôtres,
deuxièmement des prophètes,
troisièmement ceux qui sont chargés d'enseigner,
puis ceux qui font des miracles,
ceux qui ont le don de guérir,
ceux qui ont la charge d'assister leurs frères ou de les guider,
ceux qui disent des paroles mystérieuses.
29 Tout le monde évidemment n'est pas apôtre,
tout le monde n'est pas prophète, ni chargé d'enseigner ;
tout le monde n'a pas à faire des miracles,
30 à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter.



Autrement dit « A chacun son métier ; mais attention à ne pas vous mépriser mutuellement, rappelez-vous que tout le monde a besoin de tout le monde ». Ce long développement de Paul prouve au moins une chose, c'est que la communauté de Corinthe connaissait exactement les mêmes problèmes que nous. Pour donner une leçon à ses fidèles, Paul a recours à un procédé qui marche mieux que tous les discours, il leur propose une comparaison. A vrai dire, il ne l'a pas complètement inventée, mais c'est encore mieux : il utilise une fable que tout le monde connaissait et il l'adapte à son objectif. Cette fable qui circulait à l'époque du Christ, on l'appelait « La fable des membres et de l'estomac » (on la trouve racontée dans « L'Histoire Romaine de Tite-Live » ; plus près de nous, d'ailleurs, La Fontaine l'a mise en vers) : comme toutes les fables, elle commence par « Il était une fois » : « Il était une fois » donc, un homme comme tous les autres... sauf que, chez lui, tous les membres parlaient et discutaient entre eux ! Et ils n'avaient pas tous bon caractère, apparemment. Et, probablement, certains devaient avoir l'impression d'être moins bien considérés ou un peu exploités.

Un jour, au cours d'une discussion, les pieds et les mains se sont révoltés contre l'estomac : parce que lui, l'estomac, il se contente de manger et de boire ce que les autres membres lui fournissent... Tout le plaisir est pour lui ! Ce n'est pas lui qui se fatigue à travailler, à cultiver la vigne, à faire les courses, à couper la viande, à mâcher et j'en oublie. Alors on a décidé tout simplement de faire la grève. Désormais plus personne ne bouge : l'estomac verra bien ce qui lui arrive ! Et s'il meurt de faim, rira bien qui rira le dernier... On n'avait oublié qu'une chose : si l'estomac meurt de faim, il ne sera pas le seul. Ce corps-là, comme tous les autres, faisait un tout, et tout le monde a besoin de tout le monde !

Saint Paul a donc repris dans le capital culturel de son temps un discours très facile à comprendre. Et, pour le cas où malgré tout, on ne comprendrait pas, il s'est donné la peine d'expliquer lui-même sa parabole du corps et des membres. Et pour lui, la morale de cette histoire, c'est : nos diversités sont notre chance, à condition d'en faire les instruments de l'unité.

Un des points marquants de ce développement de Saint Paul, c'est que, pas un instant, il ne parle en termes de hiérarchie ou de supériorité ! Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions bien humaines, tout cela ne compte plus : désormais une seule chose compte, notre Baptême dans l'unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d'infériorité. Les vues de Dieu sont tout autres : « Parmi vous il ne doit pas en être ainsi » disait Jésus à ses apôtres. Mais, avouons-le, ne plus penser en termes de supériorité, de hiérarchie, d'avancement, d'honneur, c'est bien difficile.

Paul, au contraire, insiste sur le respect dû à tous : simplement, parce que la plus haute dignité, la seule qui compte, c'est d'être un membre, quel qu'il soit, de l'unique corps du Christ. Le respect, au sens étymologique, c'est une affaire de regard : quelquefois les gens qui ne nous paraissent pas importants, nous ne les voyons même pas, notre regard ne s'attarde pas sur eux ! A l'inverse, il nous est arrivé à tous de mesurer notre peu d'importance aux yeux de quelqu'un d'autre : son regard glisse sur nous comme si nous n'existions pas ! Il semble bien, tout compte fait, que Saint Paul ici nous donne une formidable leçon de respect : respect des diversités, d'une part, et respect de la dignité de chacun quelle que soit sa fonction.

EVANGILE - Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21.

1, 1 Plusieurs ont entrepris de composer un récit
des événements qui se sont accomplis parmi nous,
2 tels que nous les ont transmis
ceux qui, dès le début, furent les témoins oculaires
et sont devenus les serviteurs de la Parole.
3 C'est pourquoi j'ai décidé, moi aussi,
après m'être informé soigneusement de tout depuis les origines,
d'en écrire pour toi, cher Théophile, un exposé suivi,
4 afin que tu te rendes bien compte
de la solidité des enseignements que tu as reçus.

4, 14 Lorsque Jésus, avec la puissance de l'Esprit,
revint en Galilée,
sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans les synagogues des Juifs,
et tout le monde faisait son éloge.
16 Il vint à Nazareth où il avait grandi.
Comme il en avait l'habitude,
il entra dans la synagogue le jour du sabbat,
et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui présenta le livre du prophète Isaïe.
Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
18 L'Esprit du Seigneur est sur moi
parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction.
Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres,
et aux aveugles qu'ils verront la lumière,
apporter aux opprimés la libération,
19
annoncer une année de bienfaits
accordée par le Seigneur.
20 Jésus referma le livre, le rendit au servant et s'assit.
Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il se mit à leur dire :
« Cette parole de l'Ecriture, que vous venez d'entendre,
c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit. »


Le récit que nous lisons aujourd'hui se situe après le baptême de Jésus et le récit de ses tentations au désert. Apparemment, tout va pour le mieux pour le nouveau prédicateur ; je vous rappelle la phrase de Luc : « Lorsque Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues des Juifs, et tout le monde faisait son éloge. » Tout s'annonçait bien ce matin-là : Jésus est un bon Juif comme les autres : il rentre de voyage, et comme tout bon Juif, le samedi matin venu, il va à l'office à la synagogue.

Rien d'étonnant non plus à ce qu'on lui confie une lecture, puisque tout fidèle a le droit de lire les Ecritures. La célébration à la synagogue se déroule donc tout à fait normalement... jusqu'au moment où Jésus lit ce texte bien connu du prophète Isaïe et, dans le grand silence fervent qui suit la lecture, il affirme tranquillement une énormité : « Cette parole que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit ». Il y a certainement eu un temps de silence, le temps qu'on ait compris ce qu'il veut dire.
Nous avons du mal à imaginer l'audace que représente cette affirmation si tranquille de Jésus ; car, pour tous ses contemporains, ce texte vénérable du prophète Isaïe concernait le Messie.

Il faut se rappeler comment l'attente du Messie a évolué en Israël : au début, le mot « Messie » (Mashiah en hébreu, ou Christ en grec, c'est la même chose) signifie le « frotté d'huile », celui qui, concrètement, a reçu l'onction d'huile ; et le mot « Messie » est alors synonyme de roi ; parce que le roi recevait une onction d'huile le jour de son sacre. Cette onction était le signe que Dieu lui-même inspirait le roi en permanence pour qu'il soit capable d'accomplir sa mission de sauver le peuple. Du coup, peu à peu, le sens du mot « Messie » va évoluer ; il prend deux sens : c'est celui qui a mission de guider, de sauver le peuple de Dieu, mais c'est aussi celui qui est inspiré par Dieu (on disait que l'Esprit reposait sur lui). Ces deux sens s'appliquent au roi d'abord, mais pas seulement au roi : car le roi n'est pas le seul à avoir cette mission, on va en prendre conscience ; les prêtres aussi ont mission de guider et sauver le peuple, les prophètes aussi.

Si bien que, plus tard, on emploiera le mot « Messie » pour quelqu'un sur qui, manifestement repose l'esprit même si, concrètement, il n'a pas été « oint », « frotté d'huile » ; c'est le cas des prophètes : généralement, il n'y avait pas d'onction pour les prophètes, sauf Elisée (1 R 19, 16) mais, de toute évidence, ils sont inspirés par Dieu ; et, à l'époque du Christ, on attend un Messie à la fois roi et prophète, sur qui reposera en plénitude l'esprit de Dieu. Donc, quand Jésus affirme « La parole d'Isaïe que je viens de vous lire l'Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction... c'est en moi qu'elle s'accomplit... », il dit tout simplement « Je suis le Messie, celui que vous attendez ». Evidemment, il ne pouvait que surprendre ses auditeurs. Prophète, il l'est peut-être ; la suite le dira, pour l'instant on a plutôt bonne opinion de lui. Mais roi, il ne l'est certainement pas ! On attendait un Messie-Roi triomphant et, dans la Palestine alors occupée par les Romains, on attendait celui qui nous délivrerait de l'occupation romaine. Voilà le salut que l'on attendait en premier, le plus urgent, un salut politique. Messie triomphant, Jésus, le garçon du pays, le fils du charpentier, ne l'est guère pour l'instant, en apparence, tout au moins.

Soyons francs, Jésus n'a pas fini d'étonner ses contemporains : il est bien le Messie qu'on attendait, mais tellement différent de ce qu'on attendait ! Luc, pour aider ses lecteurs, a bien pris soin dès le début de son livre, de leur dire d'entrée de jeu qu'il s'est informé soigneusement de tout depuis les origines ; et, d'autre part, il a souligné en introduction à ce passage que Jésus était accompagné de la puissance de l'Esprit, ce qui était bien la caractéristique du Messie.


Dernière remarque sur cet évangile : la citation d'Isaïe que Jésus reprend à son compte sonne comme un véritable discours-programme : « L'Esprit du Seigneur est sur moi... Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres, et aux aveugles qu'ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » Voilà l'oeuvre de l'Esprit à travers ceux qu'il a consacrés. Nous qui cherchons quelquefois des critères de discernement, nous voilà servis ; car ce qui est dit du Christ est valable pour tous les confirmés que nous sommes, à notre humble mesure, bien sûr.

***
Nous savons très peu de choses sur la manière dont les évangiles ont été écrits, et en particulier leur date : mais de ce que nous venons de lire, nous pouvons déduire quelques précisions ; il y a eu certainement une prédication orale avant que les évangiles soient écrits puisque Luc dit à Théophile qu'il veut lui permettre de vérifier « la solidité des enseignements qu'il a reçus. » Luc reconnaît également ne pas avoir été un témoin oculaire des événements ; il n'a pu que s'informer auprès des témoins oculaires, ce qui suppose qu'ils sont encore vivants quand il écrit. On peut donc supposer que la prédication de la Résurrection du Christ a commencé dès la Pentecôte et que l'évangile de Luc a été mis par écrit plus tard, mais avant la mort des derniers témoins oculaires, ce qui donne une date limite vers 80 - 90 après J.C.

 

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